Chapter 1: Toutes les histoires commencent quelque part
Notes:
Hey !
C'est un sacré voyage dans lequel on s'embarque aux côtés de toute l'équipe de Raimon, mais aussi de Suki que, j'espère, vous prendrez autant de plaisir à découvrir que j'ai eu à l'écrire. Et si vous pensez déjà connaître l'histoire... accordez-moi une chance de vous surprendre.
Il ne me reste plus qu'à vous souhaiter une bonne lecture !
Chapter Text
La journée touche à sa fin et le soleil couchant colore la rivière d’or et de feu. Suki traverse le pont d’un pas vif. Elle n’est pas en avance. Elle aurait pu prendre le bus mais elle préfère marcher. Ça ne l’empêche pas de jeter un œil par-dessus la rambarde. Aujourd’hui, le terrain de terre battue au bord de l’eau est vide. Si le collégien qui s’entraîne régulièrement avec les primaires n’est pas ici, c’est qu’il est à la tour. Et comme tous les vendredis ou presque, il viendra manger au Rairaiken dans la soirée. En parlant du Rairaiken… Suki resserre sa prise sur le sac en kraft et accélère. Elle devine déjà ce qu’Hibiki va lui dire…
Le maître des lieux est occupé en boutique lorsque Suki entre par l’arrière du restaurant. Elle traverse la réserve sans allumer, guidée par l’habitude. Par habitude aussi, elle vérifie dans la pénombre, d’un coup d’œil au miroir à côté des escaliers, que son béret est bien en place.
— Daburu ? Tu es là ?
Da-bu-ru. Suki articule silencieusement. Le nom de son reflet. Le nom de celui que les autres voient et oublient aussitôt. Le nom de celui qu’elle doit être – de celui qu’elle est. Un instant, son reflet se fissure. Puis elle se détourne et, quand elle ouvre la porte sur la salle de restauration, son masque est redevenu lisse d’assurance. Hibiki l’accueille en s’exclamant :
— Et alors, qu’est-ce qui t’a pris autant de temps ?
Suki hausse les épaules avec une moue provocatrice, se glisse avec lui derrière le comptoir et pose le sac à côté des plaques.
— Je ne sais pas… faire des commissions de dernière minute à l’autre bout de la ville, peut-être ?
— Tss, insolent.
La lueur dans le regard du restaurateur dément son propos et personne ne s’y trompe, surtout pas les habitués qui, coutumiers de leurs joutes verbales, en profitent pour ajouter leur grain de sel :
— N’embête pas trop ton commis, Hibiki, sinon il ne fera pas ses cookies !
Hibiki rit de bon cœur, les autres aussi, Suki se contente de plisser le nez en nouant son tablier. Pendant qu’elle se lave les mains et range les achats, la discussion reprend :
— Dis, tu le nourris ? L’est pas bien épais…
La réponse de son mentor se perd dans le brouhaha flou des conversations tandis qu’elle remonte ses manches. Au travail.
***
Qu’est-ce qu’il fait là ? Kazemaru se voile la face en grimpant la pente douce du parc. Comme s’il ne savait pas. Comme s’il n’avait pas passé la journée à voir Endou courir de partout en essayant de recruter de nouveaux joueurs pour son équipe, comme s’il n’avait pas pu en placer une quand ce dernier lui donnait rendez-vous à la tour Inazuma après les cours, comme s’il ne s’était pas laissé tenter, juste pour voir. Eh, voilà pourquoi il est là, à gravir la colline surplombant la ville. Les lampadaires s’allument et laissent apercevoir d’autres personnes dans les fourrés avant qu’un éclat de lumière et un bruit sourd ne le poussent à franchir les derniers mètres. Au pied de la tour marquée de l’éclair, symbole d’Inazuma, le sentier s’évase sur une esplanade et un pneu oscille, suspendu à l’un des arbres. Quelques mètres plus loin, Endou est étalé au sol, un autre pneu accroché sur le dos. Kazemaru s’approche et constate avec soulagement que tout a l’air d’aller.
— C’est quand même bizarre, comme entraînement, s’amuse-t-il, étonné.
Endou écarquille les yeux en remarquant sa présence, saisit la main qui lui est tendue pour se relever. Vite remis de sa surprise, il rajuste le bandeau qui lui ceint le front et explique avec entrain :
— Humhum, c’est parce que c’est un entraînement spécial.
Sur le banc à deux pas, entre une gourde et une serviette, Endou attrape un vieux cahier aux bords usés et à la couverture tachée. Il fait défiler les pages, invitant Kazemaru à regarder mais le regard de ce dernier glisse sur les écritures et les dessins abstraits.
— Je n’y comprends rien… Tu arrives à déchiffrer ça ?
— Eh ! affirme Endou en pointant un ensemble de gribouillis du bout effiloché de son gant. Là, c’est l’hissatsu technique que j’essaie de faire, la God Hand, pour arrêter les tirs. C’est celle de mon grand-père !
La fierté se lit sur son visage face à l’incrédulité sur celui de Kazemaru, puis son ton se fait rêveur.
— Il est mort avant ma naissance… Mais il y a longtemps, il était l’entraîneur du club de foot de Raimon et il a créé les exercices et les techniques qui sont dans ce cahier !
Les informations s’enchaînent trop vite pour Kazemaru alors qu’Endou embraye déjà.
— On a de la chance, tu sais, d’avoir obtenu un match contre la Teikoku Gakuen. Ce n’est pas n’importe qui, ils sont vraiment très forts. Pour rivaliser face à eux, je dois beaucoup m’entraîner et j’aimerais vraiment réussir à maîtriser la God Hand.
— Attends, tu étais sérieux quand tu parlais de battre la Teikoku ?
Kazemaru pensait qu’il blaguait tout à l’heure. Même lui qui ne s’est jamais vraiment intéressé au foot sait qu’il s’agit de la meilleure équipe junior du pays. Qu’elle ait demandé un match amical contre leur école est plus qu’improbable. Pourtant la perspective n’a pas l’air de faire peur à Endou qui opine comme s’il s’agissait d’une évidence.
— Bien sûr !
Kazemaru dévisage son camarade. Quand Endou parle de foot, il rayonne, animé par sa passion. Impossible d’y rester insensible. Étouffant un soupir dans un sourire et acceptant enfin la décision qu’il avait déjà prise en venant ici, Kazemaru tend la main. Endou la regarde, perplexe.
— Huh ?
— C’est pour ça que tu m’as demandé de venir, non ? Je veux bien rejoindre ton équipe.
Le sourire d’Endou s’élargit si cela est encore possible tandis qu’il scelle leur accord en riant.
— Merci, Kazemaru !
La poigne est ferme, chaleureuse, et la sensation se propage le long du bras de Kazemaru. Pour dissimuler son trouble, celui-ci appelle par-dessus son épaule :
— Bon, j’en suis. Et vous ?
À son grand soulagement et à la surprise d’Endou, les fourrés s’écartent et révèlent les autres membres du club. Ils se tortillent, confus d’avoir ainsi été démasqués.
— Cap’taine…
— Les gars !
Endou s’élance vers eux en oubliant qu’il a toujours son pneu sur le dos et perd l’équilibre. Ses camarades se précipitent pour l’aider.
— Ça va ?
— Si tu continues à forcer, tu vas te blesser avant le match.
— Hé, ça va le faire, les rassure Endou.
— Ils t’observaient depuis un moment quand je suis arrivé, tu sais ?
Trahis par Kazemaru, ils bafouillent, se perdent en explications et en excuses. Après avoir vu leur capitaine remuer ciel et terre pour compléter leurs effectifs et se donner à fond dans son entraînement spécial, ils ne peuvent pas rester sans rien faire. Et ils aimeraient bien s’entraîner avec lui… Si c’est possible.
— Bien sûr que c’est possible !
Ému, Endou a bien du mal à retenir ses larmes. Rien ne lui ferait plus plaisir !
— Allons-y !
— Allons-y ! reprennent-ils tous en chœur.
***
Adossée au comptoir, Suki picore les derniers grains de riz au fond de son bol. Hibiki leur a servi le thé et attend que sa tasse refroidisse. La nuit a fini de s’installer, les clients de tout à l’heure sont partis et ils profitent du temps mort en silence ou presque. Elle relève la tête juste avant que des éclats de voix ne se rapprochent. La porte coulisse. Même s’il arrive plus tard que d’habitude, elle reconnaît le régulier du vendredi soir – Endou, avec son bandeau orange qui empêche ses cheveux de lui tomber dans le visage – en tête de groupe. Il n’est pas seul aujourd’hui et invite ceux qui l’accompagnent à entrer à sa suite.
— Tu vas voir, Kazemaru, ce sont les meilleurs ramens d’Inazuma ! Et la meilleure récompense après un entraînement.
En rinçant son bol dans l’évier, Suki zieute sur la petite dizaine de garçons qui s’installent. Ils sont tous déjà venus manger occasionnellement, sauf celui aux longs cheveux bleutés. Kazemaru, par déduction. Celui-ci s’assied à côté d’Endou et observe, curieux, discret, les lieux. Hibiki passe un coup de torchon sur le comptoir.
— Qu’est-ce que je vous sers, les jeunes ?
— Un bol de ramen pour moi, chef, s’il vous plaît !
— La même !
— Je vais vous prendre des raviolis.
Les commandes fusent. Hibiki lance la cuisson des pâtes tandis que Suki se sèche les mains et cisèle les oignons nouveaux. Tout en maniant le couteau avec application, elle les écoute d’une oreille distraite.
— Alors, tu en as pensé quoi, de ton premier entraînement ?
Couvert de terre et d’égratignures, Kazemaru grimace brièvement avant de répondre :
— Eh bien, c’était… intéressant. Et atypique. Ça ne ressemble pas du tout à ce que l’on fait en athlétisme.
— Je te rassure, ça ne ressemble pas à ce que l’on fait en foot normalement non plus.
Les mains derrière la nuque, l’autre voisin d’Endou se balance en arrière sur son tabouret. Parmi les plus grands du groupe, épaules carrées, peau sombre, cheveux ras roses et voix assurée lui conférant une présence impressionnante, Someoka.
— En même temps, on n’est pas vraiment une équipe conventionnelle non plus… renchérit celui encore à sa gauche.
Handa. Plus effacé, comme Someoka, il vient ponctuellement ici avec Endou depuis l’année dernière. Parmi les nouveaux de cette année, les deux en bout de rangée s’exclament à leur tour :
— Moi j’ai bien aimé l’entraînement, Cap’taine !
— Ouais, moi aussi !
En raclant la planche du dos du couteau pour faire glisser les légumes dans la poêle, Suki énumère mentalement. Les inséparables tout en contraste, Kurimatsu, le plus petit avec les dents de devant qui dépassent, et celui sur lequel il s’appuie, grand et large, avec un début de barbe précoce, Kabeyama. Elle bute sur les derniers noms tandis qu’ils refont leur soirée – une déroutante histoire de pneus et de cahier illisible. Hum… Celui dont elle n’a jamais vu les yeux, cachés derrière ses cheveux bouclés, et dont les taches de rousseur mangent les joues… Shishido. Le nom du dernier – avec la longue queue de cheval et la voix qui n’a pas encore mué – lui échappe. Handa lui donne la réponse au détour d’une phrase. Shourinji. Suki étouffe une moue, vexée de son oubli, puis son attention glisse à nouveau sur Endou, au centre du groupe.
Il vient régulièrement depuis qu’elle est là et marque chacun de ses passages de sa lumière. Suki plisse le nez. Une lumière. C’est réducteur de désigner ainsi l’aura du garçon, mais c’est sans doute ainsi que la décriraient la plupart des gens s’ils devaient mettre des mots sur leurs perceptions. Ce serait si loin de sa réalité. Les auras sont plus subtiles. Plus profondes, plus complexes. Un déluge de sensations qui ne s’arrête jamais. Parler de lumière, c’est se contenter d’effleurer la surface, se raccrochant aux quelques émanations qui se manifestent parfois aux yeux de tous et aux témoignages de ceux qui en voient un peu plus. Loin de saisir l’éblouissement que procure le soleil intérieur d’Endou. Perdue dans ses pensées, Suki débarrasse les assiettes vides. Le ventre plein, Endou avise la coupelle en bout de comptoir.
— Oh ! Y’a des cookies aujourd’hui ! Kazemaru, faut absolument que tu les goûtes !
L’intéressé considère les biscuits au chocolat, intrigué malgré son appétit rassasié.
— Je suis d’accord, ils valent le coup, abonde Someoka en s’en emparant d’un.
Kazemaru se laisse tenter, non sans soupirer :
— Rassurez-moi, vous ne faites pas ça après chaque entraînement, si ?
— Bah, commence Handa avec un geste évasif de la main, c’est assez rare qu’on s'entraîne tous ensemble…
— Cette semaine, on va s’entraîner tous les jours ! rétorque Endou en sautant sur ses pieds.
— … on ne viendra pas pour autant manger là à chaque fois. Ou on va exploser, termine Handa.
Kurimatsu approuve vigoureusement, mais Endou ne les écoute déjà plus :
— Vous vous rendez compte ? Dans une semaine, on aura joué notre premier match !
L’expression d’Handa s’adoucit.
— Héhé, c’est vrai que c’est dur à croire…
— M’enfin, c’est mal parti. Déjà, on n’a pas réussi à réserver le terrain de l’école pour la semaine… râle Someoka.
— C’est pas grave, on ira s’entraîner à la tour ou à la rivière. D’ailleurs, Kazemaru, faudra qu’on demande à Aki pour t’inscrire au club. Tu es sûr que ça ne posera pas de problème avec tes camarades d’athlétisme ?
— Ils sont cools, ils comprendront que je vous dépanne. C’est qui, Aki ?
— Notre manageuse. Tu verras, elle est géniale. C’est avec elle que j’ai recréé le club l’année dernière. Tu te rends qu’il n’existait plus ? Alors qu’avant, il y avait le légendaire Onze d’Inazuma qui…
— C’est bon, Endou, tu vas pas lui faire toute l’histoire, si ?
Endou tire la langue à Someoka et Handa marmonne un rabat-joie qui fait hausser un sourcil au concerné.
— Je dis juste que ça sert à rien de se faire des films. Vous avez oublié ce que la fille du président du conseil d’administration du collège a dit ? Si on perd, le club sera dissous. Et y’a zéro moyen qu’on gagne si on recrute pas les joueurs qu’il nous manque.
— On va réussir à recruter ! Regarde, Kazemaru nous a rejoints aujourd’hui, et d’autres viendront ! Je suis sûr que je peux convaincre le nouveau et un gars m’a dit de revenir quand il ne manquerait plus qu’un joueur.
— Si tu le dis… Je persiste à penser que, pour recruter, y’a plus vendeur que ceux contre qui on va jouer…
Suki ne les écoute plus. Une sueur glacée coule le long de son dos. Elle… Le tintement sur le sol de la cuillère qui lui a échappé la ramène à la réalité. Elle se baisse pour la ramasser. Les garçons ont payé, spéculant toujours pour deviner qui serait susceptible d’intégrer l’équipe. La porte se referme sur l’optimisme à toute épreuve d’Endou. Suki s’adosse au mur en soupirant. Hibiki reste un instant pensif avant de fermer la boutique et de s’accouder au comptoir, le regard perçant derrière ses lunettes rondes aux verres teintés. Maintenant qu’il n’y a plus qu’eux, il ne fait plus semblant face au masque qu’elle consent à baisser. Un peu.
— Ça va, ma belle ?
— Hmmhmm. Je…
Elle se passe une main sur la nuque, chasse le mauvais pressentiment qui lui pince le ventre.
— Je suis contente qu’ils aient enfin un match.
***
Sur le trajet du retour, Kazemaru écoute les autres discuter avec animation, sonné. Il ne sait pas si c’est la fatigue, son ventre trop rempli, la forte impression que lui a fait le chef – avec sa stature imposante malgré sa tranquillité, la cicatrice qui barre son œil et la barbe, aussi blanche que ses cheveux, qui lui mange le visage – ou le contrecoup de l’énergie inépuisable d’Endou. Sans doute un mélange de tout cela. En accélérant le pas, il rattrape son nouveau capitaine.
— Le club va vraiment fermer ?
— Hum ? Si on perd, oui. Une histoire de budget ou je ne sais pas quoi. Mais on en s’en moque, puisqu’on va gagner, neh ?
Kazemaru admire, envie un peu, l’assurance avec laquelle Endou lui répond. Il reste un instant silencieux tandis qu’ils cheminent à côté. Autour, le débat à propos de leurs recrutements se poursuit. Kazemaru en tire une nouvelle fois Endou :
— C’est qui, le nouveau dont tu n’arrêtes pas de parler ?
Les yeux d’Endou s’illuminent.
— C’est Gouenji Shuuya ! Je l’ai croisé à la rivière hier – tu verras, on y ira la prochaine fois, c’est génial – pendant que je m’entraînais avec l’Inazuma KFC…
— L’Inazuma KFC ?
— L’équipe de l’école primaire. Aki dit que jouer contre eux n’est pas suffisant pour m’améliorer, mais ils sont très forts.
Malgré l’élan démesuré d’Endou, Kazemaru devine qu’il y a un fond de vérité et se garde de mettre sa parole en doute. Endou reprend son récit.
— Leur coach, Aida-san, me les confie des fois, ils progressent bien. Et hier…
— C’est ça ! Fais-lui la passe ! Non, pas comme ça !
Dans les lueurs du soir, les gamins se chamaillent le ballon au bord de la surface de réparation. Sur le maillot rouge qu’ils revêtent tranchent deux fines bandes jaunes et le nom du club – Kid Football Club – brodé à la poitrine. L’un des joueurs s’extrait de la masse.
— Yosh, vas-y, tire ! l’encourage Endou depuis ses cages.
Même si la frappe est cadrée, elle manque de puissance et Endou la repousse sans difficulté. Ça ne l’empêche pas de féliciter le tireur :
— Bien tenté ! Allez, ça continue de jouer, au suivant !
— J’arriiiiive Endouuu !
Celui qui a récupéré la balle perdue fonce mais se fait déposséder par la gamine qui surgit devant lui. Les deux couettes au vent, elle prend de vitesse ses camarades qui l’assaillent et tire. La fierté sur son visage se décompose lorsqu’Endou bloque le cuir contre sa poitrine.
— Eeeeeh… Tu l’as encore arrêté ?
— C’était pas loin, Mako, tu t’es bien améliorée. Allez, changement de position et on reprend !
Depuis le bord du terrain, Aki sourit. N’importe qui serait désespéré de ne pas pouvoir s’entraîner dans les règles de l’art, mais, au contraire, Endou profite de chaque opportunité qui se présente à lui, aussi étrange soit-elle. Et elle doit admettre que les membres d’Inazuma KFC sont plus doués que ce à quoi elle s’attendait. Ils se donnent tous au moins autant à fond qu’Endou. À la faveur d’une rotation d’exercice, certains poussins la rejoignent et piochent dans les gourdes pour se désaltérer. Aki en profite pour les féliciter.
— C’était une belle action tout à l’heure, continuez comme ça, ne lâchez rien. Mako, ta dernière passe était nickel.
— Merci ! C’est grâce à Endou que l’équipe joue de plus en plus collectif.
— Eh, ne joue pas les modestes. Tu es aussi une très bonne capitaine.
Mako secoue la tête pour chasser le compliment, pour cacher aussi le rouge qui lui monte aux joues. Son regard accroche quelqu’un avec une veste orange, arrêté en haut du talus qui surplombe le terrain et qui les observe jouer.
— Tu vois ? Vous avez déjà un spectateur, c’est le début du succès, taquine Aki qui a suivi son regard.
— Pfff ! écarte Mako en haussant les épaules, secrètement honorée d’avoir un début de public.
Peut-être que les deux monsieurs qui longent le terrain de l’autre côté en font aussi partie. Leur vue lui est masquée par son coéquipier à qui elle a volé le ballon tout à l’heure. Il l’a récupéré et n’a pas dit son dernier mot, bien décidé à marquer cette fois-ci.
— Eh, Endou, j’arrive ! Regarde mon hissatsu technique ! Super Shoot !
Il frappe de toutes ses forces sans cadrer. Endou regarde le ballon passer à côté des cages pour frôler les deux individus. Ceux-ci ne l’esquivent que de justesse, posent un pied dessus et se retournent, furieux :
— Qui est l’imbécile qui a fait ça ?!
Endou se crispe. Ils doivent être au lycée et n’ont vraiment pas l’air commodes. Avant que la situation ne s’envenime, il les rejoint et s’incline poliment.
— Vous allez bien ? Je suis désolé, vraiment désolé. C’était un accident, ça ne se reproduira pas. Est-ce que… Est-ce que vous pouvez nous rendre la balle s’il vou…
Un coup de poing le cueille au creux du ventre.
— Tu veux parler de ça ? Je crois pas, non.
Le plus grand des lycéens s'assoit sur le ballon, l’autre avise le blason brodé sur le maillot d’Endou et tire dessus.
— Raimon ? C’est pas le club éclaté qui n’a pas assez de membres ?
— Ça fait pitié.
Les abdos en feu, forcé d’être sur la pointe des pieds dans une position des plus inconfortables, Endou n’a pas récupéré le souffle pour leur répondre. Il espère juste que Mako et les autres ne vont pas s’approcher. Les lycéens explosent de rire, celui qui le tient le pousse en arrière et Endou bascule sur les fesses.
— On va te montrer comment on joue au foot.
Le second compère se lève, crache sur le cuir – le corps entier d’Endou se tend – et tire avec un grand cri, perdant l'équilibre au passage. La frappe dévisse dès la première seconde, aussi puissante que sa trajectoire est hasardeuse. Un des gamins hurle. Mako reste figée sur place malgré le ballon qui lui arrive droit dessus, le cœur à cent à l’heure face à l’inévitable.
L’inévitable ou presque.
Le spectateur à la veste orange a dévalé le talus et, d’un bond impressionnant, s’interpose. Il lui suffit d’un geste, suspendu dans les airs, pour contrôler le ballon et le renvoyer dans l’autre sens. Le cuir s’écrase sur le visage du tireur qui s’effondre, sonné. Tandis que le ballon roule plus loin, le spectateur atterrit entre Mako et les lycéens et incite sans un mot, d’un regard incendiaire, celui encore debout à déguerpir. L’autre ne se le fait pas dire deux fois, charge son comparse encore dans les vapes sur ses épaules et disparaît. Mako dévore son sauveur des yeux et retrouve l’usage de la parole :
— Merci !
Le visage de l’inconnu s’adoucit en réponse. Endou est le suivant à reprendre ses esprits et bondit sur ses pieds, faisant fi de son ventre endolori. Il court pour le rattraper alors que celui-ci, les mains au fond de ses poches, s’en va déjà, à mi-hauteur du talus.
— Attends !
Endou ne sait pas qui il est, mais s’il a une certitude, c’est qu’il veut jouer au foot avec lui.
— Il a surgit de nulle part ! Et tu aurais dû voir son tir, il était… il était incroyable ! Et là, ce matin, il était là, dans ma classe ! Hier soir, j’ai demandé à mon grand-père de pouvoir le recroiser et il m’a entendu.
Endou ne tarit pas d'éloges concernant l’intervention providentielle de Gouenji et Kazemaru ne prend aucun plaisir de revenir sur les points qui fâchent.
— J’admets que c’est une sacrée coïncidence…
— Un signe du destin !
— … mais il n’a pas dit qu’il ne jouait pas au foot quand tu lui as demandé ?
— Humhum.
— Et tu espères quand même qu’il rejoigne le club ?
— Humhum.
— Endou…
— Ça se voyait, il respire le football, il adore ça, c’est fait pour lui. J’ai une semaine pour le convaincre.
Devant eux, les autres les attendent au feu piéton. Endou accélère, Kazemaru est obligé de presser le pas pour ne pas se faire distancer. Quand Endou se retourne vers lui, son sourire s’étire jusqu’aux oreilles.
— Tu verras, Kazemaru. J’arriverai à le faire changer d’avis. Dans une semaine, on va jouer contre la Teikoku Gakuen et on va gagner. C’est ici que notre histoire commence !
Chapter 2: Ça ne peut pas déjà être la fin... Si ?
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Kazemaru ne connaissait rien au foot – enfin, si, les règles de base, vingt-deux joueurs, un ballon, deux mi-temps et c’est à peu près tout – et il n’a pas la prétention d’en savoir beaucoup plus sept jours plus tard. Mais, durant ce lapse de temps aussi court qu’intense, durant les soirées passées avec ceux qui sont désormais ses coéquipiers, il a commencé à se faire au contact du cuir contre sa chaussure. Il a appris à ne pas compter les heures, à rire avec ses camarades et à se relever en faisant fi de la fatigue et des courbatures. Il faut dire qu’Endou met beaucoup du sien pour tirer le groupe de l’avant, probablement sans même s’en rendre compte. Alors, au fil des jours, Kazemaru s’est surpris à être impatient de les rejoindre après les cours et jusqu’à ce que la nuit devienne noire, à se prendre au défi qui les attend. Oui, il s’est attaché à leur drôle d’équipe et aujourd’hui se tient leur premier et peut-être dernier match.
Le silence qui règne dans leur minuscule local pendant qu’ils se changent ne leur ressemble pas. Loin de l’ambiance de leurs entraînements, il est empreint de concentration. D’appréhension aussi – qui à part Endou ne le serait pas dans une situation pareille ? Cependant leur capitaine a su, à travers ses actes, ses mots de la dernière semaine, apaiser leurs craintes et faire naître de l’excitation à la place. Eh, Kazemaru a hâte de jouer, hâte de mettre en œuvre ce qu’il a appris, et il sait que ses camarades aussi. Son maillot porte le numéro 2 floqué dans le dos, numéro qui lui a échu avec une place en défense aux côtés de Kabeyama, Kurimatsu et Kageno. Celui-ci les a rejoints en cours de semaine, si discret que Kazemaru oublie parfois sa présence. Il resserre sa queue de cheval et sursaute de concert avec les autres lorsque quelqu’un toque.
— J’y vais !
Personne ne fait la course avec Endou pour glisser la tête à l’extérieur, en revanche ils sont tous très attentifs quand ce dernier ouvre la porte en grand pour laisser entrer un nouveau venu. Le visage de Someoka s’allonge en reconnaissant un de ses camarades de classe, celui souvent assis au fond, avec le bonnet rayé à oreilles de chat.
— Matsuno veut nous rejoindre pour le match d’aujourd’hui !
— Vous pouvez m’appeler Max, précise celui-ci. J’ai vu votre capitaine chercher de nouveaux joueurs l’autre jour et je me suis dit que ça pourrait être marrant.
— Marrant ? Le match d’aujourd’hui n’est pas une blague ! râle Someoka.
— Ne vous inquiétez pas. Même si je n’ai jamais joué au foot, je suis plus débrouillard que j’en ai l’air.
Kazemaru ne sait pas si c’est censé les rassurer. Et en même temps est-ce qu’ils peuvent vraiment être pris au sérieux ? Au moins, avec lui, ils arrivent péniblement à dix joueurs. Endou émerge des casiers avec un maillot jaune et bleu. Vestige, comme le reste de l’équipement, de l’époque où le club était populaire, il est à peu près à la bonne taille même si les couleurs sont passées et que le logo a changé depuis.
— Le… 9, milieu, ça te va ? Hmmhmm, parfait. Yosh, les gars, ça va le faire. On y va !
La nouvelle du match a attisé les curiosités et les élèves restés une fois les cours finis sont plus nombreux que ce à quoi les joueurs s’attendaient. Leurs spectateurs les observent, du bord du terrain ou des fenêtres, gagner leur banc. Kabeyama bredouille qu’il a besoin d’aller aux toilettes, Handa lui assure que c’est le stress et que ça passera. Un grondement sourd interrompt les conversations. Peu après, un véhicule s’arrête devant le portail du collège. Kazemaru l'appellerait plus volontiers un tank qu’un bus, immense, aux lignes abruptes, floqué du rouge et du vert de l’équipe de foot de la Teikoku Gakuen.
Dans le silence qui s’est installé, la porte latérale s’ouvre avec un chuintement. Kazemaru, le cœur battant, comprend Kabeyama et son envie pressante d’être ailleurs. Les élèves de la Teikoku sortent du véhicule, sévères dans leur uniforme anthracite rehaussé d’or et de pourpre, et s’écartent avec une précision militaire pour laisser passer leurs joueurs. Ceux-ci s’avancent au milieu de la haie d’honneur déployée et leur assurance percute Kazemaru de plein fouet. Ils sont en terrain conquis, le regard haut et le sourire hautain au coin des lèvres.
Endou se précipite à leur rencontre et plus particulièrement vers celui qui porte le brassard, rouge sous sa cape de la même couleur.
— Je suis le capitaine du club de foot de Raimon, Endou Mamoru ! se présente-t-il. Merci de nous avoir proposé un match amical.
— C’est la première fois que nous jouons sur ce terrain. Pourrions-nous nous échauffer ?
Endou retient la main qu’il allait tendre face à la froideur et aux bras croisés de son vis-à-vis.
— Eh… Bien sûr !
Les joueurs de la Teikoku se dispersent sur un claquement de doigt de la part de leur capitaine. Avant de les rejoindre, celui-ci scrute l’équipe d’Endou.
— Vous n’êtes que dix.
— Notre onzième joueur va arriver, ne vous inquiétez pas ! le rassure Endou avec aplomb.
Pieux mensonge. Il n’a pas réussi à convaincre Gouenji – ce n’est pourtant pas faute de lui avoir demandé à répétition pour se heurter à son éternel refus – ou qui que ce soit d’autre de compléter leurs effectifs, mais il est encore trop tôt pour s’avouer vaincu et son adversaire n’a pas besoin de le savoir. La réponse semble convenir à ce dernier, ses yeux invisibles derrière ses lunettes aux verres colorés, et il s’éloigne sans un mot de plus.
Ils sont terrifiants. C’est la seule pensée qui s’impose à Kazemaru et à ses coéquipiers quand ils regardent ceux de la Teikoku s’échauffer. Chacune des actions de leurs adversaires est déploiement de force et démonstration de puissance. Leurs passes traversent le terrain comme des boulets de canon, leurs sprints feraient pâlir ses amis du club d’athlétisme, les ballons naviguent des uns aux autres avec une précision millimétrée. Chez eux, tout n’est que rigueur et efficacité comparé au style brouillon et vivant des entraînements de Raimon. Non, décidément, leurs deux équipes n’ont rien à voir et le fossé qui les sépare est plus profond qu’une différence de capacités ou d’expérience. Alors que le doute s’insinue chez les locaux, Aki revient vers eux en courant, un élève sur les talons :
— Endou-kun ! Il a dit qu’il veut rejoindre le club !
Someoka n’est pas le seul à reconnaître le garçon derrière la manageuse et grimace. Ils ont cours ensemble, et comment dire… Le foot n’a pas l’air d’être son fort. Kazemaru sait qu’il ne faut pas se fier aux apparences, mais entre ses allures de premier de la classe et sa manière de courir, l’impression que renvoie le nouveau venu n’est pas vraiment en sa faveur. Endou ne semble pas touché par les a priori de ses coéquipiers en l'identifiant à son tour. C’est celui qui lui avait répondu qu’il manquait trop de monde à l’équipe pour que l’intégrer l’intéresse. Ça ne semble plus être un problème maintenant car il prend la parole en arrivant à leur niveau :
— Moi, c’est Megane Kakeru. Enchanté ! On dirait qu’il vous manque encore un joueur… Je suis donc votre sauveur ! Mais j’ai une condition pour rejoindre l’équipe.
— Une condition ?
— Je veux le maillot numéro 10.
Les autres joueurs échangent un regard désabusé. Et puis quoi encore ? C’est certes mieux que rien, mais… vraiment ? Someoka s’étouffe de devoir partager l’attaque avec lui. C’est sans compter sur Endou et son indécrottable optimisme.
— Yosh, ça marche !
Megane remonte ses lunettes avec satisfaction tandis que le reste de l’équipe s’étrangle. Aki fait signe à Megane :
— Bon… alors… viens, on va te chercher ton maillot.
Les deux filent vers le local. Endou se tourne vers le professeur en retrait du banc.
— Fuyukai-sensei, on fera son inscription et celle de Matsuno correctement après, ça vous va ?
— Si le club existe toujours… Et si cela convient à nos invités, on ne peut pas les faire patienter plus longtemps ! Vous devez commencer le match.
— Oui oui bien sûr ! Rien que deux petites minutes.
L’homme hoche nerveusement la tête. Kazemaru n’a eu affaire à lui qu’une seule fois, pour remettre son formulaire d’adhésion, et il n’a pas gardé une grande impression du professeur effacé. Fuyukai est le coach du club de foot de Raimon plus par obligation que par passion et ça se ressent. Pour ce que Kazemaru a pu voir jusqu’à maintenant, il laisse l’équipe se débrouiller en se gardant bien d’intervenir et sa présence aux entraînements n’aurait certainement pas changé quoi que ce soit. Même la potentielle fin imminente du club dont il a la charge a plus l’air de le soulager qu’autre chose.
Parmi ses joueurs, le capitaine de la Teikoku a une moue déçue en apercevant le dernier membre de Raimon revenir en courant, le numéro 10 sur le dos. Ce n’est pas vraiment celui auquel il s’attendait. Cependant… Il réclame le ballon d’un claquement de doigt et tire d’une reprise de volée vers Raimon, vers celui qui s’est présenté à lui tout à l’heure et qui porte les gants de gardien. Pris au dépourvu, Endou lève les mains par réflexe. Le choc le fait reculer de deux pas et le ballon continue de tourner longtemps entre ses doigts avant de tomber au sol.
— … on va peut-être quand même s’amuser un peu, constate le capitaine de la Teikoku alors en faisant signe à l’arbitre que le match va commencer.
— Cap’taine ! s’affole Kabeyama.
Le cuir est brûlant, à l’image de ses gants, mais un sourire radieux barre le visage d’Endou lorsqu’il relève la tête vers ses camarades inquiets.
— Ça va être trop bien !
Ceux-ci se demandent s’il n’a pas perdu l’esprit. L’arbitre leur demande de se placer. Kazemaru gagne son poste. Peut-être qu’ils n’ont aucune chance, mais pas une seule seconde il ne songe à abandonner.
***
À l’engagement, l’espace d’une poignée de minutes, Kazemaru est persuadé qu’ils peuvent y arriver. Chercher ses camarades du regard pour voir qui est démarqué et qui appelle le ballon lui vient naturellement. Ils enchaînent les passes en gardant la possession et créent la surprise autant chez leurs adversaires que parmi leur public. Comme à l’entraînement. Matsuno s’insère avec une facilité et une dextérité déconcertantes dans l’équipe, ils ne peuvent pas en dire autant de Megane qui leur fait leur première frayeur en ratant un contrôle. Heureusement, Kazemaru joue de sa vitesse pour éviter la sortie et relance vers l’avant. C’est brouillon, mais ça fonctionne. De ses cages, Endou les pousse vers l’attaque. Le défenseur de Raimon a un frisson dans le ventre quand Shishido se retrouve coincé près du poteau de corner et centre pour Handa, au coin de la surface de réparation. Le numéro 6, idéalement placé, saute et le public retient son souffle tandis que le gardien de la Teikoku se ramasse sur ses appuis. À la dernière seconde, Handa écarte la tête et laisse filer le cuir jusqu’à Someoka, de l’autre côté de la surface. Sans laisser le temps au gardien de se remettre de la feinte, l’attaquant tire. Un frisson d’espoir électrise les joueurs de Raimon. C’est dedans ! C’est… Le portier bondit avec une détente de félin, intercepte le cuir et se réceptionne d’une roulade. Le visage de Someoka se défait.
— Co… Comment ?
Pétrifié sur place, il regarde le gardien jouer un instant avec le ballon entre ses gants avant de remettre en jeu.
— J’ai fait mon taff.
La balle roule jusque dans les pieds de son capitaine qui pose ses crampons dessus.
— Eh… On va leur montrer comment la Teikoku joue vraiment au foot.
À l’autre bout du terrain, Endou presse ses mains l’une contre l’autre, joue de ses pieds dans la terre battue. En un instant, l’équilibre des forces s’inverse.
— Ils arrivent…
Kazemaru partage son ressenti, se repositionne, un poids soudain dans l’estomac. Puis leurs adversaires se mettent en mouvement et son pressentiment se révèle en-deçà de la triste et cruelle réalité. Les joueurs de la Teikoku Gakuen les surclassent. De loin. Ils ne les ont laissés jouer que pour se divertir et c’est désormais à leur tour de s’amuser. En deux passes, ils dépassent la ligne médiane et s’enfoncent dans la défense, ne laissant personne réagir assez vite pour les contenir. Leur numéro 9 reçoit le ballon et, sans prendre le temps de le contrôler ni prêter attention à Matsuno et Shourinji qui lui arrivent dessus, tire. Le ballon fuse droit vers les cages. Kazemaru se retourne, trop lentement. Endou a déjà les deux mains dessus. Les traits du gardien se crispent, ses bras tremblent et il lâche prise. La balle l’entraîne contre les filets avec elle.
La rumeur stupéfaite du public accompagne le sifflement de l’arbitre. La Teikoku Gakuen vient d’ouvrir le score, comme ça. Si facilement. Sans passion ni joie. Juste de l’efficacité pure. Le buteur a déjà fait demi-tour et s’est replacé parmi ses coéquipiers, ils n’ont pas échangé un mot, pas un sourire. Kazemaru cille alors que les autres se précipitent vers Endou. Alors… c’est comme ça, le foot, au sommet du classement national ?
— Désolé, les gars. J’ai pas réussi à l’arrêter.
Endou se relève, frotte sa poitrine engourdie. L’impact de la balle a laissé une marque terreuse sur son maillot vert aux manches orange. Autour de lui, ses coéquipiers s’excusent. Ils n’ont rien pu faire… La bonne volonté qui les a animés jusque-là menace de s’effriter.
— On n’est peut-être pas de taille pour rivaliser… ose Kurimatsu.
Endou ne l’entend pas de cette oreille.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Le match vient juste de commencer ! Donnons le meilleur de nous-mêmes et on va y arriver, je le sais !
Les têtes se relèvent, marquées par la détermination contagieuse d’Endou. Ce n’est que le début, ils vont leur montrer le résultat de leurs entraînements ! L’étincelle dans le regard de son capitaine chasse le doute qui imprègne le cœur de Kazemaru. Pas totalement.
***
Enfin. Enfin la mi-temps et, au bout d’une longue et pénible demi-heure, le score au tableau d’affichage les accable. Dix buts à zéro. Les joueurs de Raimon gagnent péniblement leur banc, leurs maillots bleu et jaune tachés de terre. Kazemaru se laisse tomber par terre en serrant les poings. Ils ont été impuissants, baladés d’un bout à l’autre du terrain par les joueurs de la Teikoku Gakuen et leur jeu agressif, se prenant plus de ballons que les filets d’Endou sans que leurs adversaires ne franchissent jamais la limite des règles. Mais plus que son corps, c’est son ego qui a mal. Il savait dès le départ qu’ils n’avaient aucune chance, mais… à ce point-là ? Aki leur distribue à boire avec une autre élève venue l’aider tandis qu’autour, les spectateurs conversent à mi-voix. Pas besoin d’être à portée d’oreille pour deviner leur défaitisme. Kazemaru tourne la tête vers les joueurs de la Teikoku, rassemblés de l’autre côté du terrain. Qui sont ces gars ? À quoi ça leur sert, d’avoir demandé un match contre une équipe comme la leur ?
— Ils ne sont même pas essoufflés, se plaint Megane, la sueur collant la poussière aux verres de ses lunettes.
Matsuno hausse les épaules, les pompons de son bonnet dansent avec le mouvement.
— Bien sûr que non. Aucun d’entre eux n’a pris la peine de courir.
Shourinji baisse la tête, appuyé contre Kabeyama qui marmonne un truc, à deux doigts de l’hyperventilation. Ils ont essayé de jouer, de garder espoir, vraiment, mais le temps passant, c’est de plus en plus compliqué. L’épreuve physique et l’humiliation qu’ils subissent ne font rien pour aider. Le seul à ne pas se laisser abattre est Endou. Refusant de s’asseoir comme les autres, il se frappe les joues du plat des paumes.
— Bon sang, j’vais pas les laisser s’en tirer comme ça ! C’est nous qui allons les épuiser lors de la seconde mi-temps !
— Les épuiser ? Impossible, annonce Kurimatsu avec fatalité. On est trop crevés.
— Ouais, j’peux plus courir, renchérit Shishido.
— On est obligé de jouer la seconde mi-temps ?
Endou frémit à la question plaintive de Kabeyama et refuse d’écouter plus longtemps leur pessimisme grandir. Les poings sur les hanches, il s’emporte, cherche leurs yeux pour les empêcher de se défiler. Une lueur farouche danse dans les siens.
— Qu’est-ce que vous racontez ? Bien sûr qu’on continue ! Vous avez oublié les enjeux de ce match ? Et personne ne peut savoir avant le coup de sifflet final à qui la déesse de la victoire sourira ! Neh ? Les gars !
Kazemaru relève la tête, croise le regard de Someoka. L’attaquant esquisse un sourire fatigué. Oui, il est tout le temps comme ça. Non, il n’abandonnera jamais. Et puis… Il n’a pas tout à fait tort.
***
La seconde mi-temps est une descente aux enfers. Douloureuse. Viscérale. Les joueurs de Raimon sont coincés sous le rouleau compresseur de la Teikoku Gakuen qui enchaîne les buts. Impatiente. Leurs adversaires attendent, espèrent quelque chose. Autre chose. Kazemaru, Endou et les autres ne sont qu’un prétexte et un moyen de passer leur frustration, dans un jeu toujours plus violent, toujours plus près de la frontière entre ce qui est réglementaire et ce qui ne l'est pas. Le capitaine de la Teikoku récupère le ballon, parcourt le terrain et ses abords du regard, siffle entre ses dents, agacé, avant de faire signe à ses joueurs.
— Ça suffit. Montrons-leur la Death Zone.
À sa manière de le prononcer, à l’étrange vibration qui parcourt l’air, Kazemaru comprend de quoi il s’agit. Une hissatsu technique. Il en a déjà entendu parler, peut-être vu de loin à la télé, ses coéquipiers les évoquent avec des étoiles dans les yeux et ont partagé leur rêve d’en avoir un jour une, mais il n’y a jamais assisté. La curiosité se mêle malgré lui à l’appréhension tandis que trois joueurs de la Teikoku se déploient en transperçant leur défense. Leur capitaine lève la balle haut, bien plus haut que Kazemaru ne pourrait sauter, et ils la rejoignent sans difficulté en tournant sur eux-mêmes, synchrones. Au centre de leurs rotations, autour du ballon en suspension, l’air se densifie en une brume violacée parcourue de décharges. Ces dernières se concentrent dans le cuir et quand les joueurs frappent simultanément dedans, elles l’accompagnent dans sa course folle vers les cages.
Le tir traverse le terrain en un battement de cil. Endou a à peine le temps de lever les mains qu’il est sur lui. Au contact de ses gants, les décharges se libèrent, tempêtent autour des cages de leur lumière violette et crépitent sur ses bras. C’est comme si tous ses sens étaient surchargés en même temps. La douleur l’emporte alors qu’il lâche prise et bascule en arrière. Elle reflue aussi vite qu’elle est apparue et quand Endou rouvre les yeux, il est allongé sur le dos et la balle s’immobilise près de sa tête. Au fond des cages.
— Cap’taine !
— Endou !
— Je vais bien, je vais bien.
Le gardien rassure ses camarades, prend appui deux secondes au sol avant de se relever. Pourtant il est de plus en plus dur de continuer à tenir la face, avec la fatigue et l’inquiétude sur le visage de ses amis. Et leurs égratignures, et leurs grimaces. Son sourire s’élargit.
— Courage, les gars. On va y arriver !
Il ne récolte que des réponses aux bords fanés et des regards fuyants. De l’autre côté du terrain, les derniers éclairs violets s’éteignent autour des tireurs qui rejoignent leur capitaine. Celui-ci, les bras croisés, observe leur attroupement avant de faire voler sa cape par-dessus son épaule lorsqu’il se détourne.
***
Ils vont y arriver. Quel beau mensonge. Il a fait illusion une poignée de minutes avant que les joueurs de la Teikoku ne les ramènent à leur dure réalité. Ils se sont lassés de mettre but sur but et les ont jetés à terre, un à un, encore et encore. Allongé au sol, la joue dans la poussière, Kazemaru n’a pas eu la force de se relever et entend les autres rire. Ils se rient d’eux, minables petits joueurs qu’ils écrasent sous leur semelle comme bon leur semble. Sa bouche se tord. Ce n’est pas le football qu’Endou et les autres lui ont montré. Celui de la Teikoku Gakuen est peut-être fort, mais il est triste, dur. Rien à voir avec celui passionné et pétillant qu’il a découvert à Raimon. Quel est le but de leur tirer dessus et de les faire tomber, encore et encore ? Ils ne cherchent même plus à marquer et s’acharnent sur Endou, le seul qui se redresse inlassablement, pantelant, la mâchoire crispée. Et toujours la même étincelle dans le regard. Le capitaine de Raimon encaisse, hoquète, refuse de céder alors que ses camarades ont renoncé. Kazemaru l’admire. Il l’admire et bout dans ses veines la révolte face au comportement de leurs adversaires. Lui, il n’est peut-être pas un bon joueur, mais il a des principes. Le bouillonnement se propage en lui, il serre les poings, hurle à son corps de bouger. Ses jambes vacillent et ses bras bringuebalent, trop lourds, mais il tient assez debout pour se jeter en avant et écarter Endou d’une main. Un énième tir s’écrase sur sa joue, plus fort qu’il ne le pensait. Et Endou encaisse des coups pareils depuis tout à l’heure ? La question incrédule le traverse alors qu’il se sent valser dans les filets, le souffle coupé.
— Kazemaru !
Endou se penche sur lui, il plisse les paupières. Comment fait-il pour ne pas perdre son étincelle malgré tout ? Il voudrait lui demander, mais il est trop sonné pour ça. Son capitaine glisse son épaule sous son bras. Le contact est réconfortant, alors qu’il l’aide à s’écarter. Comme si la douleur qui percluait son corps s’estompait.
— Je comprends ce que tu ressens. Je ferai tout pour protéger nos cages !
Kazemaru opine, s’éloigne en boitillant et s'assoit lourdement, abandonné par ses jambes.
— Pour l’instant, tu n’as même pas été capable de les protéger une seule fois, remarque le capitaine de la Teikoku.
Il jongle avec la balle et la lève pour l’un de ses coéquipiers. Endou claque ses gants l’un contre l’autre, plus déterminé que jamais.
— Ce tir, je vais l’arrêter !
À cet instant, Kazemaru le croit.
— Hyakuretsu Shot !
Une nouvelle hissatsu technique. En l’air, l’attaquant au maillot vert martèle le cuir dans une salve dévastatrice et un double coup de talons le propulse vers les cages. L’énergie qui s’y est accumulée illumine son sillage. Endou plante ses talons dans le sol, tend les mains. Le ballon lui retourne les phalanges, le choc se répercute dans ses bras, dans tout son corps. Il tient bon. Sous les yeux ébahis de Kazemaru, des autres joueurs comme du public, l’espace d’une poignée de seconde, son étincelle a quitté ses yeux pour rayonner autour de ses gants. La balle semble ralentir. Le pied du gardien arrête de glisser, ses bras de trembler. Puis la lumière se dissipe, le ballon ripe et percute Endou en plein visage pour finir sa course dans les buts. Le gardien s’effondre sous les cris effarés de ses coéquipiers et d’une partie du public tandis que l’arbitre siffle. Dix-neuf à zéro.
Alors que l’engagement revient à Raimon, Megane est le seul debout. Il tremble de tout son corps tandis que ceux de la Teikoku se tournent vers lui en souriant. Il n’aurait jamais dû se relever. Il ne veut plus jouer. C’est… C’est trop ! Il n’est pas venu pour ça ! En pleurs, il fuit le terrain à travers le public qui s’écarte, jette dans l’herbe le maillot tant réclamé. Kazemaru n’est pas vraiment surpris, mais il ne peut s’empêcher d’être déçu.
— Vous me faites pitié.
Le capitaine de la Teikoku s’approche d’Endou, pose son pied sur la balle que personne n’est venue ramener au centre.
— Abandonnez, assène son voisin.
— Vous n’arriverez jamais à mettre le moindre but, renchérit celui qui vient de tirer.
— S’ils y arrivent, on déclare forfait, hein, Capitaine ? propose un autre.
Le reste de son équipe éclate de rire. Kazemaru fixe ses jambes, leur ordonne de se déplier, en vain. Son regard part dans le flou, quelque part en face, là-bas, où la tâche jaune du maillot abandonné tranche dans le gazon. L’arbitre s’apprête à siffler l’abandon de Raimon.
— Pas encore !
Le cri d’Endou prend tout le monde par surprise.
— Ce n’est pas… encore fini !
Il est debout malgré ses jambes vacillantes et la terre sur son maillot, les poings serrés.
— Ce n’est pas encore terminé ! On ne déclarera pas forfait !
— Tu veux continuer à jouer ?! s’insurge le numéro 9 adverse.
Kazemaru ferme les yeux. Il voudrait se boucher les oreilles pour ne pas entendre le tir, le grognement d’Endou, la validation d’un nouveau but. Alors… c’est fini… Vraiment fini ? C’est ainsi que leur histoire va s’achever ? Les échangent défaitistes des spectateurs enflent. Eux aussi, il voudrait ne pas les entendre. Puis il réalise que la nouvelle vague mêle surprise et stupéfaction. Rouvrir les paupières lui est pénible. En face, dans la pelouse, le maillot a disparu.
Chapter 3: Quand ça vaut le coup d'y croire
Chapter Text
Le public s’écarte à mesure que la rumeur grossit. Je le connais. Je l’ai vu l’année dernière. Mais oui, moi aussi ! Tu te rends compte, même si ce n’était qu’un premier année, il a été l’un des meilleurs joueurs du Football Frontier ! Kazemaru entend vaguement les phrases qui s’entrecroisent, les yeux rivés sur celui qui entre sur le terrain. Celui-ci a récupéré le maillot abandonné par Megane et le porte comme s’il lui était destiné. La détermination qu’il dégage dissuade qui que ce soit de l’arrêter, accentuée par l’air sévère que lui donnent ses sourcils clairs, presque blancs à l’image de ses cheveux, qui tranchent sur sa peau mate. Puisque je te dis que c’est lui ! Celui qui a disparu pour la finale. L’attaquant vedette de Kidokawa Seishuu, Gouenji Shuuya ! Le nom se répète sur toutes les lèvres. Il est familier aux oreilles de Kazemaru. Endou leur en a parlé. C’est le nouveau qu’il voulait absolument recruter.
Son arrivée provoque l’intervention de l’arbitre et celle, précipitée, de Fuyukai.
— Attendez, il ne fait pas partie de notre clu…
Le capitaine de la Teikoku l’interrompt d’un mouvement de main et, contre toute attente, prend la défense du nouvel arrivant.
— Ça nous va.
Gouenji le foudroie du regard mais ne fait qu’élargir son sourire. L’arbitre hausse les épaules et valide le changement. Si les membres de la Teikoku sont d’accord… Se désintéressant d’eux, Gouenji s’avance jusqu’aux cages de Raimon et Kazemaru le regarde avec hébétude. À l’image d’Endou ou de la Teikoku, il a une présence sur le terrain. Ni écrasante comme celle de leurs adversaires, ni lumineuse comme son capitaine, mais… chaude. Et plus il s’approche, plus la sensation se diffuse dans le corps de Kazemaru. Endou s’appuie au poteau, fait un pas vers Gouenji qui le retient au dernier moment lorsqu’il trébuche.
— Je savais que tu allais venir !
— Eh… Tu vas bien ?
— Hum !
Endou lève son sourire radieux vers lui. Il n’a jamais douté, pas une seconde, que Gouenji finirait par les rejoindre.
— T’es en retard !
Un sourire flotte sur les lèvres de Gouenji. Eh… Oui. Peut-être bien. Il ne lâche Endou que lorsqu’il est certain qu’il tiendra sur ses jambes. Autour, les autres se relèvent à leur tour. La fatigue leur laisse un peu de répit, chassée par la chaleur que Gouenji propage. Ce dernier se place en attaque aux côtés de Someoka en ignorant délibérément les regards insistant des joueurs de la Teikoku. Ils le démangent, comme leurs sourires à la satisfaction glaçante.
Raimon engage mais la Teikoku Gakuen n’a plus de temps à perdre et récupère le ballon dans la foulée.
— C’est parti pour la Death Zone ! ordonne leur capitaine.
Les trois mêmes joueurs que précédemment s’exécutent aussitôt et tracent dans les airs leur triangle violet autour du ballon. Ceux de Raimon retiennent leur souffle. Ils ont déjà vu ce dont est capable l’hissatsu technique et ne tiennent pas réellement à renouveler l’expérience. À l’inverse, Gouenji se met en mouvement. Il court droit sur la trajectoire de la balle lorsque les autres frappent. Kazemaru voudrait lui crier que c’est de la folie mais est pris de court lorsque l'attaquant se glisse sous les éclairs et poursuit sa remontée du terrain. Un doute se propage. Est-il en train de fuir, comme Megane juste avant lui ?
Endou claque ses gants. Non. Plante ses talons dans le sol. Gouenji attend qu’il lui fasse la passe. Ferme les poings. Parce qu’il lui fait confiance pour arrêter le tir. Se focalise sur le ballon qui fond sur lui, menaçant. Et si Gouenji croit en lui, il n’a aucune raison de douter. La chaleur laissée par le contact de Gouenji se répand, allume quelque chose dans sa poitrine. L’air autour de lui se trouble, lumineux. Droit devant, le numéro 10 danse. Il ne peut pas le décevoir. La sensation grandit, se répand dans tout son corps. Le ballon n’est plus qu’à quelques mètres. Endou tend la main, paume ouverte, et dans son geste canalise l’énergie accumulée. Une autre main apparaît, lui arrachant un cri. Immense et dorée, ni tout à fait tangible ni vraiment opaque, éblouissante. Exactement comme la description de son grand-père. La God Hand.
Le ballon s’écrase dans la paume de sa nouvelle main. Le contact provoque un éclair qui remonte son bras avec une décharge. Endou tient bon, aveuglé. Il sent ses pieds glisser sur le sol, son bras trembler, la force fluide courir dans son corps pour alimenter la main géante avec une précision jusque-là inconnue. Et quand la lumière dorée s’éteint, quand l’hissatsu technique se dissipe, sous les yeux stupéfaits des joueurs et du public, sous les siens, le cuir fume dans la paume de son gant. Il… il l’a arrêté… Il l’a arrêté ! Endou inspire sans oser y croire, pourtant un sourire irrépressible monte sur ses lèvres. Il y pensera plus tard. Pour le moment, il va se contenter de se laisser porter. Il a arrêté le tir, maintenant il doit faire la passe.
— Yosh ! Gouenji !
Deux pas d’élan et la balle traverse le terrain. Tout le monde est trop sonné pour faire le moindre geste pour l’arrêter. Gouenji est le seul à reprendre ses esprits à temps. Il contrôle le ballon, le lève d’un coup de talon et saute à sa suite. Il s’enroule sur lui-même à mesure qu’il monte et des flammes jaillissent autour de ses jambes. Endou écarquille les yeux, émerveillé. Gouenji a une hissatsu technique !
— Fire Tornado !
Le tir déferle sur les cages de la Teikoku Gakuen, auréolé de feu. Sous le coup de la surprise, le gardien réagit avec un temps de retard et se brûle en vain le bout des gants. Le ballon, stoppé par le filet, retombe au sol tandis que la vague de chaleur se dissipe. Gouenji atterrit sur le coup de sifflet de l’arbitre. Après une seconde de silence, le public laisse jaillir sa joie et son incrédulité. Endou éclate de rire.
— On l’a fait ! On a marqué !
Les trois coups de sifflet prennent tout le monde par surprise. Mais… Le chronomètre leur donne encore dix minutes. L’arbitre les détrompe :
— La Teikoku Gakuen déclare forfait. Le match est terminé.
… Vraiment ?! Endou pensait que l’autre blaguait tout à l’heure. Pourtant les joueurs de la Teikoku Gakuen se retirent du terrain, accompagnés des commentaires incrédules des spectateurs et des regards abasourdis des joueurs de Raimon. Kurimatsu et Kabeyama se tournent vers Endou, comme pour lui demander s’ils ne rêvent pas. Le capitaine de la Teikoku frôle Gouenji le sourire aux lèvres, sa cape claque dans son dos. Au moment de monter dans son bus, sur le marchepied, il se retourne une dernière fois et croise le regard d’Endou qui le soutient avec bravache. Puis la porte se ferme et dans le même grondement sourd qu’à son arrivée, le véhicule se met en branle et disparaît au coin de la rue.
Le calme qui revient est irréel. Pas longtemps. Alors que le public se disperse aussi abruptement que le match s’est terminé – alors que ça commençait tout juste à être palpitant ! À quoi viennent-ils d’assister, en fait ? – l’équipe de Raimon se regroupe autour de son capitaine, surexcitée. Ils parlent tous en même temps avant de laisser passer Gouenji. Endou lui tend la main :
— Je suis tellement content que tu sois venu ! Ton hissatsu technique est incroyable ! C’est un nouveau départ pour le club de foot. Gouenji, jouons au foo…
L’intéressé passe son maillot par-dessus sa tête.
— … Ne compte pas sur moi.
Gouenji pousse le vêtement contre la poitrine d’Endou et fait volte-face. Il a la chair de poule, entre le vent frais, le contrecoup de son hissatsu technique et le vertige de ne rien avoir à faire là où il est. Dans un réflexe, il porte la main à la chaîne autour de son cou. Endou, un instant étonné, le regarde s’éloigner torse nu et récupérer ses affaires au bord du terrain, les doigts serrés sur le tissu bleu et jaune. Même à travers ses gants, il sent la chaleur qui l'imprègne. Puis il se reprend et sourit.
— Eh, Gouenji… Merci ! Merci beaucoup !
— Cap’taine, tu ne le retiens pas ? demande Kabeyama.
Endou secoue la tête – si Gouenji est venu une fois les aider, il arrivera bien à le convaincre de revenir plus tard – et tend le doigt devant lui.
— Regardez, les gars !
Les visages se tournent vers le panneau d’affichage. Vers le 1 inscrit sous le nom de Raimon.
— Ce point. C’est le point de départ de Raimon ! Notre point de départ, celui de notre histoire !
Radieux, Endou dresse le poing vers le ciel. Emportés par son élan, les autres l’imitent.
— Ouais !
Puis Endou redevient sérieux.
— Les gars… on a gagné… Vous savez ce que ça veut dire…
Le club est sauvé. C’est la réponse à laquelle Kazemaru s’attend mais qui ne semble traverser l’esprit d’aucun autre tellement il s'agissait déjà d'une certitude à leurs yeux. Non, à place, les premières années répondent avec enthousiasme :
— Tous au Rairaiken !
— Même si on avait perdu on y serait allé, soupire Handa.
Someoka hausse les épaules :
— Ouais, sans doute… mais c’est pas grave.
Kazemaru sourit. Eh, ce n’est pas grave. Depuis le bord du terrain, Aki leur fait signe :
— Venez vous changer avant de partir !
Ils s’exécutent bruyamment et se hâtent vers le local. Au passage, Endou s’arrête devant la fille aux lunettes rouges qui a aidé Aki à la mi-temps et qui a passé la seconde partie du match avec elle, encore là alors que tous les autres spectateurs sont partis. Il l’a déjà croisée depuis le début de l’année, dans les couloirs ou quand elle parlait avec les membres des autres clubs, creuse dans sa mémoire à la recherche de son nom.
— Tu es du club de journalisme neh ? Otonashi…
— Otonashi Haruna ! Mais tu peux m’appeler Haruna. Et oui, je fais bien partie du club de journalisme ! Pourquoi ?
— Donc tu sais des trucs ?
— Ça dépend, quel genre de trucs ?
— Comment s’appelle le capitaine de la Teikoku Gakuen, j’ai pas eu le temps de lui demander.
La question trotte dans un coin de la tête d’Endou depuis le début du match et pouvoir enfin la poser le soulage. Haruna fronce brièvement les sourcils avant de lui répondre.
— Kidou Yuuto. En deuxième année.
— Hum… Merci.
Endou s’incline sans remarquer son trouble et court rejoindre les autres qui s’impatientent.
***
— Quelque chose t’inquiète.
Suki cligne des paupières et revient à la réalité. Le regard d’Hibiki la dissuade de répondre que tout va bien. Elle se mordille la joue, ramène son attention sur les cookies dont la cuisson touche à sa fin. Accroupie devant le four, elle serre ses bras autour de ses genoux, cale son menton dessus, avant de se décider à répondre :
— Il y a quelque chose de… de bizarre avec leur match, à Raimon.
Son mauvais pressentiment n’a pas disparu. Au contraire. Il a grandi au fil de la semaine et creusé sa place dans sa poitrine. Elle se la frotte sans y penser, dans une vaine tentative d’effacer la sensation désagréable. Ni Endou ni aucun des autres ne sont repassés depuis vendredi dernier. Est-ce qu’ils ont réussi à avoir onze joueurs ? De l’autre côté de la vitre, la pâte a pris une jolie couleur dorée et l’odeur sucrée embaume le restaurant, encore vide en cette fin d’après-midi. Ils ne devraient plus tarder. Elle éteint le four, sort les biscuits, les dispose dans un plat, trop vite pour leur laisser le temps de lui brûler le bout des doigts, jette un œil à l’horloge.
L’inquiétude de sa protégée préoccupe Hibiki. Il a appris avec le temps à se fier à son instinct et à ne pas, surtout pas, la sous-estimer. Elle se rince les mains, se fige, pâlit en s'agrippant au rebord de l’évier.
— Qu’est-ce qu’il y a ?
Il s’approche, plein d’appréhension. Suki, désormais transie, marmonne entre ses dents :
— Je sais… je sais contre qui ils ont joué.
Au pli qui creuse son front, Hibiki redoute de le deviner aussi. Les doigts tremblants, elle dénoue son tablier.
— Je… je peux pas…
Elle grimace, recule vers l’arrière de la boutique et tire la porte derrière elle au moment où celle donnant sur la rue s’ouvre.
***
Suki ne revient qu’à la nuit tombée. Les derniers clients sont partis, les chaises sont rangées sur les tables, il n’y a plus que la lumière au-dessus de l’évier d’allumée. En l’entendant, Hibiki sort le bol de nouilles qu’il a gardé au chaud, met la bouilloire sur le gaz. Ce n’est pas la première fois qu’elle disparaît ainsi pendant des heures et après s’être inquiété trop de fois, Hibiki a obtenu la promesse qu’elle le tienne au courant. Pour cela, malgré les réticences de Suki et la rareté d’un tel appareil chez les adolescents de son âge, il lui a acheté un portable et elle fait l’effort de le garder suffisamment chargé pour lui répondre ou lui envoyer un message. Il ne lui demande pas un roman, juste le nécessaire, qui se résume souvent au strict minimum. Ça lui suffit. Aujourd’hui, c’était le même message laconique que tant d’autres fois. Au gymnase. Gymnase est sans doute un bien grand mot pour désigner le local aménagé à deux pas du restaurant dont Hibiki a les clés. Le bâtiment a cependant l’avantage d’être aveugle et déserté par son propriétaire, si bien qu’il est devenu le refuge de Suki lorsqu’elle a besoin de chasser ses pensées. Celle-ci se laisse tomber sur un tabouret, les vêtements collés à sa peau par la sueur, glisse sous son béret une mèche sombre qui s’en échappe. Malgré la fatigue, elle devine où se sont assis les garçons, où chacun a pris place. Là, il y a une empreinte avec laquelle elle est moins familière et deux qu’elle ne connaît pas. Une gamine aux cheveux courts et à la tête sur les épaules, plus que le reste de l’équipe, qui a l’air d’être la manageuse, un roux avec un bonnet rigolo, et un gamin qui disparaît derrière ses cheveux et qui n’a pas dû lâcher plus de deux mots, lui décrit Hibiki. Suki a une moue indéfinissable à la mention du dernier. Ils ont aussi parlé d’un garçon à lunettes qui n’est pas venu… Suki joue distraitement avec ses baguettes sans entendre le flottement de la dernière phrase d’Hibiki avant de lâcher :
— Ils ont joué contre la Teikoku Gakuen… neh ?
Ce n’est pas vraiment une question et Hibiki se contente d’acquiescer.
— Comment ça s’est passé ?
— De ce que j’ai compris… Ils ont eu leurs onze membres au dernier moment et le match a été compliqué, mais ils ont réussi à marquer un but et les autres ont déclaré forfait.
— Hum…
Suki mange en silence, la bouilloire siffle.
— Je ne comprends pas.
Hibiki remplit les tasses, en pose une devant elle, l’encourage sans un mot à dérouler ce qui lui encombre l’esprit.
— Tu sais… tu sais aussi bien que moi que le oni ne fait jamais rien au hasard.
Le oni. Celui dont prononcer le nom est insupportable à Suki, celui dont même évoquer l’idée la met au bord des nerfs. Celui qui est, oh, bien des choses, notamment un être détestable de l’avis d’Hibiki, mais aussi le coach de la Teikoku Gakuen. Le restaurateur retient un grondement méprisant. Kageyama. Suki, les mains serrées autour de sa tasse, souffle :
— Ce match ne peut pas être un hasard. Il a forcément une raison cachée…
Hibiki reste silencieux. L’espace d’une fraction de seconde, il hésite à dire quelque chose, avant de renoncer et de changer de sujet :
— Tu sais, ils ont mangé tous tes cookies et certains ont demandé pourquoi tu n’étais pas là.
Il considère le plissement de nez qu’il lui arrache comme une victoire.
— Qu’est-ce que tu leur as répondu ?
— Que je t’avais envoyé faire une course urgente à l’autre bout de la ville. Y’en a un qui a dit que j’étais un patron horrible.
— Hum, il a pas tort. Un vrai tortionnaire.
Elle esquive de justesse le torchon qu’il lui jette.
***
Dès le samedi matin, consacré aux clubs et aux cours de soutien, l’équipe se réunit au local malgré la fatigue et les courbatures. Ils sont désormais trop nombreux pour la poignée de chaises, en majorité inutilisées jusqu'à il y a peu. La plupart s'assoient par terre, les autres se répartissent entre le meuble bas qui sert de casiers et les pneus, stockés ici depuis leurs entraînements de la semaine précédente. Kazemaru s’adosse au mur à côté du tableau blanc, Endou se plante devant celui-ci. Et quand il s’adresse à l’assemblée devant lui, les chuchotements – lui aussi il a des bleus partout ? Les étirements n’ont rien changé à ses courbatures. Même s’il fait peur, Kidou-san est impressionnant, un jour il voudrait être un milieu comme lui. Ils croient que ça va être pareil à tous les matchs ? Pour ça faudrait qu’ils en aient d’autres… – cessent.
— Le match d’hier nous a permis de voir quel était notre problème, et donc…
— C’est pas compliqué, ils étaient plus forts que nous sur tous les points.
Adossé contre la pile de pneus au fond du groupe, les bras croisés derrière la nuque, Matsuno énumère :
— Premièrement, on manque clairement de force physique. Ensuite on n’avait pas vraiment de jeu d’équipe, je veux dire, ce n’était pas si mal, mais par rapport à leurs passes, on était ridicule. Et puis si on doit parler des hissatsus techniques…
Il prend conscience de l’étrange silence qui s’est installé et des mines défaites de ses camarades.
— … Ah. Hum. Désolé. J’aurais pas dû dire ça ?
Kazemaru secoue la main – … ce n’est pas grave – et fait signe à Endou de reprendre là où il en était. Ce dernier débouche un feutre.
— Eh bien, en effet, nous devons entre autres renforcer notre puissance physique et notre cohésion… J’ai pensé à cette formation pour nous aider à progresser. C’est basé sur le cahier de mon grand-père.
Kazemaru jette un œil au carnet posé sur le coin de la table. Pour lui, il reste un ensemble de gribouillis incompréhensibles. Comment fait Endou pour comprendre ce qu’il contient ? Ce dernier dessine sur le tableau. Intérieurement, le capitaine exulte. Il en a toujours rêvé, mais l’absence de joueurs et de matchs l’en ont privé jusque-là et c’est la première fois qu’il a l’occasion de le faire. Le sérieux de l’instant, le crissement du feutre, le silence de ses joueurs qui l’observent faire, c’est exactement comme il l’avait imaginé. Il trace son numéro 1 dans ses cages en dernier et s’écarte, fier de lui.
— Heeeeeein ?! Je ne suis pas attaquant ?
Les regards circonspects se posent sur Megane. Plus d’un parmi eux était perplexe de le trouver avec eux ce matin et passer milieu avec le n°12 au lieu de juste prendre la porte, c’est déjà pas mal, neh ?
— Est-ce qu’un déserteur comme toi a son mot à dire ? marmonne Handa.
Megane pique un fard et remonte ses lunettes pour se donner une contenance :
— J’appellerais plutôt ça une retraite stratégique.
Il ne convainc personne et Endou soupire. Megane a beau leur avoir sauvé la mise en les rejoignant au dernier moment, il commence à voir ce que lui reprochaient ses joueurs. Cependant, malgré sa fuite, il fait partie du groupe et Endou espère bien lui apprendre l’esprit d’équipe et l’amour du football. Sans compter qu’ils ont encore besoin de lui pour rester à onze.
— Euh, Capitaine ?
— Shishido ?
— On ne va pas recruter Gouenji-san ?
Someoka se renfrogne sur sa chaise alors que Shourinji et Kurimatsu approuvent avec ardeur.
— C’est vrai, renchérit Megane en saisissant l’opportunité de changer de sujet. Si nous avons réussi à marquer et donc à gagner, c’est grâce à Gouenji-kun après tout.
— C’était juste un coup de chance.
Le grondement de Someoka les fait sursauter. Il se lève en les foudroyant du regard :
— Je vais vous montrer ce qu’est le véritable football !
— Someoka ?
Assis à ses pieds, Handa le dévisage, aussi stupéfait que le reste du groupe. Someoka souffle. Pourquoi est-ce qu’ils veulent autant que l’autre les rejoigne ? En plus…
— En plus, Gouenji a dit qu’il ne voulait plus jouer.
Les regards se tournent vers Endou, qui hésite. Gouenji a en effet été plutôt clair là-dessus, mais tout espoir n’est pas perdu…
— Je n’en suis pas encore sûr.
— Même toi, Endou, siffle Someoka, déçu, les poings sur les hanches. Tu dépends trop de lui.
— C-ce n’est pas vrai !
Si. Totalement. Ils n’ont pu marquer que grâce à lui. Le club n’existe encore que grâce à son arrivée providentielle et son magnifique but.
— On peut y arriver sans lui ! s’emporte Someoka. Vous devez avoir plus confiance en nous !
Pourquoi ils n’ont pas confiance en lui ? Lui aussi, il peut marquer et faire gagner son équipe ! À cet instant la porte coulisse.
— Les gars, il y a quelqu’un pour vous.
Aki se fige sur le pas de la porte en découvrant l’étrange ambiance.
— Il s’est passé quelque chose ?
— Ouais… hum…
Avant qu’Endou n’ait le temps d’élaborer dans ses balbutiements, Aki est forcée de se décaler pour laisser entrer la personne derrière elle. Endou reconnaît Raimon Natsumi, la fille du président du conseil d’administration du collège. Celle qui a menacé de fermer le club en cas de défaite. Son apparition dans l’encadrement les pétrifie. Endou ne s’attendait pas le moins du monde à la voir débarquer ici. Dans l’uniforme du collège, avec sa chemise blanche et sa jupe plissée, elle paraît beaucoup trop propre pour leur local. Le menton relevé et les mains croisées devant elle, celle-ci scrute les lieux, plisse le nez.
— Ça sent mauvais.
Sa remarque réveille Someoka qui apostrophe Aki en pestant :
— Qu’est-ce qu’elle fait là ?
— Elle a quelque chose à annoncer, alors…
Face à l’excuse désolée d’Aki, Natsumi se reprend tandis que Someoka détourne le regard en soufflant du nez et annonce avec plus d’assurance :
— Grâce à votre résultat d’hier, votre club a échappé à la dissolution.
Endou essaie de faire bonne figure mais ne mène pas large. Pourquoi est-ce qu’elle l’intimide autant ? Sans doute parce qu’elle a droit de vie et de mort sur son équipe, et qu’elle n’hésite pas à le leur rappeler. Elle sourit. Pourquoi est-ce qu’elle sourit ?
— Vous allez donc faire d’autres matchs. Et votre prochain adversaire a été décidé.
Avec un plaisir non dissimulé, Natsumi savoure son effet.
Chapter 4: Petite sœur
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La perspective de leur prochain match, dans une semaine tout pile, survolte l’équipe et ses membres n’ont pas perdu une minute après l’annonce pour filer à la rivière. Aki les a suivis en soupirant qu’il faudra vraiment qu’elle réussisse à réserver le terrain du collège, monopolisé par les autres clubs. En attendant, ils se débrouillent et donnent tout ce qu’ils ont. Someoka, particulièrement, met ardeur et intensité dans chacune des actions, un peu trop même. Il tacle Matsuno, s’attire les foudres de Handa lorsqu’il fait tomber Kageno en l’agrippant violemment au maillot pour récupérer le ballon
— Eh ! Someoka, c’est une faute ça !
L’attaquant fait la sourde oreille et remonte le terrain sous les regards médusés de ses camarades. La seule chose qui compte, c’est le but en face. Kazemaru se porte à son niveau.
— Someoka, attends !
L’attaquant le repousse, tire de toutes ses forces. Le ballon s’écrase contre la transversale et roule derrière les cages dénuées de gardien. Kurimatsu court le chercher. Someoka se laisse tomber à genoux, essoufflé, dépité. Non. Bien plus que dépité. Furieux. Contre lui-même, contre son incapacité à marquer, contre ce ballon qui refuse d’entrer dans les buts, contre…
— Qu’est-ce qui t’arrive, Someoka ? s’enquiert Endou.
Le gardien a traversé le terrain et s’accroupit à côté de lui. Le numéro 11 dans son dos se soulevant et s’abaissant au rythme désordonné de sa respiration, Someoka ne répond pas. La frustration lui bloque la gorge, il frappe le sol du poing en tempêtant, incapable de mettre de l’ordre dans ses pensées et des mots sur sa colère.
— Pas comme ça ! C’est pas comme ça !
— Someoka-san, tu étais trop brutal.
Le reproche attire un regard noir à Shishido.
— Ce n’est pas vrai !
— Bah… quand même…
Endou tapote l’épaule de Someoka quand il se relève, autant pour le réconforter que pour le dissuader de monter dans les tours. Ça n’empêche pas l’attaquant d’ouvrir la bouche pour une nouvelle remarque acerbe.
— Eh, les garçons ! Venez voir ! le coupe Aki en appelant depuis le banc.
L’équipe se regroupe autour de la manageuse en compagnie d’Haruna. Après avoir assisté au match de la veille, celle-ci a fait part à Aki de son envie de s’impliquer dans l'équipe. Aussi a-t-elle mis en action ses talents de journaliste pour trouver des informations sur leur prochain adversaire. Mais Aki ne s’attendait pas à ce qu’elle s’exécute aussi vite ! Les oreilles se font attentives.
— L’Institut Okaruto est un autre collège de la région de Kanto. Ils ne se sont pas particulièrement illustrés dans une compétition ces dernières années, mais…
Elle marque un temps d’arrêt, les scrute.
— Vous n’avez vraiment jamais rien entendu des rumeurs à leur sujet ?
Ils secouent la tête. Someoka lève les yeux au ciel. Haruna mordille le bout de son crayon, feuillette son petit carnet jusqu’à la bonne page et lit les informations collectées :
— Eh bien, de ce qu’on dit… Ils laissent des malédictions sur leur passage. En tout cas, c’est ce que sous-entendent les articles que j’ai trouvés, je cite, ceux qui ont joué contre l’Institut Okaruto ont tous eu beaucoup de fièvre trois jours plus tard.
— Peut-être que quelqu’un de l’Institut Okaruto était malade ? rationalise Endou.
Aki lui fait signe de se taire et Haruna poursuit.
— Lors de leur dernier match, alors qu’un joueur adverse s’apprêtait à tirer, ses jambes se sont subitement arrêtées de bouger.
Someoka cesse d’écouter. Ce ne sont que des bêtises, au pire de mauvaises coïncidences, et du temps perdu au lieu de s'entraîner. À côté de lui, l’imagination fertile de Kabeyama n’en demande pas plus pour propager son inquiétude aux autres. Le seul qui ne se laisse pas impressionner est Kageno – tout ce qui touche aux esprits et aux malédictions le passionne. Même Endou ne fait pas le fier tandis qu’il s’efforce de calmer les esprits.
— Ce sont juste des rumeurs…
Mais sa voix manque de conviction et Shourinji chuchote à Kurimatsu :
— Nous avons vraiment besoin de Gouenji-san…
Kurimatsu approuve et Someoka, juste derrière eux, explose :
— Qu’est-ce que vous racontez ?
Pourquoi est-ce qu’il faut qu’ils ramènent tout à Gouenji ?
— On n’a pas besoin de lui. Je marquerai les buts. Si vous avez besoin d’un attaquant, il y en a un là !
Il pointe sa poitrine du pouce, défie quiconque de le contredire, la respiration sourde. Handa abonde dans son sens :
— Ouais, c’est le bon état d’esprit !
Les deux garçons se sont rencontrés à leur entrée au collège, il y a presque un an et demi, et depuis Handa a appris à connaître celui qui est devenu son ami. Assez pour savoir que les mentions incessantes à Gouenji sont en train de le sortir de ses gonds. L’ambiance morose se réchauffe quand Matsuno suit sa lancée :
— C’est bien aussi de faire de notre mieux avec les membres que nous avons.
Kazemaru et Endou approuvent.
— Mais, Capitaine, intervient Shourinji. Si Gouenji-san n’était pas venu, le club aurait été dissous.
Les traits de Someoka qui se décrispaient se referment aussitôt. Kurimatsu enchaîne :
— Tu as dit toi-même que nous n’avions pas le droit de perdre ce match, Cap’taine. Et l’Institut Okaruto semble effrayant…
— Les gars, si on dépend trop des autres, on ne peut pas devenir plus fort ! tranche Endou.
Une manière comme une autre de mettre fin à la discussion, de rassurer les premières années aussi, et surtout de relancer l’entraînement. Tergiverser ne sert à rien et ne fera pas venir Gouenji non plus. Aki et Haruna échangent un regard lorsque les garçons repartent en courant. Avant même le match, les malédictions de l’Institut Okaruto ont atteint l’équipe de Raimon.
***
Suki ralentit en traversant le pont, jette un œil par-dessus la rambarde. Elle s’arrête en apercevant Someoka en bas. Le reste de l’équipe s’est dispersé en fin de journée entre les obligations familiales et scolaires, mais lui est revenu. Seul, il enchaîne les frappes dans la dizaine de ballons qui s’étalent devant lui. Certains entrent dans les cages, les autres s’écrasent contre les poteaux ou passent à côté. L’ardeur qu’il met dans ses gestes, teintée de rage et de détermination, picote le bout des doigts de Suki. Quand il n’a plus de ballons dans lesquels tirer, le garçon s’interrompt, les mains sur les genoux et le front baigné de sueur. Suki s’accoude au garde-corps, l’observe récupérer son souffle et les balles. Et recommencer.
Alors que ses allers-retours se multiplient, Suki se mordille la joue. Il a changé, depuis la dernière fois qu’ils sont venus au Rairaiken, non ? Elle ne le connaît pas assez pour en être certaine, mais derrière la frustration qui ne quitte pas son visage, les tonalités de son aura ne sont plus les mêmes. Ou ce sont les reflets du soleil couchant qui lui jouent des tours. Suki secoue la tête, fronce les sourcils. Le soleil… il n’était pas si bas à l’horizon quand elle est arrivée, si ? Une étoile solitaire perce déjà sur la toile mauve du ciel. En pestant intérieurement contre elle-même, elle se détache de sa contemplation et se hâte. Elle est encore en retard…
***
Kazemaru entend Endou avant de le voir. S’il a abandonné pour aujourd’hui le pneu qu’il porte parfois sur le dos, Endou s’entraîne, comme à son habitude, avec celui, énorme, suspendu à l’arbre. Il lui applique un mouvement de balancier et tente de contrer son retour en tendant la paume vers l’avant et à grands renforts de cris.
— Je savais que je te trouverais là.
Kazemaru regrette aussitôt d’avoir attiré l’attention de son camarade quand ce dernier tourne la tête vers lui et ne voit pas le pneu lui revenir dans la figure.
— Désolé…
— Humhum, t’inquiète !
Aidé par son ami à se relever et à gagner le banc, Endou le rassure. Plus de peur que de mal. Avec un soulagement non dissimulé, il retire ses gants et révèle ses mains, rouges et marquées. Kazemaru, tout en fouillant dans son sac, demande :
— Tu as changé ton entraînement, non ?
— Eh ! J’essaie de reproduire ce que j’ai fait contre la Teikoku. C’était la God Hand, j’en suis sûr ! Huh ? Merci !
Endou attrape avec plaisir la bouteille tendue et boit à grandes gorgées. Kazemaru sourit avant de redevenir sérieux. S’il est venu ici, c’est aussi pour partager ses inquiétudes.
— Someoka n’a pas l’air d’aller très bien.
Endou essuie son menton dans sa manche, et se penche en avant, soudain concentré.
— Hum. Je ne m’attendais à ce qu’il dise tout ça.
— C’est toi qui le connais le mieux… Mais je crois que je le comprends. Il est dans l’équipe depuis le début et Gouenji lui vole la vedette avec une seule action avant de repartir… Je peux comprendre aussi que les premières années placent leurs espoirs en Gouenji. En même temps, après avoir vu quelque chose d’aussi impressionnant que son tir… Difficile de ne pas se sentir démuni. Mais on ne peut pas compter que sur lui. Alors… je partage la volonté de Someoka de se donner à fond et devenir plus fort.
— Eh… Ça serait bien si tout le monde pensait comme toi.
Kazemaru tourne la tête, étonné, vers Endou :
— Ce n’est pas le devoir d’un capitaine de les amener à penser comme ça ?
Endou le dévisage. Capitaine. Jusqu’à il y a peu, il n’en avait que le titre, sans toutes les implications qu’il y a derrière. Il n’en est qu’au début de son apprentissage. Heureusement que Kazemaru est là pour lui remettre les pieds sur terre.
— Tu as raison.
Il se lève, déroule le fil de sa pensée :
— Tout le monde pense que si Gouenji joue avec nous, la victoire sera facile. Ils oublient que le football est un sport de onze joueurs. Je… Je ne vais plus essayer de convaincre Gouenji de rejoindre l’équipe. Et je vais essayer de faire comprendre aux autres que ce n’est pas la peine de l’attendre. On va devenir plus forts avec nos membres actuels, c’est ce qu’il y a de mieux, et on va gagner notre prochain match. Tu te rends compte, Kazemaru ? Si on le gagne, Natsumi a dit qu’elle nous inscrirait au Football Frontier ! … Bon, elle a aussi dit que si on perdait le club serait dissous… encore. Mais je le sais, on va réussir !
— Eeeeh… Ça me semble un joli discours, ça, Capitaine.
Endou scrute vers Kazemaru, mais il n’y a aucune mesquinerie dans sa voix. Juste un sourire franc. Endou le lui rend. Capitaine. Oui, il a décidément encore beaucoup de choses à apprendre.
***
— N’oublie pas de revenir pour midi !
Endou répond vaguement au rappel de sa mère avant de filer. Le dimanche, c’est plus rapide de rejoindre la tour à pied que d’attendre un bus et s’il ne veut pas rentrer en retard et pouvoir tout de même s’entraîner convenablement, il n’a pas de temps à perdre. Et puis, courir l’échauffera. Son sac battant contre sa cuisse, Endou traverse les rues qu’il connaît par cœur, trépigne aux feux rouges et dépasse les rares passants jusqu’à ce que la tour et sa colline apparaissent de l’autre côté du bloc. Une voiture le dépasse, sur le trottoir d’en face une veste orange attire son regard. Gouenji ? Il ralentit pour s’assurer qu’il ne rêve pas. C’est bien son camarade qu’il vient de croiser, les mains dans les poches. Il ne semble pas l’avoir remarqué. Endou hésite une seconde avant de faire demi-tour et de lui emboîter le pas.
Ralenti par les feux de circulation défavorables, Endou n’arrive pas à combler son retard et perd Gouenji de vue. Il le retrouve en accélérant, juste le temps de le voir disparaître à nouveau à l’intersection suivante. Enfin, dans la dernière ligne droite, alors qu’il grignote les mètres qui les séparent et qu’il est sur le point de l’interpeller, Gouenji passe un immense portail ouvert. Endou l’imite et pile en reconnaissant la grande bâtisse qui le surplombe et l’écriteau sur son mur. L’hôpital général d’Inazuma. Des dizaines de questions déferlent dans son esprit. L’hôpital ? Mais pourquoi ? Que vient faire Gouenji ici ? Il est malade ? Blessé ? C’est pour ça qu’il ne veut plus jouer au foot ? Est-ce qu’il peut encore le suivre ? Cette dernière question le fait douter au milieu de la cour tandis que Gouenji franchit la porte vitrée. Le battant se referme et Endou prend sa décision. Il est allé trop loin pour renoncer maintenant.
Personne n’a fait attention à lui dans le hall à l’ambiance feutrée. Endou a raté de peu le départ de l’ascenseur dans lequel est entré Gouenji et l’a vu partir sous ses yeux pour le deuxième étage. Essayer de le prendre de vitesse par les escaliers lui a valu un rappel à l’ordre. Il se trouve maintenant dans un couloir vide où les portes s’enchaînent, toutes identiques. Endou avance sans savoir derrière laquelle son camarade a disparu et aussi, un peu, pourquoi il est ici. Ce qui semblait une bonne idée ne lui en paraît plus tellement une et tous les débuts de justification qui lui viennent meurent les uns après les autres dans son esprit. Ses yeux glissent sur les noms à côté des portes sans savoir ce qu’il cherche. Est-ce qu’il s’est trompé d’étage ?
— Je vais changer l’eau, je reviens.
C’est la voix de Gouenji, étouffée, de l’autre côté de la porte devant laquelle Endou se tient. La seconde d’après, celle-ci s’ouvre. Endou sursaute, Gouenji se fige dans l’encadrement, un vase de fleurs dans les bras.
— Toi…
— Euh… Eh bien… essaie de se reprendre Endou, l’esprit blanc de toutes ses excuses avortées.
Son regard s’égare par-dessus l’épaule de son camarade, juste le temps d’apercevoir un lit et des perfusions avant que Gouenji ne tire la porte dans son dos.
— Qu’est-ce que tu fais là ?
Il n’a pas l’air en colère, plutôt surpris. Fatigué aussi.
— Je…
Endou laisse mourir sa phrase et baisse les yeux. Maintenant qu’il y réfléchit, il est vraiment ridicule. En tricotant l’air de ses doigts, il répond avec maladresse :
— Je t’ai vu entrer là par hasard, alors je me suis demandé si tu n’avais pas arrêté le football à cause d’une blessure, ou quelque chose comme ça.
Il relève la tête vers Gouenji, accélère le débit pour ne laisser aucune place au doute :
— Je veux dire, je comprends que tu voulais juste nous aider, l’autre jour. Je ne suis pas ici pour te demander de rejoindre l’équipe. Je ne te le demanderai plus. Je suis désolé d’avoir autant insisté. Comment dire ça… ?
Sa voix meurt dans sa gorge. Gouenji n’a pas cillé. Endou se raidit, plaque les bras le long de son corps et s’incline en s’exclamant, sans doute trop fort pour les lieux :
— Je suis désolé !
Silence. Silence qui s’éternise. Inquiet, Endou se relève. Le visage de Gouenji, immobile, reste indéchiffrable. Incapable de supporter plus longtemps de croiser son regard, Endou déporte le sien sur l’écriteau à côté de la porte. Gouenji Yuuka.
— Qui…
Il étouffe la question qui franchit ses lèvres toute seule. Gouenji semble se réveiller.
— C’est ma petite sœur.
Endou tressaille. Gouenji pousse un profond soupir.
— Bon sang, je ne sais pas quoi faire de toi.
Endou se mord la lèvre, conscient qu’il n’a eu de cesse d’entrer dans l’espace personnel de son camarade. Ce dernier glisse un œil dans le couloir – sa réticence à laisser qui que ce soit pénétrer dans la chambre derrière lui le freine mais il souhaite encore moins attirer l’attention – et finit par ouvrir la porte.
— Maintenant que tu es là… Entre. Je reviens.
— O-ok…
Endou s'avance dans la pièce, s’arrête à mi-chemin entre la porte et le lit en découvrant l’enfant allongée dans ce dernier. Reliée à des perfusions et à une machine qui bipe doucement, elle semble dormir, trop petite pour les draps immenses. Ses tresses châtaines s’étalent sur l’oreiller et Endou reconnaît dans les traits de son visage ceux de son camarade derrière la rondeur de l’enfance. Gouenji revient, pose le vase sur une commode couverte de babioles.
— Elle s’appelle Yuuka. Elle est dans le coma depuis… depuis… depuis presque dix mois.
Sa voix s’essouffle quand il réalise que tant de temps a passé. Le silence envahit la chambre jusqu’à ce qu’il s’arrache à ses pensées et se tourne vers Endou :
— Je vais te raconter. Tu ne vas pas me laisser tranquille jusqu’à ce que je le fasse de toute façon, pas vrai ?
Endou s’apprête à démentir, même si la curiosité qu’il sait mal placée lui brûle le ventre, mais remarque une lueur dans le regard de Gouenji. Comme si ce dernier ne lui disait pas tout. Comme si, maladroitement, malgré ses mots, il avait envie d’en parler, de partager le poids qu’il porte sur ses épaules. Alors, silencieusement, Endou hoche la tête et Gouenji commence :
— C’est arrivé l’année dernière, pour la finale du Football Frontier.
— Entre Kidokawa Seishuu et la Teikoku Gakuen ?
— Hum. Elle avait hâte de voir le match. Elle était venue m’encourager.
La main de Gouenji remonte sur sa poitrine, attrape à travers le tissu le pendentif argenté qu’Endou a aperçu l’autre jour.
— C’est… c’est la dernière fois que j’ai vu le sourire de Yuuka. On s’est séparés devant le stade. Elle est partie vers l’entrée des tribunes avec Fuku-san, je suis allé rejoindre les vestiaires. Mais avant d’y arriver… J’ai appris qu’elle s’était fait renverser.
— C’est pour ça que tu…
Gouenji ferme les yeux, les minutes, les heures interminables d’angoisse et de terreur sortent de sa mémoire pour succéder derrière ses paupières.
— Je suis directement allé à l’hôpital. Mon père était médecin dans une autre ville et Yuuka a été transférée là-bas pour qu’il puisse s’en occuper. On a déménagé en conséquence, j’ai changé d’école. La semaine dernière, mon père a obtenu sa mutation ici. L’hôpital d’Inazuma est très réputé, il voulait… il veut ce qu’il y a de mieux pour Yuuka. Il lui a obtenu une place, on a à nouveau déménagé et Raimon a accepté de me prendre en cours d’année.
Il se laisse tomber sur le tabouret au chevet du lit.
— Si… si je n’avais pas joué au football, rien de tout cela ne serait arrivé à Yuuka.
Ses mains agrippent son pantalon dans une vaine tentative de ne pas trembler. Endou fait semblant de ne pas entendre les accrocs dans sa voix quand il reprend :
— Je ne peux plus jouer. Pas tant qu’elle ne se sera pas réveillée. … J’en suis incapable. Comment pourrais-je m’amuser comme si de rien n’était alors qu’à cause de moi… ? Et pourtant…
Il relève la tête, croise le regard d’Endou avec un drôle de sourire triste sur les lèvres.
— Encore maintenant… je me demande pourquoi j’ai fait ça.
Pourquoi est-ce qu’il a attrapé le maillot abandonné par Megane ? Pourquoi il est entré sur le terrain ? Pourquoi est-ce que, l’autre jour, il n’a pas pu s’empêcher de s’interposer entre le ballon et Mako ? Peut-être… peut-être parce qu’elle lui faisait penser à Yuuka.
— Mon corps a bougé tout seul. Comme si, l’espace de ces quelques minutes, ça n’avait plus d’importance. Comme si mon esprit avait oublié.
Parce qu’il vit pour le football, ça se voit, il le respire. Endou garde ses mots pour lui et baisse les yeux, penaud.
— Je t’ai fait rappeler quelque chose d’aussi douloureux… Je t’ai harcelé pour que tu rejoignes le club, sans rien savoir… Je suis désolé.
Endou se recule d’un pas. Il se sent soudain de trop dans la pièce. Gouenji ne bouge pas. Endou réalise le courage qu’il lui a fallu pour lui raconter ce qu’il vient de lui dire, à quel point son intrusion est déplacée.
— Je ne dirai rien à personne. Je… je vais te laisser.
C’est le moins qu’il puisse faire.
— Comment va le club ?
La question de Gouenji, principalement de politesse même si la curiosité sincère perce au travers, l’arrête sur le pas de la porte. Endou se retourne, le sourire aux lèvres.
— Notre prochain match a été planifié. Il est samedi prochain. Grâce à ton tir, tout le monde travaille dur. Merci.
Endou referme la porte derrière lui, descend lentement les escaliers, traverse en sens inverse le hall qui s’est encore vidé. Il est trop tard maintenant pour qu’il aille à la tour et… à vrai dire, il n’a plus trop la tête à ça. Sa mère va être surprise de le voir rentrer si tôt.
Gouenji ferme les yeux quand il entend les pas d’Endou s’éloigner. Ses mains refusent d’arrêter de trembler. Pourquoi est-ce qu’il lui a raconté tout ça ? Pourquoi est-ce que ça lui fait aussi mal ?
Chapter 5: Et gronde le dragon
Chapter Text
Suki n’a aucune raison de passer par le pont dès le lundi. Pas de course à faire, pas de détour prévu. Juste sa curiosité. Quand elle arrive, Someoka, sorti plus tôt des cours, est déjà là comme s’il n’était pas parti depuis l’autre soir. Il tire et peste avec rage. Contre les balles qui ratent les cages, contre celles qui rebondissent sur les poteaux et aussi, surtout, contre celles qui s’écrasent mollement dans les filets. Ce n’est pas assez ! Pas assez fort, pas assez bien. Suki plisse les paupières. À chaque tir, un grondement sourd s’élève avant de se faire avaler par les remous de l’aura du garçon. Celui-ci ne s’en est sans doute pas aperçu tant il est faible. À peine une note à la limite de l’audible, perdue dans le bouillonnement de son énergie, pas encore prête à éclore. Le reste de l’équipe apparaît à l’autre bout du terrain. Suki s’attarde encore un peu. Rien qu’une minute. Le temps de voir Kazemaru prendre au pied levé, un peu paniqué, les rênes de l’échauffement quand Endou invite Someoka sur la pente herbeuse. Puis elle se détache de sa contemplation et tourne les talons.
Endou jette un œil sur le côté – il a cru apercevoir quelqu’un sur le pont – avant de reporter son attention vers son camarade.
— Ne te surmène pas trop, Someoka. Ce n’est pas bon si tu te blesses maintenant.
— Je ne veux pas être sermonné par quelqu’un qui s’entraîne aussi durement avec des pneus.
Le ton de Someoka tranche avec celui d’Endou qui rit en s’allongeant à côté de lui, les bras derrière la nuque. L’attaquant s’est étalé et a ôté ses chaussures. Le regard d’Endou se perd dans le bleu du ciel, un sourire soulève immanquablement ses lèvres.
— Tu sais, je suis tellement heureux de pouvoir jouer avec vous tous. On dirait enfin du véritable football !
Comme Someoka reste muet, doucement, il lui demande :
— À quoi tu penses ?
Somekoa ne répond pas immédiatement. L’air grave, il se redresse, cale ses bras sur ses genoux, observe leurs coéquipiers qui courent en contrebas en passant une main dans ses cheveux ras.
— Je suis jaloux…
Les mots semblent peser des tonnes entre ses lèvres.
— De quoi ?
— De Gouenji… Juste en se montrant, il a changé la partie toute entière. Je peux comprendre que les premières années veulent qu’il rejoigne l’équipe. À côté de lui… peut-être que je ne suis pas fait pour être attaquant.
Someoka marque une pause. Endou inspire, se retient à la dernière seconde, à deux doigts de lui révéler que pour Gouenji tout n’est pas rose non plus, mais il a promis de garder le silence. Et puis, il n’est pas certain que ça aiderait Someoka. Ce dernier n’a rien remarqué de son trouble et poursuit :
— Quand il a fait son tir, je me suis demandé ce qu’il en aurait été si ça avait été moi. Tu te rends compte ? Il a une hissatsu technique… Je veux être aussi fort que lui. Je veux pouvoir faire un tir comme ça moi aussi.
Endou bondit sur ses pieds. Ça, c’est quelque chose pour lequel il est capable d’agir !
— Yosh ! Je vais t’aider à trouver ton tir ! Avec ça, on gagnera contre l’Institut Okaruto !
— C’est impossible ! Combien de jours penses-tu qu’on a avant le match ?
L’ardeur qui animait précédemment Someoka s’est évaporée en ouvrant ses doutes à son capitaine et l’immensité de la tâche qui l’attend, le peu de temps qu’il leur reste se dressent comme des obstacles insurmontables. L’entrain d’Endou refuse cependant de s'essouffler.
— C’est pourquoi on doit faire de notre mieux !
— C’est plus facile à dire qu’à…
Endou lui passe un bras autour de l’épaule, les yeux brillants de détermination :
— Ne deviens pas comme Gouenji. Tu es Someoka Ryuugo. Tu as ton propre football, non ? Aie davantage confiance en toi ! On va te trouver ta propre hissatsu technique !
— Mon football…
Comment Endou se débrouille-t-il pour toujours trouver les mots justes ? Pourquoi est-ce que son sourire est aussi contagieux, aussi lumineux ? Est-ce qu’il se rend compte que certains joueurs courent pendant des années derrière les hissatsus techniques avant d’en réussir une, voire n’y parviennent jamais ? Et il voudrait qu’il y arrive en moins d’une semaine ? Mais, curieusement, à cet instant, ça ne fait plus peur à Someoka qui se lève, le cœur battant.
— Yosh, je vais le faire ! Mon football ! Mon tir, ma technique !
***
Endou suit le ballon des yeux. Il se rapproche, sa possession alterne entre les membres de l’équipe. Par un jeu de passe, il parvient à Someoka. Ce dernier prend le temps de le contrôler avant de tirer. Le cuir trace droit vers les cages. Endou jurerait avoir vu un éclat de lumière autour mais il n’a pas le temps de s’y attarder, trop occupé à refermer ses bras dessus. L’impact le force à reculer, le souffle brièvement coupé. Someoka a gagné en puissance ! Ce dernier râle de son énième échec, Endou refuse de le laisser s’apitoyer et l’encourage :
— C’était super ! On y retourne !
Le gardien dégage, les autres se précipitent vers le point d’atterrissage, il claque dans ses gants. Yosh ! Ils doivent continuer ainsi. Et ils gagneront ! Son regard s’égare un instant vers le haut du pont, où il croit apercevoir à nouveau quelqu’un – quelqu’un d’autre ? – mais l’appel de Kazemaru le ramène à l’ordre. L’instant d’après, ses gants chauffent contre le cuir et il oublie sa distraction.
