Chapter Text
Quand le gronff se réveille, ce n’est pas en douceur.
Pas une lente extraction hors d’un sommeil lourd et collant, non — plus similaire à l’actionnement d’un interrupteur quelque part dans son cerveau. Un instant il est inconscient, le suivant il ne l’est plus. Son cœur bat la chamade, ses griffes ont creusé des trous dans le matelas sur lequel il s’était roulé en boule il y a (sans doute ?) quelques heures. Un hurlement se coince dans sa gorge, manque de l’étouffer. Le goût du sang sur sa langue.
Et il est seul. Il lève la tête, scanne la pièce. “Rosten ?”
“Voltei,” appelle une voix familière, tuant son début de panique dans l'œuf. Quelques secondes plus tard, il aperçoit son compagnon humain passer la tête dans l’embrasure de la porte de la cabine et froncer les sourcils. “Oulah. Ça va ?”
Le gronff secoue la tête, respire à fond pour calmer les battements effrénés dans sa cage thoracique. Se lèche les babines de manière obsessive. “Bof.”
“Ah. Caz ?” Kannitsh opine. Rosten lui renvoie un regard entendu. “Mh. Ça passera.” Il espère. La sensation fantôme de bouts de chair coincés entre ses crocs va finir par le rendre dingue. “Sinon, tu te sens comment ?”
Kannitsh hausse les épaules, s’étire avec un bâillement qui expose des rangées de crocs acérés. “Mrrf.” Sa colonne vertébrale craque de manière satisfaisante. “Mieux. Bel atterrissage en fait. J’ai cru qu’on était foutus, mais t’as géré. ”
Rosten bombe fièrement le torse. “Kess tu crois. J’ai pas poncé les heures de simu pour rien hein !”
Les quelques heures qui avaient suivi leur passage en warp avaient été… chaotiques. Comme prévu, leur vaisseau s’était rématérialisé en orbite de leur objectif — et comme prévu, sa structure déjà fragilisée par leur escarmouche contre l’escorteur CSF avait… assez mal supporté le passage en hyperespace, forçant son pilote à entamer un atterrissage d’urgence.
Ce qui n’avait pas été prévu en revanche, c’était la soudaine faille qui s’était ouverte quelque part dans la coque dès que le vaisseau était passé en atmosphère.
Les alarmes hurlent. L’air est saturé de vapeur alors que Rosten pousse bouton après bouton, tentant de localiser et sceller la brèche. Kannitsh lui n’entend plus rien, la différence de pression envoyant des pulsations d’agonie au travers ses tympans sensibles alors qu’il se roule en boule à même le sol, les pattes sur les oreilles. Il n’arrive pas à savoir s’il crie ou non, des trous noirs dansent dans sa vision alors qu’il peine de plus en plus à remplir ses poumons. Jusqu’à ce que quelque chose soit pressé contre son museau par des mains frantiques qui ne sont pas les siennes. Masque. Oxygène, merveilleux et précieux oxygène.
“T’as l’air mieux,” confirme Rosten avec un hochement de tête. “Et tes oreilles ?”
“Quasi plus mal.” Kannitsh jette un œil au travers du hublot, plisse les yeux face à la lueur jaunâtre à l’extérieur. “...Le jour s’est levé ?”
“Ouais. Enfin pas vraiment, y’a pas d’étoile aux alentours. C’est juste l’éclairage de la station qu’est passé en mode diurne.” Rosten fait craquer sa nuque. Il a l’air fatigué, et les mouvements limités de son bras droit indiquent qu’il a de nouveau mal à l’épaule — mais il n’a pas l’air de laisser tout ça le ralentir. “Porra. Je tuerais pour du café là tout de suite. J’aime même pas le café, c’est dire à quel point j’en suis.”
Kannitsh renifle. Lui-même ne cracherait pas sur quelques morceaux de sucre. Ou un bon steak. (Faim.) “Mmh. Et t’es sûr que ça va ? Si t’as encore mal me reste des trucs dans le medkit.”
“Nah.” Son humain secoue la tête. “On est pas en terrain connu ici. Pas envie de me faire surprendre par un truc à moitié assommé.”
“T’as vu du mouvement dehors ?”
“Nope, que dalle. J’ai surveillé ces tas d’épaves pendant des heures, rien vu bouger à part des bestioles cheloues. Soit on nous a pas vu crash ici, soit c’est assez commun pour que personne n’en ait rien à foutre.”
“Ah. Ok.” Probablement la deuxième option. Leur atterrissage d’urgence n’avait pas exactement été discret. Ce qui amène le mécano à une question sensible. “Et… le vaisseau ? T’as pu y jeter un œil ?”
Rosten grimace. Mauvais signe. “Ouais. Et j’vais pas te mentir, c’est chaud. J’pense pas que tu puisses réparer tout ce merdier avec ta petite boîte à outils.”
Merde. “À ce point ?”
“À ce point. La carlingue est fissurée sur plusieurs mètres, y’a des câbles et des tuyaux arrachés de partout, et probablement plein d’autres trucs que j’ai pas l’œil pour remarquer. Pas comme toi.”
L’ingé-mech laisse échapper un boof à peine audible, sa queue battant l’air derrière lui. “Pas bon. D’après ce que j’ai entendu, les autorités Xvarxiathes et de la CGU foutent pas les pieds sur Oméga. En tout cas pas en service. Mais on peut pas mollir ici non plus, c’est un coup à se faire choper au milieu d’une ruelle sombre.”
Rosten souffle par le nez. “Et nous voler quoi ? On a rien, même pas un vaisseau en état de marche.”
Kannitsh ne répond pas, se lève pour remettre sa veste et sa ceinture utilitaire. Il espère que certaines des histoires qu’il avait entendues sur Oméga ne sont pas véridiques, il l’espère vraiment, mais il ne compte pas prendre le moindre risque. “Plan B donc,” grogne-t-il. “Faut trouver un réparateur.” De préférence un qui nous vendra pas au premier gang venu, ajoute-t-il in petto.
Rosten penche la tête. “Et comment on fait ça ?”
“J’en sais trop rien.” Les deux sortent de la cabine, se dirigent vers l’arrière du vaisseau — avec la passerelle extérieure arrachée, pas question de passer par la porte principale. “Faudra improviser sur place.”
“Oh.” Rosten sourit, arrogant, alors que Kannitsh active l’ouverture de la porte du cargo. “Bah ! On est plutôt doués pour ça, non ?”
Le gronff souffle par la truffe, mi-amusé mi-exaspéré, frappe le bras de l’autre avec sa queue. Un ciel épais, rouge sang, se découpe dans l’ouverture de la porte. “Sage. Attire pas l’attention surtout.”
“Ouais, ouais. Chuis pas complètement con non plus.”
Les étoiles sont invisibles ici, cachées derrière une couche de smog sur laquelle l’éclairage artificiel se reflète, donnant au paysage un aspect vaguement sepia. Tout autour d’eux, le cimetière de vaisseau où ils s’étaient écrasés il y a quelques heures — de gigantesques piles de métal plus ou moins rouillées sur plusieurs kilomètres à la ronde. Et plus loin, à demi cachées par un smog sale et persistant, des formes à la géométrie chaotique témoignent de la présence de civilisation. D’une ville — ou au moins, d’une amalgamation de bâtiments et de structures diverses formant quelque chose de semblable à une ville. Un des nombreux hubs présents sur la plus tristement célèbre des stations spatiales clandestines. (Ce qui était un peu contradictoire, quand on y réfléchissait.)
Un vieil astéroïde, autrefois riche en métaux rares, transformé en gruyère par des décennies de minage intensif à l’époque des Grandes Colonies puis abandonné — peu à peu investi comme une ruche par toute sorte de trafiquants, pirates, marginaux et paumés, d’abord venant des secteurs environnants, puis de la Voie Lactée entière. Un point neutre. Un refuge pour certains, un enfer pour d’autres. La station de tous les possibles mais aussi de tous les risques, pile à la limite entre les deux plus grandes puissances politiques et militaires de la galaxie.
Le gronff et l’humain échangent un regard. Yeux jaunes dans yeux jaunes. Et pour la première fois, ils descendent la rampe d’accès pour poser bottes et pattes sur Oméga.
Notes:
ENFIN!! la fic pour wrap up cet arc lezgooooo
Chapter 2
Chapter by Solaneceae (munalos)
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“Pourquoi ils nous fixent comme ça ?”
Kannitsh rentre un peu plus sa tête dans ses épaules. Encourage Rosten à marcher plus près de lui d’un mouvement du poignet. “Sais pas. Nos uniformes, je pense.”
L’humain baisse les yeux sur sa tenue grise et blanche, le pendentif d’identification en métal qu’il n’avait toujours pas enlevé. Il l’arrache à son cou et le fourre dans sa poche, relève la tête pour scanner la foule, les visages. Partout autour d’eux, un flot d’inconnus — humains, noxiens, jawas, asaris, nephyles, plus de races que Kannitsh n’a jamais vu rassemblées en un seul lieu. Certains marchent vite, animés par un but. D’autres restent statiques, assis ou allongés contre les murs, patientant devant des échoppes miteuses, ou encore happés par le discours d’un vieil octodian perché sur une pile de caisses en bois, prêchant quelque chose dans une langue inconnue avec des yeux fiévreux et habités. Rosten diminue la distance entre lui et le gronff. “Quoi, ils ont jamais vu de déserteurs ? Je pensais que c’était un refuge justement.”
Kannitsh renifle, éternue. Refuge est un bien grand mot pour ce qu’est vraiment Oméga. “C’est vrai. Mais je pense pas qu’ils aient souvent vu un soldat de la CGU et un Xvarxiath marcher ensemble comme ça.”
“Ah.”
Oméga est une ruche. Un agglomérat de structures labyrinthiques, accrochées aux murs de l'astéroïde par des générateurs de gravité artificiels pour occuper la plus grande surface possible. Une fois à l’intérieur, le ciel écarlate visible à sa surface disparaît, au profit de la pierre et du métal.
Kannitsh lève la tête. Tente de voir au-delà des couches de passerelles, noueuses comme les branches des arbres de sa propre planète. Au-delà des fumées épaisses (soufre, carbone, et autre chose qu’il n’arrive pas à identifier) qui lui chatouillent la truffe et s’immiscent dans ses poumons. L’air ambiant, probablement déjà recyclé des millions de fois, dépose sur sa langue un film gras et métallique qui lui donne constamment envie de cracher.
