Chapter Text
I. Devoir conjugal
La Maison Kaiser perdurait depuis plusieurs générations. Prestigieuse famille ayant fait fortune dans l'industrie du parfum, ce nom s'était frayé un chemin dans les bouches et les oreilles de la haute sphère sociales, s'encrant dans la culture mondaine et y apposant sa marque. La rose bleue, unique et sophistiquée, profondément marquante, objet d'admiration. Toutefois, depuis peu, l'image immaculée de la maison se voyait entachée par une affreuse rumeur.
Michael était le dernier-né de la famille Kaiser. Jeune alpha de vingt-et-un ans, beau, séduisant et charismatique, il attirait la convoitise de nombreux clans se faisant concurrence dans l'espoir d'offrir la main de leur oméga en échange d'une place dans l'arbre familial. Cependant, malgré les nombreuses avances, dont certaines particulièrement aguicheuses pour lesquelles il se serait volontiers laissé tenté, la prise de décisions finale ne lui revenait en aucun cas et était réservé à l'actuelle chef de famille, Kaiser le père.
Ce dernier avait jeté son dévolu sur un jeune oméga post pubertaire de dix-huit ans appartenant à un clan de renommée quasi égale à celle des Kaiser. Le clan Ness s'étant fait connaître dans l'industrie viticole, ayant arrosé le gosier de personnalité de grande exception aux quatre coins du monde. Alexis était le fils cadet d'une fratrie de trois, seul oméga. Il se démarquait de ses pairs non seulement de par son second genre, mais aussi son attitude aux antipodes du reste de la famille, une anomalie.
Aspirant à une vie à l'encontre des convenances, croyant extrêmement dévoué à un dieu auquel il était le seul à croire dans son entourage, au tempérament effacé et très fortement soumis. La première impression qu'avant eu Michael de son futur fiancé n'avait pas été très bonne pour ainsi dire. Leur première rencontre avait été une expérience assez décevante, Michael tentant presque désespérément d'arracher une phrase de plus de trois mots à son interlocuteur qui se terrait dans un silence timide, les yeux constamment rivés sur ses mains qui s'agitaient nerveusement ou le contenu de sa tasse de thé. Le seul atout que semblait présenter ce garçon était son apparence, mignon et délicat, avec des cheveux bruns bouclés aux nuances pourpres et des yeux fuchsia ou se reflétait la douceur de l'innocence.
Il avait fallu trois rencontres pour qu'Alexis daigne enfin soutenir le regard de son futur époux et lui parle d'avantage. Ils en étaient à leur cinquième quand ils se sont tenu la main pour la première fois. Enfin une sixième et une septième rencontre pour qu'ils échangent leur premier baiser. En bon gentilhomme, Michael avait laissé le temps à son futur époux de s'ouvrir et de prendre en confiance, il n'avait jamais été question de le brusquer. Malgré le caractère transactionnel de leur relation, Kaiser voulait tout de même prendre le temps d'apprendre à connaître celui qui partagerait sa vie pour le restant de ses jours.
Le mariage avait eu lieu seulement six mois après leur rencontre initiale. Une grande cérémonie strictement familiale, mais dont le retentissement médiatique et les jasements populaires autour étaient tels qu'on aurait pensé qu'il avait eu lieu sur la scène publique. À l'autel d'une immense cathédrale, sous la bénédiction d'un prête, Michael et Alexis s'étaient dit "oui", scellant ainsi pour de bon cette nouvelle alliance familiale et entamant un nouveau chapitre de leur vie.