***
La semaine file à une vitesse phénoménale. Haruna a débarqué un jour au local en décrétant qu’elle avait quitté le club de journalisme pour rejoindre celui de foot et s’insère depuis avec énergie et enthousiasme dans la routine naissante de l’équipe. Les nouveaux trouvent leurs marques auprès de leurs aînés, et tous les soirs ils se retrouvent au bord de la rivière ou, plus rarement, à la tour. Là-bas, sous la vigilance des manageuses, ils s’entraînent jusqu’à la tombée de la nuit et plus encore, jusqu’à ce que leurs jambes soient lourdes, jusqu’à ce que le ballon leur échappe. Kazemaru prend régulièrement la tête de l’entraînement avec Endou et Someoka, avec de plus en plus d’assurance. Chaque jour, Endou constate avec plaisir l’évolution de l’équipe. Évolution physique, mais pas que. L’hypothétique venue de Gouenji n’a plus été évoquée et les piques adressées à Megane se sont adoucies en réponse à son implication. Cependant, celui qui a fait les plus gros progrès, c’est Someoka.
Son jeu s’est apaisé et ses contacts agressifs ont disparu. Épaulé par ses camarades, il explore sa manière de jouer, cherche ce qui fait ses particularités. Son football, son tir, sa technique. Endou en est désormais certain, les frappes de l’attaquant brillent d’une lueur bleutée et traînent dans leur sillage comme un rugissement. Il le constate une fois de plus, alors que Someoka s’est défait de Shishido et de Kageno et vise ses cages. Le ballon manque encore de puissance pour échapper à son emprise – vraiment pas beaucoup – mais la vibration qui roule sous le cuir traverse ses gants, remonte le long de ses doigts, gronde dans sa poitrine avant de dissiper en le laissant pantois. Il lève la balle bien haut, crie :
— Yosh ! Continue comme ça, Someoka ! Faisons-le encore une fois !
— Eh !
Les autres renchérissent à leur tour, Endou envoie le cuir à l’autre bout du terrain. Sourit. Ils vont gagner.
***
Suki ramasse les verres vides, essuie les traces d’un coup de chiffon. Dehors, le ciel se colore d’or, les habitués ne vont plus tarder. En attendant que la relative effervescence ne s’empare du petit restaurant, elle laisse ses pensées vagabonder. Les joueurs de Raimon sont venus plusieurs fois cette semaine, juste le temps de prendre un encas avant de retourner s’entraîner. Elle les a observé discuter joyeusement, bruyamment, faire leurs devoirs en vitesse sur le coin des tables pour certains et repartir aussi vite qu’ils sont arrivés dès leurs plats engloutis. Ils la fascinent. Les particularités de leurs auras s’unissent dans la lumière de celle d’Endou. Comment mettre des mots sur le débordement de sensations qu’ils déclenchent sur leur passage ? Et celui qui a le plus changé… De nouvelles nuances, de nouveaux reflets, prennent vie dans les replis de l’aura de Someoka et une ombre scintillante s’enroule autour des épaules du garçon, de plus en plus impatiente de pouvoir s’envo…
— Daburu, c’est pas le moment de rêvasser !
Hibiki la rappelle à l’ordre tandis que les premières chaises se remplissent et elle se remet aussitôt à la tâche. Elle attend avec une certaine impatience qu’ils passent, tout à l’heure.
***
Qu’est-ce qu’il fait encore ici ? Il l’ignore. Pourtant, ses pas ont mené Gouenji jusqu’au pont du haut duquel il a une vue imprenable sur le terrain en contrebas. Encore. Comme tous les soirs, après la sortie des cours, avant d’aller voir Yuuka. Il ne croit pas que les autres l’aient remarqué. Tant mieux. Il n’aurait rien à leur répondre s’ils lui demandaient les raisons de sa présence. En bas, Endou fait signe de se replacer, certains vont boire au banc en riant. Le poids dans son ventre s’alourdit. Ça lui manque. Le terrain, le ballon, l’ivresse de l’effort, la camaraderie, la… c’était quoi déjà ? le feu-émotion, comme ils l'appelaient quand il était petit, dans son ventre qui ne demande qu’à être libéré. Mais le plomb dans ses jambes, la culpabilité et l’odeur du désinfectant l’empêchent de bouger. Ils rendent ses souvenirs sur le terrain lointains et flous. Le football, c’est fini pour lui.
Enfin, c’est ce qu’il croyait. Jusqu’à ce qu’Endou débarque dans sa vie et ébranle ses certitudes. Jusqu’à ce qu’il craquelle de son sourire, de son insistance, de sa joie contagieuse, l’épaisse couche grise qui recouvre sa vie. Et depuis, Gouenji se pose des questions. Des questions douloureuses qui l’amènent ici chaque soir sans trouver de réponse.
Une voiture s’avance sur le pont, ralentit, s’arrête dans son dos. Il jette un œil par-dessus son épaule et reconnaît derrière la vitre qui se baisse la fille du président du conseil d’administration du collège aperçue lors de son inscription.
— Bonjour, le salut-elle.
Il répond du bout des lèvres. Elle ne se laisse pas démonter par son manque de loquacité :
— Je me demande, est-ce ton chemin habituel pour rentrer des cours ?
Il détourne le regard sans rien dire. Non, ce n’est pas son chemin. Loin de là. Et il est bien trop tard, il devrait être déjà parti depuis longtemps…
— Je me suis permise de me renseigner sur ta situation, ainsi que sur celle de ta petite sœur.
Gouenji fait aussitôt volte-face. À ses sourcils froncés et son teint plus pâle, Natsumi a touché en plein dans le mille. Elle a désormais sa pleine attention et attend qu’il dise quelque chose. Il ne semble cependant pas vouloir faire le premier pas. Au bout de dix interminables secondes, il glisse ses mains dans ses poches et fait mine de l’éloigner.
— Elle te convient, cette situation ? le retient-elle.
Il voudrait lui hurler que non. Non, elle ne lui va pas. Il meurt d’envie de descendre les rejoindre. Mais il ne peut pas. Il n’y arrive pas.
— Mêle-toi de tes affaires, gronde-t-il.
Malgré son avertissement, elle insiste. Pire. Elle gratte dans les fissures provoquées par Endou.
— Qui aurait le plus envie de te voir jouer, selon toi ?
Il ferme les yeux. Un visage s’impose. Yuuka. Ses grands yeux rieurs, son sourire éclatant, ses tresses qui rebiquent de chaque côté de sa tête. Comme si elle était là, devant lui. Exactement comme le jour où… Il entend vaguement Natsumi dire quelque chose et la voiture repartir. Sous son T-shirt, son pendentif le brûle. Les jambes subitement faibles, il se retient à la rambarde. Un frisson le parcourt, un autre visage surgit l’espace d’une fraction de seconde de ses souvenirs. Dis, je pourrai venir te voir jouer un jour, Shuuya ? Il rouvre les yeux, le corps couvert d’une sueur glacée. La pénombre le surprend. La nuit s’est installée sans qu’il ne s’en rende compte. Il est vraiment en retard. Pourtant, il ne part pas.
***
Les lampadaires viennent de s’allumer. C’est le dernier soir, leur dernière chance. Le match est demain et il ne perdra pas. Il trouvera son hissatsu technique et surpassera Gouenji ! À travers la sueur qui lui coule dans les yeux, Someoka réceptionne la passe d’Handa. Avant même de frapper, au moment où il touche le cuir, il le sent. C’est différent. Cette fois, c’est la bonne. C’est obligé, accompagné de ses coéquipiers, de leurs encouragements, il ne peut que réussir. Son élan l’emporte. Un cri qui tient plus du rugissement monte de son cœur, le ballon s’illumine de l’intérieur. Someoka frappe. Il frappe et l’air danse autour de lui tandis qu’une forme sinueuse, écailleuse, part avec le cuir, grondant dans son sillage.
Endou est planté sur ses appuis, concentré. Il suit les échanges de balle, attend de deviner lequel d’entre eux tirera. Il sent un sursaut dans son ventre quand Someoka lève la jambe, change l’équilibre de son corps et écarquille les yeux en apercevant la lumière. La vision du dragon bleu qui fond sur lui, de ses yeux rougeoyants et de ses crocs le figent sur place. La bête frôle son épaule et s’étiole dans les filets qui arrêtent le ballon pour lui. Endou n’a pas bougé. Il n’en a pas été capable. Et même maintenant, son corps ne lui obéit toujours pas. Son esprit est trop occupé à essayer de comprendre ce qu’il s’est passé. Le ballon ressort et roule à ses pieds.
Les échos du cri de Someoka – de celui de la créature – s’éteignent, laissant un silence irréel parmi les joueurs, stupéfaits. L’attaquant pantèle, tous les muscles contractés, partagé entre l’immense fatigue qui s’abat sans prévenir sur ses épaules et l’ivresse irrésistible qui monte.
— Im… impressionnant !
Kurimatsu récupère sa voix en premier. Kazemaru s’ébroue à son tour :
— C’était différent de tous les autres tirs… c’était…
— J’ai pas rêvé… il y avait bien un dragon qui rugissait ?!
Handa prend Shourinji à témoin, imite de ses mains un claquement des mâchoires. Il a dû halluciner. Mais ils ont tous vu la même chose. Endou retrouve enfin sa mobilité et court se jeter contre Someoka :
— Someoka, ce tir est incroyable ! Ton tir !
Celui-ci vacille sous l’impact, répète en rigolant, incrédule :
— Mon tir… C’est… C’est mon tir ! Mon hissatsu technique !
— Someoka ! Someoka-san ! Tu as réussi !
Ils sont tous là, à le féliciter, à lui donner un coup de poing dans le bras, sur la poitrine, à rire. Tant de sourires, tant de joie, de fierté dans leurs yeux. Là, il se sent bien. Puissant. Capable de supporter les attentes qui reposent sur lui. Endou sautille sur place, lève un doigt.
— Yosh ! Il faut trouver un nom à ta technique !
Les propositions fusent, toutes plus délirantes les unes que les autres, et s’entrecroisent dans la nuit. Someoka les refuse en secouant la tête. Il faut un nom qui claque, qui en impose, comme son dragon. Un nom qui rugisse, qui annonce que le but est inévitable. Il s’interrompt en remarquant un mouvement sur le côté et Endou suit son regard. Dans la semi-pénombre, quelqu’un s’approche.
— Gouenji ?
Les conversations se taisent. Soudain au centre de toutes les attentions, le nouveau venu s’immobilise. Il semble un peu perdu. Endou fait abstraction du qu’est-ce qu’il fait là ? que lâche Someoka en grondant à mi-voix et de l’excitation des autres pour se concentrer sur Gouenji. Celui-ci ouvre la bouche, hésite.
— Endou, je…
Gouenji fait glisser son regard sur le groupe devant lui. Le silence dans lequel ils l’observent le met mal à l’aise. Qu’est-ce qu’il fait là ? Ils le prendraient pour un fou s’il leur disait que le tir de Someoka l’a appelé. C’est pourtant la vérité, ça a été plus fort que lui, son corps a bougé tout seul et avant qu’il ne le réalise, il se laissait glisser le long de la pente herbeuse. Il est désormais trop tard pour faire demi-tour. Son cœur bat à mille à l’heure. Mais… il n’a pas envie de faire demi-tour. Non, ce qu’il voudrait, ce qui le démange depuis le début et qu’il a enfin trouvé le courage d’accomplir…
— J’aimerais rejoindre l’équipe.
Gouenji dissimule comme il peut que les quelques mots le laissent essoufflé mais les autres sont si estomaqués qu’ils ne remarquent rien. À la fois si facile et si dur à dire. Plus de retour en arrière possible. Un immense sourire apparaît sur le visage d’Endou.
— Gouenji… ! Bienvenue.
***
Ils ne sont pas venus. Pendant qu’Hibiki décroche les fanions et verrouille la porte, Suki fait danser son doigt sur le rebord de sa tasse. Le restaurant ferme et les joueurs de Raimon ne sont pas passés. Elle soupire, croise ses bras sur le comptoir, y cale sa tête.
— Ça ne va pas ?
— Sisi…
— Tu veux aller les voir demain ?
Suki fait signe que non. Hibiki remplit à nouveau leurs tasses, les volutes de vapeur vont se perdre vers le plafond. Elle n’en a pas envie. Peut-être qu’elle a peur, aussi. Un miaulement précède l’avertissement d’Hibiki.
— Kibô ! Pas sur le…
Trop tard. Sourd aux protestations du maître des lieux, le chat se faufile entre les jambes de ce dernier, saute sur un tabouret et de là au comptoir pour aller se frotter à la main de Suki. Les caresses distraites de celle-ci déclenchent un concert de ronronnement. Pourtant… Elle se mord l’intérieur de la joue. Quelque chose apparu dernièrement dans les replis des auras des garçons lui est familier.
Chapter 6: Un aperçu des Enfers
Notes:
Gouenji a rejoint l'équipe ! Ce n'est pas pour autant que tout va bien se passer...
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Chapter Text
Même si le match ne se tiendra qu’en début d’après-midi, Endou a demandé à Gouenji de venir tôt. Dès l’ouverture du secrétariat, ils sont allés faire son inscription et, en revenant au local, Gouenji revêt son maillot – celui de l’autre jour, le numéro 10 – avec le même naturel que la première fois. Peu à peu, le reste de l’équipe arrive. Même s’ils étaient tous là la veille, Endou fait les présentations en bonne et due forme :
— Gouenji est maintenant un membre officiel du club de Raimon. J’espère que vous vous entendrez bien !
D’un signe de tête, il incite Gouenji à ajouter quelque chose. Rien ne vient à ce dernier qui scrute la dizaine de joueurs lui faisant face. Leur entrain et l’admiration qu’il lit dans les yeux de certains le mettent mal à l’aise.
— Je m’appelle Gouenji Shuuya, répète-t-il en désespoir de cause.
À travers le groupe, les discussions qui se veulent discrètes bruissent. Gouenji-san est avec eux ! Ils n’ont plus rien à craindre s’échangent Shishido et Shourinji à voix basse. Kurimatsu et Kabeyama opinent. De l’autre côté du local, Someoka lui jette un regard en biais et proteste :
— Attendez, vous attendez quoi de lui exactement ? Qu’il vous fasse gagner en claquant des doigts ? On n’a pas besoin de lui. L’équipe a mon hissatsu technique, non ?
— Il n’est pas question de te remplacer, Someoka, intervient Endou. L’équipe a deux attaquants maintenant, c’est plus rassurant !
Megane ouvre la bouche pour protester, se retient. Il n’a pas vraiment son mot à dire. Someoka ignore son capitaine et se plante devant Gouenji :
— Pour l’attaque, je suis amplement suffisant !
Même si Someoka le surplombe d’une tête, Gouenji se contente d’un mouvement d’épaules, les bras croisés. Laisse tomber. Il n’en faut pas plus pour que Someoka l’attrape par le col, furieux. Il se moque de lui ?! Kazemaru se dépêche de les séparer et Endou déploie toute la diplomatie dont il est capable pour calmer Someoka, épaulé par Handa. Pendant qu’ils l’incitent au calme et qu’il leur répond de manière cinglante, les premières années, restés en retrait, en profitent pour poser à Gouenji plein de questions dont il perd le fil. Sur lui, sur son club d’avant, sur sa Fire Tornado, sur ce qu’il est capable de faire, sur… Il y en a tant qu’il aurait bien du mal à y répondre si déjà ils lui laissaient l’espace de le faire. À la place, il écoute d’une oreille leur monologue enthousiaste, l’esprit occupé par une phrase que répète régulièrement Fuku-san, la nourrice qui s’occupe de lui et de Yuuka depuis qu’ils sont petits. La colère est le masque des autres sentiments, souvent de la peur. Lui… comment peut-il effrayer Someoka et son dragon ?
***
Le reste de la matinée file à une vitesse folle. Endou insiste pour qu’ils s’entraînent, au moins pour s’échauffer, pour familiariser Gouenji avec l’équipe. Ils s’exécutent dans une ambiance tendue ponctuée de silences qui se prolonge durant le repas. Quand Haruna et Aki leur font signe qu’il est l’heure, le temps s’est dégradé et des nuages grisâtres cachent le soleil. Sur la pelouse autour du terrain, le public est plus nombreux que la fois précédente. Leurs encouragements les accompagnent dans l’attente de l’arrivée de l’Institut Okaruto, lourds de leurs espérances après l’exploit de la semaine dernière.
— Excusez-moi… Je peux me mettre ici ?
Un étudiant en uniforme de l’école s’est avancé jusqu’au banc et interpelle Aki. Il porte autour du cou un petit présentoir et une paire de lunettes aux verres sans monture.
— Je m’appelle Kakuma Keita, du club de Shogi. Appelez-moi Keita, c’est plus simple. Si vous me le permettez, j’aimerais commenter le match. Voyez-vous, je suis passionné de football.
— Hum… je ne pense pas que ça pose de problème. Tu en penses quoi, Haruna ?
Comme Aki ne reçoit pas de réponse de la part de sa cadette, elle fait le choix d’accepter et fait signe à Keita de prendre place. Il s'assoit à côté d’elle en la remerciant et sort des fiches de sa poche. Aki y lit les noms de joueurs des deux équipes que Keita récite de mémoire à mi-voix avant de s’en désintéresser et de se retourner vers Haruna. Cette dernière est bien là, mais son attention est ailleurs. Là-bas, vers le portail, deux garçons sans uniforme se tiennent à l’écart et observent les joueurs se préparer. Leurs tenues induisent Aki en erreur avant qu’elle ne reconnaisse les étranges lunettes de l’un d’eux. Elle pose une main sur l’épaule de sa cadette :
— Ils sont de la Teikoku, c’est ça ?
— Hum, Kidou Yuuto, capitaine et milieu de terrain, et Sakuma Jirou, attaquant, récite nerveusement Haruna.
— Ne te fais pas de souci, ils doivent juste être venus regarder.
— Hum…
Même si Aki se veut rassurante, Haruna ne lui répond qu’à moitié, plongée dans ses pensées.
Gouenji a lui aussi repéré les deux joueurs de la Teikoku à leur arrivée – la veste rouge a remplacé la cape du premier, l’autre a gardé son cache-œil. Depuis, leurs regards pèsent désagréablement sur sa nuque. S’échauffer lui permet de faire semblant de les ignorer. Du coin de l’œil, il aperçoit Natsumi s’avancer vers Endou, en train d’ajuster ses gants sur le banc. Elle l’a ignoré, tout à l’heure, lorsqu’ils se sont croisés dans les couloirs, comme si leur échange de la veille n’avait jamais eu lieu. Ça l’arrange.
Le gardien se lève à l’approche de la fille du président du conseil d’administration du collège et lance la discussion en premier.
— Si on gagne, l’école nous inscrit au Football Frontier, neh ?
— Oui, c’est ma promesse, mais… n’oublie pas que si vous perdez…
— Je sais, je sais, l’interrompt Endou en claquant son poing dans sa paume, un sourire en travers du visage. Mais ça n’arrivera pas ! On ne perdra pas.
Natsumi considère un instant son assurance sans faille avant de s’éloigner en passant la masse bouclée de ses cheveux auburn par-dessus son épaule. Quelqu’un parmi leur public est le premier à remarquer ceux qui franchissent le portail :
— Ils sont là !
Le ciel s’assombrit et les branches des arbres s’agitent. Les chuchotements accompagnent la progression des nouveaux arrivants vers le terrain. Endou déglutit. L’air semble se troubler autour des joueurs de l’Institut Okaruto. Mais la soudaine chute de température n’est due qu’aux nuages devant le soleil et au vent frais, n’est-ce pas ? Ce n’est pas le moment de se laisser démonter ! Endou se tourne vers son équipe, regroupée derrière lui :
— Yosh ! C’est parti !
Les réponses sont moins vigoureuses qu’il l’aurait souhaité.
Voir leurs adversaires alignés devant eux pour la salutation des équipes ne les rend pas moins intimidants. Au contraire. Les joueurs de Raimon ont le loisir de distinguer tous les petits détails chez eux qui donnent froid dans le dos. Les cernes profonds de l’un, le reflet rouge dans les yeux d’un autre, les teints pâles voire maladifs, un marmonnement incessant, des rires secs et nerveux, les grigris et maquillages qui parfont leurs personnages. Le capitaine a carrément un bandeau avec un énorme œil peint au milieu qui lui couvre les siens pour un effet des plus saisissants. Comment fait-il pour voir ? Endou est partagé entre le mal-être et l’admiration. Il a hâte qu’eux aussi trouvent leur identité d’équipe pour qu’on les retienne et qu’on les reconnaisse direct en compétition ! Dans la rangée de ses camarades, ils sont plusieurs à s’agiter, pressés que leur inconfort cesse. Kurimatsu tire sur le bas du maillot de Kabeyama pour l’empêcher de se carapater aux toilettes à la dernière minute. Les coachs échangent une poignée de main. Celui adverse, les joues marquées d’une large bande orange sous les yeux, se présente :
— Je suis l’entraîneur de l’Institut Okaruto, Jikiru Haito. Rendons le match d’aujourd’hui mémorable !
En face, Fuyukai marmonne son propre nom, écrasé par son vis-à-vis. Ce dernier remonte les rangées des joueurs et s’arrête presque au bout.
— Alors c’est toi, Gouenji-kun ? Le récit de ton tir contre la Teikoku Gakuen m’a subjugué ! Ah, si majestueux !
De grands gestes mettent de l’emphase sur ses phrases tandis qu’il s’extasie sur ce que les articles – ne laissant pas filer l’occasion de profiter du forfait de la toute puissante Teikoku Gakuen – ont raconté de son but. Au bord du terrain, Aki se penche vers Haruna.
— Je ne l’aime pas, il fait faux.
Haruna partage son impression. À côté de Gouenji, Someoka serre les poings. Endou lui a demandé de rester calme, mais il ne s’est pas entraîné aussi dur toute la semaine pour que Gouenji débarque au dernier moment et que leur adversaire ne s’intéresse qu’à lui. D’autant plus que l’autre continue de l’ignorer, de plus en plus provocant.
— Fais preuve de clémence envers nous, s’il te plaît, Gouenji-kun.
— Abusez pas ! craque le numéro 11 de Raimon. Votre adversaire ce n’est pas Gouenji, c’est notre équipe toute entière !
Jikiru semble seulement se rendre compte de sa présence et se penche vers lui en souriant.
— Eeeeeeh ? C’est mignon. Nous avons demandé un match amical afin de faire face à Gouenji-kun. Nous ne portons en réalité que peu d’intérêt pour une équipe aussi faible que celle du collège de Raimon.
— Quoi ?!
Endou remonte la file en vitesse et pose une main sur l’épaule de Someoka. Laisse tomber. Le coach adverse s’éloigne avec un geste désabusé.
— S’il te plait, fais de ton mieux pour ne pas être un fardeau pour Gouenji-kun, d’accord ?
— Comment ose-t-il ? fulmine Someoka, aussi énervé par les piques reçues que par la passivité de Gouenji.
— Fais-leur voir ton hissatsu technique, le réconforte Endou. Ils changeront d’avis !
— Hum… Eh !
Après une dernière tape d’encouragement, Endou fait signe à ses camarades d’aller se placer. Gouenji obtempère à pas lents. La situation lui est plus inconfortable que jamais. Son parcours dans le Football Frontier l’année dernière et son but de la semaine passée attirent sur lui les projecteurs dont il n’a jamais voulu. S’il le pouvait, il donnerait volontiers toute l’attention indésirée à Someoka.
— Bon, tu te bouges ? le houspille ce dernier depuis le rond central.
***
— Merci d’être avec nous pour suivre la rencontre amicale entre le collège de Raimon et l’Institut Okaruto !
Aki, Haruna et Megane – qui a cédé sa place de titulaire à Gouenji sans protester – sursautent de concert lorsque Keita prend la parole avec énergie. Le son de sa voix éclate sur le terrain au travers des quelques haut-parleurs installés autour pour l’occasion. De l’autre côté du banc, Fuyukai jette un regard vaguement ennuyé au jeune commentateur. Celui-ci poursuit dans son micro la présentation des équipes :
— Raimon a placé Gouenji Shuuya, numéro 10, en attaque. Nous rappelons que c’est ce dernier qui a marqué le but décisif contre la Teikoku la semaine dernière ! En face, l’équipe de l’Institut Okaruto est axée autour de leur capitaine et attaquant de pointe, leur numéro 9, Yuukoku Hiroyuki. Il est épaulé dans leur formation offensive par ses incroyables coéquipiers, Burado Kiba et Tsukimura Kenichi, respectivement numéros 11 et 10. Les attentes pour ce match sont grandes ! Et… voici le coup d’envoi !
— Donnez-vous à fond, les gars !
Les joueurs de Raimon répondent à l’encouragement de leur capitaine tandis que l’Institut Okaruto engage. Leurs attaquants viennent directement au contact. La pression de Matsuno et de Shourinji les oblige à multiplier les passes pour garder la possession. Cependant, Keita n’a pas exagéré les compliments à leur égard et ils parviennent à se défaire des milieux avant de s’enfoncer dans la défense. Kageno et Kabeyama se font dribbler, le numéro 10 de l’Institut se retrouve rapidement seul face à Endou. Le gardien claque ses gants.
— Ramène-toi !
L’avant-centre plisse ses yeux aux pupilles verticales. Son rictus dévoile ses canines pointues et fait remonter les marques semblables aux fines moustaches d’un loup qui s’étirent sur ses joues.
— Prends ça ! Phantom Shoot !
Du talon, Tsukimura monte la balle. Au moment où il la frappe, un halo violet aveuglant la nimbe et se divise en plusieurs sphères lumineuses qui louvoient vers les cages. Endou tressaille – il ne s’attendait pas à faire face à une hissatsu technique d’entrée de jeu – avant de se reprendre. C’est risqué d’utiliser la sienne aussi tôt dans la partie, mais si l’autre veut jouer ainsi… Le gardien appelle à lui la force interne bouillonnante qu’il a découvert posséder l’autre jour. Elle n’est pas partie depuis, couvant sous la surface, et répond aussitôt à son appel :
— God Hand !
Même s’il l’a déjà admirée lors sa première apparition durant le match contre la Teikoku et lors de celles qui ont suivi, quand il s’entraînait à la maîtriser, Endou n’est pas moins émerveillé par la main dorée gigantesque qui le surplombe. Rien à voir avec celle dans le cahier de son grand-père. Là, elle est vivante, colorée, elle se nourrit de son énergie pour rayonner. Son éclat disperse le froid qui s’est installé à l’arrivée de leurs adversaires. Les sphères de lumière du tir s’écrasent dans sa paume et avec elles le ballon qu’elles dissimulaient. Elles se délitent, bientôt imitées par la main géante, sous les exclamations enthousiastes de Keita.
— Incroyable ! Endou, le gardien de Raimon, a arrêté l’hissatsu technique de Tsukimura sans difficulté ! Il sauve son équipe d’une opportunité que l’Institut Okaruto s’est offerte dès le début de la partie !
— Bien joué, Endou !
Le portier répond d’un sourire au compliment de Kazemaru et lui envoie le ballon en motivant le reste de l’équipe :
— Allez les gars ! Restez calme et avancez.
— O-Ouais !
Kazemaru prend le relai pour mener la contre-attaque. Se détachant de la défense, il rejoint Shishido et Matsuno pour remonter avec eux le terrain dans le couloir gauche. Ensemble, ils tiennent leurs opposants à distance, appelant le ballon à tour de rôle. Kazemaru finit par récupérer la possession, sème ses poursuivants le long de la ligne de touche. Lorsque les risques de sortie deviennent trop grands, il défausse pour Shourinji. Le première année réceptionne, se tourne vers l’attaque :
— Gouenji-san !
Trois défenseurs adverses marquent leur buteur de près et obligent le numéro 7 de Raimon à réfréner son mouvement. En contrepartie, Someoka a le champ libre et lui fait signe. Shourinji n’hésite pas, la balle trouve le torse de Someoka. Plus qu’à marquer. En trois foulées, le numéro 11 se présente face au gardien impassible, le visage dissimulé derrière un masque blanc.
— J’vais te monter mon hissatsu technique ! tonne Someoka. Dragon Crash !
Avec le geste qu’il a répété toute la semaine, il lève la jambe, se concentre jusqu’à ce que la balle s’illumine de bleu, jusqu’à ce qu’il entende le grondement monter en lui et retentir dans son dos. Alors il tire et le dragon aux yeux rougeoyants rugit en fonçant sur le portier. Ce dernier saute, tend le bras et ne fait qu’effleurer le cuir qui s’écrase dans les filets avant de s’éteindre. L’arbitre valide le but d’un coup de sifflet.
— Comment ?! s’outre le coach de l’Institut Okaruto en se levant d’un bond.
Kabeyama échange un sourire avec Kazemaru. Dragon Crash. C’est donc le nom que Someoka a choisi pour son tir ? Endou les dépasse en hurlant et claque sa paume dans celle de l’attaquant.
— Yosh ! T’as réussi, Someoka ! T’as mis le premier but !
— Eh !
La satisfaction brûle dans les yeux de Someoka tandis que leurs camarades arrivent à leur tour pour le féliciter. Il écrase son poing contre celui de Handa, adresse un humph ! victorieux à Gouenji, resté à l’écart, mais ce dernier ne semble pas en prendre ombrage. Qu’importe. Rien ne peut gâcher sa joie.
— Après l’ouverture du score de la part de Raimon, c’est à l’Institut Okaruto de remettre en jeu.
Les joueurs en jaune et bleu se replacent en échangeant joyeusement. Avec leur but, l’ambiance a changé.
— Ces gars ne sont pas si forts, finalement, remarque Kurimatsu.
— Yosh, les gars ! clame Handa en levant le poing. On continue d’attaquer et on en marque un deuxième !
Portés par l’élan, dès la reprise, Someoka et Shourinji bloquent Burado et Matsuno intercepte sa tentative de passe :
— J’te pique ça !
L’aisance avec laquelle ils remontent le terrain conforte Raimon dans son assurance. Ils ont eu peur pour rien. La technique et la vitesse de leurs adversaires n’ont rien à voir avec celles de la Teikoku Gakuen et ils ont tôt fait d’atteindre l’entrée de la surface de réparation. Handa fait rouler le cuir sous ses crampons, le glisse à Matsuno. Celui-ci embrasse la position de ses coéquipiers d’un coup d’œil. Les défenseurs d’Okaruto se concentrent encore sur Gouenji. Ils n’ont pas appris de leur erreur.
— À toi Someoka !
— Dragon Crash !
Le numéro 11 de Raimon invoque son dragon à la volée. La créature lui répond encore plus facilement que la fois précédente et vole vers les cages où elle creuse la différence de buts sous les hourras de leur public. Ses camarades le prennent dans leurs bras. Le garçon essuie la sueur sur sa joue et leur sourit. Eh, il est l’attaquant vedette de Raimon et grâce à lui ils mènent désormais deux à zéro. Ensemble, ils célèbrent le changement au tableau d’affichage. Ils ont toutes leurs chances de gagner !
Gouenji ne prend pas part à l’effervescence. Le froid humide ressenti à l’arrivée de leurs adversaires ne s’est pas complètement dissipé. Il scrute ces derniers alors que les joueurs des deux équipes se préparent à l’engagement.
— Il n’y avait aucune mention de ce tir nulle part, grommelle le coach d’Okaruto en se levant. Je n’aurais jamais imaginé l’existence d’un autre attaquant comme Gouenji-kun… et ils sont plus forts que prévus. Mais ça n’a aucune importance. Collège de Raimon, vous restez des insectes !
Gouenji sursaute. Il a changé. Quelque chose dans son regard et dans sa posture, dans sa manière de parler, est devenu intimidant. Les marques sur son visage ont perdu leurs couleurs, gris cendre, elles se sont étirées pour lui barrer le visage d’une croix. Mais déjà l’arbitre siffle la remise en jeu et les joueurs de l’Institut se mettent en mouvement. Malgré le retard dont ils souffrent au score, ils sourient. Sourires qui s’élargissent lorsque la voix de leur entraîneur résonne avec force :
— Montrez-leur à quoi ressemblent les Enfers !
À quoi ressemblent les Enfers ? Les joueurs de Raimon jettent des regards en coin sceptiques au coach de l’Institut, mais celui-ci a surtout l’air de prier, à répéter une litanie incompréhensible les mains écartées. Pour les Enfers, ce n’est pas très impressionnant. Même s’ils devraient se concentrer sur leurs adversaires, la curiosité les pousse à l’observer et à échanger des haussements d’épaules perplexes. Puis le rappel à l’ordre de Kazemaru les force à recentrer leur attention. Gouenji met deux secondes de plus, ralenti par l’impression d’ombre en courant d’air qui émane de l’homme et se propage sur le terrain.
Les effectifs de l’Institut se déploient en éventail, avec au centre le capitaine et porteur de la balle. Le grand œil unique peint sur le bandeau qui lui ceint le visage semble les défier d’approcher. Que cela ne tienne. Shourinji se porte au contact du joueur au visage couvert de bandages et a un mouvement de recul. C’est désormais celui avec trois bougies aux flammes vacillantes ceintes autour du front qui lui fait face. À moins que ce ne soit celui au teint de porcelaine dont les lignes tracées en-dessous de ses lèvres font penser à la bouche articulée d’une marionnette ? À chaque fois qu’il cligne des yeux, ils échangent de place, trop vite pour qu’il les voit faire. L’air se trouble autour d’eux. Matsuno se frotte lui aussi les paupières. Il doit halluciner.
— Shourin, marque le numéro neuf ! Max, le onze ! les réveille Kazemaru.
Ils obéissent, bloquent le passage de leur vis-à-vis et se font aussitôt houspiller par leur camarade.
— Eh ! Mais vous faites quoi ?!
— Bah…
L’air tangue et ce ne sont plus leurs adversaires mais Handa et Shishido qui se trouvent devant eux, au moins autant désarçonnés. Leurs opposants profitent de l’occasion et s’engouffrent dans la brèche laissée dans leur formation. Malgré la brusque percée adverse, Endou rassure la défense, dernier rempart debout :
— Restez calmes et observez calmement leurs mouvements.
— Ça ne sert à rien, se moque Yuukoku en s’arrêtant à quelques mètres, le ballon sous le pied.
Malgré son immobilité, Kageno et Kabeyama se gardent d’aller chercher le cuir, sur leurs gardes. De ses bras, Yuukoku dessine un cercle dans le vide. En fond, son coach poursuit sa psalmodie. Puis le joueur tend brusquement la paume vers eux.
— Ghost Lock !
Kabeyama tremble lorsqu’une étreinte froide se referme sur ses jambes. Il n’arrive plus à les bouger ! Ses cauchemars sont en train de se réaliser. À deux doigts de la crise de panique, il échange un regard terrifié avec Kageno. Son camarade ne parvient pas mieux à se déplacer et se débat contre une emprise invisible.
Tsukimura reçoit le ballon de son capitaine et ne prend pas la peine d’utiliser son hissatsu technique pour tirer. Figé sur place par le même étau, pris au dépourvu, Endou n’a pas le temps d’invoquer la God Hand. Vu la panique incontrôlable qui fait accélérer son cœur, il ne sait pas s’il en aurait été capable. Le bras inutilement tendu, il jure lorsque le ballon franchit la ligne hors de sa portée. Dès que l’arbitre siffle, le froid s’estompe, le blocage avec et Endou tombe à genoux.
— Grâce à Tsukimura, l’institut Okaruto revient dans la partie en ramenant le score à 2 à 1 !
Endou se redresse, époussette son short en dévisageant son vis-à-vis. Ghost Lock ? Ils sont capables de les immobiliser… comme ça ? Son équipe se tourne vers lui, attend une solution, une explication. Il n’en a pas à leur apporter. Il se contente de leur rendre le ballon, de les encourager, de leur jurer de l’arrêter la prochaine fois. Et ils le croient.
Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Le pied sur le ballon, Gouenji scrute les joueurs de l’Institut qui attendent avec désinvolture. Someoka ne prend pas le temps de se poser les mêmes interrogations.
— On a encore l’avantage. Et s’ils ont marqué, on a juste à en remettre un !
Il prend le ballon à son coéquipier et relance la partie malgré la tentative de ce dernier pour le retenir :
— Attends, Someoka ! On devrait…
Bon sang… Gouenji est obligé de se lancer dans son sillage, les dents serrées. Ils devraient essayer de comprendre d’abord ! Mais, désireux de prouver qu’il peut encore marquer, Someoka ouvre la défense en solitaire et se retrouve isolé devant les buts. Peu importe. L’attaquant jette un œil au gardien dont les mains s’agitent, tire.
— Dragon Crash !
Le marmonnement omniprésent du coach couvre partiellement le rugissement du dragon. La bête oscille vers les cages d’un vol mal assuré. Elle s’évanouit dans le scintillement violet, obscur, qui entoure les gants du portier et celui-ci n’a pas besoin de bouger pour les refermer sur la balle. La lueur s’efface de ses gants et de la fracture qui marque l’œil droit de son masque, désormais presqu’invisible. Quand il ouvre la main, une poignée d’écailles bleues ternes en tombe et se dissipe avant de toucher le sol.
— Dimension Warp.
— Q-Quoi ?
Someoka n’est pas certain d’avoir bien entendu. Ni d’avoir compris ce qu’il vient de se passer.
— Ma technique rend tous les tirs inutiles, exhale le portier sans élever plus la voix.
Le cœur battant, Someoka recule d’un pas. Il refuse d’y croire. Pourtant son tir n’est pas arrivé où il a visé, pourtant il y a mis toute sa puissance, et s’il accuse le coup d’avoir enchaîné sa technique trois fois de suite, ça ne suffit pas à expliquer son échec.
— L’Institut Okaruto fait une longue passe ! La balle finit dans les pieds de son capitaine !
L’appel de Kazemaru pour bloquer l’offensive déferlant sur leur défense secoue Someoka. Il s’ébroue, s’écarte de Gouenji qui faisait un pas dans sa direction – il n’a pas besoin de lui – et redescend en vitesse. Trop tard. Deux foulées plus tard, ses jambes glacées arrêtent de lui répondre.
— Ghost Lock !
Autour de Yuukoku, la paume tendue, les joueurs de Raimon s’immobilisent. Il n’a plus qu’à s’avancer parmi leurs rangs pétrifiés, seul au milieu d’eux tous. Ça le fait rire.
— Vous êtes perdus dans notre malédiction… Bienvenue dans les Enfers.
Endou se débat tandis que le joueur d’Okaruto s’approche, inéluctable. Encore ?! Devant son impuissance, son adversaire n’a qu’à pousser le cuir dans les buts. Il a beau s’étirer comme il peut, Endou ne le frôle même pas du bout des gants. L’arbitre siffle l’égalité. Les mains du gardien tremblent alors que ses jambes retrouvent leur mobilité. Il n’a rien pu faire.
Une malédiction ? Foutaises ! Someoka ne veut pas entendre parler de ce genre de conneries et presse à nouveau Gouenji dès le coup de sifflet pour partir à l’attaque. Ses adversaires le laissent approcher avec une assurance insultante. Du coin de l’œil, il aperçoit le capitaine bouger ses mains et accélère, en vain.
— Ghost Lock !
Sa progression s’arrête net, l’autre n’a plus qu’à cueillir la balle à ses pieds. En le laissant malgré lui partir sans la moindre résistance, Someoka croise le regard de Gouenji et détourne aussitôt le sien. Pas besoin de se retourner pour entendre Endou pester contre ses jambes qui refusent de bouger ou l'arbitre valider le nouveau but de l’Institut. Someoka ferme les yeux, se mord les lèvres pour retenir un chapelet d’injures tandis que bourdonne la déception des spectateurs.
— Le collège de Raimon perd son avantage au tableau d’affichage. Et… c’est la fin de la première mi-temps.
Notes:
Merci pour votre lecture ! Si vous l'avez appréciée, n'hésitez pas à laisser un kudo ou un commentaire, ça fait plaisir. À la semaine prochaine !
Chapter 7: Défendre, attaquer et marquer, pour toute l'équipe
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
L’ambiance est morose dans le local. Les membres de Raimon s’y sont regroupés pour échapper au crachin qui pousse les spectateurs à se réfugier dans les bâtiments alentours. Leurs adversaires, eux, ont préféré rester sous le mauvais temps malgré les invitations à s’abriter. Tassés dans l’atmosphère humide, les locaux ressassent, consternés, les trente minutes de jeu qui viennent de s'écouler.
— C’est vrai alors ? Ils nous ont vraiment maudits ? s’inquiète Kabeyama.
— Bah… grimace Kurimatsu, dans l’incertitude.
À la guise du capitaine d’Okaruto, ils ont perdu et retrouvé le contrôle de leurs jambes. Comment sont-ils censés lutter contre ça ?
— Faut pas s’inquiéter, les gars ! s’exclame Endou. C’est uniquement la fin de la première mi-temps, on aura tout le temps de remonter pendant la deuxième.
— Je peux pas ! Je vais pas y arriver !
Kazemaru et Shishido doivent s’y mettre à deux pour apaiser Kabeyama qui répète les mêmes phrases en boucle, la voix de plus en plus aiguë.
— Les malédictions, ça n’existe pas.
— Alors pourquoi on pouvait pas bouger ?
Ils baissent la tête, muets.
— Aucune idée, soupire Endou. Mais il doit y avoir une explication.
— Comme une hissatsu technique ? propose Haruna.
Appuyé contre les casiers, les bras croisés, Gouenji les écoute à moitié, retournant les pièces du puzzle dans son esprit. L’origine du malaise qui l’étreint depuis la seconde moitié de la mi-temps lui glisse entre les doigts. Endou réfléchit à voix haute :
— Eh, comme une hissatsu technique, mais à l’échelle de toute l’équipe.
— C’est possible de faire un truc pareil ?
— Peut-être ? Je sais pas… Mais tout… tout ça, ça a commencé quand leur coach s’est mis à agir bizarrement, neh ?
Les uns après les autres, chacun corrobore son observation. Les drôles d’incantations du coach, eh… C’est vrai qu’elles donnaient la chair de poule autant qu’elles ont prêté à rire au départ. Et après les trucs étranges ont débuté.
— Même si c’est ça, comment on s’en sort ? interroge Matsuno.
Nouvelle salve de grimaces. Kageno propose d'utiliser un contre-sort, faisant sursanter Handa qui avait oublié sa présence à côté de lui. Au seul défaut près qu’il n’en connaît pas d’adapté. La suggestion de Megane d’employer les moyens nécessaires pour faire taire l’entraîneur de l’Institut lui attire des regards dubitatifs. Leurs idées s’essoufflent et les minutes filent. Aki consulte sa montre. Il est temps d’y retourner. Endou regarde ses coéquipiers dans les yeux.
— Pas le choix, va falloir qu’on comprenne pendant le match. En attendant, quand vous avez la balle, passez-la vite aux attaquants pour multiplier nos chances de marquer. On a seulement un retard d’un point. On va le rattraper ! Je crois en vous, Gouenji, Someoka !
— O-ouais ! opine Kabeyama en se levant, ouvrant la porte en premier.
À son image, le reste de l’équipe prend son courage à deux mains et s’engage à sa suite.
— Je ne suis pas sûr que ce soit la bonne solution… objecte Gouenji qui n’a pas bougé. Ça ne sert à rien de se précipiter vers leurs cages. Ce serait mieux de…
— Qu’est-ce que tu racontes ? Bien sûr que c’est ce qu’il faut faire. Compte sur moi, Endou, mon prochain tir va rentrer !
Someoka tape son poing contre celui de son capitaine et entraîne dehors ceux qui ne sont pas encore sortis. Resté seul, Gouenji se décolle des casiers et leur emboîte le pas.
***
Il ne pleut plus lorsqu’ils parviennent sur le terrain. Les bavardages et spéculations sceptiques du public sur les faits troublants auxquels il a assisté vont bon train. Le fond sonore accompagne les joueurs qui se replace. Les spectateurs se fendent tout de même d’une vague d’applaudissements lorsque l’arbitre siffle.
— C’est parti pour le coup d’envoi de la seconde mi-temps !
Gouenji prend tout le monde par surprise en passant immédiatement en retrait.
— Qu’est-ce que tu fais ?! tempête Someoka.
— On n’y arrivera pas en y allant de front, se défend le numéro 10. Il faut d’abord qu’on comprenne comment ils font.
— Tsss, poule mouillée. Shourin, par ici !
Someoka appelle le ballon avant de se stopper, bloqué par deux défenseurs. Shourinji hésite, tiraillé entre sa confiance pour Someoka et son admiration pour Gouenji. Yuukoku le force à prendre une décision en lui arrivant dessus et il passe en catastrophe pour Handa. Dès la réception du ballon, malgré le marquage subit par Someoka, le numéro 6 tente de faire suivre la balle à ce dernier. L’attaquant feinte, se détache un instant de la pression adverse – pas suffisamment – et le ballon dévié sort en touche. Someoka jure. Shishido, Shourinji et Kurimatsu tombent sur Handa :
— Pourquoi tu ne l’as pas passé à Gouenji-senpai ?!
— Personne ne le marquait, lui !
— Eh ! Je lui ai pas passé parce qu’il ne montera pas ! se défend l’accusé. Il l’a dit lui-même. Ça sert à rien !
— Les gars, la prochaine, j’la mets au fond, les coupe Someoka. Tout ce que vous avez à faire, c’est me donner le ballon.
Difficile d’argumenter contre son ton incontestable. Tandis qu’il part se positionner sans attendre leur confirmation, les premières années échangent un regard. Leur décision est déjà prise.
Shourinji récupère la balle remise en jeu par Shishido. Malgré les défenseurs qui le collent, Someoka appelle la passe. Le numéro 7 de Raimon tergiverse un instant avant de s’accrocher à sa résolution.
— Gouenji-san !
Le froid apporté par le mauvais temps n’est rien par rapport à celui de la trahison qui s’enfonce dans le cœur de Someoka. Il entend à peine Handa houspiller son camarade. Someoka leur a dit qu’il marquerait, c’est lui a mis les deux buts ! Soutenu par Shishido et Kurimatsu, Shourinji rétorque que le Dragon Crash a été arrêté, que la Fire Tornado de Gouenji est plus puissante, et qu’il attend juste le bon moment pour tirer. La mâchoire de Someoka se crispe. Ce n’est pas parce que le portier a stoppé une fois son hissatsu technique qu’il n’arrivera plus à marquer. Il va leur montrer !
— Passe-la-moi !
Il accélère et se porte au niveau de Gouenji et réclame le ballon. Son coéquipier refuse.
— Arrête, Someoka. Je dois vérifier quelque chose.
Gouenji esquive un milieu de l’Institut, Someoka profite que sa concentration soit ailleurs pour venir au contact.
— Eh ! proteste Gouenji.
Someoka dérobe son coéquipier pris au dépourvu et dépasse seul les dernières lignes de la défense. Son prochain tir va rentrer ! Gouenji le rappelle, en vain. Dans leurs dos, le reste de l’équipe désespère autant que leurs adversaires s’amusent de la fracture déchirant leur jeu collectif. À ce rythme, ils n’auront bientôt plus besoin de faire quoi que ce soit pour que la victoire soit définitivement leur. De l’autre côté du terrain, Endou garde les yeux rivés sur le maillot jaune et bleu floqué du numéro 11.
— Prends ça ! Dragon Crash !
Someoka arme son tir. Il en a marqué deux, il va mettre le troisième. C’est lui, l’attaquant vedette de l’équipe, c’est son rôle. Il va leur montrer, à ceux qui ne croient pas en lui, au gardien qui agite les bras bizarrement, ce dont il est capable. Le bouillonnement des émotions de Someoka rugit en même temps que le dragon. Le maillot de l’attaquant claque sous le vent soulevé par le passage de la créature. Mais plus elle s’approche des cages, plus son cri se mue en plainte, plus ses mouvements perdent en vigueur. Les émanations violettes volant autour des mains écartées du portier courent sur les écailles bleues et ternissent leur éclat. De lui-même, le ballon se loge entre les gants du gardien, dans le dernier soupir du dragon. Someoka a l’impression de sentir son propre souffle s’éteindre entre ses lèvres.
— Tu peux essayer autant que tu veux, tes tirs ne passeront jamais.
La nargue se mêle au brouillard qui a envahi l’esprit de Someoka. Ses jambes cèdent sous lui tandis que ses certitudes s’effondrent. Il y a cru. Il y a vraiment cru. Mais peut-être que les autres avaient raison de ne pas lui faire confiance. Même avec son hissatsu technique il est incapable de marquer. Même avec son hissatsu technique, il est inutile à l’équipe. Comment a-t-il pu s’imaginer égaler Gouenji ?
— Il est temps d'utiliser le Ghost Lock !
L’attention de Gouenji passe de Someoka, le genou à terre, au coach d’Okaruto. Alors que celui-ci s’était fait discret depuis la reprise, il reprend ses marmonnements après avoir lancé son ordre. La croix sombre barre à nouveau son visage. Aussitôt la chair de poule revient sur les bras de Gouenji qui serre les dents. Ça recommence. Plus bas sur le terrain, Kazemaru alerte les autres. Leurs adversaires descendent d’un bloc, avec la même disposition en éventail que tout à l’heure. Trop tard pour revenir à temps. Déjà, Matsuno et Handa se laissent dépassés, figés d’effroi en n’arrivant pas à savoir quel joueur ils ont en face d’eux. Mais il fait confiance à Endou.
Le gardien de Raimon claque ses gants. S’ils prennent un autre but, revenir au score sera impossible. Il assiste la boule au ventre à la déferlante adverse. Et s’ils perdent, pas de Football Frontier. Alors il doit protéger ses cages coûte que coûte. Eh. Il protégera son équipe. Shishido et Shourinji sont à leur tour débordés et sur un geste du capitaine de l’Institut, le brouillard du Ghost Lock referme son emprise sur leurs jambes. Oh non, pas encore ! Endou a beau se démener, elles ne répondent plus. Aucune solution miracle ne lui est apparue. Peut-être que c’est une hissatsu technique, peut-être pas, ça ne l’avance pas à grand-chose. Les auras, l’énergie, ce n’est pas vraiment son domaine d'expertise. Les sensations procurées par le Ghost Lock sont différentes de ce qu’il a ressenti contre la Teikoku Gakuen ou avec sa God Hand. Sa God Hand, elle, est lumineuse. Endou a envie de l'invoquer pour chasser le froid obscur qui s’insinue en lui. Si différent, si désagréable. Mais il ne sent pas sa technique. Elle lui échappe, les incantations du coach couvrent les émotions avec lesquelles il l’appelle. Les incantations du coach. Les marmonnements lui martèlent les tympans, comme le zonzonnement d’un moustique qui l’empêche de garder l’esprit clair. Si seulement l’autre pouvait se taire. Peut-être qu’il aurait dû accepter la proposition de Megane pour le réduire au silence, finalement. Endou n’arrive pas à distinguer les mots que l’entraîneur répète alors il choisit les siens, peu importe, il veut juste, les paumes plaquées sur ses oreilles, remplacer le bruit de la psalmodie.
— Allez, allez, bouge, allez, bouge, bouge…
Ça marche. Enfin, il croit. Le brouillard faiblit, ses orteils remuent. Endou augmente de volume, accélère, ignore les appels de détresse de Kurimatsu et Kageno impuissants. La God Hand, elle est là. Vraiment pas loin, à portée de main.
— … bouge, allez…
Elle monte, elle brille. Elle prend de l’ampleur comme sa litanie qui explose :
— ALLEZ BOUGE !
— Phantom Shoot !
Tsukimura tire et Endou trébuche. Il n’a jamais été aussi heureux de se casser la figure. Il bouge ! Cependant, déséquilibré, il sait qu’il n’arrivera pas à temps pour stopper le ballon qui file vers la lucarne. Ses doigts luisent des prémices de la God Hand, pas encore tout à fait là. Qu’importe, il se débrouillera autrement. Dans sa chute, Endou pousse sur sa jambe, ferme le poing et concentre les bribes d’énergie accumulées. Son gant s’illumine en frôlant le cuir. Endou s’étale au sol tandis que le ballon est repoussé hors des cages. Il a réussi. Premier à se remettre de la stupeur qui frappe tous les joueurs, il se jette sur la balle pour l’empêcher de rouler ailleurs. Seulement alors il s’autorise à souffler. Il a réussi !
— Endou l’a arrêté ! Il a bloqué le Phantom Shoot de Tsukimura ! Quel sauvetage de dernière seconde extraordinaire !
Keita met longtemps à retrouver sa voix et se rattrape en hurlant plus fort que jamais. Les défenseurs sont les premiers à se précipiter vers Endou.
— Capitaine, tu…
— Tu as réussi !
Endou rit, le ballon sous le bras.
— Eh eh, vous avez vu ?
Un peu qu’ils ont vu sa nouvelle hissatsu technique ! Endou tempère leur excitation – ce n’est pas tout à fait une nouvelle technique, juste les prémices, mais en s’entraînant… Kazemaru recentre leur attention sur le plus important, pointant ses jambes :
— Comment tu as pu bouger ?
Endou se frotte la nuque. Quand il s’est libéré, tous ses coéquipiers l’ont été en même temps. Mais à vrai dire, il ne comprend pas trop comment il a fait. Son sourire s’élargit tandis qu’il se frappe la poitrine.
— Le Ghost Lock ne fonctionnera plus, c’est fini. Et vous pouvez compter sur moi, je n’encaisserai plus aucun but. Promis.
— Alors… ce n’est pas une malédiction ? vérifie Kabeyama.
— Eh non !
À l’arrière du groupe qui s’est formé dans la surface de réparation, Gouenji les écoute, le regard tourné vers l’autre côté du terrain. Pas de malédiction. À côté de lui, Someoka garde ses distances, les poings serrés.
— Vous avez peut-être compris, mais c’est trop tard, crache le coach de l’Institut. Vous avez perdu !
Sur son visage, la croix s’étiole en ne laissant plus que deux marques sur ses joues, le gris retrouve ses couleurs. Comme si ses pouvoirs s’étaient tus en même temps que sa litanie. Les joueurs de Raimon ralentissent leur dispersion. Le chronomètre dans les mains d’Aki égrène douloureusement chaque seconde. Endou regarde le ballon entre ses mains, inspire un grand coup.
— Ce n’est pas encore terminé ! clame-t-il en envoyant le cuir. On n’a plus beaucoup de temps mais notre contre-attaque ne fait que commencer ! Passez aux attaquants !
Shourinji réceptionne et temporise :
— Mais Capitaine, le tir de Someoka…
— Tu dois croire en lui !
Le milieu reste muet. Endou le scrute, lui et les autres, avant de reprendre, lucide :
— C’est vrai, leur entraîneur l’a dit, on n’est pas très forts. Mais je suis sûr qu’ensemble… on peut être plus. On a tous notre rôle à jouer. Je protège les cages avec la défense, les milieux font circuler la balle…
Inconsciemment, ils se redressent tous à la mention de leur place sur le terrain. Seul Someoka se tasse quand les yeux d’Endou se posent sur lui.
— Et les attaquants marquent. Chaque but est un point pour toute l’équipe !
Someoka vacille. Pour toute l’équipe. Pas son point, pas celui de Gouenji. Peu importe qui marque. Il se sent bête. Si bête. Il se met en mouvement en même temps que ses coéquipiers, porté par le cri de guerre d’Endou. Sa course n’est plus tout à fait la même. Un poids a disparu de sa poitrine. Celui de la pression créée par leurs adversaires. Surtout celui de sa jalousie – s’il y avait un autre buteur que lui, un meilleur buteur que lui, quelle aurait été sa place dans l’équipe ? Mais les mots d’Endou ont éteint ses doutes et rallumé la lumière.
Le ballon lui parvient, malgré les défenseurs qui se referment sur lui. Les encouragements de ses coéquipiers lui donnent la force d’accélérer. Comment a-t-il fait pour ne pas les entendre avant ? Ils lui font confiance et il ne les décevra pas. D’un bond il esquive un tacle et inspire à plein poumons. Eh, il se sent vraiment plus léger.
Les cages. Elles se matérialisent devant Someoka et ses jambes faiblissent. La pénombre de ses doutes revient l’étreindre. Malgré tous les beaux discours, il est toujours incapable de mettre le moindre but. Les gestes lents du gardien l’hypnotisent.
— Ne regarde pas ses mains !
Gouenji est monté à son niveau et s’y maintient sans peine. Face à son grognement peu convaincu, il argumente, lapidaire :
— C’est son hissatsu technique. Tu le regardes et tu perds ta puissance.
— … Tu as réussi à comprendre tout ça ?
Someoka marmonne plus pour lui-même que pour son camarade. Tss… Il est vraiment incroyable. Avec peine, il suit le conseil de Gouenji et rive ses yeux sur ses chaussures, sur le ballon. Aussitôt la clarté revient, le froid s’affaiblit et Someoka retrouve sa vigueur. Mais il ne sait pas s’il se sent vraiment mieux ou pas. Encore une fois, il n’a pas été à la hauteur de son coéquipier. À côté de lui, il… il… Le sol tremble des deux défenseurs qui s’abattent devant lui. La vibration se prolonge, remonte jusque dans sa poitrine où résonnent les mots d’Endou. Ils sont une équipe. Dans l’interstice entre les défenseurs, le gardien le nargue :
— Quoi que tu fasses, ça ne servira à rien.
Une équipe. Chaque point est celui de toute l’équipe.
— Gouenji…
Le concerné est le seul à l’entendre, le seul à comprendre, non sans surprise, ce qu’il prévoit de faire. Les autres, joueurs comme spectateurs, écarquillent les yeux en voyant Someoka armer sa jambe.
— Dragon… Crash !
Le dragon jaillit de terre. Sa fougue retrouvée, il s’envole au signal de l’attaquant, haut vers le ciel.
— Où est-ce que tu vises, Someoka ?! s'époumone Handa, aussitôt suivi par Keita.
— Aïe aïe aïe… C’est un tir loin des cages que nous sert le numéro 11 de Raimon…
Le nez en l’air, les défenseurs réagissent avec un temps de retard pour intercepter Gouenji. Il se faufile entre eux et leur échappe en sautant. Son ascension jusqu’à la balle est accompagnée du dragon qui serpente en rugissant. Gouenji tourne sur lui-même et autour de ses pieds les flammes s’embrasent.
— C’est… Ce n’était pas un tir ! C’était une passe, une passe pour Gouenji !
— Fire Tornado !
Le dragon plonge dans les flammes. Ses écailles passent du bleu aux rouge et orange incandescents. L’éclat autour du ballon redouble. Quand la bête fond sur les cages, des flammèches s'échappent de ses yeux. Le gardien n’a aucune chance.
— Buuuut ! L’incroyable tir de Someoka et de Gouenji permet à Raimon d’enfin revenir à égalité ! Raimon revient au score à quelques minutes de la fin du match !
Someoka savoure les mots du commentateur, pantelant. Il a… Eh, non. Ils ont marqué. Non loin, Gouenji se réceptionne tandis que les dernières escarbilles s’éteignent autour de ses chaussures. La chaleur du tir tarde à se dissiper, Someoka a l’impression qu’elle l’a traversé de part en part. Comme si c’étaient aussi un peu ses flammes. Comme si son dragon était aussi un peu celui de Gouenji. Quand ce dernier tourne la tête vers lui, Someoka détourne la sienne avec un soufflement de nez, par réflexe. Leurs coéquipiers accourent vers eux, les premières années en tête. Le Dragon Crash et la Fire Tornado combinés ! C’était incroyable !
— Le match n’est pas encore terminé ! Laquelle des deux équipes arrivera à arracher le but de la victoire ?
Le rappel à l’ordre de Keita est incapable d’entacher leur joie. Bien sûr que ce sont eux qui vont gagner !
***
Les minutes restantes en paraissent trois fois plus, étirées par l’intensité avec laquelle les deux équipes se battent jusqu’à la dernière seconde. Les joueurs d’Okaruto multiplient leurs tours de passe-passe mais ceux-ci ne prennent plus. Alors que l'arbitre signale que l’action en cours sera la dernière, Someoka se retrouve devant les buts adverses, démarqué. Il réceptionne la passe de Shishido. Les points de toute l’équipe, eh ? Il n’a même pas besoin de partager ses intentions à Gouenji. Malgré la fatigue, ils mêlent le dragon et le feu avec une facilité déconcertante qui signe leur quatrième but.
— Et ça y est, c’est le coup de grâce ! Le match se termine sur un score de 4 à 3. La victoire revient à Raimon après une remontada extraordinaire !
***
— On a gagné… On a gagné, hein ?
Kabeyama n’y croit toujours pas. Le public est parti, l’Institut Okaruto aussi, et avec ce dernier les nuages et le froid. Il n’y a plus qu’eux sur le terrain du collège illuminé par le soleil, incrédules face au panneau d’affichage qui pourtant ne connaît pas le mensonge.
— Vous avez fait du super boulot, Someoka, Gouenji ! les félicite Endou en passant son bras autour de leurs épaules. Vous vous rendez compte ? Vous avez réussi à créer une hissatsu technique combinée en plein match !
Someoka se dégage, d’un ton qui se veut boudeur.
— Ce n’est pas pour autant que je compte abandonner ma place d’attaquant vedette.
Personne n’est dupe, dans l’éclat de rire qui les étreint. Même Gouenji se fend d’un sourire et c’est à son tour de se détourner. Il n’y a plus personne vers le portail. Ceux de la Teikoku sont partis avant la fin du match. Quand il ramène son attention sur le groupe, il surprend le regard de Someoka posé sur lui. La peur déguisée en animosité qui y habitait a disparu.
Endou sautille sur place.
— Yosh, les gars ! C’est parti pour le Football Frontier !
— Eh !
— Et pour fêter ça…
Les rires redoublent, ils savent déjà ce qu’il va proposer. Les premiers s’avancent vers le portail. L’air de rien, Someoka demande :
— Tu viens avec nous au Rairaiken, neh, Gouenji ?
***
Pourquoi est-ce qu’il s’est laissé embarquer là-dedans ? Les mains dans les poches, Gouenji avance dans le mouvement bruyant et joyeux du groupe qui traverse les rues piétonnes du quartier commercial. Parce que… Parce qu’Endou lui a vanté les qualités des ramens du restaurant et que les autres se sont bien gardés de le détromper. Parce qu’ils ont gagné. Parce qu’ils lui ont fait comprendre qu’il fait partie de l’équipe. Parce qu’il a le droit, après tout, de sortir quelques heures en ville sans culpabiliser. Ça fait… longtemps, trop longtemps. Personne ne remarque le léger sourire sur ses lèvres, tous concentrés sur Endou qui marche à reculons, débordant beaucoup trop d’énergie pour une sortie de match. Ou peut-être que Someoka le remarque mais ne dit rien.
Suki reconnaît les clients qui arrivent avant qu’ils ne passent la porte aux bruits de leurs pas et aux reflets de leurs rires. Ils sont en avance, elle voulait préparer des cookies et elle n’en a pas eu le temps. Vu leur entrain, ils ont gagné leur match. Bien. Elle a un bref hochement de tête adressé à elle seule en faisant glisser les légumes dans la poêle. Elle s’essuie les mains sur son tablier et ajuste son béret. Hibiki est quelque part dans la réserve, c’est elle qui les salue lorsque la porte coulisse sans s’interrompre dans sa tâche. Leur discussion animée emplit la petite salle tandis qu’ils prennent progressivement place. Suki s’accroupit et fouille dans le placard à la recherche des épices. Bientôt, elle décroche de leurs mots pour écouter les mélodies de leurs auras. Ces dernières s’illuminent lorsqu’ils éclatent de rire. Leurs couleurs sont plus chaudes que dans son souvenir. Elle plisse le nez. Ce n’est qu’un changement parmi les autres, preuves de leur évolution fulgurante en deux semaines à peine. Mais tout de même… Suki se mord la lèvre en écartant un bocal pour attraper celui derrière. Pourquoi cette chaleur lui est si familière ? Dans un éclat plus haut que les autres, la voix d’Endou traverse la barrière de ses pensées :
— Je suis tellement content que tu aies rejoint l’équipe, Gouenji !
Suki se redresse d’un coup. Son crâne percute le bord du placard. Le blanc envahit sa vision tandis qu’elle bascule sur les fesses, sonnée. Le bruit du choc interrompt les discussions.
— Eh, ça va ?
Groggy, elle pose une main hésitante sur sa tête en retenant un gémissement, rassurée de sentir malgré la douleur que son béret est toujours en place. Les artéfacts dansant devant ses yeux finissent par s'évanouir. Elle parvient à distinguer leurs visages inquiets penchés par-dessus le comptoir. Et parmi eux, un qu’elle pensait ne jamais revoir.
Notes:
Je n'ai jamais vraiment aimé l'apparence du dragon de Someoka. C'est pour cela que dans les descriptions que j'en fait, il ressemble plus aux dragons d'inspiration asiatique, sans ailes et avec un long corps de serpent sinueux. Ça fait partie des différences entre ma version et celle de l'animé. Certaines sont minimes, d'autres plus importantes, comme celle évoquée à la toute fin de ce chapitre. L'aviez-vous venir ? Dites-le moi en commentaire, partagez vos hypothèses. J'ai hâte que vous en découvriez plus !
Chapter 8: Retour de flammes
Chapter Text
Hibiki s’est précipité hors de la réserve en entendant l’agitation et, avec une excuse pour les clients obligés de patienter, a emmené Suki jusqu’à la salle de bain à l’étage. Même si elle lui a assuré dans un marmonnement que tout allait bien, il a insisté pour qu’elle applique une poche de glace, assise sur le rebord de la baignoire. Puis il est allé prendre le relais en cuisine. Les légumes avaient accroché. Les garçons ont affirmé qu’ils étaient très bons quand même. À pas de loup, Suki est redescendue s’asseoir sur la dernière marche tout en bas des escaliers. Le menton calé sur ses genoux ramenés contre sa poitrine, elle regarde les membres de Raimon par l'entrebâillement de la porte de l’arrière-boutique. Ils mangent en riant, rient en parlant, parlent en mangeant, sans s’arrêter. Dans l’alignement, Shuuya observe et écoute plus qu’il ne prend part aux échanges mais elle sait, à sa façon d’incliner la tête, de jouer avec ses baguettes, qu’il se laisse porter à sa manière par l’engouement collectif. Il l’hypnotise, lui et les flammes qui dansent au cœur de son aura. Elle l’a reconnu bien avant de voir son visage, bien avant qu’Endou ne prononce son nom. Non. Elle savait déjà que les empreintes sur les auras des membres de Raimon étaient les siennes. Elle refusait juste de se l’avouer. Sauf que maintenant elle ne peut plus se mentir.
Lui ne l’a pas reconnue.
Évidemment.
C’est normal.
C’est le but.
Ça ne l’empêche pas d’avoir mal, là, dans la poitrine.
***
— Vous vous rendez compte ? Le Football Frontier commence demain et on va y participer !
Kazemaru se retient de lever les yeux au ciel avec un sourire. C’est au moins la dixième fois qu’Endou le répète, mais il est à peu près certain qu’il ne s’en lassera jamais. Comment le pourrait-il ? C’est son rêve de participer au prestigieux tournoi qui détermine la meilleure équipe du Japon ! Endou ferait des bonds debout sur son tabouret si les autres ne lui avaient pas demandé de se calmer. Depuis la table de derrière, les premières années ne tarissent pas d’éloges sur la nouvelle technique de Someoka et Gouenji. C’est grâce à elle que Natsumi va les inscrire ! Endou intervient en se balançant dangereusement sur son assise :
— Il faut lui trouver un nom !
— Je propose la Dragon Tornado.
La suggestion de Megane amène un silence de réflexion, suivi de quelques messes basses et de l’assentiment général. Someoka lui donne un léger coup dans l’épaule.
— La Dragon Tornado, eh ? Ça sonne plutôt bien.
— Merci. En toute modestie, je ne me trouve pas mauvais pour trouver les noms des hissatsus techniques.
— Hum, en même temps, on a vu ce que ça donnait quand tu es sur le terrain.
Megane vire au cramoisi à la pique de Matsuno mais finit par rire avec les autres.
— Eh ! Le capitaine a aussi une nouvelle technique, rappelle Kabeyama.
— C’est vrai, et celle-là pourrait s’appeler… commence Megane.
— Le Nekketsu Punch ! C’est une hissatsu technique du cahier de mon grand-père, ce que j’ai fait pendant le match s’en rapproche beaucoup. Je suis sûr qu’en continuant à m’entraîner, je vais la maîtriser pour de vrai.
Même s’il est vexé de s’être fait couper l’herbe sous le pied, Megane admet que le nom est bien trouvé. Kazemaru assure à Endou qu’il le croit sur parole quand ce dernier veut lui montrer le carnet et la description – illisible – de la technique. En bout de rangée, Gouenji attarde un instant son regard sur le patron qui, il en est presque sûr, a tiqué. De l’autre côté du groupe, Someoka se penche et l’interpelle :
— Neh, Gouenji, pour Endou, je pose même plus la question, il fonctionne qu’à l’instinct, mais toi, comment t’as compris leurs hissatsus techniques, là, leur truc d’hypnose avec leurs mains, à Okaruto ?
La question le prend au dépourvu. Il a envie de dire à l’instinct aussi. Ce n’est pas tout à fait vrai.
— Je sais que c’est possible de faire des choses similaires avec l’énergie et… je me suis dit que ça ne devait pas être trop différent…
— Ah ouais ? Quels genres de trucs ?
Les yeux d’Endou brillent de curiosité, comme ceux de leurs camarades qui ont arrêté leurs discussions pour l’écouter. Gouenji hésite avant de botter en touche.
— Je ne sais plus vraiment, c’était il y a longtemps…
La nouvelle fournée de ramens que dépose le chef devant eux détourne l’attention des autres et lui épargne d’avoir à trouver une suite à son mensonge.
***
— Alors, tu as aimé ?
Endou attend à peine qu’ils soient sortis du Rairaiken pour demander son avis à Gouenji. Ce dernier a l’impression de passer un examen, ou un adoubement peut-être. En même temps, il n’est pas difficile de deviner comment, en si peu de temps, le restaurant préféré d’Endou est devenu le QG de l’équipe.
— C’était bon.
Simple et concis, suffisant pour que le soulagement soit palpable. Ceux à l’arrière du groupe calculent déjà quand est-ce qu’ils pourront venir la prochaine fois, entre les entraînements et les devoirs. Endou croise les mains derrière sa nuque.
— Et encore, tu n’as pas eu l’occasion de goûter les cookies, il y en a souvent pour le dessert. La prochaine fois j’espère !
Gouenji ne répond rien. Des cookies. Ils avaient l’habitude d’en faire, il y a longtemps, pour le goûter. Il se rappelle leur odeur qui embaumait la cuisine et le chocolat qui leur fondait sur les doigts. Une vague de nostalgie l’étreint. Elle est apparue en réalité dès qu’il a posé le pied dans le Rairaiken, lovée au creux de l’ambiance, des saveurs des plats et du confort d’être entouré de ses camarades. Il enfonce ses mains dans les poches.
Le groupe se délite au fil de leur progression, au moment de traverser avec ceux qui restent, Gouenji hésite. Pour aller voir Yuuka, il devrait tourner à gauche. Mais le soir est tombé, les heures de visite sont bientôt terminées et… Les autres se sont engagés sur le passage piéton, lui font signe de les rejoindre. Il n’a pas envie de quitter leur compagnie, pas tout de suite. Et si… Et s’il y allait demain ? Et si pour ce soir, il restait avec eux ?
***
— Ça va ?
Suki sursaute lorsque Hibiki tire la porte derrière lui. De l’autre côté, le restaurant est désert, ils sont partis. Perdue dans ses pensées, elle ne s’en est même pas aperçue.
— Hum…
— Tu me fais voir ?
Elle retire son béret et libère une cascade de cheveux noirs qu’il écarte délicatement. Ses doigts frôlent son cuir chevelu, elle cille lorsqu’il touche la bosse naissante.
— Ça devrait vite passer. Tu veux remettre de la glace ?
— Hmm…
Elle ne l’écoute déjà plus et Hibiki attend qu’elle trouve les mots pour exprimer ce qui la préoccupe.
— Shuuya… je… je ne m’attendais pas à le voir… Je…
Elle se mord la lèvre, son regard s’assombrit alors qu’elle resserre ses bras autour de ses jambes.
— Je crois que je comprends maintenant pourquoi… le match de… le oni sait que Shuuya est ici et… après l’année dernière… C’était… c’était un test ? Ou une intimidation ?
Sa bouche se crispe.
— Quand je pense que… Hibiki.
Elle lève les yeux vers lui, avec une intensité qui le transperce, et souffle :
— Tu le savais, n’est-ce pas ? Tu le savais, que Shuuya était à Raimon, et tu n’as rien dit.
Il n’a pas la force de lui mentir.
— Oui. Ils ont parlé de lui quand ils sont venus après leur victoire contre la Teikoku. C’est grâce à lui qu’ils ont gagné d’ailleurs. Mais comme ils ont aussi discuté du fait qu’il ne voulait pas rejoindre l’équipe, j’ai pensé… J’ai cru qu’il serait mieux de ne pas t’en parler. Que ce n’était pas nécessaire. Je… je suis désolé.
Elle secoue la tête. Ce n’est pas grave. Elle comprend. Si elle avait su plus tôt qu’il était là… À vrai dire, elle ne sait pas comment elle aurait réagi. Même maintenant elle n’est pas certaine de ce qu’elle ressent. Elle redoute le moment où la surprise se dissipera pour laisser la place au reste, à la panique et à ses angoisses. Parmi le brouhaha de toutes ses pensées – Shuuya ne doit jamais, jamais, savoir qu’elle est là. Est-ce qu’elle a dit quelque chose qui risquerait de la compromettre ? Si elle refait des cookies, il comprendra, c’est sûr, elle n’a pas le droit de prendre le risque – Suki fronce les sourcils, en retient une.
— Hibiki… Si Shuuya est là… Ça veut dire que… que Yuuka aussi.
Il hésite, une demi-seconde.
— Oui. Elle doit être à l’hôpital d’Inazuma.
Suki se lève, rive son regard dans le sien.
— Je dois y aller.
***
Elle ne veut pas qu’il l’accompagne ? Non, c’est bon, elle… elle peut se débrouiller seule. C’est ce que Suki se répète en traversant les rues comme un fantôme. Les bâtiments qui défilent, les voitures qui la dépassent, les passants qu’elle croise, plus rien n’existe. Ça va aller ? Oui. Enfin, elle croit. Il le faut. Elle enfouit ses poings plus profondément dans les plis de ses vêtements. Hibiki n’a pas essayé de la dissuader. Il lui a juste demandé de faire attention. Elle a promis. Et elle est partie. Malgré la douceur du soir, elle a froid.
Personne ne fait attention à elle quand elle entre dans le hall et le traverse d’un pas qui semble dire qu’elle sait où elle va. Elle a appris à laisser les regards couler sur elle et l’oublier aussitôt. Question de survie. Personne ne l’interpelle non plus pour lui demander ce qu’elle fait là quand elle grimpe les étages, même si les visites sont finies depuis longtemps. Invisible. Plus elle avance dans les couloirs et plus le froid grandit.
Elle déteste les hôpitaux. Elle déteste leur odeur acide, leurs lumières agressives, leurs sols et leurs murs blancs qui répercutent et amplifient les peurs et les souffrances des patients. Parfois, elle est obligée de changer de trottoir pour ne pas se faire happer par les pleurs d’une aura. Ici, elle n’a pas d’échappatoire. Les échos sont partout, derrière chaque porte, et ils ne se taisent jamais. Alors Suki ferme les yeux et fait semblant de ne rien ressentir. Ça va aller ? Elle n’en est plus si sûre.
Les seules empreintes qu’elle accepte de suivre, ce sont celles d’une chanson enfantine. D’abord ténues, Suki les a trouvées au détour d’un escalier et elles chantent de plus en plus fort à mesure qu’elles la guident dans le labyrinthe des chambres. Cela faisait des années qu’elle ne les avait pas entendues. Si depuis la comptine a mûri avec le temps, si elle s’est étoffée, de nouveaux rires, de nouveaux souvenirs, son cœur est toujours le même. Aussi, comme Suki a reconnu Shuuya et ses flammes sans avoir besoin de le voir, elle est certaine que la porte devant laquelle elle s’arrête est la bonne.
Pourtant, elle évite délibérément de regarder le lit en pénétrant dans la pièce. À la place, elle s’attarde sur les lampadaires qui éclairent les rues par la fenêtre, sur les bips des machines et les perfusions, sur la commode contre le mur recouverte de babioles. Parmi les peluches, elle reconnaît un lion à l’oreille manquante et une susuwatari. Il y a aussi des cartes de vœux, des dessins et, au milieu, un vase avec une brassée de fleurs fraîches. Plus Suki avance, plus elle se laisse gagner par la chaleur familière qui imprègne la chambre, et plus elle se rend compte à quel point elle était glacée jusqu’aux os. Enfin, quand elle n’a plus rien d’autre à regarder, elle se résigne à poser ses yeux sur le lit – sur Yuuka – et son cœur manque un battement. Pourtant, elle le savait. Alors à quoi est-ce qu’elle s’attendait ? Suki tire le tabouret au chevet et s’y laisse tomber. Qu’est-ce qu’elle a grandi. Yuuka donne l’impression de dormir, qu’il suffirait d’un rien pour qu’elle ouvre les yeux. Suki voudrait l’entendre rire à nouveau. Elle déglutit, chasse d’un battement de paupières le flou devant sa vision et force un sourire vacillant :
— Salut, Yuuka.
Elle a beau chuchoter, ses mots tremblent. Elle se plante les ongles dans les paumes dans une vaine tentative de garder le contrôle.
— J’ai… j’ai appris… Je suis désolée. De… de ne pas être venue plus tôt… de ne pas avoir été là. D’être… d’être partie.
Sa voix s’étrangle sur la dernière phrase. Ses yeux la brûlent, sa poitrine lui fait mal quand elle respire. Elle se mord la lèvre, jusqu’à sentir le goût âcre du sang lui envahir la bouche.
— Dis… est-ce que tu te souviens ? De moi… de nous. De… de tous les moments qu’on a passés ensemble. J’ai… Je n’ai rien oublié. Rien du tout. Est-ce que… est-ce que tu rappelles de ce soir-là ? … tu crois que Shuuya se rappelle, lui aussi ?
Shuuya slalome entre les passants, accélère. Il est en retard. Il avait promis à Yuuka qu’il serait là à la sortie de l’école, mais son entraînement s’est terminé plus tard que prévu, du coup il a raté son bus et… il est vraiment très en retard maintenant. Pour ne rien arranger, les trottoirs sont bondés et personne n’en a vraiment quelque chose à faire de laisser passer un gamin au milieu de leurs enjambées pressées.
Enfin, le portail coloré apparaît au bout de la rue. C’est la dernière ligne droite et Shuuya en oublie de faire attention. Un coup dans l’épaule lui fait perdre l’équilibre. Il trébuche, se rattrape un instant avant de s’étaler. Plus loin, l’homme qui l’a percuté s’éloigne dans la foule indifférente sans se retourner. Shuuya le fusille du regard, chasse les gravillons sur ses paumes en se relevant – c’est un peu râpé mais ça ne saigne pas – et reprend sa course.
Le portail s’ouvre en grinçant, Shuuya sprinte pour grimper les quelques marches menant au hall. De l’autre côté de la baie vitrée, avec l’instituteur restant jusqu’à la fermeture de l’établissement, Yuuka l’attend sur le banc. Elle en bondit dès qu’elle l’aperçoit.
— Onii-chan !
Il la soulève lorsqu’elle saute dans ses bras.
— J’ai cru que t’arriverais jamais !
— Désolé. Comment est-ce que je peux me faire pardonner ?
Une étincelle s’allume dans les yeux de sa petite sœur avec un sourire diabolique. Quel monstre vient-il de réveiller ?
— Tu m’achètes un dorayaki ?
— Tu sais bien que papa ne veut pas que l’on grignote avant manger, soupire Shuuya.
Peine perdue. Comment est-il censé résister à la bouille adorable qu’elle utilise sans vergogne comme arme de persuasion ? Il cède tandis que, main dans la main, ils passent le portillon.
— C’est d’accord, on le prendra au yatai du square s’il y est, mais tu ne le diras pas, hein ?
Yuuka hoche vigoureusement la tête.
— Promis !
— Eh. Et sinon, si tu me racontais ta journée ? Vous avez fait quoi en classe ?
— Ce matin, on a fait des coloriages, moi, j’ai fait un chat. Il était gros, comme celui du voisin, et j’ai aussi…
Animé par le récit sans fin de Yuuka, le quart d’heure jusqu’au square est passé sans qu’il ne s’en rende compte. Dans le parc de verdure, Shuuya aperçoit la devanture de l’étal ambulant et les odeurs de pâte sucrée flottent jusqu’à eux, avivant la gourmandise dans le regard de sa sœur. Yuuka lui lâche la main et part devant, ses deux tresses châtaines flottant autour de sa tête au rythme de ses bonds. Le garçon cherche dans sa poche. Blêmit. Yuuka s’arrête, se retourne en constatant qu’il ne la suit pas.
— Onii-chan ? demande-t-elle d’une petite voix.
— Mon porte-monnaie… J’ai perdu mon porte-monnaie.
Incertaine de comprendre ce qu’il se passe mais sensible à la détresse de son frère, Yuuka écarquille les yeux. Shuuya tapote sa veste, son pantalon, comme si ça pouvait le faire miraculeusement réapparaître. Il l’avait en sortant des vestiaires, puisqu’il a vérifié s’il avait son ticket de bus avant de se rendre compte que celui-ci était déjà passé. Il l’a forcément égaré sur le trajet. Mais quand ? Il n’a pas… Quand il est tombé tout à l’heure ! Il a dû le perdre à ce moment-là. Le cœur battant, il attrape la main de Yuuka et fait demi-tour.
Ils mettent bien moins de temps qu’à l’aller pour revenir sur leurs pas. En arrivant à nouveau en vue de l’école, la foule s’est clairsemée. Shuuya remonte la rue en scrutant le sol. C’était par là… Juste ici !
Mais il n’y a rien.
Son porte-monnaie a disparu. Volé ou ramassé, le résultat est le même. Il respire un grand coup. Même si sourire à cet instant est compliqué, il doit rester fort pour sa petite sœur, neh ?
— Désolé, Yuuka, je t’achèterai un dorayaki une autre fois, d’accord ?
L’enfant hoche la tête sans rien dire. Le pas traînant, ils prennent le chemin de la maison.
Les lampadaires se sont allumés et projettent des flaques de lumière sur les trottoirs. Plus ils s’enfoncent dans les quartiers résidentiels, plus les rues se désertifient. Yuuka n’a pas repris son récit, affectée par l’humeur de son frère. Ce dernier rumine, furieux contre lui-même, redoutant la réaction de son père lorsque ce dernier apprendra, immanquablement, sa perte.
— Excusez-moi, jeune homme.
Shuuya sursaute et s’interpose inconsciemment entre sa sœur et la voix inconnue qui l’interpelle dans leurs dos. Plus loin, une dame d’un âge mûr et aux formes rondes lui sourit.
— Qu’est-ce que vous voulez ? interroge-t-il, sur la défensive.
La femme ne prend pas ombrage de son ton et pousse devant elle l’enfant qui s’accroche à sa manche. Cette dernière doit avoir son âge, un peu moins peut-être, et s’avance vers lui d’un pas hésitant. Elle se retourne fréquemment vers son accompagnatrice qui l’encourage. Shuuya se demande à quoi rime son étrange manège lorsqu’elle s’arrête à moins d’un mètre de lui et, après une dernière hésitation, tend les mains vers lui. Il met deux secondes à identifier l’objet dans ses paumes levées.
— Mon porte-monnaie !
La fille se retire d’un pas en arrière dès qu’il le saisit. Le poing serré sur la pochette de cuir, les bras le long du corps, Shuuya s’incline.
— Je vous remercie du fond du cœur.
Elle ne dit rien, le dévisage quand il se redresse et il est frappé par le bleu de ses yeux. Cachée derrière lui, Yuuka sort la tête et demande :
— Comment t’as fait ?
— Je… Je l’ai trouvé par terre et… balbutie l’inconnue. Tia m’a dit que le rendre c’était bien.
Yuuka plisse le nez.
— Mais comment t’as su qu'il est à Onii-chan ?
Les débuts de phrase que sa bienfaitrice bégaie ne trouvent pas de fin et elle recule d’un autre pas en tortillant le bas de ses manches entre ses doigts. Shuuya se hâte de la sortir de son embarras :
— Ça n’a aucune importance. Je te remercie. Beaucoup.
Soulagée, elle leur adresse un léger signe de la tête et, sa mission accomplie, repart en trottant vers la dame qui l’attend. Shuuya la regarde glisser sa main dans celle de l'adulte et s’en aller. Il l’imite en prenant celle de Yuuka, range de l’autre son porte-monnaie au fond de sa poche. Avant de repartir, une dernière fois, Shuuya jette un œil par-dessus son épaule. À l’autre bout de la rue, la petite fille a fait de même. Il lui sourit, lui adresse un signe. Elle hésite, lève timidement ses doigts en retour, sourit aussi.
— Eh… T’en souviens-tu, Yuuka ?
Suki souffle, essuie son visage dans sa manche. Ça fait mal. Elle ne s’attendait pas à ce que ça fasse aussi mal. Elle n’était pas prête à revivre avec autant d’intensité le premier soir où elle a croisé Shuuya et Yuuka. Pas prête non plus à revenir sur le pas de la porte de l’une des plus belles périodes de sa vie. Ne pas penser à ce qu’il s’est passé après, ne pas penser à… ne pas penser à… ne pas penser à Tia. Pas prête à revoir son visage, à entendre à nouveau sa voix, ni à sentir sa paume dans la sienne. Même après tout ce temps. Elle ne sera jamais prête. Le froid est revenu. Diffusément, Suki devine qu’elle n’a plus beaucoup de temps avant qu’un infirmier ou une aide-soignante ne passe.
— Je vais y aller… Je reviendrai.
Suki contemple une dernière fois l’enfant endormie, les murs désolés qui la surveillent, la courbe régulière sur l’appareil de contrôle, les babioles sur la commode. Un bateau en origami accroche son regard. Oh. Ils… ils en ont gardé… toutes ces années ? Pour garder contenance, pour chasser l’étau qui se referme sur sa poitrine, pour refouler les larmes qui débordent, Suki tire sur le bas de ses manches et détourne les yeux. Ils s’arrêtent sur le bloc-notes posé sur la table de nuit. Une idée, une envie, lui traverse l’esprit. Mauvaise idée. Dangereuse envie. Pourtant… Doucement, Suki déchire une page et la plie entre ses doigts.
Notes:
Le flashback avec le porte-monnaie est la toute première scène que j'ai écrite sur Inazuma Eleven il y a des années. Elle a pas mal changé depuis, il ne neige plus, le personnage de Tia s'est ajouté, et toute l'histoire autour n'est plus la même, pourtant elle garde la même âme, la même douceur de la première rencontre entre Suki, Gouenji et Yuuka. J'espère que vous l'avez appréciée, qu'elle a su vous toucher. Si c'est le cas, faites-le-moi savoir, d'un kudo ou avec un commentaire, et à la semaine prochaine !
Chapter Text
De l’autre côté de l’écran, les feux d’artifice éclatent sur le ciel nocturne balayé par les projecteurs. Leurs crépitements résonnent dans le Rairaiken. C’est calme, pour un dimanche soir. Hibiki en profite pour passer un coup de balai. Il surveille Suki accoudée au comptoir à travers ses lunettes teintées. Son carnet ouvert devant elle dont elle remplit les pages depuis hier soir, elle a à peine décroché un mot de la journée. C’est lui qui a proposé d’allumer la télé, elle a accepté sans qu’il n’arrive à déterminer si c’est ce qu’elle voulait vraiment ou non. La caméra passe sur l’imposant bâtiment du siège de la Fédération de Football Junior, la voix du commentateur jaillit sur un fond de musique entraînante.
— La nouvelle saison va enfin commencer au Japon ! Plus chaude que la canicule d’été, elle va décider parmi les collèges de notre nation quelle sera la meilleure équipe de football ! Laquelle atteindra le sommet du Japon ? Bienvenue au Football Frontier !
S’ajoutent aux cris du speaker les applaudissements du public convié à l'événement.
— Mais avant de parvenir au tournoi principal et à la lutte acharnée pour la victoire, les joueurs vont devoir franchir un premier obstacle ! Les poules régionales ! De chaque région, une seule équipe sera qualifiée ! Moi, Kakuma Oushou, ai l’honneur de vous accueillir pour le tirage au sort du premier tour ! Et nous commençons par la région de Kanto !
Suki s’est arrêtée d’écrire. Le crayon suspendu au-dessus du papier, elle observe l’immense installation et les mascottes aux oreilles de lapin qui vont procéder au tirage des boules. Les noms s’enchaînent, le tableau des matchs se remplit, les entraîneurs appelés se succèdent sur scène pour saluer le public et les caméras. Pour la énième fois, la mascotte de gauche lève la boule tout juste sortie de la machine.
— Oh ! L’équipe de Nose ! Et leur adversaire sera…
Le suspens s’étire encore. Suki se mord l’intérieur de la joue.
— … Le collège de Raimon, qui s’est fait remarquer dernièrement par la rapide progression de son équ…
L’écran s’éteint au moment où la caméra se braque sur Fuyukai et sa montée sur l’estrade. Hibiki interroge Suki du regard. Elle repose la télécommande en haussant les épaules.
— Il n’y avait plus rien d’intéressant.
— Ah ?
Nouveau haussement d’épaules. Elle ne développera pas plus, comme elle ne dira pas non plus qu’elle ne voulait pas voir le tirage de la Teikoku Gakuen, ni le représentant que le oni a sans doute envoyé à sa place, ne prenant même pas la peine de se déplacer lui-même. Suki secoue la tête, tapote le bout de son crayon sur sa page. Raimon contre Nose…
***
— Les gars, aujourd’hui est un grand jour !
— Eh !
— Le Football Frontier a enfin commencé !
— Eh !
Les cris des joueurs, de plus en plus forts, ébranlent le minuscule local. L’excitation est palpable pour leur premier entraînement depuis leur entrée officielle dans le tournoi rêvé. Endou a trépigné toute la journée – les cours sont passés avec une lenteur exaspérante – et se délecte à présent de la ferveur si longtemps attendue. Les autres répondent à son enthousiasme, assis par terre, sur des pneus ou sur les casiers.
— Alors ? demande Kazemaru.
Ils ont, pour la plupart, regardé comme leur capitaine la cérémonie mais lui laissent le plaisir de l’annonce. Les yeux d’Endou brillent.
— Notre premier match aura lieu dimanche prochain et notre adversaire sera…
— Le collège de Nose.
Fuyukai lui coupe l’herbe sous le pied en entrant à ce moment-là. C’est rare que l’entraîneur vienne ici, mais la qualification de son équipe pour le tournoi et la soirée d’ouverture de la veille où il a été obligé de se rendre y sont certainement pour quelque chose.
— Si je me rappelle bien, poursuit-il, le collège de Nose était…
— L’équipe qui a perdu contre la Teikoku Gakuen en finale de la poule de la région de Kanto l’année dernière.
Haruna, le nez plongé dans son carnet de notes, interrompt à son tour le professeur, détaillant les informations qu’elle a récupérées jusque-là. Endou la rejoint et essaie de lire à l'envers :
— C’est génial ! On affronte une équipe aussi forte ?
— Ça serait dommage de se faire éliminer dès le premier tour… soupire Fuyukai. Ah oui, et aussi…
Son pessimisme est balayé par une exclamation joyeuse derrière lui :
— Salut ! Je suis Domon Asuka ! J’aimerais rejoindre le club en tant que défenseur !
Kabeyama et Shourinji reconnaissent le visage couronné de gris qui se glisse par l’ouverture. C’est le nouvel élève qui leur a demandé ce matin le chemin du bureau du principal. Fuyukai s’écarte pour le laisser entrer, circonspect.
— Tu es intéressé par des choses étranges. S’inscrire à Raimon uniquement pour rejoindre une équipe de foot aussi faible… Enfin bref…
Le professeur abandonne les lieux sur un dernier soupir. Domon grimace, demandant sans un mot ce qui ne tourne pas rond avec lui. Les autres lui font signe de laisser tomber et en profitent pour le détailler. Domon se livre au même examen et trouve un sourire rayonnant au milieu des visages curieux.
— Domon-kun !
— A-Aki ?! Je ne savais pas que tu étais à Raimon !
Les joueurs laissent passer la manageuse, Endou incline la tête.
— Vous vous connaissez ?
— Hum ! acquiesce Aki. On a quasiment grandi ensemble aux États-Unis avant que…
Dans le temps d’arrêt qu’elle marque, Endou attrape la main de Domon et la secoue vigoureusement.
— Bienvenue au club ! Faisons de notre mieux ensemble pour remporter le Football Frontier !
Domon peine à récupérer son bras maltraité par l’entrain débordant de son nouveau capitaine sous les rires du reste de l’équipe. Aki chasse son trouble et en profite pour glisser à l’oreille de son ami que oui, c’est tout le temps comme ça avec Endou. Domon se joint de bon gré à l’engouement général. Le regard rivé sur lui, Gouenji est le seul qui ne sourit pas. Il l’a déjà vu quelque part.
Quand il parvient enfin à se libérer, Domon demande :
— Notre adversaire est le collège de Nose, pas vrai ? T'as l’air super confiant, je ne le serais pas autant à ta place.
— Huh ?
La remarque stoppe Endou dans son élan. Au fond de la pièce, Someoka hausse un sourcil.
— Ça veut dire quoi ça ? T’es venu pour nous donner des leçons ?
— Eh bien, j’ai déjà joué contre eux avec mon ancien collège.
L’argument porte ses fruits. Someoka, comme les autres, se tait pour le laisser dérouler. Gouenji se renfrogne et croise les bras.
— C’est une très bonne équipe en termes de mobilité, explique Domon. Leur défense et leur gardien sont capables de bloquer beaucoup d’attaques et leurs contres sont fulgurants. Mais leur meilleur atout, ce sont leurs compétences aériennes. Dans ce domaine, leur capitaine est imbattable, il laisse personne tirer.
Un silence s’installe, rompu par Kabeyama qui se lève :
— Il faut que j’aille aux toilettes.
— N’aie pas peur avant même d’avoir commencé le match ! le houspille Someoka.
C’est surtout la main d’Handa sur son épaule qui convainc le défenseur de se rasseoir. Endou compte sur ses doigts avec détermination :
— Aucun problème ! Si nos tirs passent pas, on essaiera, encore et encore, et on a des hissatsus techniques pour gagner dans les airs !
— Je ne suis pas sûr que ça suffise… Leurs sauts sont vraiment impressionnants, tu sais. Ils peuvent contrer n’importe quel tir ou hissatsu technique qui ne monte pas assez haut.
Toujours dans l’encadrement de la porte, Domon mime le contre de Nose. Someoka est sceptique mais Gouenji le détrompe :
— Domon a raison.
Devoir corroborer ses propos le perturbe d’autant plus qu’il ne parvient toujours pas à savoir d’où il le connaît. À la demande muette des visages inquiets qui se tournent vers lui, il développe :
— Je les ai déjà vu jouer. Leur jeu aérien est redoutable, ni la Fire Tornado ni la Dragon Tornado ne passeront.
Les mines se défont. Kabeyama se lève à nouveau.
— J-je dois vraiment aller aux toilettes…
À contre-courant, Endou rayonne. Le défi annoncé par Domon et Gouenji ne lui fait pas peur. Au contraire. La perspective lui donne encore plus envie de se dépasser. Le poing dressé vers le ciel, il adresse un sourire éclatant à ses coéquipiers.
— Ils sont forts ? Mais nous aussi et il ne tient qu’à nous d’apprendre à contrôler les airs !
***
Aux grands maux les grands remèdes. Endou a plaidé leur cause auprès de Furubaku, le concierge du collège, pour qu’il leur prête la plateforme élévatrice de l’établissement. Comment a-t-il obtenu gain de cause ? Ses camarades ne le sauront jamais, toujours est-il qu’il est désormais perché à six ou sept mètres du sol. Il a pris avec lui leur réserve de ballons et les leur lance les uns après les autres tandis qu’ils essaient de sauter le plus haut possible pour les contrôler en hauteur. Enfin, quand il les envoie au bon endroit.
— Eh, où est-ce que tu vises ?!
Aki regarde Someoka passer en pestant à la poursuite du cuir perdu. Domon la rejoint. Il a revêtu son nouveau maillot et le numéro 13.
— Yo ! Alors, comment tu me trouves ? lui demande-t-il en prenant la pose.
Elle rit de bon cœur.
— Ça te va bien.
Ils se sourient, un étrange silence s’installe. Leurs retrouvailles inattendues les prennent au dépourvu. Les années passées loin l’un de l’autre devraient alimenter leur conversation, mais ils n’y arrivent pas. La dernière fois qu’ils se sont vus, c’était il y a quatre ans, avant qu’Aki déménage, juste après…
— Neh, Aki, tu as continué à t’intéresser au…
— Les gars, continuez comme ça, faites de votre mieux !
Elle ne l’a pas entendu ou elle fait semblant. Domon renonce. Même pour lui, sa tentative sonnait faux. À la place, il suit son regard. Là-bas, Furubaku vient vérifier que tout se passe bien et en profite pour échanger quelques mots avec Haruna.
— Ils travaillent dur, c’est bien. J’ai regardé le match contre l’Institut Okaruto, c’était un beau match. J’avais l’impression de revoir le Onze d’Inazuma sur le terrain !
— Le Onze d’Inazuma ?
Haruna dégaine son carnet, prête à prendre des notes. Furubaku, surpris de l’ignorance de la manageuse, se gratte la tête sous sa casquette.
— Oy oy, eh ! Endou ! Tu ne leur en as jamais parlé ?
Le concerné se penche par-dessus la rambarde.
— Si… un peu… mais… je sais pas grand-chose, en fait.
— Le propre petit-fils d’Endou Daisuke ?! Descends de là, va falloir remédier à ça.
L'entraînement s’est suspendu et les joueurs se sont assis dans l’herbe autour de Furubaku. Celui-ci remonte le temps :
— Il y a 40 ans, l’équipe de Raimon a créé la surprise en se hissant en un clin d’œil en finale du Football Frontier. C’était l’outsider de la compétition ! Inconnue l’année précédente, elle a gagné le titre légendaire du Onze d’Inazuma et a tout renversé sur son passage. Enfin, jusqu’à ce que…
— … Jusqu’à ce que ?
— Non, rien, oubliez…
Le Onze d’Inazuma. Kazemaru se souvient qu’Endou lui en a parlé le premier soir. Celui-ci a des étoiles dans les yeux en écoutant Furubaku qui ne tarit pas d’éloges.
— C’était une équipe incroyable ! Je suis certain qu’elle aurait pu rivaliser avec des équipes internationales. Ses joueurs étaient forts, ça c’est sûr, mais celui qui a fait la différence, c’était son coach…
— Jii-chan ! s’exclame Endou.
— Eh, Endou Daisuke était l’entraîneur du Onze d’Inazuma ! C’était un emblème du football japonais. Il a même été joueur dans l’équipe nationale avant !
— Waaaah… trop la classe !
— Tu ne le savais pas ? s'interroge Aki.