“Arrête-toi, sale vermine !”
Kannitsh sursaute, danger. La foule se fend, certains surpris, certains tout simplement irrités ou parfaitement impassibles. Un peu plus loin dans l’artère qu’ils arpentent depuis un moment déjà, une silhouette s’approche à grande vitesse.
Kannitsh voit Rosten porter la main près de sa ceinture. Près de l’arme qu’il avait volée au soldat terrien. “Non,” il grogne, lui attrape le poignet et le pousse vers le mur — tente de se dissimuler au milieu de la foule. Une tâche pas facile vu sa taille.
Rosten ouvre la bouche pour protester. Se tait quand la fameuse silhouette passe au milieu de la rue sous les regards curieux et/ou désintéressés de la faune locale. Bipède, des yeux rouges sombres, le corps recouvert d’écailles orangées, une longue queue sinueuse. Un sauria’q. Kannitsh respire, et sent panique, désespoir, stress, blessures. Et à l’arrière de sa nuque…
“Arrête-toi, ou je te jure que tu vas pas aimer ce qui t’arrive ensuite !” D’autres silhouettes. Un octodian à l’air patibulaire flanqué de plusieurs humains et nephyles, tous visiblement à la poursuite du sauria’q. L’octodian jure entre ses dents, et un de ses nombreuses mains vient sortir un petit boîtier de sa poche. Presse un bouton.
Plus loin, le sauria’q pousse un cri guttural, trébuche sur ses propres pattes. S’effondre sur le métal corrodé de la rue sans un autre son, soudainement secoué de convulsions, la bave aux lèvres. Kannitsh esquisse un geste de recul, horrifié, alors que Rosten se penche pour mieux voir au travers de la foule.
L’octodian ralenti, haletant, s'arrête juste devant le sauria’q qui se tord de douleur dans la rouille et la poussière. Grogne, lui donne un coup de pied dans les côtes alors que le reste du petit groupe vient encercler leur cible. “J’vous avait dit de le sédater cui-là,” siffle l’octodian à l’intention des humains qui le flanquent. “Ça court vite ces machins.” Le sauria’q se tortille et gémit, ses yeux prêts à sortir de leurs orbites. Tout autour, personne ne réagit outre mesure — certains s’en vont discrètement, d’autres observent sans rien faire. D’autres, tout simplement, détournent le regard ou reportent leur attention sur leurs téléphones.
Les mains griffues de l’alien blessé grattent maladroitement à l’arrière de sa nuque, autour d’une plaie qui a l’air récente. Fine. Quasi-chirurgicale. Et Kannitsh n’a pas besoin de plus pour comprendre ce qu’il est en train de voir. “Viens,” murmure-t-il à Rosten, commence à le tirer vers une rue plus étroite qui les éloignerait de la scène. Quelque part à l’opposé de la grande rue, un jeune galarien aux cornes inégales observe dans l’ombre d’une passerelle, ses yeux rougeâtres et immenses braqués sur la scène comme s’il essayait d’en capturer l’essence même. “Faut pas rester là.”
Rosten proteste entre ses dents, tire dans la direction opposée. Mais Kannitsh ne se démonte pas et l’entraîne à sa suite.
Oméga est une ruche.
Un labyrinthe tentaculaire se déroule sous ses pattes, devant ses yeux. Des rues rouges, des rues sombres, des passerelles et des échelles et des ascenseurs gravitationnels et des tunnels creusés à même la roche. Kannitsh marche, et marche. Il n’a aucune idée où ils sont, ou où il va, mais il refuse de s'arrêter tant que les cris de sauria’q ne sont plus qu’un vague souvenir dans sa mémoire.
“Kannitsh. Kannitsh, stop.”
La passerelle vibre sous ses pas. Presque mélodieuse. Minuscules ruelles, grandes artères, foules anonymes, échoppes, des corps et des rues sans nom. Oméga se dresse tout autour de lui, métal et smog et speeders et les vaisseaux spatiaux qui planent dans son orbite. Tout en arêtes coupantes et en courbes irrégulières, cratères, vallées. Des tuyaux, partout, remplis d’air et de fluides et de gaz. S’enroulant autour des bâtiments et s’enfoncant dans les profondeurs de la roche comme des excroissances rouillées dans un organisme malade. Des racines en métal.
Le ciel est fait de métal. Les étoiles lui manquent déjà. (Sa planète lui manque, l’air et les rivières et les arbres et les siens.)
“Kannitsh, lâche-moi merde !”
Le gronff s'exécute, laisse échapper un soupir. Rosten le fusille du regard et se frotte l'épaule droite, et Kannitsh sent une pointe de culpabilité quand il réalise qu'il l'avait tiré par son bras blessé sans y faire gaffe. “C’était quoi ça, hein ? Qu’est-ce qu’ils ont fait à ce type, et pourquoi personne n’a bronché ?”
Kannitsh serre les dents. Agrippe l'épaule indemne de l’humain avec l’énergie du désespoir. “C’est pas important. Et tu veux pas savoir de toute façon.”
“Mon cul ?!” proteste Rosten. “C’est toi qui a dit qu’on devait venir ici, c’est toi qui m’a dit qu’Oméga était réelle ! Alors j’aimerais bien savoir dans quel bordel on s’est fourrés, tu vois !”
“Le genre de bordel qui peut nous sortir de la merde, mais pas si tu commences à faire n’importe quoi.” Ses pattes se resserrent autour de l'épaule de l’humain. “On est juste là pour trouver un réparateur. Compris ? Alors si on voit quelque chose de bizarre, ou qui te choque ? On fait genre on a rien vu. On continue de marcher, on s’implique pas. On attire pas l’attention.”
“Mais—”
“Tu veux vraiment être libre ?” L’interrompt le gronff. “Tu veux te barrer d’ici sans problème ? Alors écoute-moi et fais pas le con. Oméga est une bonne option pour disparaître et recommencer à zéro. Mais c’est aussi l’endroit idéal pour vraiment disparaître. Pour de bon.” Il lève la main, vient tapoter l’arrière de la nuque de Rosten avec le bout limé d’une griffe. “Parfois, c’est pas des crédits ou des trucs de valeur qu’ils cherchent à te prendre. Tu piges ?”
(Pendant toutes les années passées sur sa planète d’origine, il n’avait entendu parler d’Oméga qu’une seule fois. Il était encore très jeune, et ses souvenirs de cette époque sont un peu flous — mais il se rappelle très bien de l’expression hantée de son grand-cousin, revenu de son premier voyage seulement quelques semaines après son départ avec un air hanté sur son visage, et une vilaine cicatrice à l’arrière du cou. Comme si quelque chose en avait été arraché de manière assez sale.
Il n’avait plus jamais quitté Warfia après ça. Et il avait toujours refusé de parler de ce qu’il avait vécu, ou vu.)
Rosten cille. Son expression se fait plus sombre quand les mots de Kannitsh font peu à peu sens dans son esprit. “...Oh.” Un speeder fend l’air au-dessus de leurs têtes, bien en-deçà d’une altitude raisonnable — l'air chaud ébouriffe la fourrure de Kannitsh, le gaz frappe son visage et le force à cligner des yeux. “...Ok.”
“Ok ?”
“Ok.” L’humain prend un air amer, comme s’il venait de mordre dans un fruit pourri. “Mais ça veut pas dire que j’aime ça.”
“Je te demande pas d’aimer, ou d’accepter. C’est dégueulasse, et c’est tordu.” Il se redresse, lâche les épaules de Rosten. “Juste de faire profil bas le temps qu’on sorte de là.”
“Mmmh.” L’autre regarde autour de lui. “Tu nous as emmenés où du coup ? Tout se ressemble dans cette putain de station.”
Kannitsh grimace. “J’en sais rien. Je voulais juste nous éloigner le plus possible de ce merdier, et c’est pas comme si j’avais vu une carte quelque part.”
“Bah c’est super.” Rosten jette un œil derrière le gronff, laisse échapper un huh circonspect. “Encore que.”
“Quoi ?”
“Là, derrière. C’est pas un truc dans ce goût-là qu’on cherchait ?”
Kannitsh se retourne. Là, flanquée sur la devanture d’un genre de hangar à demi-enfoncé dans le sol de la ruelle, une enseigne aux néons rouges et bleus creuse des sillons lumineux dans la cornée de Kannitsh. ‘CHEZ OBO : PIÈCES ET RÉPARATIONS’, épellent les symboles en Standard Galactique. “...Oh.”
“Ouais, j’pensais bien ouais.” Kannitsh lui donne un coup de coude complice, le dépasse pour s’approcher de la porte en métal oxydé qui se découpe sous l’enseigne. “Tu viens ?”
“A-Attends, on sait pas si—”
“Si quoi ? Y’a écrit ‘réparations‘, y’a pas plus clair.” Il découvre les dents et fait un geste vers le holster caché sous sa veste, ses yeux jaunes luisant dans l’obscurité de la ruelle. “S’ils peuvent pas nous aider, on ira ailleurs. Et s’ils nous cherchent des noises, on les défonce. Simple.”
Le gronff se retient de grogner vers le ciel en pierre. “Simple. Évidemment.”
“Comme j’te dis.” Un autre speeder passe au-dessus d’eux, et Rosten lance un regard meurtrier à son pilote qui disparaît dans les fumerolles plus loin. “Allez dépêche. Le trafic ici commence sérieusement à me gaver.”
“Ouais, ouais.”
Chapter Text
L'espace à l’intérieur de la boutique est difficile à naviguer.
Kannitsh manque plusieurs fois de se cogner la tête contre des machins qui pendent du plafond, des fusions étranges entre des pièces détachées de machines et de prothèses cybernétiques. Des boîtes en métal et en carton abîmé s’empilent un peu partout, sur le sol et les quelques tables collées contre les murs rouillés d’où dépassent câbles et fils sans protection aucune — une vision qui donnerait une attaque de panique au plus chevronné des inspecteurs du travail. Dans les boîtes, des unités de serveurs éviscérées, des commlinks évidés, des cartes-mères endommagées et autres morceaux de tech dépareillés.