La première nuit de noces avait été une épreuve particulièrement difficile pour l'oméga. Lui qui avait toujours imaginé la première nuit d'amour comme quelque chose d'intime et profondément exaltant, s'était heurté à la dure réalité de sa condition. Se voir déflorer comme il l'avait été, dans un acte purement animal avec pour seul et unique but de procréer, avait été une expérience douloureusement dégradante. Il n'y avait eu aucun amour, aucune tendresse, aucun confort. Juste lui, étendu dans ce grand lit, les cuisses grandes ouvertes à la merci d'un alpha pénétrant ses entrailles pour y déverser les graines sa progéniture. Alexis en avait détesté chaque seconde, et la culpabilité qui le rongeait quant à ce ressenti lui serrait le cœur. Parce que Dieu se réjouissait de cet acte heureux depuis son trône dans les cieux, alors pourquoi ne pouvait-il pas en faire de même ?
Le sentiment ne l'avait jamais quitté malgré ses efforts pour apprécier l'acte. Même après deux ans de mariage, chaque fois avait été un moment très désagréable à passer, et cela, avec le temps, n'avait pas échappé à Michael, qui, même s'il ne l'avait jamais exprimé ouvertement, en avait quelque peu été vexé. Mais pire encore, l'absence d'un héritier et les commentaires que cela suscitait était comme du sel jeté sur une plaie béante. Et des deux, l'oméga était celui qui en pâtissait le plus. Essuyant les critiques amères de ses frères, les regards désappointés de son père, les commérages mesquins du personnel de maison, les coups de fil plaintifs de son beau-père, qui s'impatientait toujours un peu plus d'un petit-fils, à son époux.
Alors Alexis avait redoublé d'efforts. Breuvages et mets stimulant la fertilité tous aussi étranges soient-ils, arrêt complet de certains aliments jugés limitant pour la conception, mais aussi la prise d'initiative. Michael avait toujours été le premier à initier le sexe, de plus en plus rarement avec le temps. Désormais, l'oméga avait mis un point d'honneur à s'impliquer dans son devoir. Il avait même prévu quelques solutions pour rendre l'expérience moins pénible comme des aphrodisiaques et des crèmes lubrifiantes à effets divers.
Et malgré tout ses efforts, rien.
Ils étaient désormais mariés depuis trois ans et demi, et pas le moindre signe d'un enfant. Aucun mot n'aurait pu décrire l'état de dévastation dans lequel se trouvait le jeune homme. La quantité de larmes qu'il avait versé elle-même ne représentait pas assez l'immense chagrin qui envahissait son être et de la honte qui le couvrait de ne peut être à la hauteur. Les rumeurs qui courraient à son sujet n'arrangeaient rien, d'autant plus qu'elles étaient vraisemblablement fondées. « La prestigieuse Maison Kaiser mariée à un terrain clairsemé », « L'héritier Kaiser mariés à une simple maîtresse au lieu d'un véritable époux. » Et comme s'il n'était pas déjà assez humilié comme cela, son beau-père avait enfoncé le clou d'une manière qu'il n'avait jamais vu venir et avait explicitement mis la lumière sur la valeur qu'il détenait désormais à ses yeux.
Isagi Yoichi avait été présenté comme un cadeau offert de bon cœur. Un jeune domestique de dix-huit ans - le même âge qu'avait Alexis lorsqu'il s'était marié - un joli minois exotique aux courbes exquises et à l'étiquette irréprochable. On devait bien lui accorder, le vieux Kaiser avait bon goût. Il était évident que l'apparition soudaine de ce nouvel employé n'était en rien dû au hasard, une énième gifle à la figure d'Alexis.
Un peu plus de deux semaines s'étaient écoulés depuis l'arrivé d'Isagi et rien ne s'était encore vraisemblablement produit entre lui et Michael. Mais ce n'était qu'une question de temps et l'oméga redoutait plus que tout le jour où il les trouverait dans son lit. La pensée elle-même le rongeait de l'intérieur comme un parasite affamé. L'anxiété avait pris le dessus sur toutes ses émotions, motivant ses moindres faits et gestes. Aussi embarrassant que cela puisse sonner, il avait même missionné un autre domestique pour lui rapporter toutes les actions du nouvel employé. Puis aux bouts de dix-sept jours à mariner dans son angoisse, Alexis avait finalement décidé de confronter directement son époux une nuit, dans le secret de leur chambre tandis qu'il s'apprêtait à se coucher.