— Hum… Okaa-san aime pas parler de lui… J’ai juste récupéré son carnet mais elle était pas trop d’accord…
Endou secoue la tête avant de bondir sur ses pieds.
— Yoooosh ! J’ai envie de venir aussi fort qu’eux ! Aussi fort que mon grand-père !
— Et tu comptes faire ça tout seul ?
Endou baisse les yeux sur Kazemaru, sur le reste de l’équipe, dont les sourires sont aussi larges que les siens.
— Évidemment que non ! On va le faire tous ensemble ! Neh ? On va montrer à tout le monde qu’on peut devenir aussi fort que le Onze d’Inazuma !
— Eh !
***
— Le match approche et on n’est toujours pas au point.
Kazemaru avance, préoccupé. La moitié de la semaine a déjà filé et, malgré leurs entraînements, il a l’impression que l’équipe fait du surplace. Le récit épique de Furubaku leur a donné un regain de motivation, mais la motivation ne fait pas tout. Endou se tourne vers lui :
— On ne doit pas abandonner. On a bien réussi la dernière fois !
— Je n’ai pas abandonné ! Mais nous devons penser au pire des scénarios. La dernière fois, comme tu dis, on a été sauvés par la Dragon Tornado. Ça ne se reproduira pas, de créer une hissatsu technique à la volée. Et même si on en trouve une autre avant le début du match, il nous faudra du temps pour la maîtriser correctement.
Gouenji s’arrête à côté d’eux.
— Kazemaru a raison, c’était un exploit. On ne peut pas compter là-dessus.
Endou soupire. Il sait qu’ils ont raison. Il a lui-même du mal à perfectionner son usage du Nekketsu Punch, maintenant que le feu de l’action est passé, et leur maîtrise des airs est loin de celle dont il aurait rêvé. Pourtant, rien n’affecte son optimisme. Les bras croisés derrière la nuque, il sourit :
— D’une certaine façon, on va y arriver.
— D’une certaine façon ?
C’est l’instant que choisit le ventre d’Endou pour gargouiller – c’est que l’enchaînement des cours et des entraînements intensifs, ça creuse ! – et le garçon saute sur l’occasion :
— Yosh ! On reprend tous plus tard cet aprem, non ? Allons discuter stratégie au Rairaiken !
Sans attendre leur réponse, il bifurque dans la rue d’à-côté. Les deux autres échangent un regard avant de lui emboîter le pas.
Il n’y a pas foule dans le restaurant de ramen, un midi de semaine, juste un autre client en imperméable qui disparaît derrière son journal, assis dans un coin. Le patron fait sauter dans la large poêle les légumes que son commis découpe. Endou dévore son plat tandis que Kazemaru et Gouenji mangent plus lentement, l’esprit occupé.
— Comment on va faire face à Nose ?
Endou aspire les pâtes qui dépassent de ses lèvres avant de répondre.
— J’ai confiance en toute l’équipe. On arrivera à gagner. Rappelle-toi, on va devenir le nouveau Onze d’Inazuma ! Ton ramen va refroidir.
Kazemaru scrute un instant Endou avant de se remettre à manger. Gouenji répète, plus pour lui-même qu’autre chose :
— Le Onze d’Inazuma, eh… ?
Outre la légende que fait miroiter le nom, il est persuadé d’avoir vu le chef contenir une crispation et peut-être l’autre client jeter un œil vers eux. Endou cale son menton dans sa paume.
— J’aimerais bien connaître leurs entraînements et leurs hissatsus techniques…
— Il existe un cahier qui regroupe ces savoirs.
— J’ai déjà lu le carnet de mon grand-père, répond-il machinalement à la voix trop grave pour appartenir à l’un de ses amis. Il y en a un peu mais j’ai déjà appris ce qu’il y a dedans.
— Je te parle d’un autre cahier.
— Un autre ca… Eh !
Le tabouret d’Endou manque de basculer en arrière lorsqu’il réalise ce que le patron vient de dire. Le garçon bondit sur ses pieds et se penche par-dessus le comptoir.
— Attendez attendez attendez… Comment vous connaissez l’existence des carnets ?
— Quand tu auras mon âge, tu verras qu’on sait des choses. Comment est-ce que tu as entendu parler du Onze d’Inazuma, petit ?
— Furubaku-san nous a parlé de leur légende et de celle de Jii-chan !
— Eh… Furubaku ? Il vous a parlé aussi de ce qui leur est arrivé ?
— N-non, il s’est passé quoi ?
Le patron ignore sa question et le scrute un instant avant de pointer sa loucher vers sa poitrine, le forçant à reculer.
— Tu es le petit-fils d’Endou Daisuke ?
— Oui !
— Et tu ne sais pas ce qui est arrivé au Onze d’Inazuma ?
— N-non… répond Endou, soudain moins sûr de lui.
Gouenji assiste à la scène avec Kazemaru comme un spectateur. Du coin de l’œil, il aperçoit que l’autre client a baissé son journal et que même si le commis continue sa découpe consciencieuse, il observe la scène sous le rebord de son béret. Le chef souffle du nez.
— Hum… Le petit-fils de Daisuke-san… J’aurais dû m’en douter… Alors comme ça tu as réussi à lire son carnet d’entraînement ?
— Eh ! Vous connaissiez mon grand-père ?
Endou a repris son aplomb. Le patron lave sa louche avant de la replonger dans la soupe.
— Va savoir.
Sauf que maintenant qu’il est lancé, Endou refuse d’en rester là. Les questions qui tourbillonnent dans son esprit sont nombreuses, mais pour l’instant une seule compte.
— Vous savez forcément où se trouve l’autre carnet, neh ? Vous pouvez nous dire où il est ? S’il vous plaît s’il vous plaît s’il vous plaît…
Les garçons sont partis en catastrophe en remarquant l’heure – les cours ne vont pas les attendre pour reprendre – et l’autre client les a suivis peu après. Suki ne s’est remise à respirer qu’une fois que Shuuya s’en est allé. Elle se laisse tomber sur un tabouret pendant qu’Hibiki ramasse les bols.
— Tu es sûr que c’était une bonne idée ? lance-t-elle au bout d’un moment, pensive.
— De ?
— Leur parler de ce cahier. Il ne va pas te lâcher avec ses questions. Tu ne pourras pas les esquiver éternellement.
— Humhum, peut-être…
Suki le scrute tandis que le silence revient. Le passage régulier des joueurs de Raimon entrouvre doucement en lui une porte qu’il gardait solidement fermée. Elle se mord l’intérieur de la joue, passe une main sur sa nuque, secoue la tête. Une étincelle s’allume dans son regard.
— Tu sais qu’ils vont s’attirer des ennuis en le cherchant ?
— Tu crois ?
Elle hausse un sourcil éloquent, il lui lance un torchon qu’elle esquive avec un demi-sourire avant d’attraper la liste de courses sur le frigo et de gagner l’arrière-boutique.
— J’y vais.
— Ne reviens pas trop tard et sois prudente.
— Toujours.
Notes:
Je suis vraiment contente que Domon fasse son apparition. C'est un personnage auquel je me suis attachée au fil des visionnages, et encore plus avec l'écriture de cette histoire. Par contre, hum... tout ne sera pas rose pour lui. Comme prévenu, certaines choses seront un peu plus sombres que dans l'animé et le passé a des conséquences.
Chapter 10: Afin de conquérir le ciel
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Ils étaient à la tour quand j’y suis passée. Ils ont trouvé le carnet.
Suki dépose les courses dans la réserve, revient avec une brassée de légumes. Hibiki lâche un éclat de rire.
— Oh ? Je ne m’attendais pas à ce qu’ils mettent la main dessus aussi rapidement.
— Ils se demandaient encore comment tu étais au courant de son existence. Et de son emplacement. D’ailleurs, tu avais raison… à peu près. De ce que j’ai compris, ils n’ont évité les ennuis que par miracle… et avec l’aide de la fille du président du conseil d’administration du collège.
Hibiki observe sa protégée rincer les oignons nouveaux et reprendre.
— Endou le leur lisait à voix haute. Ça avait l’air… confus.
Hibiki ne peut retenir un soupir nostalgique – aucune explication n’était jamais simple avec Daisuke-san. Cependant Suki n’en a pas fini, fronçant brièvement les sourcils.
— Il y avait des exercices qui semblaient les intéresser. Et aussi les instructions pour une hissatsu technique qui avait l’air de pouvoir les aider.
— Ah oui ?
— Hum. L’Inazuma Otoshi.
Suki coupe l’eau, s’essuie les mains, lève la tête vers le sourire au coin des lèvres d’Hibiki.
— Eh ? Intéressant.
Elle a beau le scruter, il ne veut rien dire de plus.
***
— Endou, je peux te parler ?
— Hum ?
Someoka et Kazemaru ont pris l’entraînement en main. L’équipe a laissé de côté l’Inazuma Otoshi pour le moment, incapables de comprendre les indications nébuleuses du carnet. Boing, bang et zabang, ce n’est pas vraiment ce à quoi ils s’attendaient. Cependant Gouenji n’a pas cessé d’y penser et fait signe à Endou de s’accroupir à côté de lui. Il attrape un bout de branche pour tracer dans la poussière le fruit de sa réflexion :
— Peut-être que la technique est censée fonctionner comme ça. D’abord, une personne saute. En l’air, une autre lui sert de tremplin et lui permet de sauter encore plus haut. Au sommet de son second saut, elle fait un retourné et tire. Qu’est-ce que tu en penses ?
— Gouenji…
Le ton d’Endou l’inquiète et l'admiration avec laquelle il le dévisage ne le rassure pas vraiment.
— Tu as raison, c’est sûrement comme ça ! Tu es incroyable !
Gouenji n’est pas sûr d’encaisser l’enfilade de compliments exagérés qu’il devine Endou prêt à décocher, heureusement, celui-ci retrouve rapidement son sérieux, déjà concentré sur l’étape suivante.
— Le seul qui puisse faire un retourné depuis un tremplin instable… Hum… c’est toi.
— Moi ?
Gouenji a de nombreuses objections – même en partant du principe qu’il a bien compris le fonctionnement de la technique et en admettant qu’il est suffisamment sûr de ses capacités pour envisager le rôle qu’Endou veut lui donner, rien ne dit qu’ils auront le temps de la maîtriser d’ici la fin imminente de la semaine – mais Endou ne lui laisse pas vraiment la possibilité de les formuler.
— Eh ! Et celui qui pourrait faire office de tremplin, c’est…
Son regard parcourt les membres de l’équipe, s’arrête sur le plus grand gabarit.
— Kabeyama !
Le concerné entend son nom au milieu du groupe, lève la tête dans leur direction, pointe son doigt sur sa poitrine sans savoir de quoi il en retourne.
— Huh ?
Avec l’aide d’Aki et d’Haruna, Kabeyama se retrouve équipé de deux gros pneus autour de la taille maintenus par des cordes. Il a à peu près compris ses responsabilités dans l’hissatsu technique à maîtriser mais…
— C’est quoi, cet entraînement ?
— Tu es responsable de la première étape, Kabeyama-kun.
Haruna lui montre la feuille sur laquelle elle a reproduit le schéma sommaire de Gouenji.
— Tu es le tremplin. Il faut que tu sautes assez haut pour que Gouenji puisse monter encore plus haut grâce à toi. Compris ? C’est pourquoi nous devons améliorer la hauteur de tes sauts.
— Mais avec ça… Je ne peux pas sauter, objecte Kabeyama en tapotant les pneus, peu emballé par la perspective.
En guise de démonstration, il fait une tentative mais ses lests le clouent au sol.
— En s’entraînant on va y arriver !
Endou approche, sa démarche rendue maladroite par un harnachement similaire. Il sautille en décollant difficilement, sourit à Kabeyama :
— Je dois aussi augmenter la hauteur de mes sauts, pour le Nekketsu Punch. Faisons-le ensemble !
— Hum… oui, Cap’taine.
— Vous êtes prêts ?
Kazemaru détourne son regard de Kabeyama et d’Endou pour se concentrer sur Someoka et Gouenji.
— … Eh, pardon.
Il croise ses bras et attrape ceux de Someoka qui fait de même.
— J’y vais, annonce Gouenji.
L’attaquant prend de l’élan, saute. Kazemaru et Someoka plient les genoux lorsqu’il atterrit sur leurs bras et pousse de toutes ses forces. Les crampons leur égratignent la peau. Gouenji s’élève, pas très droit, désaxé par ses appuis d’envol instables. Néanmoins, il attend d’être au plus haut avant de se retourner. Rattrapé par la gravité, sa réception déséquilibrée est une catastrophe et Kazemaru oublie sa douleur passagère pour se précipiter vers lui.
— Gouenji ! Ça va ?
Le numéro 10 s’essuie dans son coude et prend à peine le temps de les rassurer.
— Ce n’est pas encore ça. Je dois m’habituer au mouvement de départ. Vous pouvez me propulser plus haut ?
— Compris.
Kazemaru lui tend la main, l’aide à se relever. Et ils recommencent.
***
Le jour d’après, Suki cède à la curiosité et fait un nouveau détour par le parc. Elle grimpe les allées, vides à une heure aussi tardive, se jouant des flaques de lumière pour rester dans l’ombre et s’arrête là où elle peut voir sans être vue. Détrompant ses pronostics qui ne misaient que sur les irréductibles, ils sont tous là. Même le nouveau, malgré son manque de ponctualité régulier et la légèreté avec laquelle il prend part aux entraînements – après tout, il y a peu de chance qu’il fasse partie des titulaires vu son arrivée récente dans l’équipe l’a-t-elle entendu glisser à Aki l’autre jour – est adossé à un tronc de l’autre côté de l’esplanade. Suki se fond un peu plus dans l’obscurité qui l’entoure et écrase ses mains au fond de ses poches, renfrognée. De toute la semaine, elle ne l’a vu qu’observer les autres se couvrir de sueur et de poussière. Pour ce soir, elle l’imite.
À bout de souffle, les jambes en feu après un énième saut, Kabeyama se laisse tomber par terre en gémissant. Il en a rêvé toute la nuit, de l’exercice qui le torture, et ça recommence comme si ça devait ne jamais avoir de fin. Pourtant, il n’a pas su dire non à Endou lorsque celui-ci l’a accueilli tout à l’heure en souriant, prêt à reprendre là où ils s’en étaient arrêté la veille, pourtant il n’a pas su refuser l’assistance d’Aki et Haruna pour enfiler les pneus qui l’immobilisent. Plus loin, Gouenji se réceptionne dans une roulade maladroite après un retourné pas plus habile. L’attaquant reste allongé, le torse se soulevant à un rythme effréné. Il a beau avoir des réserves sur l’utilité de se concentrer sur l’Inazuma Otoshi, la détermination lumineuse d’Endou l’a convaincu. Il est trop tard maintenant pour faire demi-tour. L’éclairage des lampadaires est coupé par Kazemaru et Someoka qui le rejoignent et s’accroupissent à côté de lui.
— Eh, tu ne veux pas arrêter ? T’es dans un sale état.
— Parlez pour vous.
Rouges et irrités, leurs bras saignent par endroit, pourtant Someoka écarte le sujet :
— Ce n’est pas grand-chose, mais toi…
— Ce n’est pas grand-chose pour moi non plus !
— Gouenji…
Kazemaru échange un regard avec Someoka et ils se mettent d’accord sans un mot.
— Eh. On va t’aider jusqu’au bout !
Se relever est douloureux, ils sont obligés de pousser sur leurs genoux avant de tendre la main à Gouenji. Ensemble, ils grimacent. Ensemble, ils sont debout. Jusqu’au bout.
— Arrête, Endou ! implore Aki. Ce n’est pas parce que tu ne veux pas que Kabeyama-kun fasse l'entraînement tout seul que tu dois aller aussi loin !
La respiration coupée par la chute, incapable de se relever ou de parler, Endou fait signe que tout va bien. Kabeyama roule sur lui-même pour le voir.
— Cap’taine, c’est vrai ?
Endou lui sourit, malgré la fatigue et la terre qui lui maculent le visage.
— Ce n’est pas encore terminé !
— Mais… je ne peux plus continuer…
— C’est lorsque nous pensons que nous ne pouvons plus continuer que nous sommes capables de libérer notre plein potentiel ! La déesse de la victoire sourit aux persévérants. Allez, encore une fois !
Kabeyama écarquille les yeux en voyant Endou se remettre sur pied, encore, inlassablement. Il a les jambes qui tremblent et rien ne l’oblige à subir ça avec lui… pourtant le cap’taine continue. La culpabilité prend Kabeyama aux tripes. Il n’a pas le droit de le laisser tomber, même si… Non ! Il va y arriver ! Et il se relève.
Alors que les heures filent, sans que personne ne l’ait vue, Suki rebrousse chemin. Une dernière fois, elle regarde par-dessus son épaule. De là où elle est, elle ne voit plus rien, mais elle n’en a pas vraiment besoin. Elle reconnaît les mêmes bruits qui se répètent, les mêmes éclats de leurs auras, comme une pièce de théâtre qu’ils jouent en boucle. Endou qui lève un doigt – rien qu’encore une fois, une toute petite – Shuuya qui s’élance, son grognement lorsqu’il saute, ceux étouffés de Kazemaru et de Someoka quand les crampons râpent leurs bras, le soupir déterminé de Kabeyama, ses pneus qui rebondissent au sol, la réception malhabile de… Elle fronce les sourcils. Cette fois… quelque chose est différent. Le cri de Someoka lève son incertitude.
— Yaha ! Gouenji ! Tu as réussi !
Suki sent les jambes de l’attaquant se couper, Kazemaru et Someoka le retenir juste à temps. Son marmonnement lui parvient, avec plus de conviction pour ses camarades que pour lui-même :
— Je vais bien. Il faut continuer…
— Eh, eh, repose-toi, tu l’as mérité !
— Non, ce n’est pas encore ça. Il reste encore tellement de boulot…
— Peut-être, mais c’est en bonne voie.
Rassurée, Suki sourit, reprend sa marche. Dans son dos, Kabeyama, motivé par la réussite de celui qui sera son binôme, réalise un saut record et la voix d’Endou s’élève, haut et clair entre les arbres :
— Yosh, les gars ! Encore un effort !
— EH !
***
— Kidou, pourquoi est-ce que l’on est allé voir Raimon jouer l’autre jour ?
La question travaille Sakuma depuis qu’il a accepté la proposition de son capitaine et il profite d’être seul au banc avec lui pour la poser loin des oreilles indiscrètes. Comme Kidou ne répond pas, il reprend :
— Quand on a joué contre eux…
— C’étaient les ordres du commandant, le coupe Kidou, sèchement.
Eh, et personne ne discute les ordres du commandant. Pourtant Sakuma déroule tout de même en jouant avec l’embout de sa gourde, frôlant son cache-œil du doigt au moment où il reprend :
— Ce type, Gouenji Shuuya, il est fort. C’est pour lui que l’on y est allé, n’est-ce pas ? Tu crois que le commandant veut le recruter ? Mais s’il s’est déjà inscrit dans leur club…
Kidou l’interrompt à nouveau sans le regarder, concentré sur les mouvements de leurs coéquipiers sur le terrain :
— Nous devions le faire entrer sur le terrain et le regarder jouer, c’est tout. Le reste ne nous regarde pas.
Là-bas, dans les cages, Genda arrête le dernier tir de la série que l’entraînement lui impose – un sans-faute, comme d’habitude. Mais aucun sourire ne vient étirer les bandes orange qui marquent ses joues de ses yeux à sa mâchoire. Ce sont les résultats qui sont attendus de lui. Kidou frotte son pouce contre ses autres doigts.
— Alors pourquoi on est allés les voir jouer contre Okaruto ? répète Sakuma. Ce n’étaient pas les ordres du commandant…
Non, c’est vrai. C’était son initiative. Kidou vide lentement sa bouteille et cette fois Sakuma respecte son silence, retenant les autres questions qui lui brûlent les lèvres. Et le transfert de leur éternel remplaçant, c’était un ordre du commandant également ? Et…
— Ce sont des idiots. Ils pensent avoir une chance au Football Frontier. Et leur capitaine, Endou Mamoru, est le plus idiot d’entre tous. Ça les rend intéressants. C’est tout.
Kidou clôt leur discussion et l’incite d’un seul geste à retourner sur la pelouse. Sakuma pose sa gourde et reste un instant immobile, pensif, avant de lui emboîter le pas.
***
Hibiki entend la porte de l’arrière-boutique s’ouvrir, se refermer, le bruissement d’un sac que l’on pose, d’autres sons et enfin les pas de Suki qui passe la porte sur le restaurant. Il pose son journal pour la scruter.
— Alors ?
Elle soulève un sourcil et répond avec un brin de provocation :
— Ça dépend de quoi tu parles.
— Eh bien… j’imagine que tu es allée à l’hôpital voir Yuuka… et qu’en rentrant tu es passée par la tour ou la rivière pour voir les gamins de Raimon.
Elle hausse les épaules dans un demi-sourire qui avoue sa défaite.
— Yuuka… Rien n’a changé. Au moins ce n’est pas pire non plus. Je voudrais pouvoir… hum… J’ai fait attention, promis. Et les garçons étaient à la tour. Ils s’accrochent à l’Inazuma Otoshi, même s’il leur reste peu de temps. Je crois qu’ils commencent à comprendre comment utiliser leur énergie pour autre chose que les hissatsus techniques.
Ce disant, sans y penser, elle ouvre et ferme le poing, une étincelle dansant entre ses doigts. Pour courir plus vite, sauter plus haut, pour repousser plus loin leurs limites.
— En tout cas, plus consciemment qu’avant. D’ailleurs, ils sont tellement à fond que je pense qu’ils ne viendront pas ce soir. Mais…
— Mais ?
Quand elle se laisse tomber sur une chaise en face de lui, Kibô se faufile hors de la réserve et saute sur ses genoux.
— Mais il y a quelque chose chez Kabeyama, celui qui doit faire la technique avec Shuuya… Il a peur je crois. Ça y ressemble en tout cas. Je me demande si…
Ses doigts plongent dans la fourrure de l’animal tandis qu’elle se mordille la lèvre avant de compléter :
— Je crois qu’il a le vertige. Et qu’il ne l’a pas dit aux autres.
***
Chaque jour, Kabeyama s’est rendu à l’entraînement avec la terreur que son secret n’éclate au grand jour. Comment ont-ils fait pour ne pas s’en rendre compte ? Il aurait dû leur dire dès le départ, leur avouer qu’il serait incapable de sauter à plusieurs mètres de hauteur alors que, rien que debout sur un tabouret, le moindre regard vers le bas le paralyse. Il est trop tard désormais, il ne peut plus faire marche arrière. Assis par terre, son dos se courbe sous le poids de la honte et de la culpabilité. Natsumi vient de remettre en doute sa capacité à compléter la technique, et avec ça leurs chances de gagner contre Nose demain. Elle a raison, mais ça ne rend pas la réalité moins dure. Endou lui crie qu’il est certain qu’ils réussiront lorsqu’elle part. Kabeyama, lui, n’en est plus si sûr.
— Cap’taine. Je suis heureux que tu aies confiance en moi, mais…
— Hmmhmm, c’est normal. C’est parce que je sais que tu vas réussir.
— Hum…
Est-ce qu’il devrait lui dire que c’est impossible ? Est-ce qu’il devrait lui révéler que la peur le tétanise, qu’il a déjà essayé, depuis des années, de la vaincre, en vain ? Que ce n’est pas un jour de plus qui changera les choses ? Ce n’est pas un argument qu’Endou semble capable d’entendre. Le concept n’est même pas concevable par le cap’taine. Pour lui, si tu essaies assez fort, tu finiras par y arriver, toujours. Tout est possible avec de l’espoir. Alors… pour Endou, pour l’équipe, Kabeyama veut bien en avoir encore un peu, de l'espoir.
Son regain de volonté s’est éteint durant le reste de l’après-midi. Ses coéquipiers ont essayé de l’aider, vraiment. Ils l’ont accompagné, motivé, ils se sont donnés à fond pour sortir le meilleur d’eux-mêmes, pour se préparer pour le match. Mais malgré tout, il a échoué. Encore et encore. À la fin de l’entraînement, après s’être changé en vitesse au local, il est parti sans oser croiser leurs regards et la déception qui ne devait pas manquer de s’y trouver. Le pas traînant, Kabeyama rentre chez lui en ruminant. C’était une mauvaise idée de compter sur lui pour la technique. Vraiment une très mauvaise idée. Les mots tambourinent en boucle, à chaque itération plus pesants. Le soleil couchant rend le décor du parc boisé magnifique, mais Kabeyama ne voit que l’endroit où il s’entraîne avec les autres et un aveu supplémentaire de son échec. Il n’aurait pas dû passer par ici, quitte à faire un détour. Il écarte le regard du pneu suspendu d’Endou dans un soupir. La tour le surplombe de toute sa hauteur, accusatrice. Vertigineuse. Dans les pépiements des oiseaux, un son se répète. Kabeyama s’arrête, reconnaît la voix de Gouenji et lève la tête.
En surplomb, Gouenji a suspendu un bout de bois à une branche et saute inlassablement dessus, tentant de se retourner et de se réceptionner derrière. Il gronde à chaque échec, trébuche, dérape quand son point d’appui se dérobe sous ses pieds. Avant de recommencer. Le ventre de Kabeyama se noue. Un bruit de pas dans son dos le pousse à se cacher, juste à temps pour laisser passer Endou qui rejoint Gouenji sans le voir.
— Ah tu es là ! Toi aussi tu veux encore t’entraîner ? Attends, je vais t’aider !
Le nœud dans le ventre de Kabeyama se serre. Gouenji-san fait ça pour compenser son incapacité à réussir. Doucement, il s’éloigne. Le poids sur ses épaules est plus lourd encore. C’est lui qui est nul et c’est Gouenji qui se surpasse. La tentation d’abandonner s’accroche à ses chaussures, plus forte que jamais.
***
— Salut, Yuuka.
Gouenji ferme la porte derrière lui, tire les rideaux sur la ville nocturne.
— Le match contre Nose est demain. On va gagner. Je te le promets.
Il approche le tabouret de la tête du lit, passe une main dans les cheveux de sa sœur. Il voudrait croire qu’il a arrêté de scruter son visage dans l’attente d’une réaction, mais c’est faux et il ne peut s’empêcher d’être déçu. Chaque jour, il arrive avec une flamme d’espoir. Et chaque jour, elle se fait moucher. Mais il la rallume à chaque fois. Il la rallumera autant de fois qu’il le faudra. Car il a l’intime conviction que tant qu’il continuera d’y croire, tout n’est pas perdu. Un jour, elle se réveillera.
Les si courtes minutes qu’il lui restait avant la fin des visites sont passées trop vite, comme d’habitude. L’infirmière est venue lui signaler qu’il était temps de partir. Gouenji embrasse une dernière fois le front de Yuuka, arrange le nouveau bouquet, en profite pour ranger le dessus de la commode. Quel que soit la peluche ou le jouet, dès qu’il le touche, il entend le rire de Yuuka. Son poing se crispe sur un petit bateau de papier plié quand un autre rire s’ajoute à celui de sa sœur.
— Oh, pardon…
Il défroisse l’origami du mieux qu’il peut, le repose, redresse l’autre à côté. Étrange, il était persuadé de n’en avoir apporté qu’un seul. Un instant, son regard se voile. L’infirmière toque gentiment à la porte. Cette fois, il doit vraiment y aller. Gouenji s’exécute la mort à l’âme, se retourne sur le pas de la porte.
— Dis, Yuuka… Tu crois qu’elle se souvient de nous ?
Notes:
Le traitement du vertige de Kabeyama et l'insistance d'Endou même en connaissant la phobie de son ami m'ont toujours dérangée dans l'animé, alors j'ai décidé de faire les choses un peu autrement.
Si le chapitre d'aujourd'hui vous a plu, pensez à mettre un kudo et un commentaire, c'est la meilleure des récompenses pour moi !
Chapter 11: Vertige
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
L’angoisse qui tord le ventre de Kabeyama l’empêche de profiter de l’atypique tableau que leur offre le collège de Nose. L’écrin de nature dans lequel se loge l’établissement impose le silence dans le minibus jusqu’à ce que Furubaku – qui a accepté de leur servir de chauffeur – en coupe le moteur. En total contraste avec le ronronnement de ce dernier, les chants des oiseaux, grenouilles et autres animaux que les membres de l’équipe ne parviennent pas à identifier bruissent. Sont plus forts les encouragements des spectateurs regroupés autour du terrain vers lequel les panonceaux affichés pour l’occasion les guident.
— Y’a beaucoup de monde ! se réjouit Endou en sautillant. Ça y est, le Football Frontier démarre enfin, je suis trop excité ! Pour ceux qui sont venus nous encourager, on doit donner tout ce qu’on a !
Kazemaru et Someoka calment ses ardeurs :
— Ce sont les supporters de Nose, non ?
— Je ne pense pas qu’une équipe faible comme la nôtre en ait.
Endou écarte la dernière remarque en désignant un coin du terrain :
— On en a ! Regardez !
Tous les regards suivent son doigt et Kabeyama se fige. Là-bas, son petit frère et ses amis hurlent à tue-tête :
— Raimon, donnez-vous à fond !
Il lui a dit ce matin qu’il viendrait mais… Il ne pensait pas qu’il le ferait réellement. Maintenant qu’il est remarqué, son frère lui fait de grands signes.
— Onii-chaaaan ! J’suis venu t’encourager ! Regardez, c’est mon frère !
— L’équipe qui a battu la Teikoku !
— Eh ! Ton frère est trop fort !
— Ouais ! Donne tout, Onii-chan !
Bien loin de leur objectif, les cris des enfants terrifient Kabeyama. Ils nourrissent la culpabilité qui pèse sur son estomac. En plus de faire perdre l’équipe, il se ridiculisera devant son frère. Il veut disparaître.
— Faut que j’aille aux toilettes, bredouille-t-il, les yeux fermés.
— Pas maintenant, le match va commencer !
Ses camarades le retiennent, conscients de sa manœuvre d’évitement, et le convainquent d’entrer sur le terrain pour l’échauffement.
— Dis, qu’est-ce que tu fais ici ?
Keita redresse le menton à la question d’Aki. La manageuse l’a vu descendre de la navette desservant le collège avec un groupe de spectateurs mais ne lui a pas vraiment prêté attention jusqu’à ce qu’il s’installe au bord du terrain.
— Vois-tu, j’ai postulé pour être commentateur officiel d’une partie des matchs des poules régionales. Le match d’aujourd’hui est mon évaluation. Si tu veux bien m’excuser, il faut encore que je révise les joueurs de Nose…
— Attends ! J’ai fait des fiches moi aussi !
Haruna se glisse dans la conversation et sort les feuilles regroupant ses recherches sur leurs adversaires du jour. En plus du nom et du poste de chacun, quelques mots synthétisent ce qu’elle a trouvé sur leurs qualités de jeu et un portrait les accompagne. Keita les examine de plus près. Ce sont les joueurs de Nose, croqués sommairement. Leurs traits déformés les font ressembler à des animaux, jeux de mots avec leurs noms. Ici un serpent et là un guépard… Le commentateur s’attarde sur le capitaine aux allures de coq avec ses cheveux dressés en crête au bord teinté de rouge. C’est pas mal trouvé. D’autant plus que les collégiens de Nose en jouent, de leur coupe de cheveux, d’un peu de maquillage, d’un accessoire ou d’un motif ajouté sur le vert de leurs tenues.
Aki les laisse discuter avec animation alors que les garçons reviennent, dans les dernières minutes avant le coup d’envoi. Ils boivent, resserrent leurs chaussures. La manageuse en profite pour rappeler la formation du jour, adaptée à la stratégie planifiée :
— … Et notre trio d’attaque sera Someoka, Kabeyama, et Gouenji en pointe.
Voir son numéro 3 aussi haut sur le terrain donne des sueurs froides à Kabeyama.
— Je peux pas faire l’Inazuma Otoshi. Laisse-moi en défense s’il te plaît… supplie-t-il son capitaine.
Endou cède – Gouenji et Someoka se chargeront de l’offensive à l’engagement – mais le prévient. S’ils ont besoin de lui, il devra monter. Kabeyama accepte, adresse une prière muette. Pitié, qu’ils arrivent à finir le match sans avoir à utiliser l’hissatsu technique. Aki corrige la feuille, les joueurs retrouvent leur placement de leur affrontement contre l’Institut Okaruto, Megane et Domon seront sur le banc. Si le premier remonte ses lunettes avec une expression aussi vexée que soulagée, le second se contente de sourire, le regard indéchiffrable. Endou s’adresse à son équipe :
— Les gars, c’est le premier match du Football Frontier ! Le premier pas de notre histoire, la première page de notre légende, celle qui fera de nous le nouveau Onze d’Inazuma. Évidemment qu’on va le gagner ! N’oubliez pas, la déesse de la victoire sourit aux audacieux et aux persévérants.
— Eh !
Par automatisme, Kabeyama répond avec les autres. Il a les genoux qui tremblent lorsque l’arbitre fait signe aux équipes de se positionner et ils refusent de s’arrêter alors que la voix de Keita s’élève dans les hauts-parleurs :
— Le premier match de la région de Kanto est sur le point de commencer ! Il opposera le collège de Nose à celui de Raimon et c’est ce dernier qui a l’avantage de l’engagement. Le coup de sifflet est imminent…
***
La progression du ballon sur le terrain dans les premières minutes laisse Kabeyama s’accrocher à ses espoirs. Malgré l’encombrement du terrain, Raimon avance vers les cages opposées et Someoka appelle la balle. Il efface deux défenseurs, s’aventure dans la surface de réparation. Il est temps de voir ce que valent leurs adversaires. Son premier tir, au ras du sol, se fait dévier par un défenseur et tape violemment contre le poteau. Tandis que ce dernier vibre avec un claquement sourd, Gouenji est là pour récupérer le ballon reparti dans l’autre sens et tente sa chance à son tour. Il n’a pas plus de succès que son coéquipier. Même si sa trajectoire menait le ballon droit dans les cages, le gardien s’est planté au travers et l’a bloqué contre sa poitrine sans broncher. Someoka échange un regard en coin avec Gouenji, souffle du nez. Ils n’ont pas dit leur dernier mot.
La relance courte du portier est leur chance. Les attaquants se coordonnent pour coincer les joueurs aux maillots verts et font pression jusqu’à ce que Someoka parvienne à récupérer la possession entre les jambes d’un défenseur dont les cheveux forment une crinière autour de son visage.
— Ohoh, Shishiou perd la balle proche des cages, ça sent mauvais pour Nose…
— Gouenji ! Elle est pour toi !
Le numéro 10 de Raimon répond à la sollicitation de son coéquipier et saute.
— Gouenji est en place pour faire la Fire Tornado ! Mais Torii, le capitaine de Nose, s’est également élancé dans les airs !
Avant qu’il ne puisse invoquer ses flammes, Gouenji se fait dépasser par le défenseur à la crête éclatante qui, goguenard, emporte le ballon hors d’atteinte.
— Le saut de Torii est tout bonnement incroyable ! Si haut ! Gouenji n’avait aucune chance. Et Nose dégage ! C’est à son tour d’attaquer, avec Suizenji qui récupère la balle.
Le numéro 11, le foulard tacheté au vent, sème Handa, esquive Shourinji. Jouant de sa vitesse et de sa souplesse, il parvient même à distancer Kazemaru. Kabeyama le regarde approcher avec appréhension. Avec Kageno, ils se déplacent sur sa route, se font dépasser de l’autre côté par un milieu.
— Et Suizenji centre pour Oowashi !
Kabeyama et Kageno font demi-tour et tentent de bloquer la descente en piqué du joueur à profil d’aigle, après un bond prodigieux. Un cri de rapace accompagne son plongeon la tête en avant et un instant des yeux et un bec acérés remplacent sa capuche et les lunettes d’aviateur sur son front.
— Condor Dive !
Des plumes volent autour de lui tandis que le tir prend de la vitesse. Endou plonge. Le numéro 9 de Nose surgit dans son champ de vision, atteint le ballon avant lui et le renvoie de l’autre côté. Endou patine sur l’herbe. Il n’y arrivera pas à temps. Puisque c’est comme ça…
— Nekketsu Punch !
Son poing chauffe, tape de justesse dans le cuir et le repousse assez pour écarter le danger. Kazemaru sécurise le ballon, le temps que son gardien retrouve son souffle et l’équipe ses esprits. Endou sourit malgré ses phalanges douloureuses. L’hissatsu technique – plus rapide que la God Hand même si moins puissante – est sortie plus facilement qu’à l’entraînement, aidée par l’ambiance du match.
— Aïe aïe aïe… Raimon, malgré une volonté d’attaquer dès le départ, évite de justesse le but en début de rencontre !
Kazemaru accuse le coup. Les mots font mal mais sont justes. Il scrute leurs adversaires en train de se féliciter de leur belle action. Malgré tous leurs entraînements, il y a toujours autant de différence de niveau entre eux ? Le défenseur savait que la compétition serait rude mais il croyait qu’ils avaient réussi à réduire la distance. La contre-attaque éclair de Nose et la menace qu’ils ont réussi à instaurer en un instant prouvent le contraire.
***
Kabeyama ne recommence à respirer que lorsque l’action s’éloigne temporairement de la défense et des cages d’Endou. Depuis tout à l’heure, le cuir fait des allers-retours à travers le terrain, porté par les offensives de Raimon jusqu’aux cages de Nose où Someoka et Gouenji se cassent les dents avant que l’autre équipe n’avale le trajet inverse en un éclair et ne mette Endou en difficulté. Comme attendu de sa part, Nose est imprenable dans les airs grâce aux prouesses de Torii. Pas une fois, les attaquants de Raimon n’ont eu le temps de compléter la Dragon Tornado ou la Fire Tornado avant qu’il ne leur dérobe la possession. Les tirs au sol n’ont pas plus de succès, bloqués par le reste de la défense et le gardien malgré les tentatives de passage en force de Someoka.
Le numéro 11 n’a cependant pas dit son dernier mot. S’appuyant sur les milieux derrière eux, il progresse une fois de plus vers la moitié de terrain adverse en compagnie de Gouenji jusqu’à ce que ce dernier se retrouve coincé dans le rond central, cerné de toutes parts. En attendant une ouverture, il joue des crampons sur le cuir.
— Gouenji !
Le cri de Someoka distrait ses vis-à-vis et lui offre une porte de sortie. D’un long lob, il adresse le ballon à son camarade. Celui-ci élimine le joueur de Nose qui pensait le prendre par surprise au contrôle, feinte avant d’armer. Puisqu’ils ne peuvent pas les vaincre dans les airs et que les tirs normaux ne marchent pas, qu’est-ce que les autres pensent de ça ?
— Dragon Crash !
Le dragon surgit de terre, rugit. Au même instant, un défenseur au gabarit imposant le percute de plein fouet.
— Shishiou éjecte Someoka et la balle au loin ! Oh non… on dirait que Someoka ne se relève pas…
Endou hésite à sortir de ses cages, se décide lorsque l’arbitre siffle et sort un carton jaune en guise d’avertissement pour le contact dangereux. Il rejoint Someoka en même temps que Kazemaru. Le défenseur de Nose s’excuse auprès de l’attaquant et de ses camarades, confus et désolé. Avec son aide et celles de ses amis, Someoka boitille jusqu’au banc.
Là, Haruna lui fait enlever chaussure et chaussette. Aki a déjà sorti la trousse de premiers soins et applique un spray anesthésiant. Le joueur serre les dents mais ne peut dissimuler sa grimace.
— Alors ? demande Natsumi.
La fille du président du conseil d’administration est venue sur les lieux de la rencontre par ses propres moyens – la voiture et le majordome familiaux – et a regardé le match à l’écart jusqu’à maintenant. Si l’humidité qui fait friser ses cheveux et la surabondance d’insectes semblent l’incommoder, ça ne l’empêche pas d’attendre, les lèvres pincées, le verdict de la manageuse qui finit par tomber.
— Je crois que la cheville est tordue. Ce ne serait pas raisonnable de continuer le match.
Someoka baisse la tête, désolé, même si Endou essaie de le rassurer. C’est la faute à pas de chance, pas la sienne. Someoka grogne en réponse, son capitaine lui tape sur l’épaule avant de rejeter un regard vers Fuyukai. Le professeur s’est approché par politesse mais garde une distance raisonnable pour ne pas prendre part à la discussion. Ils doivent maintenant faire un changement et ça ne sera manifestement pas lui qui s’en occupera. Endou fait signe à l’arbitre de touche, se tourne vers les remplaçants. Megane tressaute, bafouille à son voisin :
— D-Domon-kun, je te laisse la place.
Domon sourit à son ton légèrement tremblant et se lève. Puisqu’il en est ainsi.
— Le collège de Raimon change Someoka par Domon, qui entre en défense. Curieusement, Kabeyama a pris la place de Someoka en attaque.
Kabeyama ne mène pas large, les jambes flageolantes tandis qu’il bégaie pour convaincre les autres qu’il n’a rien à faire à ce poste.
— On a essayé autrement, mais on se fait bloquer de partout, a rationalisé Endou, au sol comme dans les airs… Il faut qu’on monte encore plus haut. Notre seul espoir, c’est l’Inazuma Otoshi.
C’est bien ce que le défenseur redoutait, son pire cauchemar est en train de se réaliser alors qu’il finit par accepter sa nouvelle position. C’est fou comme se déplacer de quelques mètres sur le terrain en change toute la perspective. D’aussi proches, les cages adverses sont effrayantes.
— C’est à Nose de remettre en jeu et c’est Oowashi qui se positionne sur la ligne… Kame a la balle !
Acculé par Handa et Shourinji, le milieu de Nose est obligé de remonter le long de la ligne de touche, sans céder la possession pour autant. Sa longue queue de cheval s’enroule sur son épaule comme une queue de caméléon et les clips volumineux dans ses cheveux en sont les yeux, hypnotisants. Domon se lance à sa rencontre, hésite une seconde avant de glisser au sol dans un tacle qui soulève des gerbes de terre.
— Killer Slide !
Son pied accroche le ballon, l’arrache à l’adversaire. Le défenseur se relève avec un sourire en coin, accélère vers l’attaque. Son sourire s’agrandit en apercevant le regard que Gouenji lui lance. Il a reconnu la technique, neh ? Domon lui adresse un clin d’œil mais ne lui laisse pas le loisir de s’appesantir sur sa déduction.
— Domon envoie la balle dans les airs !
Gouenji doit accélérer pour la rattraper et appelle son coéquipier :
— C’est parti, Kabeyama !
L’attaquant d’infortune obéit malgré lui et saute de concert. Face à face, ils s’élèvent vers le cuir. Par-dessus l’épaule de Gouenji, Kabeyama aperçoit Korii les dépasser. Mais il est encore possible de compenser la différence avec un second saut. Au moment où Gouenji tente de prendre appui sur ses épaules, Kabeyama fait l’erreur de glisser son regard vers le bas. Le sol est loin. Très loin. Son corps entier se paralyse alors que son esprit hurle. DANGER ! Les crampons de Gouenji dérapent sur son maillot, l’opportunité leur glisse entre les doigts. Kabeyama ne fait rien pour se réceptionner et s’écrase sur les fesses, Gouenji atterrit tant bien que mal. Plus loin, le capitaine de Nose lance la contre-offensive, le ballon au pied. Kabeyama se recroqueville. Il savait qu’il ne pouvait pas le faire.
— Ce n’est pas le moment, Kabeyama, allez, viens !
L’injonction au repli de Gouenji le remet sur ses jambes, mais elle n’efface ni l’humiliation ni l’amertume de son échec.
***
Ce n’était que le premier d’une longue série. Les minutes qui suivent se ressemblent toutes, mélange flou dans l’esprit de Kabeyama. Nose a la quasi-exclusivité de la possession du ballon, rivalisant de vitesse et de technique pour semer les joueurs de Raimon et porter offensive sur offensive. Et quand ses coéquipiers parviennent enfin à poser les crampons sur le cuir, ils s’entêtent à le leur envoyer, à Gouenji et à lui. Parfois, l’attaquant part seul et tire pour se heurter au barrage terrestre de Nose. Le reste du temps, il l’appelle pour l’Inazuma Otoshi. Sauf que Kabeyama sait comment ça va finir avant même de recevoir leurs passes. Il va se forcer à sauter à la suite de Gouenji et le vide va l'aspirer, laissant tout le loisir au capitaine de Nose de récupérer le ballon pour une nouvelle attaque.
— Kabeyama, cette fois-ci c’est la bonne !
Pourquoi est-ce que Gouenji ne veut pas comprendre ? Ça ne marchera pas, ça ne marchera jamais. Il gâche juste les efforts de ses camarades et sabote leurs espoirs. Même le commentateur se demande quel est leur but.
— À ce rythme-là, combien de temps encore Endou pourra-t-il défendre ses cages ? Une victoire de la part de Raimon semble fortement comprise...
Notes:
Et c'est parti pour le début du match contre Nose... qui ne se passe pas tout à fait de la meilleure des manières pour Raimon.
Si la lecture vous a plu, faites-le-moi savoir avec un kudo ou un commentaire !
Chapter 12: La vue depuis le sommet
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Endou gémit en écartant un nouveau tir, les mains en feu. Le ballon roule dans l’herbe, hors de portée, et la fin providentielle de la mi-temps empêche les attaquants adverses de se l’approprier. À la suite des autres, le gardien regagne le banc à pas lents. Le panneau d’affichage affiche toujours 0 à 0. Même si Nose mène la danse, ils tiennent bon. Endou se laisse tomber au milieu de ses camarades et ôte avec soulagement ses gants.
— Bon travail, les gars !
— Endou ?
Kazemaru et Handa le regardent comme s’il avait perdu l’esprit.
— Qu’est-ce que tu racontes ? râle Someoka, une poche de froid plaquée contre la cheville. On n’a absolument rien fait.
— Mais on est à égalité face à cette incroyable équipe ! Je ne les laisserai pas marquer non plus lors de la seconde mi-temps et on va gagner, je le sais !
Kabeyama détourne la tête. La déesse de la victoire sourit aux audacieux. Mais il n’a rien d’audacieux. Juste une trouille sans nom qui réduit à néant tout le travail de l’équipe. Malgré son imposante stature, il voudrait se faire assez petit pour disparaître.
— Cap’taine… Je peux retourner en défense, s’il te plaît ?
— Kabeyama !
— Si ce n’est pas possible, sors-moi du terrain, insiste-t-il. Je ne peux pas faire l’Inazuma Otoshi. Si vous continuez à me passer le ballon…
Kabeyama sait qu’Endou se tient juste devant lui sans oser croiser son regard. Il admire l’assurance et la détermination du cap’taine, mais ce dernier ne peut-il pas voir que ça ne sert à rien de croire en lui ? Il ne réussira pas, c’est impossible. La seconde période ne va être qu’un fardeau qui l’enfoncera encore plus dans la honte et effacera définitivement leurs chances de victoire. Cependant, Endou refuse de lâcher l’affaire.
— Eh, Kabeyama, tu as énormément travaillé toute la semaine. Il est hors de question de gâcher tes efforts. Tu vas forcément y arriver !
Ses mots claquent dans le silence de l’équipe et le percutent de plein fouet.
— C’est pour ça que je ne te mettrai pas en défense ou hors du terrain. C’est pour ça que, peu importe le nombre de fois qu’il le faudra, on continuera de te passer la balle ! Compris ?
— Mais, je…
Kabeyama ne sait pas s’il doit répondre oui ou non. Ce serait plus simple de répondre non et de prendre la fuite. Pourtant… une part de lui veut répondre oui. Parce qu’Endou a confiance en lui, parce qu’il y croit et brille de toute sa conviction. Parce qu’il donne un peu à Kabeyama l’envie d’y croire aussi. Alors, quand l’arbitre leur fait signe que la pause est finie, Kabeyama se lève et traîne des pieds jusqu’au rond central.
— Les équipes ont échangé de côté et c’est à Nose d’engager. La deuxième mi-temps a à peine commencé que Suizenji part avec la balle !
L’attaquant de Nose se fraye un chemin dans le milieu du terrain, enchaînant les dribbles à vive allure. Quand Matsuno s’avance pour le bloquer, il passe en arrière pour son numéro 10. Ce dernier se défait des derniers défenseurs, sort un instant le bout fourchu de sa langue d’entre ses lèvres et tire.
— Snake Shot !
Le ballon teinté de vert-bleu serpente vers les cages, laissant Endou dans l’incertitude de sa trajectoire jusqu’à la dernière seconde. Sur ses appuis, le gardien se prépare à une interception sur le fil, les mains bouillantes de l’hissatsu technique qu’il fait monter.
— Nekketsu Punch !
Ses gants claquent contre le cuir, celui-ci s’élève à la verticale au-dessus de la transversale. Endou serre les dents, l’accumulation d’énergie à répétition et les trop fréquents contacts contre le ballon brûlant ses phalanges sur-sollicitées.
— Ça ne fait pas mal… du tout !
Dans un cri et d’un coup de pied, il écarte la balle, incapable de la saisir entre ses mains.
— Gouenji, Kabeyama !
Le défenseur propulsé en attaque regarde passer la balle sans bouger. Quel que soit le nombre de fois où il aura le ballon…
— Kabeyama !
… il ne peut pas le faire. L’appel de Gouenji reste sans réponse et, seul, l’attaquant ne peut rien contre Torii.
— Nose intercepte le ballon et contre-attaque !
Immobile au centre du terrain, Kabeyama regarde sans le voir Endou tenir bon face aux tirs qui pleuvent. Le gardien les écarte du poing, grimace à chaque impact et presse ses mains contre lui dans ses brefs moments de répit pour juguler la douleur. Après une énième tentative, elles arrêtent de lui répondre et le cuir glisse entre ses doigts. Il se débrouillera autrement. De la tête, le portier de Raimon écarte la reprise adverse et oppose, le nez douloureux, un regard bravache au tireur.
— Je ne vous laisserai pas marquer un seul but !
Kabeyama ne comprend pas. Pourquoi va-t-il aussi loin ? Pourquoi sa lumière semble encore plus vive ? Ses coéquipiers descendent pour le corner, ils ne peuvent pas tout laisser reposer sur Endou. Et lui reste là. Il regarde Handa marquer le numéro 11 qui récupère la balle dès le coup de sifflet avant de se faire dépasser, Kazemaru et Shourinji se dresser à leur tour en butée face à l’attaquant de Nose. Si un joueur n’est pas suffisant, ils s’y mettront à deux. Pourquoi est-ce qu’ils font ça ? Suizenji grince des dents, feinte, les dribble, se heurte à Kageno, Domon et Matsuno. Et si deux ne joueurs ne sont pas suffisants non plus, ils défendront à trois !
— Pourquoi… ?
— Bon sang !
Acculés de toutes parts, les joueurs de Nose sont systématiquement obligés de remiser en arrière.
— Raimon protège ses cages en se regroupant, dans une illusion de supériorité numérique, et contraint son adversaire aux passes ! Nose multiplie les tentatives mais s’échoue contre la barrière têtue de ses adversaires.
— C’est un jeu de position.
Someoka acquiesce au commentaire tendu de Megane, s’inquiète :
— C’est effectivement une bonne stratégie défensive, mais elle nécessite de constamment se déplacer plus que l’adversaire. C’est épuisant et je ne pense pas qu’ils pourront tenir ainsi jusqu’au bout. Surtout qu’ils ont déjà beaucoup donné pendant la première mi-temps…
Aki et Haruna ont elles aussi remarqué l’essoufflement grandissant de leurs joueurs, leur perte de vitesse et de réactivité. Les encouragements d’Endou, en continu depuis ses cages, les aident à tenir bon. Il suffit d’un échange de regard entre les manageuses pour qu’elles se lèvent de concert, les mains en porte-voix pour crier à leur tour, bientôt imitées par les garçons sur le banc.
— Vous êtes fantastiques les gars !
— Allez ! Courage !
Deux pas en arrière, les bras croisés, Natsumi lève les yeux au ciel.
Alors que les minutes défilent, de plus en plus vite, Kabeyama est devenu un spectateur comme les autres. Et encore, même les spectateurs se donnent à fond pour leur équipe. Alors que lui… Ses paupières se ferment sous le poids de la culpabilité qui le cloue au sol.
— Ouvre les yeux, Kabeyama ! Regarde-les !
L’ordre de Gouenji ne peut souffrir d’aucun refus. Kabeyama sursaute, fixe ses camarades qui continuent de courir malgré la fatigue, qui trébuchent et roulent au sol pour éloigner – ne serait-ce qu’une minute – le danger, qui titubent, suants, pantelants. Et quand ils se font passer, Endou est là et repousse le ballon en hurlant. Mais aucun d’entre eux n’abandonne.
— Pourquoi ils… ?
— Parce qu’ils croient de tout leur cœur qu’on va gagner.
— Suizenji passe rapidement à travers les lignes de Raimon et passe la balle à Oowashi ! Et… Il tire !
Malgré le boulet de canon qui lui fonce dessus, Endou ne cille pas.
— Ramène-toi, gronde-t-il entre ses dents.
Tout le monde a donné tout ce qu’ils avaient pour défendre, alors ce ballon… Il va l’arrêter ! Comme un réconfort pour affronter la tempête, Endou sent l’énergie monter en lui, se fracasser contre sa fatigue, jaillir d’elle-même.
— God Hand !
L’afflux lumineux efface la douleur et lui donne la force de tendre la paume dorée devant lui. Le ballon s’y perd et s’arrête. Le même soulagement échappe aux joueurs de Raimon dans un soupir. Ne jamais abandonner. La déesse de la victoire sourit aux persévérants. L’image rémanente de la God Hand danse devant les yeux de Kabeyama et le joueur a l’impression de se réveiller. Comme contre la Teikoku Gakuen, debout jusqu’au bout. Il lance un regard étonné à Gouenji, croise celui d’Endou qui hurle :
— On y va, Kabeyama !
C’est trop tard pour faire demi-tour. Il est déjà en train de courir, mû par une force qu’il ne contrôle plus. Le ballon dans lequel le capitaine et les autres ont mis leurs espoirs… Il ne peut pas les trahir ! Face à face avec Gouenji, il saute. Le sol s’éloigne vertigineusement sous lui. Mais il ne doit pas regarder, ou tout est perdu. Derrière Gouenji, Korii les rattrape, les dépasse. Il ne peut pas fermer les yeux non plus, au risque de perdre l’équilibre. Alors… D’un coup de bassin, Kabeyama bascule en arrière, offre son torse plutôt que ses épaules. Gouenji répond à l’invitation, pousse de toutes ses forces sur sa poitrine dans un nouvel élan. Il décolle, plus haut encore, bien au-dessus de Korii. Cette fois est différente de toutes les précédentes. Kabeyama écarquille les yeux, subjugué par l’horizon couvert de nuages noirs qui s’étale à l’infini. Le tonnerre gronde au loin. Une décharge traverse Kabeyama et la foudre transperce le ballon quand Gouenji le frappe dans son retourné. Le cuir foudroie les cages de Nose sans laisser le temps au portier de bouger le petit doigt.
— But ! Raimon a finalement marqué un but au collège de Nose, grâce à la nouvelle hissatsu technique combinée de Gouenji et de Kabeyama ! Raimon a l’avantage d’un point ! Et… Mais oui ! Le match se finit ! Le gagnant du premier match de la région est le collège de Raimon !
— Je savais que mon grand-frère est incroyable ! Incroyable !
Au bord du terrain, le frère de Kabeyama et ses camarades n’en finissent pas de crier et de danser leur joie. Allongé sur le dos sous le ciel redevenu clair, Kabeyama n’en croit pas ses oreilles. Pas ses yeux non plus. Il était là-haut il y a quelques secondes à peine et la vision de l’horizon à perte de vue, le passage de l’éclair au travers de son corps, sont les plus belles sensations qui lui ont été données de vivre. Il est prêt à rester couché là toute la journée, toute la vie si l’opportunité lui était donnée, jusqu’à ce que la main de Gouenji apparaisse dans son champ de vision. Son camarade l’aide à se relever, pose son poing contre sa poitrine, là où ses crampons ont laissé des traces terreuses.
— Bonne idée, d’utiliser ton ventre. C’est ton Inazuma Otoshi, personne ne peut l’imiter.
— Eh… Eh !
— Tu l’as fait, Kabeyama !
Endou a quitté ses cages, semant tous leurs coéquipiers pour se précipiter vers lui. Kabeyama s’élance à son tour dans sa direction en riant, en pleurant un peu aussi.
— C’est grâce à toi ! Grâce à vous tous !
Il tape sa paume dans celle de son capitaine, se crispe lorsque ce dernier gémit.
— Oh non, désolé… Ça va ?
— Ouais ouais, t’inquiète !
Endou retire ses gants et s’attire des sifflements de compassion en révélant ses mains rouges et enflées. Le groupe se fend sous le passage autoritaire de Natsumi qui plaque un sachet de glace contre ses doigts. Endou tressaille au contact avant de souffler d’aisance.
— Merci.
— Hum.
Sans plus de commentaires, Natsumi s’en va comme elle est arrivée. Endou reste un instant confus. Pas longtemps. La joie et l’excitation reprennent le dessus et son sourire s’étire jusqu’aux oreilles.
— Eh… les gars… On a gagné !
— On a gagné !
***
Ça les a fait rire au départ – impressionnés aussi – que Nose ait des vestiaires – des vrais vestiaires, avec des douches. À côté, leur local à Ramon fait pâle figure, comme leur terrain de terre battue sans gradins. Sans doute pour ça que Fuyukai-sensei leur a annoncé l’autre jour, avec son éternel air ennuyé, que tous leurs matchs des phases de poule se dérouleront à l’extérieur. Ils n’ont pas le standing pour le Football Frontier. Mais, à vrai dire, les joueurs s’en moquent pas mal. Non, eux, ce qu’ils veulent, c’est profiter des douches collectives et célébrer leur première victoire dans le tournoi aussi bruyamment que possible. Et ils s’en donnent à cœur joie. Dans l’alignement carrelé de pommeaux et l’air saturé de vapeur se mêlent le bruit continu de l’eau et le brouhaha de leurs échanges. Les taquineries d’Handa envers Matsuno qui a gardé son bonnet, les compliments de Kurimatsu pour Kabeyama, repris par leurs autres camarades, les premières années en tête, le chantonnement joyeux d’Endou, les mille et un détails du match qu’ils commentent. Domon sourit en écoutant le tableau débordant de vie et de bonne humeur de ses camarades. Il n’a pas l’habitude, ça change. Pur sa part, il se douchera en rentrant chez lui, et patiente dans l’autre partie des vestiaires avec Megane qui a abandonné l’idée de chasser la buée de ses lunettes et Kageno. Le défenseur s’est changé en premier, demandant à ses camarades de ne pas regarder. Ceux-ci ont obligeamment détourné le regard avant d’investir les lieux sans aucun égard pour la pudeur – s’ils respectent le besoin de leur ami, ce n’est pour leur part pas le genre de choses dont ils s'embarrassent.
La litanie incessante d’Endou se fait interrompre par le râlement de Someoka :
— Bon, ça commence à bien faire…
— Mais c’est vrai ! proteste le concerné. Kabeyama est génial, Gouenji est génial, l’Inazuma Oto…
— C’est pas la question, je dis pas le contraire, mais est-ce que tu vas finir par te taire ?!
La réponse d’Endou est inaudible, le grondement outré de Someoka l’est parfaitement. La rumeur des discussions baisse au moment où l’attaquant se dresse de toute sa hauteur face à son capitaine. Heureusement pour celui-ci, malgré sa stature imposante et ses larges épaules, son ami n’est pas en mesure d’engager une course-poursuite en bonne et due forme. Obligé de s’appuyer sur Kazemaru qui accepte de se prêter au jeu pour soulager sa cheville, attentif à ne pas glisser, Someoka avance d’un pas lent – et boiteux – au travers du groupe de ses camarades qui s’écartent sur son passage, intimidés. Ils savent tous qu’il y a bien plus de complicité que d’animosité dans la scène qui se déroule devant leurs yeux. Aucun d’entre eux n’est pour autant assez fou pour s’interposer devant Someoka. Malgré la lenteur de la progression de ce dernier, elle est aussi implacable et Endou ne peut que reculer en agitant les mains, encore rouges et sensibles, en cherchant vainement quoi dire pour s’épargner la fureur du dragon. C’est son imagination et la vapeur d’eau ambiante ou il y a de la fumée qui s’échappe des narines de l’attaquant ?
À ne pas regarder où il va, Endou finit par percuter quelqu’un et se retourne dans un glapissement. Il lui faut deux secondes, à travers ses cheveux libérés de leur bandeau qui lui tombent dans les yeux et l’humidité, pour reconnaître Gouenji. Une seule supplémentaire lui est nécessaire pour se glisser derrière lui, suppliant.
— Aide-moi…
— Tu l’as cherché, non ?
Endou ne sait pas s’il doit prendre en compte la pointe moqueuse dans la voix de son ami. Il est cependant certain que Someoka ne s’arrêtera pas, se rapprochant inexorablement.
— Peut-être un peu, avoue-t-il, penaud.
Someoka s’arrête face à Gouenji et les deux attaquants se jaugent. La scène pourrait être ridicule, entre le bandage à la cheville de l’un et le pendentif de l’autre pour toutes tenues. Mais l’idée d’en rire ne vient à personne dans leur public au souffle retenu. Alors que le suspens s’étire, caché derrière Gouenji dont les cheveux humides, plus sombres qu’à l’accoutumée, collent au cou et à la nuque, Endou prend espoir. Jusqu’à ce qu’enfin, dans la plus terrible des trahisons, son rempart s’écarte d’un pas sur le côté, le livrant, ainsi que le passage; à Someoka. Endou s’étrangle alors que celui-ci reprend son avancée et cherche désespérément une autre issue.
— Kabeyama ! interpelle-t-il vers le joueur le plus proche. S’il te plaît ! Je te jure que c’est vrai, que t’as été génial, que vous avez tous été géniaux et que…
— Hum… Cap’taine… les gars… Faut que je vous dise un truc.
Le ton du défenseur en contraste avec le comique-tragique de la situation coupe Someoka dans son mouvement. Tous les yeux se rivent sur Kabeyama, mal à l’aise d’être soudain le centre des attentions.
— J’ai… hum… j’ai…
Avec l’impression de prendre trop de place, Kabeyama se tortille, frotte son début de barbe. Le silence est désormais seulement abîmé par l’eau qui goutte des joueurs. Son regard s’attarde sur les égratignures presque disparues sur les bras de Kazemaru et de Someoka, croise brièvement ceux d’Endou et de Gouenji.
— … J’ai le vertige.
— … HEIN ?!
Que personne ne glisse sur le carrelage humide tient du miracle. Endou entrouvre la bouche, la culpabilité passe sur son visage. Il croyait… il croyait que la trouille de Kabeyama était la même que les autres fois, celle qui le pousse à aller cent fois aux toilettes avant le début du match, juste en pire vu les enjeux, pas que… Et dire qu’il l’a obligé à… S’il avait su… Inconscient du fracas des pensées de son capitaine, Kabeyama reprend d’une toute petite voix sans oser croiser le regard de personne :
— Désolé… je suis nul…
Prenant tout le monde par surprise, Someoka éclate de rire, d’un rire franc et honnête. Aidé par Kazemaru, il claudique jusqu’à Kabeyama et passe son bras autour de ses épaules.
— Nul ? Tu rigoles ? Avec le vertige, tu as réussi une hissatsu technique pareille ? Non, Kabeyama, t’es pas nul. T’es le meilleur d’entre nous.
***
Le lundi suivant, en gagnant le local après les cours, Endou s’attendait à à peu près tout, sauf ouvrir la porte sur Natsumi.
— Eh ? Pourquoi tu es là ?
Derrière la fille du président du conseil d’administration du collège, Haruna et Aki adressent un sourire désolé à leur capitaine. Elles n’ont rien pu faire.
— À partir d’aujourd’hui, moi, Raimon Natsumi, serai manageuse du club de football du collège de Raimon.
— … Eh ?!
— Mais… mais pourquoi ?
Le bégaiement d’Endou soulève un sourcil vexé chez Natsumi qui croise les bras.
— Parce qu’avec vos victoires et votre début de parcours dans le Football Frontier, les attentions se tournent vers vous et que vous représentez l’honneur et la réputation du collège. Il est donc de mon devoir de veiller à ce que vous ne les entachiez pas et le poste de manageuse me semble le plus approprié. Par exemple en m’assurant que dorénavant, Kageno ne soit plus inscrit sur les fiches de match comme manageuse de l’équipe. Ça vous fait rire ?
La remarque cinglante pétrifie Matsuno – en pleine imitation pompeuse de son discours au dernier rang du groupe – et son public dont le rire se voulait discret. Si Shourinji réussissait plutôt bien, Kurimatsu et Kabeyama avaient plus de mal à retenir leurs gloussements et ils baissent la tête en se raidissant.
— Non… désolés…
— Bon, c’est pas tout ça, mais on a un entraînement à faire !
Endou, déjà passé à autre chose, claque dans ses mains et se faufile dans le local, dissipant sur son passage le malaise naissant. Sans rien ajouter mais non sans un soufflement de nez, Natsumi s’écarte pour laisser entrer le reste de l’équipe et les regarde, perplexe, repartir, les plots et les ballons sous le bras, vers la sortie du collège.
— Où allez-vous ?
— Bah… commence Endou en tirant son bandeau sur son front. On n’arrive pas à réserver le terrain, alors on a pris l’habitude d’aller à la rivière. Ou à la tour. Mais ce soir je crois qu’on va aller à la rivière.
— Ce ne sera plus la peine à partir de maintenant, je vous le réserverai.
— Humhum, peut-être, mais on est bien là-bas aussi. Dis, tu veux venir avec nous ?
Notes:
Un autre de mes chapitres préférés. Kabeyama est mis à l'honneur et une scène toute neuve fait son apparition, avec plein de petits détails qui ont leur importance. Si la lecture vous a plu, n'hésitez pas à laisser un kudo ou un commentaire et on se retrouve la semaine prochaine !
Chapter 13: À travers les objectifs avides des caméras
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Natsumi les a suivis jusqu’au terrain au bord de l’eau. Le pont habituellement désert grouille aujourd’hui de monde qui s’est pressé contre la rambarde à leur arrivée. Les joueurs se sont immobilisés à côté de leur banc, soudain intimidés. Ils n’ont pas l’habitude d’avoir autant d’yeux rivés sur eux. D’accord, à Nose, les modestes gradins de l’école étaient pleins, mais ce n’est pas pareil. Leurs messes basses impressionnées auraient pu continuer longtemps si Someoka – mis au repos forcé par le médecin pour deux jours encore – ne les avait pas houspillés. Ils ont un entraînement à faire, non ? En marmonnant une excuse, Matsuno et Kageno ont posé les plots qu’ils avaient dans les bras, Kazemaru a pris la tête du peloton et les autres ont entamé derrière lui les tours de terrain quotidiens.
Dire que la suite s’est déroulée sans accroc serait mentir. Shourinji et Kurimatsu ont manqué à deux reprises de se rentrer dedans parce qu’ils avaient le nez en l’air et la faible concentration générale a provoqué une augmentation de leur temps de course, soulignée par Aki et son chronomètre. Toutefois, l’échauffement avançant, les joueurs retrouvent leurs habitudes et, en omettant la rumeur de leur public en fond, les chuchotements entre joueurs et quelques erreurs d’inattention, ils pourraient se croire un jour comme les autres. Bon d’accord, ils continuent tout de même à jeter des coups d’œil à leurs spectateurs. Mais toujours moins que Natsumi qui ne fait que regarder ces derniers sans même s’intéresser à ce qu’il se passe sur le terrain. Someoka râle que ça servait bien à grand-chose qu’elle vienne pendant que Gouenji reprend à la volée une passe d’Handa et tire. Endou coince la balle contre sa poitrine, félicite les joueurs et remet en jeu.
— Concentrez-vous sur le marquage ! Shishido ! Domon ! Ne laissez pas Kazemaru passer !
De l’œil de la caméra qu’elle a empruntée à son ancien club, Haruna suit leur traversée du terrain.
— Ils se sont bien améliorés.
— Eh ! approuve Aki en prenant des notes. Qu’est-ce que tu en penses, Natsumi-san ?
Malgré son effort pour inclure leur aînée dans la conversation, celle-ci ne leur prête pas attention et déclare :
— Ça ne va pas du tout.
— Huh ?
Elles n’ont pas le temps de le réaliser que Natsumi s’avance au milieu du terrain et des joueurs en plein élan. Ses boucles volent dans son dos au rythme de ses pas décidés et son entrée incongrue force Handa à piler pour ne pas la percuter.
— Arrêtez-vous, ordonne-t-elle d’une voix ferme. J’ai dit stop !
Les garçons s’immobilisent, perdus, sans pour autant oser la contredire. Ils se tournent d’instinct vers Endou qui s’est précipité hors de ses cages.
— Qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi tu…
— Je vous interdis de travailler sur vos stratégies ou vos hissatsus techniques. Ou les exercices écrits dans le cahier d’Endou Daisuke-san.
— Eh ?!
— Qu’est-ce que tu racontes ? rétorque Endou en se plantant juste devant elle, les poings sur les hanches. Comment tu veux qu’on gagne le Football Frontier si on ne peut plus s’entraîner à… à rien du tout ?!
Les hochements de tête appuyés de ses camarades accompagnent sa tirade incrédule. Conservant un calme olympien malgré la faible distance qui la sépare du joueur, Natsumi lui désigne le pont.
— Est-ce que tu vois ces gens ?
— Bien sûr !
— Et tu sais qui ils sont ?
— Ce sont nos admirateurs !
— Ce sont des espions pour les autres collèges, contrecarre Gouenji.
Natsumi acquiesce, satisfaite qu’au moins un d’entre eux soit parvenu à la même conclusion qu’elle.
— Ils sont là afin de récupérer des informations pour le compte de vos potentiels futurs adversaires. Une équipe inconnue qui a vaincu la Teikoku Gakuen et n’a fait que gagner depuis, c’était évident que ça allait attiser les curiosités.
— J’ai compris ! s’exclame Haruna. Si on s’entraîne sur les hissatsus techniques ou les stratégies, on leur dévoile nos atouts pour les prochains matchs !
— Comment on est censé faire alors ? proteste Someoka.
— On n’a qu’à s’entraîner quelque part où personne peut nous voir !
La proposition enthousiaste d’Endou soulève quelques sourires. Et où est-ce qu’il compte trouver un endroit pareil ? Le gardien boude, pas longtemps.
— Dans le foot, il y a beaucoup de choses sur lesquelles on doit travailler… commence Gouenji après un instant de silence.
— Eh ! Nos passes, les dribbles, les tirs… énumère Endou en reprenant du poil de la bête. Et… promis, pas les hissatsus techniques, ajoute-t-il dans une grimace avec un regard en coin pour Natsumi.
Celle-ci hoche brièvement la tête avant de regagner le bord du terrain, non sans jeter un coup d’œil par-dessus son épaule. Matsuno rentre de justesse la langue qu’il lui tirait avant qu’elle ne le surprenne.
***
Endou se laisse tomber en soupirant sur le premier siège, plus dépité que ce qu’il n’a bien voulu montrer aux autres durant le reste de l’entraînement. Someoka s’assoit à sa gauche et passe commande, Kazemaru l’imite de l’autre côté avant de demande :
— Ce n’était pas si catastrophique que ça, si ? Je veux dire, il y a beaucoup de points techniques pour lesquels on a encore des progrès à faire.
S’être fait semer si facilement par le 11 de Nose reste un échec à ses yeux. Endou fait la moue.
— Hmmhmm, je sais, mais… Dire que je pensais qu’on avait nos premiers fans et ce sont en fait des espions…
La fin de sa phrase s’étouffe quand il écrase sa tête sur le comptoir, dépité.
— Dis-toi que c’est flatteur tout de même, le console Kazemaru en lui tapotant l’épaule. Et ça montre à quel point on a évolué dans l’estime des autres écoles. Ils n’auraient jamais fait ça pour une équipe avec seulement sept joueurs.
Il obtient un grondement à moitié convaincu en retour. Maigre consolation. Endou ne s’est pas démené à rassembler assez de joueurs pour se voir interdire de s’entraîner dans la foulée. Le commis pose leur ramen devant eux, retourne vers l’évier.
— Quand même… elle abuse, Natsumi, souffle Someoka. On a un match dans cinq jours ! Déjà que je peux pas m’entraîner avec vous… Je veux bien qu’elle nous ait aidés à trouver le carnet de ton grand-père, mais si on peut même pas l’utiliser, je sais pas à quoi ça sert…
Endou opine, la bouche pleine. Malgré ses protestations – surtout pour la forme, demain ils trouveront une solution – sa frustration ne lui coupe pas l’appétit. Il engloutit ses pâtes, boit le bouillon d’un trait, glisse un regard à Kazemaru :
— Et à la tour ?
— Hum ?
— Si on allait à la tour ? Ils ne nous suivront pas là-bas, si ?
Kazemaru considère, songeur, la proposition, avant de secouer la tête.
— Tu veux vraiment prendre le risque de délibérément enfreindre un de ses ordres ?
Endou plisse les yeux, y réfléchit deux secondes avant de grimacer et de renoncer.
— Eh… t’as raison, c’est une mauvaise idée…
Il se penche en arrière, pousse un long soupir. Comment est-ce qu’ils vont faire ?
***
Le lendemain, il y a encore plus de monde sur le pont. Et Natsumi n’est pas venue. La découverte de leur nouveau public a cessé de les amuser la veille déjà et les regards de ce dernier comme le crépitement incessant des flashs leur pèsent de plus en plus. Aujourd’hui aussi, ils devront renoncer à trop dévoiler de leur jeu. Face à l’inquiétude de ses camarades, Endou répète les mêmes conseils :
— Les bases du football sont aussi importantes. Relâchez la pression et faites des entraînements physiques !
Il essaie de faire bonne figure mais est autant découragé qu’eux. Il n’a pas trouvé de solution et le match contre Mikage Sennou se rapproche. Il aurait dû accepter que Natsumi se charge de réserver le terrain de l’école. Quoi que… il est certain d’avoir vu des types avec des appareils photos traîner devant la grille ce matin. Le capitaine soupire tandis que l’équipe se disperse. L’exclamation de Domon les retient, bientôt couverte par le grondement sourd de moteurs :
— Eh ! Il y a un truc bizarre !
En surplomb du terrain, deux immenses camions gris manœuvrent et se déploient. Ils révèlent aux joueurs ébahis un arsenal d’antennes, de câbles et d’écrans.
— Est-ce que ça ne va pas loin, même pour de l’espionnage ? grince Kazemaru.
— Et s’ils étaient de la télévision ? hasarde Shourin.
— Imbécile, ils ont un radar. Un radar ! insiste Matsuno. Ils vont nous déclarer la guerre ou quoi ?
— J’aurais bien voulu que ce soit la télé, soupire Kageno.
Les joueurs se perdent en conjecture, toutes plus folles les unes que les autres, pour effacer la panique qui monte. Endou demande à Gouenji :
— T’as une idée de qui c’est ?
Ce dernier hausse les épaules.
— Ce sont nos prochains adversaires, intervient Haruna.
Elle pointe le blason peint sur la carrosserie des véhicules.
— Ce rouage, c’est celui de Mikage Sennou. Une école qui a toujours perdu dans les premiers tours des poules régionales les années précédentes. Mais cette année, l’équipe a complètement changé et s’est dotée, d’après ce que l’on raconte, d’un équipement de pointe. Elle a ainsi remporté tous ses matchs amicaux ainsi que celui du premier tour. D’ailleurs, les deux qu’on voit en haut font partie de l’équipe, je les reconnais.
La manageuse s’approche d’Endou, ouvre son carnet et tous s’amassent derrière elle pour regarder par-dessus son épaule. Elle baisse ses lunettes sur son nez, fait défiler les pages d’informations collectées sur les participants au tournoi jusqu’à un trombinoscope imprimé et accroché dans un coin. Endou se penche, identifie à son tour leurs observateurs. Le garçon au visage anguleux et aux cheveux relevés en pics éparses, comme autant d’antennes sur son crâne, et celui au teint aussi mat que Gouenji et à la coupe sage, carrée, rose sombre. Sugimori Takeshi et Shimozuru Arata. Le capitaine de l’équipe et son attaquant de pointe. Haruna ajoute avec plus d’hésitation :
— Depuis que Sugimori est devenu leur gardien, ils n’ont pas encaissé un seul but.
— Alors c’est pour ça qu’ils viennent nous espionner ? râle Someoka. Pour apprendre comment contrer toutes nos frappes ? Ils sont vraiment agaçants.
— Leur prêtez pas attention.
— Eh, Gouenji a raison, appuie Kazemaru. Aki, on se concentre sur les tirs aujourd’hui, c’est ça ?
La mangeuse approuve avec force. Bientôt, l’équipe s’ébroue, s’étale devant les cages et se répartit les ballons. Endou les rejoint en trottinant, non sans un dernier regard à leurs observateurs.
— Yosh ! Suivant, Matsuno !
Endou claque dans ses gants, Someoka assiste les manageuses en récupérant la balle tirée par Kazemaru et l’envoie au numéro 9. Ce dernier se place, feinte sur ses appuis, cherche le point faible dans la garde d’Endou et tire. Le gardien bondit, repousse le ballon du bout des doigts.
— Super ! À toi, Kageno ! Huh ?
Endou s’arrête dans son élan. Le groupe se retourne. Les joueurs de Mikage Sennou sont descendus sur le terrain et s’avancent vers eux. Endou quitte ses cages d’un pas décidé.
— Pause ! Eh, toi, t’es le capitaine de Mikage Sennou, pas vrai ? Tu pourrais ne pas venir sur notre terrain pendant qu’on s’entraîne ?!
— Pourquoi avez-vous changé vos entraînements et pourquoi cachez-vous vos hissatsus techniques ?
Endou marque un temps d’arrêt, décontenancé par la question et le ton monocorde de son interlocuteur. Celui-ci le domine d’une tête et, malgré les angles marqués de son visage, reste inexpressif. Shimozuru prend la parole :
— Il n’y a aucune raison de les cacher. Nous avons déjà analysé toutes vos capacités.
— Votre rang est D-, ajoute Sugimori. Il y a cent pour cent de chance que vous perdiez contre nous.
Son assurance agace Endou, ça ne l’empêche pas d’arborer son sourire habituel lorsqu’il réplique :
— Tu ne peux pas savoir avant le match.
— Le match ? Une corvée plutôt, soupire l’attaquant de Mikage.
Le grondement s’élève des rangs de Raimon. Que leurs adversaires soient certains de gagner, ils peuvent l’accepter. Mais dénigrer ainsi les matchs, la compétition pour laquelle ils se sont tant battus, c’est inacceptable. Inconscients de la colère qu’il réveille, Shimozuru poursuit :
— Des joueurs inférieurs de seconde zone comme vous ne peuvent pas concevoir la perte de temps que cela représente.
— Je vais les dégager d’ici !
— Ça suffit !
Endou freine à temps Someoka au visage écarlate mais ne bout pas moins que lui. Durant une dizaine de secondes, le silence est électrique.
— Retirez ce que vous avez dit, finit-il par gronder.
— Ce ne sont que les faits.
— Je ne pense pas qu’ils soient en capacité de les appréhender, constate platement Shimozuru. Après tout, ce sont des joueurs inf…
— Je ne vous permets pas ! explose Endou. Affrontons-nous maintenant !
— Eh ?!
Gouenji se retient d’écraser sa tête dans la paume de sa main tandis que les autres réalisent ce que vient de dire leur capitaine. Les joueurs de Mikage Sennou, eux, ne bronchent pas et face à leur impassibilité, Endou renchérit :
— On tire chacun notre tour. Le premier qui a un but d’avance gagne.
— Nous ne concevons pas l’utilité de ceci.
— Peut-être que tu comprends pas, mais nous, on n’accepte pas !
— Accepter quoi ?
— Ce que vous avez dit !
— Je ne saisis pas où tu veux en venir.
C’est comme parler à un mur. Le dialogue à sens unique avec le capitaine de Mikage Sennou use les derniers lambeaux de patience d’Endou.
— Qu’est-ce que tu ne comprends pas ? Vous nous insultez, nous, nos sentiments, vous prétendez qu’on n’a aucune chance et tu veux qu’on t’écoute sans rien dire ?!
Son vis-à-vis réfléchit plusieurs longues secondes avant de répondre.
— Alors tu veux nous prouver le contraire ?
— Oui, exactement !
— Je comprends cela.
Le soupir de soulagement d’Endou est interminable. Son sourire revient éclairer son visage.
— C’est d’accord alors ? Vous acceptez le défi ? Regardez bien ! On ne perdra pas !
Le temps que les joueurs de Mikage remontent se changer à leurs camions, les membres de Raimon se sont regroupés au bord du terrain, petit public sous les yeux avides de celui sur le pont. Haruna est montée parmi ce dernier, là où elle aura un meilleur point de vue pour filmer. Sugimori et Shimozuru reviennent. Ils ont troqué leurs uniformes gris sombre contre un maillot tout aussi monotone. Seule fantaisie à leur tenue, des câbles lâches accrochés dans leurs cheveux leur enceignent le crâne. Par un pile ou face réalisé de la part d'Aki, ce sont eux qui ont le privilège de tirer en premiers. Endou se positionne dans les cages, accompagné des encouragements de ses amis.
— Endou, arrête-le coûte que coûte !
— On compte sur toi, Cap’taine !
— Ouais, laissez-moi faire !
Dans le rond central, Shimozuru fait rouler le ballon entre ses pieds, observe le terrain.
— Très bien. Commençons.
— Yosh, je t’attends !
Aki tergiverse encore une seconde – Natsumi ne va pas être contente quand elle va l’apprendre – et siffle. L’attaquant s’élance, traverse le demi-terrain sous l’œil de la caméra d’Haruna. Endou cherche dans ses mouvements un indice sur le tir qu’il va faire – enroulé ? à ras-de-terre ? de loin ou de près ? est-ce qu’il va utiliser une hissatsu technique ? à quoi est-ce qu’elle pourrait ressembler ? Il se retient de se claquer les joues. Ce n’est pas le moment de se dégonfler. Avant d’entrer dans la surface de réparation, Shimozuru fait passer le ballon par-dessus son épaule d’un coup de talon, le lève haut dans les airs, saute à sa suite. L’enchaînement est familier à Endou. Le mauvais pressentiment se mue en certitude quand le joueur adverse amorce une rotation et que les flammes jaillissent pour s’enrouler autour de ses jambes.
— Fire Tornado.
Notes:
Natsumi prend progressivement plus de place dans l'équipe... mais elle ne va pas être contente quand elle va savoir ce qu'il s'est passé, n'est-ce pas ?
Chapter 14: Au loin, le tonnerre gronde
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Fire Tornado ?! Endou perd de précieuses secondes avant de réussir à bouger. Son corps agit à l’instinct et lance son poing ardent, son esprit est ailleurs.
— Nekketsu Punch !
Le feu contre le feu. La chaleur irradie à travers son gant, la balle perd de la vitesse, ripe contre ses phalanges. Il l’entend, pétrifié, taper la transversale, rebondir derrière lui. Il a pris le but. Mais ça, à la limite… ce n’est pas si grave. Les exclamations inquiètes de ses coéquipiers lui parviennent à travers le bourdonnement à ses oreilles.
— C’était la Fire Tornado.
— Impossible !
— Comment il a pu…
— Ils ont dit qu’ils avaient analysé toutes nos données. Est-ce que ça veut dire qu’ils ont copié toutes nos hissatsus techniques aussi ?
— C’est possible ?
Endou regarde le ballon par-dessus son épaule sans réussir à bouger. Gouenji, le visage fermé, fend les rangs de groupe. Au passage Someoka lui donne une tape sur l’épaule. Endou sort de son hébétude quand il arrive devant lui. Seulement alors il ramasse le ballon. Sous ses doigts, le cuir est encore brûlant. Il le tend à Gouenji. Celui-ci plante ses yeux dans les siens.
— Je tirerai.
— Eh.
— Fais-la rentrer, Gouenji !
— La Fire Tornado est ton hissatsu technique !
— Montre-leur qu’une pâle copie ne battra jamais l’originale !
Ceux de Raimon sont plus remontés que jamais. Gouenji prend place au centre du terrain tandis que le portier de Mikage remplace Endou dans les cages. Les deux joueurs s’évaluent, les visages aussi sérieux l’un que l’autre. Peut-être vaguement ennuyé aussi, pour celui de Sugimori. Sa garde est bonne et il l’attend. Gouenji chasse les pensées qui parasitent sa concentration. La Fire Tornado. La voir exécutée par un autre, la voir marquer contre Endou, ça l’a piqué dans son égo. Il y a aussi autre chose qui le perturbe chez les joueurs de Mikage Sennou, qui joue avec ses nerfs, en plus de leurs insultes et de leur flegme. Il entend à peine le sifflet d’Aki à travers les battements sourds de son sang à ses tympans. Il court, répète les gestes qu’il connaît par cœur, devenus naturels. Mais à cet instant, ils ont une texture différente, tachés par la démonstration de Shimozuru. La chaleur de ses flammes n’est pas la même lorsqu’elles naissent autour de ses mollets, lorsqu’il tire de toutes ses forces.
— Fire… Tornado !
— Shoot Pocket.
Le gardien croise les bras sur sa poitrine, les déplie et projette autour de lui une bulle d’énergie. Celle-ci avale les flammes quand le ballon la percute et traverse sa paroi. Il flotte à l’intérieur, perdant en vitesse, le portier n’a plus qu’à le cueillir au moment où la bulle se dissipe. Gouenji vacille en se réceptionnant. L’habituelle chaleur réconfortante que lui procure sa technique – celle du feu-émotion – s’est fait chasser par les reliquats de la parade du gardien, ne laissant qu’un froid désagréable. Ses camarades restent muets. Sugimori s’avance vers lui, lâche le ballon à ses pieds.
— Le capitaine de la Teikoku Gakuen nous avait dit que ce serait intéressant de venir vous observer en personne. Il a dû se tromper.
Le froid s’intensifie. Personne ne retient le capitaine de Mikage lorsqu’il rejoint son coéquipier et qu’ils regagnent leurs véhicules. Ce ne sera qu’après que ces derniers soient partis qu’Endou retrouvera la parole et annoncera la fin de l’entraînement.
***
— Je n’en reviens toujours pas qu’ils soient venus nous voir pour nous dire qu’on n’avait aucune chance. Qu’est-ce qu’ils en savent ?! Tant qu’on n’est pas sur le terrain, on ne peut pas savoir à qui la déesse de la victoire va sourire.
Endou pioche son riz avec énervement. Il n’a pas décoléré depuis le départ des joueurs de Mikage Sennou et a pesté tout le long du trajet jusqu’au Rairaiken pour finir par maugréer, le nez dans son bol.
— Sans compter sur le fait qu’ils ont eu le culot d’imiter ta Fire Tornado.
— Hmmhmm…
Gouenji ne répond pas vraiment alors que son bol arrive à son tour, le commis s’excuse à demi-mots lorsqu’il le claque un peu trop fort sur le comptoir.
— Mais t’en fais pas, tu verras, reprend Endou, pendant le match, tu lui montreras la puissance de la vraie Fire Tornado. C’était normal d’être perturbé, sous le coup de la surprise. Je suis sûr que j’arrêterai la leur la prochaine fois ! Leur copie ne peut pas…
— Endou.
— Hum ?
— Tu l’as senti, non ? Il n’y avait aucune différence entre ma Fire Tornado et la sienne. C’était exactement la même hissatsu technique.
Endou fronce les sourcils, fait la moue. S’ils le disent mais… il n’est pas sûr de vouloir l’admettre, ni de comprendre ce que ça implique. Gouenji le dévisage avant de demander :
— Qu’est-ce que tu sais des hissatsus techniques ?
— Eh bien… hum…
Le gardien de Raimon ne s’est jamais vraiment intéressé à ce genre de détails. D’ailleurs, contrairement à beaucoup, ce n’est pas la magnificence des hissatsus techniques qui lui a donné envie de jouer au foot, même si c’est un truc en plus vraiment génial. Gouenji se retient de soupirer. D’accord, c’est un sujet complexe et obscur mais il pourrait faire un effort. Même Kazemaru qui s’y intéresse depuis moins d’un mois s’est plus renseigné que lui et se charge de prendre le relai :
— Si j’ai bien compris… les hissatsus techniques sont une manifestation de l’énergie, une… une force intérieure que l’on a tous. C’est notre aura. Elle se manifeste aussi d’autres manières, mais je n’ai pas trouvé grand-chose…
— Faut dire que personne n’en sait vraiment plus, commente Someoka. L’énergie, c’est pas visible, pas tangible, pas mesurable, énumère-t-il sur ses doigts, sauf dans certaines circonstances, et encore.
Megane, qui s’est joint à leur petit comité, vient développer :
— Les études sur le sujet n’en disent pas beaucoup plus, elles n’en sont qu’à leurs balbutiements. Parmi ses manifestations, il y a les hissatsus techniques. Cependant leur usage est aléatoire. Elles ne font leurs apparitions que dans le sport ou presque, et principalement dans les sports collectifs, mais elles sont beaucoup plus rares chez les seniors. Ce qui complique beaucoup la tâche pour ceux qui veulent les étudier.
— Après on va pas se plaindre, c’est pour ça que le foot junior est aussi populaire, reprend Someoka.
— C’est pour ça aussi qu’il y a eu des changements dans les règles, non ? Rien qu’autoriser les techniques, déjà, mais aussi les mi-temps de trente minutes… ou les changements illimités ?
Kazemaru fronce les sourcils en se remémorant ce qu’il a lu sur le sujet, Someoka confirme.
— Yep. L’énergie permettrait aussi d’améliorer les compétences physiques, genre… courir plus vite et sauter plus haut. Mais le contrecoup est que ça fatigue beaucoup. D’où les modifications que t’as dites.
— Hum, y’avait un peu de ça dans l’athlétisme je crois aussi, mais ça reste moins spectaculaire que les hissatsus techniques.
— Mais du coup, c’est quoi le truc avec Mikage Sennou ? demande Endou en reposant son bol vide.
— Une hissatsu technique, c’est unique, explique Gouenji.
— Bah non… J’ai bien réussi à faire des techniques de mon grand-père, et Kabeyama et toi vous avez fait l’Inazuma Otoshi.
— Eh, mais nos techniques ne sont pas identiques aux originales. C’est possible d’imiter une technique de quelqu’un d’autre dans les grandes lignes. Cependant il y a toujours quelque chose qui diffère, dans l’exécution, le visuel, le ressenti, ... Parce qu’une hissatsu technique vient de la manière dont tu… tu modèles l’énergie. C’est personnel. Unique. Mais la Fire Tornado de Shimozuru était identique à la mienne. Exactement identique.
Endou écarquille les yeux en réalisant les implications.
— Mais attends, du coup ça veut dire… ça veut dire qu’ils sont capables de… qu’ils ont décortiqué la Fire Tornado au point de…
— Hum. Au point d’en comprendre les moindres détails. Au point de connaître chacun de mes mouvements, au point de savoir comment influer sur leur énergie pour produire les mêmes flammes que moi.
— Whaaaa…
Endou en perd ses mots et reste la bouche ouverte. Gouenji conclut :
— Je suis d’accord avec toi, on ne peut pas savoir qui gagnera avant de jouer. Mais ils ont des capacités qui dépassent de loin les nôtres et tant qu’ils nous observeront, on ne doit pas travailler nos hissatsus techniques, ni chercher à en créer d’autres.
Endou referme la bouche, songeur. Peut-être… peut-être que Mikage Sennou a cet effrayant pouvoir. Mais il maintiendra, contre vent et marées, que là, dans sa poitrine, les Fire Tornado de Gouenji et de Shimozuru n’étaient pas tout à fait identiques.
Après que les garçons soient partis, Suki a confirmé à Hibiki, d’une phrase incomplète, d’une moue crispée, ce qu’ils ont dit. Il devine cependant qu’il y a autre chose à son regard perdu dans le vide, ses mains serrées sur le torchon avec lequel elle essuyait la vaisselle.
— Hibiki…
— Oui ma belle ?
— Shuuya a raison, tu sais ? Réussir à copier une technique à la perfection, c’est… ce n’est pas à la portée de n’importe qui… je veux dire, je pourrais peut-être… enfin, je crois mais sinon… avec les moyens et les connaissances…
Les traits de son visage se crispent, ses derniers mots se font hésitants. Hibiki redoute les suivants. Elle souffle, relève ses yeux bleus, hantés, vers lui :
— Je ne vois que le oni.
***
Ni Hibiki ni Suki ne s’attendaient à voir l’équipe de Raimon débarquer au grand complet le lendemain. Pourtant, ils sont là, tassés le long du comptoir. Si d’habitude ils encombrent l’espace de leur présence, ils sont aujourd’hui curieusement silencieux. En les servant, Suki note des bleus et égratignures, quelques pansements, un ou deux légers boitements. Étrange, mais leur calme l’empêche de s’alarmer. Ils semblent juste épuisés… et heureux. Elle a lu tout à l’heure dans le regard d’Hibiki que celui-ci a une hypothèse, mais il lui faudra attendre leur départ pour l’entendre. À moins que l’un d’entre eux ne vende la mèche avant. Comme Endou par exemple, qui, une fois le ventre rempli, soupire d’aisance et sourit de toutes ses forces en trépignant sur son tabouret.
— Vous vous rendez compte, les gars ? Un centre d’entraînement secret !
Il avait la volonté de chuchoter mais les étoiles qui brillent dans ses yeux l’en empêchent. Ils sont plusieurs à hocher la tête malgré l’épuisement, à grimacer aussi.
— Même si des fois Natsumi-san fait peur, surtout quand elle a su pour le défi contre les joueurs de Mikage, elle nous a bien aidés, admet Kabeyama. D’abord, elle nous donne le carnet et ensuite elle trouve cet endroit…
— Eh ! C’est exactement ce qu’il nous fallait pour nous entraîner à l’abri des regards jusqu’au match et même après. J’ai trop hâte d’être demain.
— Tu veux vraiment qu’on y retourne ?
Endou dévisage Kurimatsu comme s’il avait perdu la tête.
— Bah… oui ! Bien sûr !
Un peu plus loin dans la rangée, Megane et Domon font grise mine. Kazemaru repose ses baguettes :
— Endou… ce qu’on a fait dedans… ça ne ressemble même pas à un entraînement.
— Tu trouves ?
Kazemaru aurait dû s’en douter. La notion qu’ont Endou et ses pneus de ce qu’est un entraînement n’appartient qu’à eux et le gardien renchérit :
— Ça va nous aider à développer notre endurance, notre résistance, notre vitesse… C’est parfait, neh ?
Les sourires fleurissent un à un sur les lèvres. Personne ne se risque à contredire leur capitaine. Et puis… peut-être bien qu’il a raison.
***
Ils sont revenus le jour suivant. Et celui d’après aussi. Chaque soir, ils passent la porte le corps courbaturé par la fatigue et couvert de bleus, mais les yeux luisant de satisfaction, de la fierté de tenir quelque chose. Leurs auras sont méconnaissables. Le lien qui les unit surtout. Suki se laisse absorber par le spectacle qui se dérobe à leurs perceptions, sortie discrètement de ses rêveries par Hibiki lorsqu’elle s’y perd. Ce dernier sert ses jeunes clients avec abondance, investi de la mission de calmer les gargouillements de leurs ventres affamés. Suki l’aide dès qu’elle rentre de ses pérégrinations en ville, elle l’observe surtout, lui et les arabesques dorées – éclairs éphémères – qui dansent sous la surface de son aura. Le centre Inabikari. C’est à peu près tout ce qu’il a accepté de lui dire avant qu’il ne se perde dans ses souvenirs. Malgré le temps clair toute la semaine, Suki a parfois l’impression d’entendre le tonnerre au loin, tandis que les garçons mangent avec appétit et discutent à voix basse de leurs progrès. Au fil des jours, ils coincent de plus en plus souvent leurs cahiers sur le coin des tables et se dépêchent de rattraper le retard qu’ils accumulent sur leurs devoirs. Le groupe bruisse alors de leur entraide sur les exercices les plus difficiles et des leçons qu’ils récitent par cœur. Avant de partir, les paupières papillonnantes, ils n’oublient jamais de remercier Hibiki. Celui-ci, en revanche, a peut-être omis de les faire payer une fois ou deux.
***
Quand ils sortent, l’air frais de la nuit leur donne un coup de fouet. Endou croise les doigts derrière sa nuque :
— Aaaaaaaah ça fait du bien !
— Eh… Tu auras réussi, hein ?
— Hum ?
Il soulève un sourcil à l’adresse de Kazemaru qui remonte son sac sur son épaule.
— À nous faire venir au Rairaiken tous les jours. Même aujourd’hui…
— En même temps, le match est demain ! Fallait qu’on se donne à fond jusqu’au dernier moment ! Et puis…
Endou se retourne et marche à reculons pour faire face à ses quelques camarades restés le plus tard avec lui.
— Je sais pas… Ça vous fait pas du bien, vous, de venir ici après un entraînement ?
Kazemaru va pour répondre qu’il ne voit pas de quoi il parle avant de s’interrompre. Gouenji est perdu dans ses pensées, Someoka réfléchit. C’est le premier à reprendre la parole :
— … Si. Je vois ce que tu veux dire. Venir manger un bol de nouilles ici… C’est… confortable.
Confortable. Comme se glisser dans un plaid chaud alors qu’il pleut et qu’il fait froid dehors, comme faire griller des chamallows sur un feu de camp qui craque. Someoka a trouvé le bon mot pour décrire la sensation qui étreint Gouenji à chaque fois qu’il passe la porte du Rairaiken. Confortable. Comme retrouver par hasard un ami de longue date et profiter de sa présence sans même avoir besoin de parler.
Notes:
Beaucoup de choses se passent dans ce chapitre, qui est l'occasion de parler un peu plus de ma vision des hissatsus techniques et de comment elles s'intègrent dans le monde. Qu'en pensez-vous ? Ça vous plaît ? Faites-le-moi savoir d'un kudo ou d'un commentaire !
Chapter 15: Les données
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Ça y est, ils y sont. Mikage Sennou. En arrivant tout à l’heure, l’équipe de Raimon a eu un bref aperçu du terrain. Impressionnant, bardé d’antennes et de radars braqués sur la pelouse, il est en adéquation avec l’ambiance high-tech dernier cri qui se dégage du reste du collège. Le trac chatouille le ventre d’Endou au moment de sortir des vestiaires, mais il n’a pas peur pour autant. Au contraire. Ça lui donne l’envie de se donner à fond.
Il y a quelqu’un au bout du couloir.
— C’est toi.
La voix du capitaine de Mikage Sennou est dénuée de toute intonation. Et en même temps qui est-ce que l’autre voulait-il que ce soit ? Endou ne se laisse pas impressionner. Il monte les poings sur ses hanches, sourit :
— Vous nous avez battus l’autre jour, mais aujourd’hui c’est nous qui allons gagner.
— Je connais déjà vos probabilités de victoire.
— Ah ouais ? Et elles sont de combien ?
L’entrain d’Endou résonne dans le couloir. Sugimori le dépasse sans ciller.
— Tu préfères ne pas savoir.
Endou perd son sourire. Ils verront bien qui la déesse de la victoire choisira.
Au bord du terrain si excentrique par rapport à leur court de terre battue, les joueurs de Raimon se regroupent autour de Fuyukai. L’entraineur se tord les mains au moment de prendre la parole. Ils ne sont depuis longtemps plus dupes quant au fait qu’il ne fasse que de la figuration au point d’oublier son existence la plupart du temps, pourtant il a tenu à leur parler avant le début du match.