Le plafond est trop bas. Les murs sont recouverts de rouille et de curios dont la moitié Kannitsh ne peut pas deviner l’utilité ou l’origine. Partout, le ronronnement sourd de générateurs d’énergie cachés sous les câbles et des grattements au plafond. Peut-être des rats. Ou des blattes géantes, ou peu importe la forme que prenaient les parasites locaux sur Oméga.
“Je peux vous aider ?”
Kannitsh et Rosten sursautent de concert — il y a quelqu’un derrière le comptoir, une forme humanoïde que leurs yeux, dans le bazar omniprésent, avaient confondu avec un énième curio posé là par un propriétaire bordélique. Son visage est caché derrière une diffusion holo, mais le reste d’ellui est visible dans la semi-obscurité de la boutique : Kannitsh discerne une peau sombre — mais plus claire que celle de Rosten — recouverte de bandes d’encre noire au niveau des poignets et des doigts, de lourdes bottes abîmée par l’usure posées sur le comptoir, un pantalon en toile épaisse qui avait vu de meilleurs jours et une vieille veste en flanelle verte. “Ah. Des nouveaux. Dites pourquoi vous êtes là ou ressortez,” dit l’inconnu d’une voix étonnamment douce pour son gabarit impressionnant. (Humain ? Humain.) “Et si c’est pour un hold-up, vous embêtez pas. Personne sur Oméga n’est assez stupide pour stocker les trucs de valeur en surface.”
En surface ? Hold-up ? Rosten ouvre la bouche, Kannitsh lui frappe les côtes avec sa queue. Je gère. “On… est pas là pour vous voler des trucs,” énonce lentement le gronff, un peu pris de court par l’attitude du boutiquier. “On a besoin de vos services de, réparations ? Pour un vaisseau. Et comment vous savez qu’on est…”
“Le bruit de vos chaussures. Les rues ici usent les semelles très vite avec tous les débris et déchets chimiques, mais les vôtres sont quasi neuves. C’est évident pour n’importe quel habitant d’Oméga avec des organes oculaires fonctionnels.” L’humain derrière le comptoir leur annonce ça avec tout le flegme d’un employé payé au lance-pierre dans une station-service. “Le boss est de sortie,” continue-t-iel (Kannitsh renifle, il. Probablement.) sans prendre la peine de se pencher de derrière son holo pour les regarder. “C’est lui qui gère ces services-là. Besoin de modding corporel ?”
Kannitsh fronce les sourcils. “...Non ?”
“Implants, faux IDs ?” continue de lister l’autre humain derrière son holofilm. (Apparemment un genre de documentaire consacré au Golf ? Manquait plus que ça, il peut sentir Rosten à ses côtés perdre sa concentration sans même le voir.) “Armes, stimulants, maconha? Ça c’est moi qui m’en occupe si jamais.”
“Non !” Combien de jobs a ce type ? “Rien de tout ça !” Kannitsh n’a pas compris la dernière option. Le mot est inconnu, mais l’accent qui avait surgi entre ces syllabes est familier. Rosten esquisse un mouvement à sa gauche, Kannitsh sent surprise, doute. “On vient juste pour faire réparer un vaisseau, c’est tout.”
“Revenez plus tard alors.” L’humain s’enfonce un peu plus profondément dans son siège, qui craque et penche en arrière — mais l’autre semble posséder une maîtrise parfaite de quel angle ne pas dépasser pour ne pas se rétamer au sol. “Le boss devrait revenir dans pas longtemps. Probablement. Peut-être.”
Kannitsh souffle — il n’a vraiment pas envie de poireauter à l’extérieur, là où les speeders leui frôlent les oreilles et où les gens les fixent comme des proies potentielles et où l’air sent comme quelque chose de moisi et cramé en même temps. Un sentiment d’irritation lui gratte l’intérieur de la gorge, presque un grognement, mais pas encore verbalisé. Super le service. Si ce type est un genre d’assistant, il est manifestement pas très bon à son taff. “Bon, écoutez—”
Mais Rosten l’interrompt — pose sa main contre son bras et fait un pas en avant pour attirer l’attention du boutiquier. Ses yeux brillent étrangement dans la lumière tamisée. “E aí, pô?”
Il y a un instant de flottement. Puis le réceptionniste se penche lentement sur le côté, révélant son visage de derrière le holo. Un visage mat, partiellement caché derrière une touffe de cheveux dont les pointes ont été agressivement décolorées, un nez fort, mais surtout, sur la moitié du visage qui n’est pas cachée, un œil. Pupille noire sur fond jaune.
Un gartonkien. Comme Rosten. Avec une créature bizarre sur son épaule aussi, un genre de gros lézard jaune à huit pattes et quatre yeux, des épines d’un bleu électrique hérrissées le long de la colonne vertébrale. Rosten se redresse, le boutiquier cille, et il se passe quelques secondes où les deux semblent mener une conversation totalement non-verbale. “Sabia,” Rosten sourit après quelques secondes de silence. “Eu sabia.”
L’assistant cille. “Oxe.” Une lueur de connivence s’allume dans son regard morne alors que la queue de la créature s’enroule autour de son cou pour se stabiliser. Un sourire indolent se dessine sur son visage, lui donnant un air beaucoup plus amène. “Oi moleque. Boa?”
“To de boa mermão! Cê é do norte, não é?”
Le reste est trop rapide pour que Kannitsh puisse reconnaître où les mots commencent et s’arrêtent — Rosten s’approche du comptoir et repose ses bras dessus, entamant une conversation ultra-rapide avec son compatriote. L’autre sourit, hoche la tête, ses interventions courtes face au flot de paroles en face — mais ça n’a pas l’air de le déranger. Kannitsh penche la tête, identifie curiosité et amusement dans les mouvements de l’inconnu. Et quelque chose d’unique qu’il pourrait décrire comme un sentiment de ‘on se sait, on est pareil’. Leurs accents respectifs sont légèrement différents aussi, remarque-t-il après un moment ; celui de Rosten est plus chuintant et fricatif, celui de l’autre plus chantant.
La conversation continue pendant quelques minutes avant que l’autre humain, l’air satisfait et considérablement plus réveillé qu’avant, sorte un communicateur de sa poche. Il s’allume avec un kshhhh, et la créature sur son épaule se hérisse un peu face au son. “Oi, le vieux,” appelle-t-il dans le micro, de nouveau en Standard. “Ramène-toi. Y’a des clients.”
“Je suis pas vieux, kilpik !” rétorque une voix sensiblement plus âgée. “Fais-les patienter à l’arrière, j’aurai bientôt terminé avec ce foutu speeder.”
“Comment t’as fait ça ?” demande discrètement Kannitsh à Rosten. “Y’a juste deux minutes il voulait nous foutre dehors.”
Son humain rigole, mais ne répond pas à sa question. Ok.
L’assistant repose son commlink. Il se lève, et oh, Kannitsh avait pas réalisé qu’il était si grand quand il était assis. Pas aussi grand qu’un gronff, évidemment, mais quand même impressionnant pour un humain. Il devait friser les deux mètres. “Suivez-moi. Le vieux devrait pas trop tarder.”
Kannitsh cherche le regard de Rosten, hésitant à se rendre dans une pièce sombre à l’arrière d’une boutique d’Oméga. Mais son humain n’a pas l’air de partager ses suspicions, emboîtant le pas derrière l’autre avec enthousiasme. Le gronff soupire, décide de leur coller aux basques — si jamais les choses dégénèrent, au moins ils seront pas séparés.
“C’est quoi ce truc sur ton épaule ?” finit par demander Rosten pendant que l’assistant fait passer une carte d’accès dans un lecteur, quelque part contre un mur. Ah, y’avait une porte ici. Difficile à discerner dans tout le… tout. “Ça me rappelle un peu les guaninhas de chez nous, mais en plus petit. Et avec plus de pattes. …Et plus de bleu.”
“Oh, elle ?” L’autre fait passer son doigt le long des épines de la créature, qui lève l’échine pour presser son dos contre la paume. “C’est ma collègue. Elle s’appelle Nebuchadlézard et elle m’aide pour la compta. Dis bonjour aux clients, Bubu. Diga olá.”
Le reptile cligne ses deux paires d’yeux l’une après l’autre. Sa langue, du même bleu que ses épines, vient brièvement lécher les globes oculaires du bas. “Mlem.”
Kannitsh fait re-rentrer sa propre langue, soudainement un peu trop conscient de son existence. Il n’aime pas le fait qu’il peut parfaitement imaginer la sensation s’il imitait la créature et se léchait les yeux lui aussi. “Euh. Salut.”
“Mlem.”
L’assistant sourit, donne à sa collègue une petite gratouille sous sa gorge alors que la porte s’ouvre avec un grincement métallique. “Boa filha.”
Notes:
mon bébouuuuuu le voilà !
Chapter Text
L’arrière-boutique est à peine moins bordélique que le reste. Kannitsh ne sait pas à quoi il s’attendait.
“Mettez-vous à l’aise. Le patron va pas tarder.” L’assistant fait un mouvement de la tête vers un coin de la petite pièce — au milieu de quelques poufs déformés et décolorés par l’usage, des piles de flyers empilés en désordre recouvrent une caisse en bois servant de table basse improvisée. “Y’a la liste plus ou moins exhaustive de nos services là-dessus si jamais. Et…” Il sourit, sort un papier de sa poche et le tend à Rosten avec un clin d'œil. Étrangement, Bubu cligne ses deux paires d’yeux de manière asynchrone juste une seconde plus tard, encore que c’est peut-être juste un hasard. “Caso vocês vão ficar um tempo na Oméga. Sou o Geddon. Ou só Ged pra você, gatinho.”
Rosten cille, ne fait aucun geste pour accepter le papier. “Ah.” Il secoue la tête. “Só gosto das meninas. ‘sculpe, veí.”
L’autre hausse les épaules, remet le papier dans sa poche. “Tá bom, tá bom. Foi mal.”
Rosten sourit, donne un petit coup de poing contre l’épaule de son compatriote. “Nada demais, tamo junto. Mas, cê realmente mantém um monte de papéis com seu número pra entregar a qualquer rapaz que apareça?”
“Talvez. Mas apenas rapazes não, heh. Ou humanos.”
Rosten siffle. Kannitsh ne comprend pas de quoi ils parlent, mais il ne peut s’empêcher de se sentir un peu plus détendu en voyant son humain si à l’aise. “Seu piranha.”