Les doigts se tortillant nerveusement sur la couverture en satin, il était assis le dos collé à la tête de lit aux côtés de son mari, assis de même, un épais livre sous les yeux. Ness se risquait un rapide coup d'œil à son alpha absorbé par les lignes de son bouquin. Une profonde inspiration pour se donner du courage et il prononça enfin les mots qui tournaient en boucle dans sa tête.
« Je sais très bien pourquoi votre père a fait venir ce domestique. »
Cette simple phrase suffit à faire lentement fermer son livre à Michael, comme s'il avait été préparé à ce que le sujet soit jeté sur la table à un moment ou à un autre. Ses gestes étaient lents tandis qu'il posait l'ouvrage sur la table de chevet et s'installait contre la tête de lit, à aucun moment, il ne regarda Ness, ce dont celui-ci fut secrètement offensé. Il poursuivit :
« Je sais que mon opinion ne compte pas, mais tout de même, je tenais à vous le dire... Je ne suis pas d'accord avec ça. »
Un sanglot se formait dans sa gorge, enrouant sa voix. Il déglutit difficilement et continua, le ton plus ferme.
« Je suis votre époux Michael, ne suis-je pas digne d'un minimum de respect ? Vous ne me regardez même pas quand je vous parle ! »
Ces derniers mots sortirent comme des reproches, emplis d'un dédain que l'alpha n'avait jamais perçu jusqu'à ce jour dans le langage habituellement contrôlé de son partenaire. Un froncement de sourcils abîma ses traits tandis qu'il levait les yeux vers son oméga. Depuis quand s'autorisait-il à s'adresser à lui de cette manière ? Alexis le regardait avec des yeux larmoyants, assombris par la colère, mais il détourna le regard avec un souffle exaspéré, essuyant une larme traîtresse qui roula sur sa joue. Un court silence emplit l'air.
« Tu devrais déjà t'estimer chanceux que mon père n'a pas fait annuler notre mariage dès la première année sans héritier. »
Le blond trancha, froid et sans détour. C'était un coup bas. Mais il soulignait tout de même une vérité indéniable. Alexis n'était en aucun cas en position de se plaindre quand on avait fait preuve de tant de clémence à son égard, et cette seule révélation parut suffire à faire taire le plus jeune dont les lèvres se serrèrent en une fine ligne et les yeux débordèrent de larmes qu'il ne parvenait plus à retenir. Malgré tout, l'héritier Kaiser poursuivit :
« Et puis probablement cela te ferais aussi du bien puisque tu sembles tant détester que je te touche. »
Michael n'avait pas oublié l'expression inconfortable, la tension de son corps et son air dissocié chaque fois qu'ils couchaient ensemble. C'était à peine s'il faisait semblant. L'oméga se figea, totalement pris de court par la remarque, ne sachant quoi répondre. Sa bouche s'ouvrit et se ferma à plusieurs reprises, mais aucun son cohérent n'en sortit. La culpabilité qu'il était parvenu à mettre temporairement de côté lui retomba sur la tête avec le poids d'une enclume. Il n'était jamais venu à bout de ce désamour pour les relations sexuelles malgré les années. Un autre coup bas qu'il encaissa avec grande difficulté.
« Tu ne démens pas ? » Accusa l'alpha aigri.
Alexis ne put répondre quoi que ce soit. Quand bien même il voulait contredire son mari, rien ne lui venait. Parce qu'au fond, il y avait une part de vrai. Ce n'était pas tant qu'il n'aimait pas être touché. Il aimait sincèrement Michael, c'était un homme bon pour lui. Cependant, le souvenir de leur première nuit ensemble semblait l'avoir marqué beaucoup plus qu'il ne le pensait. La douleur psychologique prenait constamment le dessus sur le plaisir physique, la brûlure de l'humiliation était toujours plus forte que la chaleur de l'affection et la culpabilité le paralysait au point ou participer activement lui était presque impossible. Il n'était pas étonnant que l'alpha ai dû interpréter ses réactions comme une forme de rejet. Le brun ne put que murmure de plates excuses qui parvinrent à peine aux oreilles de son époux. Le blond l'ignora et se coucha sous la couverture, en ayant terminé pour ce soir, laissant le plus jeune avec le poids du regret écrasant ses épaules.