— Finalement, vous n’avez pas été capables de développer de nouvelle hissatsu technique. Comment allez-vous faire ?
Comme speech de motivation, ils ont connu mieux. Rien ne va, ni dans son discours bancal ni dans sa manière de parler, en articulant exagérément sans vraiment les regarder. Heureusement, Endou prend le relai :
— On a perdu le face-à-face de la dernière fois. Mais en match, c’est toute l’équipe qui joue. Si on rassemble nos forces, on peut carrément gagner ! Faut qu’on y croie !
— Eh !
Tandis qu’ils reprennent le cri de leur capitaine et que Fuyukai va s’asseoir sur le banc avec un haussement d’épaules désabusé, Gouenji zieute vers Domon. Le numéro 13 – promu titulaire après sa superbe défense durant le match contre Nose – n’y met pas autant de cœur que les autres. En revanche, Gouenji croise le regard du coach de Mikage Sennou. Enfin, à peu près – les yeux de l’entraîneur disparaissant derrière l’étrange appareil à mi-chemin entre les lunettes et le casque, raccord avec l’esthétique de son école, vissé sur son visage. Quand il s’aperçoit qu’il est repéré, l’homme se détourne en ricanant. Gouenji plisse les lèvres. Il dégage la même impression de lâcheté que leur propre coach.
***
— Le deuxième match des quarts de finale de la poule de la région de Kanto du Football Frontier est sur le point de commencer ! Aujourd’hui, le collège de Raimon affronte le collège Mikage Sennou. Mikage Sennou qui s’est construit cette année une solide réputation et surtout n’a encaissé aucun but jusqu'à maintenant. Comment le collège de Raimon va-t-il leur faire face ? C’est d’ailleurs ce dernier qui a l’honneur du coup d’envoi et l’arbitre s’apprête à siffler…
Pendant que Keita débite son discours sans respirer, Gouenji fait glisser son regard sur leurs adversaires – droits, concentrés, presqu’inexpressifs – et les mêmes câbles étranges que ceux de Sugimori et Shimozuru qui se balancent autour de la tête, les rapprochant de l’image de joueurs cyborgs qu’ils se sont construits. Non, il s’attarde plutôt sur le public, mélange hétéroclite d’élèves de l’école et surtout de spectateurs extérieurs. Est-ce que le frère de Kabeyama est venu aujourd’hui ? Avec toutes les antennes braquées sur le terrain, il a la tenace, désagréable, sensation d’être épié mais il n’y a pas que ça. Là-haut, dans un coin des gradins, il reconnaît l’imperméable gris usé du client aperçu régulièrement au comptoir du Rairaiken et plus loin une veste rouge qui détonne au milieu des autres.
— Gouenji !
Someoka le rappelle à l’ordre au coup de sifflet. Avec un vague mot d’excuse, il glisse le ballon à son camarade. Ils se l’échangent sur les premiers mètres avant que Someoka ne prenne de l’avance, le cuir au pied, le reste de l’équipe sur leurs talons. Les joueurs de Mikage bougent en conséquence.
— Shimozuru fait face à Someoka !
Loin de se laisser impressionner, les attaquants de Raimon poursuivent dans leur élan et dépassent facilement le numéro 11. Un instant perturbé par l’absence de résistance – il vient de les laisser passer, non ? – ils saisissent leur chance et s’enfoncent dans les rangs de Mikage. Pas longtemps.
— Formation défensive, Gamma 3. Activation, commande Sugimori.
Aussitôt ses joueurs se mettent en mouvement. Ils délaissent prestement leur marquage, prenant au dépourvu les milieux de Raimon, et quand Someoka passe à Gouenji, celui-ci est obligé de piler dans la foulée.
— C’est comme si la défense de Mikage avait prédit les mouvements de Gouenji !
Les deux adversaires devant lui et celui sur le côté le coincent vers le bord du terrain. Ils ne couvrent cependant pas une minuscule fenêtre. Gouenji met à profit l’ouverture et répond à l’appel de Someoka, délaissé par la défense dans l’autre couloir. Que cela ne tienne !
— Dragon Crash !
Le dragon serpente entre les rangs des défenseurs regroupés devant leurs cages, trop écartés pour l’empêcher de passer, trop immobiles pour tenter quoi que ce soit. Ça ne peut quand même pas être son hurlement qui les paralyse, si ? Pourtant, malgré sa vigueur et sa vélocité, il s’essouffle et s’éteint avant d’arriver aux cages. Ses dernières bribes déposent le ballon dans les mains du gardien et le public applaudit. Someoka se tourne, désarmé, vers Gouenji.
— C’était quoi cette défense ?
Son coéquipier secoue la tête, décortique dans son esprit ce qu’il vient de voir, de sentir. Sugimori débite, du ton trop plat que Someoka ne supporte déjà plus :
— Vous n’avez pas à être étonnés. Vos patterns offensifs sont les mêmes que ceux décrits par les données. Nous sommes capables de les prédire et de les déjouer facilement.
— Qu’est-ce que tu… ?!
— Laisse tomber, Someoka ! le retient Endou, criant depuis l’autre bout du terrain. Le match ne fait que commencer ! Dépêche-toi de revenir, la prochaine fois sera la bonne !
— Hum.
L’attaquant obtempère en grognant et fait signe à Gouenji de se replier avec lui avant la remise en jeu. Le numéro 10 met plus de temps à faire demi-tour. Leur défense… Sans demander aucun effort aux joueurs, l’hissatsu technique de Someoka s’est heurtée à leurs énergies jusqu’à se retrouver dépouillée de celle de l’attaquant. Il serre les dents tandis que Sugimori relance. Une nouvelle démonstration de l’aussi incroyable que terrifiante maîtrise de l’énergie de Mikage Sennou.
La contre-attaque de l’équipe à domicile est redoutable. Le ballon circule avec des passes millimétrées et chaque geste de Raimon est anticipé, forçant Matsuno et Shourinji à suivre le porteur de balle sans pouvoir l’approcher. Les ordres de Sugimori se succèdent, aussi précis qu’obscurs, aussi robotiques qu’efficaces.
— Formation offensive, Beta 2, garde-à-v…
— Oh, Kazemaru surgit et tacle son adversaire !
Haruna capture le défenseur dans le viseur de sa caméra au milieu des compliments qui pleuvent. Elle ne se souvenait pas qu’il était aussi rapide. Il a brisé l’assaut de Mikage, sécurise la balle et mène maintenant la contre-offensive de Raimon.
Mais la rigueur de Mikage reprend rapidement le dessus sur son coup d’éclat et tandis que Shishido reçoit la balle, il la perd dans un contact éclair au profit du numéro 10 de Mikage. Le reflet sur les lunettes de ce dernier l’empêche de voir ses yeux avant qu’il ne le sème.
— Oobe est rapide ! Il passe deux joueurs de Raimon sans difficulté ! C’est comme s’il lisait leurs mouvements à l’avance !
— Il arrive, laissez-le-moi ! Tout le monde marque le numéro 11 !
Endou distribue ses instructions à l’approche de l’attaquant adverse et, le souvenir vif de la copie de la Fire Tornado dans son esprit, concentre ses défenseurs sur Shimozuru. Aussi Oobe le prend au dépourvu en décalant de l’autre côté vers le numéro 9. Trompant la vigilance de la défense, celui-ci a remonté la ligne de touche et fait face aux cages grandes ouvertes. Et merde !
— Et c’est Yamagishi Seri qui tire, personne ne l’a vu arriver !
Endou doit user de toute sa détente pour intercepter la frappe dans la lucarne. Ses gants se referment sur le ballon à la dernière seconde. Il se replie sur lui-même, roule et se relève à moitié, garde un genou à terre le temps de souffler. C’était juste.
— Superbe arrêt d’Endou ! Mais…
Endou va pour relancer le ballon, suspend son geste. Ceux de Mikage n’ont pas attendu qu’il soit prêt pour procéder à un marquage minutieux. Pas un seul de ses coéquipiers n’est libre. Même la caméra d’Haruna n’a pas eu le temps de filmer. La manageuse ajuste la mise au point sur les joueurs qui jouent des coudes pour se détacher de ceux qui ne les lâchent pas d’une semelle.
— Dites, vous ne trouvez pas qu’il y a quelque chose, dans leur manière de bouger ?
Megane et Kageno observent leurs camarades avec intensité, Natsumi aussi, même si elle tente de faire semblant que non. Fuyukai-sensei, lui, n’y accorde aucune attention.
— Eh... réfléchit Aki. On dirait une seule et même machine complexe.
— Non, je ne parlais pas de Mikage.
— Huh ?
— Regarde, regarde !
Vifs comme la foudre, Kazemaru et Shourinji se débarrassent de leur vis-à-vis et fondent vers l’attaque. Aki écarquille les yeux. Impressionnant ! Endou s’engouffre aussitôt dans l’opportunité proposée, relance loin et fort. Maintenant qu’Haruna le dit… Les mouvements des joueurs de Raimon ont changé depuis leurs derniers entraînements. Même si Mikage bloque une à une, méthodiquement, leurs attaques, des fulgurances aussi sporadiques qu’étincelantes leurs permettent de grappiller mètre après mètre au travers du terrain.
***
— Il reste 15 minutes de première mi-temps. Pour qui cette passe est-elle destinée ?
Kazemaru garde la balle juste le temps de la contrôler et de l’envoyer vers l’avant.
— Gouenji !
— Oh, encore une superbe passe !
Gouenji est seul, démarqué, dans une position parfaite. Ses flammes le démangent. Il s’élève dans les airs, les libère dans sa rotation, les avive de sa volonté de gagner.
— Fire Tornado !
Le gardien n’est pas surpris. Pourquoi le serait-il ? C’est le tir signature de Gouenji, évidemment que l’attaquant de Raimon allait l’utiliser. C’est ce que les données ont prédit. Elles lui ont permis d’arrêter l’hissatsu technique à chacune des simulations, comme il l’a arrêtée l’autre jour, et comme il l’arrêtera encore aujourd’hui. Sugimori écarte les bras de sa poitrine et déploie son énergie.
— Shoot Pocket.
Les flammes s’abîment sur la surface aux reflets bleutés de la bulle de protection. La balle s’y enfonce au ralenti. Le portier tend les gants pour la cueillir, sa rotation rémanente le prend par surprise. Elle tourne encore trop vite, elle est encore trop chaude. Sugimori peine à la retenir. Elle lui échappe alors qu’il titube d’un pas en arrière.
— Oooh, le tir a été stoppé !
Le cri du commentateur accompagne le rebond du ballon hors de sa portée, entre lui et Gouenji. Comment est-ce possible ?
— C’est pas fini !
Someoka surgit aux côtés de son coéquipier tout juste atterri et récupère le ballon au vol. Pas le temps de souffler pour Gouenji qui comprend dans l’instant et s’élance à nouveau.
— Dragon…
— … Tornado !
Le dragon glisse le long de la jambe de Someoka et se pare de rouge et de feu en s’enroulant autour de Gouenji. La bête fonce sur Sugimori, la gueule béante, sans défenseur pour la freiner. Le portier dégaine sa technique pour la seconde fois d’affilée. Ce tir aussi, il est dans les données, tout est sous contrôle.
— Shoot Pocket.
Mais les crocs enflammés percent la sphère protectrice et le feu lui lèche le visage lorsqu’il coince le ballon en furie contre son torse. Quand le cuir lui échappe, Sugimori bascule en arrière, se rattrape en frappant le sol du poing. Encore ?! Pourtant les données… Un mouvement hurlant en approche au milieu de ses coéquipiers le remet debout à toute vitesse.
— Gouenji-saaaaan !
— Yosh !
Gouenji prend un appui à peine plus long – juste le temps d’avaler une goulée d’air brûlant – avant de sauter pour la troisième fois consécutive. Kabeyama qui a remonté tout le terrain depuis la défense l’accompagne. Le sifflement de l’air chargé de l’odeur de l’ozone éteint les flammèches autour de son short, l’attaquant accueille avec soulagement la soudaine baisse de température. Au loin, le tonnerre gronde.
— Inazuma Otoshi !
Ses crampons se placent naturellement sur le torse de son coéquipier. Avec le rebond, Gouenji atteint de nouvelles hauteurs. Il attire les éclairs dans le cuir et la foudre claque. Sugimori se tasse sur ses appuis. La puissance du tir dépasse celle enregistrée dans les données. Le Shoot Pocket ne suffira pas. Il a moins d’une demi-seconde pour prendre une décision. Rationnelle.
— Rocket Kobushi.
Son poing droit se trouve affublé d’un gant gris immatériel, lumineux. Dans un mouvement de hanche, un geste d’épaule, l’appendice se détache et file frapper la balle crépitante. Le tir est repoussé avec une détonation sourde.
— Ce tir aussi a été bloqué ! Tu es vraiment fantastique, Sugimori !
Les compliments du commentateur ne l’atteignent pas. Le portier de Mikage observe son poing. Incompréhensible. Pendant les simulations, le Shoot Pocket était suffisant. Quel est le souci ? Ses yeux se posent sur Gouenji qui s’est laissé tomber à terre en sueur, épuisé d’avoir autant enchaîné – pourtant son dernier tir n’était pas moins puissant – sur Someoka et Kabeyama qui l’aident à se relever avec une tape dans le dos. Pourquoi est-ce qu’ils ne correspondent pas aux données ?
— Formation offensive, Delta 5.
Après la salve d’attaques qui a mis à mal son gardien, Mikage est déterminé à reprendre le contrôle du terrain. Méthodiquement, ses joueurs repoussent ceux de Raimon, les débordent et se frayent un chemin vers les cages.
— À vos positions !
Les défenseurs s’accordent sur les ordres d’Endou. Kazemaru et Domon se referment sur le numéro 10. Cette fois, le gardien a vu Yamagishi remonter le couloir et il est prêt. Oobe fait la passe à son coéquipier et, au moment où celui-ci tire, Endou bondit. Réalise trop tard son erreur.
— Oh non ! C’était une feinte pour Shimozuru !
L’attaquant s’est fait oublier juste ce qu’il fallait pour traverser les lignes sans être remarqué et récupère le ballon à l’entrée de la surface de réparation, frappe dans la foulée. Endou jure – deux fois ! Deux fois qu’il se fait avoir de la même manière ! – en dérapant sur le gazon et lance le poing avec l’énergie du désespoir :
— Nekketsu Punch !
Son gant frôle le cuir qui glisse dans l’énergie émise avant de dévier vers l’extérieur des cages.
— Endou arrête pour la seconde fois le tir in extremis. Mais… Oui ! Yamagishi arrive à toute vitesse !
Plus le temps de se rattraper. Endou tord ses hanches, lance le bras, en vain. Sous ses yeux, le numéro 9 de Mikage pousse du front le ballon de l’autre côté de la ligne.
— Buuuut !
Endou roule au sol tandis que retentit le coup de sifflet et que le public laisse éclater sa joie.
— La balle est dedans ! Grâce à ce but, Mikage Sennou ouvre le score et prend l’avantage !
— Merde !
Le poing d’Endou s’abat dans l’herbe. Allongé sur le dos, le portier serre les dents. La même ruse. Il croyait être prêt et il s’est fait prendre comme un bleu. Et sa naïveté a coûté un but à l’équipe. Les mains tendues de Kazemaru et de Kabeyama apparaissent dans son champ de vision, le remettent sur pied. Gouenji vient chercher le ballon.
— Ce n’est qu’un but. On va le récupérer.
Les défenseurs sourient en approuvant, l’étincelle se rallume dans le regard d’Endou. Son cri accompagne Gouenji jusqu’au rond central.
— Allez, les gars, on va y arriver !
Lorsque l’arbitre siffle, Someoka et Gouenji ont à peine donné l’engagement que Yamagishi s’interpose entre eux, dérobe le ballon et passe à Shimozuru. Dans la foulée, sans leur laisser le temps de réagir, le numéro 11 de Mikage fait rouler le cuir jusqu’à Sugimori. Une passe en arrière ?! Gouenji et Someoka échangent un regard, mus par le même mauvais pressentiment que celui qui descend le long de la colonne vertébrale d’Endou.
— Ne me dites pas que…
Hélas, leurs craintes se confirment quand le gardien remet en jeu pour ses défenseurs et que s’en suivent quelques passes prudentes.
— Ah ? Pas d’attaque ?
Les joueurs de Raimon montent, ceux de Mikage se replient dans leur moitié de terrain. La balle circule, un peu en avant, aussitôt en arrière, et reste hors de portée des maillots bleu et jaune dont la frustration monte. Malgré leurs tentatives qui s’enhardissent, leurs adversaires les désamorcent et les laissent inoffensives. Progressivement, les commentaires de Keita se réduisent, tués par le manque d’action. Au chronomètre, les minutes défilent.
— Mikage Sennou a-t-il pour ambition de camper pour toute la fin de la première mi-temps ?
Peu importe les efforts des joueurs de Raimon, leurs tacles ne raclent que l’herbe, leurs interceptions ne rencontrent que le vent et leur marquage est dilué par les mouvements méthodiques de leurs opposants. La possession leur échappe, protégée par les rangs solides de Mikage. Même lorsque ces derniers sont acculés près du poteau de corner, ils ne cèdent rien. Endou, aussi impuissant que ses camarades, enrage :
— Merde ! C’est ce que vous voulez pour ce match ? C’est vraiment ce que vous voulez ?!
Même le public a perdu de sa voix, dépité par le triste spectacle auquel il assiste. Et lorsque la fin de la mi-temps arrive enfin, elle n’a rien d’une délivrance. Les jambes plombées par le score au tableau d’affichage, les joueurs de Raimon rentrent aux vestiaires.
— Sugimori !
L’interpellation d’Endou claque dans le couloir. Le capitaine adverse s’arrête, imité par son équipe. Endou se plante devant Sugimori, les poings sur les hanches et le reste de Raimon sur les talons :
— Pourquoi vous n’avez pas attaqué ? On ne peut même pas appeler ça du foot !
— Ce sont les ordres du coach.
Toujours et encore le même ton impassible qui met Endou hors de lui. Les doigts de Sugimori effleurent distraitement les câbles accrochés à son crâne.
— Qu’est-ce que tu racontes ?! tempête Endou.
— Que ce soit par un avantage de dix buts ou d’un seul, une victoire est une victoire. Nous attendrons la fin du match sans prendre de risque.
— Tu crois que… que tout peut être maîtrisé par les maths ou… ou je sais pas quoi ?
— Je t'ai déjà dit que nous possédons toutes les données vous concernant. Vous ne pourrez pas marquer de but contre nous. Vous avez perdu.
— Comment tu peux le savoir ?!
Derrière son ami, Gouenji redoute le moment où il devra le retenir de se jeter sur Sugimori. Kazemaru doit partager les mêmes inquiétudes, car il se rapproche imperceptiblement d’Endou. La colère a pris le pas sur l’entrain habituel de leur capitaine lorsqu’il assène :
— La déesse de la victoire sourit toujours aux persévérants.
— Les choses qui ne sont pas dans les données n’arriveront pas.
— Les données, les données, tu n’as que ce mot à la bouche…
Endou s’avance d’un pas, lève la tête pour planter son regard dans celui de son vis-à-vis.
— Tu prends vraiment du plaisir avec ce genre de football ?
Sugimori fronce les sourcils, son expression accentuée par les angles de son visage et son habituel masque impassible.
— Prendre du plaisir ?
— Eh ! Le foot c’est un sport amusant, non ? Comprendre tes partenaires grâce à la balle, partager la même passion, les mêmes émotions, vivre ensemble les bons moments comme les moins bons, c’est quelque chose de magnifique !
Comme à chaque fois qu’il parle de ce qui le passionne, Endou agite les bras. Mais, contrairement à d’habitude, aucun sourire n’éclaire son visage.
— Magnifique ? répète Sugimori.
Une seconde. L’espace d’une seconde, Endou est persuadé d’avoir réussi à réveiller son adversaire. Les mots qui suivent le font déchanter.
— Ton point de vue est incompréhensible.
— Incompréhensible ? C’est vous qui êtes incompréhensibles ! La manière dont vous jouez… Tu sais quoi ? Préparez-vous, parce qu’on va vous montrer ce que c’est, le vrai football !
Guère impressionné, Sugimori observe un instant le doigt pointé vers sa poitrine. Puis il se détourne et disparaît dans son vestiaire sans un mot de plus, ses camarades dans son sillage. Endou pantèle, proteste lorsque Gouenji pose sa main sur son épaule.
— Allez, viens.
— Mais…
— Tu l’as dit toi-même, on leur montrera sur le terrain. Et puis… ce n’est pas quelque chose que l’on comprend avec des mots.
***
Le retour sur le terrain est électrique du côté de Raimon, impassible chez leurs adversaires. Ces derniers ont l’avantage de l’engagement. Malgré leur sprint dès le signal de l’arbitre, Someoka et Gouenji ne parviennent pas à les empêcher de remiser aussitôt en arrière. Mikage Sennou reprend son jeu de passe à 10. Et le calvaire recommence.
— La seconde mi-temps débute avec Mikage Sennou qui conserve la balle en défense. Le collège de Raimon redouble d’efforts mais est incapable d’en briser les rangs.
Frustrés et désormais convaincus que leurs adversaires conserveront la même stratégie et la possession jusqu’à la fin de la partie, les joueurs de Raimon tentent tout dans l’espoir de leur arracher le cuir. Si Matsuno et Shishido prennent le porteur de balle en tenaille, celui-ci est aussitôt protégé par deux de ses coéquipiers. Quand Gouenji lance le pied, un défenseur s’interpose, le temps que son camarade s’échappe. Le numéro 10 de Raimon se relève, tente d’analyser la formation en quête d’une faille. Leurs adversaires mènent la danse dans un épuisant jeu du chat et de la souris. Il jure entre ses dents, jette un œil par-dessus son épaule. Sugimori, la main levée vers ses câbles, marmonne. Il lui semble presque… perturbé ? Puis Someoka et Handa le sollicitent et happent son attention.
Sugimori surveille les mouvements de ses joueurs, ceux de ses adversaires. Dans un coin de son esprit, les minutes s’écoulent. Tout se déroule selon les prévisions. La victoire est assurée. Il y a cependant quelque chose qui le dérange. Plus précisément, les mots d’Endou refusent de se taire. Tu prends vraiment du plaisir avec ce genre de football ? Sugimori ne comprend pas pourquoi ils l’incommodent autant. Seule la victoire compte. Pour la première fois depuis ses instructions suite à leur but, la voix de son coach s’élève dans ses oreilles en grésillant :
— Détruisez-les jusqu’à ce qu’ils ne puissent plus jouer, peu importe les moyens.
Sugimori retient l’approbation automatique qui s’apprête à franchir ses lèvres. C’est pourtant simple, il reçoit un ordre, il obéit. Mais…
— Nous maîtrisons déjà la partie. Utiliser un jeu dangereux ne me paraît pas approprié. Je demande un changement de stratégie.
— Qu’est-ce que tu racontes ? Je ne te demande pas d’exprimer ton opinion. Fais-le. C’est pour assurer la victoire. Abattez-les !
Sugimori aperçoit certains de ses coéquipiers regarder furtivement dans sa direction en suivant dans leurs propres connectiques l’échange houleux, inhabituel. Que doivent-ils faire ? Il hésite. Seule la victoire compte… non ? Alors pourquoi est-ce qu’il s’entend protester ?
— Handicaper les joueurs adverses ne fait pas partie du football. Je… Nous ne pouvons initialiser cette séquence. C’est impossible.
La voix du coach se fait impatiente.
— Sugimori… C’est un ordre.
— Qu’est-ce qu’on doit faire ? Est-ce que je monte avec eux ?
Parmi les derniers restés en défense, Domon interroge Endou qui trépigne sur sa ligne. Il sursaute quand son capitaine claque son poing dans sa paume.
— Nan… S’ils n’attaquent pas, je refuse de rester ici sans rien faire.
Et sous les yeux médusés du défenseur, Endou quitte son poste.
— Eeeeeh ?!
Domon se place en panique devant les buts, agite vainement les bras. Qu’est-ce… qu’est-ce qui est passé par la tête d’Endou ? Il n’est pas gardien lui ! La stupeur se propage à mesure qu’Endou remonte le terrain comme une flèche, soulevant sur son passage les exclamations incrédules du public et de ses amis sur le banc. La voix de Keita grimpe dans les aigus dans les hauts-parleurs.
— Po-pour une raison inconnue, le gardien de Raimon laisse ses cages grandes ouvertes…
Le cri alerte les autres protagonistes sur la pelouse. Trop tard. Profitant du flottement chez les joueurs de Mikage accompagnant la surprise de le découvrir devant eux, Endou force le passage et subtilise le ballon qui échappe à Raimon depuis le début de la mi-temps.
Notes:
Si le chapitre vous a plu, faites-le-moi savoir, d'un kudo ou d'un commentaire. Merci !
Chapter 16: Et ce qu'elles ne peuvent pas prédire
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— … en attaque !
Qu’est-ce que… ? Sugimori cesse d’écouter le monologue agressif et autoritaire de son coach en découvrant l’impensable tableau qui se peint devant lui. Endou est juste là. Il a semé tous les autres avant qu’ils ne sortent de leur hébétude et arme sa jambe en clamant :
— J’arrive !
Pourquoi ?! Sugimori ne comprend pas. Ce qu’Endou fait si loin de ses cages, la raison pour laquelle il tire. Le ballon fuse vers lui. Sugimori panique. Il n’a aucune donnée sur une quelconque frappe du gardien de Raimon. Elle n’est même pas très puissante, sa trajectoire est prévisible, mais elle est inconnue. Alors que son esprit mouline à la recherche d’un protocole à suivre, son corps bouge seul. Ses câbles lui fouettent le visage lorsqu’il saute. Sugimori referme ses gants sur la balle sous la transversale. Une étincelle s’échappe du cuir et lui pique la paume.
— Rhaaa… si proche !
Le cri d’Endou n’est pas désespéré, loin de là. Libéré, plutôt. Le ressenti du ballon sous les doigts de Sugimori est différent de d’habitude. Il a besoin de comprendre.
— Pourquoi as-tu rejoint l’attaque ?
— Pour jouer, pour courir, pour marquer des buts, évidemment ! C’est ça, le foot, non ?
Ça semble si limpide pour son vis-à-vis, avec son sourire qui lui barre le visage. Sugimori resserre sa prise sur le ballon.
— Endou, dépêche-toi de retourner dans tes cages !
Le rappel à l’ordre de Someoka fuse, avec l’exaspération résignée de celui qui sait déjà qu’il doit s’attendre à tout de la part de son capitaine. Endou s’éloigne dans un éclat de rire.
— Ça faisait un moment que je n’avais pas tiré. C’était fun !
Sugimori tarde à remettre en jeu. Il ne comprend pas. Ce qu’Endou a fait n’a aucun sens. Ce n’est pas logique. Ce qu’il raconte, ça… ça… Ça trotte dans un coin de son esprit depuis le début du match, depuis l’autre jour. Et ça fait un drôle d’écho qui ne rentre dans aucune configuration apprise, aucun système. Le foot c’est un sport amusant, non ? La voix débordant d’optimisme du capitaine de Raimon couvre les ordres de plus en plus énervés du coach qui lui crie toujours de détruire Raimon. Il n’a plus envie de l’écouter. Il a envie de…
— Formation Offensive, Silver 1.
— A-attends, c’est contre les instructions !
La protestation de l’entraîneur se perd dans son indifférence. Ses camarades se raccrochent à son ordre, dans le chaos qui tinte à leurs oreilles, repère dans leurs doutes, et se mettent en mouvement.
— Eh bien, Mikage bouge enfin. Oobe reçoit le ballon et… Kabeyama intercepte ! Belle feinte de la part du défenseur de Raimon !
L’hésitation qui marque les joueurs de Mikage ouvre des failles dans leur formation alors qu’ils repassent dans l’autre moitié du terrain. Raimon en profite pour dérouler son jeu et se créer autant d'occasions de s’enfoncer dans les rangs adverses. Droit vers les cages.
— La balle est dans les pieds de Matsuno ! Attention, le numéro 8 de Mikage ne veut pas le lâcher…
Matsuno s’enroule autour de son poursuivant et poursuit dans son élan. En avant, Gouenji appelle la balle.
— Bien tenté, mais Shimozuru tacle le 9 de Raimon et repart dans l’autre sens. Le rythme du match est complètement fou !
Gouenji aide Matsuno à se relever tandis que la défense se démène pour freiner l’attaquant adverse. Celui-ci se débarrasse de Shishido et se prépare à tirer, pourtant encore loin des cages.
— Patriot Shoot.
Le tir à longue distance monte la balle bien au-dessus de Domon et de Kazemaru. Là-haut, l’énergie insufflée par Shimozuru détonne et propulse le ballon vers les cages, accompagné d’une pétarade et un sillage de fumée.
— Ça ne passera pas !
Endou bondit et, du poing, dévie le tir. Il s’étale au sol dans la réception, se remet aussitôt sur pied en souriant. Malgré le peu auquel ça s’est joué, même si le danger n’est pas encore écarté, il est ravi. Enfin, il se passe quelque chose !
— Mikage Sennou se place pour son corner.
Les joueurs des deux équipes jouent des coudes dans la surface de réparation. Gouenji fronce les sourcils. Les mouvements de ceux de Mikage ont perdu leur rigueur et leur automatisme. Ils hésitent, s’interrogent du regard, perturbés par quelque chose qu’eux seuls entendent. La machine bien huilée des cyborgs est grippée. Mû par un pressentiment, Gouenji se tourne vers le bord du terrain, vers leur coach aux poings et au visage contractés. L’arbitre ne le laisse pas s'y appesantir plus longtemps et siffle. Le numéro 7 en gris tire, deux de ses camarades se percutent à la réception.
— Aïe aïe aïe… le jeu de Mikage Sennou s’embrouille pour la première fois !
La confusion qui suit est telle que Keita peine à la décrire jusqu’à ce que Kurimatsu écarte le ballon vers le milieu de terrain déserté. Les joueurs les plus proches se précipitent sur la balle perdue. Endou aussi.
— Mais… ll recommence ! Endou laisse une fois de plus ses cages grandes ouvertes !
Shimozuru arrive le premier sur le ballon. Ça ne fait ni douter ni ralentir Endou.
— Gouenji, avec moi !
— Endou, qu’est-ce que tu fais ?!
Ses interrogations n’empêchent pas Gouenji de se détacher de la masse confuse des deux équipes et de rejoindre son capitaine. L’occasion est trop belle pour que Shimozuru n’en profite pas. Il prend tout juste le temps de contrôler, frappe dans un volte-face.
— Patriot Shoot.
La balle s’envole, les explosions la font plonger vers le sol et foncer vers les buts vides, vers eux. Gouenji ralentit.
— T’arrête pas et tire ! crie Endou.
— Quoi ?!
— Fais-moi confiance !
Pas le temps de réfléchir. L’hissatsu technique franchit les derniers mètres qui les séparent. À la dernière seconde, Endou donne le signal.
— Maintenant !
Synchrones, Endou et Gouenji reprennent le ballon à la volée. Un instant, il résiste. Les décharges remontent leurs jambes, les escarbilles de l’énergie de Shimozuru s’accrochent à leurs shorts. Puis les éclairs se matérialisent. Ils jaillissent du cuir, étendent leurs bras d’énergie pure du sol jusqu’au ciel, claquent sur la peau des joueurs de Raimon. Et le ballon change de trajectoire. Il traverse le terrain sans joueurs en sens inverse, gagne en vitesse à mesure qu’il progresse vers les cages de Sugimori en semant des coups de tonnerre sur son passage.
Ce tir ne fait pas partie des données collectées. Ces dernières défilent dans l’esprit de Sugimori. Les formations de Raimon, leurs hissatsus techniques et leurs statistiques individuelles et collectives – puissance, portée, fréquence d’exécution – tout y passe. Mais rien sur le boulet de canon crépitant au vacarme infernal qui lui fond dessus. Rien non plus sur la stratégie qu’il doit adopter, rien sur la manière de l’arrêter. Rien. Ce vide le terrifie. C’est impossible.
C’est pourtant bien réel. Réel, comme le choc lorsque la balle percute ses mains tendues à la hâte, comme la lumière dorée qui l’éblouit. Comment ça se peut ? Dans un cri, Sugimori cède. L’hissatsu technique l’entraîne avec lui et le filet s’enfonce dans son dos. Avec le dernier coup de tonnerre retentit le coup de sifflet.
— Buuut ! Finalement, le collège de Raimon a réussi à marquer un but ! Avec la nouvelle hissatsu technique d’Endou et de Gouenji ! Ils ont enfin égalisé !
— On l’a fait ! Si on attaque et qu’on défend en même temps, ils n’ont pas de stratégie contre ça !
Gouenji sourit. Il n’a pas le cœur à expliquer à Endou que ce n’est pas exactement ce qu’il s’est passé. Après tout, ce qui compte, c’est qu’ils aient marqué. Il ne sait pas non plus où est-ce qu’Endou est allé chercher l’idée d’une technique pareille. Et s’il pose la question il n’aura droit qu’à un large sourire en guise de réponse. Alors il se contente de claquer de bonne grâce le gant de son ami. Un bref éclair scintille entre leurs paumes. Leurs camarades se regroupent autour d’eux, fous de joie. Ils ne sont pas les seuls. Le public exulte, scande leurs noms et leur bonheur de voir enfin de belles actions. Et quel but ! Endou lève le poing.
— Les gars… on a égalisé… Le match ne fait que commencer !
Haruna fait défiler la vidéo sur le petit écran de son caméscope, Kageno penché par-dessus son épaule. Le tir, trop rapide pour qu’elle le suive avec la mise au point, et le but. Là, le son sature de leurs hurlements. Quand la cadette tourne la caméra pour permettre à Natsumi de voir aussi, celle-ci prétend qu’elle n’en a pas besoin.
— Eh, c’est une nouvelle hissatsu technique !
Megane croise le regard d’Aki et hoche la tête, les yeux brillants.
— Hum ! Il lui faut un nom à la hauteur ! Laissez-moi réfléchir…
Il a besoin d’une minute, à peine, le match ne l’attend pas et Haruna se dépêche de reprendre son enregistrement. Il faudra qu’elle regarde les vidéos à tête reposée pour en être sûre, mais son intuition de tout à l’heure trotte dans son esprit et prend vie devant ses yeux. Le jeu de leurs camarades est différent des matchs précédents. Ils sautent plus haut, courent et réagissent plus vite. Les spectateurs et Keita saluent leurs gestes techniques et leurs dribbles qui leur permettent de récupérer et de conserver le ballon. Leur niveau n’a plus rien à voir avec celui lors de leur affrontement contre la Teikoku Gakuen. Depuis, ils ont appris à jouer ensemble, gagné en confiance, ils se sont améliorés en s’entraînant sans relâche à la rivière, à la tour ou au centre Inabikari. Et maintenant qu’ils ont marqué, plus qu’à en mettre un deuxième !
Il y a quelque chose de grisant à voir leurs camarades réussir à progresser sur le terrain, à dérouler leur jeu après plus de trois quarts d’heure laborieux. Avec une excitation grandissante, manageuses et remplaçants regardent Shourinji sauter par-dessus deux adversaires, Handa et Shishido laisser sur place ceux qui les marquent. Leurs cœurs s’accélèrent lorsque le ballon atterrit dans les pieds de Someoka et de Gouenji.
— Dragon…
— … Tornado !
Les pensées se bousculent dans l’esprit de Sugimori. Comment Raimon a-t-il pu marquer ? Leur tir n’était pas dans les données collectées. Plus le match passe, plus il constate un écart entre ces dernières et la réalité. Comment est-il censé faire, si les données ne sont pas fiables ? Et le coach qui ne veut pas se taire… Même si une part de lui sait d’avance que c’est inutile, il se raccroche à ce qu’il connaît. Dragon Tornado – Shoot Pocket. Le dragon de flammes s’écrase contre la bulle protectrice et ses griffes incandescentes crissent sur la surface bleutée. Elles la transpercent, la déchirent en lambeaux. Le souffle brûlant emplit les cages tandis que le public explose.
— La Dragon Tornado a permis de mettre un but ! Le collège de Raimon a finalement retourné la situation et pris l’avantage !
Malgré le vacarme dans le stade, Sugimori n’entend plus que le silence. Enfin, le coach s’est tu. Même s’ils sont menés au score, le soulagement de ne plus entendre ses incitations à détruire l’équipe adverse l’envahit. En contrepartie, le silence l’effraie, mais Sugimori chasse cette pensée. Le chronomètre indique qu’il reste douze minutes et trente-huit secondes. D’après les simulations, ils ont le temps de reprendre l’avantage. Ils connaissent les stratégies pour, ils les ont répétées des centaines de fois. Formation offensive Silver 4. C’est la plus adaptée, c’est celle qu’il indique à Arata lorsque son camarade vient chercher le ballon, celle que ses coéquipiers adoptent dès la reprise. Ils s’y accrochent, pour ne pas penser à l’absence qui se fait de plus en plus pesante à l’autre bout de leurs câbles. Puis une autre voix que celle de leur coach s’élève dans le canal de communication.
— Je suis déçu. Ceux qui sont incapable de suivre des ordres sont inutiles.
Le dernier mot tombe comme un couperet, comme le froid qui lui emprisonne soudain le crâne. Là-bas, en attaque, Yamagishi manque sa passe. Au milieu du crépitement qui s’élève à ses tympans, Sugimori entend le coach bégayer. Et puis plus rien. Il se fige. Ses camarades aussi. Le silence précédent l’angoissait. Ce silence-là le terrifie. Jamais la communication avec l’entraîneur n’avait été coupée. Il n’y a désormais plus personne sur le banc. Vide. Vide, comme son esprit, comme son regard quand ses camarades se tournent à nouveau vers lui, à la recherche d’un repère qu’il n’a plus à leur offrir. Leurs voix s’élèvent tandis qu’ils rompent un à un le contact.
— C’est fini.
— C’est fini…
— Nous devons nous rendre.
Quelque chose remue dans le ventre de Sugimori. Se rendre ? Perdre ? L’idée est inconcevable. Pourtant Raimon remonte le terrain au milieu de ses camarades amorphes, les traits décomposés. Prêt à marquer un troisième but et à sceller l’écart, Someoka se présente devant lui et appelle son dragon. Qu’est-ce qu’il est censé faire ? Le grondement de la créature le percute de plein fouet, réveille la révolte dans sa poitrine. Il n’a pas envie de perdre ! La certitude l’envahit, grisante. La déesse de la victoire sourit toujours aux persévérants. Il peut presque lire les mots dans le sourire d’Endou, à l’autre bout du terrain. Persévérer. La sensation dans sa cage thoracique gonfle, rugit pour sortir. Dans un cri, Sugimori la libère et se protège au creux de la Shoot Pocket. Est-ce que sa bulle a déjà été aussi lumineuse ? L’hissatsu technique de l’attaquant la fait éclater mais il n’abandonnera pas. Les deux mains contre la balle qui refuse de ralentir, Sugimori dérape vers sa ligne. Il ne veut pas perdre… Il… ne veut pas… perdre !
Pantelant, il observe, incrédule, le ballon immobilisé entre ses paumes. Il le plaque contre lui, puise dans les forces qui s’y dissipent pour lever les yeux vers ses coéquipiers. Pour la première fois, il élève le ton.
— Tout le monde ressent la même chose, n’est-ce pas ? Battons-nous jusqu’à la fin ! N’abandonnez pas, jusqu’à la dernière seconde !
Il sait qu’il a gagné à l’étincelle dans leurs regards. Ses doigts se referment sur ses câbles, tirent, les laissent glisser dans l’herbe. Comme un écho, ceux de ses camarades tombent à leur tour. De toutes ses forces, Sugimori remet la balle en jeu et ses coéquipiers bougent du même mouvement. Ils veulent gagner, eux aussi, de tout leur cœur.
Endou éclate de rire malgré l’offensive de Mikage Sennou qui leur déferle dessus, s’attirant les regards intrigués de Domon et de Kabeyama.
— Vous ne sentez pas ? C’est maintenant que ça devient intéressant !
Les défenseurs se retournent, regardent les dribbles et les feintes de Mikage déjouer les tentatives de Raimon pour récupérer la possession. C’est vrai, quelque chose a changé. Le jeu de leurs adversaires n’est plus le même. Moins robotique, plus organique. Mais il y a plus que cela. Endou ne saurait définir ce que c’est, cependant il a la certitude qu’à cet instant, le football est vivant.
Son impression se confirme quand il stoppe le tir de Shimozuru. Il le sent, même à travers ses gants. Il le voit, aussi, dans le regard de l’attaquant, à son air de défi avec une lueur de joie, comme s’il lui affirmait que la prochaine fois, le ballon rentrera. Le sourire d’Endou s’élargit. Il a hâte de voir ça !
***
— Les attaques pleuvent, mais aucun des deux gardiens n’abandonne ! Quel beau jeu auquel nous assistons ! Ça ne s’arrête pas une seconde !
Ses mains le brûlent, Endou s’en moque. Les dernières minutes de jeu sont bien meilleures que tout le reste du match. L’excitation dans ses veines noie la fatigue. Il prend deux secondes pour respirer et chercher quelqu’un de libre. Handa leurre son vis-à-vis, se fait rattraper. Gouenji distance ceux qui le marquaient et Endou n’hésite pas deux fois. Ce sera leur dernière offensive. Trois pas d’élan et la balle traverse le terrain.
— On en finit, Gouenji !
L’attaquant contrôle le cuir d’un seul geste et file entre les rangs adverses. Il déjoue une prise en tenaille, cherche du soutien mais Someoka est coincé de l’autre côté et bientôt il se retrouve seul devant les cages.
Ses gestes sont réflexes quand il lève la balle et invoque ses flammes. Il s’enroule sur lui-même, frappe. Un pied contre le sien. Shimozuru a descendu tout le terrain pour s’interposer à la dernière seconde. Les flammes se dissipent sous le choc. Les deux attaquants restent un instant suspendus dans les airs. Avant de tomber.
— Arata !
Sugimori assiste, impuissant, à la chute de son ami. L’air claque autour de Shimozuru et de Gouenji, bientôt brouillé de poussière lorsqu’ils percutent le sol. Un silence de plomb s’abat sur le stade. Le nuage se dissipe et révèle les garçons étendus, leurs jambes emmêlées. Le ballon rebondit près d’eux. Les joueurs qui s’étaient approchés s’immobilisent sans savoir quoi faire. Accroché à son micro, Keita parle sans reprendre sa respiration pour combler le vide :
— L’arbitre fait signe de continuer à jouer et nous entrons dans les arrêts de jeu. Ce sera la dernière action ! Est-ce que Raimon va gagner ? Ou est-ce que Mikage va marquer un nouveau point et amener le match sur des prolongations ?
Du front, Shimozuru pousse la balle abandonnée jusqu’aux pieds de Sugimori. Celui-ci a les yeux rivés sur son coéquipier qui l’appelle, la voix rauque :
— Capitaine…
Sugimori pose les crampons sur le ballon, ferme les yeux. Sa décision s’impose à lui comme une évidence.
— Mais… Après Endou, voici que le gardien de but de Mikage Sennou monte à son tour en attaque !
Il fonce et sa Shoot Pocket se déploie, alimentée par les espoirs de son équipe, de son ami, qui coulent à travers lui. Rien ni personne ne peut l’arrêter, intouchable. Il doit marquer. Ceux qui essaient de se mettre en travers de sa route n’arrivent pas à l’approcher, repoussés par la protection de son hissatsu technique, trop surpris pour réussir à la passer. La seule chose qui compte, ce sont les cages de Raimon et celui qui s’y tient.
— Endou !
Celui-ci claque ses gants.
— Je t’attends !
— J’arrive, Endou !
Le tir de Sugimori est sans fioriture, porté vers les buts par sa volonté de gagner et sa loyauté envers ses coéquipiers. Il n’a cependant pas la puissance suffisante pour inquiéter Endou. Ça n’empêche pas le gardien de Raimon de se laisser envahir par un fourmillement familier. Il est de son devoir de répondre aux sentiments de Sugimori.
— God Hand !
La main dorée illumine le ciel. La balle s’y écrase. Par le contact entre le cuir et la paume, par celui entre leurs auras, les ressentis de Sugimori traversent Endou. Sa résolution, son envie de remporter le match, sa peur, aussi, face à la déferlante nouvelle de sensations provoquée par la fin de ce dernier. Devant lui, Sugimori hurle, l’impassibilité de son visage remplacée par une passion vivante, jusqu’à mettre la dernière parcelle de son énergie dans sa voix :
— Endou !
Des étincelles crépitent sur la paume immatérielle, Endou sent son bras trembler. Le cri décroît et avec lui la force du tir. Seulement lorsqu’il s’arrête enfin, alors Endou s’autorise à souffler. Il a cru qu’il ne tiendrait pas. Et même s’il savait que ça arriverait, les trois coups de sifflets le prennent par surprise.
— Le match est terminé ! L’équipe qui se qualifie pour les demi-finales de la région de Kanto est celle du collège de Raimon !
— Vous avez géré !
— Bravo !
— Mikage ! Mikage ! Mikage !
Au milieu de ceux qui scandent le nom de leur équipe, tandis qu’il remonte le terrain vers ses cages, Sugimori écoute les encouragements, les félicitations. Même s’ils ont perdu, les spectateurs sont heureux de ce qu’ils ont vu. Ils sont fiers de leur équipe, de celle qu’ils ont découverte aujourd’hui. Il est fier de son équipe. Les pétillements dans son cœur perdent en vigueur quand il s’arrête devant Arata, assis par terre, entouré par leurs coéquipiers.
— On a perdu, constate-t-il avec une pointe d’amertume qu’il voudrait dissimuler.
— Ouais. Mais je me suis amusé, répond doucement Arata. Je ne savais pas que ce genre de foot existait.
— Le foot où un gardien tire aux buts, hein ?
L’auto-dérision dont fait preuve le capitaine de Mikage étire ses lèvres. Ils ont peut-être perdu le match, mais ils ont aussi beaucoup gagné. Dans son dos, Endou l’interpelle, lui aussi accompagné de son équipe. Someoka glisse son bras sous l’épaule de Gouenji. Les deux capitaines se rapprochent.
— On rejouera au foot une prochaine fois ! lance Endou.
— Ouais, une prochaine fois.
Sugimori est le premier à tendre la main. Endou la serre en souriant, tandis que les applaudissements du public redoublent.
— À la prochaine !
Notes:
Si le chapitre vous a plu, un kudo ou un commentaire, ça fait plaisir ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 17: L'équipe la plus faible du tournoi
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— L’est pas là, le gamin ?
Le client à la barbe poivre et sel pose son long imperméable sur le dossier de son siège habituel en balayant le restaurant du regard. De l’autre côté du comptoir, Hibiki ne prend même pas la peine de lever les yeux pour le saluer. Avec Onigawara, ça fait longtemps qu’ils ne s’encombrent plus de ce genre de politesse.
— Il est occupé ailleurs, pourquoi ?
Plus exactement, il a proposé à Suki d’aller au gymnase après qu’elle ait tourné en rond tout l’après-midi, lui promettant qu’il se débrouillerait sans elle pour la soirée. Onigawara hausse les épaules.
— Comme ça. J’étais au match.
— Alors ?
Malgré ses airs de ne pas s’y intéresser, en vérifiant dans la lumière les traces sur le verre qu’il essuie, le restaurateur attend la suite. Son ami regarde quelque chose sur son portable avant de poursuivre.
— Ça dépend de quoi on parle. Le jeu de Mikage a été minable jusqu’aux dix dernières minutes qui ont été formidables. D’ailleurs, tes gamins ont gagné.
— C’est pas mes gamins.
— À d’autres. Bref, je disais… J’ai pas réussi à coincer leur coach, il a disparu dans la nature avant la fin et les gamins ne savaient rien. Mais trop d’indices se rejoignent pour que ce ne soit que des coïncidences. Les investissements difficilement traçables qui ont permis à l’école de se doter de matériel dernier cri, la refonte complète de l’équipe, leur style de jeu qui ressemblait un peu trop à celui de la Teikoku Gakuen, énumère-t-il, et je ne te parle pas de leur obsession de la victoire qui puait à des kilomètres. Même si je n’ai aucune preuve, j’ai la certitude que Kageyama est quelque part derrière.
Hibiki grogne. Ce n’est vraiment pas plus mal que Suki ne soit pas là. Il pose le verre devant Onigawara et un autre à côté, sort une bouteille de dessous le comptoir. Le liquide qui y tangue a une couleur douteuse. Onigawara l’observe en silence mettre un fond dans chaque verre, en attrape un et attend qu’Hibiki y claque le sien.
— Je te le promets, Hibiki, je finirai par coincer cette ordure.
Ils vident leur gorgée cul-sec, grimacent de concert. Onigawara étouffe une toux dans un satané tord-boyaux qui fait sourire Hibiki.
— Tu veux manger quelque chose ?
— Un bol de ramen, s’il te plaît.
Tandis que le chef lance la préparation, son client perd son regard dans le vide. Arrêter Kageyama et lui faire payer ses crimes. L’objectif qui est devenu sa raison de vivre et celle pour laquelle il ne fait pas partie des inspecteurs sur le devant de la scène. Ceux-là ont une étrange tendance à disparaître ou arrêter les enquêtes dès qu’ils s’approchent trop près de Kageyama. Non, il préfère agir dans l’ombre et attendre. Un jour son heure viendra. Sur le tabouret du fond, une masse de poils sombres s’étire.
— C’est rare de voir le chat quand le gamin n’est pas là, fait-il remarquer, l’air de rien.
— Kibô ? Eh, il vient quand ça l’arrange.
— C’est drôle… Tu l’as récupéré dans la rue et depuis, tu essaies de l’apprivoiser.
Hibiki n’est pas certain de savoir s’il parle de Suki ou du chat.
***
Suki a pris de l’avance sur ses habitudes de visite, mais elle ne veut pas prendre le risque de croiser Shuuya par mégarde. C’est presque plus facile de traverser les étages au milieu de l’anonymat du flux des visiteurs que d’affronter le vide nocturne des couloirs qui n’a en réalité de vide que le nom. Ça ne l’est pas de se heurter à leurs auras attristées et inquiètes, aussi douloureuses que celles des blessés, au moins aussi nombreuses. Elle rentre dans la chambre, s’adosse à la porte pour souffler, sursaute en entendant un éclat de rire enfantin. Le fol espoir qui a eu le temps de naître dans son cœur s’éteint en voyant Yuuka immobile. Non, le rire est dehors, dans le couloir. Un petit soleil y court. Suki s’y accroche jusqu’à ce qu’il disparaisse dans les escaliers, savoure la lumière qu’il laisse derrière lui sans le savoir. Puis elle se passe une main sur le visage et s’aperçoit, au moment de s’asseoir auprès de Yuuka, qu’elle a moins peur.
Tia tend la gourde à Suki. L’enfant s’en saisit à deux mains et boit de longues gorgées, laissant l’eau déborder et couler dans son cou. Elles ont trouvé refuge sur l’un des bancs du parc boisé, dans l’ombre d’une allée moins fréquentée que les autres. Une fois qu’elle a bu tout son saoul, Suki appuie sa tête contre le bras de sa protectrice.
— Tia… Je suis fatiguée.
— On va bientôt rentrer, ma chérie.
Elles ont marché toute la journée, traversant sans relâche la ville et ses rues bondées par le retour des beaux jours. À l’épreuve physique s’ajoute celle de la foule et si Suki a bravement suivi le rythme sans rien dire jusqu’à maintenant, une pause s’est imposée lorsqu’elle a commencé à traîner la patte. Tia lui frotte le dos. De l’autre côté des arbres, des enfants se courent après en riant, Suki suit leurs déplacements sans vraiment les voir, le regard dans le vague. Elle balance ses jambes au-dessus du sol sablonneux, renifle et essuie son nez dans sa manche, tire dessus.
— Ça va ? Tu veux un mouchoir ?
— Hmmhmm…
L’enfant répond à moitié, perdue dans ses pensées. Ses lèvres s’entrouvrent et se referment sans un son, commentant pour elle-même des choses que Tia ne peut pas percevoir. Elle pose les yeux sur quelque chose, quelqu’un, par-delà le rideau de verdure et attrape la manche de Tia. Ses doigts se resserrent à mesure de la progression de ce qu’elle est la seule à voir, l’expression indéchiffrable, et enfouit soudain son visage dans les plis des vêtements de l’adulte. Par réflexe, celle-ci referme ses bras en guise de protection. Puis la femme reconnaît ceux qui apparaissent à l’angle de l’allée et se rassérène. Sur le banc d’à-côté s’assoit une dame encadrée par un jeune garçon et une petite fille qui babille sans discontinuer. Tia embrasse les cheveux de sa protégée et lui tapote les côtes à travers son pull.
— Dis-donc, ma belle, tu ne vas pas me dire que tu fais ta timide maintenant alors que ça fait deux semaines que tu fais tout pour les croiser, si ?
Suki secoue la tête et se tortille pour échapper aux chatouilles. La réponse qu’elle marmonne est inintelligible.
— Tu croyais vraiment que je ne l’avais pas remarqué ? rie Tia. Allez, sors de là, tu vas étouffer.
L’enfant pousse une plainte exaspérée face à ses taquineries avant de s’exécuter en bougonnant, le visage rouge et les cheveux ébouriffés. Le son s’étrangle dans sa gorge tandis qu’elle écarquille les yeux et replonge aussitôt dans sa cachette improvisée. À leurs pieds roule une balle derrière laquelle court leur petite voisine. Les tresses au vent, celle-ci récupère son bien quand il s’immobilise contre le banc. Ce n’est que lorsqu’elle entame son demi-tour qu’elle remarque leur présence. Le ballon trop grand pour elle plaqué contre le ventre, elle les dévisage. Depuis l’autre banc, la dame qui l’accompagne l’appelle :
— Yuuka, n’embête pas les gens !
La petite s’éloigne en continuant de les regarder par-dessus son épaule jusqu’à ce qu’un nouvel appel la décide et qu’elle file en courant. Tia sent le soupir de Suki contre ses côtes. Elle l’écarte doucement et lui tapote le bout du nez, ce qui efface partiellement sa moue boudeuse.
— Allez, ma belle, on va y aller. Tu veux boire un dernier coup ?
Suki opine et attrape la bouteille en dégageant les mèches collées en travers de son visage.
— Vous voulez un cookie ?
Dans son sursaut, Suki manque de s’étouffer et crache son eau. Ni elle ni Tia n’ont fait attention au retour de Yuuka. La petite, plantée devant elles, leur tend une boîte de biscuits. Comme Suki reste pétrifiée tel un lapin pris dans les phares d’une voiture et que Tia met trop de temps à répondre à son goût, Yuuka insiste en agitant la boîte :
— Vous en voulez ou pas ? C’est nous qu’on les a faits, avec Fuku-san et Onii-chan.
Suki ne sait pas trop comment elle s’est retrouvée avec le cookie qu’elle grignote entre les mains. Tia a déjà fini le sien en remerciant Yuuka. La petite est repartie vers son frère et sa nourrice et depuis zieute dans leur direction sans cesser de pépier. Elle est trop loin pour que Suki l’entende distinctement mais le son de sa voix lui parvient par vague.
— Allez, Fuku-san ! S’il te plaît !
Sa dernière supplique semble faire flancher sa gardienne qui se lève enfin et se laisse tirer vers leur banc. Plus elles approchent, plus la bouchée que Suki mâche en boucle s’assèche. À la dernière seconde, Yuuka se cache derrière son accompagnatrice en pouffant, laissant à cette dernière le soin de prendre la parole :
— Hum… Excusez-moi ? Votre petite, reprend-elle, est-ce qu’elle voudrait jouer avec Yuuka et Shuuya ?
La demande prend Tia au dépourvu. Son premier instinct est de refuser. Prudence, protection, précautions. Puis elle sent Suki tirer sur sa manche et lit l’envie et l’espoir dans ses yeux. Alors, doucement, elle propose :
— Qu’est-ce que tu en dis, ma chérie ?
Fuku-san a pris place aux côtés de Tia et elles discutent en surveillant les enfants. Assise par terre, Suki observe Yuuka lui courir autour avant de s’éloigner chercher le ballon dans lequel Shuuya vient de taper. La plus jeune a de l’énergie pour trois et fait la discussion à elle-seule. Son frère doit être habitué car il se contente de sourire sans l’interrompre et de proposer de temps en temps le ballon à Suki. Il n’insiste pas devant son mutisme et ses yeux écarquillés. Par intermittence, Suki jette un œil vers Tia pour s’assurer qu’elle est toujours là. Comme si Tia pouvait partir sans elle. Et si elle veut rentrer, si elle veut qu’elles s’en aillent, elle le dit tout de suite, d’accord ? Suki referme ses mains sur la balle qui a roulé jusqu’à elle. Elle la considère un instant avant de la renvoyer vers Yuuka, son geste est accueilli avec un cri de plaisir. Eh, pour l’instant… pour l’instant, elle veut bien rester encore un peu.
— Salut.
Gouenji claudique jusqu’au tabouret, y prend maladroitement place en posant sa béquille au sol. Il se tord les mains, offre un sourire gêné en posant les yeux sur son pied immobilisé.
— Eh, tu dois te demander ce qu’il s’est passé… Je me suis fait ça hier. Désolé, d’ailleurs, de ne pas être venu avant.
Le garçon laisse passer quelques secondes, retient un soupir dans le silence, relève les yeux vers Yuuka.
— Ça ne nous a pas empêchés de gagner. C’était… c’était un beau match, même si ça a été laborieux. Et je t’avais parlé d’un spectateur inattendu l’autre fois… il était là aussi, même s’il est parti avant la fin je crois. Mais ce n’est pas le plus important…
Il entreprend de décrire à sa sœur les souvenirs encore vifs de la veille. Et surtout le changement qui s’est opéré chez leurs adversaires et qui a complètement transfiguré la rencontre.
— Cette technique qu’on a fait avec Endou, il a dit tout à l’heure qu’elle faisait partie de celles dans le carnet de son grand-père. L’Inazuma Ichigou, elle s’appelle. Elle lie les deux extrémités de l’équipe, le gardien et l’attaquant. Elle est puissante… mais ils devront s’en passer pour le prochain match.
Ses doigts se crispent. Il s’efforce de les détendre et de garder le sourire.
— Tu aurais dû voir leur tête quand je leur ai dit que je ne pourrai pas jouer… Someoka a dit qu’il allait en profiter pour me semer au classement des buteurs, et Natsumi qu’on n’avait pas intérêt à se blesser à tous les matchs et que ça commençait à bien faire.
Il passe sous silence le regard de leur père et la désapprobation qu’il y a lu, l’inquiétude de Fuku-san.
— Ce sera la demi-finale, tu sais ? Et je serai sur le banc. Ma blessure n’est pas grave, mais je n’ai pas le droit de rejouer avant la semaine prochaine. Ça les a un peu démoralisés… moi aussi. Mais je sais qu’ils s’en sortiront.
Son visage s’éclaire lorsqu’il repense à l’entraînement auquel il a assisté sans pouvoir y participer et à Haruna qui leur a fait signe de se regrouper à la fin. Avec Aki, elles ont tenu à jour le tableau des matchs sur le mur du local.
— Elles avaient déjà fait des recherches sur leur… notre prochain adversaire. On était persuadé qu’on retomberait contre l’Institut Okaruto et ça ne nous faisait pas peur. Après tout, on les a déjà affrontés et même s’il paraît qu’ils se sont améliorés, nous aussi. Tu n’imagines pas notre surprise lorsqu’elles nous ont annoncé qu’ils venaient de se faire éliminer par Shuuyou Meito.
Gouenji remue sur son assise, chasse les fourmis qui s’installent, reprend :
— Je suppose que ça ne te parle pas. Ils sont considérés depuis le début des phases de poule comme l’équipe la plus faible du tournoi et n’ont gagné leurs premiers matchs que de justesse, toujours 1 à 0. Comme nous, c’est une équipe récente, il n’y a pas beaucoup d’informations sur eux. La seule qu’Haruna a trouvé avec une fiabilité suffisante, même si elle n’est pas très pertinente, c’est que, hum… il paraît qu’ils fréquenteraient un… un maid café…
Il se racle la gorge, chasse la rougeur qui lui monte aux joues à la mention de l’établissement. Heureusement que Yuuka ne le voit pas.
— Et pourtant, ils ont réussi à se hisser à ce stade de la compétition. Ça a de quoi rendre curieux. Faire peur aussi. Après tout, le profil qu’Haruna a pu en dresser est déroutant et ils ont quand même réussi un sacré retournement de situation… C’est là que Megane a eu une idée.
Dans la confusion qui régnait dans le local, le joueur discret à lunettes s’est levé et a proposé la chose la plus incongrue à laquelle ils pouvaient penser. Et s’ils allaient à ce maid café ?
— Pour enquêter sur nos adversaires, bien sûr. Je crois que c’est cet argument qui a fait céder Endou, mais je ne te raconte pas la réaction des autres. Ils doivent y être en ce moment-même.
***
— Ehhhh… ça ne va pas le faire, soupire Endou. Tout le monde prend le match trop à la légère.
De l’autre côté du terrain au bord de la rivière, Someoka houspille Kurimatsu et Kabeyama qui discutent au lieu de s’entraîner. Ils ne sont pas les seuls. Assis derrière les cages à côté de son capitaine dans ce qui devait au départ être une réunion stratégique, Matsuno sourit :
— Tu ne peux pas leur en vouloir, tu as vu comme nous les gars qu’on va affronter.
— Mais malgré les apparences, l’autre équipe est elle aussi arrivée en demi-finale, avance Megane sans réussir à convaincre ses camarades.
— Peut-être…
— Ils n’ont pas l’air forts du tout.
Là-bas, Someoka continue de tempêter, Shishido s’excuse et court récupérer le ballon perdu avant qu’il ne tombe à l’eau. Endou soupire. Il a perdu le compte du nombre de fois qu'il l'a fait depuis qu’ils sont sortis du maid café.
— À ce stade je me demande si tout ira bien pour le match…
— Shuuyou Meito est l’équipe la plus faible. Je pense qu’on va se débrouiller, non ?
Handa opine aux propos de Matsuno, Kazemaru et Domon se contentent de sourire. Endou grimace. Ils oublient un peu vite qu’il n’y a pas si longtemps, l’équipe la plus faible, c’était eux. Et en même temps, vu leur rencontre dans le sous-sol du maid café aux allures de caverne d’Ali baba… Il a bien cru qu’ils allaient perdre Megane, dans l’amoncellement de merveilles pour l’otaku qu’il est. Otakus. C’est le mot pour définir leurs futurs adversaires. Des passionnés de jeux vidéo, de mangas, de figurines et de culture pop, il y avait même Noberu Raito et Manga Moe, les mangakas préférés de Megane, voilà qui ils ont rencontré. Incollables sur leurs héroïnes et héros favoris, capables de décortiquer n’importe quel jeu ou film pour en comprendre toutes les mécaniques, c’est certain. Se hisser en demi-finale d’une phase de poules d’un tournoi de foot aussi prestigieux que le Football Frontier ? Eh… le doute est permis.
— Sans offense, Megane, mais je ne vois vraiment pas comment ils ont fait.
— Et moi je dis qu’on ne devrait pas baisser notre garde ! proteste ce dernier.
Endou est d’accord, mais à ce rythme, ça va être compliqué de convaincre les autres de s’y mettre sérieusement pour le reste de la semaine. Après tout, c’est une opportunité de pouvoir souffler à un stade aussi avancé de la compétition. Même Natsumi tout à l’heure avait l’air d’accord avec l’idée de lever le pied. Et pourtant ça ne lui ressemble pas. Le capitaine s’allonge sur le dos, soupire. Encore.
***
Le jour de la demi-finale est arrivé à une vitesse phénoménale. Le minibus les conduit au cœur du district d’Akihabara, avec ses immeubles élancés et colorés, ses écrans géants et ses boutiques thématiques à ne plus savoir où tourner la tête. L’excentricité des lieux se retrouve jusqu’aux bords du terrain et leurs banderoles, jusque dans les tenues que les manageuses de Shuuyou Meito ont demandé à celles de Raimon de porter. Il a fallu toute la patience et la diplomatie d’Aki et d’Haruna pour convaincre Natsumi d’enfiler sa tenue de maid mais il faut se plier aux règles de l’équipe qui accueille.
Pendant qu’elle se faisait supplier, les joueurs se sont dispersés sur le terrain et Gouenji a pris place sur le banc. Il est venu, malgré sa patte folle et sa béquille, et découvre à son tour les joueurs de Shuuyou Meito. Alors… ce sont eux leurs adversaires ? Ses coéquipiers ont beau lui avoir parlé de leur expédition et de leurs impressions toute la semaine, le blessé voulait accorder le bénéfice du doute à leurs opposants. Mais entre le coach qui mange des pastèques sur son banc sans se préoccuper de ses joueurs – quoi que, ce n’est pas comme si Fuyukai-sensei en faisait plus – et ces derniers qui préfèrent bouquiner ou jouer sur leur console portable plutôt que s’échauffer, il commence à croire qu’ils avaient raison.
Cinq minutes avant le début du match, l’équipe se regroupe autour d’Endou et de la feuille de match qu’il a préparée. Il annonce les postes, mais il y en a un qui reste vide.
— Celui qui remplacera Gouenji…
Dans le silence gêné qui s’installe, Domon se propose en plaisantant, à moitié seulement. Après tout, il leur a montré durant les entraînements que si sa position de prédilection est en défense, il se débrouille à n’importe quel poste de champ. La polyvalence était un prérequis pour intégrer sa précédente équipe. À la surprise générale, Megane s’avance et propose :
— Je pense que pour ce match, nous devrions utiliser notre joker.
— Notre joker ?
Endou n’est pas le seul à ne pas comprendre de quoi il parle. Le remplaçant remonte ses lunettes.
— Aller au maid café m’a permis de comprendre leur football. Pour ce match, je suis votre joker et je promets de guider notre équipe sur le chemin de la victoire.
Les échanges circonspects s’élèvent dans son dos – ce n’est pas parce qu’il avait toutes les références de ce qu’ils ont vu là-bas qu’il sait comment les autres vont jouer, si ? Et puis, est-ce qu’il sera vraiment capable de jouer à fond contre ses idoles ? – et se taisent lorsque Gouenji se redresse pour parler :
— Je pense que Megane devrait me remplacer.
Domon dissimule un sourire – alors comme ça Gouenji ne veut pas de lui sur le terrain ? – et abonde dans son sens en changeant son fusil d’épaule – après tout, ça l’arrange aussi.
— Je suis d’accord. En plus il a l’air super motivé !
— Yosh ! Megane, tu seras notre avant-centre, acte Endou en claquant des mains. On compte sur toi.
— Attends une minute ! s’interpose Natsumi, les bras croisés sur son tablier blanc. Tu es sûr que c’est une bonne idée ? Ce n’est pas risqué ?
Le cirque auquel elle a dû se plier a épuisé sa patience et elle n’a plus du tout envie de prendre le match à la légère. Et si le moindre des joueurs a la stupide idée de se moquer de sa jupe à froufrous ou du ridicule serre-tête à oreilles de chat… Loin de cette idée, encouragés par l’intervention de la manageuse, les autres font part de leurs doutes. Et si Megane s’enfuyait comme contre la Teikoku ? Et ce n’est pas comme s’il s’était battu pour entrer sur le terrain depuis. Le concerné encaisse les critiques, douloureuses mais méritées, en essayant de plaider sa cause sans que personne ne l’écoute vraiment. Endou doit hausser le ton et profiter du temps de silence qui suit l’annonce de l’arbitre indiquant que le match va commencer pour réussir à se faire entendre :
— Megane fait partie de l’équipe et son désir de jouer au foot est sincère aujourd’hui. Je le sens, là.
Il se frappe la poitrine. Ses camarades tressaillent de la vibration qui résonne dans la leur et se taisent, perplexes.
— Quand quelqu’un veut vraiment faire quelque chose, il est le plus qualifié pour le faire. Je suis sûr que Megane sera à la hauteur, conclut Endou.
***
— Et voilà le sifflet qui signale la fin de la mi-temps. La seconde période reprendra sur un score de 0 à 0.
Gouenji a essayé de croire en Shuuyou Meito comme Endou. Mais, coincé sur le banc, il retrouve le goût amer de la rencontre de la semaine précédente. Même si Meito est différente de Mikage, elle n’a présenté qu’un jeu défensif et déconcertant, destiné à ne prendre ni risque ni but. Ce n’est même pas du tiki-taka, leurs passes n’étant pas spécialement rapides. À vrai dire, ça ne ressemble à aucune stratégie que Gouenji connaît. Tout chez leurs adversaires crie qu’ils n’ont pas l’habitude de jouer au football, de leur manière de bouger à celle d’appréhender le ballon, même les maillots bleus et vieux rose sur leurs dos semblent les gêner. Pourtant ils ont réussi à empêcher Raimon de s’offrir la moindre occasion, les déstabilisant de leurs mouvements aléatoires et de leurs tirades aussi épiques qu’incongrues. Parfois, leurs cris font croire à une hissatsu technique mais aucun pic d’énergie ne vient conclure l’action. C’est dans l’étrange ambiance dégagée par les trente premières minutes de jeu que ses camarades reviennent au banc. Ils boivent en silence, pas spécialement fatigués, physiquement en tout cas. Megane s’étonne de ne pas les voir attaquer, Someoka le houspille. Il croyait qu’il disait qu’il avait tout compris de leur football. Ce n’est pas vraiment de l’inquiétude qui monte. Plus une incompréhension latente. Alors… c’est comme ça qu’ils se sont hissés jusqu’en demi-finale ? Même maintenant, ils ont du mal à y croire en regardant leurs adversaires plongés quid dans un livre, quid sur sa console, semblant avoir oublié qu’ils se tiennent au bord d’un terrain de foot en plein match. Ils sont incompréhensibles. Endou claque des mains.
— Ne vous découragez pas. À la reprise, on récupère le ballon et on marque !
Notes:
Un bout de passé plein de douceur, et aussi l'occasion d'en apprendre un peu plus sur Suki. Si le chapitre vous a plu, un kudo ou un commentaire, ça fait plaisir ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 18: Otaku : quelqu'un qui maîtrise un monde particulier avec sincérité et un cœur honnête
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Yosh ! C’est parti !
Au coup de sifflet, du même élan, tous les joueurs de Shuuyou Meito s’élancent en attaque. Gouenji se tend sur le banc. Leurs mouvements ont changé. Il réalise que, lucides sur leurs aptitudes physiques et leur incapacité à tenir le rythme pendant les deux mi-temps, ils se sont préservés en vue de la seconde. Pour eux, le match ne commence que maintenant. Impuissant, il les regarde s’enfoncer dans les rangs de Raimon tandis qu’Endou appelle la défense à resserrer les rangs.
— Muteki se présente face à Matsuno…
— Personne ne peut stopper un héros ! clame le numéro 4 de Meito, son écharpe rouge au vent et les bras écartés. Transformation ! Fake Ball !
Un sursaut d’énergie interpelle Gouenji mais Matsuno ne dévie pas. Les pieds du milieu de Raimon caressent le cuir. Il s’en empare et s'éloigne de son adversaire jusqu’à ce que, deux foulées plus tard, il trébuche. Il n’a plus le ballon en sa possession, mais une pastèque. C’était bien une hissatsu technique, alors ? L’attention de Gouenji s’arrête un instant sur le coach de Meito qui, impassible, mange un fruit à chair rouge similaire sur son banc. Le match ne s’est pas arrêté pour autant, et les joueurs en bleu et rose encore moins. Le temps que Matsuno se reprenne, Muteki est loin et remonte la ligne de touche.
— Hero Kick ! crie-t-il lorsque Kageno fait mine de s’approcher.
Échaudé par la mésaventure de son coéquipier, le 4 de Raimon marque un temps d’arrêt. Son adversaire centre à contre-temps, sans la moindre hissatsu technique. Déstabilisé, Kabeyama laisse passer le ballon et Endou repère au dernier moment les autres joueurs qui ont profité de la confusion pour s’approcher. Leur réception désorganisée est illisible. Il se mord la lèvre, incapable de déterminer qui a la balle et qui va tirer – vers où ? quand ? Deux d’entre eux s’accrochent, le ballon rebondit contre le pied de l’un d’eux, termine dans ceux d’un troisième joueur et… Endou saute, trop tard pour intercepter le tir maladroit. Le ballon passe entre ses mains et le poteau, le laissant s’écraser, impuissant, dans la terre battue.
— C’est dedans ?! À peine quelques minutes après le début de la seconde mi-temps, Shuuyou Meito marque un but !
Endou, se relève, incrédule, tandis que leurs adversaires célèbrent joyeusement le point obtenu. Il brosse sommairement son maillot du dos de la main et gronde en frappant le poteau du poing :
— Ils nous ont caché ce genre de tir. Désolé de m’être fait avoir.
— Ça va aller, Endou, le rassure Kazemaru. On a encore du temps !
Le défenseur ne croit qu’à moitié à ce qu’il dit. Leurs adversaires ne devraient pas leur poser de problème mais leur imprévisibilité les rend dangereux.
— Je ne peux pas croire qu’on ait laissé ces gars prendre l’avantage, peste Someoka en attendant la reprise dans le rond central.
Il ne prend pas la peine de répondre à Megane qui répète qu’il avait bien dit qu’ils ne devaient pas baisser leur garde et récupère la possession dès le coup de sifflet. En face, loin de chercher l’affrontement, tous les joueurs de Meito se replient en défense. Hors de question que le même scénario que contre Mikage Sennou se reproduise, ils ne s’en tireront pas comme ça ! Someoka se lance au contact, prend de vitesse deux adversaires, esquive celui qui tente un tacle malhabile, lève le ballon par-dessus le suivant. Trop facile. Plus qu’une ligne de défense à passer. Les trois joueurs qui la composent se coordonnent lorsque celui en son centre lève le poing :
— C’est parti ! Go…
— …ri-mu-chuu !
Ils scandent en entamant une chorégraphie robotique et disparaissent derrière un nuage de poussière. Le vent chargé de sable avale les cages jusqu’aux tribunes et fouette le visage de Someoka, la visibilité se réduit à néant sur un bon tiers du terrain. Incapable d’avancer plus loin, l’attaquant garde le pied fermement posé sur le ballon, redoutant une feinte pour le lui dérober. Mais rien ne vient. Yosh. Il sait où sont les cages – droit devant – ce n’est pas un piège aussi stupide qui pourra l’arrêter. En plus, ils pénalisent leur propre gardien.
— Mangez ça, Dragon Crash !
L’animal et son éclat disparaissent dans la tempête opaque. Le rugissement s’éteint. Someoka attend, dans l’incertitude, confiant tout de même. La poussière est beaucoup trop lente à retomber à son goût. Le tableau en face de lui se précise, teinté de gris et d’ocre. Le gardien s’est écroulé, à bout de souffle, à côté de ses cages, et le ballon…
— Quel magnifique tir de la part de Someoka ! Mais malheureusement, il a manqué la cage et est sorti du terrain !
— Mais j’ai visé le plein centre !
Someoka prend ses coéquipiers à témoin. Même à l’aveugle, il n’aurait jamais dû manquer son tir ! Handa, comme les autres, hausse les mains dans un geste d’impuissance. Ils ne comprennent pas non plus. Mais la prochaine fois, il marquera !
C’est, de tout ce que Gouenji a vu depuis le début du match, ce qui ressemble le plus à une hissatsu technique de la part de Shuuyou Meito. Peu importe le nombre de fois où ses camarades envoient le ballon au travers le sable mêlé d’énergie, le but leur échappe systématiquement. Natsumi a croisé les bras, les lèvres pincées, après avoir houspillé les joueurs de ne pas réussir à revenir au score et Domon s’est départi de la nonchalance qu’il arborait pendant la première mi-temps, aussi intrigué que Gouenji. Que se passe-t-il dans le cœur du nuage de poussière ? Mais, plus que tout, c’est la frustration qui tend le corps du blessé et réveille la douleur dans sa cheville. Si seulement il pouvait être sur le terrain avec eux…
***
— Il ne reste pas beaucoup de temps avant la fin de la seconde période !
Keita rappelle l’ultimatum, Megane l’ignore, comme il ignore l’inquiétude grandissante de ses camarades ou les fanfaronnades de leurs adversaires face à leur victoire imminente. Contrairement à ce qu’il croyait, il ne comprend pas le jeu de Meito. Enfin, si, il a compris leur stratégie et saisit les multiples références de leurs pseudo-techniques, mais le secret de leur défense lui glisse entre les doigts. Raimon peut bien reprendre le ballon autant qu’il veut et tirer, impossible de marquer. Le joueur de Meito que Someoka dépossède n’essaye même pas de l’en empêcher et se contente de lui rappeler la vacuité de son action. Someoka s’obstine, Megane le suit, inutile face au peu de résistance que son coéquipier rencontre. Celui-ci continue d’avancer, sert les dents en voyant le nuage de poussière s’élever à nouveau. Pourquoi est-ce que tous les tirs ratent les cages en le traversant ? Megane s’immobilise alors que Someoka plonge dans la tempête, poussant aussi loin qu’il le peut avant que la violence du vent ne le force à s’arrêter, d’abord silhouette sans couleur puis vague forme qui s’efface. Un souvenir remonte. Le déclic. Le grondement de Someoka lui parvient, plus fort que le rugissement de la tempête.
— C’est pas un peu de sable qui va m’empêcher de mettre un but ! Dragon…
— Ne tire pas !
L’exclamation de Megane fige Someoka la jambe en l’air et un défenseur en profite pour écarter le ballon en touche. La voix de son camarade provient de l’autre côté de la barrière venteuse en train de s’essouffler, Someoka ne l’a pas vu la traverser. Comment a-t-il fait ?
— J’ai compris leur piège ! Voilà pourquoi on ne peut pas marquer !
Le sable, en retombant, révèle les joueurs de Shuuyou Meito, arc-boutés sur les poteaux des cages. Someoka fronce les sourcils. Megane est accroché au maillot de Muteki, les talons plantés dans le sol dans une vaine tentative de le retenir. Les buts oscillent d’un côté et de l’autre. La vérité percute Ramon de plein fouet.
— Évidemment qu'on ne peut pas rentrer la balle dans les cages s’ils les bougent ! s’indigne Kurimatsu tandis qu’Endou bégaie de surprise.
Haruna oblige Gouenji à se rassoir lorsqu’il se lève d’un coup et grimace quand sa cheville faible encaisse son poids. Comment veut-elle qu’il se calme ?
Le défenseur auquel s'agrippe Megane se dégage, laissant le joueur de Raimon rouler au sol dans son élan. Il remonte son short à moitié baissé et ajuste son écharpe pour reprendre contenance :
— Espèce de… Comment as-tu su ?
— Épisode 28 de Kamen Soiya. Gorilla le Fantôme de Sable utilise le sable comme un leurre pour se déplacer durant le combat, récite Megane. Gorimuchuu a été créé pour appliquer cette stratégie, n’est-ce pas ?
— Bien joué, renifle Muteki, admettant sa défaite avant de le pointer du doigt en souriant. Tu as totalement raison.
Mais ça ne fait pas rire Megane. Pas du tout.
— C’est comme ça que vous voulez gagner ?
— Nous devons remporter le tournoi, quelle que soit la manière.
Les autres joueurs de Shuuyou Meito s’approchent avec en tête Manga et Noberu – le mangaka et l’auteur de sa série préférée. Megane n'en a pas cru ses yeux, l’autre jour, lorsqu’en descendant au sous-sol du maid café, il a reconnu les petites lunettes à monture bleue de l’un, le béret et les pinceaux dans les cheveux de l’autre. Après des années à l’espérer, il rencontrait enfin ses idoles. Sauf qu’aujourd’hui, il n’a vraiment plus envie de les admirer. Non, il se sent plutôt trahi.
— Mais vous n’avez pas à recourir à des méthodes aussi nulles !
— Tant qu’elles nous permettent de gagner, ça ne change rien.
La répartie acerbe de Megane se fait interrompre par l’arbitre qui s’impatiente. Les actions de Shuuyou Meito entrent dans le cadre des hissatsus techniques, elles ne sont donc pas contraires aux règles. Qu’ils se dépêchent de reprendre le match. Megane se relève sans utiliser la main qui lui est tendue, efface sommairement la poussière qui macule les verres de ses lunettes et obtempère, furieux.
Le ballon au-dessus de la tête, Handa scrute ses coéquipiers en quête de celui qui se démarquera en premier.
— S’il te plait, passe-le-moi ! l’appelle Megane.
— Handa, passe la balle à Megane ! l’incite Endou alors que le numéro 6 hésite.
Les secondes s’écoulent, les doutes du milieu de terrain persistent. L’arbitre est à deux doigts de siffler pour anti-jeu quand Handa croise le regard de Megane. Y brille une flamme qu’il n’a jamais vue, une flamme dont l’éclat efface l’image de sa fuite contre la Teikoku Gakuen.
— Okay ! On compte sur toi, Megane !
Lorsque son camarade contrôle le cuir et s’élance, Handa sait au fond de lui qu’il a fait le bon choix.
Raimon s’ébranle, Megane en pointe. Les autres le suivent mais, sans comprendre trop ce qu’il se passe, n’ont rien à faire.
— Wow ! Megane avance dangereusement, ses dribbles ressemblant à des vagues déchaînées ! Il passe facilement au travers de la formation de Shuuyou Meito !
— Combattre les méchants de manière juste et équitable est ce qui fait un héros. Changer le ballon pour un leurre… ce n’est pas le comportement d’un héros !
Le faible bouclier d’énergie qui dissimulait la pastèque envoyée par le coach se dissipe et son vis-à-vis trébuche dessus. À mesure que Megane leur rappelle leurs valeurs, ses adversaires renoncent un à un à utiliser leurs techniques déloyales. Mais la plus belle tirade reste sans aucun doute possible celle que Megane délivre à ses idoles.
— Manga Moe-sensei… Noberu Raito-sensei… Votre travail pour montrer le courage de Silky Nana et son amour m’a toujours encouragé. Il m’a porté à travers les années, a aidé à forger la personne que je suis aujourd’hui. Certes, pas le meilleur footballeur, ni le plus grand des héros… mais quelqu’un dont j’essaie d’être fier jour après jour ! C’est parce que… parce que j’ai lu les aventures de Silky Nana que j’ai rejoint le club de Raimon, que j’essaie d’être à la hauteur de mes coéquipiers, même si je n’y arrive pas toujours. Eh, Silky Nana est ma plus grande source d’inspiration. Vous êtes ma plus grande source d’inspiration ! Alors vous n’imaginez pas ma déception… Découvrir que ceux que j’admire, ceux qui ont créé mon héroïne préférée, sont en réalité des couards ? Vous n’êtes pas dignes de Silky Nana ! Implorez son pardon !
Handa et Someoka échangent un regard aussi incrédule qu’admiratif, Aki et Haruna sont debout pour l’encourager. Avec tout Raimon derrière lui, Megane arrive face à la dernière ligne. Le gardien tremble face à la menace :
— Ne le laissez pas tirer ! Utilisez le Gorimuchuu !
— Vous voulez toujours utiliser un tel subterfuge ?! l’interrompt Megane. Si vous faites cela, alors vous ne vaudrez pas mieux que le Vil Serpent des Sept Mers !
Les défenseurs s’immobilisent en pleine manœuvre, au moment où la poussière décolle du sol.
— C’est l’hissatsu technique des otakus ! proteste le plus proche.
— En faisant ça, vous n’êtes pas des otakus. Un otaku, c’est quelqu’un qui maîtrise un monde particulier avec sincérité et un cœur honnête. Vous, vous cassez les règles avec pour seul objectif la victoire ! Vous n’avez pas le droit de vous appeler ainsi.
Confrontés à leurs contradictions, les défenseurs laissent le sable retomber. Seul le portier n’a pas été touché par les mots de Megane. S’il est obligé de se débrouiller seul… Alors qu’il se décale vers les poteaux, Megane centre pour Someoka :
— Utilise le Dragon Crash !
— Mais…
— J’ai un plan !
Même s’il a fait partie des sceptiques à l’entrée de Megane sur le terrain, comme les autres Someoka a vu ses progrès et ses efforts. Certes, certains de ses gestes techniques sont perfectibles mais ils sont bien meilleurs que ce à quoi il s’attendait. Cependant, l'évolution qui le marque le plus est celle de sa mentalité. Ils en avaient déjà eu un aperçu lors du match contre Nose et, quelque part, tous les jours aux entraînements, mais elle le percute quand le cuir effleure ses crampons.
Aussi Someoka laisse-t-il Megane filer devant et se positionne-t-il aux abords de la surface de réparation. Faire taire son esprit qui lui hurle que son tir va encore passer à côté des cages lui coûte, mais si Megane lui dit que ça va le faire, il lui fait confiance. Pour la énième fois du match, malgré sa fatigue, l’attaquant matérialise son dragon à la gueule béante. Auréolé de bleu crépitant, celui-ci serpente vers les buts, s’ébroue pour chasser la poussière des essais précédents encore accrochée à ses écailles.
— Goal Zurachi !
Sous la pénible impulsion du gardien de Shuuyou Meito, les cages glissent hors de la trajectoire de la balle. À la dernière seconde, Megane surgit sur cette dernière. Le cuir le percute en plein visage, dévie juste assez pour raser le poteau et s’écraser dans les filets. Le 12 de Raimon s’étale au sol tandis que le dragon s’efface dans un dernier rugissement triomphant.
— Megane !
Indifférent au but qu’il vient de mettre, Someoka se précipite vers son camarade. Celui-ci se relève, bancal, se tourne vers lui, les verres des lunettes fissurés et un sourire béat aux lèvres, avant de s’écrouler dans ses bras.
— Megane, tu m’entends ?!
— Buuut ! Megane a changé la direction du Dragon Crash et permis à la balle de rentrer ! Le collège de Raimon égalise ! Ils égalisent au der-nier moment !
Alors que Keita s’égosille sous les applaudissements du public, les joueurs de Raimon se regroupent autour de leur camarade. Celui-ci papillonne des paupières pendant qu’Aki et Haruna poussent Fuyukai à demander un changement et une civière. La froide sommation de Natsumi oblige le professeur à se dépêcher. Quand le personnel médical arrive dans la foulée, Someoka aide Megane à s’allonger sur le brancard. Mais malgré sa vision parasitée par des étoiles qui refusent de s’éteindre et l’air inquiet de ses coéquipiers, il ne veut pas cesser de sourire. Domon s’agite, mal à l’aise, lorsqu’il tourne la tête vers lui.
— Je te confie la suite, Domon-kun.
— O-ouais…
Domon n’avait pas prévu de se retrouver sur le terrain et… l’action, le sacrifice de Megane l’ébranle plus qu’il ne veut bien l’admettre. Il n’est pas le seul. Les joueurs de Shuuyou Meito retiennent la civière au moment où elle va quitter le terrain, la même question sur toutes leurs lèvres. Pourquoi ? Pourquoi aller aussi loin pour finir dans un état pareil ? Le sourire de Megane s’élargit. Il pourrait leur répondre que c’est ça, l’esprit de Raimon. Qu’il ne pouvait pas faire moins après avoir vu ses camarades se donner corps et âme pour l’équipe. Mais ils n’ont pas besoin de connaître cette partie-là, ils ne comprendraient pas. Non, il y a autre chose qu’il veut leur dire, autre chose qui l’a décidé. Quelque chose, un espoir, qui lui trotte dans l’esprit depuis qu’il a su que ce seraient eux leurs adversaires.
— Je voulais vous ouvrir les yeux. Au final… vous et moi… on est les mêmes otakus, neh ? Et… le football ce n’est pas si mal non plus, vous savez ?
Il n’aurait jamais cru, un jour, croiser des personnes comme lui, à cheval entre deux univers si différents, et il espérait se sentir moins seul, voir qu’ils partageaient les mêmes valeurs. Il espérait leur montrer que c’est possible. Et quand ils lui promettent de jouer loyalement la fin du match, tandis qu’il se fait enfin emporter vers l’infirmerie, il sait qu’il a réussi.
— Nous ne perdrons pas !
— Eh !
Aussi touché que les autres par l’action de Megane, Endou encourage son équipe. Ils lui feront honneur. Maintenant qu’il leur a permis de revenir à égalité, plus qu’à prendre l’avantage. En face, ceux de Meito poussent leur propre cri de guerre, déterminés à gagner eux aussi, et pour la première fois les gradins vibrent avec eux.
Durant la poignée de minutes restantes, le jeu des otakus n’a plus rien à voir. Certes, il est plein de défauts et de failles, mais il est animé par la passion. Leurs quelques belles actions forcent l’admiration des joueurs de Raimon qui se fendent de compliments mérités. Cependant, ils n’oublient pas non plus leur objectif – la victoire, la finale. Les deux équipes se livrent un combat acharné pour la possession et grappiller des mètres vers les buts adverses. Megane revient au banc, un patch sur le front, juste à temps pour voir Someoka se présenter devant les buts. Son tir traverse l’air clair jusqu’à la lucarne que la détente et les réflexes du gardien ne parviennent pas à protéger.
— Raimon a renversé la situation !
L’arbitre signale successivement le but et la fin du match. Malgré les réserves des manageuses, Megane insiste pour se lever et aller voir les joueurs de Meito, défaits, pendant que ses camarades boivent et s’essuient le visage avant de gagner les vestiaires. Leurs adversaires se sont laissé tomber au sol, épuisés par le combat qu’ils viennent de mener, écarlates, luisants de sueur. Toutefois la satisfaction de leur beau jeu ne saurait être entière.
— On a perdu… se lamente Noberu. Notre rêve… c’est terminé.
— De quel rêve parlez-vous ?
Le scénariste est surpris de la présence du joueur de Raimon mais se reprend pour lui expliquer :
— Tu dois le savoir, ceux qui gagnent le Football Frontier gagnent également un prix.
— Nous voulions l’utiliser pour aller en Amérique, enchaîne Manga. Il y a des figures en édition limitée qui ne sont vendues que là-bas…
— La version collector de Cosmic Pretty Reina, neh ? s’enquiert Megane.
— Tu la connais ?
— Bien sûr !
— Tu es vraiment une personne incroyable.
Megane écarte le compliment d’un haussement d’épaules, regrette son geste aussitôt que le tournis revient. Muteki lui prête son épaule pour ne pas tomber, Megane sourit.
— Et Silky Nana est fière de vous, j’en suis certain. Vous savez, ajoute-t-il, profitant de l’émotion de ses créateurs préférés, avec Raimon, on a juré de gagner la finale du Football Frontier et…
Quand il revient vers Aki qui l’attend, son sourire ne quitte pas ses lèvres.
— Ça va ?
— Eh. Je leur ai fait une promesse, celle de porter leurs rêves pour eux.
Notes:
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Chapter 19: Les serments qu'ils n'ont pas le droit de trahir
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Eeeeh… J’ai tellement faim !
La voix d’Endou est audible avant même qu’il n’ouvre la porte. Suki suspend son geste pour détailler les auras de l’autre côté de la devanture. Ils sont tous là, fatigués, ravis de leur victoire du weekend dernier et de leurs progrès. Gouenji et Megane ont repris l’entraînement aujourd’hui, libérés respectivement des béquilles et du mal de tête passager. Au grand désespoir d’Hibiki, ils ont rejoué l’exploit de l’attaquant à lunettes – que ce dernier a dû changer d’ailleurs – dans le restaurant l’autre soir. Leur entrée ramène Suki au présent. Elle ajuste son béret tandis qu’ils s’installent, clamant en chœur :
— Bonjour !
— Tu ne viens pas avec nous ? interroge Endou, encore dans l’encadrement, à l’adresse de Domon resté sur le trottoir.
Suki se renfrogne. Elle n’est toujours pas parvenue à déterminer ce qui la perturbe tant chez lui. Apercevoir du coin de l’œil Shuuya fixer lui aussi le défenseur accroît son trouble. Il y a quelque chose de douloureux derrière les sourires qu’il aborde en permanence comme à l’instant, de faux derrière l’écran de fumée qui recouvre la surface de son aura. Domon agite son portable en s’écartant d’un pas.
— Désolé, je vais rentrer.
— Oh, à demain alors !
Le joueur salue son capitaine et le reste de l’équipe avant de s’éloigner, laissant des remous amers dans les flaques éphémères et mélancoliques des traces de ses pas.
— Eh, Daburu, ce n’est pas l’heure de rêver.
Suki s’excuse à demi-mot au rappel à l’ordre d’Hibiki, lui tire la langue pour la forme et se plonge dans la mission agitée de satisfaire les estomacs affamés de leurs clients.
Ceux-ci spéculent sur le match de la finale, dans une dizaine de jours. Leur adversaire n’a pas encore été décidé, ils doivent attendre pour cela que l’autre demi-finale soit jouée, les paris penchent toutefois largement en faveur de la Teikoku Gakuen. L’air de rien, en s’affairant, Hibiki surveille les réactions de Suki aux multiples mentions de l’équipe. Cependant, elle réagit à peine. Ses mains bougent par habitude, son esprit est occupé ailleurs. Comme trop souvent, il se demande où.
Les garçons sont bruyants, mais ça ne la dérange pas. Leur brouhaha joyeux est devenu au fil du temps une bande sonore réconfortante. Pendant qu’ils mangent, discutent et se taquinent, leurs énergies se frôlent. Les décharges allumées par les contacts de leurs auras traversent ces dernières. Elles propagent sur leur passage les ressentis des joueurs et prolongent leur communication d’une manière dont ils n’ont même pas conscience. En comparaison… Sur le pas du Rairaiken, l’aura de Domon prenait part au doux mélange. Mais il traîne dans les replis de son énergie une ombre grise vaporeuse – celle du doute – et autre chose de désagréablement froid. Il avait l’air d’autant regretter de devoir partir qu’il en était soulagé. La bouche de Suki se tord une seconde. Comme s’il n’arrivait pas à totalement trouver sa place dans le groupe, coincé par le poids des secrets. Elle reconnaîtrait cette sensation entre mille.
— Je peux avoir du riz frit s’il vous plaît ?
— Et moi des nouilles Char Siu !
Par réflexe, un sourire de façade s’accroche à son visage quand elle répond à Handa et à Shourinji :
— Tout de suite.
Elle élargit son sourire à la question muette dans le regard d’Hibiki. Bien sûr que ça va. Pourquoi ça n’irait pas ?
***
En trois semaines, le trajet jusqu’au collège est devenu une habitude. Tant mieux, parce que l’esprit de Domon est trop encombré pour qu’il s’en préoccupe. S’y succèdent sans interruption les moments partagés avec les membres de l’équipe. Depuis qu’il a franchi pour la première fois la porte du local, Endou l’a accepté comme l’un des leurs et les autres également dans son sillage. Ils l’ont accueilli avec naturel et complicité. Ça ne rend que plus douloureux le poids dans son estomac. Qu’est-ce qu’il est censé faire ? Son allégeance balance entre sa raison et son cœur. Il y a des serments qu’il n’a pas le droit de trahir. Pèsent-ils plus que ses valeurs ?
— Domon-kun, attention !
Aki le tire en arrière alors que le camion s’arrête en travers de la route dans un long klaxon assourdissant. Par la fenêtre, le chauffeur du poids lourd, le visage écarlate, l’agonit d’injures, désignant le feu piéton avec de grands gestes. Aucune excuse d’Aki ne le calme. Ça ne va pas de rêvasser comme ça ?! Un peu plus et il l’écrasait ! Domon ne sort de sa torpeur qu’une fois le véhicule reparti, quand il réalise qu’Aki lui a demandé avec inquiétude si tout va bien.
— Eh… eh ! Je… je pensais à autre chose…
— À autre chose, neh ? Fais plus attention à toi, sinon Ichinose-kun va t’en vouloir.
Elle plaque son poing contre son épaule avec un petit sourire et il doit se forcer pour le lui rendre. Comment est-ce qu’elle peut blaguer là-dessus ?
— Allez viens, on va être en retard en cours.
Domon emboîte le pas de son amie en silence. Sa peau le démange sous la manche de son T-shirt, là où les phalanges d’Aki ont appuyé. Il résiste à l’envie urgente de se gratter, à celle de sentir la brûlure apaisante de la fumée dans sa gorge. Il a dit qu’il arrêtait. Sauf que ses pensées n’ont pas décidé de le laisser tranquille, pas plus que les souvenirs d’il y a presque cinq ans, ceux de la journée qu’il essaie d’oublier de toutes ses forces et de toutes les autres qui ont suivi. Est-ce que c’est la même chose pour Aki ? Depuis qu’ils se sont retrouvés, ils n’ont jamais vraiment abordé le sujet. Juste un silence de plus à porter.
En passant le portail du collège parmi la foule des élèves, Domon bifurque, rassure Aki avec un geste de la main lorsqu’elle lui demande où il va.
— Juste un truc à récupérer au local du club, ne t’inquiète pas, j’arrive.
Rien qu’un mensonge supplémentaire.
La cloche a déjà sonné quand Domon traverse la cour en sens inverse, mais il ne fait pas mine de se presser. Tant pis s’il est en retard et puis, à tant hésiter, il aurait dû s’en douter. Ce ne sont pas tant les remontrances de son professeur qu’il redoute que les comptes qu’il devra rendre tout à l’heure. Il avait une mission et il a fait son choix, quitte à tout sacrifier. Si seulement c’était aussi simple… En longeant les garages, des bruits l’interpellent. L’un des rideaux de métal est entrouvert. La curiosité autant qu’une sourde intuition le poussent à se rapprocher. Au point où il en est, un peu plus en retard ou pas, ça ne fera pas une grande différence. Plus il s’avance, plus les bruits s’amplifient. Domon est obligé de se plier pour se glisser à l’intérieur et met plusieurs secondes à s’habituer à la pénombre. C’est alors qu’il aperçoit Fuyukai sortir de derrière le minibus. Celui-ci le repère à son tour et sursaute avant de le reconnaître.
— Oh, c’est toi… Ne me fais pas peur comme ça, s’il te plaît.
Domon détaille la chemise entrouverte de l’enseignant, ses manches retroussées et le seau qu’il planque dans son dos. Ses doigts se crispent sur la bride de son sac.
— Que faites-vous ici ?
— Eh bien, va savoir…
Fuyukai se dirige vers la sortie, ralentit en passant devant lui.
— … mais… un conseil. Ne monte pas dans ce bus.
Le bourdonnement soudain aux oreilles de Domon dissimule les pas de l’entraîneur qui s’éloigne. Fébrilement, l'élève défait les premiers boutons de sa veste, la poitrine compressée. Avec un juron, il donne un coup de pied dans le pneu du bus. Peu à peu, il retrouve un semblant de calme, passe une main dans ses épis. La décision qu’il a prise tout à l’heure, alors qu’il tergiversait dans le local… c’est la bonne. Et tant pis pour les conséquences. Son esprit s’apaise, lissé par sa nouvelle détermination. Domon referme son uniforme, sort du garage et jette un œil à sa montre. Il est bon pour devoir faire le ménage de la classe pendant une semaine au moins. Eh… c’est un moindre mal.
***
— Fight !
— Fight !
— Fight !
— Fight !