“Hah! Pode crer.” L’assistant leur fait un signe de la main avant de ressortir de la pièce pour retourner à son comptoir, laissant la porte ouverte derrière lui.
Kannitsh apprécie le geste. Il aurait pas aimé se retrouver enfermé ici, même si l’autre n'a a priori pas d'intentions hostiles. “De quoi vous parliez ?” demande-t-il alors que les deux s’installent dans les poufs — ou plutôt, pendant que l’humain s’installe et que le gronff essaie tant bien que mal de se mettre à l’aise sur trois d’entre eux poussés les uns contre les autres. “C’était quoi ce papier ?”
“Boh, rien d’important. Il a juste tenté le coup, y’a pas de lézard. À part celui sur son épaule, héhé.”
Kannitsh n’est pas sûr d’avoir compris. Mais il est vite distrait par les papiers colorés étalés sur la table, en prend un pour être certain de ce qu’il y lit. “...credicartes, ID, implants et modding corporel, fabrication d’armes, achat et vente de—” Il s’étrangle sur ce service en particulier, écarquille les yeux. “Vache. Comment une boutique de réparation peut faire tout ça ? Rien que d’un point de vue logistique ça doit être un cauchemar.”
Rosten hausse les épaules. “Geddon sait faire plein de trucs. Il est cool. Logique, vu d’où il est.”
Kannitsh penche la tête. “C’est qui ça, Geddon ?”
Rosten fait un mouvement de main vers le couloir. “Ben lui. T’as vu d’autres gens dans le coin ?”
“Ah.” L’info avait dû passer quelque part dans le flot de paroles échangé entre les deux. “Vous avez des noms bizarres vous les humains quand même.” Tellement… courts. Et nondescriptifs. Le vrai nom de Kannitsh avait du sens au moins, et s’était rallongé à chaque étape importante de sa vie comme le voulait la tradition. Mais les humains gardaient le même du début jusqu’à la fin dans la plupart des cas, ce qui pour Kannitsh semblait… oppressant ?
Brrrr. Il ne pouvait imaginer rester coincé avec son nom de naissance, si réducteur et étriqué pour un adulte. “Culotté de la part de quelqu’un qui porte le nom d’une race de clebs,” répond Rosten.
Kannitsh montre légèrement les dents. “Je t’ai dit, c’est mon vrai nom, c’est juste l’admin qui a voulu faire de l’humour.”
“Ouais ouais. À propos de noms, tu veux pas retirer ce truc ?” L’humain désigne la petite cordelette en métal qui dépasse du col du gronff. “Pas comme si t’en avais encore besoin.”
Ah. Kannish sort ses tags de l’intérieur de sa veste, renifle le métal. L’odeur lui rappelle celle du sang — une qu’il avait bien trop senti ces derniers temps. Rosten prend son silence pour de l’hésitation, penche la tête sur le côté. “Quoi ? Me dis pas que tu veux garder ce truc en souvenir quand même.”
“Mh ? Ah, non. C’est juste que…” Il soupire, enlève le collier d’autour de son cou. Sur les deux plaquettes, son nom administratif gravé en alphabet standard galactique. “Avec tout… ça, j’avais oublié que je les avais sur moi pour être honnête. On en fait quoi tu penses ?”
Rosten hausse les épaules, sort son propre tag de sa poche pour le faire tournoyer autour de son doigt. Il est similaire en tout point à celui de Kannitsh, parce que l’armée ne fait jamais dans l’originalité — peu importe de quel coin de la galaxie on vient. “J’veux pas juste le balancer n’importe où. Y’a toujours une chance que quelqu’un tombe dessus. J’avais dans l’idée qu’une fois qu’on aura réparé le vaisseau j’le balancerais dans l’orbite d’un trou noir, ou d’une étoile paumée quelque part. Histoire que ça fasse un peu symbolique et tout.” Kannitsh renifle, amusé. “En tout cas j’espère qu’on a assez de crédits pour tout réparer. La paie chez les Xvarxiaths est à chier, et j’pense pas que ça soit beaucoup mieux chez vous.”
“C’est pas fou ouais, je te confirme.”
“Au fait, tu savais que tu peux vendre tes organes à prix d’or ici ?”
Kannitsh le fixe avec de grands yeux, pris de court par le changement brutal de sujet. “Quoi.”
“Sérieux ! Surtout ceux des galariens, des humains et des charlups pour chais pas quelle raison. J’ai juste trouvé ça marrant, vu que de nos jours on peut faire pousser directement des organes en cuve tu penserais qu’on aurait plus besoin de faire ça, mais non.”
…Ouais, ‘marrant’ n’est pas exactement l’adjectif que Kannitsh aurait utilisé. “Alors. Déjà on ne va pas vendre nos organes, merci.” Et pourquoi les organes humains en particulier ? Rosten a raison — un organe créé en labo était cher, certes, mais il n’imagine pas que ceux… récoltés au naturel dans des coins chelous d’Oméga le soient moins.
Encore que. Vu le type d’endroit qu’est Oméga, peut-être que personne ici n’a la technologie nécessaire pour la méthode plus populaire, tout simplement. La réalisation fait courir un frisson sous sa fourrure. “Et chuis un peu inquiet sur comment tu sais ça.”
Rosten hausse les épaules. “C’est Geddon qui me l’a dit.”
“Ben voyons. Il t’a dit d’autres trucs suspects comme ça, ton nouveau pote ?”
“C’est bon arrête. Je lui ai juste demandé qu’est-ce qu’il faisait pour son taff, il m’a fait la liste et c’était dedans quoi.”
Kannitsh cligne des yeux, maintenant bien plus inquiet. “...Excuse-moi Rosten, mais on parle de trafic d’organes là en fait. Excuse-moi si je suis un peu méfiant concernant son sens de la morale, à ton Geddon.”
“Rhoo, tout de suite les grands mots. En plus il a dit qu’il faisait seulement dans le consensuel, pour ceux qui acceptent de vendre les organes dont ils ont pas besoin en échange de crédits ou de matos. Et je pense pas qu’il m'ait raconté des craques.”
Kannitsh plisse les yeux. Rosten ne lui donne pas l’impression d’une personne qui fait confiance aux gens. Merde, ça lui avait pris des jours pour arrêter de regarder Kannitsh comme s’il allait lui bouffer un bras. “Vraiment.” Rosten opine. “Et tu le crois sur parole juste parce que vous venez de la même planète. Je te pensais pas si chauvin.”
Son humain fronce les sourcils. Et Kannitsh réalise un peu tard qu’il a touché un point délicat. “Ma planète est coincée sous le régime Xvarxiath depuis des siècles,” énonce Rosten d’une voix tendue. “Les seules choses qu’il nous reste c’est notre fraternité et notre esprit de résistance. Ça, et les fragments de notre culture qui ont survécu au rouleau-compresseur du conformisme.” Il renifle, se détourne de Kannitsh en croisant les bras. “Ça faisait presque un an que j’avais pas croisé quelqu’un comme moi. J’ai le droit d’être content et chauvin si j’veux.”
Kannitsh baisse les oreilles, pousse un gémissement contrit. “Désolé.” Quelque chose dans ce qu’a dit Rosten le fait tiquer. “Mais… et ton unité ? Celle dans laquelle t’étais juste avant qu’on se rencontre ?”
Rosten se retourne vers lui, confus. “Quel rapport ?”
“Ben. C’était pas des gens de ta planète aussi ?”
“Oh. Non, c’était que des membres d’autres races dont les planètes ont aussi été annexées.”
“Huh.” Il comprend mal la logique derrière cette méthode. Une unité, même mixte, avait souvent une meilleure synergie quand composée de plusieurs individus de la même espèce — Kannitsh avait été particulièrement malchanceux de ce côté-là, d’ailleurs. Peu de gronffs s’engagaient dans la CSF, et ça rendait la probabilité de se retrouver en duo très faible. “Bizarre.”
“Nan, pas vraiment. C’est plutôt commun en vrai.”
“Pourquoi ? Ça serait pas plus simple, avec la langue, tout ça ?”
“Alors, oui. Mais les Xvarxiaths ont vite appris que quand tu fous plusieurs d’entre nous au même endroit, ça a tendance à péter assez vite. Pour eux, j’veux dire.”
“Ah.”
“Ouais. Ça nous donne des idées, parce que c’est plus simple de se rebiffer à plusieurs. Ceux qui sont trop violents, ceux qui évitent le boulot, les déserteurs et saboteurs récidivistes… les profils problématiques,” il fait des guillemets avec ses doigts, les manches de sa veste glissent vers le bas et découvrent légèrement les cicatrices circulaires autour des avant-bras. Kannitsh fait l’effort actif de ne pas les regarder. “C’est souvent nous. Du coup ils nous isolent. Solos au milieu d’autres races.” Et à la surprise du mécano, Rosten sourit et remonte complètement une de ses manches. Volontairement. “Tu vois ces trucs ? C’est pas pour faire joli.” Il trace l’un des anneaux de chair cicatricielle, juste en dessous de son coude. “Quatorze séances de rééducation,” et Kannitsh entend les énormes guillemets autour du mot, “une pour chaque tentative de fuite. En vrai ça tombe bien que j’ai réussi à la quinzième avec toi, ça en fait sept à chaque bras. Symétrie. Et j’crois pas à la chance et tous ces trucs hein, mais sept c’est sympa comme chiffre.”
Kannitsh reste coi. Il ne sait pas s’il doit faire genre il avait pas compris la signification de ces marques il y a des jours, et il ne s’attendait pas à ce que Rosten lui parle de ce qui était, dans les faits, de la torture (c’est pas lui qui est dingue ? c’est bien de torture dont on parle là, non ?) avec autant de… légèreté. En fait, Rosten annonce ça comme s’il annonçait qu’il n’y avait plus de sucre dans le placard : avec un flegme assez perturbant.