Le lendemain matin, les époux se retrouvèrent assis face à face à table, partageant un léger petit déjeuner dont la moitié ne semblaient pas prête à être touchée de si tôt. La tension entre eux s'était légèrement atténuée depuis leur discussion la nuit précédente, cependant les deux n'avaient échangé aucun mot ni aucun regard depuis leur réveil. Depuis le bout de la table, Alexis jeta un regard furtif à Michael à l'opposé, qui finissait sa tasse de thé les yeux rivés sur son journal. Ce qu'avait dit l'alpha n'avait eu de cesse de lui trotter dans la tête au point où il avait à peine fermé l'œil de la nuit. « Tu sembles tant détester que je te touche », cette phrase avait profondément heurté sa dignité d'époux de Kaiser. Lui qui avait eu la chance d'épouser un des hommes les plus convoité de son temps n'était même pas fichu d'en honorer la compagnie.
Il devait lui présenter ses excuses. Quand bien même lui aussi avait été blessé par les paroles de son compagnon, il était celui qui avait engendré le conflit avec des confrontations inutiles. Michael et lui n'avaient pas été mariés par amour, mais par simple convenance. Il ne lui devait rien de plus que la sécurité et la stabilité d'un foyer. Il n'y avait pas de place pour quelconque jalousie mal placée, encore moins quand il avait failli à son seul devoir.
Alexis prit alors son courage à deux mains, se raclant la gorge assez fort pour attirer l'attention de son mari. Les yeux azur quittèrent le papier froissé du journal pour s'encrer dans ceux pourpre de l'oméga. Son regard glacial envoya des frissons dans le dos du brun qui dut se faire violence pour ne pas détourner les yeux. Il lui fallut une seconde supplémentaire pour finalement ouvrir la bouche.
« Je tenais à m'excuser pour hier. » Prononça-t-il doucement, les joues s'empourprant en réponse à son refus de regarder ailleurs que droit dans les yeux de son homologue. « Je n'aurais pas dû me mettre en colère sachant que vous n'êtes en rien responsable de la situation en tout point de vue. Je vous demande pardon... »
Il fit une petite pause avant d'ajouter à son discours : « Aussi, je tenais à vous assurer que mon inconfort quant à l'acte d'amour n'est, en aucun cas, lié à votre personne. C'est un problème qui n'engage que moi. Loin de moi le désir d'insulter votre virilité... »
Kaiser fixa son plus jeune époux pendant un instant, puis poussa un lourd soupir, posant son journal sur la table avant de croiser les bras sur sa poitrine et de s'affaler sur sa chaise. Il examina l'expression de l'oméga, longuement, dans un silence presque assourdissant. Comme s'il pesait le pour et le contre avant de décider s'il acceptait ses excuses ou les rejetait, ce qui ne fit que faire grossir la goutte de sueur froide métaphorique de Ness. Puis enfin, quand il décida que l'attente et l'appréhension avait assez durée, il déclara :
« Je te pardonne pour cette fois. » Sur un ton feignant la nonchalance quand il y s'agissait très clairement d'un ultime avertissement qu'Alexis n'eut aucun mal à capter.
Ainsi se termina le petit-déjeuner, sur une note que l'on pourrait qualifier d'optimiste. Le nuage sombre qui flottait au-dessus de leur relation avait laissé place à une légère éclaircie pour le plus grand soulagement de l'oméga. Mais sa principale préoccupation continuait de vivre sous le même toit que lui et il gardait à l'esprit qu'il y serait inévitablement confronté à un moment ou à un autre.
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