L’équipe court autour du terrain au rythme imposé par Endou. Sur le banc, Haruna et Natsumi passent en revue les fiches des joueurs. C’est un mélange de tableaux remplis par les garçons au fil de leurs entraînements au centre Inabikari et de leurs notes personnelles qui côtoient dans le local les recherches d’Haruna sur leurs adversaires et toutes les autres informations qu’ils amassent et qui pourront être utiles un jour. En reportant sur la fiche de Kageno ses derniers temps de course, la cadette des manageuses annonce :
— Au fait, Aki-san, j’ai retrouvé celles qui manquaient. Elles n’étaient pas dans le bon classeur. Je me demande comment elles ont atterri là…
— Ah ? Tant mieux… répond distraitement l’intéressée.
Son attention est tournée vers Domon, vers l’incident du matin-même. Rien que le crissement des pneus sur le goudron lui a donné des frissons. Elle serre entre ses doigts le bord de sa jupe tandis que son regard se voile. Elle ne veut plus jamais revivre ça, plus jamais. Les garçons entament leur dernier tour. Domon se détache du groupe pour s’enfoncer dans le parc. Aki étouffe son premier élan de le suivre et se mord la lèvre avant de demander :
— Dis, Haruna… Tu peux aller voir Domon-kun s’il te plaît ?
— Huh ? Quelque chose ne va pas ?
— Eh bien…
— Maintenant que tu le dis, c’est vrai qu’il arrive souvent en retard aux entraînements. Et ce n’est pas la première fois qu’il le quitte comme ça… Et aussi Kabeyama-kun et Shourin-kun ont dit qu’ils l’avaient vu au local tard le soir. Sans doute que quelque chose le préoccupe. Son arrivée récente dans l’équipe peut-être ? Tu crois qu’il a du mal à s’intégrer ? Pourtant je l’ai vu plusieurs fois parler avec Kageno-kun et ils avaient l’air de bien s’entendre… Humhum, s’occuper du moral des joueurs fait aussi partie de mon travail de manageuse ! Tu peux compter sur moi !
Parvenue au bout de sa tirade qui tient plus de la réflexion à voix haute – miroir du défilement incessant de ses pensées – qu’autre chose, Haruna plaque les fiches dans les bras de Natsumi et file sur les traces du joueur. En ordonnant les feuilles, l’aînée remarque :
— Tu as l’air de beaucoup t’inquiéter pour Domon-kun.
— Je le connais depuis longtemps… répond Aki.
— Alors pourquoi ne pas aller lui parler toi-même ?
— Je… je ne saurais pas trouver les bons mots.
Il y a un fossé entre eux, de peine et de non-dits, qu’elle ignore comment combler.
Haruna s’enfonce dans la partie boisée du parc de l’école. Elle a perdu Domon de vue et suit au jugé la direction générale qu’il a prise, les yeux et les oreilles grandes ouvertes. Elle s’immobilise en entendant des bribes de conversation.
— … n’ai pas les données et ce n’est plus la peine de les demander, je les fournirai plus.
Elle reconnaît la voix de Domon, mais la réponse de son interlocuteur est inintelligible. Fébrile, la manageuse avance à pas de velours.
— … vraiment continuer ? Ça va beaucoup trop loin. Aller jusqu’à…
Haruna s’immobilise et perd la suite de la phrase quand une brindille craque sous sa semelle. Cinq, dix, trente secondes. Rien ne bouge. Elle commence à peine à recommencer à respirer que Domon élève le ton :
— Alors c’est donc ça la manière de faire du commandant ? Ta manière de faire, neh ?!
— Je n’étais pas au courant.
Cette fois, elle a entendu la réponse. Haruna arrondit la bouche dans un cri muet de surprise. Cette voix…
— Je refuse de continuer à suivre des ordres pareils ! s’emporte Domon. C’est trop, je vais…
— Ne dis rien de plus, l’interrompt sèchement son interlocuteur. Nous n’avons pas le droit de contester les ordres du commandant, et encore moins de le trahir.
Haruna s’est approchée autant qu’elle a pu et il n’y a plus de place au doute. Distincte et claire, elle sait à qui Domon est en train de parler. Une boule se noue dans sa gorge. Le temps qu’elle reprenne ses esprits et franchisse les derniers mètres, Domon s’est déjà éclipsé, mais elle n’en a cure. La colère prend le dessus pour l’aider à refouler les larmes qui menacent quand elle sort des fourrés.
— Qu’est-ce que tu fais là ? assène-t-elle à celui qui l'observe, impassible. Tu es venu pour nous espionner, c’est ça ?
— … Nous ne devons pas nous voir.
Et plus que sa réplique sans âme, plus que sa voix glaciale, la vision de Kidou lui tournant le dos et s’éloignant sans un mot supplémentaire brise le cœur d’Haruna.
***
La table est beaucoup trop grande pour deux personnes, c’en est ridicule. Comme les tableaux accrochés aux murs, comme la décoration qui habille les pièces, tout n’est que paraître et richesse. Kidou ne s’y habituera jamais. Il n’y a que les bruits de leurs couverts pour briser le silence jusqu’à ce que l’homme en face l’interroge :
— Quels sont les résultats de tes derniers examens ?
— J’ai eu 100 en maths et en anglais, répond le garçon avec obligeance.
— Et en japonais ?
— 97.
La désapprobation passe dans le regard de son interlocuteur qui finit par soupirer :
— Les membres du groupe financier Kidou doivent toujours être au sommet. Tu le sais, n’est-ce pas ?
— Oui.
Impossible d’oublier ce qui lui est répété ad nauseam. Kidou marque un silence, pèse un instant le pour et le contre avant de demander :
— Père, je remplirai mes obligations en tant qu’héritier du nom des Kidou. Mais lorsque j’aurai gagné le Football Frontier par trois fois consécutives…
— Je sais, je sais. Ne t’inquiète pas, les membres de la famille Kidou sont des personnes de parole et je tiendrai ma promesse. Tant que tu tiens la tienne et que tu accomplis ta part. Mais ça ne te posera pas de problème, n’est-ce pas, tant que tu fais ce que te dit Kageyama-san.
Kageyama. Kidou est allé le voir tout à l’heure et le commandant s’est étonné qu’il vienne faire part de son opinion. Il n’a rien voulu savoir au sujet des ordres qu’il a pu donner. Il n’y a rien dont Kidou devrait se soucier, il s’est occupé de s’assurer de leur victoire pour la finale. Quand Kidou s’est osé à avancer que ce n’était pas nécessaire, Kageyama lui a demandé s’il était certain, sans aucun doute possible, que la Teikoku allait l’emporter. L’important n’est pas comment. Le tout est de gagner, même avant le match. Il doit seulement faire ce qu’il lui dit et ne pas se soucier de quoi que ce soit. Les couverts de Kidou tintent contre son assiette. Avant… ça ne lui posait pas de problème, mais aujourd’hui… Le plat, pourtant délicieux, est désormais amer. Il n’en est plus si sûr.
***
— Allez, passe-la-moi !
Kageno lobe Kabeyama pour Domon qui remercie son coéquipier avant de filer, semant Matsuno derrière lui. Plus loin, Someoka félicite Megane pour son tir, même s’il n’est pas au niveau de son Dragon Crash. Sur le banc, Aki sourit.
— Eh, Domon-kun a l’air d’aller mieux.
— Hmhm…
Dans la lune, Haruna lui répond avec un temps de retard.
— Au fait, comment ça s’est passé hier ?
Haruna vire au rouge, bégaie et se confond en excuses. Comment dire ? Elle… elle s’est laissé distancer et elle l’a perdu de vue… Elle n’est pas digne d’avoir appartenu au club de journalisme.
— Ce n’est pas grave, eh. Tu es sûre que ça va ?
Une silhouette familière de l’autre côté du terrain, derrière Kurimatsu qui court après une passe trop longue, évite à Haruna de répondre. Aki s’étonne en reconnaissant leur coach.
— C’est rare que Fuyukai-sensei vienne.
— Il reste l’entraîneur, après tout, argumente Haruna.
Aki n’est pas convaincue. Elle ne sait vraiment pas ce qu’il fait là, à regarder les garçons s’entraîner, son apathie habituelle remplacée par un drôle de sourire. Sourire qui s’élargit lorsque Natsumi l’interpelle en s’avançant au bord du terrain.
— Qu’y a-t-il ?
— J’ai une faveur à vous demander. Vous voulez bien ?
Aki commence à trop bien connaître Natsumi pour ne pas deviner qu’elle a une idée derrière la tête. Fuyukai semble, lui, ne se douter de rien et répond avec un enthousiasme un peu trop poussé :
— Je n’ai pas de raison de vous refuser quoi que ce soit, mademoiselle. En quoi puis-je vous être utile ?
— Je veux vérifier l’état du bus qui ira jusqu’au stade pour la finale. Pouvez-vous le conduire un peu ?
— Le… Le bus ?!
Le visage du professeur se décompose instantanément et son éclat de voix attire l’attention des garçons. Il se tortille sur place en balbutiant.
— Vous me demandez cela si soudainement… J’aimerais pouvoir vous aider, mais je n’ai pas le permis pour conduire ce type de véhicule. Et puis, ce… ce n’est pas un peu tôt ? Le match n’est que samedi prochain…
— Ne vous inquiétez pas, vous ne sortirez pas de l’enceinte du collège donc vous n’avez pas besoin de permis. Tout ce que je vous demande c’est de faire un tour pour m’assurer qu’il marche correctement. Je préfère m’y prendre à l’avance, vous savez, au cas où il y aurait un problème.
— Mais…
— Oh… Je croyais que vous n’aviez pas de raison de refuser ? Fuyukai-sensei !
— O-oui… mais…
Est-ce l’insistance de Natsumi ou la sueur qui luit sur le front de l’enseignant ? Un peu des deux, sans doute, qui poussent les joueurs à leur emboîter le pas vers le garage. À l’arrière du groupe, Domon est blême comme la mort.
Natsumi s’impatiente. Son doigt tapote sur ses bras croisés tandis que Fuyukai s’installe dans le véhicule. Alignés à l’extérieur du hangar, Endou et les autres ne savent pas exactement ce qu'ils font là mais la situation est devenue trop étrange pour qu’ils songent à partir. Le professeur a bataillé avec la ceinture et est désormais immobile, les mains sur le volant.
— Qu’est-ce qui ne va pas ? Faites le tour du parking et ce sera bon.
— Oh… Eh bien…
— Dépêchez-vous et démarrez.
Difficile de dire non face au ton tranchant de Natsumi. L’homme tourne la clé dans le contact avec appréhension. Le moteur reste muet.
— Oh ? C’est étrange… se désole-t-il. La batterie semble morte…
— Ne vous moquez pas de moi !
Il sursaute sous le ton sec et claquant et il n’est pas le seul. Le dos trempé, Fuyukai se redresse sur le siège, recommence. Cette fois, le moteur tousse, démarre, mais Natsumi ne s’en satisfait pas.
— Allez, sortez le bus du garage.
Le volant vibre entre les doigts du professeur, son visage pâlit sans qu’il ne fasse mine de passer de vitesse. Dehors, les élèves se penchent, chuchotent, intrigués, vaguement mal à l’aise également. Natsumi bénit sa posture qui la fait paraître plus sûre d’elle qu’elle ne l’est vraiment et insiste.
— Qu’est-ce qui vous arrive, Fuyukai-sensei ?
Les secondes s’écoulent, interminables. Seuls les ronrons du moteur sont la preuve que le temps s’écoule encore.
— Je ne peux pas ! finit par lâcher l’adulte dans une plainte.
Il s’effondre sur le volant, s’y agrippe comme à sa vie, la tête dissimulée dans ses bras. Sa détresse n’émeut pas le moins du monde Natsumi. Elle a besoin d’un aveu.
— Pourquoi donc ?
— Je ne sais pas !
Un bruissement de papier attire tous les regards et fait relever la tête au professeur. En secouant l’enveloppe tirée de sa poche, Natsumi assène :
— Cette lettre anonyme révèle le terrifiant crime qui aurait pu se produire. Fuyukai-sensei, vous ne pouvez pas conduire le bus parce que vous l’avez saboté, n’est-ce pas ?
Un instant, les traits figés, le concerné reste silencieux. Soudain il part dans un grand éclat de rire, métamorphosé de se voir placarder la vérité au visage. Ceux des élèves se décomposent alors que, le corps entier secoué de son rire qui n’en finit pas, il coupe le moteur, déboucle sa ceinture. Natsumi ne peut retenir un mouvement de recul lorsqu’il descend du véhicule.
— C’est vrai, j’ai saboté le bus.
La désinvolture avec laquelle il jette l’information les pétrifie. Seul Endou arrive à laisser échapper un cri du cœur :
— Pourquoi ?!
— Pour vous empêcher de participer à la finale. Il y a une certaine personne que ça gênerait…
Il s’avance parmi eux et ils s’écartent d’autant, repoussés par son aura. À contre-courant, Gouenji s’avance d’un pas, la colère et la douleur lui broyant le ventre.
— Pour la Teikoku Gakuen, c’est ça ? Pour la Teikoku, vous vous moquez de ce qui peut arriver à vos élèves ?
Fuyukai tressaille avant de sourire tristement.
— Vous ne savez pas à quel point cet homme peut être terrifiant.
À côté de son commanditaire, ces gamins et les conséquences de ses actes ne lui font pas peur. Ils ne sont rien. Un éclat de rire solitaire, un peu fou, secoue ses épaules. Natsumi plante ses ongles dans ses bras en s’efforçant de garder contenance. Elle ne s’imaginait pas que ce serait aussi dur d’encaisser la vérité et ce qu’elle avait prévu de faire alors lui échappe. Pourtant, elle n’a pas le loisir de laisser la panique qui menace prendre le dessus. Garder le contrôle. Garder l’illusion de la maîtrise de la situation. Qu’est-ce qu’elle doit faire ? Sa seule légitimité est celle qu’elle a entre les murs du collège. Il n’y a que dans l’enceinte qu’elle a du pouvoir et elle le dégaine en pointant son doigt sur Fuyukai :
— Je ne veux plus de vous dans l’école. Considérez cela comme un ordre provenant du président du conseil d’administration.
Rien de son tourment ne filtre dans sa voix, ferme et sans appel. Le dos de Fuyukai se contracte avant de se détendre quand il se tourne pour lui faire face.
— Je suis renvoyé ? Cela ne me pose pas de problème. Je ne supportais plus d’être professeur ici. Mais… n’allez pas penser que je suis le seul espion que la Teikoku Gakuen ait envoyé ici…
Quitte à tomber, il ne sera pas seul. Trahir celui qui l’a trahi sera sa vengeance. Il savoure le silence glaçant et la stupéfaction qui se peint sur les visages avant de conclure d’une voix doucereuse :
— Neh, Domon-kun ?
— Do… Domon-kun ?
L’incompréhension d’Aki traverse Domon de part en part. Épinglé par tous les regards, il se liquéfie sur place. Profitant de la consternation provoquée par la bombe qu’il a lâchée, Fuyukai s’éclipse, non sans un dernier salut ironique à l’égard de son ancien complice, un dernier rire. Dans les yeux de ses camarades, Domon lit ce qu’il redoutait par-dessus tout. Incompréhension, peur, déception. Une culpabilité gênée qu’il ne comprend pas dans ceux de Haruna, vite effacée par leurs chuchotements atterrés. Colère, reproches. Si seulement il pouvait disparaître, là, à cet instant.
— Ne dites pas de bêtises !
Domon est sans doute plus surpris que les autres quand Endou se dresse devant lui.
— On a joué au football ensemble ! Et vous ne lui faites pas confiance ? Moi, j’ai confiance en Domon, c’est notre ami !
Le sourire d’Endou lorsqu’il se tourne vers lui lui est insupportable. Ses genoux tremblent sous lui, sa tête est sur le point d’exploser.
— Endou… ce qu’a dit Fuyukai-sensei est vrai. Je… je suis désolé !
Domon part en courant et, malgré les appels d’Endou, dépasse le portail du collège avant de disparaitre au coin de la rue.
Pourquoi est-ce que ses pas l’ont mené ici ? À force d’errance, après avoir couru jusqu’à ce que ses poumons et ses jambes le supplient de s’arrêter, Domon s’est laissé tomber dans l’herbe, en surplomb du terrain au bord de la rivière. De tous les recoins de la ville pourquoi a-t-il fallu qu’il s’échoue ici ? Il serre les poings, le cœur aussi lourd que ses mollets engourdis. En contrebas, des enfants s’interpellent et se pourchassent sur la terre battue. Sans avoir besoin de les quitter des yeux, Domon reconnaît Aki quand elle s'assoit à côté de lui.
— Nous étions comme eux avant.
C’est vrai. Lui aussi se revoit dans les gamins en rouge qui courent. Aki, Nishigaki, lui et… Ichinose. C’est loin. Si loin. Quand ils vivaient encore aux États-Unis, tous les quatre, les expatriés japonais. Il se souvient des journées passées à courir ensemble après le ballon, des matchs partagés avec Nishigaki et Ichinose sur le terrain, avec Aki dans les gradins. De cette après-midi, assis sur le talus, à parler de leurs rêves. De leur promesse, scellée dans leurs mains jointes. Ils joueront toujours au foot ensemble.
Et de l’accident.
— Après ça, je ne pouvais plus regarder un ballon.
La voix d’Aki est devenue chuchotis, marquée par des cicatrices, les mêmes que les siennes, que le temps n’a su effacer.
— Tu as tenu notre promesse, reprend-elle avec plus de vigueur. Moi… J’en ai été incapable. Je me trouvais faible… Je n’arrivais plus à vous parler. C’était trop dur. Je… je ne sais même pas ce que Nishigaki est devenu. Mais quand je suis arrivée ici, j’ai rencontré Endou-kun.
Le rire revenu dans la voix de son amie fait relever la tête à Domon.
— Tu sais, il va taper dans son ballon qu’il pleuve ou non, peu importe l’heure ou l’endroit. Il a toujours l’air si heureux. Il ressemble à Ichinose-kun.
— Il est différent d’Ichinose, la contredit Domon.
— Huh ?
Domon perd son regard dans le vague. Il a grandi avec Ichinose et il ne connaît Endou que depuis peu, les comparer est difficile, mais…
— Je ne voyais Ichinose que de dos. Il courait devant moi et je ne pouvais pas le rattraper, peu importe les efforts que je faisais. Avec Endou ce n’est pas pareil. Il me permet de marcher à ses côtés. Avec lui j’ai l’impression de pouvoir me dépasser.
Mais il a tout gâché.
— Domon-kun…
Il a un sourire triste, accroché à ses lèvres pour refouler les larmes qui lui brûlent les yeux.
— Tout le monde doit être furieux contre moi…
Il les a trahis, il a brisé leur confiance. Il ne mérite plus de…
— Domon !
L’appel d’Endou l’alerte juste à temps. Le ballon fuse, Domon l’attrape au moment où il rebondit contre sa poitrine. Endou surgit à leurs côtés, frappe l’air de son pied, radieux :
— Allons jouer au foot !
Sans attendre sa réponse, le capitaine de Raimon l’incite à se dépêcher et dévale la pente, accueilli en bas par les hourras par les enfants. Depuis le temps qu’ils n’ont pas pu jouer avec lui ! Domon s’est levé sans s’en rendre compte. Sa culpabilité n’a pas disparu. Mais elle pèse moins lourd sur sa poitrine. Endou lui a déjà pardonné. Non, il ne lui en a jamais voulu. Ses jambes l’entraînent toutes seules dans la pente, son cœur se réchauffe.
— J’arrive !
Notes:
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Chapter 20: Parce qu'ils n'ont pas encore perdu
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Le président du conseil d’administration de Raimon m’a appelé tout à l’heure, lance Onigawara en faisant tourner le liquide au fond de son verre.
— Ah ? lâche Hibiki pour toute réaction, concentré sur la vaisselle qu’il astique.
— Eh. Il m’a parlé d’un incident qui a touché le club de foot.
Maintenant, l’inspecteur est, malgré les apparences, certain d’avoir l’entière attention de son interlocuteur. Il laisse filer une poignée de secondes avant de poursuivre.
— Sa gamine a reçu une lettre anonyme qui dénonçait Fuyukai, l’entraîneur du club, comme étant un traître à la solde de Kageyama.
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? demande Hibiki, plus abruptement qu’il ne l’aurait voulu.
— Elle l’a confronté jusqu’à ce qu’il avoue avoir saboté le bus et elle l’a viré. Manque pas de cran, la petite. Le seul ennui… c’est que du coup Fuyukai s’est volatilisé dans la nature. Si j’avais su plus tôt… j’aurais eu assez de preuves pour le coincer. M’enfin, ça reste une gamine, elle a cru faire ce qu’il y avait de mieux pour protéger son équipe dans la panique. Et puis, Fuyukai n’aurait jamais accepté de témoigner contre Kageyama et cette ordure est trop méticuleuse pour ne pas avoir couvert ses traces… Encore un coup d’épée dans l’eau.
— Tsch… Et les gamins… ?
— Ils vont bien, tes gamins. Un peu secoués, mais ça va.
— C’est pas mes…
— Ouais ouais, épargne-moi ton refrain et ressers-moi.
Hibiki s’exécute, attrape un second verre qu’il remplit également. Onigawara observe le restaurant vide – le gamin n’est pas là aujourd’hui non plus – et le visage préoccupé de son ami. Celui-ci grogne entre ses dents, le front plissé :
— Saboté le bus, eh ?
— Hum. L’a pas été très inspiré. Plus ça va, plus cette histoire me fait penser à ce qu’il s’est passé il y a quarante ans…
Hibiki vide son verre d’un trait. Lui aussi, ça lui y fait penser. Un peu trop à son goût. Plus qu’à espérer que ça ne se terminera pas de la même manière.
***
— Pourquoi est-ce que tu ne m’as pas dénoncé ?
Gouenji hausse un sourcil confus à l’adresse de Domon. Ce dernier a traîné des pieds jusqu’à se porter à son niveau, à l’arrière du groupe, et lui glisse un regard en coin.
— Tu le savais, n’est-ce pas, que j’avais été envoyé par la Teikoku Gakuen ? Alors pourquoi tu n’as rien dit ?
Gouenji ne répond pas tout de suite. Quand il le fait, c’est d’une voix mesurée, avec une lueur dans le regard.
— Endou avait décidé de te faire confiance. Parce que la seule chose qui compte pour lui, c’est ce que tu fais sur le terrain. Le reste n’est pas important. Et il a raison… non ?
Au tour de Domon de rester muet. Quand Gouenji le dit ainsi, ça semble si simple. Il observe les dos de leurs camarades qui discutent avec entrain. Comme si ses erreurs avaient déjà été oubliées. Comme si elles n’avaient jamais existé. Pourtant les conséquences des évènements de la veille sont bien réelles. Ce sont elles qui les poussent à arpenter les rues d’Inazuma d’un pas pressé par l’inquiétude et par le temps.
Après la révélation de sa trahison et de celle de Fuyukai, après le renvoi de celui-ci par Natsumi, l’équipe n’a eu que peu de temps pour s’en remettre avant de tomber de haut. Megane est allé relire le règlement du Football Frontier et celui-ci est formel. Les équipes doivent obligatoirement avoir un coach pour pouvoir participer. Un alinéa dans un paragraphe au milieu des autres qui réduit en miettes leurs espoirs. La tension est montée entre Natsumi et Someoka. Le joueur reprochant à la manageuse de ne pas avoir anticiper le pétrin dans lequel elle les a fourrés et cette dernière rétorquant qu’elle a fait ce qu’elle avait à faire et que c’était désormais leur mission de recruter un entraîneur – et ils pouvaient prendre cela comme un ordre du président du conseil d’administration. Endou a coupé court au début de dispute. Ils n’ont pas le temps pour ça. Ce qui compte, c’est de trouver un nouveau coach tous ensemble !
Ainsi a débuté leur quête. Elle a occupé tous les instants libres de la veille et du jour-même, grapillant sur leurs intercours pour aller voir les entraîneurs des autres clubs ou demander aux professeurs qu’ils croisaient. En vain. Pourtant, comme l’a souligné Kageno, ils ne cherchent même pas vraiment un entraîneur, juste quelqu’un qui accepterait de faire de la figuration pour ce poste, comme Fuyukai. Cependant, personne ne veut prendre cette absence de responsabilité. La méfiance excessive de Natsumi concernant le recrutement n’a probablement pas aidé. Ils ont fini par s'échouer dans le local, démoralisés, Endou pestant contre l’idée que les portes du Football Frontier se ferment devant eux pour une histoire de règlement. C’est là que Gouenji a proposé de demander au patron du Rairaiken. Malgré l’incongruité de la proposition, il a rencontré une approbation unanime et ils se sont mis en route vers leur restaurant de ramen favori, aussi impatients qu’inquiets de la réponse qu’ils recevront. Plus qu’un bloc à dépasser.
— C’est une bonne idée, souligne Domon, mal à l’aise dans le silence qui s’est instauré entre son camarade et lui.
Elle a paru si logique et évidente à tout le monde. Gouenji accepte le compliment d’un signe de la tête. Le groupe s’immobilise. Ils sont enfin arrivés.
— Yosh !
Endou leur sourit, ouvre la porte en grand et s’engouffre à l’intérieur. Son équipe s’engage à sa suite.
Hibiki aperçoit Suki écarquiller les yeux la seconde avant que la porte ne coulisse. Les gamins de Raimon sont en avance par rapport à d’habitude. Ils s’approchent du comptoir sans s'asseoir, avec l’assurance de ceux qui ont quelque chose derrière la tête.
— Devenez notre coach s’il vous plaît ! clament-il en chœur.
Sous l’apparente impassibilité du restaurateur, Suki devine sa surprise et l’étincelle douloureuse qui lui succède.
— Vous me dérangez dans mon travail, répond-il, laconique.
— Mais…
Un froncement de sourcils coupe Endou dans son élan, hésitant face à la remontrance muette.
— On est désolés… Dites, reprend le garçon avec vigueur, refusant d’abandonner, vous connaissiez mon grand-père, neh ? Vous étiez même au courant pour le cahier qui était au collège. Alors, vous devez en savoir beaucoup sur le foot, neh ?
Le couteau d’Hibiki claque avec régularité sur la planche en bois, la racle pour faire glisser les légumes dans la casserole où l’eau frémit.
— Peut-être même… hasarde Domon, que vous avez joué avec le grand-père d’Endou.
— C’est vrai ?
L’idée survolte Endou, Domon le tempère. Ce n’est qu’une possibilité. Il n’y a que Suki pour remarquer une ombre sur le visage de son mentor. L’ombre d’un passé dont il parle à peine, qu’elle a appris à lire entre les lignes de ses silences. Adossée au montant de la porte de la réserve, elle observe les souvenirs qui remontent assombrir l’aura d’Hibiki. Le contraste est saisissant avec celle d’Endou dont la lumière éclabousse ses camarades.
— Que veux-tu que j’en sache ? gronde le restaurateur.
Endou fait la moue. Dans l’histoire, c’est quand même lui qui est censé en savoir le plus sur son passé qu’eux, non ? Ça ne le décourage pas pour autant.
— Nous sommes déjà arrivés super loin dans le tournoi et on veut vraiment participer aux nationales, sauf qu’on n’a plus d’entraîneur… Alors… vous voulez bien être notre coach ? S’il vous plaît ?
Endou se penche par-dessus le comptoir face à Hibiki, droit, imperturbable. Sa seule présence suffit à occuper tout l’espace du restaurant. Pas si imperturbable que ça. Tandis que le silence s’étire, que le reste de l’équipe se presse derrière Endou et espère avec lui, Suki assiste au conflit interne qui secoue son mentor. Dans son coin, Onigawara a arrêté de faire semblant de lire son journal. Enfin, Hibiki reprend la parole.
— Eh bien…
Les étoiles brillent dans les yeux d’Endou.
— Si vous ne commandez rien, sortez.
Endou ouvre la bouche, la referme, gonfle les joues et rétorque en se laissant tomber sur le tabouret le plus proche :
— Alors je vais commander. Un bol de ramen s’il vous plaît.
— C’est parti, un bol de ramen.
Hibiki monte le feu, fait signe à Suki de mettre les pâtes à cuire. Pendant qu’elle s’exécute, Endou fouille ses poches. Son visage se défait.
— J’ai laissé mon portefeuille dans le local…
Ses camarades réalisent progressivement les implications de sa déclaration et se décomposent à leur tour. Hibiki suspend son geste.
— Est-ce que je peux annuler ma commande ? bredouille Endou.
C’est à cet instant précis que Suki découvre pour la première fois la veine qui palpite sur le front d’Hibiki lorsqu’il s’énerve.
La porte coulissante claque dans le geste violent d’Hibiki. De l’autre côté, les élèves de Raimon se remettent de leurs émotions et sur le chemin du retour vers le collège. Onigawara sort de son silence.
— Jouer avec Endou Daisuke, eh… Le Onze d’Inazuma…
Hibiki passe devant lui sans un mot, les lèvres plissées. Suki ramasse le pot de baguettes tombé dans le feu de l’action. L’inspecteur fait mine de retourner à son journal. Pas longtemps.
— Tu sais, je suis allé voir leurs matchs. Ce gamin… c’est leur capitaine…. et leur gardien…
Chaque mot creuse un peu plus le pli aux commissures des lèvres d’Hibiki. Dans un silence buté, il pose deux petits verres sur le comptoir, sort leur bouteille d’en-dessous. Onigawara soulève le sien une fois rempli.
— … Il sait utiliser la God Hand.
Le verre vide d’Hibiki claque quand il le repose.
Suki débarrasse, passe un coup d’éponge. L’inspecteur est parti sans rien ajouter, aucun client n’est entré depuis. Elle s’assoit sur une des chaises, observe Hibiki découper machinalement les champignons. Ses lunettes rondes dissimulent en partie ses sourcils froncés. Le frémissement sporadique de sa lèvre supérieure, à moitié cachée dans sa barbe, fait écho aux frissons qui agitent son aura. Suki se mord l’intérieur de la joue. Il ne passe jamais personne dehors, d’habitude. Pas même les imbuvables ou les trouble-fêtes, ceux dont la présence n’a d’autre raison qu’être une nuisance au calme de l’établissement. Ceux-là, ils finissent toujours par sortir d’eux-mêmes, sous l’injonction muette du patron, dissuadés de protester par sa carrure impressionnante. Alors un porte-monnaie oublié ? Piètre excuse. En vérité, Hibiki s’est dépêché de saisir le premier prétexte venu pour éloigner celui qui n’a de cesse de réveiller le passé qu’il voudrait garder enfoui. Lui, devenir le coach de Raimon ? Et puis quoi encore ?! Elle peut presque l’entendre tempêter. Pourtant… pourtant les sentiments d’Hibiki sont loin d’être aussi tranchés qu’il voudrait bien le faire croire.
***
— Tu as encore besoin de moi ?
Hibiki lève les yeux de son journal. Suki a rangé les cartons de la livraison de ce matin, passé la serpillière et redescendu les chaises des tables. Elle attend son verdict, qu’il lui donne d’un geste du menton.
— Tu peux y aller. Ne rentre pas trop tard.
— Promis.
L’air est encore chaud pour un mois d’octobre. Hibiki ne lui a pas demandé où elle allait. Il le sait déjà, comme elle a appris par cœur les horaires de visite de l’hôpital et les habitudes de Shuuya. Elle sait aussi que le dimanche les bus passent moins souvent mais elle ne les prend jamais. Elle préfère marcher. Ça lui occupe le corps et lui vide l’esprit, loin de la promiscuité des autres voyageurs. Et puis, en y allant à pied, elle passera par le pont et trouvera sans doute les garçons en train de s’entraîner. Plus qu’une semaine, tout pile, avant la finale. Suki enfonce les mains dans ses poches. Ils n’ont pas parlé avec Hibiki de l’incident de l’autre jour et aucun membre de l’équipe n’est passé au restaurant depuis. Elle espère qu’ils ont trouvé un entraîneur. Son instinct lui souffle que non, elle le fait taire d’une grimace.
Les exclamations d’Endou l’accompagnent sur les derniers mètres, avant qu’elle n’arrive en vue du terrain. Suki s’accoude à la rambarde chauffée par le soleil, dissimulée dans l’ombre d’entre deux poutres.
— Bien ! Conserve la balle ! encourage le capitaine.
En bas, Kazemaru se protège des assauts d’Handa. Il feinte, fait rouler le cuir sous ses crampons avant d’écarter son adversaire d’un coup d’épaule et de s’effacer de l’autre côté.
— Kabeyama !
Le ballon fuse et passe sous le nez du défenseur qui, assis par terre, la tête rentrée dans les épaules, ne bronche pas. Handa l’appelle, tente de le faire réagir, sans succès. Endou quitte sa ligne et le rejoint, les poings sur les hanches.
— Kabeyama !
— Nous avons déjà perdu…
— Huh ?
D’abord surpris de l’entendre enfin parler, Endou est touché par le défaitisme dans la voix de son ami mais se force à faire preuve d’entrain :
— Mais qu’est-ce que tu racontes ? C’est pas…
— Peu importe à quel point on s’entraîne, ça ne sert à rien si on n’a pas de coach.
Endou se tait. Il n’a aucun argument à lui opposer. Ils cherchent désespérément depuis des jours et même s’il leur reste encore du temps, l’enchaînement des échecs pèse sur le moral de l’équipe. Si Kabeyama est celui qui montre le plus son inquiétude, les autres n’en pensent pas moins. Cependant, même s’il est conscient de l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête, Endou refuse de se laisser abattre. La menace de devoir abandonner aux portes de la finale ne lui fait pas peur. Ils ont surmonté toutes les difficultés jusque-là, ils surmonteront celle-ci aussi.
— N’abandonne pas ! Je suis sûr qu’on trouvera quelqu’un.
Kabeyama s’accroche à la main qu’Endou pose sur son épaule et rive ses yeux dans les siens avec une intensité déconcertante.
— Tu es sûr ?
— O-oui !
— Sûr et certain ? Tu peux me le promettre, Cap'taine ?
Les supplications de plus en plus théâtrales de Kabeyama face à Endou qui le rassure comme il peut apportent du baume au cœur du reste de l’équipe.
Un bruit de moteur détourne l’attention de Suki. Elle s’écrase encore plus dans l’ombre pour laisser passer la voiture et frémit en reconnaissant celui qui en descend. Domon et Shuuya sont les premiers à lever la tête vers le pont, attirés par l’énergie familière du nouveau venu.
— Kidou-san ? bredouille le défenseur.
Les autres suivent leur regard et une onde trouble se diffuse sur les auras des membres de Raimon.
— Il est là pour nous espionner ?
— Non, il est sûrement venu pour se moquer du fait que l’on perde avant même de jouer le match, avance Megane.
— Peu importe. Ce qui est sûr, c’est que je n’aime pas ça, fulmine Someoka.
Domon reste muet, Shuuya aussi. Un mélange de décontenancement et de colère agite l’équipe. De la tristesse aussi. L’émotion dans les yeux d’Haruna prend Suki au dépourvu. Et cette tristesse trouve un curieux écho chez Kidou dont le visage en apparence impassible dissimule le tumulte de ses pensées. Pourquoi est-il venu ici ? Il ne devrait pas être là. Est-ce qu’il a eu raison ?
— Eh ! Endou ! interpelle Kazemaru en s’apercevant que son capitaine grimpe le talus d’un pas décidé.
Le mouvement de recul que Kidou étouffe chatouille les jambes de Suki – mais c’est pour ça qu’il est là, non ? – avant qu’il ne se résolve à avancer. Les deux capitaines se font face, trop concentrés l’un sur l’autre pour ne serait-ce que soupçonner sa présence, et, pendant une dizaine de secondes, le silence s’installe. Kidou est le premier à le briser, avec une assurance qu’il voudrait solide mais que Suki sait vaciller.
— Je voulais m’excuser pour ce qu’a fait Fuyukai. Et pour Domon aussi.
— Ah, ce n’est rien.
La désinvolture d’Endou prend Kidou par surprise.
— Je suis content que Domon fasse partie de l’équipe, clame le capitaine de Raimon. Il est bon et il aime sincèrement le foot.
Décontenancé, Kidou baisse les yeux vers l’équipe regroupée au bord du terrain, vers Domon dissimulé au milieu du groupe qui le protège.
— Je vous envie, lâche-t-il.
— Huh ?
Kidou détourne le regard, sa bouche se tord avant de dessiner un sourire triste.
— Par rapport à vous, nous…
Suki vacille. Dans le flot mouvementé de l’aura du garçon, une autre énergie qu’elle ne connaît que trop bien a laissé son empreinte glaciale et les cicatrices de son emprise. Le oni n’est pas là, mais, à travers les mots de Kidou, c’est tout comme. Les doigts crispés sur la rambarde, elle entend à peine ce dernier reprendre à travers ses oreilles bourdonnantes.
— La Teikoku Gakuen est capable de se tenir au sommet depuis tout ce temps grâce aux stratégies du commandant. À côté, nos capacités…
— Ce n’est pas vrai, proteste Endou soudain sérieux, sensible au mal-être de son vis-à-vis.
— Je me suis promis de donner le meilleur de moi-même. Mais tout ce que j’ai gagné jusqu’à présent… ce ne sont que de fausses victoires.
La voix de Kidou tremble lorsqu’il écarte les doigts avant de les refermer à s’en faire blanchir les phalanges. Il retourne tout ça dans sa tête depuis trop de jours. Endou tempête, les poings sur les hanches :
— J’ai dit que ce n’était pas vrai !
— Comment peux-tu le savoir ?!
— Je le sais ! crie Endou, plus fort que Kidou qui en reste muet, et il en profite pour enchaîner. J’ai encaissé beaucoup de vos tirs. La force de la Teikoku, mon corps la connaît plus que quiconque !
Avec un sourire féroce revenu orner ses lèvres, Endou se frappe la poitrine du plat de la main. Eh, il s’en rappelle, de leur match, de leurs frappes, de la déferlante de puissance qu’il n’a pas réussi à contrer. En face, Kidou est déboussolé. Pas longtemps. Il se reprend et reconstruit son aplomb à la hâte. Pas assez pour empêcher Suki de voir ses blessures et ses doutes derrière son masque. Son ton est redevenu aussi lisse que d’habitude lorsqu’il déclare :
— J’ai hâte de vous affronter à la finale.
— Eh ! On va vous montrer à quel point on s’est améliorés !
— Mais est-ce que vous pourrez y participer ? s’assure Kidou.
Il y a assez de provocation dans sa voix pour dissimuler son inquiétude. Pas à Suki.
— Hum, à cause de cette histoire de coach ? Ne t’inquiète pas, on va en trouver un, badine Endou avant d’embrayer sans transition. Neh, tu veux t’entraîner avec nous ?
Suki ne peut s’empêcher de souffler du nez alors qu’Endou dénoue une fois de plus les attentes de Kidou. Il fait souvent cet effet-là aux gens.
— Je suis ton ennemi, tu sais ?
— Nous serons adversaires sur le terrain, mais aujourd’hui, on peut être amis. Tu ne crois pas ?
L’aura d’Endou resplendit autour de lui. Celle de Kidou ne sait pas comment réagir au contact démesurément lumineux. Trop lumineux. Dans une tentative de protection, alors que l’idée fait son chemin dans son esprit – trop nouvelle, tentante – Kidou amorce son départ.
— Un jour peut-être…
Endou fait la moue en le regardant s’éloigner avant de crier, le poing dressé :
— Alors c’est une promesse !
Kidou lève vaguement la main en retour. Eh… une promesse. Enfin, il croit. Heureusement qu’Endou ne peut plus voir son visage et sa lèvre trembler. Avant de monter dans la voiture, il se retourne brièvement vers le terrain, où le reste de l’équipe tombe des nues quand Endou leur raconte leur échange et sa proposition. Ils regardent le véhicule s’éloigner et disparaître, Haruna plus longtemps que les autres. Ce n’est que lorsque l’entraînement a repris et que le calme est revenu que Suki s’arrache aux ombres et reprend son chemin, les mains au fond des poches.
Dans la baignoire, Suki entraîne de ses mains l’eau et la mousse en tourbillons abstraits. Assise sur une chaise à côté, Tia est plongée dans le raccommodage d’un pantalon. Elle n’a pas encore évoqué ce qu’il s’est passé tout à l’heure, l’enfant n’en a pas parlé non plus. Elle joue dans son bain, l’esprit tourné vers d’autres horizons. Tia pose le pantalon et l’aiguille.
— Tu leur as fait une forte impression, tu sais ? Fuku-san m’a dit que la petite, Yuuka, n’avait pas arrêté de parler de celle qui avait miraculeusement retrouvé le porte-monnaie de son frère et qu’elle n’aurait jamais accepté de partir sans venir te voir.
Les clapotis continuent. Tia hésite avant de se décider à mi-voix :
— Elle m’a aussi proposé que l’on se revoit, enfin, que vous vous revoyez, pour que vous passiez du temps ensemble.
Les bruits s’arrêtent. Suki ne bouge plus, la tête penchée sur le côté. Elle scrute Tia comme pour lire en elle, incertaine des sous-entendus. Ça fait trois semaines qu’elles sont arrivées dans cette ville, dans cet appartement, ni meilleur ni plus miteux que les précédents. Elles ne restent jamais bien plus longtemps, Suki en a pris la triste habitude. C’est plus sûr, c’est pour le mieux. Pas le temps d’apprendre à connaître, pas le temps de s’attacher, pas le temps de se faire reconnaître. Pourquoi cette fois-ci serait-elle différente ? Elle se mord la lèvre.
— Tia, je…
Les mots s’étranglent dans sa gorge. Tia pose sa main sur sa tête.
— Je ne te promets rien ma chérie, mais… on va essayer, d’accord ?
Suki la dévisage, effrayée à l’idée d’y croire. Tia lui sourit. L’écho qui finit par naître sur les lèvres de l’enfant est timide. Son regard se perd quand elle se laisse emporter par ses pensées. Tia écarte une mèche humide de son front.
— Tu as vraiment envie de les revoir, neh ? Surtout ce garçon…
Suki ramène ses genoux contre sa poitrine, y cale son menton en silence comme si elle n’avait pas entendu la question. Tia sait qu’il n’en est rien, qu’elle réfléchit avec une intensité qui lui est propre comment dire les choses. L’enfant joue avec la mousse et l’observe se déliter et couler le long de ses doigts.
— Tu vois… Tu ne vois pas, se reprend-elle avec un regard en coin, mais il… Avec lui, c’est pas comme les autres. Tout est plus fort, mais ça fait pas mal.
Elle plonge ses mains dans l’eau et projette des gouttelettes.
— Il éclabousse, partout autour de lui. C’est chaud. C’est… Tu comprends, neh ?
— Je crois que je comprends, oui.
— C’est la vérité, tu sais, Yuuka ? Il… Il… Ils sont tous plus intenses, ceux de Raimon, chacun à leur manière. Et ton frère…
Shuuya laisse sur son passage les échos des flammes qui animent son aura. Petite, elle cherchait à les attraper et à les garder entre ses doigts. C’étaient les seules qui ne la brûlaient pas, les seules dont elle n’avait pas peur. Ça n’a pas changé aujourd’hui. Sa chaleur est son réconfort, le souvenir de jours heureux.
— Toi aussi, tu brilles, Yuuka, même… même si ton éclat est autre part. S’il te plaît… ne laisse pas ta lumière s’éteindre.
***
Suki est revenue au Rairaiken, l’esprit ailleurs. Hibiki a répondu à sa place aux questions des habitués. Désolé, il n’y aura pas de cookies aujourd’hui, une autre fois, promis. Suki s’est crispée à la mention des biscuits, perdue dans ses souvenirs. Avec Hibiki, au fil du temps, ils ont construit leurs habitudes et elle s’y raccroche en attendant que l’heure de fermeture arrive. Égoutter les pâtes, servir les bols sans se brûler. Le dernier client s’en va en laissant ses pièces sur la table. Ramasser la monnaie, déposer la vaisselle sale dans l’évier, ramener en réserve ce dont ils n’ont plus besoin. Hibiki essuie les tables, éteint la devanture. Il sort pour décrocher la banderole. Une voiture s’arrête devant la boutique. Suki s’immobile, pose, les mains tremblantes, le sac de riz qu’elle porte avant qu’il ne lui échappe. La lumière vacille. Dehors, une portière s’ouvre et son cœur s’affole.
— Ça faisait longtemps.
Hibiki gronde en reconnaissant dans un sursaut celui qu’il déteste du plus profond de son être.
— Oh… c’est toi…
Insensible à l’animosité qui transpire de sa voix, Kageyama assure avec flegme :
— La Teikoku est invincible. Raimon n’a aucune chance.
Son rictus s’élargit sous la lumière crue des lampadaires qui se reflète sur ses lunettes. Hibiki ne veut même pas savoir comment il a su que les gamins étaient venus le voir ni ce qu’il cherche à faire avec sa tentative d’intimidation. Il veut juste qu’il foute le camp. Kageyama prend son temps pour l’exaucer, dans un silence glacé. Il faut une bonne minute à Hibiki, après que la voiture ait disparu au coin de la rue, pour retrouver ses esprits. Engourdi, il récupère la banderole, rentre, ferme la porte derrière lui. Le passé qui gratte au coin de son esprit l’empêche de souffler, comme la porte de l’arrière-boutique restée entrouverte vers laquelle il se précipite aussi vite que ses jambes veulent bien le porter.
La pièce est plongée dans l’obscurité. Des bris de verre jonchent le sol. Il changera l’ampoule plus tard. Il trouve Suki à tâtons, accroupie à terre, les mains plaquées sur les oreilles. Elle tressaille à son contact, garde les paupières résolument closes, les épaules secouées de sanglots muets. Le regard d’Hibiki se voile. Doucement, avec la délicatesse qu’il a appris à avoir pour ne pas la brusquer dans ces moments-là, il l’attire contre lui.
— Shhh… Ça va aller, ma belle. Il est parti. Tout va bien.
Dans la quiétude de la nuit, il la berce jusqu’à ce que la terreur s’estompe, jusqu’à ce que ses pleurs se tarissent, jusqu’à ce qu’enfin elle s’endorme.
Notes:
☆゚. * ・ 。゚☆ Si le chapitre vous a plu, pensez à laisser un kudo ou un commentaire ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 21: Il y a quarante ans de cela
Notes:
Kageyama est un connard manipulateur, qui plus est sur des adolescents. Prenez soin de vous si c'est un sujet auquel vous êtes sensibles (passage concerné du début du chapitre aux premières ***)
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Les images défilent en boucle sur l’écran – les entraînements de la Teikoku Gakuen, chacun de leurs matchs, toutes les archives que Kidou garde et consulte régulièrement. Un ballon sur les genoux et les bras repliés autour, il n’a pas besoin du son pour se rappeler des directives qu’il a lancées. Les siennes ou… ? En entendant parler dans le couloir, il reconnaît la voix de Kageyama. Évidemment que son père allait appeler le commandant. Il plante un peu plus ses doigts et son menton dans le cuir. Deux coups secs résonnent contre la porte.
— J’entre.
Ce n’est pas une question. Le commandant n’est pas de ceux qui s’encombrent de permissions. Sans avoir besoin de tourner la tête, Kidou sent le battant s'ouvrir, la présence de Kageyama dans l’encadrement. Il se voudrait impassible, il n’est pas sûr de réussir. Kageyama s’avance et finit par s’immobiliser devant la télé. En silence. À ce jeu-là, Kidou perd en premier. Ce qui s’agite dans sa tête prend trop de place.
— Qui suis-je exactement ?
Trop tard pour regretter ses mots. Les secondes qui s’étirent lui en laissent pourtant tout le loisir. Derrière Kageyama, sur l’écran, les silhouettes de ses camarades s’agitent toujours.
— Ne pense pas à cela.
Lentement, Kageyama entreprend de faire le tour de la pièce, longe l’accoudoir du canapé.
— Je n’oublierai jamais la première fois que je t’ai vu, à l’orphelinat. Tu n’avais que six ans mais tu étais déjà parfait. C’est pourquoi je t’ai recommandé au groupe financier Kidou qui cherchait à adopter.
Kidou connaît tant l’histoire qu’il pourrait la réciter par cœur. Aux rencontres mondaines, tout le monde lui sourit en lui répétant qu’il a eu beaucoup de chance.
— Tu es leur héritier maintenant. Tu es extrêmement doué, tu as toutes les compétences pour. Tout ce dont tu as à te soucier est d’être le meilleur et digne du nom qui est désormais le tien. Que pourrais-tu souhaiter de plus ?
— Jouer au foot.
La réponse est sortie, spontanée. Le cuir palpite sous ses doigts. Kageyama s’arrête contre le dossier du canapé.
— Si c’est cela que tu veux, tu n’as qu’à me laisser faire. Je sais ce qu’il y a de mieux pour ta carrière et ton avenir. Le football, c’est comme les entreprises que dirige ton père et que tu dirigeras un jour. Vois cela comme une simulation. Quelqu’un commande, s’occupe de la stratégie et donne les ordres. Les autres qui s’y plient. C’est ainsi que le système fonctionne.
— Je…
— Imagine si les joueurs, si les employés n’en faisaient qu’à leur tête ? L’entreprise courrait à sa perte. Tu n’as pas le droit de nous décevoir, ton père et moi. En suivant la voie que je te trace, tu gagneras et tu feras honneur au nom des Kidou.
Kidou a l’impression d’être à bout de souffle alors que ce n’est pas lui qui parle. Il repousse le ballon sur le côté, soudain encombré, et crispe ses doigts dans ses cuisses. Sans sa cape, il se sent vulnérable. Au bord de ses perceptions, Kageyama se remet en mouvement.
— Votre conception de la victoire, Commandant, n’est pas basée sur les capacités réelles de chacun, articule Kidou, la bouche sèche. La victoire… Je pense qu’elle ne dépend pas seulement du talent de celui qui donne les ordres. Le travail de tous les joueurs compte aussi. Oublier ceux qui sont sur le terrain dénigre toute l’équi…
— Perdre est pathétique. Veux-tu vraiment le risquer ?
Passent devant les yeux de Kidou les souvenirs de ses adversaires passés. Chacune de ses victoires était leur défaite. Il se rappelle leurs visages anéantis, de la désillusion face au tableau d’affichage, de leur fatigue, de leur infériorité face à la suprématie de la Teikoku Gakuen. Et ça le rend malade. Kageyama s’est immobilisé devant sa bibliothèque.
— La colère des dieux s’abat sur ceux qui crachent vers les cieux. Veux-tu finir ainsi toi aussi ?
Du coin de l’œil, Kidou l’aperçoit tendre le bras vers le magazine posé sur l’une des étagères. Il bondit sans réfléchir pour s’en saisir avant lui.
— Ne touchez pas à ça !
Le cœur battant, Kidou recule, le prospectus plaqué contre sa poitrine. Ce n’est qu’un assemblage de pages décolorées par le temps, tachées de terre et de brûlé, les coins sont cornés mais l’idée que quelqu’un d’autre pose la main dessus lui retourne le ventre. Il reprend sa respiration, sur la défensive. Malgré la barrière des lunettes, il discerne la désapprobation de Kageyama. L’homme s’approche de lui, sa voix lissée par son impassibilité habituelle.
— Ne comprends-tu donc pas que t’accrocher à des reliquats du passé ne fera que t’affaiblir ? Jette-le.
Kidou refoule l’envie urgente de s’éloigner d’autant.
— Ça m’est égal de perdre. Je n’aurai pas de regrets si j’ai donné tout ce que j’ai.
Kageyama soupire comme s’il devait raisonner un enfant en plein caprice, remonte ses lunettes, marque un temps de silence.
— Je n’ai toujours pas répondu à ta question. Tu m’as demandé qui tu es.
Comme d’habitude, Kageyama amène la conversation où ça l’arrange. Kidou devrait être habitué à ses prises à revers, mais malgré les années les sinuosités obscures de l’esprit du commandant lui échappent.
— Tu es Kidou Yuuto. Tu comprends ?
Kidou Yuuto. Deux mots qui semblent si prompts à sceller celui qu’il est. Imperceptiblement, Kidou baisse la tête. Le regard de Kageyama pèse encore sur lui avant que l’homme ne s’en aille. La porte se referme derrière ce dernier, mais Kidou n’a pas vraiment l’impression de mieux respirer. Il repose le vieux magazine sur le canapé, lisse la première page froissée. Kidou Yuuto.
***
— Dis, Hibiki…
— Hum ?
Suki laisse filer quelques secondes, à continuer de tracer sur les pages de son carnet. À la table d’à-côté, Hibiki attend. Ce carnet, c’est lui qui lui a offert, peu de temps après son arrivée. Depuis, elle ne s’en sépare jamais. S’il n’est pas dans ses mains ou dans son sac, c’est qu’il est dissimulé dans les replis de ses vêtements trop larges. La seule fois où il a aperçu quelque chose par inadvertance, la page était couverte de boucles et de déliés, dans un mélange de dessins et d’écriture dont il n’a su saisir le sens. Peu importe, ça ne le regarde pas. Il lui a toujours promis qu’il sera là pour l’écouter si elle veut partager ce qui lui encombre l’esprit, mais il sait aussi qu’il y a des choses dont elle ne peut pas parler. Aussi accueille-t-il les moments où elle se confie, où elle s’ouvre, comme des bulles de savon – rares, précieux, fragiles – sans jamais la brusquer. Alors il attend qu’elle suspende son crayon au-dessus de sa feuille, qu’elle se morde la lèvre et reprenne son tracé pour parler enfin :
— Ceux… ceux de Raimon. Tu les as aidés. Depuis le début, depuis qu’ils viennent ici. Tu leur as fait plus de ristournes que je ne peux en compter, tu as retardé la fermeture pour eux, tu leur as parlé du cahier de Daisuke-san, du centre Inabikari… Et du Onze d’Inazuma.
Il sait où elle veut en venir. Il sait où le cheminement de ses réflexions va, parce qu’il a suivi le même. Pour s’échouer sur ses propres contradictions. Il sait la question qu’elle va poser, celle à laquelle il s’est refusé de répondre mais à laquelle il n’échappera pas cette fois-ci. Pourquoi est-ce que l’autre jour il a refusé de devenir leur coach ?
— Je ne peux pas.
Elle relève les yeux juste assez pour croiser son regard, dans l’attente de la suite. Une fois de plus, Hibiki est déconcerté par le bleu qui l’épingle, sombre à l’extérieur, plus clair autour de la pupille. Il n’a nulle part pour s’enfuir. Il s’humecte les lèvres, se passe une main sur le visage.
— Je ne m’en sens pas capable. Quelle légitimité j’aurais, moi, un vendeur de nouilles ? Et puis… ajoute-t-il tandis que son regard s’assombrit. Quand il est venu…
Suki tressaille, il poursuit la voix vibrante de colère :
— Je ne peux pas, je ne veux pas t’exposer. Je le refuse.
— Mais tu as peur pour eux aussi, neh ? souffle-t-elle avec un sourire sans joie. Et tu sais qu’ils ne s’arrêteront pas. Pas avant d’avoir atteint le sommet. Et…
Et elle ne le supporterait pas s’il arrivait quelque chose à Shuuya, pas après l’accident de Yuuka, pas après l’avoir retrouvé après tant d’années. Hibiki se sent céder. Il ne se le pardonnerait pas non plus, que ce soit Gouenji ou n’importe quel gamin de l’équipe. Et encore moins si c’est à cause de Kageyama. Mais…
— Hibiki.
Silencieusement, elle lui assure que tout ira bien, qu’elle ira bien. Silencieusement, elle lui demande de les protéger, eux aussi.
***
— Qu’est-ce qu’on va faire ?! râle Someoka. Il ne reste plus que deux jours avant la finale ! On doit trouver un nouveau coach en deux jours !
— Ah, je déteste ce règlement ! renchérit Aki.
Ils se sont regroupés dans l’herbe à côté du local pour la pause de l’après-midi. Leur conseil de guerre improvisé s’est étiolé face au découragement latent. Depuis plusieurs jours, ils sont de plus en plus nombreux à traîner les pieds aux entraînements et ils arrivent à court d’idées. Les yeux levés vers les nuages qui traversent le ciel clair, Endou les écoute d’une oreille distraite. Il soupire en se laissant tomber à la renverse sur le dos. Plus que deux jours. Un avion passe, loin au-dessus d’eux.
— Eh, c’est qui avec Furubaku-san ? interroge Domon.
Tout leur groupe se penche pour mieux voir l’individu en train de discuter avec le concierge.
— Il est souvent au Rairaiken, non ? réfléchit Kageno à voix haute.
Et il est aussi venu voir certains de leurs matchs. Mais ça, Gouenji le garde pour lui. Sous le poids de leurs regards, les deux adultes finissent par les remarquer et s’approcher.
— Les enfants, je vous présente l’inspecteur Onigawara. Il est venu poser quelques questions après l’incident impliquant Fuyukai la semaine dernière.
L’introduction qu’en fait Furubaku ajoute à l’aura du personnage en long imper et au visage émacié mangé par une barbe poivre et sel.
— J’aurais préféré vous rencontrer dans d’autres circonstances… mais mes félicitations pour votre parcours au Football Frontier.
— Vous vous y connaissez en football, inspecteur ? Vous voulez bien être notre coach ? Neh ?
Onigawara manque de s’étouffer tandis que les membres de l’équipe éclatent de rire devant l’audace d’Endou. Ce dernier ne voit pas ce qu’il y a de drôle dans sa question. Quand il a retrouvé contenance, l’inspecteur parvient à répondre :
— Eh bien, je ne suis pas vraiment fait pour ça… mais je suis amoureux de football depuis bien avant votre naissance. J’ai vu la première God Hand… et tu n’imagines pas ma surprise quand je t’ai vu la faire ! J’en ai eu des frissons… Je me suis dit que le légendaire Onze d’Inazuma était revenu de ses cendres.
— Vous connaissez le Onze d’Inazuma ?!
Personne n’en veut à Endou pour sa bruyante exclamation. Ils se posent tous la même question. L’équipe mythique de Raimon a beau ne leur apparaître que par bribes, elle les fascine. Tant de mystères, tant de gloire ! Un large et franc sourire barre le visage d’Onigawara.
— Bien sûr ! Ils étaient vraiment puissants. C’était… c’était une bande de gamins qui détestaient perdre. Leurs matchs étaient formidables à regarder.
— Mais il s’est passé quelque chose, glisse Gouenji.
Les regards se tournent vers lui mais il ne se démonte pas.
— C’est ce que vous aviez commencé à dire, l’autre fois, Furubaku-san.
Le concierge grimace sans savoir quoi répondre. Les plis sur le front d’Onigawara se creusent.
— C’est vrai. La tragédie qui a frappé le Onze d’Inazuma…
Il y a quarante ans, la grande finale du Football Frontier devait faire s’affronter le collège de Raimon et la Teikoku Gakuen. Deux jeunes équipes qui avaient rejoint la compétition cette année-là, toutes les deux aussi prometteuses l’une que l’autre. Les paris les tenaient sur un pied d’égalité, aucun pronostic ne parvenait à les départager. Ça allait être le match du siècle ! Raimon… Raimon brillait par ses joueurs, éblouissants sur le terrain, et par son coach, Endou Daisuke, prodige venu de la scène internationale. Cependant le bus qui transportait l’équipe jusqu’au lieu de la rencontre a eu un accident. Pas de morts mais… plusieurs joueurs ont été blessés. Ils s’en moquaient. Tout ce qui comptait pour eux, c’était d’arriver au stade. Ils y sont allés, à pied, boitant pour certains, se portant mutuellement s’il le fallait. Ils joueraient ce match, coûte que coûte. Et pourtant… Quand ils sont arrivés, le match était déjà fini. Un appel anonyme avait prévenu les organisateurs de leur forfait. La Teikoku Gakuen avait gagné sans avoir eu besoin de jouer. Depuis elle n’a pas perdu, pas une seule fois. Quant au Onze d’Inazuma… l’équipe s’est délitée et a sombré dans l’oubli.
— Aujourd’hui encore, personne ne sait qui a passé le coup de téléphone.
Furubaku a dû les laisser mais Onigawara s’est assis dans l’herbe avec eux pour leur faire son récit. Les élèves observent un silence lourd du passé qu’ils viennent d’apprendre. Pas étonnant que Furubaku-san était réticent à leur raconter une histoire pareille. Endou arrache mécaniquement les brins d’herbe sous ses doigts. L’équipe de son grand-père…
— Qu’est-ce qu’il leur est arrivé ? interroge Aki. Je veux dire, aux joueurs du Onze d’Inazuma ?
Onigawara se passe une main dans la barbe.
— Eh bien… blessés, leurs rêves brisés… ils n’ont pas réussi à se redresser. Les uns après les autres, ils ont quitté le football.
— Comme le patron du Rairaiken.
L’inspecteur hoche la tête mais Endou regarde Gouenji avec des yeux ronds.
— Comment ça, comme le patron du Rairaiken ?!
C’est au tour de Gouenji de le dévisager.
— Endou… tu n’avais pas compris qu’il faisait partie du Onze d’Inazuma ?
— Bah… non ? Vous l’aviez compris, vous ?
Les mines mi-coupables mi-amusées de ses camarades font réaliser à Endou qu’il était le seul à ne pas avoir fait le lien. Pourtant, entre le carnet de son grand-père, le centre secret et certains sous-entendus… Onigawara le tire de son embarras, emporté par la nostalgie et le foyer avivé de sa passion.
— Eh, Hibiki était un élève de Daisuke-san. C’était le capitaine et le gardien, tout comme toi ! Avec l’entraînement de ton grand-père, aucun tir ne pouvait le passer.
Endou écarquille les yeux. Le gardien ? Comme lui ? Son esprit est en ébullition. Il prend tout le monde par surprise en bondissant sur ses pieds.
— Où est-ce que tu vas ? le retient Aki. Les cours vont reprendre !
— Nan, j’ai fini, le prof d’histoire n’est pas là. Faut absolument que j’y aille. On se retrouve au local ce soir !
Il file sans demander son reste, le cœur tambourinant dans sa poitrine. Ses amis se lèvent dans un soupir collectif, plus amusé que désespéré. Ils abandonnent ainsi Onigawara pour regagner leurs salles de classe et l’inspecteur regarde vers là où Endou a disparu, un sourire dissimulé dans sa barbe. Ce petit… exactement le même que son grand-père.
Hibiki ne détourne pas les yeux de son journal lorsqu’Endou se présente dans l’encadrement de la porte.
— Encore toi.
— Encore moi.
— Peu importe combien de fois tu viendras, ma réponse ne changera pas.
Suki se retient de sourire tandis qu’Hibiki poursuit sa lecture. Elle sait qu’il ment. Il le sait aussi, comme il sait qu’il se voile la face, derrière ses dernières réticences et la barrière de papier imprimé. Endou traverse le restaurant, se plante devant Hibiki.
— Je suis au courant de ce qu’il s’est passé. Vous n’avez pas pu jouer la finale à l’époque… Et alors ? C’est pas pour autant que la vie doit s’arrêter, vous ne croyez pas ?
Malgré son rire qui se veut désinvolte lorsqu’il écarte d’un revers de main le doigt qu’Endou pointe sur lui, Hibiki est touché.
— Qu’est-ce que tu sais de ces histoires ?
— Peut-être pas tout… admet le garçon. Mais je sais que vous étiez le gardien du Onze d’Inazuma. C’est l’inspecteur Onigawara qui l’a dit.
— Ce vieil Onigawara ? répète Hibiki en retournant à sa rubrique. Il manque pas de culot. Oh, le prix du blé a augmenté.
Le plat de la main d’Endou qui claque sur la table la plus proche les fait tous sursauter. Hibiki se redresse, les sourcils froncés, mais le garçon, plus déterminé que jamais et désormais certain d’avoir son attention, le prend de vitesse.
— Je vous lance un défi.
— Un défi ?
La curiosité s’invite dans les yeux d’Hibiki, Suki pose sa casserole et son torchon. Endou saisit sa chance.
— Eh ! Quand on est gardien de but, on doit être capable d’arrêter n’importe quel tir. J’ai réfléchi, poursuit-il en plaquant ses mains contre le ventre et écartant les pieds. Un gardien doit être solide sur ses appuis et concentrer son énergie autour du nombril… Sinon, il n’arrivera pas à protéger ses cages.
Hibiki repose son journal – il a compris, il n’arrivera pas à le lire – en répétant dans un éclat de rire franc :
— Autour du nombril, eh ? Daisuke-san disait un truc dans le genre aussi. Il disait aussi que parce que le gardien défend ses cages, le reste de l’équipe peut se concentrer sur l’attaque.
— C’est ça ! C’est pourquoi je veux vous montrer de quoi je suis capable ! Voici mon défi ! Regardez-moi en tant que gardien.
Endou ne tient plus en place. Hibiki est allé trop loin pour couper la conversation maintenant et il ne va pas pouvoir refuser sa proposition. Le restaurateur s’enquiert avec un vernis de décontraction :
— Oh ?
— Vous tirerez trois fois, clame Endou en levant autant de doigts. Et si je parviens à bloquer les trois tirs, vous devenez notre coach !
— Trois tirs tu dis ? C’est un défi ridicule.
Malgré ses dires, Suki le voit vaciller, croiser son regard pour s’assurer que tout va bien. Endou insiste, Hibiki soupire qu’il a l’air bien sûr de lui. Accoudée au comptoir, le menton calé dans la paume de sa main, Suki les contemple sceller leur accord.
***
Ils sont seuls sur le terrain au bord de la rivière. L’heure tôtive y est sûrement pour quelque chose. Accroupie le long de la ligne de touche, Suki regarde tour à tour Endou ajuster ses gants et Hibiki s’échauffer de quelques jongles.
— Ojisan, vous n’avez pas tiré dans un ballon depuis longtemps, si ?
— Eeeeh… tu vas voir.
La remarque anodine aux sous-entendus provocateurs d’Endou allume la même étincelle dans les regards d’Hibiki et de Suki. Il a déjà eu l’occasion de lui montrer que malgré les apparences et les années passées, il sait ce qu’il fait. Endou inspire profondément, remonte par réflexe son bandeau sur son front. Trois tirs, une chance de convaincre Hibiki-san de devenir leur coach. Trois tirs, plus d’excuses. Le garçon claque ses gants, fait signe qu’il est prêt.
— Yosh ! Venez !
Hibiki le prend au mot. Une dernière jongle, deux pas d’élan et le ballon file vers les cages. Endou ne s’attendait pas à un tir aussi rapide. Il se jette sur le côté, renvoie d’une claquette le cuir dans les pieds d’Hibiki. Le restaurateur pose la semelle dessus tandis qu’Endou se relève, le poignet engourdi. Quelle puissance… Comme il pouvait s’y attendre de la part d’un joueur du Onze d’Inazuma ! Il dresse un doigt, victorieux.
— Premier tir, arrêté !
Hibiki se fend d’un sobre compliment – pas mal – avant d’enchaîner. Il recule d’un mètre, lance la balle en l’air et décoche son deuxième essai en la reprenant au vol. Endou se fait à nouveau avoir par la célérité qu’Hibiki ne laisse pas présager et par la puissance de sa frappe, bien supérieure à celle de la première. Tandis qu’il court et bondit, Suki se penche en avant. Son énergie, auréole chaotique, se concentre dans son poing et atteint son point d’orgue au moment où il touche la balle avec un mouvement de hanche spectaculaire. Le cuir repart aussi sec dans les mains d’Hibiki. Celui-ci ne peut retenir un sourire. Il reconnaît le Nekketsu Punch, même autant d’années après, même si l’exécution d’Endou est brouillonne et nécessite encore de la pratique. Endou ne s’y trompe pas quand il lève un autre doigt en riant :
— Alors ? Et ça fait deux !
— Ne sois pas si arrogant, tempère Hibiki. Si le prochain rentre, je n’aurai plus jamais à entendre parler de cette histoire de coach.
Endou hausse les épaules – comme s’il allait rater – et Hibiki repense au regard éloquent de Suki sur le chemin pour venir. Eh, il sait… L’homme pose le ballon, garde un instant les doigts sur le cuir, contact familier, électrisé de l’hissatsu technique du jeune gardien. Si le gamin maîtrise le Nekketsu Punch… Si ce qu’ils racontaient en venant après leurs matchs est vrai, si Onigawara n’a pas menti…
— Alors montre-la-moi !
Le dernier tir est un boulet de canon. Pas besoin d’hissatsu technique pour que la balle fuse vers les cages, si vite qu’elle en devient invisible. Endou a du mal à regarder devant, aveuglé par l’air qui claque sur son visage. C’est l’instinct qui le fait bouger, la sensation grisante qu’il a appris à apprivoiser. Son aura traverse son corps jusqu’à sa main tendue, jusqu’au bout de ses doigts, et jaillit dans un halo doré.
— God Hand !
Suki tressaille. Elle n’était pas prête à une telle déferlante d’énergie. Hibiki non plus, pas plus qu’il ne croit ses yeux en reconnaissant la paume intangible qui cueille le cuir. C’était donc vrai ! Le gamin maîtrise la God Hand. Le ballon s’arrête, fumant, dans le gant d’Endou. Endou a gagné. Il a gagné depuis longtemps, même s’il ne le savait pas. Mais son dernier arrêt a allumé des étoiles dans les yeux du mentor de Suki et elle les regarde briller lorsqu’il explose de rire.
Notes:
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Chapter 22: Devenir quelqu'un d'important pour eux
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Endou n’a pas eu la patience de laisser Hibiki repasser par le restaurant. Il l’a entraîné vers le collège, trépignant d'impatience à l’idée d’annoncer la nouvelle aux autres. Ils doivent être sortis de cours à l’heure qu’il est. Il n’a posé aucune question lorsque Suki leur a emboîté le pas. Les mains dans les poches, elle regarde son entrain colorer le trottoir sur son passage alors qu’ils s’approchent du portail. Même Hibiki se fend d’un sourire.
Dès leur entrée dans l’enceinte de l'établissement, Suki repère aussitôt le local. Ce n’est pas compliqué. Le minuscule bâtiment semble contenir entre ses quatre murs le soleil et quelques étoiles, dans un tel éclat que Suki se demande comment font les autres pour ne pas le remarquer. Endou court devant, leur fait signe de le rejoindre et ouvre la porte d’un coup sec.
— Les gars ! S’il vous plaît…
Il n’a pas besoin de demander longtemps le silence. Les conversations se taisent d’elles-mêmes lorsqu’ils aperçoivent qui entre dans son sillage. Sans un mot, Hibiki occupe tout l’espace de sa présence. Comme s’il retrouvait sa juste place. Comme s’il avait toujours été là. Le seul indice de son émotion de revenir là où il s’entraînait gamin est le frémissement de ses lèvres, cachées par sa moustache et sa barbe. Après une seconde d’hésitation, Suki vérifie que ses cheveux sont bien dissimulés sous son béret et se glisse dans son ombre. Endou désigne Hibiki et déclame devant leurs mines ahuries :
— Notre nouveau coach !
— Je suis Hibiki Seigou. Enchanté.
Les sourires fleurissent tandis qu’ils s’échangent des messes basses. Suki observe leurs auras s’animer à mesure que l’excitation d’Endou se propage. Elle sent aussi les coups d’œil s’attarder un instant sur elle, intrigués, jusqu’à ce que Kazemaru hasarde sans savoir comment poser la question :
— Et…
— Daburu.
Le commis d’Hibiki. Sa réponse, comme le menton qu’elle redresse, doivent être assez convaincants car leurs regards glissent sur son masque. Ils la saluent poliment – pas encore très sûrs de la raison de sa présence, mais elle non plus – et leur attention retourne sur leur nouveau coach. Intérieurement, elle soupire de soulagement lorsque Shuuya détourne les yeux, en dernier. Hibiki annonce :
— Yosh, c’est bientôt la finale, nous n’avons pas de temps à perdre. Et si vous me montriez où vous en êtes ?
— Eh !
— Je ne veux pas briser votre élan, mais il y a des formalités administratives à remplir avant.
Alors que les autres se sont déjà précipités dehors, Endou s’arrête en grimaçant sur le pas de la porte.
— Ça ne peut pas attendre ? tente-t-il de négocier avec Natsumi. Rien qu’un peu !
La manageuse secoue la tête, intransigeante. Daburu s’avance d’un pas.
— Je peux m’en charger, si vous voulez. Du moins en partie. Hibiki aura plus qu’à signer à la fin de l’entraînement.
Endou saute sur l’occasion et supplie Natsumi silencieusement. Cette dernière prend le temps d’évaluer la proposition avant d’acquiescer :
— On peut faire ainsi si c’est bon pour vous, Hibiki-san.
Ce dernier donne son accord. Endou laisse éclater la joie.
— Allez ! Les autres nous attendent !
Plus rien ne le retient et il disparaît dehors. Hibiki échange un regard avec son commis, comme pour s’assurer que tout va bien se passer, avant de sortir à son tour. Natsumi fait signe à Daburu de la suivre.
— Par ici.
***
Depuis l’incident avec Fuyukai, Natsumi insiste pour qu’ils s’entraînent dans l’enceinte du collège et leur a réservé le terrain d’office pour tous les soirs. Hibiki se tenait au bord de ce dernier, droit et fier, quand Suki l’a rejoint. Elle lui a trouvé beaucoup de prestance. Elle s’est installée à côté de lui sans un mot et Haruna s’est approchée dès qu’elle a vu qu’elle prenait des notes pour partager les siennes. Pendant qu’Aki rythmait les exercices de son sifflet, la jeune manageuse lui a présenté chacun des joueurs, faisant la discussion pour deux. Elle lui a aussi proposé de récupérer en partant les fiches de l’équipe au local, compilant les relevés du centre Inabikari – promis elle le lui fera visiter demain ! – et ses propres observations. Suki l’a remerciée à demi-mots, déstabilisée par son accueil si facile et rapide. Mais elle devra attendre pour étudier les fiches. L’entraînement s’est étiré dans le temps, les joueurs survoltés incapables de ressentir la fatigue. Quand Hibiki en a finalement sonné la fin, ils sont tous venus au Rairaiken pour fêter leur nouveau coach. Suki a alors retrouvé sa casquette de commis et joueurs comme manageuses n’ont quitté les lieux que tard dans la soirée. Même s’ils sont partis, leurs empreintes sont encore là, lumineuses, bruyantes, chaleureuses. Dans leur routine, Suki et Hibiki rangent.
— Alors, je dois t’appeler coach aussi maintenant ?
Le torchon qu’Hibiki lance à Suki la rate de peu.
— Va ranger les cartons au lieu de dire des bêtises.
Elle ramasse le tissu tombé au sol et le suspend devant l’évier avant de s’accouder au comptoir.
— Qu’est-ce que tu en penses, de tes nouveaux élèves ?
— Ils sont prometteurs. Ils iront loin.
La confiance et la fierté qu’il a envers ceux qui sont désormais ses protégés irradient dans toute la pièce. Sur un ton faussement fâché, Hibiki interrompt ses pensées déjà galopantes :
— Et la réserve ? Elle va se ranger toute seule ?
Suki lui tire la langue et s’esquive avant qu’il ne trouve autre chose à lui lancer.
***
Lorsqu’Hibiki se lève, tôt le lendemain, Suki est déjà en bas. Elle étudie les fiches étalées devant elle, le chat sur les genoux et une tasse à moitié vidée posée dans un coin de la table. Une autre attend le restaurateur sur le comptoir. Il en prend une gorgée brûlante en allumant le gaz.
— Tu as dormi au moins ?
— Hmmhmm…
Pendant quelques minutes, il n’y a que le bruissement du feu sous la bouilloire, celui de l’eau qui chauffe dedans et les ronronnements de Kibô. Hibiki observe sa protégée, les sourcils plissés par la concentration, tapoter son crayon contre sa lèvre avant de mordiller celle-ci tandis que ses yeux sautent d’une feuille de papier à l’autre. Elle les écarte pour lui permettre de poser un bol de riz, crève le jaune d’œuf du bout de ses baguettes. Hibiki s’assoit en face et ils mangent en silence jusqu’à ce qu’il pointe les fiches.
— Alors ?
Suki hausse les épaules. Qu’est-ce qu’elle est censée dire ? Elle ne sait même pas réellement ce qu’elle cherche…
— L’équipe est équilibrée. De ce que m’a dit Haruna, certains ont été répartis pour combler les postes vacants, mais ça correspond plutôt bien à leurs points forts. Il y a bien sûr des choses à travailler… mais en deux jours, ça va être court. J’ai pensé à des exercices pour… quoi ?
Elle s’interrompt en s’apercevant qu’Hibiki sourit. C’est agréable de la voir s’animer ainsi. Trop rare aussi.
— Rien ma belle, continue, la rassure-t-il. Des exercices tu disais ?
Suki laisse traîner le silence quelques secondes mais comme Hibiki refuse de partager ses pensées, elle reprend.
— Hum, en se basant sur leurs scores au centre Inabikari, on peut les séparer en trois groupes qui tourneraient sur les ateliers. En diminuant la durée de chaque itération au fur et à mesure pour augmenter la difficulté. Pour le premier, j’avais pensé à un toro, en changeant…
***
Suki n’avait pas anticipé qu’Hibiki appliquerait ses propositions le soir-même, dès l’échauffement terminé. Il n’a, à son grand soulagement, pas indiqué que les idées venaient d’elle mais elle n’en a pas besoin pour se sentir mal à l’aise. Elle ne se sent pas à sa place. Trop de monde, trop de perceptions dans un environnement qu’elle ne maîtrise pas. Comme la veille, plus ou moins contraints par Natsumi, ils ont investi le terrain de l’établissement, longés par les élèves qui ont fini leurs cours ou rejoignent leur club. Personne ne fait attention à elle, personne n’a questionné sa présence. Ça la perturbe autant que ça la rassure. Les fiches occupent ses mains et l’empêchent de les planquer au fond de ses poches. À peine Hibiki a-t-il fini de donner les consignes que les garçons se dispersent pour mettre en place les ateliers. Alors qu’Aki répète les groupes et que Natsumi regarde avec scepticisme le camescope qui lui a été confié, Haruna s’approche d’elle.
— Daburu ! Tu veux venir voir le centre Inabikari ?
La manageuse attend sa réponse et Suki cherche le soutien d’Hibiki, occupé à distribuer des foulards de couleur à l’un des groupes, avant de hocher la tête.
— Hum !
— Suis-moi… Tu veux bien prendre des gourdes ? On les remplira en revenant.
Suki prend la brassée de bouteilles vides qui lui est tendue et emboîte le pas d’Haruna. Au moment où elle perd le terrain de vue, Megane essaie d’expliquer le fonctionnement de la caméra à Natsumi. Elles contournent un des bâtiments, le brouhaha des élèves s’amenuise. Haruna lui fait poser les gourdes près du robinet qui dépasse du mur du gymnase avant de poursuivre sa route. Le silence s’épaissit à mesure qu’elles passent derrière les différentes bâtisses et s’enfoncent dans le parc. Enfin, elles s’arrêtent devant un cabanon. Il semblerait hors d’âge si ses murs ne tenaient pas encore fermement droit et que sa porte à double panneaux ne donnait pas l’impression de pouvoir résister à n’importe quel assaut. Le silence a été remplacé par le grondement lointain du tonnerre. Haruna sort la clé qui leur libère le passage sans un bruit et quand le panneau se referme derrière elle, l’ensemble s’ébranle. Un ascenseur. Suki a la conscience aiguë de s’enfoncer sous terre, des murs très proches et déglutit en se forçant à souffler doucement.
— Avant, personne ne savait ce que c’était, cette porte au milieu du parc. Il y avait même une légende qui disait qu’un élève avait disparu en la franchissant. Mais Natsumi a retrouvé dans les archives que c’était l’entrée du centre d’entraînement du Onze d’Inazuma. Tu vas voir, en bas, c’est incroyable !
Haruna meuble la courte descente et Suki s’accroche à sa voix pour garder le contrôle sur les battements de son cœur. La porte s’ouvre avec un léger ding. Aussitôt les sensations assaillent Suki. La patine des heures passées à s’entraîner, l’odeur de transpiration, les éclats de détermination, beaucoup de jurons et au moins autant de rires, quelques étincelles d’énergie vagabonde. L’équipe passée hante les lieux autant que celle d’aujourd’hui.
— Tu viens ?
Haruna est déjà sorti et l’attend trois pas plus loin, impatiente de lui montrer toutes les machines et les secrets des lieux.
— … là, ce sont les feuilles de score. Il y en a à côté de chaque machine, les garçons les remplissent quand ils font un exercice et nous les apportent après. C’est ce qui nous permet d’avoir les infos que je t’ai passées.
Suki hoche consciencieusement la tête aux explications d’Haruna. La manageuse s’est fait un devoir de lui présenter chaque machine et son fonctionnement, ponctuant son récit d’anecdotes sur les premières utilisations des garçons parfois cocasses. Naviguant de salle en salle dans le complexe plus grand que tout ce que Suki aurait pu supposer, elles sont déjà passées devant un tapis roulant large comme quatre personnes, inclinable dans tous les sens, une roulette de casino géante, un mur d’escalade évolutif et un projecteur de balles de tennis assez grand pour catapulter – à vitesse ajustable – des ballons de foot sur des cages solitaires. Même si elles sont à l’arrêt, Suki lit leurs mouvements, admirative de la mécanique qui se cache derrière, de leur ingénieux système de poulies, pistons et leviers, des bribes d’énergie qui s’accrochent dans leurs rouages. Celui qui les a conçues savait ce qu’il faisait.
— … d’accord, on a mis un peu longtemps à trouver comment faire marcher celle-là, mais Someoka et Kurimatsu étaient persuadés qu’il fallait grimper par ce côté. Du coup quand le mur tout entier s’est mis à bouger… ils ne sont pas restés longtemps en haut.
Suki ne peut retenir un sourire à la mésaventure des garçons tandis qu’Haruna embraye sur la suivante. Elle ne s’arrête jamais de parler et son silence n’a pas l’air de la déranger. Ça convient à Suki. Haruna claque des mains alors qu’elles reviennent devant l’entrée.
— Voilà ! Je crois qu’on a fait le tour. On va rejoindre les autres ?
Trop pressés pour les attendre, les garçons sont venus boire au robinet et ont rempli les gourdes par la même occasion. Aucun d’entre eux ne s’est attardé – pas envie de manquer la fin de l’exercice encore en cours. Les groupes attribués au toro et aux tirs aux buts ont terminé leurs ateliers, ne reste plus que celui pour lequel Hibiki a distribué les foulards tout à l’heure. Les spectateurs encouragent bruyamment leurs camarades. Au centre, Kageno et Kazemaru se disputent la possession. Le pied du second se glisse entre les jambes du premier, effleure le cuir, mais Kageno fait rouler le ballon de l’autre côté et se dégage. Kazemaru revient aussitôt à l’assaut à revers, recule juste à temps pour éviter la main de Megane tendue vers le foulard à sa ceinture. Kageno a moins de chance. Handa arrive dans son dos pendant qu’il est concentré sur Kazemaru et lui dérobe son bout de tissu pour le glisser à l'élastique de son short. Dépité, Kageno lui abandonne le ballon et Kazemaru change de cible. Tandis que le défenseur et le milieu se lancent dans une lutte acharnée, Megane et Kageno leur tournent autour, dans l’attente d’une ouverture.
Le coup de sifflet d’Aki les délivre de leur chassé-croisé infernal. Les joueurs regagnent le banc, dégoulinants de transpiration. Someoka tend une gourde à Megane et lui donne un coup dans l’épaule :
— Comment t’as eu Handa, à la fin ! Bien joué !
Megane s’étouffe avec sa gorgée et, écarlate, le remercie entre deux quintes de toux. Les autres reçoivent à boire à leur tour, Kazemaru profite de la pause pour refaire sa queue de cheval, l’élastique pincé entre ses lèvres. Sa vitesse l’a longtemps tenu hors de portée des tentatives de ses camarades pour lui dérober le foulard, mais la discrétion de Kageno l’a pris en traître à la toute fin. Celui-ci reçoit en rougissant les compliments de ses coéquipiers, le visage dissimulé derrière ses cheveux. Matsuno le taquine, mais Kabeyama et Shishido lui assurent qu’il a été génial. Plus loin, Aki et Domon rient car Endou a passé son bras autour des épaules d’Handa et refuse de le lâcher, l’abreuvement de détails sur ce qu’ils ont vu depuis le banc. Haruna regarde avec Natsumi les vidéos que cette dernière a prises et même si elles tremblent parfois, elles sont vraiment pas mal. Le groupe baigne dans une cacophonie curieusement harmonieuse qui pétille à la surface de la peau de Suki. Elle croise avec un sourire le regard d’Hibiki qui le lui rend. La commissure de ses lèvres se fane lorsqu’elle s’aperçoit que Shuuya l’observe et elle s’empresse de détourner les yeux. Puis Hibiki tape dans ses mains et signale que l’entraînement va reprendre.
— N’oubliez pas de changer d’exercice !
— Eh, Gouenji, je vais te mettre la misère ! clame Someoka en courant rejoindre le centre du terrain.
L’autre attaquant lui emboîte le pas en levant les yeux au ciel, aussi amusé qu’exaspéré. Le reste du groupe suit le mouvement et Suki retrouve son souffle, à nouveau presque seule au bord du terrain. La panique qui a un instant menacé d’exploser reflue. Invisible. Elle doit être invisible.
***
— … et on laisse Matsuno dans le couloir droit ? Je ne vois pas trop comment faire autrement.
— Hum. La formation qu’ils avaient sur les derniers matchs me paraît pas mal et on ne va pas tout changer au dernier moment.
— Faire entrer Kageno nous donnera un avantage.
Hibiki incite Suki à élaborer.
— Ça créerait un changement de rythme qui pourrait déstabiliser l’adversaire. Soit en fin de première mi-temps… ou pendant la seconde ? Et puis tout le monde a tendance à le sous-estimer.
Il reste un instant silencieux, encore une fois surpris de la pertinence de ses analyses et de la finesse des détails qu’elle perçoit, enchaîne avant qu’elle ne lui demande à quoi il pense :
— À la place de qui du coup ?
— Kurimatsu ? Ça décalerait Domon du côté droit au gauche, mais il se débrouille aussi bien des deux. À moins que ce soit lui qui sorte… Je crois que ça va dépendre de comment ça se passe et… de comment il joue contre ses anciens coéquipiers.
Suki termine sa phrase en baissant le ton et Hibiki la sent partir dans ses pensées jusqu’à ce qu’elle étouffe un bâillement.
— Tu devrais aller te coucher.
— Hmm ça va… La finale est demain et il faut encore que…
Pour la faire mentir, un deuxième bâillement lui décroche la mâchoire.
— Tu en as déjà beaucoup fait. Je te le promets, insiste-t-il devant sa moue circonspecte. D’ailleurs, ils ont beaucoup aimé tes exercices et les étirements que tu leur avais préparés. Même si certains ont râlé en se découvrant des courbatures qu’ils n’auraient jamais imaginé avoir un jour.
Un autre bâillement déforme le sourire de Suki. Elle se frotte les yeux, accepte de se lever. Hibiki rassemble les feuilles éparpillées sur le comptoir. Sentant l’heure du coucher approcher, Kibô s’est précipité sur la première marche des escaliers et exprime dans un miaulement que Suki met trop de temps à monter. Le regard noir d’Hibiki – pas dans les chambres – ne décourage pas le félin le moins du monde. Suki s’arrête contre le chambranle de la porte vers l’arrière-boutique.
— Eh, Hibiki… ils t’aiment bien aussi. Ça se voit. Je le vois. Tu… tu n’avais pas à t’en faire. Tu as parfaitement ta place en tant que coach.
Les lunettes et la barbe de l’homme ne suffisent pas à dissimuler l’émotion qui le traverse. Ces gamins l’épuisent autant qu’ils le motivent. Il s’approche de Suki et c’est elle qui se laisse aller contre lui en fermant les yeux.
— Au fait… Haruna m’a montré le centre Inabikari. Il est comme toi. Vieux.
Hibiki gronde et l’éclat de rire de Suki se perd dans son tablier. Kibô qui a entre-temps grimpé à l’étage l’appelle bruyamment. Il attendra encore. Alors que le silence se prolonge, Hibiki demande à mi-voix :
— Est-ce que ça va, ma belle ?
Elle enfouit un peu plus son visage dans sa poitrine, il pose sa main sur sa tête. Demain. Demain c’est la finale. Le match entre Raimon et… la Teikoku Gakuen. Elle prend une grande inspiration. Elle est terrifiée. Elle est épuisée aussi, mais l’insomnie n’est jamais loin. Le va-et-vient de la paume d’Hibiki dans son dos l’apaise. Il a évoqué tout à l’heure la possibilité qu’elle ne vienne pas, il s’est heurté à son refus catégorique et n’a pas osé insister.
— Ça va aller. Promis.
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Chapter 23: Ceux qui crachent vers les cieux
Notes:
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Chapter Text
Le train file à vive allure. Le front contre la vitre, Suki observe les bâtiments se succéder et joue avec le bord de sa manche, le ventre noué. Elle n’a pas vraiment dormi, elle n’a pas réussi non plus à aller au gymnase évacuer le trop-plein de sa tête. À la place, elle est restée roulée en boule au fond de son lit, Kibô lové contre elle, les yeux grands ouverts. Coincée dans le wagon avec l’équipe de Raimon – sauf Natsumi qui a préféré se rendre au stade par ses propres moyens – le brouillard de sa fatigue rend difficile la différence entre son appréhension et leur excitation. Au milieu de ses camarades, Endou s’est mis en chaussettes pour grimper debout sur son siège.
— C’est enfin la finale régionale ! On va pouvoir se battre à nouveau contre la Teikoku Gakuen. Montrons-leur le fruit de nos entraînements !
— Ouais !
Il n’y a personne d’autre dans le compartiment pour leur dire de faire moins de bruit et ils en profitent.
— Ojisan ! Euh, pardon, je veux dire… Coach Hibiki ! se reprend Endou. S’il vous plait…
Hibiki répond à la sollicitation et se lève dans l’allée. La main accrochée au dossier de son siège, il prend le temps de poser ses yeux sur chacun des membres de son équipe. Un silence relatif s’est installé, durant lequel ils le dévisagent tous.
— Je n’ai qu’une seule chose à vous dire, déclare-t-il posément. Vous pouvez être fiers du chemin que vous avez parcouru, fiers de vous. Je suis fier de vous. Réalisez votre plein potentiel. Ne laissez aucun regret derrière vous.
— Eh !
Le cri est unanime, vibrant d’émotion. Avec un bref hochement de tête appréciateur, Hibiki se rassoit et les discussions reprennent, le laissant seul avec ses préoccupations. Bientôt, ils arriveront à la Teikoku Gakuen. Dès qu’ils en franchiront le porche, ils seront à la merci de Kageyama. Son regard s’égare sur les gamins. Ils ne connaissent même pas la surface du danger que cet homme représente. Il ne laissera pas se reproduire ce qu’il s’est passé il y a 40 ans. C’est à lui de les protéger. De la protéger. À côté de lui, Suki remue, comme si elle devinait ses pensées. Il lui a encore demandé jusqu’à ce qu’ils embarquent si elle était sûre de vouloir venir. Sa réponse a toujours été la même. Il est le seul à remarquer son visage se fermer et sa tête se rentrer dans ses épaules à mesure qu’ils se rapprochent de leur destination. Elle ne devrait pas savoir aussi bien maintenir les apparences. Une ombre passe dans les yeux de cette dernière, le visage toujours tourné vers la fenêtre, au moment où Kabeyama bégaie :
— Qu-qu’est-ce que c’est ?!
Là-bas, au milieu des immeubles, un groupe de bâtiments dépasse de tous les autres, défigurant l’horizon. Sa silhouette se découpe dans le ciel gris, sombre, menaçante. Tous les joueurs se précipitent contre les vitres.
— On dirait une forteresse.
— C’est la Teikoku Gakuen.
Megane s’est faufilé devant Someoka, pointe l’une des bâtisses. La plus grande.
— Et là, au milieu, c’est le stade de la finale.
Ils n’ont pas voulu le croire. Le stade, ça ? D’accord, ils ont pris conscience durant leurs matchs que leur rectangle de terre battue sans gradins ni vestiaires est le bas du panier en termes de terrain, mais aucune des écoles qu’ils ont affrontées n’avait fait preuve d’une telle démesure. Impossible. Pourtant, maintenant qu’ils sont devant, fraîchement débarqués, ils doivent se rendre à l’évidence.
— Alors on va disputer un match dans un endroit pareil… souffle Endou.
Devant la porte qui fait facilement quatre ou cinq fois sa taille, il se tourne vers ses camarades, le sourire jusqu’aux oreilles.
— Je suis trop excité !
Son entrain est contagieux et tous lui emboîtent le pas. Suki déglutit. Elle resserre ses doigts sur la bride de son sac. Son instinct lui hurle de fuir. La porte immense est comme une gueule béante dans laquelle les membres de Raimon s’engouffrent un à un. Elle tressaille lorsque la main d’Hibiki effleure son épaule.
— Ça va ?
— Hum… Eh.
Son ton est étrangement convaincant mais elle n’est pas certaine qu’Hibiki soit dupe. Après une dernière grande inspiration, elle se laisse avaler à son tour.
L’émerveillement procuré par les couloirs aux allures futuristes dans lesquels ils avancent efface l’appréhension du match à venir dans le cœur des joueurs. Des corridors sombres et lisses aux éclairages indirects, tout contraste avec leur vieux local à l’odeur de sueur. Suki ne partage pas leur enthousiasme, à l’étroit entre les murs qui se referment sur elle. L’aura du oni est omniprésente. Elle émane du sol qu’elle foule, exsude des parois qu’elle longe, imprègne l’air qu’elle respire. Sous ses manches trop larges, l’agression impalpable lui donne la chair de poule. Pour la énième fois, alors qu’ils aperçoivent une porte avec leur logo placardé dessus, Suki passe une main sur sa nuque. Elle est habituée à la sensation permanente d’être épiée, au souffle glacé dans son cou. Enfin, elle le croyait. Ils sont trop forts ici pour la laisser les ignorer.
— C’est notre vestiaire !
La porte coulisse dans un chuintement feutré avant qu’Endou ne l’atteigne. L’équipe marque un mouvement de recul en apercevant celui qui se tient dans l’encadrement.
— Kidou !
Suki sursaute. Sa présence lui est passée inaperçue, derrière le brouhaha de ses pensées et l’empreinte du oni. Le groupe se tend, Haruna plus que les autres. L’intensité avec laquelle elle dévisage l’intrus déconcerte Suki. Les membres de Raimon bloquent le passage de Kidou et lui demandent ce qu’il fait là, suspicieux. Les demi-réponses de ce dernier alors qu’il botte en touche sont loin de les satisfaire. Qu’il souligne le fait qu’ils sont arrivés au stade indemnes n’aide pas, la trahison de Fuyukai fraîche dans leurs esprits.
— À t’écouter, on dirait que tu t’attendais à ce qu’on ait un accident ! tempête Someoka.
Ce n’est pas parce qu’il est venu s’excuser l’autre jour qu’il va croire qu’il est innocent. Si ça se trouve, il a piégé le vestiaire !
— Kidou n’est pas comme ça ! s’efforce de le calmer Endou.
Le concerné profite de l’instant de flottement qui suit pour se dégager du groupe. Sa cape frôle les doigts de Suki. Elle réfrène de justesse un instinct d’en attraper le pan, le cœur à mille à l’heure. Qu’est-ce qui lui a pris ? Ce geste ne lui appartient pas. Doucement, elle souffle. C’est la première fois qu’elle se trouve aussi proche de lui et… Il y a quelque chose de familier dans son aura, plus subtile que l’empreinte gravée de l’énergie du oni, presque incolore. Quelques notes, les restes d’une odeur, trop diffus pour qu’elle s’en saisisse avant qu’il ne s’éloigne. Il emporte avec lui les doutes qui tourmentent son esprit. Suki garde les yeux rivés sur son dos tandis qu’il dépasse les derniers joueurs, repoussé par leurs énergies hostiles. Sauf celle de Shuuya. Leurs regards se croisent brièvement au moment où le membre de la Teikoku passe devant celui de Raimon. Suki est surprise du goût qui lui envahit la bouche. De la confiance. Un accord implicite et fragile.
— Eh ! Ne crois pas pouvoir t’en sortir comme ça !
— Someoka-san, laisse… laisse Kidou-san tranquille !
— Lâche-moi, Shishido, toi aussi, Endou.
— Someoka… commence Hibiki.
— Coach ! Dites quelque chose !
— Someoka, calme-toi.
Hibiki n’élève pas la voix, mais son ordre est ferme. La mort dans l’âme, Someoka obtempère et renonce à retenir le capitaine de la Teikoku. Au moment de disparaître à l’angle du couloir, Kidou s’arrête une dernière fois.
— Désolé de m’être introduit ici.
— Hum ! Kidou, j’ai hâte de jouer ce match contre toi !
L’aura froide des lieux avale celle de Kidou tandis que l’écho de l’exclamation d’Endou s’éteint.
Suki s’ébroue. Les joueurs sont enfin entrés dans le vestiaire. Elle les y a suivis, avec les manageuses et Hibiki, et est restée en retrait pendant que le coach donnait la composition. Il leur a aussi prodigué ses derniers conseils, ses dernières recommandations, avant qu’un membre du staff ne vienne le chercher. Il les rejoindra au bord du terrain. Suki, sortie en même temps que lui, se retrouve seule. Adossée à côté de la porte, les yeux clos, elle écoute. Elle écoute les pas qui fourmillent dans le bâtiment, entre les inconnus et ceux qui ne le sont pas tout à fait, elle reconnaît Hibiki qui s’éloigne. Elle écoute Endou essayer de convaincre ses camarades sceptiques que Kidou est digne de confiance, il le sent dans ses tripes. Certains sont dubitatifs, elle ne peut pas les blâmer pour leur méfiance, mais s’ils lui demandaient son avis, elle se rangerait du côté d’Endou. Elle entend Aki claquer des mains pour conclure la conversation et recentrer l’équipe sur l’épreuve qui les attend. Ce qui compte, c’est le match et ils vont le gagner ! Elle écoute les discussions des joueurs se modifier, le calme revenir, remplacé par une profonde concentration, puis les manageuses partir de l’autre côté et les garçons se changer. Elle écoute encore. Enfin, elle se décolle du mur et prend, à l’instinct, la direction du terrain.
***
Les joueurs ont quitté les vestiaires mais Endou a fait un crochet de dernière minute. Une envie pressante. Kabeyama a constaté que, pour une fois, ce n’est pas lui, et les autres ont rigolé en prenant le chemin de la pelouse. Maintenant Endou doit les rejoindre et, sans médire de son sens de l’orientation, les couloirs se ressemblent tous, assez pour qu’il ne soit pas certain duquel il doit emprunter. Il y avait bien des panonceaux, mais il n’en voit plus… Ce qu’il voit, en revanche, c’est l’homme qui est apparu devant lui. Grand, très grand, en costume noir, avec les cheveux longs remontés en queue de cheval et – surtout – des lunettes de soleil. Endou reconnaît l’homme dont Onigawara leur a fait la description l’autre jour. Celui-ci prend la parole en premier :
— Tu es Endou Mamoru, le capitaine de l'équipe du collège de Raimon, n’est-ce pas ?
— Hum, répond le garçon, sur la défensive. Et vous êtes Kageyama, le coach de la Teikoku.
— … C’est exact. J’ai quelque chose à te dire. C’est à propos de Kidou.
— Endou ?
Le joueur sursaute à l’arrivée d’Hibiki. Celui-ci gronde dans la foulée en apercevant Kageyama aux côtés du garçon. Grondement qui s’amplifie lorsque l’homme se penche vers Endou en l’ignorant.
— Réfléchis à ce que je t’ai dit.