L’humain continue, pas affecté outre mesure par la réaction de l’autre. “J’ai connu personne d’autre qui a réussi à déserter, mais je sais que y’en a. Y’a des histoires, des noms qui circulent. Apparemment y’a beaucoup d’entre nous chez les pirates, ou dans tous les trucs un peu cachés et illégaux. Comme ici. Comme Ged’.” Il laisse retomber sa manche, le tissu recouvrant à nouveau ses marques. “On peut pas vivre une vie normale dans cette galaxie, même si on arrive à s’enfuir. Pas avec la CGU qui sauterait sur l’occas’ de nous capturer pour nous faire cracher des infos, ou les Xvarxiaths qui ont pour ordre d'exécuter tous les déserteurs qu’ils croisent. Et même si on arrive à quitter les territoires de l’empire, on est obligés de vivre cachés pour le restant de nos jours.”
Kannitsh… a du mal à imaginer. Faire partie d’une population entière forcée à servir un empire oppressif ou à vivre une vie de paria ? Avec aucune autre option possible ? “C’est nul,” résume-t-il, très mal par rapport à ce qu’il en pense vraiment. “C’est nul à chier même.”
Rosten hausse les épaules. “C’est comme ça. Franchement tant qu’on me fout la paix, ça me va de rester planqué. Foutu pour foutu, autant se tailler ta propre place à l’abri des regards. Et le plus loin possible de la Terre aussi.”
Kannitsh l’entend à nouveau. Le mépris, l’animosité qui suinte du nom de la Terre dans la bouche de Rosten. Quelque chose qui frise la haine, pure et simple. “T’es… vraiment remonté contre eux,” énonce-t-il prudemment. Et ça Kannitsh l’avait déjà compris, mais ça le frappe d’autant plus maintenant qu’il a vraiment le temps de digérer l’info.
Rosten ricane. “Ouais, parce que c’est des connards d’impérialistes qui foutent la merde partout où ils vont.” Il se renfonce dans son pouf avec un sifflement étrange, comme s’il aspirait de l’air entre sa langue et ses dents. “Tu l’as vu. On est pas vraiment humains à leurs yeux. Pas comme eux.”
Kannitsh repense aux mots de Thatch — repense à la manière dont le terrien avait regardé Rosten. Avec dégoût, ça ça avait été très clair, mais aussi une certaine forme de fascination et de curiosité malsaine. Et quelque chose d’autre aussi, mais… celle-là était bien, bien plus inconfortable à expliciter. Et le gronff va vite arrêter d’y penser parce que ça lui donne envie de mordre quelque chose. (Urgh. Ce malade. Malgré ses sentiments contradictoires entourant la mort des deux terriens de son ancienne unité, il ne peut nier qu’il est content qu’ils n’auront plus jamais à les croiser.)
Ses pensées se tournent vers son année de service — à toutes les fois où il avait l’impression que tous ces humains (terriens, il se corrige) évoluaient dans un monde bien différent du sien. Et pour cause. C’était un secret de polichinelle que parmi toutes les civilisations, toutes les races, toutes les planètes réunies sous une bannière d’unité et de libre-échange… disons que la CGU avait ses petits préférés. Un monopole par-ci, des prix concurrentiels déloyaux sur le marché de certaines denrées par-là… impunis. Des responsables qui fermaient les yeux sur certaines, ‘opérations militaires spéciales’ piétinant le droit commun et la souveraineté d’autres systèmes.
Et ça, tout le monde le savait sans trop oser le dire à haute voix. Même Kannitsh — qui n’était pas exactement un expert en politique ou en histoire galactique, ni même en quoi que ce soit qui ne ressemblait pas de près ou de loin à un moteur — le savait. C’est dire à quel point c’était visible.
Puis il se rappelle qu’il n’a pas encore répondu à Rosten, et opine rapidement. “Ah, ouais, ouais ça fait sens. Mais— chuis sûr qu’ils sont pas tous comme ça…” Comme tous les Xvarxiaths n’étaient pas des machines à tuer, ou des pantins aveugles.
Rosten hausse les épaules. “Je sais ça, chuis pas stupide. Mais tous profitent du système, qu’ils le veuillent ou pas.”
“J’entends que ça bitche sur la Terre ?”
Les deux déserteurs se tournent vers la porte. L’assistant — Geddon — se tient nonchalamment contre l’embrasure de la porte, un sourire placide aux lèvres. Nébucharlézard a pris une teinte bleue pâle et est montée sur sa tête, à demi cachée dans le nid de cheveux noirs en haut de son crâne. “Chaud pour participer.”
Ah ouais, c’était vraiment culturel comme activité on dirait. “Fofoqueiro,” ricane Rosten. “Gostei.”
Geddon ouvre la bouche pour répondre. Mais une quatrième voix s’élève juste derrière lui. Inconnue. “Je te paye pas pour taper une bavette aux clients, kilpik.”
Kannitsh se lève, Rosten aussi. L’assistant cille, se décale pour libérer le passage. Révèle une silhouette courtaude mais épaisse, trois paires de bras, un regard sombre et profond comme les abysses. Un noxien. “Tu me payes même pas,” soupire Geddon. “Vieux radin.”
“Je suis pas vieux.”
Le plus jeune sourit. “Tu nies pas la deuxième moitié alors.”
“Humpf.” Contrairement à ce qu’il avance, le noxien semble effectivement être d’un certain âge : des traits burinés sur une peau bleutée maculée de cicatrices sombres — la plus grande d’entre elles située pile à l’endroit où l’un de ses trois bras droits était supposé être relié à son corps.
Geddon se retourne vers eux, fait un signe de tête vers le noxien inconnu. “Je vous présente le patron,” annonce-t-il, et Kannitsh n’arrive pas à déterminer si son ton est ennuyé ou amusé. Peut-être les deux. “Obo, les nouveaux clients.”
   
Geddon ! :3
Notes:
ref de Geddon par @amoraartsy sur twitter !
Chapter 5
Chapter by Solaneceae (munalos)
Chapter Text
Le noxien les scrute comme s’ils étaient des énigmes à déchiffrer, ou des bestioles bizarres trouvées en train de farfouiller les poubelles derrière chez lui. Les plis autour de ses yeux cuivrés font penser Kannitsh à du cuir tanné, et les longues algues qui poussent partout sur son crâne et le long de sa nuque flottent légèrement vers le haut, comme animées d’une vie propre. Sombres et rabougries, différentes de celles du soldat noxien que Rosten avait… (Ah. Pas y penser.)
Après quelques secondes d’un silence légèrement pesant, il claque la langue dans la direction de son assistant — il a l’air irrité, mais il y a une pointe d’affection dans son regard. “Je fais mieux que simplement te payer, petit ingrat. Je te loge, je te nourris, je t’apprends tout ce que je sais et je te laisse exercer tes autres petites activités dans mon garage. C’est plus que tu aurais ailleurs sur cette foutue station.”
Geddon tire la langue dans sa direction, un geste bizarrement enfantin pour un humain de son gabarit — manifestement pas intimidé par les mots de son patron, ou son regard accusateur. Il y a visiblement un historique fourni ici, mais comme Kannitsh est un gronff bien élevé, il ne demande pas. (Et aussi parce qu’il a plus urgent que de demander la backstory de deux pélos qu’il connaît ni de Warfia ni de Growm). Il s’éclaircit la gorge. “Pardon mais. Obo, c’est bien ça ?”
Le noxien plisse les yeux dans sa direction. “Déjà c’est monsieur Obo pour toi, on se connait pas. Vous voulez quoi, toi et le minus ?”
Uh-oh. Kannitsh prend l’initiative de désamorcer la bombe avant qu’elle ne puisse exploser — une bombe d’un mètre soixante (en étant généreux) dont il silence la protestation en mettant sa patte contre son visage. “Notre vaisseau a subi des dégâts avant un saut en warp,” il explique, gardant ses yeux et son ton respectueux mais ferme. Il sent Rosten repousser sa patte avec un grognement, mais son humain a l’intelligence de ne pas l’interrompre. “On a besoin d’un réparateur.” Et de matériel, et de vivres — mais un problème à la fois.
Le vieux lève un sourcil. “...Et ?”
Le gronff baisse les oreilles, soudainement moins sûr de lui. Comment ça ‘et’ ? C’était une boutique de réparations ici ou pas ? “Ben…”
“Mollo, Obo.” Geddon se tourne vers Rosten et Kannitsh, leur offre un sourire placide. “Il essaie de vous jauger un peu, c’est tout. Si vous venez pour un vaisseau à retaper, il peut vous aider.”
Obo souffle par les évents sur les côtés de son cou. (Pas pour la première fois, Kannitsh se demande comment les noxiens peuvent sentir quoi que ce soit sans nez ou truffe.) “Humpf. Toujours à marcher sur mes plates-bandes…”
“Tu fais peur aux gens aussi. Faut bien que je sois là pour calmer le jeu, t’en ferais fuir la moitié sinon.”
“Le peu de fois où tu te donnes la peine de faire ton taff, tu veux dire.” Le noxien reporte son regard sur les deux autres. “Bon. Déjà première chose avant qu’on palabre,” il lève un de ses bras pour désigner la ceinture de Rosten. “Va falloir que vous vous sépariez de vos armes.”
De manière assez prévisible, Rosten proteste bruyamment contre la condition imposée. Mais Obo se montre inflexible. “C’est pas négociable, humani.” Le noxien fait un geste de la tête vers Geddon, qui sort un genre de tiroir en métal de derrière son comptoir. “Ma boutique, mes règles. Vous mettez vos armes là-dedans ou vous sortez. Simple.”
Kannitsh hume l’air — métal, poussière, le fumet persistant d’une certaine herbe accrochée aux vêtements de l’assistant, l’iode et le métal de Nox… mais pas de trace de mensonge ou de nervosité. Ou en tout cas aucune qu’il n’arrive à identifier. “Ben moi ça va être rapide,” il lève les pattes, et sa veste se soulève pour découvrir ses hanches dépourvues de holsters. “J’ai rien.”
“Kannitsh ?”
“C’est bon Rosten, on a pas dix-mille options ni un temps infini. Donne-leur ton arme.”
Son humain fait la soupe à la grimace, serre l’arme en question entre ses mains comme un piot à qui on s'apprête à voler le jouet. Kannitsh lui adresse un woof pacificateur et un regard qui, le gronff l’espère, lui fait passer le message. Calme. Fais-moi confiance. Calme. Son humain soutient son regard un moment, mais finit par suivre l’exemple avec l’expression de quelqu’un à qui on vole un jouet particulièrement précieux. “Si on crève parce que j’avais plus de flingue je reviens te hanter,” maugrée-t-il. Kannitsh souffle par la truffe pour toute réponse alors que le pisto-laser heurte le fond du tiroir avec un clank métallique.
Obo fait un son, à mi-chemin entre une note chantée et un claquement de langue. Hoche la tête, visiblement satisfait. “Tu sais quoi faire, kilpik.”
“Ouais, ouais.” Geddon tourne les talons et se dirige vers un des murs — ou plutôt une porte, à demi dissimulée derrière un amoncellement de bordel inqualifiable. (Kannitsh est quasi sûr d’apercevoir une matrice hextech dans le bordel en question. Il se refuse à demander.) “Ça passe à la friteuse magnétique en deuspi.”
“H-Hey !” Rosten fait un pas en avant. Obo en fait de même et lui bloque le passage, les bras croisés contre son large torse. L’humain montre les dents. “Vous pensez faire quoi là ?”
“Une faveur. Tu m’remercieras.”
“Mon cul sur la commode oui ! Kannitsh fait un truc, ils veulent détruire mon flingue !”
Le gronff hésite. Ses instincts sont silencieux, mais la nervosité de Rosten gratte cette partie de son cerveau récemment éveillée, comme une litanie de petites voix qui lui susurrent de faire quelque chose pour faire stopper cette émotion. “Euh…”
Le noxien les gratifie d’un sourire acéré, dont l’effet n’est que marginalement atténué par l’absence de quelques dents. “Sacré saletés, les armes de la CSF,” énonce-t-il comme s’il parlait d’une espèce d’insectes invasifs et non pas d’un concentré létal de technologie. “Mal équilibrées, se grippent trop souvent parce que cette saleté d’IA a décidé un jour y’a trente ans de sacrifier la qualité des soudures pour optimiser les coûts…”
“Ged ! Attends— volta aqui, porra!”
“Et bourrées de puces explosives assez puissantes pour t’arracher un bras,” continue le noxien alors que Geddon disparaît derrière la porte. “Parce que vaut mieux détruire toute arme qui échappe à leur supervision plutôt que de les laisser entre les mains d’ennemis. Ou de déserteurs.” Le regard du noxien lorsqu'il prononce ces derniers mots est assez explicite, et Kannitsh se renfrogne. Il suppose que leur situation n’est pas trop difficile à deviner, l’uniforme, tout ça. Mais il n’aime pas trop la sensation que tout le monde ici semble les lire comme des manuels d’instructions ouverts. “Des vraies bombes à retardement pour le pauvre diable qui pensait se tirer avec la propriété de la CGU sans conséquence. J’ai pas raison ?”
Rosten arrête un instant de se hérisser le poil. “Attends. Puce ? De quoi tu parles ?”
Obo le fixe avec une once de pitié. Kannitsh voit un de ses bras faire un geste avorté en direction de la cicatrice sur sa côte. Là où son sixième bras était censé être accroché. “T’es assez grand pour comprendre tout seul, humani. Je cause pas dans le vent.”
Oh. Ooooooh. Kannitsh grimace, repensant à son propre pisto-laser abandonné quelque part dans la neige de cette maudite planète. “Et qui dit que t’inventes pas juste des salades pour nous piquer notre matos, hein ?” grogne Rosten, poings et dents serrées. “T’as raison sur un point, on s’connait pas.”
Obo hausse les épaules. Il n’a même plus l’air irrité, juste… las. Comme s’il avait vécu cette situation des centaines de fois. “Pas mon problème, imagine-toi ce que tu veux. Dis-toi que je veux juste pas de matos de l’armée chez moi parce que c’est un aimant à emmerdes, si c’est plus crédible dans ta tête de linotte.” Il relève les yeux pour s’adresser de nouveau à Kannitsh. “Fais gaffe à ton p’tit pote, le gronff. Oméga va le bouffer vivant s’il apprend pas à faire profil bas.” Kannitsh déglutit, pose une lourde patte sur l’épaule indemne de Rosten, qui enfonce le cou dans le col de sa veste et marmonne quelque chose qui ressemble à ‘gneugneugneu j’ten donnerais moi du petit, ‘spèce de fossile’.
Le noxien sourit. Ses dents ressemblent à des perles qu’on aurait affutées. “Hey, si vous voulez une arme qui ne vous pétera pas entre les mains, vous pourrez toujours voir ça avec mon apprenti. Deuxième chose,” continue-t-il en ignorant complètement les grommèlements de Rosten. “Ici on paye d’avance. Cash ou troc. Pas de crédit.”
Kannitsh sent une boule en plomb tomber au fond de son estomac. Oh. “Pas de crédit ? mais—”
“Les credicartes de la CGU et de l’empire Xvarxiath sont toutes contrôlées et traçées. Vous voulez vraiment pas les garder sur vous.” Le noxien indique un petit panneau perdu au milieu des affiches au mur, le symbole des crédits intergalactiques barré en rouge. “Elles vous seront plus utiles de toute manière. Aucun contrebandier, clandestin ou marginal qui se respecte veut les yeux des feds sur leur business, sur Oméga ou ailleurs.”
Rosten fait un ooooh de compréhension. “C’est pour ça qu’ils m’ont retrouvé aussi vite les autres fois. Ouais ok ça fait sens.”
Kannitsh grogne, se passe la patte sur le visage. Ok. Ok, du calme. Toutes les économies qu’il avait accumulées pendant son service sont inutilisables, mais tout va bien. (Non.) “Et vous acceptez pas d’autres formes de paiement ?”
Obo penche la tête. “Si vous avez des organes en trop, on prend.”
Kannitsh rit jaune. “Très marrant.” Le noxien cille, pas une trace d’amusement sur son visage. Kannitsh arrête de rire. “...Ah. C’est. Vous rigolez pas.”
“Jamais pendant mes heures d’ouverture. Y’a toujours quelqu’un en manque d’organes sur cette station, c’est à peu près autant en demande que des pièces détachées. Geddon gère cette partie du business.”
Le gronff fronce les sourcils. “Parce qu’il est chirurgien aussi ?” En plus de tout le reste ?
L’autre hausse les épaules. “Il se débrouille en modding corporel. C’est pareil. Aucun client s’est jamais plaint.” Kannitsh se retient in extremis d’y aller de son petit commentaire du genre ‘ah parce qu’ils sont tous morts c’est ça’.
Rosten lève la main. Il porte une expression que Kannitsh a du mal à identifier. “Alors—”
“On ne va pas vendre nos organes à une boutique cheloue au milieu d’Oméga,” Kannitsh grogne et repousse la main de son humain vers le bas. “On est pas désespérés à ce point, n’est-ce pas Rosten?”
L'intéressé fait la moue. “C’est pas ça, c’est… pfff, oublie.”
“Exactement, oublie.”
Un raclement de gorge peu discret. Obo les fixe, l’air impatient. “Si vous avez fini votre aparté là. Parce que ça répond pas à comment vous allez me payer. C’est pas les bonnes œuvres ici, j’ai une femme et des enfants à nourrir.”
“Menteur. Comme si quelqu’un pouvait supporter ta charmante personnalité et ta gueule de grobak mal luné.” Geddon réapparaît dans la vision périphérique de Kannitsh, qui sursaute avec un yip peu dignifié. Sans le flingue, évidemment. Comment quelqu’un de cette taille pouvait se déplacer avec un tel silence ? “À part moi.” Il partage un regard complice avec Rosten et ajoute quelque chose dans leur langue commune qui fait ricaner l’autre humain, à la grande exaspération de son boss.
Kannitsh se passe la patte contre le visage, résiste à l’envie de se nettoyer le poitrail. La dernière fois qu’il avait stressé comme ça il s’était arraché la fourrure à force de lécher. “On… y’a forcément un moyen de…”
“Problème de fonds ?” intervient Geddon d’un air savant. “Classique.”
Obo plisse les yeux dans sa direction. “T’as pas intérêt, kilpik. M’en fous que le petit énervé vienne de ta planète ou quoi, on fait pas dans la charité ici.”
“Calma velho, je demande c’est tout. C’est quoi les dommages exactement ?”
“Euh.” Kannitsh cille. “C’est… La structure externe. On a eu un petit accrochage avant de passer en hyperespace et—”
“On a éperonné un vaisseau de la CSF.”
Je vais le tuer. “Rosten, merde !”
“Quoi ? C’est vrai.”
Geddon siffle. “Foda.” Même Obo esquisse un air approbateur. “Hah, pas mal. Mais garde ça pour toi si tu veux pas te peindre une cible au milieu du visage.”
“Bref.” Pourquoi c’est le gronff le moins distrait des deux ? “L’intégrité de la coque a été compromise, et ça c’est pas arrangé après le saut.”
Geddon grimace. “Oof. Vous avez vraiment sauté avec une brèche dans la coque ? Et vous êtes encore vivants ?”
Rosten hausse les épaules. “On avait pas trop le choix.”
“J’imagine. En tout cas ça règle vot’ problème de fonds.”
Kannitsh relève la tête. Une bouffée d’espoir remplit ses poumons. “Ah ?”
“Ouaip. Parce que c’est pas réparable.”
Kannitsh peut entendre l’espoir s’éclater au sol comme une ampoule en fin de vie. “Quoi ?”
“Sauter avec une brèche dans la coque c’est à peu près aussi fatal que sauter en atmosphère,” explique le noxien. “Même avec tout l’argent de la galaxie, c’est cuit. Finito. On pourrait colmater tout ce qu’on veut, le passage en warp aura propagé des microfissures partout dans le reste de la structure. Avec de la chance ça tiendrait encore un saut, ou deux à tout casser. Mais ça finira forcément par se disloquer en plein vol et vous expédier direct dans le vide glacial de l’espace.” Obo se détourne et se dirige vers le comptoir pour farfouiller dans un tiroir. “Désolé les jeunes, on peut rien pour vous.”
Non. Non non non. Ils peuvent pas être coincés ici, ils peuvent pas rester. “Mais—”
“Ravis d’avoir fait affaire avec vous.” Obo l’ignore, s’installe les pieds sur le comptoir et ouvre un magazine dont la couverture dépeint ce que Kannitsh croit reconnaître comme diverses femelles aliens aux morphologies allant d’humanoïde à abstraite, toutes dans des positions plus ou moins compromettantes. “Vous savez où est la sortie.”