— Hum…
Avant qu’Hibiki ne franchisse la distance les séparant, l’entraîneur de la Teikoku Gakuen s’éloigne, non sans un dernier sourire à son adresse. Hibiki s’arrête à côté d’Endou et essaie de juguler son inquiétude lorsqu’il lui demande :
— Tu vas bien ? Qu’est-ce que Kageyama t’a dit ? Qu’est-ce qu’il a fait ?
— Il…
Songeur, Endou serre les poings, évite son regard.
— Il a souhaité bonne chance aux deux équipes pour le match.
— Vraiment ? insiste Hibiki sans cacher son scepticisme. Rien d’autre ? Tu es sûr ?
— Hum. Coach ? Les… les autres sont déjà sur le terrain, on devrait y aller, non ?
Après quelques secondes de flottement, Hibiki finit par acquiescer à contre-cœur. Ils se mettent en marche en silence. Pour la première fois depuis qu’il le connaît, quelque chose sonne faux dans l’enthousiasme d’Endou.
***
Le public commence à remplir les gradins. Déjà nombreux, son bruissement court sur le stade et s’ajoute au bourdonnement dans les oreilles de Suki. Elle regarde sans vraiment les voir les joueurs s’échauffer. Endou est enfin revenu des toilettes accompagné d’Hibiki – c’est plus rapide lorsqu’ils ne se perdent pas dans les dédales des couloirs – et a enfilé ses gants en vitesse avant de jeter sa veste sur le banc et de courir rejoindre ses camarades. Le retour de son mentor a allégé – un peu – le poids sur la poitrine de Suki. Elle se mord la lèvre. Les joueurs sont stressés par le terrain, par le public, par le match et ses enjeux, mais ce n’est pas cela qui préoccupe le gardien. Endou rate consécutivement plusieurs tirs faciles de Someoka, déclenchant les râleries de l’attaquant. Suki n’a pas eu besoin qu’Hibiki lui dise quoi que ce soit pour qu’elle sente les traces du oni dans les pensées d’Endou. Elle réprime un énième frisson, entend le joueur s’éclipser en s’excusant de ses maladresses. Il revient, juste le temps de se rafraîchir le visage. Natsumi dit quelque chose, Haruna répond à moitié. Suki suit le regard de cette dernière, tourné vers l’autre côté du terrain, vers les joueurs de la Teikoku Gakuen, agités. Curieux. Une fausse note fait dissoner leur harmonie pourtant rigoureuse et se propage jusqu’au banc de Raimon. Suki met quelques secondes – ou plus, elle se sent perdre la notion du temps – à en trouver l’origine. Kidou est absent. Elle essuie ses paumes soudain moites sur son pantalon. Pourquoi est-ce que ça la perturbe autant ?
— Où sont passées Aki-kun et Haruna-kun ?
Natsumi l’arrache à ses pensées, planté au milieu des sacs ouverts. La fille du président du conseil d’administration du collège ne s’est jamais vraiment occupée des corvées du club jusqu’à aujourd’hui – ce n’est pas comme si c’était quelque chose qui l’intéressait – et s’en retrouver en charge en l’absence des autres manageuses l’ennuie.
— … Je ne sais pas, répond Suki en réalisant qu’elle ne s’est pas aperçue de leur départ – combien de temps est-elle restée dans ses pensées ? Je vais t’aider.
Aki a suivi Endou jusqu’aux sanitaires dont il connait désormais le chemin. Elle l’y trouve accoudé aux lavabos, en train de s’asperger copieusement le visage.
— Endou-kun ?
Il bat des paupières, referme le robinet et attrape avec autant de surprise que de reconnaissance la serviette qu’elle lui tend.
— Oh, merci !
— Endou-kun… Est-ce que quelque chose ne va pas ?
— Non, tout va bien.
Il enfouit son visage dans le tissu pour éviter d’avoir à affronter le regard de son amie dans le reflet. Aki secoue la tête et insiste :
— Je commence à te connaître. Ça se voit, quand quelque chose te tracasse.
Elle marque un temps de silence, reprend plus doucement.
— Tu ne veux pas m’en parler ? Quelqu’un m’a dit un jour que, au foot, si quelqu’un ne peut pas défendre tout seul, ça marchera en s’y mettant à deux… neh ?
Le garçon sourit. Est-ce déloyal de le prendre au piège avec ses propres paroles ?
— Je ne fais pas le poids face à toi, Aki.
Il tourne le dos aux miroirs, s’appuie contre les lavabos en silence. Aki attend patiemment en l’observant jouer avec les peluches de sa serviette. Après une profonde inspiration, il se lance.
— Eh… eh, il y a bien quelque chose…
***
— Arrête-toi !
Kidou s’immobilise sous l’ordre qui claque dans les couloirs déserts. Enfin, presque. Il n’y a que lui pour les arpenter en large et en travers si peu de temps avant le coup d’envoi. Lui et Haruna. La manageuse de Raimon se plante en face de lui, une étincelle de colère douloureuse dans le regard.
— Qu’est-ce que tu manigances ? lance-t-elle. Pourquoi tu n’es pas en train de t’échauffer ? Endou-san te fait peut-être confiance mais tu ne me tromperas pas aussi facilement.
— Ça ne te regarde pas, répond-il en s’écartant, neutre, indifférent.
Dans son demi-tour, il voit les traits et les poings d’Haruna se crisper. En contrebas, par l’interminable baie vitrée s’étalant sur toute la longueur du couloir, les joueurs sur la pelouse, les spectateurs dans les gradins, sont minuscules, des fourmis grouillant dans une masse indistincte. Leur brouhaha ne parvient pas jusqu’à eux. Il s’éloigne d’un pas, une fois de plus, elle le retient :
— Tu as changé. Pourquoi ? Pourquoi tu m’évites ? … Je te dérange, c’est ça ?
Les larmes qu’il entend dans sa voix lui fendent le cœur. Kidou se mord les lèvres pour retenir les mots qu’il n’a pas le droit de prononcer. Heureusement qu’il lui tourne le dos, parce qu’à cet instant, il n’est pas certain de réussir à rester impassible. Heureusement qu’elle ne peut pas voir ses yeux et la supplique silencieuse de lui pardonner, d’attendre encore un peu, qui y danse. Pour Haruna, son silence est la pire des réponses.
— Je ne te reconnais plus. Tu es… tu es un inconnu !
Kidou fait volte-face mais elle est déjà partie en courant, laissant derrière elle l’écho de ses accusations. Le bruit de ses pas décroît avant de s’éteindre et le silence est soudain étouffant. L’ongle planté dans la chair de son pouce, Kidou se force à décrisper la mâchoire, à retrouver un semblant de maîtrise. Il a d’autres choses auxquelles penser. Le match va commencer et le temps lui manque. Pourtant, sa poitrine lui fait mal lorsqu’il reprend ses arpentements sans fin.
***
— Alors… c’est donc ça ?
Endou hoche tristement la tête en récupérant ses gants sur le rebord des lavabos.
— Si Raimon gagne… c’est terrible. Et injuste. Terriblement injuste ! Je ne veux pas que ça se termine comme ça… Mais je ne veux pas non plus qu’on perde le match, hein ! se reprend aussitôt Aki
— Eh, je sais, ne t’inquiète pas, la rassure Endou. Je pense la même chose… mais je ne vois pas vraiment de solution. Je veux gagner aussi. On va… on va trouver quelque chose ! Neh ?
Aki est soulagée de voir le sourire revenir sur le visage de son ami, même s’il est moins lumineux que d’habitude. Elle lui tient la porte pour regagner le couloir et, quand il passe devant elle, demande à voix basse :
— Mais, Endou-kun… est-ce que tu vas être capable de l’affronter en jouant à fond ?
Les poings d’Endou se serrent avant de se détendre.
— Il le faudra. On ne peut répondre aux sentiments que par les sentiments et aucun de nous deux n’accepterait une fausse victoire. C’est pourquoi je vais donner le meilleur de moi-même.
***
Assister Natsumi permet à Suki de garder un semblant de contenance. Les minutes s’égrènent et rythment les derniers instants de l’avant-match, terreau fertile pour ses angoisses. Tout se mélange. La nervosité des joueurs, celle de Domon plus forte que les autres. L’impatience du public, toujours plus nombreux. La tache que la tristesse d’Haruna laisse dans le gazon en déteignant. La détermination d’Endou, aussi flamboyante que troublée. Trouble qui s’est propagé à Aki même si la manageuse fait de son mieux pour le dissimuler. Le pli sur le front d’Hibiki, creusé par le coup de fil d’Onigawara à l’instant. L'agitation croissante des coéquipiers de Kidou face à l'absence de ce dernier qui se prolonge. L’entrelacs des énergies des joueurs et des spectateurs, assourdissantes. La présence du oni, invisible, menaçante. Et elle… au milieu de tout ça, elle… Suki s’accroche à ses gestes répétitifs pour ne pas sombrer, quitte à aligner en boucle les trois mêmes bouteilles. Si elle arrivait à retrouver ses pensées dans le grouillement qui remplit le stade, elle se demanderait pourquoi elle n’a pas accepté la proposition d’Hibiki de ne pas venir. Non, elle sait pourquoi. Pour Shuuya, pour Hibiki, pour Raimon. Parce qu’elle refuse de les laisser partir dans les griffes du oni, parce qu’elle croyait naïvement qu’elle serait capable de faire quelque chose. Hibiki pose sa main sur son épaule. La présence de son mentor se dresse comme un bouclier à celles – envahissantes – des autres. Silencieusement, il lui demande si ça va, prêt à rompre le contact au moindre signe de sa part. C’est elle qui le prolonge en faisant signe que oui – piètre mensonge. Suki inspire profondément, souffle, se retient de passer ses doigts sur sa nuque gelée. Les joueurs des deux équipes gagnent le couloir pour l’entrée officielle du terrain sur un signe de l’arbitre, ceux de Raimon frôlent leur banc et le vacarme s’atténue. Ce n’est plus vraiment un mensonge. Elle voulait les protéger, ils ont renversé les rôles sans même s’en rendre compte.
***
Kidou a beau connaître par cœur le dédale de la Teikoku Gakuen, tous les couloirs finissent par se ressembler. Il les a passés au peigne fin, comme le terrain et ses abords, comme les vestiaires, comme les gradins. Sans rien trouver. Pourtant, il y a forcément quelque chose. Le match est sur le point de commencer. En bas, le grouillement s’est intensifié. Pourquoi s’attarde-t-il encore ici, si haut ? Pourquoi son instinct a-t-il guidé ses pas jusque dans les hauteurs du stade ? Kidou pose sa main sur la vitre froide, sur la paroi de verre qui le sépare de ceux qui ignorent tout de ce qu’il se trame, de ceux avec et contre qui il va jouer. Il est impatient d’affronter Endou et Gouenji. C’est la première fois qu’il aborde une rencontre avec un tel sentiment. Il a toujours été confiant, il savait à chaque fois comment la partie allait se terminer et anticipait la satisfaction de constater que tout allait se dérouler comme prévu. Mais il n’a jamais été impatient. Est-ce le cas pour ses coéquipiers également ? Les pétillements de la sensation sont gâchés par l’angoisse sourde qui le pousse à repasser encore là où il est déjà passé cent fois. Il a parlé de ses envies à ses camarades – jouer de manière juste et loyale, gagner par sa sueur et ses efforts – et ils ont accepté de le suivre, Sakuma et Genda en premiers. Mais il sait que le commandant n’est pas du même avis. La défaite est pathétique. Les perdants n’ont pas le droit d’exister, seule la victoire a de la valeur. Ils n’ont qu’à suivre ses directives, ils ont déjà gagné. Kageyama le lui a encore répété, tout à l’heure. Mais Kidou ne lui fait plus tout à fait confiance – enfin, il croit. Alors il cherche, et le temps lui glisse entre les doigts.
Il est revenu juste à temps pour l’entrée des équipes sur le terrain. Tous les regards se sont tournés vers lui, ceux neutres des arbitres, ceux inquiets et interrogateurs – alors, il a trouvé ? – de ses coéquipiers ou méfiants pour la plupart des membres de Raimon – Domon a évité de croiser le sien – mais Kidou s’en moque. Alors qu’il prend sa place en tête de la colonne de la Teikoku Gakuen, qu’au bout du couloir les cris et les applaudissements de spectateurs résonnent, que les joueurs des deux équipes se mettent lentement en marche, son esprit ne connaît pas un instant de repos. Les dernières secondes, le sang battant aux tempes et le pouce frottant le bout de ses autres doigts. Les dernières secondes pour trouver le piège du commandant.
Les marches pour atteindre le terrain ne lui ont jamais paru aussi nombreuses et courtes à la fois. Les pas de ses camarades, de ses adversaires, marquent la cadence comme les grains du sablier qui s’écoulent au ralenti avec fatalité. Où ? Où est le piège ? La lumière des projecteurs avale Endou, un pas devant lui. Kidou a soudainement l’impression de sentir avec une précision étouffante la présence de ceux qui marchent à ses côtés, celle grouillante du public lorsqu’il débouche sur la pelouse. Les autres sourient. Il en est incapable. Où est-ce que ça peut bien être ? Aligné avec les autres dans le rond central, Kidou entend à peine l’arbitre parler et ce dernier n’ose pas lui faire de rappel à l’ordre lorsqu’il s’aperçoit qu’il ne l’écoute pas. Le commandant doit l’observer scruter autour de lui. Est-ce que ça l’amuse, de le voir se débattre avec son défi ? S’il était à sa place, qu’est-ce qu’il aurait fait ? La rumeur du public semble répéter la dernière phrase de Kageyama avant qu’il ne quitte son bureau tout à l’heure. La colère des dieux s’abat sur ceux qui crachent vers les cieux. Kidou se fige, lève les yeux. Se pourrait-il que…
Si Sakuma ne lui avait pas donné un coup de coude discret dans les côtes, Kidou aurait manqué le début des poignées de mains. Les joueurs de Raimon défilent. La poigne de Someoka est plus ferme que nécessaire, sa paume rugueuse contre la sienne, mais ne parvient pas à troubler le calme apparent de son visage. La main d’un milieu, un roux avec des taches de rousseur, tremblait un peu, probablement d’excitation. Gouenji attarde la sienne, chaude et sincère, juste assez pour capter son attention et croiser son regard. À lui, Kidou n’arrive pas à cacher la tempête qui agite son esprit. Elle rugit si fort qu’il a l’impression que tout le stade va l’entendre lorsqu’il se penche à l’oreille d’Endou. Celui-ci s’immobilise et le dévisage. C’est là que tout se joue. Dans cette poignée d’instants, dans les yeux d’Endou. Une étincelle s’y allume. Le temps s’étire encore. Puis les capitaines, derniers joueurs de leur équipe respective, quittent à leur tour le rond central.
— Nous y sommes ! La finale de la région de Kanto du Football Frontier ! Le collège de Raimon contre la Teikoku Gakuen !
Keita hurle dans son micro et la foule lui répond encore plus fort, à en faire trembler les gradins. L’arbitre lève le bras. Suki se mord l’intérieur de la joue, serre les doigts sur le bout de ses manches. Elle a vu Kidou rejoindre son équipe à la dernière seconde et traverser le terrain, le cœur affolé malgré elle par les préoccupations du joueur. Elle l’a senti chercher quelque chose, autour, quelque part, même avec des moyens dont il ignore disposer. Elle n’a rien écouté des présentations du commentateur, du tirage du coup d’envoi. Personne d’autre qu’elle n’a vu l’éclat de la révélation qui a traversé le capitaine de la Teikoku à la dernière seconde. Comme personne n’a entendu le coup de tonnerre qui a ébranlé Endou, couvrant ce que Kidou lui a chuchoté. Le cœur de Suki n’a pas battu moins vite alors que les joueurs se positionnaient, l’étau qui lui compresse le crâne ne s’est pas desserré. Elle est terrifiée. Mais elle a confiance. Étrangement, elle a confiance. C’est la seule chose à laquelle elle s’accroche, la seule qui l’empêche de sombrer. L’arbitre baisse le bras. Le oni est là, il est partout. Un fracas métallique recouvre le coup de sifflet et attire des milliers de regards vers les hauteurs du stade. Il rit. Et la moitié du terrain disparaît sous le métal et la poussière.
Notes:
Non, Kageyama n'a aucun scrupule à tuer des enfants. Absolument aucun.
☆゚. * ・ 。゚☆ Si le chapitre vous a plu, pensez à laisser un kudo ou un commentaire ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 24: Leurs décisions. Et leurs conséquences
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Un silence de mort s’abat sur le stade. Les haut-parleurs crachotent les bégaiements étranglés de Keita avant de se taire. Même les auras des spectateurs sont soudainement muettes. Une poutre finit de s’affaisser dans un grincement déchirant et le claquement sourd fait sursauter tout le monde avant de s’étouffer. Les yeux écarquillés d’horreur, Aki a plaqué ses mains sur sa bouche et Haruna s’est laissé tomber sur le banc, les jambes coupées. Megane l’aurait suivie s’il ne s’était pas accroché à Natsumi et Kageno. Hibiki vacille. Il savait que Kageyama était une ordure mais jamais… jamais il n’aurait imaginé qu’il irait aussi loin… Les gamins… ce n’est pas possible… Aux premières loges, les joueurs de la Teikoku sont figés d’effroi. Le seul à paraître imperturbable est Kidou, qui observe sans ciller tomber l’opaque poussière en suspension sur l’autre moitié de terrain. Ses poings serrés dissimulés derrière les pans de sa cape sont les uniques témoins de ses réels sentiments. Dans le silence assourdissant, Suki n’entend plus que son cœur battre à tout rompre et…
Et onze auras.
Avant tout le monde, elle connaît le dénouement du suspens qui leur noue les tripes. Avant tout le monde, elle glisse sa paume dans celle d’Hibiki et la serre doucement.
— Qu’est-ce que… balbutie Keita.
Quand l’imposant nuage se dissipe assez pour dévoiler la pelouse transpercée de poutres, quand aux yeux de chacun se révèlent les joueurs de Raimon, indemnes, regroupés dans leur surface, Suki se fait écraser par le fracas. Les cris de plus en plus rapides de Keita, ceux des spectateurs, même leurs respirations, sont douloureusement bruyants, amplifiés par l’intensité de leurs émotions libérées. Alors que Kageno et Megane se prennent dans les bras et que Natsumi et Aki aident Haruna à se relever en pleurant de soulagement, Hibiki passe sa main dans son dos avec un soupir tremblotant et, submergée, Suki ferme les yeux.
Le cerveau d’Endou se remet lentement en marche. Devant lui, ses amis sortent à leur tour de leur stupeur, encore trop choqués pour parler, se contentant d’échanger des regards écarquillés. Ils peinent à réaliser à quel point ils ont frôlé la mort de près et le miracle par lequel ils sont encore en vie. Miracle qui ne tient qu’à quelques mots chuchotés et en la confiance absolue que leur capitaine a placée en Kidou. Endou se force à retrouver l’usage de ses jambes en apercevant celui-ci quitter le terrain d’un pas décidé, talonné par quelques-uns de ses coéquipiers. Il se lance à sa suite malgré les protestations venant du banc qui tentent de le retenir. Le chemin emprunté par les membres de la Teikoku dans les couloirs lui est obscur, il se contente d’essayer de ne pas se faire semer et les rattrape au moment où Kidou passe une porte, sa cape claquant dans son dos.
— Commandant ! Alors c’est comme ça que vous comptiez gagner ? l’entend-il gronder.
Le bureau de Kageyama. Endou reconnaît l’homme à son bureau dès qu’il passe la tête par l'entrebâillement. Celui-ci regarde Kidou approcher, impassible.
— La colère des dieux s’abat sur ceux qui crachent vers les cieux. Cette phrase que vous m’avez répétée… Ça a été votre erreur et la raison de l’échec de votre sinistre plan.
— Je ne saisis pas où est-ce que tu veux en venir, répond calmement Kageyama en s’appuyant contre son dossier. As-tu une preuve de tes accusations ?
Si son ton est égal – avec une pointe de menace que Kidou ne connaît que trop bien – sa provocation se ponctue d’un sourire suffisant. Kidou se crispe, pris en défaut – non il n’en a aucune, rien que son intuition et ses certitudes, inutiles contre un homme tel que le commandant. Une voix s’élève derrière lui :
— Peut-être que le gamin n’en a pas, mais moi j’en ai. Et j’en trouverai d’autres, autant qu’il le faudra.
Onigawara s’avance à grands pas dans la pièce, escorté de deux de ses hommes et d’Hibiki. L’inspecteur a prévenu son ami de son arrivée juste avant le début du match, trop tard hélas pour empêcher celui-ci. Le coach de Raimon s’arrête aux côtés des garçons tandis que les hommes de loi encadrent Kageyama.
— Kageyama Reiji, venez avec nous, ordonne Onigawara. J’ai beaucoup de questions à vous poser sur tout ce que vous avez fait depuis 40 ans.
En prenant son temps, le coach de la Teikoku Gakuen se lève. Alors que les hommes de l’inspecteur lui passent les menottes, Kidou, au travers des verres qui dissimulent leurs yeux, le fixe et s’adresse à celui qui a été, des années durant, son mentor. Jusqu’à aujourd’hui.
— Je ne vous suivrai plus. Je ne vous obéirai plus. Je ne combattrai plus sous vos ordres.
— Nous non plus.
Kidou ne peut s’empêcher de se retourner vers Sakuma et Genda. Leur soutien le surprend et le touche. Ils ont accepté de le suivre et, malgré les implications dépassant de loin tout ce qu’il aurait pu prévoir, ils n’envisagent pas de l’abandonner. Kageyama ne réagit pas à sa déclaration emplie de colère.
— Faites ce que vous voulez. Je n’ai plus besoin de vous.
Il marque une pause, pose le regard inexpressif de ses lunettes sur Kidou.
— Dis-moi. Es-tu prêt à assumer les conséquences de ta défaite ?
Kidou tressaille, plante l’ongle de son pouce dans la chair de son index.
— Ça suffit les menaces, rabroue Onigawara en l’incitant à avancer.
Escorté, Kageyama traverse la pièce, dépasse chacune des personnes présentes d’un pas lent et mesuré. Au moment de disparaître dans le couloir, au moment où la porte se referme sur lui, il sourit. Kidou est sans doute le seul à l’avoir vu, mais il ne peut pas l’avoir imaginé. Ce sourire n’était destiné qu’à lui et à lui seul. Comme si tout cela n’avait été qu’un test. Et Kidou a la désagréable sensation d'avoir fait exactement ce qui était attendu de sa part.
Ce n’est qu’après que le silence soit revenu dans le bureau que Kidou réalise qu’il n’est pas seul avec ses amis. À la surprise de ces derniers, il plaque les bras le long de son corps et s’incline.
— Coach Hibiki, Endou, je vous présente mes excuses. Ce qu’a fait le comman… Kageyama est horrible et impardonnable. Nous allons déclarer forfait.
— Eh ? Qu’est-ce que tu racontes ?! s’indigne Endou.
— Nous devons endosser la responsabilité de ce qu’il s’est passé.
Le ton de Kidou est grave, alourdi par le poids de la culpabilité des actions de Kageyama. Derrière lui, Sakuma et Genda approuvent silencieusement. Endou balbutie une protestation, se tourne vers Hibiki. Ce dernier pose sa main sur son épaule.
— Endou, ce n’est pas à moi de décider. Accepter leur offre ou jouer le match, c’est votre décision, à toi et aux membres de l’équipe.
— Coach…
Endou dévisage Kidou et ses camarades. Leur décision, eh ? La sienne, il l’a déjà prise, et il sait que les autres seront d’accord. L’immense sourire qui barre son visage prend ses adversaires au dépourvu, si lumineux que Sakuma porte par réflexe sa main à son cache-œil.
— Évidemment qu’on va le jouer, ce match !
Kidou, désarçonné par la rapidité et la franchise de sa réponse, l’observe un instant se frotter le nez.
— Merci.
***
— Daburu ?
Aki s’avance pour effleurer le bras du garçon encore assis sur le banc et se retient au dernier moment. Le commis bat des paupières, tourne la tête vers elle quand elle reprend :
— On va… on va y aller. Ça va ?
— Hum, merci. Et toi ?
— Eh…
Elle n’est pas certaine qu’il l’ait entendue. Pâle, il a l’air d’avoir l’esprit ailleurs. Les gradins sont désormais presque vides. Après le tumulte qui a suivi l’effondrement d’une partie de la structure supérieure du stade et le soulagement de découvrir que tout le monde allait bien, il y a eu un moment de flottement. Durant ce lapse de temps, des policiers ont envahi le terrain que les joueurs ont été invités à quitter. Aki a pris sur elle, avec Haruna, Natsumi et les remplaçants, pour s’occuper des garçons regroupés autour du banc. Un médecin est passé s’assurer que tout allait bien. Puis ils ont attendu, ce qui lui a semblé une éternité, pour savoir ce qui allait se passer ensuite. Endou et Hibiki sont revenus, le capitaine leur a fait part de la proposition qui lui a été faite. Ce qu’il a choisi est évident. Ils n’ont pas été longs à partager sa décision à l’unanimité et Hibiki est parti avertir qui de droit. Puis ils ont attendu, encore. Enfin, Keita a repris la parole pour annoncer le verdict. Le match est maintenu, il se tiendra dans le terrain annexe de la Teikoku Gakuen, les spectateurs sont invités à s’y rendre dans le calme. Et maintenant il est temps pour eux d’y aller à leur tour. Aki ramasse les dernières gourdes. De l’autre côté du terrain, les joueurs de la Teikoku Gakuen récupèrent leurs affaires également, après avoir obtenu que leur préparateur physique soit leur coach de remplacement pour le match. Aki se retourne vers le banc, en réponse Daburu s’ébroue et lève. Il prend un sac, se porte à son niveau et ensemble ils emboîtent le pas au reste de l’équipe.
***
— Après ces effrayantes péripéties, la finale régionale pour départager Raimon et la Teikoku Gakuen va enfin pouvoir débuter !
La foule accueille la déclaration avec fracas. Les joueurs prennent place sur le nouveau terrain, Endou et Kidou échangent un sourire en se séparant après la poignée de main renouvelée. C’est maintenant que le match commence réellement. Les deux équipes se font face, trépignent. Le stade entier retient son souffle lorsque l’arbitre lève le bras et signale le début de la rencontre, et le soulagement général est palpable alors que le ballon roule sur le gazon.
— La première attaque est pour Raimon !
En pointe, Gouenji fend les rangs de ses adversaires. Le souvenir de la finale nationale de l’année dernière et de la promesse qu’il n’a pas pu réaliser le porte. Il la tiendra cette année. Il gagnera jusqu’à ce que Yuuka se réveille et il gagnera encore après pour voir les étoiles briller dans ses yeux.
Deux défenseurs viennent au contact. Il talonne à l’aveugle derrière lui, saute par-dessus leur tacle sans ralentir. Le ballon trouve les pieds de Someoka dans son sillage et ce dernier répond aussitôt à sa sollicitation muette.
— Dragon…
Le public hurle de voir une hissatsu technique aussi tôt dans la partie. Ça c’est du spectacle ! Someoka et Gouenji déroulent, rôdés. Le dragon surgit et se vêtit de feu.
— … Tornado !
Jamais ils ne l’ont effectuée avec autant de fluidité. La bête se rue sur le gardien de la Teikoku Gakuen en rugissant. Celui-ci fait tourner son poignet et percute le sol de son poing.
— Power Shield !
L’onde de choc de son coup irradie autour de lui, bouclier lumineux contre lequel le ballon se fracasse. Les énergies des attaquants de Raimon luttent contre celle du portier, les griffes du dragon crissent contre la barrière intangible. Dans un craquement, il disparaît, ne laissant derrière lui qu’une poignée d’écailles enflammées. Elles se font balayer à leur tour par le contrecoup de l’hissatsu technique de Genda qui fait reculer Gouenji et Someoka d’un pas en les percutant. La balle retombe au sol, inerte.
— Le voilààààà ! Le Power Shield de Gendaaaaa ! Voici la puissance du meilleur gardien du pays !
— Il est vraiment fort. Lui prendre un but va être sacrément difficile.
Megane remonte ses lunettes sur son nez, impressionné. Suki détaille un instant le gardien et les marques orangées barrant ses joues sous ses yeux.
— Je connais un gardien qui est meilleur que lui, rétorque Natsumi en souriant.
Ceux présents sur le banc de Raimon se tournent vers leurs cages et Endou qui se tient droit au milieu. L’éclat de l’aura de Natsumi s’avive, celui de celles de Kageno et de Megane aussi. Hibiki approuve d’un signe de la tête. Haruna ne réagit pas, son attention et son esprit restés de l’autre côté du terrain. Suki se mord l’intérieur de la joue. Il n’y a qu’elle pour se rendre compte qu’Aki se tord les mains. Comme il n’y a qu’elle pour sentir le vent glacial qui malmène la lumière d’Endou et reconnaître la voix dans le creux des bourrasques.
Genda remet en jeu. En deux passes, le ballon arrive dans les pieds de Kidou. Le capitaine de la Teikoku Gakuen remonte le terrain, s’appuyant sur ses coéquipiers sans avoir besoin de les regarder. Le chant collectif de la Teikoku est militaire, rigoureux, cadencé au millimètre. Chaque membre a sa place bien précise dans le rouage de l’équipe et ce que cette dernière perd en fantaisie, elle le gagne en efficacité. C’est à peine si l’incroyable machine qu’elle forme est ralentie par les milieux et la défense de Raimon. Sa pièce centrale, Kidou, la tire de l’avant sans faille. Suki ramène ses talons contre ses fesses, cale son menton dans ses genoux. Le stratège progresse vers les cages avec détermination et toujours le sentiment de familiarité qu’elle ne s’explique pas.
Il doit gagner. Ce ne sont pas les raisons, les personnes pour lesquelles Kidou veut décrocher la victoire, qui manquent. Elles ont toutes une place importante dans son cœur et ce sont elles qui animent la course de ses jambes et les courbes de ses esquives. Il y a d’abord, surtout, Haruna et l’accord qu’il a passé pour elle. Il avait, il n’y a plus le commandant et le destin qu’il avait tracé pour lui. En revanche, il y a, d’autant plus fort, ses camarades qui croient en lui, qui ont accepté de continuer à se battre à ses côtés, qui lui font confiance autant qu’il leur fait confiance. Et puis, il y a Endou, Gouenji et les autres de Raimon, qui ont tout de même voulu jouer le match alors que rien ne les y obligeait. C’est son gage de gratitude, il se doit de jouer à fond, de se montrer à la hauteur des sentiments de chacun. Son égo et sa gloire personnelle ne font pas partie de l’équation. Il dépasse Shourinji, centre.
— Kidou envoie la balle haut dans les airs pour Jimon !
L’attaquant idéalement placé martèle le cuir de ses crampons en rafale et décoche son tir d’un double coup de talons.
— Hyakuretsu Shot !
Endou a déjà affronté le tir, lors du premier match contre la Teikoku Gakuen. À l’époque, il ne faisait pas le poids. Mais depuis, il s’est entraîné et il a évolué. Raimon est confiant. Endou n’aura aucun mal à l’arrêter.
— Nekketsu Punch !
Endou lance son poing ardent. Le ballon se heurte à l’énergie brûlante, ripe dessus.
— Oh non, il lui a échappé ! Transversale ! La transversale a sauvé Raimon !
Le choc de la balle contre la barre résonne dans l’esprit d’Endou alors qu’il récupère son équilibre et que ses coéquipiers soufflent de la frayeur qu’il vient de leur faire. Pendant que l’un des joueurs court chercher le ballon pour le corner, le gardien regarde son gant, comme pour y trouver une explication.
— Ce n’est pas grave, Endou, le réconforte Kazemaru, premier défenseur à le rejoindre.
Kabeyama et Kurimatsu renchérissent :
— C’est normal d’être encore perturbé, après ce qu’il s’est passé…
— On compte sur toi, Cap’taine !
— Eh, hum !
Endou leur sourit en priant pour qu’ils ne remarquent pas l’hésitation dans sa voix. Ce ne sont pas les poutres s’effondrant sur le terrain qu’il avait dans l’esprit à l’instant. Il doit se concentrer. Il se tapote les joues et évite le regard inquiet d’Aki sur le banc.
— C’est Kidou qui fera le corner pour la Teikoku.
Les joueurs des deux équipes jouent des coudes dans la surface. Dès le coup de sifflet, Kidou lève la balle pour le centre. Au milieu du groupe, Sakuma se débarrasse de Shishido, saute plus haut que Kazemaru, devance Kabeyama d’une tête et ajuste le cuir dans la lucarne. Gêné par Domon qui ne fait que l’effleurer, le ballon dévie et perd en vitesse.
— Il arrive droit sur Endou !
Du pain bénit pour le gardien qui n’a qu’à ouvrir les bras pour le réceptionner. Les yeux de ses camarades s’écarquillent lorsque le cuir lui glisse des gants.
— Eh ?! Endou a mal réceptionné ! L’action n’est pas terminée !
Endou se jette sur le ballon et le plaque au sol avant que quiconque n’ait le temps de le récupérer. Coéquipiers comme adversaires pilent, Matsuno et Domon font rempart de leur corps, juste au cas où.
— Ce n’est pas passé loin. Que t’arrive-t-il, Endou ?!
Ils veulent tous la réponse à la question de Keita. Tandis que les joueurs de la Teikoku s’écartent, les membres de Raimon se rapprochent de leur gardien pour le rassurer, l’inviter à se ressaisir aussi. Resté à l’arrière du groupe, Gouenji fronce les sourcils. Ces dernières semaines, il a appris à connaître Endou, à se laisser guider par la lumière de son ami, et les erreurs qu’il accumule ne lui ressemblent pas. Non, à cet instant, il ne discerne plus sa lumière, rien que des nuages qui bloquent tout éclat.
Il ne faut pas plus de trois secondes à Kidou pour anticiper la relance d’Endou et récupérer la possession dès la remise en jeu. Il déjoue successivement Shishido et Handa, ne ralentit pas quand Kabeyama se dresse devant lui. En coinçant la balle contre son talon, il la remonte par-dessus son épaule et celle de son adversaire, profite de la surprise de ce dernier pour le contourner. Il n’a plus qu’à récupérer le cuir de l’autre côté pour conclure sa percée foudroyante.
— Kidou est en face-à-face avec Endou !
Le capitaine de la Teikoku lève le pied, arme sa jambe en criant, en appelant le gardien. Depuis le temps qu’il attend ce duel. Endou stabilise ses appuis, cherche à lire dans ses yeux la trajectoire que va prendre son tir. Un instant, Kidou perçoit une hésitation, mais il est trop tard pour s’arrêter maintenant.
— Est-ce que la Teikoku va prendre l’avantage ?!
Tout se joue entre eux deux, à cet instant. Du moins c’est ce que Kidou croyait. Au moment où il tire, Gouenji, revenu depuis l’attaque, surgit devant lui, les deux pieds contre le ballon. Ils luttent, le visage éclairé par l’énergie crépitant dans le cuir.
Le duel se prolonge, tenant le souffle des spectateurs en haleine, avant que Kidou ne cède et titube en arrière. Le tacle de Gouenji se prolonge et l’attaquant de Raimon emporte la balle avec lui. L’un des camarades de Kidou se précipite sur lui pour lui ravir la possession sans le laisser se relever. Dans la foulée, le joueur en vert et brun scrute autour de lui et, apercevant son capitaine ciller, le visage contracté, avorte sa passe en touche.
— Oh non, est-ce que Kidou se serait blessé à la jambe ?
Le public regarde, inquiet, Kidou boitiller vers le bord du terrain.
— Merci pour le sauvetage, Gouenji ! remercie Endou.
Celui-ci le dévisage par-dessus son épaule et se détourne sans un mot.
Suki sent avant de le constater le vide à côté d’elle. Haruna n’est plus là. Il ne lui faut pas longtemps pour la retrouver. Elle a longé la ligne de touche et s’est agenouillée à côté de Kidou, devançant le médecin, encore de l’autre côté du terrain. Concentrée, elle applique une poche de glace sur la cheville du joueur de la Teikoku Gakuen. La respiration de Suki se bloque dans sa poitrine. La vérité qui lui échappe depuis tout à l’heure la frappe de plein fouet. Les courbes de leurs auras, leurs couleurs et leurs nuances, les restes parcellaires d’odeurs, même certains de leurs mouvements, quelque part dans leur granularité contre sa peau. Peut-être aussi l’éclat de certains souvenirs qui affleurent la surface de leurs énergies, ou la manière dont Haruna regarde le capitaine de la Teikoku, dont Kidou pose les yeux sur la manageuse de Raimon. Autant de détails qui ne permettent plus à Suki d’ignorer l’évidence. Kidou Yuuto. Otonashi Haruna. Comment a-t-elle fait pour ne pas se rendre compte qu’ils sont adelphes ?
Notes:
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Chapter 25: Ses coéquipiers d'hier et d'aujourd'hui
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Ça ne l’étonne pas de la part de Gouenji… Les fesses dans l’herbe, Kidou palpe son articulation douloureuse. Il a quitté chaussure et chaussette pour appliquer ce que les leçons de médecine du sport lui ont appris. Ce ne sont que des bases rudimentaires mais il a toujours jugé important que son équipe sache se débrouiller face aux petits incidents des matchs et des entraînements. Kidou retient un sifflement entre ses dents quand la douleur monte en pic et se prépare à dire au médecin qui approche que ce n’est pas la peine avant de se rendre compte que ce n’est pas l’homme trentenaire auquel il s’attendait qui s’accroupit devant lui. La douleur reflue sous le froid contre sa peau.
— Haruna… pourquoi ?
Sa sœur a l’air aussi perdue que lui, les doigts crispés sur la poche de glace.
— Je… je ne sais pas. Mon corps a bougé tout seul avant que je ne m’en rende compte.
Il y a dans la tentative de sourire qu’elle esquisse le souvenir de toutes les fois où, à l’orphelinat, elle lui apportait un linge humide pour se débarbouiller quand il s’était battu avec les grands qui l’embêtaient. Ça lui semble si loin. En silence, il la laisse piocher dans la trousse de soin de Raimon une bombe de spray anesthésiant et un strap. Tout ce qu’il essaie de refouler pour se concentrer sur le match frappe fort pour envahir ses pensées. Mais il ne doit pas perdre de vue la promesse qu’il s’est faite, l’accord qu’il a passé. Les doigts d’Haruna se retirent et la bande de contention disparaît sous sa chaussette. Il se rechausse, tape la pointe de sa chaussure dans l’herbe. La douleur est toujours là, mais elle est soutenable. Il n’a pas le choix, de toute façon, il faudra bien qu’il tienne jusqu’à la fin du match. Kidou fait deux pas vers le terrain, écarte d’un geste de la main le médecin qui arrive enfin – inutile, tout va bien – avant de s’arrêter.
— Même pas un seul.
Sa voix s’étrangle dans sa gorge.
— Il n’y a pas un seul instant où je n’ai pas pensé à toi.
Kidou se remet en marche sans se retourner. S’il croise le regard de sa sœur maintenant, il va craquer. Sur la ligne, il attend que l’arbitre lui fasse signe de rejoindre le match qui a déjà repris son cours et Keita comme le public saluent son retour.
— Kidou gagne sa position. On dirait qu’il peut encore jouer ! Quelle preuve de fair-play de la part de la manageuse de Raimon d’être venue le voir !
S’ils savaient, si seulement ils savaient.
***
Suki a perdu pied avec la réalité. Elle s’en rend compte lorsqu’au travers des centaines de souffles qui l’effleurent comme autant de bruissements hurlants, Keita accélère son débit de parole. Someoka approche des buts de la Teikoku. Elle cligne des yeux et se frotte discrètement la poitrine. Adelphes… Haruna a repris sa place sur le banc de Raimon, Kidou est retourné sur le terrain, comme s’il ne s’était rien passé. Le cœur battant et des picotements dans tout le corps, Suki les observe à tour de rôle. La réalisation lui donne le vertige autant qu’elle lui fait mal. Là-bas, Someoka invoque son dragon :
— Dragon Crash !
— Power Shield !
Genda déploie aussitôt son bouclier d’énergie. Le tir n’entame pas la surface de l’hissatsu technique défensive avant d’être repoussé. Le cuir repart en arrière, haut dans les airs. Gouenji, laissé seul, le récupère à la volée et enchaîne avec la Fire Tornado. Le public retient sa respiration. Ça ne suffit pas à faire trembler le portier de la Teikoku qui fracasse une seconde fois son poing dans l’herbe. L’onde de choc écarte le danger.
— Le Power Shield est décidément in-fran-chi-ssable ! Bien tenté, Raimon, mais ce n’est pas suffisant !
Gouenji atterrit, scrute un instant Genda qui lui offre un sourire provocateur. Gouenji n’en prend pas ombrage. À vrai dire, il ne s’attendait pas vraiment à marquer. Le meilleur gardien du pays n’a pas usurpé sa réputation et l’attaquant de Raimon refuse de considérer leurs tentatives comme des échecs. À chacune d’entre elles, il comprend un peu mieux comment fonctionne l’hissatsu technique de Genda.
Le ballon revient dans les pieds de Kidou. La douleur dans sa jambe se réveille brièvement, il l’ignore. Il va gagner. Il le faut. Il n’a besoin que d’un signe de tête pour que ses attaquants comprennent son intention et le rejoignent. Leur trio, en V dont il est le creux, progresse dans la moitié de terrain de Raimon. Sakuma et Jimon lui tracent le chemin. Les joueurs adverses sont implacablement écartés et leurs tentatives de les prendre à revers avortées par ses coéquipiers. Ne restent plus que les lignes de défense qui retardent encore un peu le moment où ils vont venir au contact. Parmi eux, Kidou pose son regard sur Domon et même si ce dernier ne peut pas voir ses yeux derrière ses lunettes, il le sent se tendre. Le trio approche de la frontière invisible que la défense attend qu’ils franchissent. Alors que les deux autres continuent leur course droit devant, Kidou s’arrête juste avant et pose ses crampons sur le cuir. Afin de briser la God Hand, ils ont spécialement conçu une nouvelle hissatsu technique.
Suki frémit. L’énergie se déroule de l’aura de Kidou comme une pelote de laine pour tempêter autour de lui tandis que le joueur porte ses doigts à ses lèvres. D’un sifflement strident, il la canalise. Les cinq faisceaux encore invisibles s’enfoncent dans le sol, en émergent sous forme de manchots. La tête et le dos noirs, le ventre blanc et des marques orange sur les oreilles et le poitrail, ils s’extirpent de la pelouse et de la glace tombe pour fondre aussitôt lorsqu’ils s’ébrouent.
— Koutei Penguin…
Kidou tire. Les manchots filent avec le cuir, s’enroulent autour. Suki se plante les ongles dans la paume face aux pulsations si éblouissantes qu’elles l’assourdissent. Le ballon fuse, rattrape les deux attaquants de la Teikoku qui frappent à leur tour.
— … Nigou !
Un second élan, la libération de la puissance jusque-là encore contenue. Les manchots accélèrent, le tir aussi. Ils s’élèvent avec, tracent des arabesques et lui font traverser le reste du terrain sans qu’aucun défenseur n’ait le temps de réagir.
— Q-Quoi ?! Je n’ai jamais vu un tir aussi fort ! Il fonce vers les cages de Raimon !
Dans ces dernières, Endou se redresse. Il prend le défi ! Face à une telle hissatsu technique, il n’a qu’une seule réponse à proposer. Le geste fleurit tout seul dans son cœur. Son poing s’illumine de doré, la main géante se déploie dès qu’il l’ouvre.
— God Hand !
Juste à temps. Le ballon s’écrase dans sa paume, les manchots plantent leur bec dans le bout des doigts. Sous la pression, des étincelles d’énergie crépitent. Le bras d’Endou tremble. L’attaque n’a pas l’air de faiblir, au contraire. À moins que ce ne soit lui qui vacille. Par endroit, la God Hand se fendille et l’énergie de l’attaque se faufile dans les failles. Elle les creuse, jusqu’au cœur de l’hissatsu technique d’Endou. Les yeux des manchots luisent plus fort d’un éclat écarlate. Et avec un craquement, la God Hand vole en éclats. Le ballon cueille le gardien au creux du ventre, l’entraîne avec lui contre les filets.
— Buuut ! La Teikoku Gakuen prend l’avantage ! La God Hand jusque-là invincible vient d’être brisée par la nouvelle hissatsu technique de la Teikoku !
La main contre son torse douloureux, Endou se relève, cherche à reprendre sa respiration. Autour de lui, les derniers débris dorés se dissipent. Une plume blanche tombe doucement sur le cuir avant de s’effacer. Au milieu de ses camarades qui le regardent, effarés, Kidou et ses coéquipiers se tiennent droits, fiers.
— Le tacticien de génie, Kidou Yuuto, est dans la place ! C’est comme si le terrain jouait le chant de la victoire pour lui ! Et… oui ! C’est la fin de la première mi-temps ! La Teikoku commencera la seconde avec un point d’avance.
***
Suki met trois secondes de plus que les autres à réagir quand les joueurs reviennent doucement vers le banc. Koutei Penguin Nigou. Les Manchots Empereurs N°2. Une hissatsu technique sculptée sur mesure pour se glisser dans les faiblesses de la God Hand. Sa contre-mesure parfaite. Plus que la démonstration de puissance, c’est celle des connaissances nécessaires pour parvenir à un tel résultat qui lui donne froid dans le dos. Kidou est doué, mais l’ombre glacée du oni plane non loin et découvrir à chaque fois un peu plus jusqu’où s’étendent ses savoirs la terrifie. Suki prend une grande inspiration, repousse ses peurs dans un coin de son esprit et se lève pour prendre part à l’effervescence naissante. Elle y pensera plus tard. Comme toujours. Ce ne sera qu’un réveil en sueur de plus, qu’une insomnie parmi les autres.
Dans l’agitation de la pause, Suki se débrouille pour être celle qui tend sa bouteille à Endou. De près, elle peut voir les résidus de l’hissatsu technique de la Teikoku Gakuen parasiter l’aura du garçon. Celui-ci se crispe inconsciemment sous les brûlures qu’ils laissent sur leur passage. Suki se mord la lèvre. Elle est trop bien placée pour savoir à quel point les contacts d’énergies étrangères peuvent être douloureux. Elle hésite tandis qu’il prend la serviette et s’essuie le visage avec, lui frôle les gants quand il saisit la gourde. Il est tellement perdu dans ses pensées qu’il ne la voit pas retirer aussitôt sa main et s’en va se laisser tomber par terre avec les autres. Elle agite ses doigts, engourdis. L’intensité de la décharge dépasse ce qu’elle avait anticipé. Mais l’important est que, alors que les camarades d’Endou se regroupent autour de lui, les dépôts intrus aient disparu de son aura. Bientôt, elle en sera débarrassée à son tour, quand les fourmis dans son bras se seront dissipées. Heureusement que personne ne fait attention à elle et à sa grimace qu’elle se dépêche de masquer, heureusement que Shuuya est, comme les autres, trop concentré sur son capitaine pour penser à regarder dans sa direction.
— Qu’est-ce qu’il se passe, Endou ?
Kazemaru s’est assis à côté du gardien et le dévisage avec inquiétude. Ce dernier ramène ses jambes en tailleur, le regard perdu sur la pelouse.
— Je n’en sais rien…
Sans parler du but pris à la dernière minute pour lequel ils s’accordent pour dire qu’il n’aurait rien pu faire, ils ont tous vu les nombreuses erreurs que l’incident d’avant-match ne suffit pas à expliquer. Natsumi fend le groupe, s’arrête devant lui, les mains sur les hanches.
— À cet instant précis, tu n’as pas la lumière qui m’a attirée vers le football.
Suki relève la tête. Elle n’est pas vraiment étonnée de la remarque de la manageuse. Difficile de rater le chatoiement du garçon, même en étant peu sensible aux auras. À vrai dire, Suki se doutait que c’était l’une des raisons qui ont poussé Natsumi à s’intéresser d’aussi près au petit club de football de son collège. Elle ne s’attendait cependant pas à ce que ce soit elle qui évoque en premier son absence aujourd’hui. Hibiki s’approche de son joueur, profitant de l’occasion pour revenir à la charge :
— Qu’est-ce que Kageyama t’a dit ?
Personne ne voit Suki tressaillir à la mention du nom. Personne ne fait attention non plus à son reniflement lorsqu’Endou répond en secouant la tête que le oni ne lui a rien dit. Mensonge. La certitude avale le brouhaha du public. Suki ne peut pas être la seule à le sentir, et la manière dont Aki se tord les mains – plus encore que durant la première période – trahit la manageuse, pourtant Hibiki n’insiste pas. Une bourrasque glacée vient une nouvelle fois souffler sur la lumière d’Endou, mais les susurrements empoisonnés qu’elle porte ont un éclairage nouveau. Soudain alerte, Suki relève la tête. Elle ignore l’harmonie pourtant fascinante, éphémère, des auras de Kazemaru, Kurimatsu, Kabeyama et Domon pour s’arrêter sur Haruna. Promesse. Adelphes. Les lèvres entrouvertes, Suki cherche son souffle et, de l’autre côté du terrain, Kidou.
Kidou laisse son camarade appliquer une bombe de froid par-dessus le strap posé par Haruna. Pour l’instant, la douleur se tait. Ça n’empêche pas ses coéquipiers de s’inquiéter.
— Le Koutei Penguin Nigou met beaucoup de pression sur les jambes même si on l’a répartie sur trois joueurs, rappelle Genda. Ce n’est pas sûr que tu puisses la réutiliser.
Il en est conscient, mais ça n’empêchera pas Kidou de viser la victoire. La même détermination brille dans les yeux de son ami, dans ceux de chacun des membres de l’équipe. Genda sourit, se tourne vers les attaquants.
— Je m’occupe des cages, je compte sur vous pour l’aider. Sur vous tous, ajoute-t-il en se tournant vers le reste des joueurs.
En premier, Sakuma hoche la tête, les autres l’imitent. L’arbitre fait signe qu’il ne reste que deux minutes avant la reprise. Kidou remonte sa chaussette, frôle au passage les reliefs des cicatrices qui marquent sa jambe, presque invisibles, et noue ses lacets. En se relevant, il se tourne vers le banc de Raimon, cherche Haruna, la trouve brièvement même si elle ne regarde pas dans sa direction. En revanche, il croise un regard bleu, trop vite effacé derrière le mouvement des joueurs qui retournent sur le terrain.
***
— Et c’est l’engagement de la seconde mi-temps ! La Teikoku ne perd pas de temps pour lancer les hostilités !
Endou constate que leurs adversaires sont déjà bien enfoncés dans leurs rangs, Kidou au centre de leur formation. Sa cape volant derrière lui, le tacticien de la Teikoku déjoue les milieux de Raimon à deux contre un, sa détermination visible dans chacun de ses gestes. Ses coéquipiers avancent sur les ailes, lui offrant autant d’appuis et de diversions pour continuer sa progression. Alors qu’il s’approche dangereusement de la surface, les attaquants adverses se déploient et Kidou monte la balle vers eux. Jimon réceptionne, cependant Endou hésite. Est-ce qu’il va tirer directement ou feinter pour Sakuma ? Il ne peut pas se permettre de prendre un but, ni compter sur la God Hand comme il l’a toujours fait jusqu’à maintenant… À trop réfléchir, Endou est pris de court lorsque l’attaquant frappe directement et réagit avec un temps de retard. Kazemaru se matérialise devant lui et encaisse le ballon à sa place en plein torse. L’impact fait reculer le numéro 2 de Raimon de deux pas alors que le cuir est repoussé de l’autre côté.
— Kazemaru !
Le défenseur se redresse, assure fièrement malgré son souffle coupé :
— Si tu ne te sens pas bien, on va te couvrir. On est coéquipiers, neh ?
Endou remarque alors que Kabeyama, Kurimatsu et Domon sont également descendus d’un cran, presque sur sa ligne. Ils ne devraient pas… C’est sa faute, il leur provoque tant de souci et faillit à sa mission. Pourtant ils ne lui en veulent pas et, au contraire, sont prêts à tout pour lui. À court de mots, Endou porte la main à son maillot, là où la chaleur réconfortante pulse.
Sakuma se précipite à la réception du ballon non maîtrisé, vise, tire. Kabeyama s’interpose, puis Kurimatsu quand Jimon reprend la balle perdue à la volée. Les tirs de la Teikoku Gakuen pleuvent sur les cages et les joueurs de Raimon. Comme ses camarades, Domon fait rempart de son corps. Ils n’ont même pas besoin de parler pour se coordonner. Le cuir s’écrase contre son épaule, repart dans l’autre sens alors que la main de Kazemaru l’empêche de tomber en arrière. Essayer de contrôler le ballon est peine perdue, étant donné les boulets de canon qui pleuvent sur eux. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est les repousser et protéger Endou, autant de temps qu’il le faudra. Eh, autant de temps qu’il le faudra, il se dressera avec ses coéquipiers d’aujourd’hui contre ceux d’hier.
— C’est comme la dernière fois… se désole Haruna.
Le douloureux souvenir de la première rencontre contre la Teikoku Gakuen s’impose aux esprits des manageuses et des remplaçants. Megane joue nerveusement avec ses lunettes, les autres n’en mènent pas plus large. Suki n’est pas d’accord. Elle n’y était pas, mais elle en a entendu parler, de la rencontre, des tirs de leurs adversaires qui n’avaient pour but que de les mettre à terre et de les pousser à abandonner. Ce n’est pas ce qu’elle voit aujourd’hui. Certes, les attaquants de la Teikoku font pleuvoir un feu nourri de frappes, mais ils ne visent pas les joueurs. Au contraire. Ils cherchent à se glisser dans les failles de la formation de Raimon. Ils cherchent à marquer. Leur état d’esprit n’a rien à avoir. Ils sont là pour gagner, aussi déterminés à atteindre les buts que les défenseurs le sont à arrêter leurs tirs. Et à chaque fois que ces derniers font barrage, à chaque fois que Kurimatsu ou Kabeyama encaissent la balle, à chaque fois que Domon et Kazemaru la repoussent, leurs énergies s’harmonisent le temps d’une pulsation. De plus en plus fort.
Après un énième arrêt, Kurimatsu titube. C’est l’ouverture que la Teikoku attendait.
— Maintenant !
Sous l’impulsion de Kidou, le numéro 8 de la Teikoku se joint à Sakuma et Jimon. Ils s'élèvent dans les airs, en rotation autour du ballon. L’air se teinte de violet et le vent se lève. Comme ses camarades, Endou reconnaît la technique. La Death Zone. Il serre les poings. Il l’a déjà arrêtée, il peut le refaire… non ? Des éclairs colorés relient les joueurs, aveuglants, et se resserrent avec eux sur le ballon. Celui-ci se gorge de la lumière et des décharges jusqu’à ce que les attaquants le frappent de concert.
— La défense de Raimon est incapable de réagir ! Pourras-tu défendre, Endou ?!
Ce dernier reste pétrifié. La dernière fois, il avait la God Hand. Aujourd’hui… Lorsqu’il bouge, il sait que c’est trop tard. Dans un geste vain, il tend le bras. À la dernière seconde, Domon se matérialise en hurlant sur la trajectoire du tir. Le cuir s’écrase contre sa joue et, coupé dans son élan, s’en va rouler plus loin sur la pelouse. Personne n’y accorde la moindre importance. Non, tout le monde, muet, regarde Domon s’écrouler lourdement au sol.
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Chapter 26: Briller, aussi fort que la victoire
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Chapter Text
Le geste de Domon prend tout le monde de court, public comme joueurs, adversaires comme coéquipiers sans distinction. Parmi les premiers à sortir de leur torpeur, Endou se précipite vers lui en l’appelant. Avec les autres défenseurs, il retrouve son souffle en le voyant entrouvrir les yeux, l’aide doucement à s'asseoir.
— Domon, est-ce que ça va ?
— O-ouais…
Le soulagement n’arrive pas à chasser la culpabilité qui étreint le cœur d’Endou. C’est sa faute, uniquement sa faute, s’il s’est mis en danger. Il serre la main du défenseur dans la sienne, tremblant.
— Comment peux-tu être aussi inconscient ? Qu’est-ce qui t’a pris ?!
— C’est toi… avec les entraînements que tu fais, qui dis ça ? Haha…
La tentative de rire du blessé se termine dans un gémissement. Le gardien est obligé de s’écarter pour laisser passer les brancardiers mais Domon retient son poignet quand ils le soulèvent.
— Endou… Est-ce que je fais partie du Onze de Raimon ?
Malgré son passé à la Teikoku, malgré ses trahisons et ses secrets… Est-ce qu’il est l’un de leurs camarades ?
— Évidemment ! crie Endou, les émotions jaillissant de son cœur sans filtre. Tu fais partie de l’équipe depuis que tu as franchi la porte du local ! Tu es des nôtres depuis le premier jour !
Kazemaru pose une main sur l’épaule de son capitaine tandis que Domon se fait emporter hors du terrain. Les applaudissements du public accompagnent sa sortie, saluant son acte de bravoure. Le corps engourdi, le blessé aperçoit les joueurs de la Teikoku attendre à distance respectueuse. Ses anciens coéquipiers. Il croit les voir sourire. Il croit entendre la voix de Kidou. Tu as trouvé de bons amis, Domon. Il ferme les yeux. Eh… oui, vraiment, de bons amis.
Avant de laisser Domon entre les mains des manageuses et de son coach, le médecin procède à un examen sommaire. Il devrait l’évacuer mais le blessé l’a supplié de pouvoir suivre la fin de la rencontre depuis son banc. Dès qu’il s’écarte, Aki donne à boire à son ami en l’ensevelissant sous les reproches inquiets. Le pauvre garçon se garde bien de répondre et subit les remontrances méritées en silence. Kageno s’est approché lui aussi, prêt à entrer sur le terrain mais refusant de le faire sans taper sa paume dans celle de son coéquipier. Accroupie non loin, Suki attend qu’Aki prenne la serviette humide qu’elle a préparée. Elle est assez proche de Domon pour que, sans même le toucher, des étincelles violettes sautent jusqu’à ses doigts, dressant les poils de son bras au passage. Personne n’a rien vu. Du coin de l’œil, elle aperçoit Shuuya récupérer la balle abandonnée. Le match n’a pas encore repris. L’attaquant serre un instant le cuir entre ses mains, perdu dans ses pensées, puis tonne :
— Endou !
Le gardien a juste le temps de se retourner que le ballon auréolé de flammes le cueille au creux du ventre et l’envoie valser dans l’herbe.
— Qu’est-ce que… Gouenji aurait-il perdu la tête ?! Une Fire Tornado sur son propre coéquipier en dehors de la période de jeu ! Aïe aïe aïe, cette agression, ce geste irréfléchi lui vaut un carton jaune. Mais à quoi pensait-il donc ?!
Suki ramène ses bras autour de ses genoux. L’action de Shuuya était tout sauf irréfléchie. La vague de son énergie a embrasé l’aura d’Endou, l’enrobant de sa chaleur sans lui causer le moindre dommage. Au contraire, elle se propage dans le corps du gardien, diffusant avec elle les émotions contenues dans le feu. Alors que Endou se redresse, étourdi, déboussolé par l’invasion intangible, Shuuya se plante devant lui.
Suki est trop loin, Shuuya parle trop bas, elle ne peut que se fier aux variations de son aura, de celle d’Endou. À leurs mouvements, à leurs couleurs, les mots de l’attaquant sont durs. Ils claquent là où ça fait mal. Mais ils sont justes. Et avec les flammes qui se dissipent petit à petit, ils brûlent les ombres qui brouillaient la lumière d’Endou. Ce dernier reste seul, encore sur les fesses, une main posée sur le cuir, quand Shuuya tourne les talons. Les bourrasques glacées se sont tues. Le chuchotement de l’oni s’est éteint. L’énergie qui danse autour d’Endou a retrouvé sa vigueur et sa clarté. Et quand le joueur se relève, son étincelle est revenue dans son regard.
— Kageno est entré à la place de Domon et c’est à la Teikoku Gakuen d’engager avec un corner. La balle est envoyée en arrière… droit sur Kidou !
À peine le joueur à la cape la reçoit-il qu’il la lève pour Sakuma avec un retourné. Dans les airs, son coéquipier la lui renvoie aussitôt de la tête. Les passes rapides amplifient la vitesse et la puissance du ballon et le dernier tir de Kidou le catapulte droit vers les buts.
— Twin Boost !
Droit vers Endou. Le gardien est prêt. Il ne s’est jamais senti aussi serein depuis le début de la rencontre. Il a retrouvé sa certitude, le doux manteau sur ses épaules qui lui assure que tant qu’il donne tout ce qu’il a, il réussira. Il n’a plus de raison d’hésiter. La déesse de la victoire sourit aux persévérants, neh ? Il se battra dignement, sans réserve. C’est la meilleure réponse qu’il puisse offrir aux sentiments de tous ceux sur le terrain, aux sentiments de Gouenji, à ceux de Kidou. Endou arme son poing, laisse la chaleur affluer, décoche le Nekketsu Punch. Cette fois, le ballon ne ripe pas contre son gant et la bataille de volonté s’engage entre lui et ses adversaires. L’énergie crépite autour du cuir sans vouloir faiblir. Que cela ne tienne. Si un coup de poing ne suffit pas, alors il en donnera un deuxième, il en donnera autant qu’il en faudra, mais le tir ne passera pas.
— Eh ! Endou martèle la balle à un rythme effréné ! Serait-ce une nouvelle hissatsu technique ?!
Ses coups arrachent, petit à petit, parcelle par parcelle, l’énergie au cuir. Et lorsque celui-ci cesse de briller, lorsqu’Endou sait qu’il a gagné, d’un ultime uppercut du droit, le gardien éloigne définitivement le ballon. La foule accueille dans un rugissement sauvage son arrêt tandis que Keita s’enflamme :
— Le Endou que l’on connaît, que vous avez adoré depuis le début de la compétition, est de retour ! Ça ! Ça c’est du spectacle qui fait plaisir à voir !
Le ballon traverse le terrain d’une trajectoire en cloche pure et claire droit dans les pieds de Someoka. Le numéro 11 est prêt. Comme ses coéquipiers, dans la chaleur qui habite sa poitrine, il savait qu’Endou arrêterait le tir. Et maintenant c’est à lui de jouer. Genda le laisse approcher avec un sourire. Someoka ne retient pas le sien.
— Dragon Crash !
Les crocs de la bête déchirent des fissures qui se referment aussitôt dans la barrière dressée par le portier. Son rugissement faiblit. Genda redresse les épaules, avec l’assurance de celui qui sait qu’il a gagné. Jusqu’à ce que Gouenji surgisse de derrière Someoka, et avec lui ses flammes. À bout portant, il tire à son tour. Les écailles du dragon se parent de feu, son cri retrouve sa vigueur et plus encore. C’est au tour de Gouenji de sourire lorsque le Power Shield se morcèle. Le bouclier d’onde de choc est capable d’encaisser n’importe quelle hissatsu technique tant qu’elle est tirée de loin. Mais dès que la distance s’écourte, dès que l’intervalle entre les attaques se réduit et l’empêche de se régénérer, il ne peut plus tenir. Et sous l’impulsion des attaquants de Raimon, la barrière vole en éclats. Genda frôle le ballon du bout des doigts, les flammes lui lèchent le bras, pas assez pour empêcher l’arbitre de siffler.
— Buuut ! Raimon égaliiiiise !
Someoka est le premier à rejoindre Gouenji et lui propose son poing tendu, les autres ne sont pas longs à suivre pour les prendre dans leurs bras. L’arrêt d’Endou était le premier pas vers la victoire, leur but est le deuxième. Plus qu’à faire les suivants.
— Comment va ta jambe ?
Kidou écarte la question de Genda d’un haussement d’épaule et désigne le poignet que le gardien fait tourner.
— C’est plutôt à moi de te poser la question.
— Juste un peu endolori, pas de quoi s’inquiéter.
— Tant mieux, acquiesce Kidou avant de se tourner vers les joueurs de Raimon qui célèbrent leur égalisation. Gouenji a réussi à briser le Power Shield en peu de temps. Je n’en attendais pas moins de sa part.
— Hum. Mais je ne les laisserai pas marquer un autre but ! Même si je dois utiliser…
— Non.
Genda dévisage Kidou, surpris.
— Mais…
— Et risquer de perdre l’usage de tes mains ? Je te l’interdis. C’est un ordre en tant que capitaine. Je te fais confiance. Je sais que tu arrêteras leurs tirs sans parvenir à une telle extrémité.
— Tsss… Et c’est celui qui est prêt à mettre le prochain but peu importe les conséquences qui dit ça.
Le sourire de Kidou en dit long sur ce que Genda a deviné de ses intentions. Le gardien plaque son poing contre la poitrine de son capitaine.
— Et moi, je te fais confiance pour marquer. Mais je t’interdis d’aggraver ta blessure, compris ? C’est un ordre en tant qu’ami.
***
Les minutes défilent et les deux équipes sont au coude à coude sans qu’aucune ne prenne le dessus sur l’autre. Les gardiens protègent avec acharnement leurs cages que les attaquants harcèlent, les spectateurs suivent, le souffle coupé, le ballon traverser le terrain dans un sens puis dans l’autre sans temps mort.
— Quelle intensité ! Et le match arrive bientôt à son terme. Si aucune des équipes ne marque, elles devront se départager pendant les prolongations.
À cette mention, tous les joueurs grimacent. Ils sont épuisés. Cela fait presque une heure qu’ils donnent tout, ils ont dépassé les limites de leur endurance. Ils doivent en finir une bonne fois pour toute, maintenant. Kidou apparaît devant Shishido et disparaît aussitôt dans son dos, lui subtilisant la balle au passage. Il fait signe à ses coéquipiers. Ces derniers réluctent – ils savent ce qu’il veut faire, ils en craignent les conséquences. Lui s’en moque. Peu importe s’il doit perdre sa jambe dans ce tir, il doit aller jusqu’au bout, pour ceux qui ont accepté de le suivre et pour… Pas besoin de tourner la tête pour sentir le regard d’Haruna qui le suit avec autant d’intensité que s’il jouait dans son équipe. Une dernière hésitation, et ses camarades le rejoignent. Avec lui, jusqu’à la fin.
Endou voit Kidou surgir des rangs de la défense, encadré par ses attaquants. Il reconnaît la formation du Koutei Penguin Nigou. La détermination de son vis-à-vis le percute de plein fouet, il incline la tête en réponse. Il l’attend. Les projecteurs se reflètent sur les verres de Kidou. Son sifflement strident transperce le stade. Les manchots surgissent du sol, vaisseaux de l’énergie qui pulse dans le ballon autour duquel ils dansent. Ils accélèrent encore entre les pieds de Sakuma et de Jimon. Le gardien claque ses gants l’un contre l’autre. Cette fois, il l’arrêtera. Des éclairs dorés crépitent autour de ses doigts. Il croyait avoir peur de l’utiliser à cause de son échec de tout à l’heure, mais c’est parce qu’il n’arrivait pas à jouer à fond qu’elle a échoué. Cette fois, elle ne se brisera pas.
— God Hand !
Les becs acérés des oiseaux se plantent dans les doigts de la main géante. L’énergie qui les compose cherche à percer la sienne, à créer une fissure dans laquelle s’engouffrer. Il ne cèdera pas. Ses doutes sont partis. Il protègera ses buts, coûte que coûte. Au loin, Endou entend vaguement, comme sous l’eau, ses camarades l’encourager. La pression est telle que son bras tremble jusqu’à l’épaule, que ses crampons glissent dans l’herbe et approchent dangereusement de la ligne qu’il défend. Comme s’ils sentaient sa faiblesse, les manchots redoublent de vigueur, les yeux rougeoyants. Il refuse. Il va… Il va…
— … ARRÊTER CETTE BALLE !
Dans son cri, Endou se laisse envahir par la vague brûlante qui monte d’au fond de lui. Sans réfléchir, il jette sa deuxième main avec la première. La lumière de la God Hand devient aveuglante. Avant de pouvoir rouvrir les yeux, il sent déjà le cuir entre ses gants. Les manchots ont disparu. Ne reste d’eux qu’une poignée de plumes qui se dissipent avant de toucher le sol.
— In… Incroyable ! Endou a arrêté le tir de la Teikoku Gakuen ! Il a arrêté le Koutei Penguin Nigou !
Pantelant, le portier se relève du genou qu’il ne se souvient pas d’avoir posé à terre. Eh… il a réussi ! Mais la partie n’est pas finie. Il arme son bras en arrière, se laisse emporter par son élan et lance le ballon au loin en hurlant :
— Yosh ! C’est parti !
L’énergie et les sentiments qu’Endou a mis dans la God Hand pour arrêter le tir sont encore dans le cuir et se mélangent à ceux de chacun des joueurs de Raimon qui le touchent. La Teikoku Gakuen est dépassée face au maelstrom vibrant en train de traverser le terrain comme un éclair. C’est la dernière action du match, tous en sont viscéralement conscients. D’un côté, Someoka se heurte au marquage des défenseurs se refermant sur lui, de l’autre, Gouenji se défausse du sien d’un coup de hanche. Libre, l’attaquant réceptionne la passe d’Handa. Kabeyama, remonté depuis la défense, surgit à ses côtés et ils n’ont pas besoin de se dire quoi que ce soit pour sauter en même temps.
— Oh ! Serait-ce l’Inazuma Otoshi ?
Genda serre les poings face à ses adversaires, hauts dans les airs. Plus loin sur le terrain, Kidou ne le quitte pas des yeux. Le gardien secoue la tête dans un soupir et plante ses appuis dans le sol. Il croise les bras, lève ses poings parcourus d’éclairs. Les décharges arpentent ses bras, se concentrent autour d’un seul gant qu’il abat.
— Full Power Shield !
L’onde de choc a gagné en puissance et illumine le stade. Un éclair bleu et jaune traversant le terrain attire l’attention des spectateurs. Kabeyama n’est pas le seul à être monté. Endou a quitté ses cages pour la poignée de secondes qu’il reste au chronomètre et s’élève au niveau de Gouenji.
— Qu’est-ce que… qu’est-ce qu’Endou fait là ? L’Inazuma Otoshi… ou l’Inazuma Ichigou ???
Ensemble, Endou et Gouenji se propulsent vers de nouvelles hauteurs grâce à Kabeyama et, dans un hurlement joint, frappent. Les éclairs aux couleurs de Raimon claquent dans le cuir devenu incandescent. Une nouvelle détonation retentit lorsque les forces des tireurs et du gardien se percutent. Suspendus dans les airs, Endou et Gouenji hurlent :
— ALLEZ !
Le flamboiement du ballon redouble. Des fissures courent sur la barrière d’énergie, grandissent, et la font céder dans un fracas de verre brisé. Aussitôt suivi par le silence. Après le déluge de son et de lumière, celui-ci semble irréel. Pas longtemps. Stoppée par les filets, la balle retombe au sol et le sifflet retentit.
— On l’a fait ? On l’a fait… On l’a fait ! répète Endou incrédule, sur les fesses suite à sa réception mal maîtrisée, en se tournant vers Gouenji et Kabeyama.
Et alors que l’arbitre signale la fin du match, les buteurs disparaissent sous l’étreinte de leurs camarades.
***
Dès qu’il peut à nouveau respirer, Endou s’incline face à ses coéquipiers :
— Les gars, je vous ai causé beaucoup de soucis. Je vous présente mes excuses.
— T’inquiète, Endou, lui sourit Kazemaru. On a gagné ensemble, neh ? Et puis… tout le monde attend !
— Huh ?
Son camarade lui fait signe de relever la tête, de regarder autour de lui. Dans les tribunes, tous les spectateurs sont debout, à applaudir à s’en faire mal aux mains, scandant d’un même ensemble :
— RAI-MON ! RAI-MON ! RAI-MON !
Les joueurs échangent un regard. C’est vraiment pour eux ? C’est à leur tour ? Ils ne l’ont jamais fait… Un même sourire illuminant leurs visages, ils saluent la foule qui les acclame.
Hibiki sent une main se glisser dans la sienne. Une chaleur intense monte dans sa poitrine. Elle embrase le monde autour de lui, aiguise ses sensations, attise le rayonnement de ses joueurs au milieu de la pelouse. Doucement, il presse les doigts en retour. Merci, ma belle. Un bref sourire soulève les commissures des lèvres de Suki avant que son regard ne se porte vers les joueurs de la Teikoku. Après 40 ans de règne incontesté, ils ont perdu. Pourtant, ils ont l’air apaisés tandis qu’ils ramassent leurs affaires. L’ombre de l’oni s’effiloche. Son emprise s’en va, même s’il leur faudra encore du temps pour qu’ils s’en défassent entièrement. Suki s’attarde sur Genda, plisse les paupières. C’était bref, même pas l’espace d’une seconde, mais elle jurerait l’avoir vu hésiter avant qu’il ne réalise le Full Power Shield, esquisser une autre technique aussitôt effacée par l’échange muet avec Kidou. Celui-ci, après un dernier coup d’œil à Raimon sous la pluie de confettis, s’engage dans le couloir à la suite de ses coéquipiers.
Notes:
Et ça y est, la revanche, la victoire contre la Teikoku Gakuen !< br/>☆゚. * ・ 。゚☆ Si le chapitre vous a plu, considérez s'il vous plaît à laisser un kudo ou un commentaire ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 27: À nous le tournoi national !
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Attends !
Haruna court, essoufflée par les émotions qui tempêtent en elle. Aki lui a tout dit. Elle rattrape les joueurs de la Teikoku avant qu’ils ne disparaissent dans leurs vestiaires. Parmi eux, Kidou s’immobilise, se retourne.
— Haruna ?
Elle pile devant lui, ses lunettes en travers sur son front, incapable de franchir la distance qui les sépare encore même si l’envie lui donne la chair de poule. À travers son visage et sa posture qui se veulent impassibles, à travers les verres lui cachent les yeux de son frère, elle cherche à lire la vérité.
— C’est… c’est vrai ? Tu as passé un marché avec ton père pour que l’on puisse vivre ensemble ?
Kidou tressaille et se détourne, honteux, avant de confirmer du bout des lèvres. Elle ne devait jamais le savoir. Caché dans les replis de sa cape, il plante l’ongle de son index dans son pouce. Haruna refuse de lâcher et demande encore :
— C’est pour ça… c’est pour ça que tu n’as jamais répondu à mes lettres ? … que tu m’évitais ?
Ne pas la contacter, ne pas lui parler. Une des conditions ajoutées au contrat établi avec son père adoptif sous l’incitation de Kageyama – pour éviter qu’il ne soit déconcentré. Une condition qui l’avait déchiré mais à laquelle il s’était plié. Pour Haruna. Kidou dévisage sa sœur, s’y autorise pleinement pour la première fois depuis trop longtemps. Il a du mal à faire coïncider l'adolescente devant lui avant l’image de la petite fille qu’il chérit dans sa mémoire. Il lui a fait une promesse, il a tant d’années, alors qu’elle collait des pansements colorés sur ses égratignures. À l’époque, il n’avait que ses poings pour la défendre et les petites mains de sa sœur pouvaient disparaître entièrement à l’intérieur quand il lui répétait qu’ils ne seraient jamais séparés. Jamais. Et alors elle souriait, et son sourire était la plus belle chose au monde. Les souvenirs éclairent le visage de Kidou, colorés de nostalgie et d’une pointe de douleur, là, au niveau du cœur.
— Pour toi… J’aurais accepté n’importe quoi. Mais… je suis désolé.
L’amertume teinte sa voix et il rentre la tête dans les épaules. Il a échoué. Le commandant l’avait prévenu. Il a perdu et il doit maintenant faire face aux conséquences.
— Humhum.
Haruna secoue la tête avec douceur.
— J’aime vivre avec mon père et ma mère adoptifs. Ça me plaît, d’être Otonashi Haruna. Les choses ne seront plus jamais comme avant, mais ce n’est pas parce que l’on ne vit pas ensemble que l’on doit être des étrangers. Je veux… je veux juste pouvoir te voir ! Qu’on se parle, qu’on passe du temps ensemble… Je veux être ta petite sœur et que tu sois mon grand-frère, c’est tout !
Kidou relève les yeux pour croiser ceux d’Haruna qui pétillent et, comme avant, voir le bonheur sur son visage balaie toutes ses inquiétudes.
— Haruna…
Celle-ci hoquète, incapable de contenir plus longtemps ses larmes. Rien n’a changé. Yuuto est toujours le même, le grand-frère qui la protégeait envers et contre tout, celui qui la prenait dans ses bras le soir à l’orphelinat en lui promettant que tout irait bien. Le besoin de retrouver son étreinte devient plus fort que le malaise qui la retenait. Kidou titube en arrière, emporté par son élan lorsqu’elle se jette contre lui, l’enlace. Les doigts d’Haruna agrippent le tissu de sa cape, elle glisse son visage dans le creux de son épaule quand il l’attire plus près, protecteur. Comme quand elle était petite. Rien n’a changé.
— J’ai quelque chose à te dire. C’est à propos de Kidou.
Endou considère Kageyama, aussi intrigué que sur la défensive. L’échauffement a commencé, Onigawara-san les a prévenus de se méfier de lui, Hibiki-san aussi. Mais l’entraîneur de la Teikoku Gakuen a piqué sa curiosité.
— De Kidou ?
— De lui-même. Savais-tu que la manageuse de ton club, Otonashi Haruna, est en réalité sa sœur ?
— Eh ?! Haruna et Kidou sont… ?!
Le joueur ne parvient pas à dissimuler sa surprise alors que son vis-à-vis reste parfaitement neutre et poursuit :
— Ils ont perdu leurs parents lorsqu’ils étaient petits et ont grandi dans un orphelinat. Par la suite, ils ont été adoptés par des familles différentes et séparés lorsqu’ils avaient respectivement six et cinq ans.
— C’est terrible, s’étrangle Endou, mais Kageyama n’a pas fini.
— Dans le but de pouvoir vivre avec sa sœur, Kidou a passé un marché avec son père adoptif. Il doit rester invaincu et gagner le Football Frontier, trois fois consécutivement, durant ses années à la Teikoku Gakuen. Sa défaite lors de votre match amical reste une exception pour laquelle son père a accepté de fermer les yeux au vu des circonstances, mais cela ne se reproduira pas deux fois, pas pour un match de l’ampleur de celui d’aujourd’hui.
Alors qu’Endou peine à appréhender les implications des révélations de Kageyama, celui-ci s’écarte en entendant Hibiki approcher, non sans ajouter, trop bas pour que le coach de Raimon ne l’entende :
— Si Raimon remporte la victoire, Kidou et Otonashi seront séparés pour toujours. Réfléchis-y.
Suki s’asperge le visage et écrase du plat de la paume la larme brûlante qui se mêle à l’eau froide. Le feu des projecteurs, les flashs des appareils photos, les cris de la foule et du speaker, les applaudissements, le feu d’artifice des auras, la surabondance de perceptions l’a poussée à prendre ses distances. En cherchant refuge aux toilettes, elle a aperçu Aki et Haruna à l’entrée des couloirs. Elle ne voulait pas écouter, elle a tout entendu. Ses mains montent se plaquer contre ses oreilles. Parfois, parfois elle voudrait être sourde, elle voudrait que tout s’arrête. Elle a tout entendu du marché qu’a passé Kidou et la colère lui brûle désormais le ventre. Qui ose marchander ainsi les sentiments et les vies ? Ses doigts se crispent sur son béret, sur les cheveux qui s’en échappent. Oh, elle en a bien une triste idée. Elle devrait être heureuse pour les adelphes, ils se sont retrouvés et la luminescence de leur étreinte éclaire les corridors jusqu’ici. À la place… Son regard se voile, Suki secoue la tête pour chasser les autres larmes qui montent et s’accroche au bord de la vasque. Un marché pour revoir son adelphe, eh ? Si elle était à leur place, quel pacte serait-elle prête à passer ? Une nouvelle gerbe glacée s’accroche à ses cils et emporte avec elle dans le siphon la pensée amère. La question ne se pose pas, elle n’est pas à leur place, elle ne le sera jamais. Suki coupe l’eau, s’essuie dans la manche de son pull. Le miroir lui renvoie le reflet de Daburu, le béret un peu de travers. Elle le remet en place, passe la main sur ses yeux pas assez rouges pour attirer l’attention. Elle compte jusqu’à trois et elle y retourne. Eh, à trois, elle accroche un sourire à son visage et elle est heureuse de la victoire de Raimon. Un… deux…
— Le gagnant, le grand qualifié de la région du Kanto, est le club du collège de Raimon !
Suki revient au bord du terrain au moment où, perché sur les épaules de Kabeyama, entouré de ses coéquipiers le poing dressé, Endou soulève le trophée.
— On a gagné !
— On a gagné !
Ils reprennent tous l’exclamation de leur capitaine en chœur, dans un immense éclat de rire. Suki s’immobilise. L’émotion vibrante lui chatouille le bout des doigts, soulève les commissures de ses lèvres. Un vrai sourire, de ceux contagieux, de ceux qui réchauffent. Elle accroche son pull à la poitrine, là où le sentiment se loge en ronronnant. Eh, au moins pour maintenant, pour quelques heures, elle est heureuse.
***
Difficile de ne pas se laisser emporter par l’ambiance qui règne au Rairaiken, réservé pour la journée. À presque vingt dans le restaurant, ils sont les uns sur les autres, mais ça n’a aucune importance.
— On a gagné !
— On a gagné !
Pour la cinquantième, centième fois, joueurs comme manageuses répètent la clameur d’Endou, mais ni lui ni eux ne s’en lasseront jamais. Daburu évite de justesse les bras que le capitaine lance en l’air pour se glisser entre lui et Hibiki et verser le riz fumant dans les bols alignés sur le bar. Juste à côté trône le trophée, déjà poli d’avoir été tenu entre tant de mains. Entre deux cris de guerre, les commandes fusent. Loin de se laisser démonter, Endou est passé de l’autre côté du comptoir pour aider Hibiki et son commis et distribue à ses amis les plats qu’ils remplissent.
Tandis qu’ils satisfont leurs estomacs, ils rejouent le match de la veille, de la terreur des poutres qui ont manqué de les écraser aux sublimes buts grâce auxquels ils ont décroché la victoire. Certains d’entre eux ont dû batailler auprès de leurs parents pour qu’ils acceptent de les laisser quitter le cocon de la maison aujourd’hui. Ou pour les convaincre que ce n’était pas la peine qu’ils quittent le club de foot.
— Je vous jure, le soir dans mon lit, j’avais encore le grincement du métal dans les oreilles… décrit Handa.
— Heureusement que Kidou-san nous a prévenu, neh ? Et que le capitaine a décidé de lui faire confiance…
Someoka grogne à la pique de Shishido qui lui est destinée et coince la tête de son cadet sous son bras pour lui ébouriffer les cheveux jusqu’à ce que Natsumi leur demande d’arrêter de chahuter. Max se laisse aller contre le dossier de sa chaise.
— Ils étaient super forts… mais nettement moins effrayants que la première fois qu’on a joué contre eux.
— En même temps, argumente Kurimatsu en se mettant presque debout sur sa chaise, nous aussi on est devenu plus forts ! Grâce aux entraînements et au cahier du grand-père du capitaine, et au centre Inabikari, et grâce vous, Coach !
Hibiki rit de bon cœur et met une ration supplémentaire dans le bol tendu du défenseur, imité par ses voisins de table. Aki pousse doucement Domon du coude.
— Tu nous auras bien fait peur. Ne refais plus jamais ça, s’il te plaît.
La seule trace qu’il reste du sauvetage héroïque du joueur est le bleu sur sa pommette et la frayeur gravée dans les esprits de ses camarades. Il profite d’aspirer son bouillon pour ne pas avoir à répondre. Kageno lui souffle qu’il était content de retourner sur le terrain mais qu’il aurait préféré que ce soit dans d’autres circonstances.
— Capitaine, toi aussi, tu nous as fait peur ! renchérit Shourinji. On a bien cru qu’ils allaient marquer plusieurs fois !
Endou se gratte l’arrière du crâne avec un rire gêné. Il s’est excusé, plus de fois que ses camarades ne veulent bien le tolérer, toutefois il ne leur a pas expliqué ce qui encombrait ses pensées. Ça ne lui appartient pas. Il garde aussi pour lui la peur palpable dans le silence de sa mère, dans les regards qu’elle pose sur lui depuis qu’il est rentré. Elle ne l’avouera jamais, mais ce qu’elle a vu à la télévision a réveillé ses cauchemars. Someoka détourne l’attention en pointant Gouenji du doigt à l’autre bout du comptoir :
— J’en connais un qui lui a remis les idées en place… mais qui a décidé de d’être celui qui prend le plus de cartons à défaut d’être le meilleur buteur de l’équipe.
Le concerné hausse les épaules, dans un geste qui exprime clairement qu’il ne regrette rien. Derrière lui, Megane remonte ses lunettes sur son nez avant de prendre la parole :
— On a aussi vu deux nouvelles hissatsus techniques. D’abord celle d’arrêt du capitaine, qui est une variation du Nekketsu Punch, que je propose d’appeler le Bakuretsu Punch. Et puis il y a celle avec laquelle le but de la victoire a été marqué, une combinaison de l’Inazuma Otoshi et de l’Inazuma Ichigou… l’Inazuma Ichigou Otoshi !
— Je t’ai connu plus inspiré, pouffe Matsuno, le faisait rougir jusqu’aux oreilles.
Pendant que le joueur de banc se défend comme il peut, Haruna se penche vers Daburu qui s’active sans prendre part aux conversations :
— Tu pourras les noter sur les fiches demain ? Je m’en chargerai sinon hein, mais comme tu as l’air de les avoir prises en main je me disais…
Le commis met quelques secondes à lui répondre, au point qu’elle se demande s’il l’a entendue dans le brouhaha agité qui règne. Mais si la demande semble le surprendre, il finit par hocher la tête.
— Eh, je m’en occuperai, si tu veux.
Au profit d’un creux des conversations, Haruna leur annonce qu’elle a quelque chose à leur dire. Dans le silence qui se crée, elle raconte la vérité sur son frère et le marché qu’il a passé.
— Ça veut dire qu’à cause de nous, parce qu’on a gagné, vous allez rester séparés ? s’inquiète Kabeyama en baissant les yeux.
— Hum. Mais ce n’est pas grave. On a prévu de se voir régulièrement. Et j’irai regarder ses prochains matchs ! Pour collecter des données pour le club, bien entendu.
L’excuse et la malice avec laquelle Haruna la donne fait rire ses voisins. Aki et Endou se sourient. Shourinji se retourne sur sa chaise, perplexe :
— Mais… comme on a gagné… ils sont éliminés, non ?
— Négatif, intervient Megane. Le champion de l’année précédente passe automatiquement aux phases nationales, quoi qu’il arrive.
— Eh. Être invaincu était l’objectif de mon frère et le devoir de son équipe, mais ils sont tout de même qualifiés. Et ils ont hâte de prendre leur revanche contre vous.
— Et moi, j’ai trop hâte de rejouer contre eux ! Ça va être génial ! Tiens, voilà tes ravioles.
Endou se penche par-dessus le comptoir pour poser l’assiette devant Natsumi. Cette dernière sourit tandis qu’il court déjà de l’autre côté pour récupérer les bols vides de Kageno et de Handa.
— Puis-je le prendre comme une déclaration comme quoi vous irez en finale ? l'interroge-t-elle.
— Huh ?
Endou se retourne, interrompu en plein élan.
— Comme le collège de Raimon et la Teikoku Gakuen sont de la même région, vous serez dans des blocs séparés, développe la manageuse. C’est pourquoi il vous sera impossible de vous affronter à nouveau avant la finale.
— Eeeh ! Une nouvelle finale contre la Teikoku !
La perspective n’effraie pas Endou le moins du monde. Les autres explosent de rire, rêvant eux aussi de l’espoir de se hisser au sommet du Japon. Pendant que les plus téméraires d’entre eux se risquent à taquiner Natsumi sur son affinage des connaissances des règles du tournoi, Suki ferme d’une main qui s’affirme avec le temps et la pratique une nouvelle fournée de gyozas. Elle s’essuie le front du revers de la manche, retroussée jusqu’au coude. La chaleur qui règne à côté de la cuisinière tournant à plein régime n’est qu’amplifiée par la présence de l’équipe au grand complet dans un si petit espace, par son enthousiasme insatiable. Suki surprend un regard un peu trop insistant d’Hibiki, le rassure d’un clin d’œil. À cet instant, dans le mélange pétillant de rires et de rêves de grandeur, tout va bien.
— S’il vous plaît ! On peut avoir deux paires de coquilles Saint-Jacques par ici ?
— Et trois thés Oolong pour nous !
Les premiers commencent à caler, les autres assurent qu’ils ont encore de la place. Domon tend son assiette :
— Coach, un autre assortiment de ravioles !
— De même pour moi !
Daburu récupère celle tendue de Natsumi en même temps.
— Désolé, s’excuse Hibiki, il ne m’en reste que pour une personne.
— Dans ce cas, Natsumi-chan, c’est pour toi, cède Domon.
— Natsumi-chan ?
Domon se mortifie en réalisant son erreur. Écrasé par le silence qui vient de s’abattre dans le restaurant, il balbutie :
— Euuuh, eh bien, je voulais juste…
— Ça ne me dérange pas que tu m’appelle comme ça.
Natsumi dissipe la gêne d’un mouvement de la main et Domon soupire de soulagement tandis que le reste du groupe éclate de rire.
— Mais, tempère-t-elle tout de même, n’oubliez pas qu’en tant que représentante du président du conseil d'administration, j’ai son autorité et mes mots sont les siens.
Elle plaisante, à moitié seulement. Ça ne fait pas peur à Hibiki.
— Alors qu’est-ce que le président du conseil d'administration aurait à dire à ces gars ?
Natsumi le prend au mot. Elle se lève, d’un coup bien plus solennelle, et se tourne pour embrasser la salle du regard, s’attarde sur chacun des joueurs.
— Dites-vous que l’honneur du collège de Raimon est entre les mains de son club de football. Je vous demande de conquérir le tournoi national et de donner le meilleur de vous-mêmes.
Il n’en fallait pas plus à Endou. À deux doigts de tout renverser tant il bondit sur place, il dresse un poing vers le ciel.
— Yosh, c’est parti ! À nous le tournoi national !
Et, tous en chœur, ils reprennent, imitant son geste :
— À nous le tournoi national !
Notes:
☆゚. * ・ 。゚☆ Si le chapitre vous a plu, pensez à laisser un kudo ou un commentaire ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 28: Il ne faut jamais rencontrer ses idoles
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Enfin, alors que le soleil se couche, colorant tout ce qu’il touche d’or, le calme revient au Rairaiken. Suki a abaissé ses manches et essuie la vaisselle qu’Hibiki lave. Les membres de Raimon voulaient rester pour aider mais Hibiki les a passé dehors – qu’ils aillent se reposer et profiter de la fin du weekend en famille, ils l’ont bien mérité. Seul reste Endou, assez têtu pour avoir gain de cause, qui nettoie les tables. Suki cligne lentement des yeux. Elle a sommeil, usée par l’intensité de la veille – le match, les centaines de spectateurs et tout le reste – et l’effervescence inépuisable dans laquelle elle a baigné toute la journée. Ses gestes tiennent de l’automatisme. Bercée par la douceur du silence retrouvé, elle tressaille lorsque la porte coulisse.
— Désolé, nous sommes fermés aujourd’hui, avertit Hibiki sans lever les yeux de l’évier.
Le curieux entre malgré tout et Suki se retient d’écarquiller les yeux, sa somnolence oubliée. Elle ignore qui est cet inconnu mais il lui rappelle Hibiki. Probablement parce qu’ils ont le même âge ou presque, même si contrairement au nouveau venu dont la barbe et les cheveux blonds sales dissimulent le visage, Hibiki a pris de l’avance en blanchissant prématurément. Hum, non, il y a autre chose. Face à l’insistance du visiteur qui ne part pas, son mentor finit par lever la tête et lâche un nom – Ukishima. Les deux hommes se saluent comme de vieilles connaissances dont le temps a effacé la proximité. Suki écoute un lointain cliquetis, une machine ancienne qui se réveille, une amitié dépoussiérée en soufflant dessus. Le nouveau venu prend place sur l’un des tabourets, pose un journal sur le comptoir. Suki reconnaît la une avec la photo prise à la fin du match et sur laquelle elle a pris soin de ne pas apparaître.
— J’ai entendu dire que Raimon a battu la Teikoku, annonce Ukishima. Ça m’a rappelé… J’ai eu envie de te revoir.
Il y a plus de mots dans ses non-dits que dans ses phrases, des mots plus lourds que ses doigts qui se crispent sur le papier de l’article.
— Eh… acquiesce Hibiki avec la même gravité, avant de présenter d’un geste : Voici le capitaine de la nouvelle équipe de Raimon, Endou Mamoru.
Le garçon a gardé la bouche bée depuis l’arrivée du nouveau venu, faisant des allers-retours entre lui et Hibiki, l’air aussi surpris que suspicieux. Ukishima remue à la mention de son nom, fixe le bandeau orange qui ceint le front du jeune joueur et finit par demander, presque à regret :
— Endou… ? C’est un membre de la famille de Daisuke-san ?
— Son petit-fils.
Malgré son manque de réaction apparente, l’annonce perturbe Ukishima et Suki glisse un regard furtif à Hibiki. Avant qu’il ne réponde à sa question muette, Endou est parvenu à la même conclusion.
— Vous aussi, vous… s’emballe-t-il, trop excité, trop incertain pour aller au bout de sa phrase.
Comme le concerné reste silencieux, Hibiki se charge d’éliminer toute ambiguïté.
— Hum. Ukishima était lui aussi un membre du Onze d’Inazuma.
— J’le savais !
Les étoiles brillent dans les yeux d’Endou. Ukishima est loin de partager l’enthousiasme de celui qui le considère comme une légende. Désormais inarrêtable, Endou s’épanche sur l’équipe de Raimon d’aujourd’hui, sur ce qu’il sait de celle d’hier. Alors qu’il mentionne le passé glorieux du Onze d’Inazuma et son ambition de devenir aussi fort, Suki voit une cicatrice se rouvrir dans les profondeurs de l’aura d’Ukishima. L’homme interrompt Endou en se levant, la une froissée du journal serrée dans son poing, et marmonne avant de quitter les lieux :
— Je savais que je n’aurais pas dû venir.
— Ojisan ?
Endou se précipite hors du restaurant à la poursuite de l’ancien joueur. Hibiki fixe l’encadrement vide. L’expression de son visage est indéchiffrable – un mélange de douleur et de nostalgie – et son corps contient l’énergie du geste pour retenir Ukishima qu’il n’a pas su faire. L’intensité avec laquelle Suki le fixe le sort de sa contemplation. Il prend les devants :
— Comment as-tu su qui il est ?
— Il sent le vieux, le provoque sa protégée avec un sourire moqueur, comme toi.
L’éponge jetée dans sa direction ne fait que la frôler. Elle prend un air plus sérieux.
— C’est vrai. Le… Le même passé que celui que tu portes. La même blessure, aussi. Même si... la sienne a moins bien cicatrisé.
Hibiki ne répond pas tout de suite. Quand il le fait, il a de nouveau le regard dans le vague, vers la porte restée ouverte.
— Je le comprends. Je suis passé par là aussi. J’y serais encore si Endou n’avait pas… Bon dieu, j’ai rarement connu quelqu’un aussi borné que ce garçon.
— Ojisan !
Endou rattrape Ukishima une intersection plus loin et l’ancien joueur, les mains au fond de ses poches usées, daigne s’arrêter le temps qu’il le rejoigne.
— Pourquoi vous êtes parti comme ça ?
— Pense pas trop qu’on est des héros, bougonne l’homme. Le Onze d’Inazuma n’avait rien d’extraordinaire. On était loin d’être aussi admirables que tu sembles le croire.
Le garçon refuse de considérer la possibilité et secoue vigoureusement la tête. Ils étaient forcément géniaux.
— Pourquoi ? Vous en faisiez partie, neh ? Vous faisiez partie de l’équipe de mon grand-père !
— C’est de l’histoire ancienne.
— Je ne comprends pas… se bute Endou.
Furubaku-san et l’inspecteur lui ont bien raconté la tragédie qui a touché l’équipe, mais ils lui ont aussi fait le récit de leur grandeur, de leur force, de leurs matchs incroyables.
— Le Onze d’Inazuma a abandonné le football. Après l’accident, aucun d’entre nous n’a eu la force de remonter la pente. Non, personne n’a réessayé… Même si on avait renoncé à jouer en compétition, on aurait au moins pu continuer à nous entraîner entre nous… Mais on ne l’a pas fait. On n’en a pas eu le courage. Peut-être qu’au fond, on savait qu’on n’était qu’une bande de bras cassés… soupire Ukishima en haussant les épaules, désabusé. Peut-être que nous n’aimions pas autant le football que ça, au final. C’est la véritable version de la légende, gamin. Comment on dit déjà ? Ah oui. Il ne faut jamais rencontrer ses idoles. C’est toujours une déception. Tu vois ? Rien que des lâches. Le légendaire Onze d’Inazuma n’existe plus.
Et il tourne les talons. Sidéré, Endou met trois secondes à se réveiller avant de le retenir encore :
— Alors pourquoi êtes-vous venu au Rairaiken ?
Une fois de plus, Ukishima s’arrête mais garde le dos tourné. Endou tente, énonce ce qu’il sent être la vérité jusqu’au plus profond de ses tripes :
— Ojisan, vous aimez encore le foot ! C’est pour ça que vous êtes venu voir le coach Hibiki, neh ? Alors pourquoi ne pas essayer de rejouer au foot ?
Il a réussi à piquer la curiosité de son interlocuteur qui pivote, tout juste de trois quarts.
— Qu’est-ce que tu racontes ?
— C’est vrai ! insiste Endou, saisissant sa chance. Hibiki-san est revenu vers le foot en devenant notre coach ! Vous aussi, vous pouvez le faire ! Je sais ! Venez jouer avec nous !
C’est au tour de l’ancien joueur d’être sidéré, la déferlante d'enthousiasme à laquelle il est confronté le pousse sur la défensive.
— Le gamin a raison, Ukishima.
Hibiki s’avance dans le dos d’Endou et son arrivée empêche son ancien ami de protester ou de s’éloigner d’un pas de plus.
— Demain soir, reprend le restaurateur, le Onze d’Inazuma se retrouvera à la rivière comme à l’époque, et jouera contre le nouveau Onze de Raimon.
Endou n’en croit pas ses oreilles.
— Vous avez bien dit le Onze d’Inazuma ? Neh ?!
Comme Hibiki approuve, il insiste, les yeux brillants d’excitation.
— Vraiment ? Le Onze d’Inazuma ? On va jouer contre le Onze d’Inazuma ? Le vrai ?
— Eh. Considère ça comme un match d’entraînement.
Endou fait des bonds, sous les yeux médusés d’Ukishima. Hibiki sourit, indulgent face à la stupéfaction de son vieil ami. Endou fait souvent cet effet-là aux gens.
— Montrons-leur la légende, Ukishima.
Celui-ci ne sait pas quoi répondre, désarçonné par la proposition de son capitaine d’hier, hypnotisé par Endou dont l’énergie ne va qu’en s’amplifiant. Ce gamin et tout ce qu’il implique l’effraie. Mais… Il a envie d’y croire. Juste un peu.
Hibiki ferme la boutique et Suki perd ses doigts dans la fourrure sombre de Kibô. Elle observe son mentor du coin de l’œil, constate :
— Tu n’as pas vraiment aidé Ukishima.