“Faire affaire ?” Rosten se dresse de toute sa hauteur d’un mètre soixante en étant généreux, une tempête au fond de ses yeux noirs. “T’as même pas vu le vaisseau et tu nous balances qu’il est pas réparable ? Après m’avoir piqué mon flingue ? Tu nous prends vraiment pour des cons en fait.”
“Ged ? Raccompagne-les jusqu’à la porte, tu veux. Vu que le microbe comprend pas le Standard.”
Rosten tique. Ses mains tremblent, se resserrent. “Ok. Kannitsh couvre-moi, j’vais le fumer.”
“Rosten nON—” Kannitsh se jette en avant, attrape son humain de justesse et le soulève par les aisselles avant qu’il ne puisse commettre l’irréparable. Rosten pousse un cri de rage et se débat, ses jambes battant inutilement dans le vide en connectant occasionnellement avec le torse de Kannitsh qui grimace sous les impacts. “Putain mais— calme-toi, tu veux mourir ? Calme-toi !”
Mais Rosten ne se calme pas. Bien au contraire. Bon. Kannitsh grogne et change sa prise pour une qui avait mainte et mainte fois prouvé son efficacité sur Warfia. Surtout sur ses petits cousins hyperactifs. “T’es fatiguant, tu sais ça ?” il soupire, sa patte levée vers le ciel et fermement serrée autour des chevilles de l’humain, qui pend la tête en bas comme un piot pris dans une corde-piège. Rosten grogne, griffe l’air, tente de se balancer hors de sa poigne. “Larga-me!” mugit-il, le visage rougit par la colère et l'afflux de sang dans sa tête, mais Kannitsh ne flanche pas. “Seu cachorro do caralho, larga-me!”
“Non.”
S’ensuivent quelques ruades et explétives que le gronff ne parvient pas à déchiffrer. Kannitsh est vaguement conscient de Geddon qui glisse quelque chose à voix basse à son patron dont l’expression passe d’ennuyée à intriguée, mais est trop concentré sur ne pas laisser Rosten faire sa connerie qu’il n’y prête pas vraiment attention. Et après une minute ou deux à pendouiller dans le vide, la gravité d’Oméga a finalement raison de la combativité de l’humain. “T’as fini ?” Rosten ne répond pas, inerte et haletant, les yeux à demi fermés. Apparemment oui. Le gronff le repose prudemment au sol où il reste allongé un moment, clignant des yeux comme si ça ferait partir le vertige plus vite. Geddon s’accroupit à sa droite avec un air mi-amusé mi-perplexe. “Calma, moço. Y’a peut-être un moyen de s’arranger.”
“Votre vaisseau est bon pour la casse, ça j’vous le garantis. Mais ça veut pas dire qu’il vaut plus rien.” Obo s’est redressé sur son siège, son magazine abandonné sur le comptoir. Son ton a changé, plus professionnel, plus investi. “Si les pièces internes marchent encore, elles pourraient encore servir. Toi,” il pointe Kannitsh du doigt, qui se pointe lui-même avec étonnement. “Oui, toi le gronff. T’es mécano ?”
Oh. Sa ceinture utilitaire. Il portait vraiment toute son histoire sur lui, hein. “Je. Ingé-mech, oui. Mais c’est quoi le—”
“Parfait.” Le noxien se lève, attrape un boîtier accroché au mur derrière le comptoir. “Ramasse ton copain, on va faire un tour. Ged, tu verrouilles la boutique derrière nous.”
L’intéressé fait un salut de ses doigts. Nébuchardlézard passe par quelques teintes criardes et grimpe sur son crâne, l’air d’en avoir suprêmement rien à foutre de ce qu’il se passe autour d’elle. “C’est toi l’patron, patron.”
“Et va pas me bidouiller le système de sécurité pendant que j’ai le dos tourné hein. Je veux pas un épisode deux de l’incident avec le pey’j, la dernière fois ça a senti le cochon grillé dans la boutique pendant des semaines.”
“Ouais, ouais.”
Notes:
le fait que ça soit kannitsh qui tienne rosten en laisse ici et in-canon ça me fume de rire
Chapter Text
“On est encore loin ?”
“Plus trop, non.” Geddon enjambe un amoncellement de vieilles tôles avec l’aisance de quelqu’un de parfaitement familier avec ce lieu. Kannitsh l’imite, son pas un peu moins assuré. “Si ton pote est pas tombé au travers d’une ancienne bouche à ordures, il devrait la trouver très bientôt.”
Une quoi. “Une quoi ?”
Son guide laisse échapper un petit rire. “Non mais t’inquiète hein. Elles ont toutes été condamnées y’a des années par les vagalumes parce que des randoms arrêtaient pas de tomber dans leur base par accident. Maintenant c’est safe. Normalement.”
“...J’ai pas la moindre idée de quoi tu parles, mais ok.” Kannitsh souffle. évite de justesse de marcher sur un clou long comme une griffe non-limée et recouvert d’une rouille à la couleur… inhabituelle. Rosten et son manque catastrophique d’instinct de survie — il avait pas pu s'empêcher de partir à toute berzingue à la seconde où Geddon avait pointé en direction de leur objectif.
Un vaisseau, hein. Kannitsh renifle, un mélange de méfiance, d’espoir et d’anticipation effectuant des sauts périlleux dans sa poitrine. “Et il est parti où, le vieux ?” Obo avait mentionné une course à faire quelques minutes après avoir quitté la boutique, sans donner plus de détail.
Geddon hausse les épaules. “Qui sait. Peut-être un truc à régler avec un autre client. Ou un deal avec un gang local. Je m’occupe pas de cette partie du business.”
Mmh. “J’dois dire. Quand il nous a parlé d’un endroit sûr, je m’attendais pas à ça.”
L’humain se retourne vers le gronff, ses yeux luisant légèrement dans la pénombre. La créature reptilienne sur son épaule resserre sa queue autour de sa nuque pour plus de stabilité, se lèche l'œil droit. “Ah ?”
“Bah, quand même.” Kannitsh fait un geste vague. La lumière artificielle d’Oméga projette des ombres lugubres entre les collines de déchets métalliques et d’épaves de vaisseaux éventrées — depuis longtemps dépouillés du moindre circuit ou fil de cuivre. “C’est pas hyper aux normes, votre ‘garage’. C’est juste une décharge en fait.” Pas bien différente de celle où ils s’étaient crashés hier. Juste… ailleurs.
L’humain des colonies hausse les épaules. “C’est Oméga. Ici, le meilleur antivol c’est de ne pas avoir l’air protégé.”
“D’où la décharge à ciel ouvert.”
“Hey, tout peut servir de garage avec un peu d’imagination.”
“Mouais...”
“Puta que pariu!”
La voix de Rosten, surgissant de derrière une énième montagne de métal plus avant. Kannitsh se fige, oreilles en avant — mais, non, c’était pas un cri de détresse ça. Plus de surprise. Le sourire de Geddon s’élargit un peu alors que le gronff accélère le pas. “Ah. On dirait qu’il l’a trouvé du coup.”
“Olá, belezinha.” Rosten flatte les rivets qui affleurent du train d'atterrissage, une expression de joie pure sur son visage. Sa voix est montée d’une ou deux octaves et ça rappelle à Kannitsh ce truc que font les humains quand ils voient un petit animal mignon. “Cê ta uma maravilha, simmm, ta mesmo né?”
Le gronff roule des yeux. “Calme-toi un peu, c’est juste un ancien modèle terrien.” Visiblement pas tout frais sorti de l’usine, le gris sombre de la carlingue presque complètement caché sous une couche de rouille couleur cuivre piquetée d’oxydation vert intense. Clairement militaire. Et vu la facture et la taille de la baie de chargement, probablement spécialisé en transport de fret. “Pas de quoi sauter au plafond.”
“Non mais avoue quand même qu’elle en jette non ?” L’humain fait quelques pas en arrière et gesticule pour appuyer ses propos. “Moteurs ioniques troisième gen’, style années quatre-cent—”
“Local technique, poste de pilotage avec baie d’observation,” enchaîne Geddon d’un air connaisseur, “Trois cabines, kitchenette, poste médical…”
Les oreilles de Kannitsh pointent en avant. “Équipés ?”
“Mais bien sûr… que non.”
“Ah.” Pointe de déception. “Dommage.”
“Hey, faut pas déconner non plus. Par contre y’a toujours les capsules de sauvetage en cas de gros pépin. Normalement les deux marchent.”
“Normalement.” Kannitsh commence à avoir ce mot en horreur. “C'est-à-dire.”
“Pas comme si on avait pu les tester. Mais Obo a rien vu de spécial quand il a fait le diag, donc oui, normalement y’a pas de lézard.”
“Mlem.”
“Oui, sauf toi évidemment,” murmure Geddon en gratouillant le menton de son compagnon à écailles. “Comment pourrais-je t’oublier, ma toute belle.”
“Mlem.”
“Mmmh.” Kannitsh relève la tête, plisse les yeux à la vue de l’épaisse rouille recouvrant les joints du train avant. “...Et. Ça fait combien de temps qu’il est posé ici ?”
Geddon penche la tête sur le côté — Nebuchadlézard l’imite dans une synchronisation parfaite. C’est un peu chelou à regarder. “Pas sûr. L’était déjà là quand Obo m’a pris comme apprenti.”
Mmh. “Ouais bon, c’est un très vieux vaisseau quoi.”
“Vintage, Kannitsh. C’est pas du tout pareil.” Il va pour tapoter la carrosserie comme la tête d’un fidèle compagnon animal. “Les éraflures, les morceaux de blindages qui collent pas au reste, ça montre qu’elle a de la bouteille. Non franchement j’adore, y’a une tonne de personnalité là. Pas comme les modèles chiants produits à la chaîne dans les usines Xvarxiennes.”
Kannitsh lève les yeux au ciel. De la personnalité. Pis quoi encore. “Mouais, bon. C’est vrai qu’il a du style.”
Rosten fait la moue, flatte le métal piqueté de rouille avec une révérence certaine. “Elle. Un peu de respect pour la d’moiselle, bordel de merde.”
Le mécano réprime un reniflement terriblement amusé. “Elle a du style, si tu veux. Mais elle est pas encore à nous, donc t’attache pas trop vite.”
“Rhoooo.”