— Face à Endou ? rétorque son mentor. Il n’avait aucune chance dès le départ. Et puis…
Il s’immobilise après avoir posé la banderole de la devanture à côté de la porte, ôte ses lunettes pour passer une main sur son visage. Suki demande à voix basse :
— Elle fait mal ?
Le coin des lèvres d’Hibiki tremble. La blessure n’est pas palpable, pourtant ça ne veut pas dire qu’elle n’existe pas. Des fois, il voudrait pouvoir la gratter quand elle se réveille, comme une croûte qui démange.
— Hum, parfois. Pas beaucoup. J’aimerais… On est parti chacun de notre côté pour la soigner à notre manière, pour essayer de l’oublier surtout. Pourtant, même si on a perdu contact, on est tous restés à Inazuma, comme si on savait que quelque chose n’était pas encore terminé. Je me dis… Je me dis que ce match pourrait aider mes anciens coéquipiers à aller mieux… comme les gamins et toi m’aidez depuis que vous êtes entrés dans ma vie.
— Hibiki…
— C’est la vérité, ma belle. Eh, pleure pas. Viens là.
Hibiki referme ses bras sur Suki qui dissimule ses yeux humides contre sa poitrine tandis que Kibô se frotte à ses jambes. Il lui caresse le dos en répétant tout doucement :
— Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée depuis longtemps.
***
Sur le chemin du retour, Aki et Domon se sont arrêtés sur le talus en surplomb du terrain sous le pont. C’est là où leurs chemins se séparent. En prenant sur le pont, Aki a un petit quart d’heure de marche avant d’arriver jusqu’à l’auberge familiale. Pendant que ses parents sont en voyage d'affaires à l’autre bout du monde, c’est elle qui s’en occupe, avec Kazeaki-san. Là aussi qu’elle loge, et qu’elle a proposé plusieurs fois à Domon de venir pour lui éviter de faire le trajet tous les jours, mais il a toujours décliné. Alors, en continuant tout droit, il rejoindra la gare où les trains passent toutes les demi-heures jusque tard dans la nuit. Le ventre plein d’avoir trop mangé, le garçon s’est allongé sur les coudes et admire les reflets du soleil couchant sur l’eau.
— Tu sais… Je vois Endou comme un idéal.
— Eh ? Ce n’est pas souvent que l’on dit ça pour un gardien de but.
— Hum, mais… Ce n’est pas vraiment le fait qu’il soit gardien… Plus lui. Je ne sais pas comment dire. Il a un mélange de génie et d’imagination imprédictible… Pas juste quand il joue. Quand je suis avec lui, j’ai l’impression que tout est réalisable à n’importe quel moment.
Aki acquiesce. Eh, c’est une bonne description d’Endou. Domon se redresse, soudain plus grave et poursuit d’une voix moins sûre en passant nerveusement la main sur son épaule :
— Quand j’étais à la Teikoku Gakuen, j’en pouvais plus d’être avec les autres, à cause de Kageyama et de l’ambiance qu’il instaurait. Même entre coéquipiers… Je n’ai pas joué un seul match avec eux cette année, et je préférais ça. J’avais oublié à quel point le football pouvait être amusant.
Ses doigts se crispent un instant sur le tissu de sa veste avant qu’il ne se laisse à nouveau partir en arrière et ne s’allonge dans l’herbe, son sourire revenu éclairer son visage. Il frotte distraitement le bleu sur sa joue.
— Même si ce n’était pas forcément pour les bonnes raisons… Je suis content d’être venu à Raimon. J’aime cette équipe. Et j’aime le football que j’y ai découvert. Aki… Je suis heureux.
Et Aki sent tout le poids, toute l’importance derrière ses mots. À quel point ils sont spéciaux, à quel point ils n’avaient pas été vrais depuis trop longtemps. Doucement, elle s’allonge à son tour.
— Eh, Domon-kun. Moi aussi.
***
— Je suppose que vous ne voulez pas entendre parler de notre défaite.
Kidou se tient droit à mi-chemin entre l’entrée de la pièce et le bureau de son père adoptif, pas tout à fait trop loin, pas vraiment assez proche non plus. L’homme abaisse sa tasse de thé en gardant le silence.
— Mais… pour moi, elle a un sens. Elle m’a permis d’apprendre. Sur moi, entre autres. Et je crois que c’est important.
La tasse tinte dans la coupelle et son contenu frôle le bord sans jamais déborder. Les premiers mots de son père depuis qu’il est entré le prennent au dépourvu.
— Je te dois des excuses. Je m’en suis entièrement remis à Kageyama-san et je ne me suis pas assez occupé de toi. Ça m’embarrasse.
Kidou reste muet, frottant sans pouvoir le retenir le bout de ses doigts les uns contre les autres. Il n’est pas venu pour ça, il n’est pas venu entendre des excuses dont il ne sait que faire. C’est trop tard pour ça. La nouvelle de l’arrestation de Kageyama, comme le fait de réaliser qu’il a négligé l’éducation et l’accompagnement de son enfant, l’a juste embarrassé. Comme si ce n’était qu’une erreur de parcours. Comme s’il ne l’avait pas laissé toutes ces années entre les mains d’un manipulateur prêt à tuer pour arriver à ses fins. Comme s’il n’avait pas monnayé son amour pour Haruna afin de garantir qu’il ne salirait pas la réputation de son nom avec une défaite. L’absurde de la situation ne semble même pas effleurer son père adoptif qui poursuit :
— J’ai placé tous mes espoirs en toi sans jamais m’impliquer personnellement et je croyais agir pour ton bien. Tout ce que je voulais c’était te donner des preuves d’amour. Je me rends compte que tu as appris bien plus par toi-même que je ne l’aurais jamais espéré. Et c’est quelque chose à mes yeux qui vaut bien plus de valeur que trois années de victoires consécutives. Comme promis…
— Si vous voulez parler de notre marché concernant ma sœur, ce n’est plus la peine, l’interrompt Kidou.
Il voit dans son regard que l’homme ne comprend pas. Comment le pourrait-il ? Il n’a toujours fonctionné que par échange. Donner pour recevoir. Tout acheter, que ce soient les actions des entreprises ou l’affection du petit garçon qu’il a récupéré chez lui.
— Je voulais la faire venir ici sans me demander si elle était heureuse et… c’était une manière égoïste et maladroite de lui montrer que je l’aime.
Au moins, ils sont aussi nuls l’un que l’autre pour montrer leurs sentiments. Lentement, l’homme récupère sa tasse, pour signifier que la discussion est terminée, à moins que ce ne soit pour dissimuler sa gêne. Kidou fait un pas en arrière.
— Je voulais juste vous dire que je continuerai de faire de mon mieux pour rendre honneur au nom de Kidou, mais à ma manière. Si vous permettez…
Kidou s’incline et quitte la pièce sans se retourner, sans que l’autre ne fasse mine de le retenir.
***
Aki, Haruna et Natsumi regardent les membres du Onze d’Inazuma arriver au compte-goutte. Elles les reconnaissent tous pour les croiser occasionnellement ou au quotidien dans les rues d’Inazuma. Jamais elles n’auraient soupçonné qu’ils puissent être d’anciens joueurs de foot. Haruna inscrit dans son bloc-notes les noms qu’elles identifient – elle n’est plus au club de journalisme, mais un scoop pareil ça ne se refuse pas. Même Batora, le chauffeur et majordome de la famille Raimon, a posé congé aujourd’hui pour rejoindre ses camarades d’hier. Natsumi s’est décomposée en le voyant troquer sa livrée contre un vieux maillot usé qu’Hibiki a dégoté au pied levé pour son équipe du jour. Aki est allée saluer Aida-san, l’entraîneur des KFC, et Endou s’est offusqué que celui-ci ne lui ait jamais révélé la vérité. À côté, Suki écoute les manageuses s’étonner en souriant. Les anciens plaisantent plus loin – à l’époque, ce n’était qu’un pré ici, boueux dès qu’il pleuvait, et l’herbe grillée en été leur piquait les mollets. En tenue de gardien rouge et noire au milieu de ses joueurs en violet et or, Hibiki tourne la tête vers sa protégée. Elle sait ce à quoi il pense lorsqu’il frémit en croisant son regard. Ils sentent le vieux. Il n’a pas digéré sa remarque de la veille, pourtant… elle n’y peut rien, elle ne trouve pas d’autres mots pour décrire le sentiment commun qu’ils dégagent, amplifié par leur réunion. Est-ce que ça aiderait si elle précisait que c’est de la bonne vieillesse ? Pas certain. Hibiki se méprend sur son sourire qui s’étire et la foudroie, en plaisantant à moitié, du regard. À moitié seulement.
De l’autre côté du terrain, les joueurs de Raimon tiennent à peine en place tandis que l’équipe adverse prend doucement forme.
— C’est comme un rêve. On va jouer au foot avec le Onze d’Inazuma !
Endou n’en revient pas et même s’il a passé la journée à le répéter pour prévenir ses camarades, il n’osait pas trop y croire. Mais maintenant, le rêve devient tangible. Kazemaru sourit :
— La légende a ressuscité après 40 ans, eh ?
— J’ai hâte de voir de quoi ils sont capables ! s’enthousiasme Domon, aussitôt appuyé par Matsuno et Shishido.
Et comment ! Cependant, lorsqu’Onigawara fait signe aux équipes de prendre place, le défenseur claque sa main dans celle de Kageno avant de prendre place sur le banc avec Megane. Aujourd’hui, il est de repos. L’inspecteur invite les capitaines à se serrer la main dans le rond central. Il a immédiatement accepté la proposition d’Hibiki d’être l’arbitre de la rencontre lorsqu’il est passé au Rairaiken tout à l’heure. Assister à un match du légendaire Onze d’Inazuma ? Bien sûr qu’il est partant ! Les gardiens gagnent leurs cages, Endou claque ses gants l’un contre l’autre :
— Même si ce n’est qu’un match d’entraînement, donnez-vous à fond et jouez du mieux que vous le pouvez ! Compris ?
— Eh !
Le tirage au sort a donné l’engagement pour le Onze d’Inazuma. Onigawara lève le bras, siffle. Le numéro 11 récupère le ballon et pose le pied dessus, encouragé par ses coéquipiers :
— Vas-y, Biruda ! Montre-leur !
— Les enfants, regardez ! C’est ça, clame-t-il, le football du Onze d’Inazuma !
Sous les yeux ébahis des joueurs de Raimon, le joueur carre ses épaules larges et massives, arme sa jambe.
— Eh ?! Un tir dès l’engagement ?! panique Endou.
L’adrénaline redescend aussi vite qu’elle est montée lorsque l’attaquant rate la balle et n’évite la chute que de justesse. Il se rétablit en plaisantant avec ses camarades, s’étrangle lorsque Handa lui passe sous le nez et part avec le ballon.
Bien que décontenancés par l’étrange entrée en matière, les joueurs de Raimon sont fidèles aux mots de leur capitaine. Ils traversent le terrain en s’appliquant sur le marquage et les dribbles et bientôt Gouenji est en position idéale pour tirer. Hibiki observe le ballon s’élever avec confiance. Yosh ! Ça faisait longtemps. Un frisson d’excitation le parcourt. Le majordome des Raimon choisit cet instant pour s’interposer et dévie le ballon. Pris au dépourvu, Hibiki le voit filer entre ses gants et aller rouler en douceur contre les filets. Onigawara siffle le but. Batora s’excuse, penaud :
— Désolé, Hibiki. J’ai essayé de la dégager…
Celui-ci fait signe que ce n’est rien et se retient de soupirer. Ce n’est pas gagné.
Malgré le manque d’implication de ses adversaires, Raimon ne faiblit pas. Ils sont face à des légendes, ils doivent montrer le meilleur d’eux-mêmes. Alors ils redoublent d’ingéniosité et de technique, faisant le brillant étalage de tout ce qu’ils ont appris. Mais en face, ça ne suit pas et le match est rapidement à sens unique. Endou arrête sans difficulté un tir qui n’a rien de dangereux, soupire. Lutter dans le vide est en réalité plus fatiguant que se heurter à un obstacle. Il n’a ici rien à affronter. Les étoiles de son rêve s’estompent petit à petit pour laisser place aux couleurs fades de la réalité. C’est donc ce à quoi ressemble vraiment le légendaire Onze d’Inazuma ? Qu’est-ce qu’a dit Ukishima hier déjà ? Il ne faut jamais rencontrer ses idoles. Endou se refuse à y croire et remet en jeu avec hargne. Ses camarades se précipitent à la réception, cependant eux aussi commencent à perdre leur entrain.
— Tu as enfin compris ?
Endou est surpris de remarquer Ukishima à côté de lui alors que l’action est de l’autre côté du terrain.
— Le légendaire Onze d’Inazuma n’existe plus, lui répète le défenseur.
Endou secoue la tête avec vigueur, refuse d’accepter que ce soit tout ce dont ils sont capables.
— Être une légende n’a rien à voir avec ça ! Pourquoi vous vous retenez ? Je sais que vous aimez le football ! Est-ce que ce match sans âme n’est pas une trahison ?!
Son interlocuteur ne répond rien. Les yeux cachés derrière ses cheveux trop longs, il se détourne et profite d’une touche pour regagner sa place.
Progressivement, l’enthousiasme de Raimon s’essouffle. Gouenji est le seul à ne pas abandonner. Sans relâche, il appelle le ballon, se démène pour l’emmener toujours plus haut, déjoue deux, trois, quatre adversaires à la fois s’il le faut, multiplie les tirs repoussés par Hibiki. Il veut y croire. Il veut s’accrocher à l’étincelle qu’il devine chez eux.
— Ukishima, arrête-le !
Alors que le ballon revient une fois de plus à l’attaquant de Raimon, Hibiki essaie de secouer sa défense. Gouenji vient presque au contact du joueur qui se dresse devant lui, fait rouler le cuir à gauche, à droite, talonne à l’aveugle. Il profite de la surprise de son vis-à-vis pour le dépasser. Dans son dos, Matsuno lève le ballon vers l’avant. Avant que les deux autres défenseurs ne le bloquent, Gouenji saute. Les flammes dansent autour de lui, s’enroulent autour du cuir. Il a beau connaître l’hissatsu technique, Hibiki se jette sans parvenir à arrêter la Fire Tornado.
Ukishima regarde Hibiki récupérer la balle tandis qu’Onigawara siffle et soupire. À quoi bon ? Son aura soupire elle aussi. Ou plutôt, elle grince, tel un vieil engrenage rouillé que l’on essayerait d’activer. La même plainte émane du reste de l’équipe. Quand ils sont arrivés, les uns après les autres, Suki a vu leurs énergies s’emboîter comme les pièces d’un gigantesque mécanisme. Elles se correspondent, se glissent les unes dans les autres, dans des marques aux bords usés par le temps. Ils vont parfaitement ensemble, c’est indéniable. Ils devraient fonctionner ensemble. Mais le mécanisme est grippé. Leurs rouages coincent et craquent. Ils ne veulent pas, ils n’y arrivent pas. Ils ont mal. Ils ont peur. Ils sont venus en souvenir du bon vieux temps mais doivent faire face à la douleur de leur blessure commune qui ne s’est jamais vraiment refermée. Aujourd’hui plus que tous les autres jours, elle s’est rouverte, à vif. Et plus ils voient les jeunes les surclasser, plus ils échouent, plus elle leur fait mal. Alors ils font semblant de rien, haussent les épaules et plaisantent entre eux pour faire passer le match plus vite et tant pis s’ils perdent, après tout, ils sont vieux, ça fait longtemps qu’ils n’ont pas joué et ce n’est peut-être pas pour rien qu’ils n’avaient jamais repris.
Le seul qui refuse cet état de fait, c’est Hibiki. Dans ses cages, gardien et capitaine comme il y a des années, il bouillonne. Il n’a jamais perdu sa passion même si, c’est vrai, pendant des années il s’en est tenu loin. Mais un jour, Endou a débarqué dans son établissement en parlant de ballon à tue-tête, puis un autre, il a ramené son équipe et, il n’y a pas si longtemps, il lui a demandé de devenir leur coach. Depuis, Hibiki a l’impression de s’être retrouvé. D’avoir ouvert une porte restée trop longtemps fermée. Ce match est l’occasion de panser leur blessure et il refuse qu’ils gâchent cette chance.
— Eh ! C’est quoi ce bordel ?!
Les anciens joueurs sursautent lorsqu’il tonne. Droit dans ses chaussures, le ballon à la main et les sourcils froncés, il les interpelle, les défie de détourner le regard.
— On est le légendaire Onze d’Inazuma ! Et ici…
Il désigne les joueurs de Raimon qui écoutent, incertains de ce qui est en train de se passer, un peu effrayés par le soudain éclat de leur entraîneur.
— Ce sont les enfants qui ont fait de cette légende leur rêve ! Nous avons la responsabilité de faire vivre ces sentiments ! Ne devrions-nous pas y répondre comme le véritable Onze d’Inazuma ?
Les mots d’Hibiki roulent comme le tonnerre sur le terrain, seul bruit dans un silence suspendu. Tout le monde retient son souffle. L’énergie insufflée dans sa tirade brille de mille feux. Elle se glisse dans les auras de ses joueurs. Elle met du baume sur leurs cicatrices, s’insinue entre les rouages, mange leur rouille et leur rend leur lustre. Les anciens de Raimon échangent un regard. Leurs dos se redressent. Doucement, un cliquetis s’élève. Celui d’une machinerie trop longtemps oubliée qui se réveille. Ukishima relève la tête, fébrile :
— Je… nous sommes…
— … le légendaire Onze d’Inazuma ! clament-ils tous en chœur.
Ils rayonnent autant, si ce n’est plus, que le soleil encore haut dans le ciel et Hibiki se laisse envahir par le brusque afflux de leurs émotions mélangées, indissociables. Ils vont leur montrer que la légende est réelle !
Notes:
☆゚. * ・ 。゚☆ Si l'histoire vous plaît, aimez, commentez, partagez. ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 29: Les légendes ne meurent jamais
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
L’équipe qui se met en mouvement n’a plus rien à avoir avec celle qu’elle était il y a quelques minutes à peine. Alors que les anciens remontent le terrain face à un Raimon rencontrant pour la première fois de la résistance, Suki contemple leurs auras s’accorder et vibrer à l’unisson. Elles ne forment plus qu’une seule et même énergie collective et le tableau est saisissant. Raimon lui avait offert un aperçu d’une unité similaire lors de la finale il y a deux jours, mais ce n’était qu’un balbutiement, la graine de quelque chose de plus grand à venir. Celle du Onze d’Inazuma n’a rien à voir. Elle a pour elle le temps et l’expérience que les années de séparation n’ont pas réussi à faire faner. Une unité aux couleurs passées, échos d’un souvenir qui, à cet instant, revit à travers eux. Endou n’est pas de taille pour lutter et c’est sans regret qu’il encaisse un but au terme d’une lutte acharnée à l’entrée de sa surface. Ce n’est pas grave. C’est maintenant que le match devient intéressant !
Face à la métamorphose de leurs adversaires, la motivation des joueurs de Raimon refleurit. Devoir se battre pour avancer, voilà qui leur donne envie de donner le meilleur d’eux-mêmes ! L’adrénaline monte pour savoir qui prendra la possession et pour déterminer qui marquera le prochain point. À l’issue d’un duel serré, épaulé par Gouenji et Handa, Someoka extirpe son épingle du jeu. Il se présente face à Hibiki, ce dernier le défie de tirer. Qu’il en soit ainsi.
— Dragon Crash !
Hibiki ne cille pas malgré le rugissement de la bête. Il sourit, plein d’assurance, tandis qu’une éclatante lueur dorée s’échappe de son poing serré.
— Je vais vous montrer…
Endou retient son souffle. Non… Suki se laisse envahir par la nostalgie de son mentor, par son énergie familière au chatoiement nouveau.
— … la God Hand originelle !
Identique et pourtant si différente de celle d’Endou. Elle éclipse la lumière du soleil en jaillissant quand Hibiki tend la paume, ses doigts gigantesques se referment sur le cuir et le museau du dragon. L’animal se dissipe dans sa poigne. Et lorsqu’elle s’efface, un sourire victorieux s’accroche au visage du portier, imité de manière incontrôlable par Suki. Endou bondit dans ses cages :
— Incroyable ! La God Hand originelle est vraiment incroyable !
Hibiki contemple un instant son gant où les dernières lueurs s’étiolent. Qu’est-ce que ça lui avait manqué…
— Maintenant, montrez-leur ce dont vous êtes capables !
Hibiki relance la balle et Ukishima répond à son appel. Il monte de la défense à l’attaque grâce au soutien de ses coéquipiers, cherche son camarade de toujours :
— Biruda !
— Je suis là !
Guidés par leur instinct, les deux joueurs répètent les gestes effectués des dizaines, des centaines de fois, il y a des années de cela. Hibiki leur a prouvé qu’ils en sont encore capables. Eux aussi, ils veulent revivre les plus belles sensations de leur passé. Dans la parenthèse hors du temps que leur offre le match d’aujourd’hui, au point où leurs souvenirs rejoignent le présent, tout est possible. Et même s’ils ne les ont pas faits depuis ce qu’il leur semble une éternité, impossible qu’ils les aient oubliés. L’attaquant et le défenseur lèvent la jambe simultanément, coincent un instant le ballon entre et le propulsent dans les airs où ils le rejoignent. Biruda par au-dessus et Ukishima par en-dessous dans un retourné, ils tirent. Même s’ils font tout pour le cacher, ils sont les premiers surpris lorsque des ailes de feu surgissent du cuir et le portent vers les buts, accompagnées du cri d’un oiseau de proie. Ils ont réussi ? Endou saute, trop tard, et Onigawara valide le but, ravi d’assister à la véritable renaissance de ses héros du passé. Même à l’autre bout du terrain, les flammes réchauffent Hibiki. Ça ! Ça, c’est le Onze d’Inazuma qu’il connaît !
Endou se relève d’un bond, soulève la balle encore brûlante sans s’en soucier, protégé par ses gants et son excitation, et se précipite vers l’inspecteur.
— Arbitre, temps mort !
— Il n’y a pas de temps mort au football, objecte Onigawara, amusé.
— C’est très important ! plaide Endou. S’il vous plaît !
L’inspecteur cède en riant, Endou court déjà vers le banc.
— Merci beaucoup ! Les gars, venez ici !
Sans rien vouloir en dire, les joueurs du Onze d’Inazuma accueillent avec soulagement la pause providentielle, aidant les buteurs à se relever de leur surprise et de leur réception hasardeuse. Hibiki s’adosse à l’un de ses poteaux pour observer les gamins se regrouper autour de leur capitaine, déjà en train de fouiller dans son sac.
— Le voilà !
Endou brandit le carnet de son grand-père et tourne les pages jusqu’à trouver celle qui l’intéresse. Kazemaru se penche par-dessus son épaule mais ne distingue, comme d’habitude, qu’un mélange de gribouillis, pourtant Endou est sûr de lui.
— C’est l’Honoo no Kazamidori, l’hissatsu technique qu’ils viennent de faire, je savais bien que je l’avais vue dans le cahier. Les gars, on va carrément l’apprendre !
Ils approuvent en chœur. Et comment ! Elle est super impressionnante et s’ils pouvaient l’avoir pour la seconde partie du tournoi, ce serait génial. Rapidement, Matsuno pose la question qui les titille tous :
— Qui va la faire ?
— Hum… déchiffre Endou à voix haute. La technique a besoin de vitesse qui fait zoom et d’un saut qui fait ba-boing.
Plongé dans ses réflexions, il ne prête pas attention aux mines déconfites de ses camarades. Kazemaru considère le tracé énigmatique.
— Vitesse et saut, eh ? C’est au tour du club d’athlétisme de briller.
— Hum, ça a l’air fait pour toi, Kazemaru !
Recevoir la validation de son capitaine et l’approbation générale de ses camarades fait s’emballer le cœur de Kazemaru. Il s’est proposé au culot et même s’il a vraiment envie de faire une hissatsu technique, il ne pensait pas que les autres seraient d’accord.
— Je pense que tu devrais être le second, complète Endou en se tournant vers Gouenji.
— Eh ! C’est logique ! C’est une hissatsu technique avec des flammes après tout !
L’argument de Shourinji se fait appuyer par Kageno. Et puis, Gouenji est celui qui maîtrise le mieux les hissatsus techniques de l’équipe, il y arrivera avec elle aussi. Haruna s’inquiète :
— Ça ne va pas gêner que vous ne frappiez pas avec la même jambe ?
— Je peux utiliser la droite, ça ne me dérange pas, assure Gouenji.
Son assurance ne fait que renforcer l’admiration des premières années à son encontre. Et en plus il est ambidextre ! Ils s'emballent, de plus en plus fort, jusqu’à ce que l’inspecteur les rappelle à l’ordre et leur signifie qu’il serait temps de reprendre le match. Ils obtempèrent sans que leur excitation ne retombe. Au contraire.
— Yosh ! Kazemaru, Gouenji, je compte sur vous !
— Eh !
Someoka cède à Kazemaru sa place en attaque lorsque la partie reprend et ils répondent à l’unisson à l’encouragement de leur capitaine. Sans doute parce qu’ils sont curieux de voir les jeunes réussir, les membres du Onze d’Inazuma mettent moins d’ardeur à l’ouvrage pour les bloquer. Les joueurs de Raimon en profitent et multiplient les occasions en faveur de leurs coéquipiers, leur dégageant le passage et leur faisant parvenir le ballon aussi souvent que possible. L’attaquant et le défenseur s’appuient sur les souvenirs concertés de l’équipe et les indications lues par Endou pour tenter de reproduire l’Honoo no Kazamidori. Ils ont les grandes lignes – coincer la balle pour la lever et la frapper de concert – mais se heurtent cependant au fossé entre la théorie et la pratique. Systématiquement, ils se manquent, trébuchent, le ballon leur échappe ou ne part pas droit. Autant d’échecs dont ils se relèvent sans avoir vu la moindre plume enflammée, butés, avant de recommencer. Kazemaru se demande s’il ne s’est pas trop avancé. Il se croyait prêt à maîtriser une hissatsu technique, mais ce n’est peut-être pas fait pour lui. Il fait taire ses doutes en saisissant la main tendue de Gouenji. La prochaine fois sera la bonne.
***
Shuuya se protège la nuque en roulant en arrière et la réception de Kazemaru est à peine plus gracieuse pendant que Kabeyama récupère le ballon perdu. Se relever est de plus en plus compliqué, malgré les encouragements de leurs camarades. Suki cale son menton dans ses genoux ramenés contre elle. Il leur manque quelque chose. Pourtant, ils commencent bien, sculptant à deux l’énergie pour façonner l’oiseau de feu, mais ce dernier leur échappe avant qu’ils ne l’attrapent.
— Vous devriez leur montrer encore une fois, provoque Hibiki.
C’est presque par accident que la balle revient dans les pieds d’Ukishima et de Biruda et aucun des Raimon ne fait mine de les retenir. Comme les autres, Suki détaille la trajectoire en cloche du ballon, l’approche des joueurs pour le prendre en pince juste avant qu’il ne touche le sol. C’est là que les énergies des tireurs se mélangent pour esquisser les premières plumes, le profil de l’oiseau. Les flammes, encore invisibles, naissent lorsqu’ils bloquent et compriment le ballon, alimentées par les auras jointes qui se logent dans le cuir. Il est là, l’instant crucial qui manque à Shuuya et Kazemaru.
— Tu as dit quelque chose ?
Suki s’aperçoit qu’Aki la dévisage et nie en bloc.
— Sisi, j’ai entendu moi aussi, intervient Megane.
Domon se penche de derrière son amie, intrigué comme Natsumi et Haruna. Coincée par les yeux rivés sur elle, Suki sent son cœur s’emballer. L’éclosion du feu et le cri strident de l’oiseau ne suffisent pas à détourner leur attention.
— Tu as compris, neh ? insiste le joueur à lunettes. Comment réussir la technique.
Fasciné par celle-ci, Endou sort la God Hand avec un temps de retard et ne résiste pas à la déferlante. Suki se mord l’intérieur de la joue, se concentre sur le ballon s’écrasant dans les filets pour ne pas croiser leurs regards.
— Peut-être, mais…
— C’est super !
Haruna ne lui laisse pas le temps d’objecter quoi que ce soit et les deux remplaçants opinent avec conviction. Avant que Suki ne puisse protester, Aki se lève et agite les bras :
— Eh ! Endou-kun ! Les gars ! Venez !
La panique l’envahit. Elle cherche le soutien d’Hibiki alors que les joueurs convergent en courant et son mentor hoche doucement la tête. Ça va aller, ma belle.
Aki la désigne dès qu’ils sont tous là :
— Daburu a compris le fonctionnement de l’Honoo no Kazamidori.
— C’est vrai ?
Trop. Trop d’attentions braquées sur elle. Elle voudrait redevenir invisible. Prise au piège, Suki ne peut pas reculer. Le souffle dans sa nuque est glacé. Tout ça parce qu’elle a pensé à voix haute. Elle devrait le savoir, pourtant, qu’elle ne peut pas se permettre de se faire remarquer. Autour d’elle, les joueurs attendent, curieux et leurs auras l’écoutent sans la submerger. Loin de l’envahir, elles se dressent en rempart entre elle et le monde, la réchauffent. Ici, avec eux, elle est en sécurité. Elle passe une main à l’arrière de son cou. C’est vrai, le oni n’est plus une menace. Suki se recompose un masque confiant et fixe Kazemaru, passe plus vite sur le visage attentif de Shuuya. Quand elle se lance enfin, sa voix a retrouvé son apparente assurance habituelle :
— Comme toi, Ukishima est le plus rapide de son équipe. Je pense… hum, je pense que c’est bien à toi de la faire, Kazemaru. Mais tu devrais partir de l’arrière, l’Honoo no Kazamidori lie l’attaque et la défense. Pour réussir, vous devez arriver sur le ballon exactement avec la même distance et la même vitesse. Il faudrait… hum… peut-être que vous comptiez vos pas ? Quatre pour Kazemaru et trois pour Shu-Gouenji ?
Suki s’interrompt, le souffle coupé de sa tirade lâchée trop vite, de ses mots qui s’emmêlent, de son lapsus final passé inaperçu. Les mains figées en l’air de sa tentative maladroite de mime, elle attend en se mordant la langue le verdict des joueurs. Ceux-ci échangent un regard avant d’opiner. Eh… C’est donc comme ça que ça marche ?
— Oy, les jeunes, vous vous croyez où ?
Rappelés à l’ordre par Onigawara, les joueurs se dispersent sur le terrain. Au moment de repartir, l’attaquant lui sourit :
— Bien joué, d’avoir remarqué tout ça !
Merci, Shuuya. Suki ravale douloureusement les mots avant qu’ils ne lui échappent. Elle le regarde s’éloigner en inspirant très fort pour ne pas trembler. Haruna lui tend une bouteille qu’elle attrape sans regarder.
— Dis… tout ce tu as expliqué… Tu voudras bien le noter sur les fiches ?
Suki acquiesce en apaisant sa gorge desséchée et est soulagée qu’aucun d’entre eux ne lui pose la moindre question supplémentaire.
La partie reprend. Que Kazemaru soit retourné en défense fait sourire Ukishima et Hibiki. Pour le challenge, le Onze d’Inazuma dispute la possession et les fait batailler un peu avant que Matsuno ne récupère le ballon. Endou donne le top départ :
— Gouenji, Kazemaru, maintenant !
Kazemaru remonte le terrain, leurs trajectoires convergent. Matsuno lève la balle haut entre eux. Les deux joueurs s’élancent, évaluent la distance qui les séparent, calculent comme ils peuvent la vitesse de l’autre. Kazemaru compte dans sa tête. Un… deux… Plus ils se rapprochent, plus leurs foulées se synchronisent et plus ils réalisent que quelque chose est en train de changer, à mi-chemin de la distance qui les sépare encore. L’air se trouble, prend une forme fluide qu’eux seuls distinguent. Et quand leurs jambes coincent la balle simultanément, ils savent qu’ils ont réussi. Les premières flammèches s’élèvent, les attirent avec le ballon dans les airs. Le cœur fou, Kazemaru a peur de se faire dépasser par la tempête de sensations nouvelles qui affluent – c’est donc ça, une hissatsu technique vécue de l’intérieur ? Il lui semble que les émotions de Gouenji – chaud ! – déteignent sur les siennes, que l’inverse est vrai aussi. Il tente de garder le contrôle, arme sa jambe. Avec plus de maîtrise, par la force de l’habitude, Gouenji se retourne. Ensemble, ils clament avec fierté :
— Honoo no Kazamidori !
L’oiseau s’envole dans un éclat ardent. Peut-être qu’il n’a pas la patine de son modèle, mais il n’a rien à lui envier.
***
Ils sont venus la remercier, respectant sa gêne, la prenant peut-être pour de l’humilité. Ils ne l’ont pas embêté plus longtemps, débriefent avec énergie du match plein de surprises. Suki souffle un coup. L’inspecteur est déjà parti. Plus loin, Hibiki discute avec ceux du Onze d’Inazuma. Les anciens joueurs ont l’air heureux. C’est ce que chantent les cliquetis et chuintements de leurs auras. Malgré la distance, Suki devine encore la cicatrice commune qui court à leur surface, trait continu qui les relie. Elle ne pulse plus de la douleur qui la défigurait et pour le reste… le temps fera son affaire. Enfin, ils s’en vont, un à un. Ce n’est qu’un au revoir, avec la promesse de se retrouver à nouveau bientôt. Hibiki redescend lentement les marches et la rejoint. Quêtant son autorisation muette, il pose une main sur son épaule, regarde avec elle ceux de Raimon éclater de rire et discuter avec entrain.
— Merci, ma belle.
— Hmhm…
— Je suis sérieux. Ils ne savent pas la chance qu’ils ont de t’avoir…
— Arrête…
— … la chance que j’ai de t’avoir.
Suki suspend son geste pour se dégager, lève les yeux vers Hibiki. Il pense chacun des mots qu’il dit. Et c’est peut-être ce qui la perturbe le plus. Doucement, elle s’écarte, glisse les mains dans les poches.
— Hmhm…
Hibiki n’insiste pas. Un jour… un jour elle s’en rendra compte.
Notes:
Je suis désolée pour Kageno, Suki lui a volé son opportunité de briller >_<".
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Chapter 30: Quelle que soit la décision que tu prendras
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Eh ! Vous vous rendez compte que dans deux jours, on sera au Football Frontier Stadium !
Personne ne reprend tout de suite après la déclaration d’Endou. Ils marchent en silence, perdus dans la contemplation de l’idée vertigineuse. Dans moins de 48 heures se tiendra la cérémonie d’ouverture des phases finales du tournoi. Tout à l’heure, Natsumi leur a présenté le protocole, de l’arrivée au stade à leur départ en fin de journée en passant par leur entrée sur le terrain pour la parade. C’est sans doute la partie la plus grisante et celle qu’ils ont écoutée avec le plus d’attention. Shishido se couvre les yeux.
— Faut pas que j’y pense, sinon je vais pas réussir à dormir.
— Eh, regarde où tu vas !
Matsuno le tire par le coude, lui évitant la collision avec un lampadaire. Endou recompte sur ses doigts :
— Mais ça veut aussi dire que si jamais notre premier match tombe le dimanche, on n’a plus que… demain après les cours et le samedi matin pour s'entraîner.
Sa moue boudeuse déclenche le rire de ses camarades. Someoka passe un bras autour des épaules de Gouenji et de Kazemaru :
— C’est largement assez. Avec l’Honoo no Kazamidori, on va forcément gagner.
— Hum… sans doute, mais en se levant tôt le dimanche matin, peut-être que…
— Ah non ! proteste l’attaquant. Pas question de se crever de bon matin pour notre premier match ! S’il tombe le lundi ou le mardi, d’accord, mais sinon, Endou, c’est non. Sans compter qu’on ne saura nos adversaires qu’à la fin de la cérémonie et ça fait court pour se préparer.
La mention de leurs futurs opposants détourne les pensées d’Endou et Aki sourit en silence. Endou s’est déjà entraîné à des heures bien plus indécentes que le matin-même d’un match. Le gardien et capitaine croise les mains derrière la nuque, le regard levé vers le ciel orangé.
— Aaah j’ai trop hâte de savoir qui ça sera ! Le niveau sera tellement différent de ce qu’on a rencontré jusqu’à maintenant, ça va être trop bien !
— Carrément !
— On va affronter des joueurs de tout le Japon !
— Eh, si on nous avait dit ça y’a deux mois…
— … on n’y aurait jamais cru.
Ça leur fait bizarre, de réaliser à quelle vitesse les choses ont évolué. D’une équipe boiteuse à sept joueurs à peine, ils sont rentrés dans le cercle fermé des seize meilleures du Japon et l’ascension fulgurante a de quoi faire rêver. Heureusement que les manageuses et le coach se chargent de les aider à garder les pieds sur terre. En parlant d’Hibiki-san…
— Dis, Cap’taine, t’es sûr que c’est le bon chemin ? vérifie Kurimatsu.
— Mais oui ! Je l’ai déjà pris, on va arriver derrière le Rairaiken, je vous dis !
Kazemaru ne dit rien mais il n’est pas le seul à penser que le raccourci que leur a vendu Endou n’en est pas tant un que ça. Un grincement métallique dans la ruelle adjacente attire son attention et il plisse les yeux.
— Eh mais c’est…
— Daburu !
Endou reconnaît également le commis dans les flaques des lumières des lampadaires et oblique vers lui. En l’entendant crier, celui-ci se retourne, tire un peu plus sa capuche rabattue par-dessus son béret légèrement de travers. Endou n’attend pas d’atteindre son niveau pour engager la conversation :
— Je m’attendais pas à te croiser là ! Qu’est-ce que tu fais ici ?
— Hibiki m’a passé les clés. C’est un vieux gymnase. J’y vais… des fois, répond Daburu en pointant du pouce le bâtiment derrière lui.
Maintenant qu’il le dit, Kazemaru remarque son survêtement, la sueur sur son visage et son souffle plus court que d’habitude. Les bribes d’information suffisent à enflammer la curiosité d’Endou.
— C’est vrai ? Pourquoi tu l’as pas dit plutôt ? C’est pour faire du sport ? Tu fais quoi ? Depuis combien de temps ? T’as déjà joué au foot ? Eh ! Ça te dit de t’entraîner un jour avec nous ?
Contrairement à son capitaine, le défenseur décèle le tressaillement de Daburu sous l’avalanche de questions et force Endou à faire un pas en arrière. La distance établie semble soulager le commis. Kazemaru le rassure :
— Tu n’es pas obligé de répondre si tu…
— De la boxe. Je fais de la boxe. Un peu. Principalement.
Ce disant, le commis passe inconsciemment son pouce sur les jointures de ses articulations à la peau rougie.
— Comme l’a dit Endou, tente de poursuivre Kazemaru, encouragé par le bout de réponse, si un jour tu veux jouer avec nous, je pense que tout le monde est d’accord.
Les uns après les autres, ils approuvent. Mais la proposition ne déclenche pas l’enthousiasme qu’ils espéraient chez le concerné et Kazemaru se dépêche de tempérer :
— … ou juste venir voir, c’est bien aussi. C’est cool quand tu es là, tu sais ? Tu nous as bien aidé, pour l’Honoo no Kazamidori. Demain, ça te dit ? On fera sans doute l’entraînement au collège.
Depuis le début de la semaine, le commis a plusieurs fois accompagné Hibiki-san, surtout lorsqu’ils étaient à la rivière et Kazemaru redoute que la localisation dans l’enceinte de l’école le rebute. Pourtant, il considère la proposition avant de lui offrir un bref hochement de tête.
— Hum… demain. Je passerai après…
La fin de sa phrase meurt. Le visage dissimulé dans l’ombre de sa capuche, il n’y a guère que ses yeux qui les scrutent qu’ils peuvent distinguer.
— … une course. J’aurai une course à faire.
— Ça marche !
Kazemaru n’insiste pas et Endou a la sagesse de l’imiter. Il s’agit sans doute de la conversation la plus longue qu’il ait eu avec le commis d’Hibiki-san depuis qu’il l’a rencontré. C’est si facile de s’habituer à son manque de loquacité, à sa présence silencieuse. C’est pourtant Daburu qui relance :
— Vous alliez au Rairaiken, non ?
— Eh ! Hibiki-san nous a proposé d’y passer. Il est parti plus tôt de l’entraînement pour ouvrir, mais on s’est perd…
— Hé !
Ils ignorent tous soigneusement la protestation d’Endou. D’un signe de la tête, Daburu les invite à le suivre.
— Par là. J’allais rentrer de toute façon.
Endou ne manque pas de leur tirer la langue lorsqu’ils arrivent, trois intersections plus loin, dans la cour du Rairaiken. Daburu s’arrête devant la porte et les considère un instant.
— Hibiki n’aime pas trop qu’on passe par l’arrière mais j’imagine que pour cette fois…
Ils s’engouffrent à sa suite, le dernier refermant derrière eux, et découvrent avec curiosité la réserve du restaurant. Daburu leur ouvre le passage jusqu’à la salle de restauration, en profite pour signaler leurs présences au chef. Ils lui passent devant tandis que le garçon se glisse dans l’escalier qui disparaît à l’étage.
— Je vais… hum, je reviens. Installez-vous.
Hibiki n’a fait aucun commentaire sur leur arrivée inhabituelle et a aussitôt pris leurs commandes. Daburu est redescendu une paire de minutes plus tard, changé et le béret droit. Il a noué son tablier avant de se glisser aux côtés du restaurateur. La conversation tourne autour des derniers entraînements, du match à venir. Someoka a appelé leur coach en renfort pour convaincre Endou de renoncer à l’entraînement du dimanche matin. En bout de comptoir, le menton dans sa main et l’estomac plein, Kazemaru écoute le coach menacer le gardien de sa louche sous les rires de leurs camarades. Son regard dérive sur Daburu. Le garçon a l’air à nouveau dans son élément. Il a plaisanté une ou deux fois avec Hibiki et c’est bien le seul ici qui s’ose à le provoquer. Tout à l’heure, Haruna l’a pris à parti pour regarder avec lui les nouvelles notes qu’elle voudrait qu’il reporte sur les fiches des joueurs. Étrangement, la responsabilité semble lui avoir échu. Kazemaru sourit. Quel drôle de garçon. Il a vraiment envie d’apprendre à le connaître.
Les jours ont raccourci et le froid est revenu, rabattant les passants et les flâneurs à l’abri. À cette heure-ci, les lampadaires ne sont pas encore éteints et découpent des halos de lumière crue sur les trottoirs.
— Tu es sûre que c’est bon ?
Suki hoche vigoureusement la tête. Accroupie devant elle, Tia arrange pour la énième fois l’écharpe autour du cou de l’enfant, glisse sous son bonnet la mèche qui s’en échappe.
— Tu connais mon numéro, hein ? Je l’ai donné à Fuku-san aussi. Tu m’appelles si quelque chose ne va pas, au moindre problème, au moindre truc louche, au… au moindre tout. Neh ?
Suki approuve une nouvelle fois, rendue muette par l’excitation et l’appréhension. Les recommandations interminables de Tia n’ont pour seul but que de retarder l’échéance et sa protectrice le sait bien. Son stress chatouille la peau de Suki quand elle lui caresse la joue.
— Tu as de quoi boire ? Et des mouchoirs ? J’ai bien prévenu Fuku-san, tu n’hésites pas à le dire dès que tu fatigues, hein ? Surtout, tu ne te forces pas.
L’enfant jette des coups d’œil par-dessus son épaule, vers Fuku, Shuuya et Yuuka qui l’attendent cinq mètres plus loin. Elle connaît par cœur les consignes, Tia les lui répète depuis une semaine, depuis qu’elle a accepté de la confier à Fuku-san pour la demi-journée, après des mois inlassables de proposition. Elle lui répète aussi qu’elle peut renoncer à tout moment, mais aucune chance que Suki abandonne l’opportunité de passer autant de temps avec ses amis. Pour la première fois depuis… depuis qu’elles voyagent toutes les deux, Suki va quitter les côtés de Tia pour des inconnus. Enfin, plus tant des inconnus que ça, mais qui le seront toujours trop aux yeux de sa protectrice. Celle-ci a tergiversé des heures, des jours durant. Les doutes qui l’agitaient, qui l’agitent toujours, troublent les reflets de son aura. Son refus catégorique s’est érodé, petit à petit, face au bonheur dont rayonne Suki dès qu’elle passe du temps avec les adelphes. Ça fait trop longtemps qu’elle ne l’a pas vu sourire comme ça, l’ombre du oni semble pour quelques instants s’éloigner. La priver de ce bonheur serait égoïste, elle ne pourra pas éternellement la garder près d’elle et la traîner dans son sillage. L’argument décisif qui l’a fait céder, c’est la confiance que Suki place en Fuku, Shuuya et Yuuka. Une confiance absolue, incontestable.
Tia est arrivée au bout de son monologue, elle n’a plus rien pour retenir Suki. Dans un dernier élan, elle l’attire contre elle et la serre entre ses bras. L’enfant lui rend son étreinte avant de reculer légèrement. Tia la libère. D’un pas, puis d’un autre, Suki s’éloigne. Un dernier sourire, un signe de la main. Puis Suki fait volte-face et s’élance. Immobile, Tia regarde, le cœur serré, la poitrine écrasée sous la peur, sa protégée déployer ses ailes.
Suki cligne des paupières. Une fois de plus, elle n’a pas vu le temps passer.
— Je pars plus tôt que d’habitude, je suis désolée. J’ai promis à un ami de Shuuya que j’irai les voir s’entraîner.
Elle pose un instant ses doigts sur ceux de Yuuka, pince les lèvres. Avant de quitter l’abri de la chambre, Suki écoute. Les bips des moniteurs, la respiration calme de Yuuka, celles rauques des patients dans les autres pièces, les pas pressés du personnel médical sur le lino, l’éclat de soleil à l’autre bout de l’étage. Retrouver l’aura lumineuse enfantine, anonyme, même de loin, la réconforte, au moins un peu. Elle espère qu’il sera encore là quand elle reviendra.
L’ambiance lorsque Suki arrive n’est pas celle à laquelle elle s’attendait. Les joueurs sont étonnamment silencieux, dispersés en petits groupes. Elle repère Hibiki au centre du terrain avec Aki, Handa et Shourinji, et Endou aux cages. Shuuya et Kazemaru sont quelque part entre les deux et ce sont vers eux que les regards sont dirigés. Haruna lui fait signe de les rejoindre, elle et Natsumi, au banc et lui glisse dès qu’elle est assez proche :
— C’est l’Honoo no Kazamidori. Ils n’arrivent plus à le faire. Depuis le début de la semaine, ils avaient réussi à le maîtriser avec de plus en plus de constance. Mais aujourd’hui…
Hibiki fait signe aux garçons de se positionner, place un ballon devant Handa. Au coup de sifflet de Aki, le milieu tire et les deux autres s’élancent. Suki plisse les yeux. Une dissonance pollue la couleur des flammes, le cri de l’oiseau. Le vol de l’animal échappe à ses créateurs et le ballon passe au-dessus des cages sans qu’Endou n’ait besoin de bouger.
— … il n’y en a pas un seul qui est rentré, conclut Haruna en soupirant. Ce n’est pas la faute de tes indications hein ! Elles marchaient parfaitement les autres jours. Je… je ne sais pas pourquoi ce n’est plus le cas.
Suki sent bien que la manageuse espère qu’elle leur donne une solution miracle, mais elle se mord la joue sans rien dire. Avec un encouragement d’Hibiki, l'entraînement reprend dans l’atmosphère tendue et étouffée. Au milieu du mélange chantant de leurs auras qui prend ses aises dans le silence persiste une fausse note. À l’autre bout du terrain, Kazemaru offre un sourire désolé à Shuuya.
— Hey.
Kazemaru est parmi les derniers à quitter le terrain et s’arrête devant Daburu. Les autres sont déjà partis se changer.
— Je suis désolé, s’excuse le défenseur, je suis content que tu sois venu mais… cet entraînement n’était vraiment pas notre meilleur.
Daburu secoue la tête pour signifier que ce n’est rien. Kazemaru se laisse tomber à côté de lui sur le banc déserté par les filles, boit à l’une des gourdes qui trainent. Le nez levé vers le ciel, il reprend :
— Je ne sais pas, je… J’ai envie d’y arriver. Vraiment. Mais plus j’essaie, moins ça marche. Et c’est terrible. Le match est bientôt. Je ne peux pas me permettre de gâcher nos chances.
— Ne pas réussir l’Honoo no Kazamidori n’est pas la seule chose qui te préoccupe.
Daburu, la tête penchée sur le côté, ne s’encombre même pas de lui poser la question et Kazemaru a un rire triste.
— J’imagine que tu as raison.
Il renifle un coup. Endou et Someoka s’arrêtent près du portail, il leur fait signe de ne pas l’attendre.
— Je ne veux pas t’embêter avec ça. Ce serait vraiment terrible que je t’aie demandé de venir pour me plaindre derrière.
Pourtant, dans le silence patient que laisse Daburu, sans croiser le regard qu’il sent posé sur lui, Kazemaru explique :
— Tout à l’heure, on a vu le club d'athlétisme. J’en faisais partie, tu sais, avant qu’Endou ne me demande de rejoindre l’équipe ? C’était pour le tout premier match contre la Teikoku Gakuen. J’ai discuté avec eux. On a même couru ensemble. On s’entend bien, ils avaient compris que je dépanne le club de foot pour un match à l’époque. Et puis ça s’est étiré dans le temps et maintenant, ils se demandent quand est-ce que je reviendrai. Surtout Miyasaka. Un ami, en première année. Il… Il voudrait vraiment que je revienne. Et de l’autre côté, j’ai l’impression d’avoir trouvé ma place avec Endou et les autres. Grâce à eux, j’ai découvert le football. C’est différent de l’athlétisme, mais ça me plait, les défis ne sont pas les mêmes, les sensations non plus. C’est un nouveau monde qui s’offre à moi et en même temps, j’ai l’impression de trahir l’athlétisme et Miyasaka et… Et je ne sais plus quoi faire.
Sa dernière phrase s’éteint dans un souffle. Le silence se prolonge. Il fixe devant lui, incapable de regarder le commis. Il se sent ridicule d’avoir étalé ses problèmes ainsi. Daburu n’a rien demandé. Il doit le prendre pour un fou peut-être. Il n’y a cependant aucune moquerie dans la voix de ce dernier lorsqu’il prend enfin la parole :
— C’est normal, d’avoir des doutes. Je crois même que c’est plutôt sain. Kazemaru…
À l’énoncé de son nom, celui-ci ose tourner la tête vers Daburu et se fait happer par ses yeux.
— Tu as un bon cœur. Quelle que soit la décision que tu prendras, ce sera la bonne.
Du bout des doigts, Daburu lui effleure la poitrine, retire aussitôt la main. Une sensation de vertige fleurit sous le contact, se propage. Pour peu, Kazemaru en oublierait comment respirer.
— Daburu ! Tu viens ?
L’appel d’Hibiki lui remet d’un coup les pieds sur terre. Daburu brise le contact visuel pour répondre au coach et quand il se tourne à nouveau vers lui, ses yeux n’ont plus la même intensité.
— Je dois y aller.
— Merci.
Kazemaru a l’impression d’être à bout de souffle. Daburu cligne des paupières pour toute réponse et court rejoindre Hibiki en lui adressant un dernier signe. Kazemaru y répond de la même manière avant de poser sa main contre sa poitrine. Sous sa paume, le vertige ne s’est pas totalement dissipé.
Notes:
J'espère que vous appréciez l'amitié naissante entre Kazemaru et Suki autant que moi !
☆゚. * ・ 。゚☆ Si l'histoire vous plaît, aimez, commentez, partagez. ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 31: Ce sera la bonne
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Malgré ses efforts, le tourbillon de ses pensées a longtemps empêché Kazemaru de s’endormir hier soir et l’a réveillé aux aurores. Fatigué de regarder le plafond en vain, il s’est habillé, a remonté ses longs cheveux en queue de cheval d’un geste rôdé par l’habitude, avant de se faufiler hors de chez lui. Il a suivi ses pas jusqu’au bord désert de la rivière. Là, il laisse glisser son sac au sol et va récupérer un ballon oublié à la fin d’un précédent entraînement, abandonné contre les cages. Les mains sur le cuir, il cherche dans les détails des coutures et les accrocs les réponses à ses questions. Le ballon soulève de la poussière lorsqu’il le lâche et se met à courir avec. Kazemaru traverse le terrain, dribble des adversaires imaginaires. Demi-tour, feinte, il alterne ses appuis, goûte à l’air qui glisse dans ses cheveux, au sable qui crisse sous ses chaussures. Après un dernier tour sur lui-même, il envoie la balle dans les cages vides. Les filets tintent contre les poteaux, le ballon ressort en roulant. Kazemaru reprend son souffle.
— Kazemaru-san !
Depuis combien de temps n’est-il plus seul ? Il reconnaît la voix de Miyasaka avant de le voir. Son camarade lui adresse de grands signes depuis le talus et dévale ce dernier. Contrairement à lui qui se changera au local, Miyasaka est déjà en tenue de sport. Le club d’athlétisme commence l’entraînement plus tôt que celui de foot le samedi matin. Son ami observe le ballon devant les buts avant que Kazemaru ne l’invite à venir s’asseoir au bord de l’eau.
Ils restent ainsi de longues minutes, puis Kazemaru, les yeux rivés vers le ciel, s’humecte les lèvres et rompt le silence :
— Hier, quand tu m’as demandé quand est-ce que je reviendrai… Tu m’as fait réaliser que j’étais tellement absorbé par le foot que j’ai oublié toute notion du temps.
Le soleil s’est levé et dépasse la ligne des bâtiments en face.
— Et j’arrête pas d’y penser… à pourquoi je suis toujours dans le club de foot.
— Ils ont largement assez de membres maintenant… C’est pour ça que tu y es allé, non ? Alors tu n’as plus vraiment de raison d’y rester… si ? T’as fait ton job.
Kazemaru ramène ses bras sur ses genoux, descend son regard vers la rivière. Son job, eh ?
— S’il te plaît, insiste Miyasaka, reviens au club d’athlétisme.
— Je comprends… c’est vrai que je pourrais revenir… mais ce n’est pas aussi simple.
— Pourquoi ?
Est-ce que Kazemaru peut blâmer son cadet de ne pas comprendre ? Difficile de trouver les bons mots pour expliquer son hésitation alors qu’elle est floue, même pour lui.
— Le football a un truc qui est différent de l’athlétisme. Je veux… Je veux affronter les meilleurs joueurs du pays et devenir plus fort.
— Il y a aussi plein de très bons athlètes, c’est pareil !
— Eh, je sais.
Miyasaka ignore qu’Endou lui a sorti le même argument, dans l’autre sens, quand il essayait de le recruter il y a presque deux mois maintenant.
— Mais… ce n’est pas la même chose. Faire face à un adversaire sur le terrain, ça a… quelque chose d’unique. Qui donne envie de rencontrer tous les footballeurs incroyables qui existent.
Alors que Kazemaru peine à expliquer le ressenti qu’il expérimente tout juste, Miyasaka se détourne pour cacher la peine qu’il retient de moins en moins et qu’il cache derrière des phrases pleines de colère.
— Tu parles comme si l’athlétisme ne t’intéressait plus. Je n’aurais jamais pensé… Je n’aurais jamais pensé que j’entendrais ça de ta part un jour !
Miyasaka lui a dit une fois à l’entraînement que c’était lui qui lui avait donné envie de se lancer dans l’athlétisme et de rejoindre le club. La culpabilité d’abandonner son ami se mêle à celle de laisser tomber son premier club et aux doutes qui l’ont tenu éveillé toute la nuit. Quand Miyasaka lui fait de nouveau face, il marque un temps d’arrêt devant l’expression de Kazemaru mais ce qu’il a sur le cœur est plus lourd :
— S’il te plaît, reviens. Courons ensemble à nouveau ! Pourquoi… Pourquoi tu t’attaches autant au foot ?
— … Je m’attache, neh ? C’est vrai.
À nouveau plongé dans la contemplation de l’eau, Kazemaru laisse filer plusieurs secondes avant de demander à mi-voix :
— Miyasaka, le tournoi national débutera demain. Est-ce que tu voudrais venir assister à notre premier match ? J’aimerais que tu me voies jouer au foot.
— Pourquoi ?
Miyasaka refuse de croiser son regard, lui tournant pratiquement le dos, quand il pose sa question amère. Kazemaru sourit doucement.
— S’il te plait, viens regarder. Ensuite… ensuite on reparlera de si je reviens ou non au club d’athlétisme.
Le plus jeune fait la moue, hésite, avant de finir par lâcher du bout des lèvres :
— Eh bien… Puisque tu me le demande… je viendrai…
— Merci.
Miyasaka ne lui rend pas son sourire. Le visage fermé, il se lève, excuse son départ et s’éloigne sans un mot de plus. Le salut d’Endou qu’il croise au milieu du terrain reste sans réponse. Le capitaine de l’équipe de foot s’excuse :
— Désolé, j’ai tout entendu.
— Hum. C’est Miyasaka. Il a encore beaucoup de travail à faire, mais c’est un bon sprinter.
— Il n'a pas l’air de beaucoup m’apprécier, plaisante à moitié Endou.
— Ce n’est pas ta faute. S’il y a quelqu’un à blâmer, c’est moi.
Endou s’assoit à côté de Kazemaru et regarde avec lui les mouvements de la rivière.
— Tu sais, dès que tu nous as rejoints, je t’ai toujours considéré comme un membre à part entière du club de foot… mais c’est vrai que c’était pour nous aider temporairement.
— Eh. J’aimais bien vos entraînements de fou et votre esprit.
— Ouais, j’étais assez désespéré à l’époque ! rit Endou en se frottant le crâne, gêné par les souvenirs qui remontent.
— Au début, je voulais vraiment n’aider que pour quelques temps, mais avant de m’en rendre compte, je me suis retrouvé à penser au foot en permanence. C’était le même sentiment que lorsque j’ai commencé l’athlétisme. Je ne sais pas comment le dire autrement, mais je m’amuse !
Kazemaru se laisse emporter par les émotions qui le traversent. Endou sourit en miroir avant de demander :
— Tu vas y retourner ?
Les lèvres de Kazemaru s’affaissent et ses doutes reviennent hanter son visage.
— Je n’en sais rien. Vous et les gars de l’athlétisme, vous êtes importants pour moi. Devoir en choisir un me donne l’impression de trahir l’autre.
Endou se penche vers lui en souriant :
— Je crois que quelle que soit ta réponse, ce sera la bonne. Continue d’y réfléchir jusqu’à ce que tu sois satisfait.
Lorsqu’il pose la main sur l’épaule de son ami, Endou ne comprend pas pourquoi ce dernier a l’air si perturbé. En même temps, comment peut-il deviner qu’il vient de lui répéter, presque mot pour mot, ce que Daburu lui a dit hier soir ?
***
— Tu veux venir ?
— Hum !
Suki attrape sa veste et dévale les marches. En bas, Hibiki a déjà mis ses chaussures. Elle se dépêche d’enfiler les siennes, vérifie son reflet dans le miroir, dissimulée sous ses vêtements trop grands et le béret qui cache ses cheveux. Son masque est en place.
— C’est bon, on peut y aller.
Hibiki met une seconde à réagir. Une seconde durant laquelle elle aperçoit une lueur triste dans son regard. Elle fait semblant de ne pas la voir, se force à sourire et prend les devants en lui tirant la langue.
Le trouble de la veille n’a pas disparu, il n’est plus tout à fait le même non plus. Kazemaru n’a pas encore pris sa décision, ses doutes et les questions qui vont avec teintent chacun de ses mouvements. Mais il est en paix avec lui-même et la fausse note s’est tue. En est la preuve le ballon qui s’écrase dans les filets accompagné d’un cri de rapace. C’est la huitième fois d'affilée que Kazemaru et Gouenji réussissent, glisse Haruna à Suki lorsqu’elle les rejoint sur le banc. Le tir a même gagné en précision. Hibiki félicite les joueurs et leur fait signe de se replacer. Encore.
Cependant, le malaise sourd et diffus pesant malgré tout sur l’équipe n’échappe pas à Suki. La manageuse se charge d’éclairer sa lanterne. Les autres ont appris, pour le potentiel départ de Kazemaru. Suki opine doucement, se mordille l’intérieur de la joue en suivant des yeux les joueurs distraits. Aki répète les mots qu’a eu Endou au local tout à l’heure quand ils ont partagé leurs craintes. La décision revient à Kazemaru. Et puis, ils doivent se concentrer sur le premier match national imminent. Même si Haruna est d’accord, c’est plus fort qu’elle et Aki s’emploie à rassurer sa cadette. Suki ne les écoute plus. À la seconde où le portable de Natsumi se met à sonner, le souffle sur sa nuque se fait glacé et bloque sa respiration dans sa poitrine. La manageuse va pour décrocher, Suki voudrait lui hurler de ne pas le faire. Elle se contente de se mordre la lèvre jusqu’à sentir le goût du sang.
— Natsumi-san ? s’alarme Aki face au teint soudain livide de son aînée.
Elle n’obtient aucune réponse.
***
L’équipe a tenté en vain de reprendre l'entraînement avant d’abandonner. À la place, ils se sont regroupés au bord du terrain et partagent leurs inquiétudes à demi-mots. C’est Batora, le majordome des Raimon qui a appelé. Pendant que le père de Natsumi était au stade Football Frontier avec le comité d’organisation du tournoi, un incident est survenu et il y a eu des blessés. Celle-ci est aussitôt partie pour l’hôpital, Aki et Endou se sont proposés pour l’accompagner et Furubaku pour les conduire. Depuis, les autres attendent les nouvelles qu’ils ont promis de donner. Hibiki répond à leurs questions et calme leurs inquiétudes du mieux qu’il peut, mais il n’en sait pas vraiment plus qu’eux. Juste que la cérémonie est maintenue – et qu’Onigawara est déjà sur place pour enquêter, mais ça ils n’ont pas besoin de le savoir. Régulièrement, il jette un coup d’œil à Suki. Sa protégée s’est retirée à l’écart du groupe et ne bouge plus depuis tout à l’heure. Transie, hermétique à ce qui l’entoure, elle passe une main sur sa nuque par intermittence.
***
Les gradins sont pleins à craquer. Suki et Haruna se faufilent pour rejoindre leurs places attitrées dans les tribunes parmi la foule qui hurle à plein poumons pour répondre aux feux d’artifices et aux exclamations endiablées du commentateur.
— À tous les fans de football ! Le grand jour est finalement arrivé ! Vous êtes ici dans le stade Football Frontier, et vous la sentez, cette effervescence ? Est-ce que vous êtes prêts à ce que l’on passe le prochain mois ensemble pour des matchs de plus en plus palpitants ! Eh oui ! Parce que je peux désormais le dire… Que le Football Frontier commence !
La voix pleine de reliefs de Kakuma Oushou roule sur la pelouse, sur les spectateurs. Les retardataires se pressent pour trouver un siège libre et les bousculent, Suki grimace. Le lieu entier bourdonne, et sa tête avec, dans l’énergie ambiante qui électrise l’air. Elles descendent encore, près du bout de rangée qui leur est réservé. Avant de la quitter pour venir au stade, Aki et Endou ont incité Natsumi à rester avec son père, qu’elle se repose et se consacre à lui, ils s’occupent du reste. Elle a néanmoins transmis à Aki tout ce qu’il fallait – les pass des garçons, celui d’Hibiki-san et celui supplémentaire pour pouvoir les accompagner jusqu’à l’entrée sur le terrain ainsi que les places dans les gradins et toutes les instructions pour que tout se passe bien. Aki est allée auprès des joueurs, Haruna et Suki se retrouvent seules à chercher leurs sièges dans les tribunes. Enfin, Haruna repère les strapontins gardés par des feuilles avec Raimon inscrit dessus.
— Les féroces équipes se sont battues avec acharnement à travers tout le pays dans les tournois régionaux pour se qualifier. Elles se lancent désormais dans une bataille encore plus folle pour remporter la place de meilleure du Japon ! Laquelle décrochera le titre de champion ?! Il n’y a qu’un seul moyen de le savoir !
Suki soupire de soulagement en s’asseyant. Elles sont au niveau d’une barrière et l’espace libre devant elles lui permet de respirer. La rambarde froide devient l’ancrage auquel elle s’accroche, elle doit se retenir de poser le front dessus. La tentation d’aller se réfugier à l’abri des murs des couloirs est forte.
— Daburu, ça va ? s’inquiète Haruna.
Sa demi-phrase pour la rassurer est loin d’être convaincante, elle l’est néanmoins assez pour que la manageuse reporte son attention sur le public toujours plus – trop – nombreux. Un instant, Suki se demande ce qu’elle fait là.
— Mais laissez-moi vous présenter les équipes !
La foule rugit de plaisir, impatiente.
— Représentant la région du Kinki, ils ont survolé, et ce n’est pas peu dire, les phases éliminatoires, voici…
Les attentions convergent vers la bouche noire des coulisses, guettant le premier mouvement, les premiers compétiteurs.
Plus loin dans les coulisses du stade, les cris du speaker sont un brouhaha indistinct, étouffés par l’épaisseur des murs. Ça n’empêche pas Endou et les autres de sentir l’air vibrer sous les applaudissements. Le capitaine de Raimon met de côté son appréhension pour s’adresser à ses camarades :
— On y est enfin ! On en a parcouru, du chemin, avant d’arriver ici, mais maintenant nous y sommes…
Ils sont plusieurs à hocher la tête, à sourire.
— … alors montrons-leur de quel bois on se chauffe !
— EH !
Ils dressent le poing du même ensemble, vers le ciel, vers la victoire. Dans les quelques dernières minutes avant qu’on ne vienne les chercher, c’est l’heure des ultimes vérifications. Rien de travers ? Pas d’étiquette qui dépasse ? Tout le monde est allé aux toilettes ? Le groupe rit quand Kabeyama clame qu’il y a pensé, faisant redescendre la pression d’un cran. Puis ils reçoivent le signal et Aki les encourage :
— Bonne chance !
— C’est à vous, les garçons, complète Hibiki avec émotion.
Les deux accompagnateurs s’écartent tandis que les joueurs s’alignent. Le cœur battant, ils s’avancent dans le couloir, rejoignent la porte-drapeau qui brandit le panneau avec le nom de leur école et lui emboîtent le pas. Plus ils avancent, plus le vacarme devient assourdissant. Quand ils passent le porche, la soudaine lumière les éblouit.
— … du Kanto, c’est… le collège de Raimon !
— Ce sont eux !
Haruna se redresse sur son siège et se penche en avant. Comme les milliers d’autres spectateurs, elle dévisage les petites silhouettes qui s’avancent, Endou et Gouenji côte à côte en premier, et les autres qui s’alignent derrière.
— Le collège de Raimon, la courageuse équipe qui a battu la Teikoku Gakuen à la finale des préliminaires régionales ! Tout le monde les regarde dans l’espoir de voir renaître le légendaire Onze d’Inazuma !
Suki suit leur progression alors qu’ils font un tour de parade avant d’aller s’aligner au centre le long des équipes déjà entrées. Malgré la distance, elle reconnaît sans mal chacune de leurs auras, familières, dans le brouhaha de celles des autres joueurs et des spectateurs.
— C’est maintenant au tour de l’équipe détentrice du titre de faire une entrée spectaculaire ! enchaîne Kakuma. La Teikoku Gakuen !
L’aura d’Haruna s’anime en voyant son frère apparaître sur le terrain et sa joie contagieuse arrache un demi-sourire à Suki.
— Malgré leur défaite face au collège de Raimon, la jusque-là invaincue Teikoku Gakuen a le privilège d’être admise au tournoi national grâce à ses victoires passées. Arrivera-t-elle à conserver son titre menacé ?
Leur colonne s’arrête juste à côté de celle de Raimon et Suki jurerait voir Endou se pencher vers Kidou. Les équipes continuent de défiler. Suki se concentre, ignore autant qu’elle peut les sensations parasites pour mémoriser leurs auras. Elle plisse les yeux face à la nouvelle venue. Kidokawa Seishuu – le nom lui est familier.
— Et finalement, le meilleur pour la fin. L’école qui a été acceptée par recommandation auprès du comité d’organisation du tournoi ! Veuillez accueillir le collège Zeus !
Un bourdonnement étonné roule sur le stade. Zeus ? Personne n’en a jamais entendu parler. Le suspens se prolonge tandis que l’impatience monte, les yeux des gradins rivés sur l’entrée. Enfin, quelque chose bouge. La porte-drapeau s’avance. Seule. La tête baissée pour cacher la honte qui l’accable, elle défile sous la stupéfaction du présentateur et des spectateurs. Le froid qui laissait Suki tranquille jusque-là revient descendre son dos dans un frisson désagréable. La rumeur perplexe, prête aux plus folles hypothèses, grandit dans les rangs du public, mêlée à quelques chuchotements de l’autre côté du micro. Puis Kakuma balbutie avant de se reprendre dans la foulée :
— Il… il semblerait que le collège Zeus ne participera pas à la cérémonie d’aujourd’hui… Eh bien… Voilà donc qui marque la fin de la présentation des équipes ! Restez avec nous pour suivre la compétition et découvrir laquelle d’entre elles sera sacrée championne du Japon ! Et avant que l’on ne se sépare, nous allons bien évidemment procéder aux tirages des huitièmes de finale…
Suki n’entend pas la suite. Elle ne peut pas détacher son regard de la pelouse derrière la porte-drapeau de Zeus. Il n’y a que le vide. Mais ce vide l’effraie bien plus que s’il y avait eu n’importe qui pour s’y tenir.
***
— C’était une belle cérémonie.
— Hmmhmm…
Hibiki relève la tête. Suki est perdue dans la contemplation du tableau des premiers matchs, dans ses pensées aussi, surtout. Elle regarde le papier sans vraiment le voir, les caractères se mélangeant dans une mosaïque abstraite.
— Quelque chose ne va pas, ma belle ?
Elle secoue la tête, passe son doigt sur Raimon et son premier adversaire, le glisse jusqu’à l’autre bout du tableau, s’arrête sur la Teikoku Gakuen.
— Pour leur premier match, ils vont affronter cette école… Zeus. Je… hum… j’ai un mauvais pressentiment.
Sur le chemin du retour du stade, ceux de Raimon étaient amusés, intrigués, par l’équipe absente. Pas elle. Elle grimace. Comme trop souvent, elle est incapable d’expliquer pourquoi. Ils ont laissé les joueurs devant le collège et Hibiki leur a recommandé d’aller dormir, non sans un regard appuyé pour Endou. Le tirage au sort leur a donné leur premier match le lendemain, pas question de s’entraîner jusqu’à des heures impossibles… C’est bien compris ? Le joueur a hésité. Someoka a coincé sa tête sous son bras jusqu’à ce qu’il promette. La sonnerie du portable d’Hibiki la ramène à la réalité. Pour la seconde fois de la journée, les notes électroniques font chuter la température. Dans la soudain trop petite salle du Rairaiken, elle fixe son mentor pendant qu’il décroche et se décompose à mesure que son interlocuteur parle. Il raccroche en silence, s’avance d’un pas vers elle. Suki secoue la tête, refuse d’écouter ce qu’il va lui dire. Hibiki l’attrape par les épaules et le contact lui tire un gémissement. La respiration tremblante, elle ferme les yeux comme si ça pouvait le faire taire. Elle plaque ses mains sur ses oreilles, frigorifiée. Au fond, elle sait déjà.
— C’était Onigawara. Je suis… je suis désolée, ma belle. Kageyama a été libéré.
Notes:
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Chapter 32: À un tout autre niveau
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
L’ambiance est sérieuse dans le vestiaire pendant que les garçons se changent. Ils se remémorent les informations qu’Haruna leur a donné la veille avant qu’ils ne se séparent, compilées à la hâte parmi ses notes dès l’annonce de leurs adversaires. Sengoku Igajima. La légende de l'équipe s’est construite autour de la rumeur comme quoi leur coach serait un descendant de ninjas et leur enseignerait des techniques ancestrales. Ils ont, entre autres, fait démonstration d’une rapidité hors pair lors de leurs précédents matchs. Aki toque avant d’entrer, attend que Kageno et Domon reviennent des toilettes pour parler – Kabeyama devra attendre qu’elle ait fini pour y aller à son tour.
— C’est l’heure de l’échauffement, Hibiki-san vous attend. Mais avant… j’ai un message de la part de Natsumi-san.
Ils se font attentifs, Haruna profite que son aînée sorte son portable de sa poche pour se faufiler par la porte restée entrouverte.
— Cher Onze de Raimon, même s’il s’agit du premier match des phases nationales et qu’il est crucial, je suis désolée de ne pas pouvoir remplir correctement mon rôle de manageuse. Mais je vous fais confiance pour remporter la victoire. Gagnez. Prenez ceci comme les paroles du président du conseil d'administration lui-même.
— Je ne sais pas si c’est censé un encouragement ou un ordre, soupire Kurimatsu, perplexe.
Matsuno approuve dans une grimace. Au moins ils sont certains que le message vient bien de Natsumi.
— Comment va son père ? s’enquiert Shourinji.
— Mieux, mais il ne s’est toujours pas réveillé.
Endou accueille, comme ses coéquipiers, la nouvelle avec un soulagement relatif et se lève pour ses derniers mots avant de rejoindre le terrain. Il lève le poing.
— Yosh ! Jouons comme on l’a toujours fait et ça va bien se passer. On va gagner !
— On va gagner !
Plongé dans ses pensées, Kazemaru réalise qu’il est le dernier dans les vestiaires et qu’Endou l’appelle depuis l’encadrement de la porte. Son capitaine hésite un instant avant de trouver comment aborder ce qui le préoccupe.
— À propos de ton camarade du club d’athlétisme…
— Miyasaka ?
— Hum. Tu crois que…
— Eh, il sera là. Il a dit qu’il viendrait. Je me dis que s’il me voit jouer, il comprendra ce que je ressens quand je suis avec vous… et que choisir n’est pas si facile.
Endou approuve en fermant la porte derrière son camarade. Eh, c’est le langage qu’il parle lui aussi, celui avec lequel il exprime ses émotions, alors ça marchera forcément. Ensemble, ils avancent dans le couloir. Kazemaru s’arrête au pied des dernières marches.
— Et puis… le match d’aujourd’hui, c’est aussi pour moi l’occasion de comprendre réellement la raison pour laquelle je joue au football. Et je crois que je saurai à la fin si je reste ou pas.
Le sourire d’Endou s’étire, lumineux, le garçon plaque son poing contre la poitrine de Kazemaru.
— Alors allons trouver cette réponse ensemble !
***
Les deux équipes terminent leurs échauffements sur leur bout de terrain respectif. Aki et Haruna discutent avec Hibiki de leurs observations. Sengoku Igajima n’a pas volé sa réputation. Les joueurs en violet et gris ont fait étalage de leurs performances, tant niveau vitesse que technique. Et s’ils ont bluffé les joueurs de Raimon, ce n’est sans doute qu’un aperçu de ce dont ils sont réellement capables. Haruna tapote son crayon sur sa plaquette. D’après ses estimations, ils égalent au moins tous Kazemaru en rapidité. Sans compter la coupe de leurs tenues qui évoque celles des ninjas dont ils ont revêtu les légendes, leur manière fluide et sans bruit de se déplacer et même l’allure de leur coach – Haruna s’est penchée autant qu’elle a pu pour mieux le voir – sage, ancienne, ne font que renforcer l’aura dont ils s’entourent. Un pli soucieux creuse le front d’Hibiki. Pli qu’il efface lorsque les joueurs reviennent boire. Les filles s’occupent de la distribution des bouteilles, Aki en profite pour rappeler la composition – Megane et Domon commenceront sur le banc. Kageno rougit lorsque le défenseur l’encourage. Megane prend la caméra laissée par Haruna dans le sac. Hibiki fait signe à ses joueurs de se rapprocher et de se concentrer.
— Le match d’aujourd’hui et ses enjeux ne doivent pas vous faire peur. Si vous êtes parvenus jusque-là, si vous avez remporté la finale contre la Teikoku Gakuen, si vous êtes aujourd’hui ici pour représenter la région du Kanto, c’est parce que vous avez les capacités pour. Parce que vous le méritez. Alors ne vous laissez pas impressionner par les spectateurs dans les tribunes ou par vos adversaires. Jouez votre jeu, celui dont vous êtes fiers, et la victoire sera vôtre. Je crois en vous.
Inconsciemment, ils gonflent tous la poitrine, rayonnants. Et puis, à l’appel de l’arbitre, au signal de leur coach, ils se dispersent sur le terrain. En gagnant sa place, Kazemaru tourne sur lui-même, cherche un visage parmi la multitude de ceux anonymes. Impossible, il y en a trop. Mais Miyasaka a promis.
Hibiki jette un œil à Suki, elle aussi captivée par les gradins, le nez légèrement plissé. Elle n’a rien écouté depuis leur arrivée, elle n’a pas dormi de la nuit non plus. La musique dans les haut-parleurs s’arrête et laisse place à la voix tonitruante du commentateur :
— Voici le tournoi national Football Frontier, le combat pour la gloire et la reconnaissance qui se déroule chaque année ! Le stade Frontier attend son premier match ! Ce dernier opposera…
Les mots de Kakuma se perdent dans un brouhaha indistinct dont Suki se désintéresse. Ses yeux glissent lentement sur les rangées de spectateurs, trop petits, trop nombreux pour les distinguer. Elle fouille la masse des auras qui s’entrecroisent, à la recherche de l’éclat qu’elle est sûre d’avoir aperçu tout à l’heure, du coin de l’œil. Un frisson, un écho familier, autant chercher une aiguille dans une botte de paille. Et pourtant… Au moment où l’arbitre siffle le début de la rencontre, Suki le repère. Elle se doutait qu’il viendrait regarder le match.
***
Leurs adversaires ne perdent pas de temps. Raimon échange tout juste deux passes à la faveur de l’engagement qu’ils s’immiscent entre Someoka et Handa et volent la possession.
— Oh, Kirigakure, le capitaine et attaquant de pointe de Sengoku Igajima fait une attaque éclair !
Avant même que Kazemaru n’ait plus cligner des yeux, Kirigakure est devant lui. En plein mouvement, ses cheveux flottent comme un nuage de fumée autour de sa tête et les deux points noirs sur son front ressemblent à une paire d’yeux supplémentaires qui fixent le défenseur de Raimon. Celui-ci s’avance au contact mais ne rencontre que de l’air. Il trébuche et se retourne pour voir son adversaire filer vers les cages.
— Quoi ?!
L’autre se contente d’un rire provocateur avant de tirer. Endou referme ses mains sur le ballon et le sécurise contre sa poitrine. Il ne souffle cependant pas pour autant. Le match vient juste de commencer et il se sent déjà dépassé.
— C’était pas loin ! s’inquiète Haruna en s’agrippant au bras d’Aki.
Celle-ci n’en revient pas non plus, pas plus que les remplaçants.
— Qu’est-ce que c’était ? C’est… c’est seulement possible ce qu’il vient de faire ?
— Hmm…
Les regards se tournent vers le commis d’Hibiki qui laisse échapper un son pensif.
— Daburu ?
— Eh bien…
Le garçon hésite, se frotte les yeux du plat de la paume, avant de poursuivre en bougeant les mains devant lui :
— C’était une hissatsu technique. Il a fait… il a fait ce geste avant de disparaître. Avec ça, il a projeté une image de lui pour leurrer Kazemaru et le dépasser.
Ses doigts miment les déplacements des joueurs. Megane fronce les sourcils :
— On l’aurait vu, non ? Il est devenu invisible ?
— Non. Il a été très rapide et… sa technique fait en sorte d’attirer l’attention sur l’illusion.
Haruna écarquille les yeux, Megane lâche un sifflement impressionné. En quelques minutes à peine, Sengoku Igajima vient de leur montrer qu’ils jouent désormais à un tout autre niveau.
***
C’est au tour de Raimon de passer à l’offensive. Gouenji se porte au niveau de Handa qui réceptionne la passe de Shourinji et remonte le couloir gauche. Someoka et Matsuno les suivent depuis le côté opposé.
— Formation ninja d’Igajima, Kakuyoku no Jin ! ordonne le numéro 10 adverse avec un mouvement de mains, paumes face à face, doigts écartés.
L’air ondoie autour du joueur et de ses coéquipiers. Un bref instant, ceux de Raimon les perdent de vue. La seconde d’après, ils sont déployés autour de Handa et de Gouenji. Le V qu’ils forment isole les deux membres de Raimon du reste de leur équipe et restreint leurs mouvements. Ils les accompagnent, les guidant presque contre leur gré, jusqu’aux abords des cages, là où les deux défenseurs restants, plus larges et massifs encore que Kabeyama, les attendent. L’extrémité du V semble s’ouvrir. Handa en profite pour passer à Gouenji. Les défenseurs se mettent en mouvement, synchrones. Ils claquent leurs mains, lèvent un pied, le tapent par terre.
— Technique ninja d’Igajima, Shikofumi !
L’onde de choc envoyée dans le sol s’engouffre dans l’ouverture des joueurs adverses pour rejaillir avec puissance, amplifiée par la forme conique. Coincés dans l’entonnoir, le 10 et le 6 de Raimon se font refouler en arrière et roulent dans l’herbe. La balle abandonnée poursuit doucement sa route jusque dans les mains du gardien qui n’a qu’à la cueillir. La seconde d’après, les joueurs d’Igajima sont déjà en place pour la remise en jeu.
Suki se mordille la joue. Sengoku Igajima a une maîtrise de l’énergie, aussi bien individuelle que collective, extrêmement précise. Suki se mordille la joue. Tout à l’heure, elle n’a pas détaillé les subtilités de l’hissatsu technique d’illusion. À l’image de leurs déplacements, tout est fluide chez eux, leurs gestes comme ceux de leurs auras, les boucles que forment ces dernières quand ils réalisent leurs hissatsus techniques. L’effet est d’autant plus saisissant quand elles se combinent avec harmonie, comme à l’instant pour leur tactique défensive. Ce sont des adversaires redoutables.
***
— Chers spectateurs, cette partie endiablée représente l’essence du tournoi Football Frontier ! Sengoku Igajima nous régale d’attaques rapides et furtives et Raimon est bloqué en défense. Arrivera-t-il à reprendre le contrôle de la rencontre ?!
Kazemaru essuie la transpiration sur son menton. Leur adversaire multiplie les offensives et use de ses illusions à répétition avec tant de variation qu’il en vient à douter de la réelle présence de ceux qui se tiennent devant lui. Au moins, contre l’Institut Okaruto, ils avaient quelqu’un en face d’eux, même s’ils ne pouvaient être sûr de qui c’était, ils n’affrontaient pas des courants d’air. Avec Kabeyama et Shourinji, ils viennent de repousser à grand peine une autre percée et le répit offert par l’attaque conjointe de Someoka et de Gouenji est plus qu’appréciable. Les attaquants se frayent un chemin jusqu’aux cages, déjouant les pièges tendus sur le passage. Les gradins vibrent lorsqu’ils se présentent face au gardien.
— Dragon…
— … Tornado !
— Technique ninja d’Igajima, Tsumuji no jutsu !
Le portier, disparaissant complètement sous la capuche de son maillot et un pan de tissu remonté devant son visage, fait un salto arrière. Il écarte les bras à la réception et des nœuds qu’il a tissés dans l’air jaillissent deux tornades. Les colonnes de vent se referment sur le tir, fusionnent. Emprisonnées dans le flux, les flammes se dissipent et leur chaleur est dispersée, comme le dragon, dans un nuage de vapeur. Alors les tornades s’essoufflent avant de déposer le ballon dans les mains du gardien. Kazemaru soupire et se prépare à recevoir la nouvelle attaque imminente.
***
— Oh, Kabeyama se détache de la défense de Raimon ! Serait-ce l’Inazuma Otoshi ?!
L’excitation monte parmi le public, sur le banc aussi. Aki et Domon se redressent en même temps, s’échangent un sourire complice. Le milieu de Sengoku Igajima que Kabeyama vient de dépasser fait volte-face :
— Technique ninja d’Igajima, Kumo no Ito !
De la main qu’il plaque dans l’herbe s’échappent de fins fils d’énergie. Ils se déploient, rattrapent le joueur de Raimon et s’accrochent à son énergie au moment où il veut sauter, le clouant au sol. Empêtré dans la toile d’araignée, Kabeyama contemple, impuissant, Gouenji laissé seul perdre le ballon.
— C’est raté… Une nouvelle occasion manquée ! Aucune équipe n’a encore ouvert le score.
— Et merde ! On n’arrive pas à avancer… Rhaa c’est frustrant d’être dans les cages parfois !
Les défenseurs de Raimon jettent un regard à leur gardien, inquiets qu’il ne décide de déserter ses cages sans prévenir. Le cœur de Kazemaru palpite un peu plus vite dans sa poitrine aux mots d’Endou. Lui aussi, il sent la même frustration. En deux secondes, il prend sa décision.
— Je t’abandonne, Endou.
— Fonce ! l’encourage son capitaine.
Kazemaru s’élance et rejoint ses coéquipiers vers le rond central. Matsuno profite de son arrivée inopinée pour lui glisser la balle. Le défenseur l’emporte avec lui le long de la ligne de touche. Il joue de leur surprise et de sa rapidité pour laisser derrière lui les joueurs d’Igajima – pas de beaucoup – et se frotte bientôt aux dernières lignes de leur défense. Du coin de l’œil, Kazemaru se rassure en constatant que Gouenji est lui aussi en train de progresser, de l’autre côté du terrain. Sa respiration s’emballe en anticipant ce qui va suivre. Mais il doit d’abord se concentrer sur son vis-à-vis. Difficile de deviner les intentions de ce dernier, avec le masque de tissu qui lui couvre le bas du visage, le bandeau à la plaquette métallique qui lui tombe sur le front. Kazemaru feinte à gauche, fait rouler le cuir sous ses crampons vers la droite, se glisse sous le bras de son opposant.
— Technique ninja d’Igajima, Kagenui no jutsu !
Quelques mots, un geste des mains. Durant une fraction de seconde, les sens de Kazemaru s’alarment. Danger ! Celle d’après, une main d’obscurité se glisse sous lui par derrière et se retire en emportant le ballon, lui fait un croche-patte au passage. Kazemaru roule au sol, se relève en se maudissant. Pas assez rapide.
— C’est à Sengoku Igajima d’attaquer !
Le temps qu’il reprenne ses esprits, il n’a plus celui de revenir en défense et le ballon est arrivé dans les pieds de Kirigakure. L’attaquant enchaîne malgré la distance qui le sépare encore d’Endou :
— Technique ninja d’Igajima, Tsuchidaruma !
Le ballon roule vers les cages et la terre s’agglomère au cuir au fur et à mesure. Rapidement, la boule grossit, soulevant poussière et mottes d’herbe. Endou reste interdit avant de se reprendre et de se positionner, prêt à recevoir la masse mouvante désormais plus grande que lui. Au dernier instant, d’un geste tranchant de la main, Kirigakure fait éclater la boule de terre. La balle fuse, seule.
— Nekketsu Punch !
Endou lance son poing juste à temps pour intercepter le tir. Mais, mal placé sur ses appuis, déstabilisé par l’énergie et la vitesse emmagasinées dans le cuir, il concède un pas en arrière, un second, avant de perdre l’équilibre et de céder.
— Sengoku Igajima prend l’avantage !
— Endou ! Ça va ? demande Kazemaru, dépassant leurs camarades au moment de le rejoindre.
— Eh ! Les gars, je suis désolé…
Endou met plus longtemps que d’habitude à se relever. Ses camarades écartent ses excuses. Il n’a pas à s’en vouloir, ils sont aussi fautifs que lui. Ils se replacent, Kazemaru tarde à se détourner d’Endou. Le sourire que son capitaine veut rassurant ressemble plus à une grimace.
Son mauvais pressentiment taraude Kazemaru alors que la fin de la première mi-temps approche et que Sengoku Igajima poursuit ses attaques, toujours plus féroces. Les illusions à répétition dupent une fois de plus Matsuno et Shishido, une série de passes traverse la défense.
— C’est la dernière action avant la pause. Raimon parviendra-t-il à maintenir le score ou Igajima creusera-t-il son avantage ?
Kazemaru redoute la seconde option. Comme pour lui donner raison, le numéro 9 leur offre une nouvelle déclinaison de leurs hissatsus techniques.
— Bushin Shoot !
Trois versions du joueur, avec la même queue de cheval haute, le même patch marqué d’une croix sur l’œil, tirent dans trois ballons qui fusionnent en un seul et déferlent sur Endou. Le gardien s’avance d’un pas, amortit le tir en pleine poitrine et referme les bras dessus. Ses crampons creusent la pelouse alors qu’il dérape jusqu’à sa ligne, cependant il tient bon. Les deux coups de sifflet de l’arbitre lui tirent un soupir de soulagement et il pose un genou à terre. Kabeyama aide son capitaine à se relever. Kazemaru serait resté à regarder Endou rejoindre le banc si Shishido ne l’avait pas invité à faire de même. Il s’exécute en pinçant les lèvres. Quelque chose ne lui plaît pas dans le dernier arrêt de son ami.
Notes:
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Chapter 33: La raison pour laquelle il joue au football
Notes:
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Chapter Text
— Ils sont plus forts que je ne l’avais imaginé, soupire Handa en essuyant la sueur sur son front, sur sa nuque.
Les bras croisés et le regard tourné vers les joueurs de Sengoku Igajima, Matsuno rappelle ce qu’ils savent tous mais qu’ils ont encore du mal à réaliser :
— On ne peut pas prendre nos adversaires des phases nationales à la légère.
Gouenji opine en attrapant la gourde tendue par Aki. En fond, le speaker accompagne de sa diatribe les retardataires vers les bancs. La première mi-temps se termine avec un avantage d’un but pour Sengoku Igajima. Comment le collège de Raimon va-t-il contre-attaquer pour la seconde mi-temps ? La victoire n’est pas encore acquise ! C’est étrange de quitter la voix de Keita, devenue une habitude au fil de leurs matchs, toutefois le commentateur junior les a rassurés. C’est son père qui prend le relai pour la seconde partie du Football Frontier, ils sont entre de bonnes mains.
— On va réussir à les surpasser, assure Endou sans prendre le temps de boire. Si ce que l’on fait ne marche pas, on tentera autre chose. Et si ça ne marche toujours pas, alors on essaiera autre chose encore ! Et on finira par gagner !
Son enthousiasme rend leur sourire à ses camarades. Pas à Kazemaru. Le défenseur traverse le groupe jusqu’au capitaine. Endou cille lorsqu’il lui saisit le bras.
— Montre-moi ça.
À la stupéfaction générale, Kazemaru lui retire son gant. Des frémissements angoissés s’élèvent à la vue du poignet rouge et enflé. Endou essaie de se dégager mais Kazemaru tient bon et s’indigne.
— Tu défendais les cages dans ces conditions ?!
— Ne vous en faites pas. Ça va ! assure Endou malgré un léger tremblement dans sa voix. Je ne les laisserai pas marquer, même si je ne dois utiliser que ma main gauche.
— Ne raconte pas n’importe quoi ! Il faut te soi…
Kazemaru s’interrompt lorsque Daburu se matérialise à leurs côtés avec une poche de glace. Endou lui laisse l’appliquer contre son articulation, il tressaille au contact avant de se détendre lorsque la douleur reflue. Kazemaru consent alors à lui lâcher le bras et recule, observant Daburu œuvrer. Depuis quand le commis se doute-t-il de la blessure ? Kazemaru a un début de réponse lorsque ce dernier lève les yeux de la bande qu’il noue pour fixer Endou.
— C’était une mauvaise chute.
Le gardien lâche un rire gêné en se frottant l’arrière du crâne de sa main libre. Puis Daburu détourne les yeux et Kazemaru se demande ce qu’il sait d’autre.
La pause est presque écoulée. Endou ouvre et referme plusieurs fois sa main enveloppée de bandages. Elle a bien dégonflé et la douleur, désormais supportable, ne l’empêche plus de bouger.
— Merci !
Daburu écarte le remerciement d’un haussement d’épaules comme s’il ne le méritait pas et s’éloigne pour ranger la trousse de premiers secours. Matsuno a glissé à Shourinji que si elle était là, Natsumi serait furieuse qu’ils continuent de se blesser à chaque match. Après avoir incité ses joueurs à ne pas se refroidir pendant la pause, à bien boire aussi, Hibiki annonce que Domon entrera à la place de Kageno, il prévient également Endou :
— Je te laisse retourner sur le terrain pour le moment, mais je n’hésiterai pas à te sortir si je le juge nécessaire, compris ?
Le joueur hoche la tête avec gravité, non sans une moue boudeuse – comme s’il allait sortir pour un match du Football Frontier. Il se retrouve aussitôt entouré de ses camarades qu’il rassure comme il peut. Kazemaru reste un pas en arrière. Il l’a regardé se faire soigner avec un pincement au ventre. Celui de la culpabilité de ne pas s’en être rendu compte plus tôt, de ne pas avoir suffisamment aidé son capitaine pour lui éviter de se faire mal. Il s’ébroue. Il ne tient qu’à lui de faire mieux.
— Yosh ! Pour la seconde mi-temps, protégeons Endou !
Les uns après les autres, ses camarades approuvent, renchérissent, d’abord ceux de la défense, puis le phénomène se propage à toute l’équipe jusqu’à ce que Someoka plaque son poing contre l’épaule d’Endou :
— Tu as toujours défendu nos cages. À notre tour de te rendre la pareille.
Gouenji acquiesce avec sérieux. Endou perd ses mots, dépassé par la vague débordante de soutien de ses camarades. Kazemaru ne mène pas plus large. Bien sûr qu’il pense ce qu’il a dit. Mais il ne s’attendait pas à ce qu’entendre les réponses de ses coéquipiers réveille quelque chose en lui, une lumière dans sa poitrine. Il la connaît. Elle est apparue quand il a tapé dans un ballon pour la première fois et elle l’accompagne depuis, mais il ne l’a jamais ressentie avec autant d’intensité, il n’y a jamais prêté autant attention. Alors que l’arbitre leur fait signe de retourner sur le terrain, Kazemaru laisse les autres partir devant. Il les regarde avec le cœur qui bat la chamade. Elle est là, pas loin, la réponse qu’il cherche. Il l’avait perdue de vue durant la première partie du match, mais à l’instant, elle est à sa portée. Au moment de rejoindre ses camarades, il se retourne. Son regard s’égare sur les gradins – est-ce que Miyasaka est venu ? Est-ce qu’il le regarde ? – et quand il le baisse vers le banc, il n’est même pas vraiment surpris de croiser celui de Daburu. Lentement, le commis hoche la tête, esquisse un sourire, si léger que Kazemaru se demandera après s’il l’a rêvé.
Quelle que soit la décision que tu prendras, ce sera la bonne. Les mots résonnent dans son esprit. Ils l’accompagnent lorsqu’il rejoint Endou qui lui tend le ballon, lorsqu’une minuscule décharge saute des doigts du gardien aux siens, lorsqu’il traverse leur moitié de terrain jusqu’au rond central. Le cuir est tiède sous ses doigts. Kazemaru a la conscience aiguë de la présence de ses camarades, de leurs sentiments qu’il lui semble sentir pulser dans le ballon. Est-ce que c’est ça, ce qui lui plaît autant dans le foot ? Partager les émotions de ses camarades ? Les comprendre sans avoir besoin de leur parler, leur douleur, leur joie, leurs espoirs… ? Quand il est sur le terrain et qu’il court à leurs côtés, tout est plus intense. Comme s’il ouvrait la porte vers un autre monde. Et il n’a pas envie de la refermer.
***
— Sengoku Igajima a tourné à son avantage son privilège de remise en jeu et fait pleuvoir les attaques sur Raimon. Ils ne leur laissent pas une seconde de répit ! Cependant Raimon tient bon, ses joueurs font des miracles pour stopper les offensives qui se multiplient. En parlant de miracle ! Une fois de plus, Kazemaru intercepte le ballon ! Alàlà, c’est LE joueur de la seconde mi-temps. C’est simple, il est là dans toutes les actions, casse chaque passe dangereuse d’Igajima, bloque chaque progression de leurs attaquants, contre chaque début de tir. I-na-rrê-table je vous dis !
Kazemaru peut lire sur le visage de ses adversaires leur agacement de le trouver sans cesse sur leur chemin. Peu importe, tant qu’ils ne passent pas. Sa détermination porte celle des autres et même les illusions prennent de moins en moins souvent. Si l’un d’entre eux est passé, il y en aura un autre derrière et jamais Igajima n’atteindra Endou.
Face au nouvel échec imposé par Kazemaru, le numéro 10 d’Igajima souffle du nez et, dès qu’ils récupèrent la possession, fait signe à ses camarades :
— Formation ninja d’Igajima, Engetsu no Jin !
À nouveau, ils bougent trop vite pour que Suki ne les suive, cependant le V qu’ils forment est cette fois tourné vers les cages d’Endou. Ils se mettent à avancer, les bras tendus vers l’extérieur de leur formation. Mais leur drôle de manière de courir ne prête pas à rire longtemps. Leurs auras tourbillonnent dans le V, se mêlent et s’accélèrent. Suki est obligée de plisser les yeux, le visage fouetté par les énergies, avant que le vent ne se lève en suivant leur mouvement. Il entraîne avec lui sable et terre. Les joueurs d’Igajima disparaissent bientôt dans un cône tournoyant furieusement. Impossible pour les joueurs de Raimon de savoir qui a la balle à l’intérieur de la carapace terreuse, impossible aussi d’approcher cette dernière, repoussés par le vent, les bras dressés en protection griffés par les gravillons et les mottes d’herbe.
— La voilà ! La fameuse tactique offensive de Sengoku Igajima, le tourbillon de poussière, Engetsu no Jin !
Le milieu et la défense de Raimon se déchirent comme du papier. Dernier rempart, Kazemaru et Kabeyama assistent avec appréhension à l’avancée inexorable de leurs adversaires. Au dernier instant, Kirigakure s’en échappe avec le ballon au pied. Kazemaru s’élance aussitôt au contact. Il ne doit pas passer ! Son cœur rate un battement lorsqu’il aperçoit du coin de l’œil l’air se troubler et qu’il glisse au travers de son adversaire. Celui-ci ricane dans son dos. Le seul qui le sépare encore d’Endou, c’est…
— Kabeyama, arrête-le !
Le numéro 3 panique. Tout seul ? Il est censé l’arrêter tout seul ?
— Allez, Kabeyama ! Je sais que tu peux le faire !
Kazemaru met toute sa conviction dans ses mots. Il y croit, il doit y croire, pour que Kabeyama puisse y croire lui aussi. Il peut presque entendre les pensées qui défilent dans l’esprit de son coéquipier, amplifiées par sa peur et sa détermination. Il est le dernier rempart. Il doit tenir bon. Il doit protéger Endou. Il peut le faire ! Le dernier rempart !
Est-ce parce que Kabeyama se répète les mêmes mots en boucle ? À moins que ce ne soit la fatigue ? Kazemaru ne saurait dire la raison pour laquelle il voit un mur surgir de terre derrière le dernier défenseur qui hurle au moment où Kirigakure tire. À l’image, massive, inébranlable, de son invocateur, la muraille s’étend sur toute la largeur du terrain, soulevant rochers et gerbes de terre avec elle. Le ballon se heurte à l’obstacle tandis que le cri de Kabeyama se prolonge. Et quand enfin il s’éteint, la muraille s’émiette et le ballon retombe au sol.