“En plus elle est clairement pas en état de voler.” Il soupire, termine son petit tour du propriétaire et vient rejoindre son humain devant le SAS babord. “C’est comme le vieux a dit, les moteurs sont complètement H.S. Et il— elle a dû accumuler la moitié de son poids en rouille depuis le temps. Ce que tu saurais si t’avais écouté le brief au lieu de foncer en avant dès que t’as entendu le mot ‘vaisseau’.”
“Hey, tout ça c’est du détail. Tu vas nous réparer ça en deux-deux de toute façon, non ?”
Kannitsh cille. “Euh. Ben.” Rosten le fixe. Son regard ne trahit pas la moindre trace de doute sur ce qu’il avance, et ça rend le gronff à la fois flatté et extrêmement nerveux à l’idée d’être le sujet de telles attentes. Il est bon à son job, ça d’accord — Dans ses meilleurs jours, il oserait même dire très bon. Mais quand même. “Mon matériel— c’est juste un kit de base de la CSF, je pense pas que…”
“Oh, tu peux emprunter le mien.” Geddon balaye son objection d’un revers de la main. “P’tit geste commercial.”
“Ah, tu vois ? Non franchement c’est du tout cuit, t’inquiète !” Il se retourne vers son compatriote — et cette fois, la lueur au fond de ses yeux n’a rien à voir avec une quelconque cause biologique. “C’est bien ça le deal, hein ? Si on arrive à réparer ce p’tit bébé, il est à nous.”
Geddon lève un pouce en l’air, son sourire indolent toujours fermement en place. “É isso mesmo.”
“Zika.”
“C’est pas un peu…” Rosten et Geddon se retournent vers Kannitsh. Le gronff se rembrunit, les oreilles basses. “Je sais pas. Un peu trop facile ?”
Rosten plisse les yeux. “Comment ça ?”
“Genre.” Il se gratte l’arrière de la nuque, la truffe frémissante. Quelque chose ne colle pas, pas complètement. Il n’avait pas exactement senti de mensonge quand Obo leur avait fait sa proposition, mais il n’arrive pas à se départir de l’impression qu’il a raté un détail quelque part pendant la négociation. “Pourquoi il peut pas le réparer lui-même, son vaisseau ?”
“On s’en fout du pourquoi,” Rosten siffle entre ses dents. “C’est une chance de se tirer d’ici, moi je prend. La vache on dirait moi y’a deux jours.”
Geddon claque des doigts. “Ah oui, ça. Le vieux a pas précisé, mais c’est à cause du moteur warp.”
Kannitsh se lèche les babines nerveusement, sa queue bat l’air derrière lui. “Quoi le moteur w-” Ah. “...Il est foutu, c’est ça.”
Geddon hoche la tête. “Mort et enterré. Et vu qu’un vaisseau sans moteur warp vaut pas mieux qu’une épave et que ce genre de pièce court pas les rues d’Oméga…”
“Ça valait pas le coup de passer du temps dessus. Ok, j’comprend mieux.” Kannitsh fronce les sourcils. “Mais pourquoi nous le—” Il s’arrête. Les connexions se font dans son cerveau caniforme, un peu sur le tard. “Ah. C’est un modèle de facture terrienne.”
“Sim.”
“Uniquement compatible avec d’autres modèles similaires.”
“Et oui. Ils sont chiants comme ça, les terriens.”
Rosten laisse échapper un son de compréhension, tape du poing dans sa paume ouverte. “Oh ! Kannitsh, le moteur dans l’autre vaisseau—”
“En théorie oui.” Le mécano considère les variables, le transport, la probabilité d’un couplage réussi. “Faudrait que je jette un oeil à l’intérieur de, euh…”
“Moça.”
Kannitsh jette une œillade confuse à Rosten, qui hausse les épaules. “Nom temporaire. Histoire de l'appeler autre chose que ‘le nouveau vaisseau’.”
“...Ok. Faut que j’examine un peu la salle machine de Moça voir si l’encastrement est possible, mais dans l’idée…” Sa queue bat plus vite. Il doit avouer que la perspective d’un vrai projet auquel s'atteler, d’un challenge même, ne le laisse pas indifférent. “Ça pourrait marcher. Le seul truc c’est qu’on a plus de cristaux de nav. Et encore une fois, on a pas les fonds pour s’en procurer ici.”
“Et y’a pas d’IA pour assister à la nav’, donc z’avez intérêt à être calés en astro-carto si vous voulez maîtriser la bête,” ajoute Geddon, maintenant assis en haut d’une pile de caisses métalliques, ses longues jambes pendant dans le vide. “Mais hey. Si c’est pas votre cas, on peut quand même s’arranger.”
Rosten lui lance un regard entendu. “Tu parles de tes prestations de modding j’imagine.”
L’autre esquisse un sourire joueur. L’une de ses canines dépasse de la courbe de ses lèvres, légèrement tordue. “Claro.”
“On fera sans, merci,” souffle Kannitsh, tournant autour du vaisseau pour mieux évaluer son état. “On a pas les fonds pour ce genre de luxe.”
“Pas encore.” Geddon hausse les épaules avec bonhomie. “Mais la galaxie manque pas d’opportunités de taff pour les gens comme nous. J’ai aucun doute que vous allez vous en sortir.”
Kannitsh cille. “Euh. Merci ?”
“Tu nous fera un prix ?” demande Rosten, glissant la clé mécanique donnée par le vieux dans le panneau de commande près de la porte principale. “On est potes, non ? Solidarité gartonkienne ?”
Geddon éclate de rire. “Hah ! Rêve pas, maninho. J’vous aime bien toi et ton gronff, mais on a une boutique à faire tourner.” Rosten pousse un son qui signifie probablement quelque chose comme ‘ouais pas de problème on se comprend’, pousse un petit sifflement quand la porte se déverrouille avec moulte cliquetis et grincements. Geddon se tourne vers Kannitsh. “Mais ouais, un deal est un deal. Vous donnerez votre temps, votre énergie et la pièce maîtresse pour remettre cette beauté en état de vol, c’est pas rien. Moi j'appelle pas ça de la charité, considérant la quantité de labeur."
Kannitsh considère l’argument, observe attentivement son humain disparaître dans les couloirs sombres du vaisseau. Quelque chose le dérange toujours. “...Et vous ?”
Geddon cille. “Nous ?”
“Ouais. Vous nous mettez une épave à disposition, on la retape nous-même, d’accord. mais vous y gagnez quoi dans l’histoire ?”
Geddon sourit, toutes dents dehors. Ses canines brillent légèrement dans la lumière orangeâtre de l’illumination artificielle passée en mode ‘soir’. “Plus que tu penses. Les pièces encore utilisables de votre ancien vaisseau, déjà. Et surtout de nouveaux clients potentiels.” Il examine innocemment ses ongles et leur verni noir écaillé. “Les déserteurs ont toujours besoin de services comme les nôtres pour se remettre sur pieds — nouveaux IDs, crédicartes, cristaux de nav, missions de livraison… sans parler du ravitaillement. C’est juste du bon business. Et ça nous assure que les clients reviennent.”
“Mmh.”
“Et qui sait, peut-être que le vieux s’est senti d’humeur généreuse cette fois.”
Le gronff éternue. “Pardon si j’ai du mal à croire ça. Surtout sur Oméga.”
Geddon rit, clappe une fois dans ses mains. “Boa, fi ! C’est bien, bon réflexe. T’as raison, Obo a probablement quelque chose en tête. Et avant que tu demandes, non j’ai aucune d’idée de ce que c’est.”
Kannitsh hausse le sourcil. Il ne sent pas de mensonge dans les mots de l’humain, mais… “T’es pas censé être son assistant ?”
Geddon saute de sa pile de caisse, atterrit souplement en face du gronff. “Ça veut pas dire qu’il me dit tout. Et je lui raconte pas tout non plus.” Un clin d'œil complice. “Comme le fait que je vous prête du matos sans frais alors que c’est pas le genre de la maison.”
Le gronff se détend un peu. “Ah. Ouais, merci pour ça.”
“Pas de quoi.” Geddon se tourne vers l’arrière du vaisseau, d’où un Rosten monté sur ressort surgit flanqué d’un grand sourire. “Si je peux filer un coup de main à l’un des miens, je vois aucune raison de pas le faire. Tu vois ?” Le gronff opine du chef. (Loyauté, appartenance, communauté. Des sentiments et concepts qu’il comprend parfaitement bien.) “Même si ça plaît pas trop au patron, heh. Il m’apprécie trop pour me le faire payer.”
“Kannitsh !” Rosten s’arrête devant son ami, la respiration un peu sifflante. Son épaule a l’air de le déranger à nouveau, ça n’a pas l’air de doucher son enthousiasme. “Y’a un chasseur dans la baie de chargement !”
Le gronff aboie sa surprise. “Sérieux ?”
“Sérieux ! C’est juste un p’tit modèle à une place hein, et y’a plus de munitions, mais un chasseur putain !”
“Ah oui tiens, l’avais oublié cui-là.”
“Ah—!” Kannitsh sursaute. Le vieux noxien se tient entre lui et Geddon, ses paires de bras croisées sur sa poitrine. Kannitsh ne l’a absolument pas senti approcher. “Mais un deal est un deal. Si vous parvenez à faire voler cette petite, tout son contenu est à vous.”
“Vous pouvez pas prévenir avant d'apparaître comme ça ?” grogne le gronff, une patte sur son cœur. “Merde.”
Obo ricane. “Hah ! J’ai pas perdu la main on dirait.”
Les instincts de Kannitsh bourdonnent — une sensation qui s’accentue à la vue du vieux noxien. “Hey,” il lui glisse à voix basse alors que Rosten et Ged se mettent à nouveau à échanger dans leur langue maternelle. “Je peux vous parler deux minutes ? Seul à seul.” Malgré les affirmations de l’autre humain, quelque chose à l’arrière de son cerveau lui chuchote toujours qu’il a raté quelque chose. Et il refuse de s’engager dans ce deal avant de découvrir ce que c’est.
Obo lui renvoie un regard énigmatique, hoche la tête. “Kei.”
Notes:
....salut.
oui je m'y remet, doucement. tranquille. sans pression. je tient à finir cette partie de la timeline après tout. et ils m'ont manqué ces cons.

Anya_Kristen on Chapter 3 Sat 01 Feb 2025 06:40AM UTC
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