— Il l’a arrêté ! Voici, chers spectateurs, chers spectatrices, l’apparition en direct d’une nouvelle hissatsu technique !
Kazemaru n’a pas rêvé, ou alors tout le stade a rêvé avec lui.
— Je l’ai fait ? tremble Kabeyama, quelque part entre l’excitation et l’incompréhension, assommé par la fatigue qui s’abat soudainement sur ses épaules.
— Incroyable ! C’était génial, t’es trop fort !
Les félicitations d’Endou aident le défenseur à retrouver son aplomb et à sourire avec sincérité à son capitaine. Eh ! Il l’a fait ! L’avertissement du commentateur fait reprendre son cours au temps :
— Le ballon est toujours en jeu ! Kirigakure le récupère !
L’attaquant d’Igajima a couru à la balle perdue, se débarrasse d’un crochet de Domon venu sur lui et arme sa jambe.
— J’ai pas dit mon dernier mot, prends ça ! Tsuchidaruma !
Kazemaru dérape dans l’herbe en démarrant aussi vite qu’il le peut. Ses camarades d’athlétisme seraient fiers de lui. Ses crampons arrachent encore un peu de pelouse alors qu’il s’interpose entre l’immense boule de terre et Endou, le cœur battant et le souffle court. Il n’a aucune idée de comment il va l’arrêter, mais il ne peut pas laisser Endou l’encaisser. À moins d’un mètre de lui, la masse explose. Le ballon en jaillit et, pétrifié, il le sent frôler son épaule. Non !
— God Hand !
Endou dégaine son hissatsu technique par réflexe, tressaille aussitôt sous la douleur qui revient à l’assaut. Le portier de Raimon résiste, les dents serrées pour retenir un gémissement, recule. Cède. La main géante vole en éclat tandis qu’il bascule en arrière, le bras en feu.
Kazemaru ne sait pas comment il est arrivé sur la ligne de but, entre Endou et le tir. Ses jambes ont bougé toutes seules. Il sait juste qu’il est au bon endroit, au bon moment. Et quand le cri qu’il ne se souvient pas avoir poussé s’éteint, quand les battements fous de son cœur se calment, quand le tourbillon de vent autour de lui se tait, quand il pose le pied sur le ballon arrêté, le fracas du stade l’assourdit.
— Mon dieu ! Kazemaru s’est déplacé à la vitesse de l’éclair et a sauvé ses cages ! Quel magnifique jeu !
Il regarde autour de lui, le souffle court, éblouit. Chaque applaudissement est un frisson à la surface de sa peau, chaque sourire de ses camarades est une clameur chuchotée dans sa poitrine.
— Vas-y, Kazemaru, l’encourage Endou en se relevant, les lèvres étirées jusqu’aux oreilles. C’est à toi !
Il acquiesce, effleure son maillot du bout des doigts et quand il se met en mouvement, l’air prend une acuité nouvelle autour de lui. Comme dans un rêve, il remonte toute la défense, laissant les adversaires qui tentent de l’arrêter loin derrière lui. Le ballon est une extension de son corps, ses gestes deviennent instinctifs. Il sait que Gouenji avance avec lui, là-bas sur le côté, il sent sa présence, celle de chacun de leurs camarades. Plus rien ne peut le ralentir, plus rien ne peut le retenir, pas même la toile d’araignée ou la main d’ombre qui se propagent derrière lui sans pouvoir le rattraper. Invincible.
Il n’a eu qu’à cligner des paupières pour traverser le terrain, déjà devant les buts avec Gouenji. Pas besoin de métronome pour qu’ils soient synchrones, leurs auras pulsent au même rythme. Kazemaru entend l’oiseau de feu avant de le voir. Il éclot dans la fusion de leurs énergies, déploie ses ailes.
— Honoo no Kazamidori !
De son cri perçant, l’oiseau déchire la défense du portier et emplit les filets de ses flammes. Kazemaru se sent prêt à s’envoler lui aussi.
— Buuut ! L’hissatsu technique combinée de Gouenji et de Kazemaru est in-cro-yable ! Grâce à elle, Raimon égalise !
Sa paume claque dans celle de Gouenji juste avant que leurs camarades ne leur arrivent dessus et ne les enferment dans leur étreinte pour les féliciter. Même s’ils lui hurlent trop fort dans les oreilles, Kazemaru les laisse faire et éclate de rire avec eux. Eh, il a trouvé sa réponse.
***
— Le match est sur le point de se terminer et aucune des deux équipes n’a réussi à prendre la tête au tableau d’affichage !
Kazemaru a douloureusement conscience de la poignée de minutes – de secondes ? – qu’il leur reste. Quand Shishido lui fait la passe, il n’hésite pas et quitte sa zone, à travers la pelouse.
— Et Kazemaru traverse le terrain comme une flèche !
— Tu ne vas pas t’en tirer comme ça !
Kirigakure surgit à ses côtés, joue de l’épaule, les volutes brumeuses de ses cheveux s’accrochent au maillot de Kazemaru. Celui-ci cherche à le distancer, puise dans ses réserves pour accélérer, mais son opposant refuse de le laisser filer.
— Tu ne peux pas me battre à ce jeu-là, provoque l’attaquant en violet.
Le défenseur de Raimon résiste à la pression, gagne un sursis d’un coup de hanche. Peut-être qu’il n’est pas le plus rapide des deux. Mais il n’y a pas que la vitesse qui compte. Acculé par leur course folle dans le corner adverse, Kazemaru lève le ballon en arrière, par-dessus sa tête et celle de son adversaire. Il profite de la surprise de ce dernier pour lui fausser compagnie. Devant les buts, les défenseurs d’Igajima hésitent sur l’attitude à adopter, affolés par les présences simultanées de Someoka, Gouenji et Kazemaru dans la surface. Avant qu’ils ne décident ce qui est le plus dangereux entre la Dragon Tornado et l’Honoo no Kazamidori, Kazemaru centre :
— Gouenji !
L’attaquant s’élève seul, drapé de ses flammes. La Fire Tornado déferle sur le gardien, trop proche, trop vite pour qu’il parvienne à dégainer la moindre technique, et avant que Gouenji n'atterrisse, l’arbitre valide le but. Le point apparaît sur le panneau lumineux, Kazemaru échange un regard avec Gouenji et Someoka. Au même instant, l’arbitre met fin au suspens.
— Et c’est terminé ! Le collège de Raimon remporte le premier match des phases nationales du Football Frontier ! Les deux équipes se sont bien battues ! Elles ont marqué leur nom sur la pelouse !
Kazemaru titube. La seconde d’après, les bras de Someoka l’entourent et l’empêchent de tomber. Ceux de leurs coéquipiers s’ajoutent les uns après les autres. Alors Kazemaru ferme les yeux et savoure l’instant.
***
Kazemaru s’est excusé auprès de ses camarades dès leur retour aux vestiaires. Il les rejoindra plus tard, il a quelque chose à faire avant. Miyasaka l’a attendu dans les couloirs, après que les tribunes se soient vidées, comme il le lui a demandé. Kazemaru appréhende en s’approchant.
— C’était un match incroyable. Ce que tu as fait pour esquiver celui qui te bloquait, là, à la fin, c’était si impressionnant ! Comme un ouragan !
L’enthousiasme de son cadet calme ses inquiétudes, au moins partiellement. Ils gagnent les gradins vides où Kazemaru s’assoit, les jambes lourdes des efforts fournis, pendant que Miyasaka détaille ce qu’il a ressenti à chaque action. Kazemaru est soulagé de constater qu’il a pris plaisir à suivre le match et, quand le silence finit par s’installer, il ne le brise pas tout de suite. Pour gagner du temps, il essuie la sueur qui perle sur son visage avec la serviette autour de son cou, envieux de la capacité de Gouenji à encaisser autant de flammes sans broncher, et joue avec le bout brûlé de ses mèches. Ils savent tous les deux la discussion qui va suivre et Kazemaru la redoute. Par quel bout est-il censé l’aborder ?
— Miyasaka, j’aime le foot.
— Eh.
Kazemaru relève la tête, surpris. Le sourire de Miyasaka est triste sur les bords, mais sincère.
— Je l’ai vu à travers ta façon de jouer. Il y a…
Il y a une intensité dans ce qu’il se passe sur la pelouse, dans les tribunes, qui dépasse ce que les mots peuvent exprimer. Miyasaka renonce, secoue la tête et partage le résultat du cheminement de ses pensées :
— Ta place est ici, sur un terrain de foot.
La surprise étincelle dans le regard de Kazemaru. Son air s’adoucit, nostalgique, reconnaissant.
— J’ai adoré courir sur la piste d’athlétisme avec vous. Vraiment. Mais le foot est un autre monde que je ne peux apprendre que par moi-même. Comprendre les autres sans un mot, faire partie avec eux de la même unité, de la même équipe… Je veux voir où ça va m’emmener.
— Eh, je t’encouragerai, Kazemaru-san !
— Merci, Miyasaka.
Celui-ci lui tourne le dos avec les yeux un peu trop brillants. Il s’écarte de deux pas, s’arrête.
— Promets-moi seulement que tu reviendras courir avec moi un jour, demande-t-il sans se retourner.
— Eh, promis.
Kazemaru reste là jusqu’à ce que Miyasaka disparaisse dans les escaliers, jusqu’à ce qu’il entende les appels de ses coéquipiers qui le cherchent, jusqu’à ce que Daburu apparaisse au bout du couloir. Le commis le scrute longuement avant de lui faire signe de venir. Il est sur le point de faire demi-tour lorsque le joueur le rattrape.
— Merci.
Pour seule réponse, Daburu pose son doigt contre sa poitrine et sourit. La bonne décision. Le temps que Kazemaru reprenne ses esprits, il dévale déjà les marches.
***
— On est qualifiés pour les quarts de finale !
— On est qualifiés !
Le reste de l’équipe répète le cri d’Endou avec la même ardeur que la première fois, même si c’est la centième. Le capitaine dresse fièrement vers le plafond son poing bandé. Avec Aki, il est passé voir Natsumi à l’hôpital avant de les rejoindre au Rairaiken et les manageuses en ont profité pour l'obliger à consulter un médecin. Celui-ci s’est contenté de refaire le pansement et de le mettre au repos pour trois jours. C’est beau, l’espoir. Comme Matsuno et Shourinji l’avaient prédit, Natsumi lui a remonté les bretelles. Elle leur a aussi donné des nouvelles de son père – il va mieux et ne devrait pas tarder à se réveiller – et la consigne de célébrer leur victoire ainsi que de préparer leur prochain match. Ils n’ont retenu que la première partie et le restaurant est trop étroit pour contenir leur enthousiasme. Ils ont gagné et, même s’ils n’en ont pas reparlé, tous le savent au fond d’eux, Kazemaru reste. Tout va pour le mieux. Au milieu de l’agitation, Someoka pose ses mains sur les épaules de Kabeyama :
— Et on en parle, de ton hissatsu technique ? Elle était incroyable !
Le défenseur rougit, gratte maladroitement son début de barbe éparse. Avoir une hissatsu technique rien qu’à lui ? Ils lui auraient dit que ça arriverait un jour, il ne les aurait jamais cru. Pourtant il retrouve encore des gravillons dans ses poches, pourtant ses camarades le regardent avec fierté.
— Il faut lui trouver un nom ! clame Domon.
Les regards convergent vers Megane qui remonte ses lunettes sur son nez, les épaules carrées de la responsabilité qui lui échoit.
— Eh bien, eh bien… j’avais pensé à… The Wall !
Les sifflements et les applaudissements accueillent la proposition. Ça claque, comme nom.
— Tu pourras faire la fiche, s’il te plaît, Daburu ? demande Haruna par-dessus la clameur bruyante.
Le commis acquiesce sans se détourner des bols qu’il remplit à la chaîne. Il faudra aussi compléter des détails sur celles de l’Honoo no Kazamidori. Il faut dire que Gouenji et Kazemaru en ont fait leur plus belle démonstration. Même Hibiki se fend d’un compliment – jamais Biruda et Ukishima ne l’ont aussi bien réussie. Kazemaru écarte les félicitations qui suivent sur sa vitesse magistrale, sur son sauvetage in-extremis. Et puis la conversation embraye sur un autre sujet et ses joues perdent leur couleur écarlate derrière le rideau de ses cheveux.
La conversation a dérivé sur les hissatsus techniques impressionnantes de leurs adversaires du jour – ils en avaient beaucoup, déclinaisons de la même base, pas très fortes individuelles mais redoutables en les combinant, ils ne savaient pas que c’était possible – et sur celles qu’auront ceux des prochains matchs. D’ailleurs, le suivant va arriver rapidement, dans cinq jours.
— Ça va être la première fois qu’on va rater des cours pour un match, s’excite Kurimatsu.
— Eh. En même temps, ça m’arrange de rater les maths du vendredi aprem…
Handa n’est pas le seul, et puis, c’est la grande aventure qui s’offre à eux. Megane consulte le planning de la compétition affiché au mur du Rairaiken :
— Ceux de la Teikoku jouent demain.
— Oh non on ne pourra pas aller les voir, se désole Shourinji.
— Ah moins que… tente Endou.
Someoka l’interrompt :
— N’y pense même pas, on n’aura pas de dérogation pour ça.
— Pfff… Dites, vous croyiez qu’ils sont venus nous voir aujourd’hui ? Je ne les ai pas vu dans les gradins.
— En même temps t’as vu le monde qu’il y avait ? Comment tu veux y trouver qui que ce soit ?
Pendant que les garçons débattent, Hibiki aperçoit le demi-sourire furtif de Suki. Il lève un sourcil interrogateur, elle secoue la tête et lui signifie que ce n’est rien. Megane conclut :
— Et puis vu le match qu’ils ont demain, ils se sont probablement concentrés sur leur entraînement.
Et le visage de Suki s’assombrit.
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Chapter 34: Ce dont les dieux sont capables
Notes:
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Endou refuse d’y croire. Son cœur s’est emballé dès qu’Haruna est venue les voir alors que l’entraînement commençait au centre Inabikari et menace d’exploser dans la dernière ligne droite. C’est juste pas possible. Comment est-ce que ça pourrait être vrai ? Les mots de la manageuse s’alignent dans sa tête comme un écho mais refusent de prendre sens. C’est faux. Faux. Faux faux faux… Endou a pris le train dans un état second, sans trop savoir comment au milieu des salariés rentrant du boulot, et s’engouffre sans ralentir dans les couloirs de la Teikoku Gakuen. Il retrouve à l’instinct son chemin dans leur labyrinthe, traverse les vestiaires déserts. Ils n’ont pas pu perdre. Jamais. Surtout pas avec… Il débouche sur le terrain, repère la silhouette solitaire qui se tient au milieu.
— Kidou !
En l’entendant, celui-ci se retourne et Endou s’immobilise. Malgré la distance les séparant encore, il est frappé de plein fouet par son désarroi.
— Salut, Endou.
L’assurance qui habille habituellement la voix du meneur de la Teikoku a disparu. Il ne reste plus qu’un masque pour garder les apparences, craquelé.
— Tu es venu te moquer de moi ?
— Évidemment que non !
Son cri vient du cœur, déchiré par la douleur de Kidou. Comment peut-il imaginer une chose pareille ? Endou a l’impression de n’avoir que l’ombre de celui qu’il connaît en face de lui, alors que Kidou se détourne sans rien dire. C’est donc ainsi que les choses vont se passer ? Dépassé par son impuissance, Endou repère un ballon oublié après un entraînement.
— Kidou !
Le ballon fuse vers le joueur de la Teikoku, immobile. La balle le percute à l’épaule, le choc lui fait perdre l’équilibre. Il n’esquisse même pas un geste pour se rattraper et se laisse tomber dans l’herbe. Endou vacille.
— Kidou… Qu’est-ce qu’il y a ? Renvoie-la-moi !
Lentement, comme si le geste lui coûtait, Kidou se relève. Il saisit le cuir, l’observe longuement. Sa mâchoire se contracte, ses doigts tremblent. Puis il les écarte et laisse la balle rouler jusqu’à Endou.
— Tu sais… La Teikoku était la championne en titre depuis 40 ans. Aujourd’hui… nous avons mis fin à cette légende.
Endou ne peut plus refuser d’entendre ce qu’Haruna a essayé de lui dire. Kidou ouvre la bouche pour ajouter quelque chose, s’arrête en serrant les poings alors que ses yeux glissent sur le terrain autour de lui. Tout ici avive la peine et la culpabilité qui le brûlent. Endou ramasse le ballon échoué à ses pieds. Oui, maintenant, Endou veut connaître toute la vérité. Mais pas ici.
— … Viens.
***
Aujourd’hui, Hibiki avait préparé avec Suki et les manageuses un programme léger de récupération, pour reprendre en douceur après le match. Les garçons devaient se débrouiller en autonomie au centre Inabikari. Peut-être qu’ils passeraient au Rairaiken dans la soirée, pas sûr. Et puis, Haruna les a prévenus. Alors, quand Suki se fige pour fixer la porte du restaurant, le visage indéchiffrable, avant de sortir deux tasses, Hibiki n’est pas vraiment surpris qu’Endou la passe. Il ne l’est pas tout à fait non plus de voir Kidou dans son sillage. Le capitaine de la Teikoku se laisse tomber sur un tabouret, le regard absent. L’eau siffle dans la bouilloire. Les mains de Suki se crispent sur l’anse quand elle remplit les tasses. Kidou enroule les siennes autour du contenant brûlant. Il hésite, sa bouche se tord, enfin, il lâche :
— Le match était fini avant même de commencer.
Endou frémit mais se retient d’intervenir.
— Je n’ai… Comme je m’étais blessé en jouant contre vous et que l’on ne savait rien de Zeus, j’étais sur le banc. Par prudence. Mais en quelques minutes à peine…
À mots lents, il entreprend de raconter le déroulé du match. Haruna avait averti du triste résultat final, cependant rien n’aurait pu les préparer à la violence du récit. Le score fleuve humiliant est anecdotique. Une poignée de minutes pour un carnage terrifiant. Suki claque un peu trop fort deux bols l’un contre l’autre. Perdu dans le film se rejouant dans son esprit, Kidou ne l’entend pas.
— … et avant que je ne puisse rentrer sur le terrain… ils étaient tous… ils…
Les mots refusent de sortir.
— On a dû déclarer forfait, souffle-t-il. Après, les ambulances… À cause de moi, tous mes amis…
— Ce n’est pas ta faute.
Endou a rapproché son tabouret du sien et pose une main sur son épaule. Suki frissonne malgré la chaleur du fourneau. Kidou secoue la tête.
— Tout est fini. Mon football est fini.
— Ce n’est pas vrai, rétorque Endou du tac au tac.
Kidou tressaille. Le plus sérieusement du monde, le capitaine de Raimon poursuit :
— Tant que tu n’abandonnes pas le football, il sera toujours là pour toi. Dis, Kidou, pourquoi est-ce que tu joues au foot ?
La question désarçonne Kidou et flotte un instant dans le Rairaiken silencieux. Les émotions défilent sur le visage du capitaine de la Teikoku malgré ses yeux invisibles alors que les souvenirs remontent.
— Pourquoi… Si j’ai commencé à jouer au football… Mes parents sont morts dans un crash d’avion.
Suki se tend imperceptiblement. Pris au dépourvu, Endou attend la suite sans oser parler.
— Ils avaient un travail pour lequel ils voyageaient tout le temps, on ne les voyait pas beaucoup. Presque jamais en fait. Avec Haruna, on était surtout que tous les deux. Et… après l’accident, on était vraiment plus que tous les deux. La seule chose qu’il restait de nos parents… c’était un vieux magazine de foot. Pas de photo de famille, pas de portrait… rien. Je ne me souviens même plus de leurs visages. Non, je n’ai que ce magazine. C’est… c’est mon seul lien avec eux. C’est pour ça que j’ai commencé à jouer. Quand je tapais dans le ballon, j’avais l’impression d’être avec mon père.
— Kidou…
Endou ne s’attendait pas à ça en posant sa question. Il a l’impression de s’être introduit à un endroit où il ne devrait pas être. Le visage de Kidou qui s’est un instant éclairci s’assombrit à nouveau.
— Enfin, c’était comme ça au début. Courir après le ballon était amusant. Un lien avec mon passé. Mais… les gens autour de moi ont commencé à me dire de gagner. Le football est devenu quelque chose dans lequel je devais être bon, surpasser les autres. Peu importe le prix, je devais être le meilleur. Kageyama me disait qu’il pouvait me montrer comment faire. Et sans que je ne m’en rende compte, le football est devenu ma prison.
Suki se penche pour ramasser le torchon qu’elle a laissé échapper, le bout des doigts gelé.
— Mais tu as décidé de jouer ton propre foot contre nous ! clame Endou. Et le match contre ton équipe a été le meilleur que je n’ai jamais joué. Kidou, ton football démarre tout juste. Il est loin d’être fini. Il a juste besoin que tu continues à y croire !
Kidou le dévisage. Pourquoi ses mots résonnent-ils aussi fort en lui ? Pourquoi est-ce qu’il a l’impression qu’Endou vient d’ouvrir une porte au fond de ce qu’il croyait être une impasse ? Il a le vertige, comme la sensation de respirer à nouveau. Et celle d’être observé jusqu’au cœur de son âme.
Suki détourne le regard quand Kidou s’aperçoit qu’elle le fixe. Avec des gestes maîtrisés pour dissimuler la fébrilité qui monte, elle essuie ses mains sur son tablier, le retire en s’éclipsant dans l’arrière-boutique avec une vague excuse de course à faire. Piètre excuse. Hibiki la suit et le silence s’installe dans la petite pièce du restaurant.
Les yeux dans le vague et les pensées mises à sac par la tempête qui rugit dans son esprit, Kidou regarde sans la voir la porte par laquelle ils sont partis. Enfin, il demande :
— Qui est-ce ?
Endou plisse le nez, surpris, avant de répondre dans un haussement d’épaules.
— Daburu ? C’est le commis d’Hibiki-san. Quand il est devenu notre coach, il est venu avec lui. Je crois… hum, eh, il fait partie de l’équipe maintenant. Pourquoi ?
— … Pour rien.
***
Hibiki aurait préféré qu’elle reste, il a essayé de la dissuader d’y aller. Suki s’est excusée d’un sourire triste aux lèvres pincées pour empêcher ses dents de claquer. Elle a besoin de s’éloigner. Alors Hibiki l’a laissée partir, debout dans le pas de la porte arrière jusqu’à ce qu’elle disparaisse au coin de la cour. La tête rentrée dans les épaules, les mains dans les poches, Suki suit le chemin qu’elle connaît désormais par cœur. Dans les ombres du soir tombant s’étirent celles du récit de Kidou. Même si elle presse le pas, elle ne peut pas les semer. Le fond de l’air automnal est glacé. Rentrer dans la bâtisse ne lui apporte aucune chaleur. Personne ne l’arrête dans le grand hall de l’hôpital presque vide. Suki ferme les yeux au moment de dépasser le premier étage. Les corridors pulsent d’une même aura, lourde et poisseuse, Suki manque de rater une marche. Avec une inspiration qu’elle voudrait résolue, en réalité plutôt tremblante, elle poursuit sa route jusqu’à l’étage d’après, jusqu’à la chambre de Yuuka. Pas… pas tout de suite.
Suki retrouve son souffle dans le silence feutré de la pièce. Même endormie, l’enfant peint les murs de ses couleurs et le passage récent de Shuuya réchauffe l’atmosphère. Suki se laisse tomber plus qu’elle ne s’assied sur le tabouret, les paupières closes. Le vacarme dans sa tête se calme un peu. Elle passe une main sur sa nuque, s’ébroue, ignore le craquement du plancher, la voix qu’il lui semble entendre de l’autre côté de la porte. Il n’y a personne sur le lino austère des couloirs. Ça n’empêche pas le froid de pénétrer jusque dans ses os et de rendre brûlant l’air qu’elle inspire. Comme à chaque fois que l’ombre du oni rôde. Mais celle-ci ne s’en va jamais vraiment.
— Ne vous éloignez pas trop !
Indifférents aux consignes de Tia et de Fuku-san, les enfants disparaissent au virage suivant du sentier. Pendant que Yuuka se plante face à un tronc, Suki et Shuuya s’enfoncent dans les buissons. Malgré la végétation qui lui bouche la vue lorsqu’elle s’accroupit, Suki écoute Yuuka compter, la respiration de Shuuya, la discussion lointaine de leurs accompagnatrices. Elles vont bientôt les dépasser depuis le chemin. Imperceptiblement, Tia ralentit.
— Trouvé ! Tu as perdu !
Yuuka met moins d’une minute à trouver son frère qui se laisse tirer de bon gré jusqu’au sentier où elle l’abandonne pour repartir aussitôt à la recherche de Suki. Celle-ci serre ses bras autour de ses genoux, y appuie son menton. Tia s’est arrêtée. Les ombres mouvantes des feuilles bruissent. Habituée aux jeux des enfants, Fuku-san incite sa protectrice à continuer d’avancer. Les petits les rattraperont. Pourtant, Tia ne bouge pas. D’un coup, dans le couvert des bois, Suki a froid. La dernière fois, une seconde d’inattention a suffi pour…
— Désolée, souffle Suki, le visage enfoui dans le manteau de Tia.
La femme vacille sous le contact de l’enfant qui s’est expulsée des fourrés pour se jeter contre elle. Elle glisse ses mains dans ses longs cheveux noirs.
— C’est moi qui suis désolée ma chérie.
Suki relève la tête. Dans les yeux de Tia brille le regret de lui faire payer le prix de ses angoisses. Ce n’est qu’une enfant, elle devrait pouvoir s’amuser sans redouter de sortir de sa vue.
— Eh ! Faut pas sortir de ta cachette, c’est pas comme ça que ça marche !
Les poings sur les hanches, Yuuka vient de découvrir le retour de Suki avec une moue boudeuse. Moue qui ne dure pas longtemps.
— C’est pas grave si tu veux plus jouer à cache-cache, on va jouer à autre chose.
Pendant que Yuuka énumère toutes les idées qui passant par la tête sans réussir à se décider, Suki se presse contre Tia et le groupe reprend sa marche. Même des heures plus tard, après être sortie des bois et avoir retrouvé le soleil, même après avoir longuement joué avec Shuuya et Yuuka, le froid ne la quittera pas. Pas tout à fait.
Le soleil a maintenant fini de plonger derrière l’horizon. Le rire du sien s’est tu, probablement dans les bras de Morphée. Il lui manque un peu. La ville par la fenêtre a revêtu ses habits de lumière, l’ambiance dans l’hôpital s’est adoucie. Suki fait traîner son dernier tour de la pièce. Elle n’a pas envie de quitter le cocon qui l’enveloppe aux côtés de Yuuka et de leur passé aux couleurs pastel. Elle s’en arrache pourtant après avoir arrangé le bouquet apporté tout à l’heure par Shuuya et salué l’enfant endormie. L’heure des visites est passée depuis longtemps, les couloirs sont déserts, les escaliers aussi. Chaque marche lui paraît plus haute que la précédente, prêtes à la faire dégringoler. Suki ralentit à l’approche du premier étage. Là, il y a encore des gens qui s’activent, parlent, s’agitent. Dans l’encadrement qui sépare la cage d’escaliers de l’enfilade de portes, Suki s’immobilise. Dissimulée par les ombres et les préoccupations autres du personnel, elle observe ce dernier naviguer de chambre en chambre, pressé, inquiet. Le contact, poisseux sur sa peau, dans lequel baigne tout l’étage lui donne la chair de poule. Elle voudrait courir loin, fermer les yeux, plaquer ses mains sur les oreilles pour tout ignorer de la douleur qu’il y a de l’autre côté des portes. Une douleur déchirante qui lacère sa poitrine à chaque inspiration. Suki se mord l’intérieur des joues, doit se rappeler de respirer. Malgré son envie de fuir, elle n’arrive pas à s’en détourner.
Elle ignore combien de temps elle est restée là, dans l’indifférence générale. Médiciennes et infirmiers ont fini par partir quelque part ailleurs dans les étages, les lumières se sont éteintes. Le silence est revenu, en apparence. Le cœur au bord des lèvres, elle avance.
***
Suki renifle, essuie son nez dans sa manche et doit s’y reprendre à trois fois avant de réaliser que le Rairaiken est encore allumé en entrant dans la réserve. Elle plisse les yeux, éblouie, lorsque la porte coulisse. La silhouette d’Hibiki s’interpose aussitôt entre elle et la lumière.
— Oh… ma belle…
L’homme se précipite vers elle, s’accroupit à son niveau, prend son visage entre ses mains sans oser la toucher. Elle cille alors qu’il effleure ses joues mouillées, bredouille :
— C’est… c’est rien.
Elle lit dans son regard que c’est loin d’être rien. Doucement, Hibiki l’incite à avancer, constate avec tristesse les détails qui se révèlent à lui. Ses lèvres tremblantes, la fatigue et les traces de sel qui marquent son visage, ses doigts crispés sur ses bras, serrés autour d’elle. La peur perce dans sa voix lorsqu’il demande :
— Qu’est-ce qu’il s’est passé ? Est-ce qu’il…
Suki secoue la tête. Il se détend. Un peu. Elle voudrait le rassurer, lui dire que tout va bien, mais le monde devient flou alors que les larmes lui brûlent les yeux et que les sanglots étranglent sa voix.
— Hibiki… Ceux de la Teikoku… J’ai vu… J’ai… C’était… c’était…
— Là, viens là ma belle… Shhhh… c’est fini…
Il l’avale dans son étreinte, la berce, la rassure. Elle le sent se crisper quand elle ne peut empêcher la douleur qui dévore ses bras de déteindre, mais il la serre encore plus fort. Les yeux clos, elle se laisse aller. Plus tard. Elle lui racontera plus tard la douleur, la détresse, les corps inconscients, les auras aux plaies à vif. Elle essaiera plus tard de lui décrire l’empreinte suintante qui les marquait, qui l'oppresse encore. Il tentera plus tard de comprendre les heures qu’elle a passées auprès d’eux, sans pouvoir retenir ses larmes, à tenter de les soulager, ne serait-ce qu’un peu, des poussières destructrices qui s’accrochent et rongent leurs auras. Tout cela, ce sera pour plus tard. Pour l’heure, délicatement, il la soulève et la porte jusqu’à sa chambre. Il la couchera, la veillera en attendant qu’elle s’endorme, et restera encore auprès d’elle jusqu’à l’aube en priant les dieux, mêmes ceux en lesquels il ne croit pas, pour que les cauchemars la laissent tranquille.
Notes:
Ça y est, nous avons dépassé la moitié de l'histoire... J'espère que vous appréciez l'aventure en compagnie de Suki.
☆゚. * ・ 。゚☆ Si l'histoire vous plaît, aimez, commentez, partagez. ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 35: Certains jours brillent moins que les autres
Notes:
Mentions d'auto-mutilation et de cicatrices sans description graphique dans le paragraphe qui commence par "Tous les autres ont rejoint le terrain depuis un moment déjà, Domon est le dernier à se changer.", n'hésitez pas à le sauter si c'est un sujet qui vous touche. Faites attention et prenez soin de vous.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Suki est venu parce qu’Hibiki le lui a demandé, un peu à contrecœur. Encore aujourd’hui, ils ont choisi de s’entraîner au collège. Elle aurait préféré qu’ils aillent à la rivière ou à la tour, elle a moins l’impression d’être observée là-bas. Elle s’ébroue lorsque les garçons reviennent du centre Inabikari pour la pause. Les maillots trempés de sueur, ils vident leurs gourdes d'une seule traite. Malgré les recommandations des médecins, Endou se donnerait autant que les autres si ces derniers ne le freinaient pas. Un avertissement d’Hibiki et une ultime remarque de la part de Natsumi – ça suffit, est-ce qu’il compte aggraver sa blessure et priver son équipe de son gardien ? – ont eu raison de ses dernières protestations et il a accepté de lever le pied. Ils sont bien plus sérieux que les autres jours. Les plaisanteries habituelles sont rares, remplacées par un silence empreint de gravité. Les esprits marqués par la défaite de la Teikoku et les enjeux de leur prochain match, ils sont résolus à donner le meilleur d’eux-mêmes. Leurs adversaires de vendredi ont également été déterminés la veille en fin de soirée et Haruna attire les attentions pour partager les résultats de ses recherches.
— Ce sera le collège Senbayama. Situé en montagne, ses joueurs profitent des grands espaces qui l’entourent pour s’entraîner.
S’ensuivent quelques descriptions de la faune et flore locales durant lesquelles Haruna joue avec les branches de ses lunettes. Les anecdotes plus futiles qu’utiles accompagnent toujours les comptes-rendus de la manageuse et participent à détendre l’atmosphère. Les joueurs ont appris à les apprécier en attendant que les informations pertinentes n’arrivent.
— Il s’agit de la seule équipe à n’avoir encaissé aucun but durant les phases éliminatoires, ce qui leur a permis d’avancer aussi loin dans la compétition malgré une attaque plus lacunaire. Cet exploit a été possible grâce à leur hissatsu technique combinée de défense, la Mugen no Kabe.
Ils sont plusieurs à écarquiller les yeux. Aucun but ? Du tout ? Du tout, confirme Haruna. Endou claque son poing dans son gant en faisant face à ses camarades. Il leur suffit de faire tomber leur défense. Danse dans ses yeux une lueur déterminée plus sombre que d’habitude. Suki retrouve la même étincelle, la même force farouche chez chacun d’entre eux, quand ils acquiescent les uns après les autres. Ils abattront le mur infranchissable de Senbayama. Encore quelques échanges brefs, quelques consignes de la part d’Hibiki et Suki regarde le groupe se faire avaler par les profondeurs du centre Inabikari, non sans un frisson. Quelque chose dissonne.
***
Il ne reste plus qu’une petite demi-heure, même s’ils sont rarement regardant sur l’heure à laquelle ils terminent, lorsqu’Hibiki les a fait remonter pour un match d’entraînement. Même pas une mi-temps, histoire qu’ils s’aèrent. L’engagement, les premières minutes, laissent croire à Suki que la fausse note de tout à l’heure n’était que le fruit de son imagination, troublée par la fatigue. Et puis… Et puis ça commence par une passe de Shishido à Kazemaru mal maîtrisée. Le première année se fond en excuses – il a compté ses pas pour être sûr de son timing, pourtant – tandis que son camarade court récupérer la balle perdue et lui assure que ça arrive. Un grain de sable qui grippe un instant l’harmonie de l’équipe. Aussitôt survenu, aussitôt oublié. Hibiki et les filles ne l’ont même pas remarqué tandis que l’exercice reprend. Suki se mord la joue. Eh, rien qu’un petit grain de sable.
Un grain de sable parmi les autres, alors que les erreurs se multiplient. Passes trop longues, trop courtes, un centre trop puissant, une tête facile ratée, un tir mal cadré… Les joueurs les écartent d’un geste de la main ou d’un sourire gêné. Un inconfort s’installe, accentué par le battement inquiet du doigt de Natsumi sur son bras et le tapotement du stylo d’Aki contre sa plaquette. Ils ne peuvent plus se voiler la face lorsque les flammes de la Dragon Tornado se dissipent avant d’arriver aux cages.
Pris par surprise, Endou ne réagit pas et la balle finit sa course dans les filets sans qu’il ne bouge.
— Ah… Vous avez marqué… rit-il, gêné.
Someoka lui rend son rire, sans joie. Ça arrive, neh ? Gouenji fronce les sourcils.
— Recommençons.
Le match reprend, la balle leur revient. Et la Dragon Tornado s’efface à nouveau.
— Encore.
Les autres n’essaient même plus de les en empêcher. Peu importe leur nombre de tentatives, ils n’obtiennent que le même triste résultat, ne font que s’essouffler dans le vent.
— Mon tir est peut-être trop faible, hasard Someoka.
— Non, contre Gouenji, essuyant dans le revers de son col sa transpiration, tes tirs sont parfaits. Les miens aussi.
Alors pourquoi ? D’où vient la gêne dont ils ne peuvent déterminer l’origine et qui refuse de partir ? Depuis la création de l’hissatsu technique, ils n’ont jamais échoué à l’invoquer. Endou récupère la balle, s’avance vers eux.
— Peut-être que vous êtes fatigués ? Ce n’est pas grave, ça ira mieux demain ! On continue ?
Malgré son entrain, il n’y croit pas trop non plus. Eh, la fatigue. Aki siffle, les sortant de leur torpeur, écourtant le match qu’ils ont déjà oublié. Ils récupèrent les plots et les ballons abandonnés au bord du terrain, retournent au local dans un silence perplexe. Ça ira mieux demain. Pour la première fois, ils terminent l’entraînement en avance.
***
Comme la veille, Hibiki est venu chercher Suki au gymnase où elle noyait sa fatigue et le brouhaha incessant de ses pensées. Ça lui dit de venir à l’entraînement ? Ça lui changerait les idées et ça ferait plaisir aux garçons. Elle a eu une moue – pas convaincue que sa présence compte tant que ça – mais a tout de même troqué ses vêtements trempés de sueur contre ceux, ternes et trop grands, derrière lesquels elle se dissimule dès qu’elle sort. Les garçons ont déjà commencé l’échauffement lorsqu’ils arrivent, elle reconnaît immédiatement la même note dissonante que la veille planer en fond. Plein de grains de sable qui s'accumulent. Dès qu’ils passent le portail, Aki et Natsumi viennent les voir, présentant à Hibiki leurs notes et le plan pour l’entraînement. Le coach les valide, non sans glisser des coups d’œil réguliers à Suki. Consciente de l’observation dont elle fait l’objet, celle-ci se concentre sur les joueurs, sur les détails invisibles à son mentor et aux autres. Fugaces, ils s’effacent, se renouvellent, aussi éphémères que multiples. Est-ce que l’un d’eux pourrait expliquer ce qu’il se passe ? Elle plonge lentement dans ses pensées, de plus en plus détachée de la réalité, lorsqu’Hibiki l’y ramène :
— Tu peux aller chercher les plots pour le prochain exercice s’il te plaît ?
Suki s’ébroue et s’aperçoit que les filles ne sont visibles nulle part. D’un signe de tête, elle acquiesce et s’élance vers le local.
Tous les autres ont rejoint le terrain depuis un moment déjà, Domon est le dernier à se changer. Systématiquement en retard ou en avance, ils se moquent gentiment de lui, le charrient en disant qu’il n’a plus besoin de se cacher pour fouiller dans les données de l’équipe. Il leur répond en riant qu’il ne peut pas perdre comme ça ses mauvaises habitudes, il n’est pas plus à l’heure pour autant. Plongé dans ses pensées, il sursaute lorsque la porte du local s’ouvre et reste pétrifié. Daburu se fige dans l’encadrement. Le joueur voudrait enfiler en vitesse son maillot, mais il est trop tard et le regard du commis d’Hibiki le brûle lorsqu’il s’attarde sur ses épaules. Sur les cicatrices hideuses qui marbrent sa peau. Le silence de Daburu s’éternise, les bruits des autres sur le terrain se taisent lorsqu’il tire la porte dans son dos. Contrairement à d’habitude, Domon ne trouve pas de jolie pirouette un peu rigolote pour détourner l’attention et se sortir de l’enfer qui s’ouvre sous ses pieds. La lame de feu dans son ventre s’amplifie en apercevant le commis plisser le nez. L’odeur de la cigarette qu’il a fumé en cachette dans le parc avant de venir ne s’est pas encore dissipée. Ça faisait… ça faisait deux semaines qu’il tenait bon, mais avec ce qu’il s’est passé ces derniers jours, il a craqué. Domon crispe les doigts sur son maillot, dans une tentative de résister à l’envie dévorante de gratter les croûtes jusqu’à les arracher.
— C’est pas très beau, hein ? C’est même plutôt moche. Et nul. Mais, mais je…
Domon ne sait pas ce qu’il raconte, la gorge trop sèche, il a juste besoin de combler le vide qui menace de l’avaler. Il n’ose pas croiser le regard de Daburu, mais le ton doux du commis, sans le jugement ou la pitié qu’il redoutait, le prend par surprise.
— Hmmhmm… Je comprends.
Le commis frotte les jointures de ses doigts. La peau y est rougie d’avoir trop frappé, usée des émotions qui ne peuvent sortir autrement. Il comprend. Il comprend que les mots, que les autres ne suffisent pas toujours. Il sait ce que c’est, de se retrouver seul pour lutter contre ses démons. Domon se détourne, la lèvre tremblante. Ses mains se portent à son épaule, suivent les différents tracés creusés à la lame de rasoir, s’attardent sur les plus récents. Le besoin de se livrer qu’il croyait avoir suffisamment enfoui pour l’oublier et le réduire en poussière refait surface. Il le prend de vitesse, déjoue ses habitudes de silence et les mots franchissent ses lèvres sans qu’il ne puisse les retenir.
— Hier… hier je suis allé voir Genda, Sakuma et les autres… ceux de la Teikoku Gakuen. Mes… C’était… c’étaient mes coéquipiers, avant, tu sais ? Et même si ça ne se passait pas très bien avec eux, ils… ils ne méritaient pas ça. Personne ne mérite ça. C’était horrible… Tu ne peux pas… tu ne peux pas imaginer… Je n’aurais jamais imaginé…
Perdu dans les images trop fraîches, trop douloureusement vives, qui s’imposent à lui, Domon rate l’ombre sur le visage de Daburu.
— … J’ai détesté aller là-bas. Je déteste les hôpitaux. Ça me donne l’impression de revenir en arrière quand… non, rien, laisse tomber.
Pourquoi est-ce qu’il parle autant ? Il devrait se taire. Son pouce s’enfonce dans une plaie, celle de la veille, pas encore cicatrisée. S’il appuie encore, elle se rouvrira.
— Mais… ça fait mal et…
C’est la seule manière qu’il a trouvée pour faire sortir la douleur, comme la fumée lui brûle la gorge et noie ses pensées lorsqu’elles deviennent trop noires. La seule, sale, humiliante manière qu’il a trouvée.
— Je sais que c’est pas bien. J’ai… j’ai essayé, d’arrêter, mais… C’est compliqué. Tout le monde dit tout le temps que tout va mieux avec le temps, qu’il faut y aller une marche après l’autre, que la lumière reviendra. Mais des fois…
Des fois la marche est trop haute, des fois, la lumière s’éloigne peu importe les efforts.
— Et… et j’ai pas l’impression que ça ira mieux un jour. Et des fois, tout ce qui semblait aller mieux se casse la gueule et c’est comme si je revenais au point de départ.
Il sursaute à nouveau au bruissement de tissus. Daburu s’est approché et s’est assis, presque à côté de lui, pas assez proches pour qu’ils se touchent. Il ne voit pas son visage, caché par son béret, lorsque le commis prend la parole, hésitant, et pourtant avec une confiance tranquille qui sent trop le vécu pour ne pas être déstabilisante.
— Il n’y a pas de mauvaise manière de rester en vie. Seulement celles dont on est capable et… c’est déjà bien. Ce n’est pas grave si certains jours brillent moins que les autres.
À chaque jour suffit sa lumière. Domon frissonne. Les mots sont rugueux, abîmés, mais étrangement réconfortants. Ils dansent dans son esprit tandis que le silence revient. Il ignore combien de temps s’est écoulé lorsque les coups répétés de sifflet et les cris plus forts du reste de l’équipe retentissent à l’extérieur. La bulle qui les enveloppait éclate, Daburu se laisse glisser des pneus. Mécaniquement, Domon enfile son maillot, s’aperçoit quand le tissu frotte sur sa peau que les démangeaisons se sont tues. Il voudrait retenir le commis au moment où celui-ci va sortir. Daburu s’arrête de lui-même, comme s’il savait ce qu’il allait dire, et le sourire sur ses lèvres est triste.
— Tu en as mis, du temps.
Suki hausse les épaules à la remarque taquine d’Hibiki. Elle a failli oublier les plots. Shourin et Kageno sont déjà venus les récupérer et les disposent sur le terrain. Toujours aucun signe des manageuses. Sur le terrain, les garçons se répartissent en groupes, Domon les rejoint en courant. Mais même s’ils démarrent leurs ateliers respectifs, ils ne sont pas vraiment attentifs lorsque les deux attaquants approchent des buts d’Endou. Silencieusement, ils partagent tous la même pensée. La balle passe au-dessus de la transversale sans même la toucher et douche leurs espoirs.
— C’est pas vrai ! peste Someoka en donnant un coup de pied dans le vide.
Hibiki rappelle à l’ordre les bavardages inquiets qui s’élèvent.
— Oy ! Vous avez tous quelque chose à faire, ce n’est pas le moment de lambiner.
Les joueurs s’exécutent et bientôt un coup de sifflet signale le début du chrono.
***
Les intervalles de temps se sont enchaînés, les joueurs ont tourné sur le terrain. Même si la variété des consignes était la bienvenue, jonglant entre leurs compétences et mettant à l’épreuve leurs capacités, elle n’a pas su effacer la succession d’erreurs qui ont une fois de plus ponctué l’entraînement. Aussi les joueurs sont soulagés lorsque deux coups rapprochés signalent la pause. L’exclamation d’Aki leur fait relever la tête et presser le pas :
— Les garçons ! On a préparé quelque chose !
Il ne faut pas le leur répéter deux fois. Ils ont tôt fait de déserter le terrain et se regroupent, curieux, autour des manageuses revenues d’ils ne savent où. Haruna commence par leur distribuer des gourdes perlantes de condensation.
— Pensez à bien vous hydrater !
Oui, ça, ils ont l’habitude, même si ça fait toujours autant de bien, mais elles ont parlé de…
— Il y a aussi des tranches de citron au miel.
Les yeux s’écarquillent devant les plateaux que Natsumi pose sur le banc. Ils s’empressent de piocher dedans, frissonnent de concert lorsque l’acidité de l’agrume leur pique la langue, aussitôt contrebalancée par la douceur du miel.
— Hmm… C’est si bon !
— Eeeeh…
En moins de cinq minutes, le plat est vide et les plus gourmands raclent les dernières gouttes de miel. Natsumi grimace devant la terre qui se mêle aux traces de sucre mais note mentalement de renouveler la demande auprès des cuisiniers de l’école à l’occasion. Tout à l’heure, Aki l’a taquinée quand elle leur a fait part de son initiative. Elle s’inquiète plus pour les garçons qu’elle ne veut bien l’admettre, même si elle maintient qu’elle ne se préoccupe que de la réputation de l’école s’ils venaient à perdre. Natsumi a bégayé, virant au pivoine, avant qu’Haruna ne la rassure. Ça n’a pas d’importance. Ce qui compte ce sont les sourires revenus sur les visages des joueurs et l’entrain avec lequel Endou lève le poing en criant :
— Allez, les gars ! Retour à l’entraînement !
Ils n’ont pas de temps à perdre, le capitaine encore moins que les autres tandis qu’il motive ses troupes. Une dernière gorgée d’eau, un dernier remerciement aux filles, et ils courent reprendre là où ils s’étaient arrêtés.
Aki part avec les garçons sur le terrain, prenant le relais pour le chronomètre aux côtés d’Hibiki. Pendant ce temps, Natsumi récupère les plateaux – elle va aller les rendre à la cantine – et Haruna ramasse les bouteilles vides abandonnées. Elle sourit à Daburu lorsqu’il se joint à elle. Les bras chargés, ils prennent le chemin du robinet.
— Désolée de t’avoir laissé tout seul pour gérer l’entraînement tout à l’heure.
Daburu fait signe que ce n’est pas grave et la manageuse enchaîne.
— Le but était de leur changer les idées, de les aider comme on peut. Après tout… c’est normal que le match qui arrive les stresse, c’est les quarts de finale, quand même ! J’espère que ça ira mieux d’ici là. Mais je ne me fais pas trop de souci avec Endou et les autres. Ils arrivent toujours à surmonter les épreuves. Neh ?
Haruna coupe le robinet, la bouteille qu’elle remplissait pleine à ras bord, sourit à Daburu. Celui-ci récupère la gourde, lui en tend une vide.
— Eh. Ils ont de la chance de vous avoir.
Haruna s’apprête à lancer qu’il n’a pas à jouer les modestes, qu’ils ont de la chance de l’avoir lui aussi, avec tout ce qu’il fait pour l’équipe, mais quelque chose dans le regard du commis la retient. À la place, troublée, elle se contente d’ouvrir à nouveau à nouveau l’eau et de placer la bouteille suivante dessous.
***
Hibiki et Suki marchent côte à côte, lui les mains croisées dans le dos, elle cachées au fond des poches. L’entraînement s’est terminé tout à l’heure. Malgré les nombreuses tentatives, la Dragon Tornado n’a pas une seule fois trouvé le chemin des cages. Plongés dans leurs réflexions, ils cheminent en silence jusqu’à ce qu’Hibiki interroge :
— À quoi penses-tu, ma belle ?
— À ce qui grippe l’équipe. Je crois que j’ai compris. Un peu.
Elle plisse le nez, incertaine de ce qu’elle s’apprête à dire, Hibiki l’encourage à poursuivre.
— C’est pas… ce n’est pas une question de fatigue, ou de stress, enfin, pas que. Et c’est pas un problème récent mais plutôt… Depuis le début de l’équipe, et aussi depuis qu’ils ont trouvé le centre Inabikari, ils se sont beaucoup améliorés. Sauf qu’ils ne s’en rendent pas compte et ça affecte leur jeu. Individuel et d’équipe. Jusqu’à maintenant… Jusqu'à maintenant, ils compensaient inconsciemment et arrivaient à se calquer les uns sur les autres. Mais avec la pression des matchs qui augmentent, celles supplémentaires de la Mugen no Kabe à franchir et de la défaite de la Teikoku…
— Ils sont arrivés au point de rupture, complète Hibiki lorsqu’elle se tait d’avoir trop parlé, déroulant lentement ses pensées.
Suki approuve en silence. En les observant et en comparant les fiches, elle a pu constater l’évolution de leurs auras et de leurs capacités physiques et techniques dans un cercle qui ne devrait être que vertueux. Haruna lui a répété que ces derniers jours, ils ont battu records personnels sur records personnels. Mais s’ils ont appris à utiliser leurs nouvelles capacités au fil de l’eau, ils n’ont pas eu le temps de s’y habituer, ils n’ont pas fait le même travail ensemble. Et ils se sont désaccordés. Ils ne savent pas quoi faire de leurs auras qui s’entrechoquent et crissent les unes contre les autres.
— Eh… Ça nous était arrivé aussi à l’époque, se remémore Hibiki, et on s’en était sortis grâce à Daisuke-san. Mais il nous avait fallu du temps.
Sauf qu’ils n’en ont pas. Pas le temps d’apprendre à s’apprivoiser, à composer une nouvelle harmonie de groupe. Le coach reprend :
— Tout ce qu’on peut faire, c’est avoir confiance en eux. Ça ne sert à rien de les inquiéter plus, ils s’en sortiront. Ils s’en sortent toujours. Qu’est-ce que te fait rire ?
Rire est un bien grand mot, sourire serait plus juste pour décrire le frémissement de ses lèvres, mais Suki consent à répondre :
— Hum, rien, c’est juste que… Haruna a dit la même chose tout à l’heure.
— Oh ? C’est qu’il doit y avoir un fond de vérité alors.
Elle ne relance pas, enfonce un peu plus les mains dans les poches. Eh, ils vont y arriver. Ils doivent y arriver.
***
À mesure que l’automne avance, la nuit tombe de plus en plus tôt, et les lampadaires éclairent leur chemin par flaques jusqu’à l’arrière du restaurant. Pendant qu’Hibiki cherche les clés dans sa poche, Kibô, gardien des lieux, sort de l’obscurité qui a envahi la cour pour se frotter contre les jambes de Suki. Elle s’accroupit, plonge ses doigts dans sa fourrure, ne bouge pas quand Hibiki entre enfin et allume la lumière.
— Tu viens ?
Il devine dans son silence sa réponse, elle perçoit dans le sien sa désapprobation et son inquiétude.
— Je dois y aller…
Hibiki voudrait protester. Non, elle ne doit rien à personne. Elle n’a pas à s'infliger de retourner, soir après soir, rendre visite aux blessés de la Teikoku Gakuen. Au moins, quand elle n’allait voir que Yuuka, elle ne rentrait pas dans des états pareils. Mais il sait le combat perdu d’avance. Il ne la fera pas changer d’avis. Il tente tout de même, alors que Kibô miaule :
— Tu vois, même lui n’est pas d’accord.
— Eh… peut-être…
Suki se déplie et le chat proteste pour que les caresses reprennent. Hibiki soupire.
— Tu es prudente, eh ? Essaie de ne pas trop tarder. Je te garderai un bol au chaud.
Ça ne sert à rien qu’elle dise que ce n’est pas la peine, il est aussi buté qu’elle. Et puis, la chaleur qu’il allume dans sa poitrine chasse un peu le froid de la nuit. Alors elle se contente de l’ombre d’un sourire avant de se laisser avaler par l’obscurité.
Notes:
Le headcanon de l'auto-mutilation et du tabagisme de Domon provient de ce post de Frosty-tian (mêmes warnings qu'en début de chapitre) et il a grandi en moi depuis.
☆゚. * ・ 。゚☆ Si l'histoire vous plaît, aimez, commentez, partagez. ☆゚. * ・ 。゚☆
Chapter 36: Celui qui surveille tes arrières
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Le match est demain. Chaque membre de l’équipe en a conscience en tournant entre les différents ateliers. Pour profiter du dernier soir et du beau temps, ils ont délaissé le centre souterrain au profit du grand air. Endou a reçu l’autorisation médicale de pleinement employer sa main. Ce n’est pas comme s’il avait vraiment fait des efforts pour se restreindre jusqu’à maintenant, au moins désormais Natsumi n’a plus de raison de lui faire les gros yeux. Les exercices font naviguer les joueurs à travers le terrain. En guise de conclusion, ces derniers tirent dans les ballons alignés devant les cages, avant de repartir pour un tour. Le portier bondit, déploie toute son amplitude, roule au sol, dans un débordement d’énergie déterminée. En attendant que le groupe suivant n’arrive, il récupère les balles au fond des filets et les replace avec Aki. Un faux départ à l’atelier suivant de la part de Kurimatsu et Kabeyama retarde la rotation, Domon et Gouenji sont obligés de patienter et profitent du temps mort pour les aider. Gouenji s’arrête, un ballon dans les mains. Il finit par demander, les sourcils froncés sous l’effort pour verbaliser ce qui occupe ses pensées :
— Endou, tu penses vraiment que l’on peut briser la Mugen no Kabe ?
— Bien sûr !
Le gardien répond sans une once d’hésitation. Mais aujourd’hui, l’enjouement de leur capitaine ne suffit pas à écarter totalement les doutes des deux joueurs.
— Tu es vraiment certain qu’on pourra la passer, malgré la situation actuelle ? insiste Domon.
Someoka et Gouenji n’ont toujours pas réussi à faire fonctionner la Dragon Tornado.
— Ça ira, assure Endou avec cependant un temps d’arrêt qu’il efface aussitôt. On y arrivera. On a d’autres hissatsus techniques.
— Seulement si on arrive à les utiliser, tempère Gouenji, pragmatique.
Pas plus l’Honoo no Kazamidori que l’Inazuma Ichigou n’ont trouvé les cages que la Dragon Tornado ces derniers jours. Hibiki-san leur a rapidement indiqué de passer à autre chose, mais les échecs successifs restent trotter dans un coin de leur tête.
— Tant qu’on est motivés, on peut marquer autant de buts qu’on veut ! Et puis, même si elles sont moins puissantes, vous avez toujours la Fire Tornado ou le Dragon Crash. Sans oublier qu’il n’y a pas que les hissatsus techniques.
Endou ne semble même pas considérer le problème et Gouenji et Domon sont tentés de le croire. Leur ami oublie sans doute un peu vite qu’au stade où ils sont de la compétition, aucun tir classique ne fera tomber la muraille de Senbayama, largement précédée par sa réputation infranchissable.
— Neh, Domon-kun… intervient Aki. Et le Tri-Pegasus ?
Personne ne remarque le mouvement de surprise du défenseur, maquillé derrière l’entrain qu’il accroche à son visage tandis que les regards se tournent vers lui. Ça fait des années qu’il n’avait plus entendu le nom de cette hissatsu technique.
— Tu veux dire, notre Tri-Pegasus ? Eh… Eh ! Ça pourrait marcher !
— Le Tri-Pegasus ? demande aussitôt Endou, incapable de rester immobile sous l’excitation qui s’empare déjà de lui. C’est quoi comme technique ? Comment on la fait ?
L’avalanche de questions amuse ses camarades. Même s’il le montre moins, Gouenji est aussi curieux que lui et attend les réponses de Domon et Aki avec autant d’intérêt. La manageuse prend les devants :
— C’est une technique qu’il faisait avec Ichinose et Nishigaki, nos amis d’enfance quand on était aux États-Unis.
Nishigaki ? Gouenji fronce les sourcils, mais Endou embraye, impressionné :
— Une hissatsu technique à trois ? Whaaa…
— Je te signale que vous avez l’Inazuma Otoshi Ichigou à trois aussi, rit Aki. Même si c’est vrai que… le Tri-Pegasus demande plus de précision. À vrai dire, ils n’avaient réussi à avoir la coordination parfaite que grâce à Ichinose.
— Cet Ichinose doit être un gars incroyable !
— Eh ! Il était vraiment très bon au foot, confirme Aki.
— C’est lui qui a mené notre équipe à la victoire de la ligue américaine junior, renchérit Domon. On l'appelait le magicien du ballon rond.
La ligue américaine junior, rien que ça ? Les étoiles s’allument dans les yeux d’Endou. Il a complètement oublié le sujet initial de la discussion, fasciné par le joueur que lui décrivent ses amis.
— Le magicien du ballon rond ? Ça claque trop, comme nom ! Il a l’air tellement cool ! Neh, vous croyez que ça serait possible de le rencontrer un jour ? Vous savez où il est maintenant ?
— Ça va être compliqué…
Le sourire de Domon fane sur les bords lorsqu’il pointe un doigt vers le haut. Endou comme Gouenji ne peuvent s’empêcher de le suivre du regard. Il n’y a que le bleu du ciel et les nuages au-dessus d’eux. Le visage d’Endou se décompose lorsqu’il comprend. Aki ne lui laisse pas le temps de s’excuser et coupe le silence gêné avant qu’il ne s’installe.
— Tu sais, Domon-kun, je pense que tu es capable de leur enseigner le Tri-Pegasus.
— Peut-être…
Endou râle que Domon prend trop de temps pour réfléchir. Mais le oui ne veut pas sortir, bloqué dans sa gorge. Domon n’en revient pas d’avoir réussi à parler d’Ichinose si facilement. Il était persuadé qu’il s’écroulerait à la mention de son ami, toutefois la lumière d’Endou, la douceur d’Aki et la chaleur de Gouenji ont rendu l’épreuve supportable. La douleur à laquelle il s’attendait n’est pas venue. Là-bas, vers le banc, il croise un instant le regard de Daburu. Les jours ne brillent pas tous de la même manière, et celui-ci brille un peu plus que les autres.
— Allez, dépêche-toi de nous l’apprendre ! le supplie Endou.
Gouenji opine. C’est de la folie, d’essayer d’apprendre une nouvelle hissatsu technique la veille d’un match, à trois qui plus est, alors que toutes les autres combinées échouent en boucle. Mais ils font rarement les choix les plus logiques. Le nœud dans la gorge de Domon se délie. Il prend une grande inspiration et se défend dans un éclat de rire :
— C’est compliqué à décrire ! Et puis, ça fait longtemps… Mais, si vous voulez…
S’accrochant à l'agréable sensation qui l’envahit, le défenseur s’accroupit, trace de son doigt dans la poussière de quoi illustrer ses propos.
Derrière eux, les ateliers ont repris. Comme ils n’ont pas l’air de vouloir bouger, leurs coéquipiers ont décidé de zapper les tirs aux buts et tant pis pour eux. Plus Domon parle, plus Endou est perplexe, malgré les précisions qu’apporte Aki.
— Pourquoi on finit ici ?
— Regarde, tu vois comment on se rencontre ici ? Eh bien…
Tandis qu’Endou râle que les explications n’ont aucun sens, Gouenji se détache de celles-ci. Son regard erre autour de lui, à la recherche de l’élément qui a détourné son attention. Il l’arrête sur un point précis, invisible de l’autre côté du mur qui ferme le parc.
Suki a arrêté de compter les grains de sable. À la place, elle observe Haruna courir d’un groupe à l’autre pour rappeler les consignes et partager ses notes aux joueurs. Puis son attention revient vers le groupe devant les buts et l’ondoiement qui remonte des profondeurs de l’aura d’Aki. L’air autour d’elle, de Domon, prend des odeurs de passé et de nostalgie tandis que leur discussion est rendue inaudible par la distance. Un mélange de bonheur et de peine couverte d’une épaisse couche de poussière, pas tout à fait oubliée pour autant. Suki plisse les paupières. Des formes se dessinent dans les énergies des deux amis d’enfance. Une silhouette avec un ballon, le galop d’un cheval et le bleu de flammes ardentes. Même fantôme, leur chaleur la crispe. Domon monte par réflexe sa main à son épaule avant de la baisser. Il se tourne un instant vers elle, juste le temps de croiser son regard, et l’impatience d’Endou semble trouver satisfaction lorsque le défenseur s’accroupit. Leur conciliabule se coupe du reste du groupe, ou presque. L’attention de Shuuya dérive. Du coin de l’œil, Suki aperçoit Haruna quitter le terrain et se faufiler par le portail de l’école. Ils ont fini par le remarquer eux aussi. Hibiki fait signe que l’entraînement est presque terminé. Suki hésite, interpelle Natsumi lorsque la manageuse passe devant elle :
— Natsumi-san ? Est-ce que… est-ce que tu pourrais me fournir des papiers, s’il te plait ?
— Eh, bien sûr. Lesquels ?
Les garçons rangent les plots, Aki rassemble les gourdes. Haruna n’est pas revenue, Shuuya s’est éclipsé dès le dernier coup de sifflet. Suki aide la manageuse jusqu’à que Natsumi revienne avec une liasse de feuilles. Le temps qu’elle les range dans son sac, les garçons sont partis se changer. Hibiki l’attend vers le portail et ils prennent ensemble le chemin du retour vers le Rairaiken. Elle ralentit en longeant le mur de l’enceinte du collège. Juste ici, l’empreinte de celui qui s’est tenu là marque encore les pierres.
— Pourquoi tu as demandé ces formulaires à Natsumi ? interroge son mentor.
Ils savent tous les deux que, contrairement à ce que la fille du président du conseil d’administration a pu se penser, elle ne va pas s'inscrire à Raimon ou à son club de foot. Pourtant, Suki ne répond pas tout de suite et Hibiki accepte son silence, attend qu’elle se décide à parler. Alors qu’ils avancent le long des quais, elle s’arrête et, le visage indéchiffrable, se tourne vers l’amont, vers le pont qu’ils connaissent bien, invisible de là où ils sont.
— Une intuition.
Une étincelle brille dans son regard tandis qu’elle reprend sa marche. Hibiki l’imite, songeur.
***
Gouenji a dû patienter jusqu’à la fin de l’entraînement et n’a trouvé personne de l’autre côté du mur en sortant, cependant son instinct l’a poussé jusqu’au terrain au bord de l’eau. Et il ne s’est pas trompé. Haruna s’est assise dans l’herbe du talus, Kidou se tient debout à ses côtés. Il porte la même veste rouge que lorsqu’il a assisté à leurs précédents matchs, que quand il est venu ici-même après l’incident avec Fuyukai. Gouenji retrouve dans son aura les détails qui lui ont laissé deviner sa présence et son identité, mais aujourd’hui ils sont assombris. Aucun des adelphes ne l’a encore repéré. Gouenji doute. Est-ce qu’il a bien fait de venir ? Il en a la profonde intuition, et elle lui a toujours dit de la suivre, d’écouter ce que lui dit son feu-émotion. Mais il n’est pas aussi doué qu’elle pour trouver les mots justes, pour se faire comprendre d’un geste, d’un regard. Ses doigts se serrent sur le ballon qu’il a emporté sans y penser. Lui, c’est à travers le foot qu’il sait parler, à travers le cuir qui porte ses sentiments. Alors…
— Neh, Onii-chan… Tu n’es plus obligé de te cacher, tu sais ?
Les bras serrés autour de ses genoux, Haruna s’inquiète du silence de son frère. Celui-ci finit par répondre :
— Ceux de Raimon… Ils sont trop éblouissants pour moi.
Elle le connaît assez pour déceler sa colère et sa douleur dans l’inflexion de sa voix, même s’il cherche à les camoufler. Il a toujours essayé de lui épargner ses tracas, il n’a jamais vraiment réussi. Eh, il n’a pas changé. Un éclat de lumière lui fait écarquiller les yeux. Kidou se retourne juste à temps pour renvoyer le tir enflammé, ses tresses fouettant l’air alors qu’Haruna lève les bras devant son visage par réflexe. Les yeux du joueur de la Teikoku cherchent le tireur même s’il l’a déjà reconnu. À contre-jour dans le soleil couchant, Gouenji se tient droit sur le pont tandis que le ballon lui revient dans les mains. Haruna se relève à la hâte pour s’interposer entre son frère et l’attaquant de Raimon qui s’approche.
— Gouenji-senpai ! Onii-chan n’était pas venu pour nous espionner ! Je te le jure !
Onii-chan, eh… ? Durant un battement de paupières, Gouenji est ramené dans la chambre d’hôpital de Yuuka. La voix d’Haruna se fait suppliante. D’un signe de tête, il invite Kidou vers le terrain en contrebas.
— Viens.
Kidou rassure sa sœur d’une tape sur l’épaule en passant devant elle et se laisse glisser à la suite de Gouenji le long de la pente.
La balle fuse à travers le terrain. Les passes que s’échangent Gouenji et Kidou sont explosives, témoins de leurs puissances qu’ils laissent transparaître sans retenue. Il n’y a que comme ça qu’ils arrivent à se parler.
— Kidou ! Est-ce que tu es en colère ?
— Je le suis !
Gouenji récupère le ballon en l’air, le renvoie sans toucher le sol. Kidou court à la réception, laissant des traces dans la terre sous ses semelles.
— Je veux battre le collège Zeus !
Il veut venger ses coéquipiers. Il refuse de laisser leur souffrance et leur sacrifice impunis. Il soulève le cuir, tourne sur lui-même et tire.
— Alors fais-le !
— Impossible.
La force qui le tenait droit s’affaisse, les bras ballants, il fixe le sol.
— La Teikoku a été éliminée du Football Frontier.
Son équipe n’est plus. Il ne reste que lui. Que peut-il faire seul ?
— Alors tu admets ta propre défaite, c’est ça, Kidou ?!
Les flammes font relever la tête à Kidou. La Fire Tornado frôle sa joue avant que la balle ne s’écrase dans le talus et ne se dégonfle dans l’herbe roussie. Les garçons se font face, se dévisagent, écoutent, lisent plus que ce que leurs lèvres veulent bien dire. Seul, vraiment ?
— Il y a encore un moyen. Jusqu’ici, tu ne voyais Endou que de face.
Derrière ses lunettes, Kidou écarquille lentement les yeux.
— Que penses-tu de le laisser surveiller tes arrières ? conclut Gouenji.
***
Hibiki allait fermer mais Suki lui a demandé d’attendre encore, même si le dernier client est parti depuis longtemps. Assise à la table du fond, son carnet devant elle, elle patiente plus sereinement qu’il ne l’a vue depuis le début de la semaine. Dehors, la nuit est silencieuse, pas encore tout à fait noire. Suki relève la tête. Trois secondes après, la porte coulisse. Hibiki est moins surpris qu’il ne s’y attendait en reconnaissant celui qui se tient sur le pas de l’entrée.
Kidou se tient longtemps dans l’embrasure, il hésite comme s’il doutait de sa légitimité à se trouver là. Hibiki lui fait signe de s’installer. Le garçon s’exécute avec des gestes mesurés tandis que Suki se glisse derrière le comptoir. Le tactac de la gazinière précède le bruit diffus des flammes quand elle met l’eau à chauffer. Kidou la regarde faire, le bout de son pouce frotte contre ses autres doigts, et Hibiki l’observe lui. Le silence se prolonge jusqu’à ce que le bol de ramen claque sur le comptoir.
— Merci.
Suki incline la tête pour toute réponse, Kidou saisit ses baguettes. Hibiki laisse les choses se dérouler, spectateur de la pièce de théâtre en train de se jouer, jusqu’à ce que Kidou abandonne sa cuillère dans son bouillon encore fumant. Droit sur son tabouret, le garçon rive ses yeux dans ceux du restaurateur malgré leurs lunettes respectives.
— Acceptez-moi dans l’équipe de Raimon, s’il vous plaît.
Suki écoute Hibiki et Kidou d’une oreille distraite. Ce ne sont pas leurs mots qui l’intéressent. Kidou porte dans les replis de son aura les traces des flammes de Shuuya. Un peu aussi dans la légère brûlure qui orne sa joue et qu’il n’arrête pas de toucher. Elles chassent l’ombre glaciale, poisseuse, qui plane. Les joueurs de la Teikoku sont présents également, comme Haruna, à travers les reflets sur l’énergie du garçon. Le trouble piquant projeté sur cette dernière en vaguelettes par les doutes qui l’ébranlent, sa colère, sa peine, sa frustration, se calme doucement. Il a trouvé une réponse, un nouvel objectif sur lequel se concentrer. Une nouvelle voie à suivre. Peut-être que lorsque Suki s’ébroue et revient à la réalité, elle le fixe depuis trop longtemps, mais il n’a pas l’air de s’en être rendu compte, plongé dans sa conversation avec Hibiki. Elle récupère son bol vide devant lui, fini de ranger la cuisine et retourne s’asseoir à sa table, immobile jusqu’à faire oublier sa présence.
Le restaurateur se penche par-dessus le comptoir.
— Tout se jouera en seconde période. Observe bien l’équipe durant la première mi-temps.
— La première mi-temps ?
Pour la première fois depuis son arrivée, Kidou s’autorise un sourire.
— Dix minutes me suffiront.
Ça pourrait être de l’arrogance. Ça pourrait. Hibiki sourit à son tour. Comme si l’échange avait scellé leur accord, Daburu se lève et s’approche avec une liasse de papiers.
— Je les porterai demain matin à l’administration. Le match ne commence qu’à dix heures.
— … Merci.
Les questions se bousculent dans l’esprit de Kidou, aucune ne sort. Il se contente de prendre les formulaires et le stylo que le commis lui tend. Il a l’habitude de tout savoir, de toujours avoir un temps d’avance. Ce soir, comme trop de fois ces derniers temps, il se fait dépasser. L’intensité du bleu qui l’épingle n’aide pas. Daburu penche la tête sur le côté.
— Ne sois pas en retard.
Il ignore s’il parle du match ou des dix minutes.
— Promis.
Notes:
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Chapter 37: Pile à l'heure, quatre jours trop tard
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Onii-chan ! Regarde !
Shuuya délaisse le croûton qu’il émiettait pour céder à l’appel de Yuuka, pendue à la jambe de son pantalon. Accroupie à côté de sa petite sœur, Suki a mis sa main dans l’eau claire et une dizaine de poissons tournent autour. Par intermittence, l’un d’entre eux vient effleurer le bout de ses doigts ou picorer dans sa paume.
— Moi aussi je veux !
Yuuka plonge son bras dans la mare. Le geste brusque fait fuir les carpes et sursauter Suki. Une profonde déception se peint sur le visage de la plus jeune.
— Il faut y aller tout doucement.
Suki lui attrape la main alors qu’elle reculait déjà et lui fait fendre la surface sans un remous. Puis elle agite lentement ses doigts libres, imitée par sa cadette. Face au drôle de mouvement tranquille, les poissons reviennent, curieux. Le regard en coin de Suki tient Yuuka sage, l’obligeant à contenir son excitation. La minute qui suit est un supplice, l’enfant plaque son autre paume sur la bouche pour ne pas laisser exploser sa joie en les voyant s’approcher toujours plus près. Quand ils lui frôlent enfin les doigts, elle n’y tient plus et rigole, surprise :
— Ça chatouille !
La joie de l’enfant se propage autour d’elle comme les vaguelettes autour de son poignet à la surface de l’eau. Une troisième ombre se projette sur celle-ci lorsque Shuuya s’accroupit à son tour de l’autre côté de Suki. Les mains sur les genoux, il observe les rondes des carpes. De temps en temps, l’une d’entre elles affleure à l’air libre et ses écailles blanches, rouges, noires, accrochent les rayons du soleil. Si lentement que ses mouvements se confondent avec son immobilité, Shuuya tend le bras. Le pressant contre celui de Suki, il trempe le bout de ses doigts, juste assez pour caresser les poissons qui dansent autour de la main de son amie. Le sourire contagieux de Yuuka se reflète sur son visage et doucement, presque imperceptiblement, le coin des lèvres de Suki s’étire.
— Yuuka… il faut que j’y aille.
Suki lisse un pli imaginaire sur les draps, fait le tour de la pièce, retarde au maximum le moment où il lui faudra retourner dans les couloirs. En début de matinée, il y a plus de monde que d’habitude, lorsqu’elle vient à la tombée de la nuit. Personne n’a plus fait attention à elle pour autant. Elle ferme brièvement les yeux, s’ébroue en attrapant la poignée. Est-ce que le petit soleil est déjà en train de courir à un autre étage ? Rien que penser à lui prolonge la chaleur que le souvenir de l’après-midi au bord de l’étang a réveillé dans sa poitrine.
— Quelqu’un m’a promis de ne pas être en retard, je ne peux pas l’être de mon côté, neh, Yuuka ?
Suki attend quelques secondes, avec l’espoir fou de recevoir une réponse, secoue la tête. À quoi est-ce qu’elle s’attendait ? Puis, dans une grande inspiration, elle quitte le cocon de la chambre et plonge dans l’effervescence du reste du monde.
***
— Vous êtes prêts ?
Aki offre un sourire d’excuse à l’arbitre et s’incline pour réclamer encore quelques minutes. Alors que celles-ci filent et que le brouhaha impatient du public s’amplifie, Kazemaru relance une énième fois Hibiki :
— Coach, on ne peut pas attendre plus longtemps !
Malgré l’urgence dans sa voix et l’inquiétude de ses joueurs, Hibiki ne bronche pas.
— Il manque encore quelqu’un.
— Nous sommes tous là ! proteste Someoka. Daburu a dit qu’il nous rejoignait et… Où est Kabeyama ?
— Aux toilettes ! répond Shourinji.
Rien d’inhabituel de la part du défenseur, il arrivera dans une poignée de secondes et si le commis est resté derrière quand ils ont quitté les vestiaires, son absence ne justifie pas leur attente. Ils doivent commencer sans lui ! Mais aucun argument ne fait changer Hibiki d’avis.
— Écoutez, s’agace l’arbitre, selon les règles du tournoi, si vous n’entrez pas sur le terrain d’ici trois minutes, vous serez déclarés forfait.
L’ultimatum électrise les membres de l’équipe. Cependant, même s’ils ne comprennent pas l’intention de leur entraîneur, même s’ils meurent d’envie de se placer sur la pelouse, aucun ne songe à désobéir.
— Coach, pourquoi faites-vous ça ?
— Qui est-ce que nous attendons ?
Leurs questions ne trouvent aucune réponse et l’espoir naissant lorsque Kabeyama revient est aussitôt soufflé par le manque de réaction de leur coach. Sur l’autre banc, les membres de Senbayama leur jettent des regards aussi curieux qu’agacés.
— On va vraiment sortir à cause d’un forfait…
— À ce stade de la compétition !
— C’est pas possible…
Aki s’approche d’Endou, assis, les mains croisées derrière la nuque. Son calme détonne dans la panique ambiante.
— Tu es le capitaine, neh ? Dis quelque chose !
— Je ne sais pas trop ce qu’il se passe, mais si le coach nous demande de patienter, on patiente.
— Oh, c’est pas vrai ! gémit la manageuse.
Elle a toujours admiré la loyauté d’Endou, c’est l’une de ses plus belles qualités, mais à cet instant, elle la frustre au plus haut point. Même si Natsumi est venue aujourd’hui assister au match, elle ne parvient pas non plus à faire changer leur coach d’avis.
— Une minute restante.
Le décompte de l’arbitre est terrifiant. Joueurs et manageuses cherchent désespérément comment sauver leur match. En bout de banc, Gouenji garde le silence et scrute le restaurateur par intervalle. Les uns après les autres, ils supplient Hibiki de ne pas les forcer à déclarer forfait, au moins de leur dire qui ils attendent. Personne ne va venir, neh ? Qui pourrait venir…
— Trente secondes restantes.
Kabeyama ferme les yeux, Handa se prend la tête entre les mains.
— Coach Hibiki ! implore Aki. Qui attendez-vous ? Co…
Haruna pose sa main sur son bras. Sa cadette a les sourcils froncés et le regard rivé vers la sortie des vestiaires. Gouenji s’est penché, à l’écoute. Aki suspend sa phrase pour l’imiter, suivie par les autres. Impossible d’entendre quoi que ce soit à travers les lamentations des joueurs et la rumeur des gradins. Puis un écho de pas s’élève. Hibiki relève la tête.
— Eh… Le voilà.
Alors que l’arbitre égrène les secondes et que le silence se fait parmi eux, ils fixent l’arche et retiennent leur souffle.
***
Après que les joueurs aient quitté les vestiaires, Suki est retournée dans le hall du stade. Celui-ci se vide à mesure que les derniers spectateurs courent rejoindre leur place. La grande horloge suspendue au-dessus du comptoir affiche, implacable, le temps s’écouler. Les chants et applaudissements cèdent progressivement la place à un bourdonnement intrigué. Suki devrait douter, elle n’y songe pas une seconde. Perdue dans ses pensées, elle devine l’arrivée de Kidou juste avant qu’il ne passe la porte, il la rejoint, son sac sur l’épaule. Il n’y a plus qu’eux deux dans la grande pièce déserte.
— Je suis toujours à l’heure, se sent-il obligé de se défendre contre l’accusation que seule l’horloge lui lance.
Pourtant sa phrase pleine d’assurance vacille et Suki entend les braises de son conflit interne résonner entre les murs sur le chemin des vestiaires. Il aurait dû enfiler ses crampons et entrer sur la pelouse il y a quatre jours de cela. Il peut dire ce qu’il veut, il est en retard. Elle refuse d’y souffler dessus, de les laisser s’embraser, lorsqu’elle lui tend son maillot, qu’il l’attrape comme s’ils avaient tout leur temps devant eux. Restée dans le couloir pendant que Kidou se change, Suki écoute le stade gronder du délai que prend le match. Lorsqu’il la rejoint sur le pas de la porte, elle vérifie d’un œil critique que tout est en place – il a troqué sa cape rouge pour une bleue – avant de lui indiquer l’accès au terrain d’un signe de tête.
— Ils t’attendent.
Kidou la dévisage, acquiesce et, lentement, se met en marche.
Retourner dans le stade une demi-semaine à peine après leur défaite contre Zeus, s’enfoncer dans ses couloirs, donne à Kidou l’impression d’étouffer. Qu’est-ce qu’il fait là ? Jusqu’à la dernière seconde, il s’est demandé si ce n’était pas une erreur, s’il n’avait pas mal compris la discussion de la veille avec Hibiki. Jusqu’à la dernière seconde, il a hésité à faire demi-tour et une partie de son esprit lui souffle que tant qu’il n’est pas sur la pelouse, il n’est pas encore trop tard pour renoncer. À vrai dire, il s’attendait à ce que Daburu lui demande de rebrousser chemin. Au contraire, malgré la rareté de ses mots, le garçon a été étrangement réconfortant. Il aurait dû lui dire merci. Kidou hésite à jeter un œil par-dessus son épaule. C’est trop tard maintenant. L’entrée du terrain n’est plus qu’à quelques mètres. L’écho du commentateur lui parvient, déformé :
— Qu’arrive-t-il à Raimon ? Vont-ils abandonner le match ?
Son pouls accélère. Il a promis qu’il ne serait pas en retard. Pourtant, il doit lutter pour ne pas s’arrêter. Tout est étrange. Arborer ses nouvelles couleurs, se tenir à nouveau dans un stade, dans une nouvelle équipe. S’ils veulent bien de lui. Une seconde, Kidou reste suspendu à la lisière entre les couloirs et le terrain. Faire le dernier pas le terrifie. Le soleil éclabousse le bout de ses chaussures, mais l’obscurité froide dans son dos lui chuchote de reculer. Kidou déglutit, frotte le bout de son pouce contre ses autres doigts. Un encouragement muet, diffus, efface le froid. Et il avance dans la lumière.
— Mais oui c’est bien lui ! Il n’y a pas d’erreur, c’est bien Kidou Yuuto ! C’est Kidou de la Teikoku Gakuen !
À son apparition, toutes les attentions se rivent sur lui dans une vague houleuse, incrédule. Kidou se moque des spectateurs ou même de Senbayama. Seuls ceux de Raimon comptent. Il scrute leurs visages alors qu’ils réalisent sa présence. Il reconnaît surtout de la surprise, de l’incompréhension aussi. Il redoute ce qui va suivre, et, plutôt que d’attendre leurs remarques, prend les devants :
— Après ce que Zeus a fait, je refuse de m’avouer vaincu. Je veux prendre ma revanche.
— Kidou, je savais que tu n’étais pas du genre à baisser les bras si facilement ! l’accueille Endou avec un sourire.
— Qui l’aurait cru…
Someoka hausse les épaules, les autres l’épient, l’analysent. Kidou a l’habitude d’être l’objet des regards, il a appris à faire comme si de rien n’était. Toute sa vie n’a été que ça. Porter un masque devant les autres et prétendre avoir le contrôle en permanence. Pourtant, aujourd’hui, il appréhende l’opinion qu’ils sont en train de se forger de lui. Vont-ils l’accepter ? Le rejeter ? Ils ne doivent rien savoir de ses doutes. S’il prétend assez bien qu’il est parfaitement à sa place, alors sans doute le croiront-ils. Caché derrière ses lunettes, il plisse les yeux face à Endou qui irradie et fronce brièvement les sourcils en repérant la marque sur sa joue, aperçoit Gouenji sourire à l’arrière du groupe, pas le moins du monde désolé. Ce qui agite le reste de l’équipe est plus partagé. Majoritairement de la curiosité, pas mal de scepticisme, et un peu d’enthousiasme. Rien qu’il ne puisse encaisser. Au fond, Daburu arrive à son tour et se glisse aux côtés d’Hibiki. Le commis échange avec le coach, trop bas pour que Kidou l’entende. Son attention est détournée par un éclat de voix du numéro 8 et son nom l’interpelle. L’autre se reprend et baisse le ton, mais Kidou croit comprendre qu’il est emballé à l’idée de jouer avec lui. Il se rappelle de lui, à leur finale, avec ses cheveux roux bouclés et sa poignée de main fébrile. Emballement qu’Hibiki douche net en se levant :
— Voici le changement dans la composition de départ : Kidou entre à la place de Shishido.
— Huh ? M… moi ?
Les traits du numéro 8 se défont. Kidou repousse le pincement au cœur qui monte. Il n’a pas le temps pour des remords. Il savait que s’il venait, il prendrait la place de quelqu’un d’autre sur le terrain. Ça ne l’empêche pas de sentir les poils de ses bras se dresser sous l’hostilité latente qui s’élève désormais doucement du groupe.
— Veuillez patienter un moment… Ici ! s’exclame Kakuma dans son micro. Les règles indiquent, clause 64-2, que si un joueur est transféré avant le début du match, il peut être reconnu comme membre de l’équipe et… et oui ! Kidou Yuuto fait bien partie de la feuille de match de Raimon !
Natsumi jette un regard suspicieux à Daburu tandis que les joueurs se préparent à enfin entrer sur le terrain. L’arbitre leur a accordé une paire de minutes supplémentaires, il leur a aussi clairement signifié qu’ils n’avaient pas intérêt à plus tirer sur la corde. Les premiers sont déjà sur la pelouse, Kabeyama, Kurimatsu et Shourinji s’attardent. Shishido voit bien qu’ils font tout ce qu’ils peuvent pour le réconforter, mais leur soutien ne suffit pas à compenser sa désillusion. Il voulait jouer avec Kidou-san, depuis le premier match où ils se sont affrontés. Même si la rencontre avait été horrible, le joueur hors du commun de la Teikoku Gakuen l’avait fasciné. Lui aussi, un jour, sera un milieu du niveau de Kidou-san. C’est lui qui l’a poussé à se surpasser aux entraînements. Alors faire jeu égal lors de la finale régionale, et puis le voir rejoindre l’équipe, tout cela ressemblait à un rêve. Jusqu’à ce que celui-ci s’effondre.
— Shishido, te refroidis pas ! On ne sait pas quand on aura besoin de toi !
— O-okay, Capitaine !
Endou parvient à effacer un instant sa déception et après une dernière tape dans le dos, ses camarades se dispersent. Shishido les laisse partir sans pouvoir se résoudre à aller s’asseoir.
— Shishido ?
Il sursaute en remarquant Daburu à côté de lui. Le commis s’est approché sans un bruit comme il a l’art de le faire.
— Tu veux bien m’aider à préparer les gourdes pour tout à l’heure ?
Shishido ouvre la bouche pour refuser. C’est encore tôt, le match n’a pas encore commencé, il ne sait pas faire, et… Il a toute une ribambelle d’excuses plus nulles les unes que les autres prêtes à sortir pour se justifier, mais la vraie, la seule, c’est qu’il n’a pas vraiment la tête à ça. Puis il croise le regard de Daburu et il retient ses mots. Après tout, pourquoi pas, si ça peut lui changer les idées. Sur le terrain, les vingt-deux acteurs de la rencontre sont en place. Le commentateur égrène les dernières secondes avant le coup de sifflet :
— Le tournoi national Football Frontier ! Ce match va voir s’opposer le collège Senbayama qui se vante d’avoir une défense invincible et le collège de Raimon qui, lors des huitièmes de finale, a renversé la situation contre Sengoku Igajima ! Seront-ils capables de briser la défense de fer de Senbayama avec Kidou dans leurs rangs ? Eeeeet… Raimon joue l’engagement !
Notes:
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Chapter 38: Dix minutes, pas une seconde de plus
Notes:
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Chapter Text
Dès l’engagement, Someoka glisse le cuir à Gouenji qui remise en arrière et les attaquants s’aventurent ensemble dans le territoire ennemi, poussés par Endou. Matsuno, Shourinji et Handa font circuler le ballon entre eux, dans l’attente que l’un des deux se démarque. Kidou les suit, quelques mètres en arrière. Le premier, Handa saisit une occasion.
— Someoka !
Pas assez fort. La balle rebondit derrière le numéro 11, récupérée par un défenseur adverse. Le joueur de Raimon fait demi-tour en dérapant.
— Oy, Handa ! Donne-toi à fond !
— Alàlà, le timing de Raimon était mal géré. Dommage, ils viennent de perdre une belle opportunité à l’ouverture du match !
Pendant qu’Endou tempère et rassure ses joueurs, Kidou suit le mouvement et revient en arrière. Son regard glisse sur les joueurs de Raimon, sur Kazemaru qui intercepte une passe de Senbayama et relance aussitôt vers l’avant. Trop longue. Le ballon sort en touche et un milieu adverse court chercher le cuir perdu. Kidou se positionne avec les autres pour la reprise. Hier soir, Hibiki lui a parlé des dysfonctionnements qui affectent l’équipe, c’est autre chose de les sentir coincer dans le mécanisme collectif comme des grains de sable prêts à tout faire dérailler. Kidou les a vu jouer contre Sengoku Igajima, il connaît le monde qu’il y a entre les joueurs qu’il a affrontés il n’y a même pas deux semaines et ceux qui foulent la pelouse avec lui aujourd’hui, pourtant, à cet instant, rien de leur évolution n’est visible. Senbayama garde la possession à la relance. Kabeyama coupe l'offensive cependant le danger reste trop proche de la zone de réparation d’Endou pour permettre à Raimon de souffler. Les milieux en jaune et bleu sont tenus éloignés, obligeant les défenseurs à batailler seuls. Enfin, Domon parvient à voler le ballon du bout du pied et l’écarte pour Matsuno. Trop haut. Le numéro 9 saute mais le cuir passe loin au-dessus de son bonnet.
— Eh, Domon !
Celui-ci s’excuse dans une grimace que Matsuno ne voit même pas, trop occupé à aller disputer la possession. Kidou frotte le bout de son pouce contre ses doigts. Il prend le temps de scruter les déplacements des joueurs, une nouvelle fois contraints à lutter contre l’avancée de Senbayama, juste un peu plus loin qu’auparavant, avant de les rejoindre.
***
Le onze de Raimon enchaîne les erreurs, les passes ne se connectent pas. Trop courtes, trop longues, trop fortes, trop hautes. Ils doivent sans cesse récupérer les balles perdues, intercepter les adversaires, éviter les sorties, compenser les écarts. Plus que les opportunités qui leurs glissent entre les doigts ou qu’ils offrent à Senbayama, ce sont les forces qu’ils perdent à courir d’un bout à l’autre du terrain et les collisions de leurs énergies qui les essoufflent. La fatigue s’accumule alors qu’ils sentent le match leur échapper et les commentaires du speaker n’aident pas. Pas méchants, ils appuient toutefois là où ça fait mal et amplifient les grincements désaccordés du groupe. Progressivement, sous la pression, les encouragements cèdent la place à des reproches mutuels. Les genoux ramenés contre la poitrine et les talons sur le rebord du siège, Suki conserve le silence tandis que Megane et les autres s’inquiètent d’une nouvelle percée de Senbayama. Même si Endou bloque facilement le tir contre sa poitrine, c’était moins une.
— Coach !
Aki cherche du soutien, une réponse, une solution, auprès d’Hibiki, impassible malgré la tension croissante. Sans un bruit, Suki garde les yeux rivés sur le terrain – sur un joueur – et compte les secondes.
***
À la faveur d’un mauvais enchaînement où le ballon n’atteint pas l’attaque de Raimon, Senbayama récupère la possession et l’envoie à son numéro 9. Celui-ci accélère tandis qu’un vent terreux s’élève autour de lui.
— C’est l’hissatsu technique d’Harano Tooru, le capitaine de Senbayama ! Run, Ball, Run !
Le joueur court désormais sur le ballon, gagne sans cesse en vitesse, insaisissable. Son aura se mélange avec la poussière soulevée, s’enroule autour de lui. Ceux qui tentent d’approcher sont repoussés par le bouclier d’énergie et de terre. Toujours plus rapide, Harano profite de sa petite taille et de sa protection pour se glisser en slalomant entre les membres de Raimon, presque invisible tant les teintes ocres de son maillot se confondent avec celles de son hissatsu technique. Il dépasse les milieux, esquive le Killer Slide de Domon et saute en bout de course. Le ballon libéré fuse, fort de la vitesse et de l'énergie accumulées.
— The Wall !
La barrière de pierre s’interpose, massive, inébranlable, à l’image du défenseur qui l’invoque. Le mouvement et l’immobilité. Les deux forces s’opposent. Après un instant de lutte, affaiblie, la balle dévie. Kurimatsu recule, le visage levé, prêt à sauter, mais le cuir est hors d’atteinte. Une ombre le surplombe. Un attaquant de Senbayama s’est glissé dans le dos de la défense de Raimon sans que cette dernière ne s’en aperçoive. Il contrôle et est encore en l’air lorsque son pied droit s’éclaire. La lumière devient aveuglante lorsqu’il tire :
— Shine Drive !
Endou lève un bras devant son visage, tend l’autre en faisant appel à son instinct mais le bout de ses gants, de son aura qu’il étend par réflexe, ne fait qu’effleurer le cuir. Quand il parvient à ouvrir à nouveau les yeux, le ballon est au fond des cages. Il reçoit le sifflement de l’arbitre comme une claque.
— Buuut ! Senbayama prend l’avantage ! C’est un point important ! Senbayama, qui n’a jamais encaissé de but, est déjà sur le chemin de la victoire !
La déception et le désespoir se propagent dans les rangs de Raimon. Maintenant qu’ils ont pris un but, c’est foutu. Avec le jeu qu’ils offrent actuellement, ils n’arracheront jamais un but à l’équipe qui n’en prend pas. Endou refuse l’état de fait et s’ébroue, claque des gants pour attirer l’attention de ses joueurs. En tant que capitaine, c’est à lui de leur montrer qu’il faut encore y croire.
— Le match ne fait que commencer ! On va marquer et on va revenir au score !
Il y a quelques moues dubitatives dans un camp, quelques sourires en coin dans l’autre. En attendant que le ballon revienne au rond central, les joueurs discutent de proche en proche. Le seul à ne pas reprendre sa place est Kidou. Suki suit ses déplacements au milieu des joueurs, ses messes basses à certains d’entre eux avec un aplomb qui les empêche de protester malgré leur surprise. À côté d’elle, Hibiki consulte sa montre. Le bas du visage caché dans ses manches, Suki sourit. Pile à l’heure.
— Les gars, donnez-vous à fond ! On va y arriver !
Endou donne de la voix pour garder ses joueurs motivés pendant que Gouenji et Someoka placent le ballon dans le rond central. La seconde partie de la première mi-temps va être cruciale, pour le moral et le résultat final. Le gardien contemple les dos de ses coéquipiers, leurs numéros qui s’étalent devant lui comme le plus beau paysage qu’il connaisse. Ça lui fait tout drôle de voir Kidou dans leurs rangs. Gouenji se retourne brièvement avec un demi-sourire. Le placement de Kurimatsu interpelle Endou.
— Eh, Kurimatsu ! T’es trop en arrière, avance un peu !
— Je sais, mais c’est Kidou-san m’a dit de reculer ! Il a aussi dit à Max de faire ses passes plus haut et plus tard.
L’incertitude perce dans la voix de son défenseur. Kidou ? Endou scrute le joueur dont la cape bleue dissimule le numéro 14, sourit et claque dans ses gants tandis que l’arbitre siffle. Il a pleinement confiance en lui.
Dès la reprise, Matsuno récupère le ballon et le perd aussitôt dans un tacle. Leurs adversaires le font circuler, progressent dans la moitié de terrain de Raimon. Ils arrivent ! Endou assiste avec horreur à leur débordement sur ses milieux, les premiers rangs de la défense tombent dans la foulée. Alors que le portier serre déjà les dents, attentif aux mouvements de chaque attaquant, Kurimatsu surgit à l’entrée de la surface de réparation et intercepte le cuir. Il se retrouve bientôt acculé le long de la ligne de touche, harcelé par ses vis-à-vis furieux de ne pas l’avoir vu venir. La voix de Kidou traverse le terrain :
— Kurimatsu, passe à Domon ! Vise trois pas plus en avant !
— Trois… trois pas en avant ?
Il y a un instant de flottement. Moins par volonté que par manque de choix, Kurimatsu s’exécute avec l’impression de passer dans le vide et est le premier surpris lorsque le ballon trouve les pieds de son camarade. Bien qu’il partage son étonnement, Domon ne s’arrête pas de courir pour autant. Le numéro 13 obéit tout aussi aveuglément à son ancien capitaine quand ce dernier temporise son centre pour Matsuno, quand il lui donne enfin le signal. Et la passe fonctionne.
Le spectacle fascine Suki. Kidou est partout sur le terrain et guide chaque action de Raimon. Malgré l’étrangeté de ses ordres, malgré les réticences des joueurs, ceux-ci – pas tous – appliquent ses directives – pas toutes. Attendre avant de passer, ou au contraire frapper plus vite, viser plus loin, moins haut, temporiser. Ils s’y perdent, se ratent, râlent, s’échangent des grimaces sceptiques. Réussissent aussi de temps en temps, de plus en plus régulièrement. Et surtout, ils persévèrent. Ils n’ont rien à perdre, non ? Autant essayer. Alors, petit à petit, ils parviennent à conserver la possession plus d’une paire de foulées, la circulation du cuir entre eux se fluidifie, leurs élans se préservent. Par petites touches sans cesse ajustées, Kidou modifie leurs habitudes. Il lisse les défauts, gomme les écarts et les éclats de folie mal maîtrisés, ajuste les distances. Suki l’écoute effacer les heurts des auras des joueurs. Doucement, de ses mots, de ses gestes, il les accorde à une nouvelle cadence, plus droite, plus militaire, et elles coulissent entre elles avec de plus en plus de facilité. Le soulagement de ne plus s’empêtrer dans les conflits qui les freinaient, d’être libérés des frictions des derniers jours, pousse les membres de Raimon à jouer le jeu, bon gré mal gré. Les grains de sable ont disparu. Presque.
Pour la première fois depuis le début du match, Someoka se présente face aux buts avec une opportunité de tirer. Il appelle son dragon et celui-ci rugit haut et fort toute la frustration accumulée.
— Dragon… Crash !
L’animal serpente vers les cages, les écailles luisantes, porteur des espoirs de son invocateur, de ses coéquipiers. Le portier plaque ses mains ensemble et abat leur tranchant joint sur la balle.
— Makiwari Chop !
Le dragon se tasse au sol pour y disparaître tandis que le ballon est repoussé en sortie, coupé net dans son élan.
— Et c’est un superbe arrêt d’Ayano, le gardien de but de Senbayama ! Il a mis fin à la première offensive construite de Raimon, qui a l’air d’enfin se réveiller.
Les joueurs sont partagés entre l’enthousiasme et la déception. Même si elle n’a pas abouti… ils ont eu une occasion et ils en auront d’autres !
— T’es incroyable, Kidou !
Endou a quitté ses cages et se précipite vers son nouveau joueur, suivi par les autres.
— T’es vraiment un meneur de jeu incroyable ! répète-t-il en s’arrêtant tout près.
La fierté se lit sur le visage de Kidou, le soulagement aussi même s’il est plus discret, avant qu’il ne les dissimule et élude les compliments :
— Je n’appelle pas vraiment ça une tactique de jeu. Vous ne vous rendez pas compte de votre potentiel. Vos capacités de course et de tir… Grâce à vos efforts depuis le début de la compétition, vous avez grandement amélioré vos capacités physiques. Sauf que vous n’en avez pas conscience et vous essayez de jouer avec les habitudes que vous avez prises jusqu’à maintenant, même si elles ne fonctionnent plus.
— Tu veux dire… qu’on n’arrivait pas à jouer parce qu’on est devenus plus forts ?! s’étrangle Kurimatsu.
Kidou approuve, poursuit en haussant les épaules :
— J’ai seulement ajusté ces inconsistances.
— Seulement ?
Endou le regarde comme si ce qu’il venait de dire était insensé et laisse exploser sa joie :
— Tu plaisantes j’espère ! Tu as joué seulement vingt minutes avec nous et t’as déjà compris tout ça. T’es vraiment un super génie !
Malgré le temps passé à observer Endou, Kidou n’est pas coutumier de ses élans. Ils sont bien plus impressionnants vécus de près, irrésistibles comme le flot d’un torrent. Ce n’est pas quelque chose qui s’analyse et se comprend. Ça se vit. Autour de lui, les autres rigolent, habitués à leur capitaine, à sa lumière. Ça ne le dérange pas de s’y habituer, lui aussi. Alors qu’il se fend d’un sourire, Kidou jette un œil vers le bord du terrain.
Les manageuses et les remplaçants pressent Hibiki de questions. C’est pour ça qu’il a recruté Kidou ? Il avait tout prévu depuis le début ? Pourquoi est-ce qu’il n’a rien dit ? Suki évite le regard de Natsumi, porte le sien sur le centre des attentions. Même si ça prendra encore du temps, les frontières entre lui et le reste de l’équipe se floutent. Doucement, il apprend à faire partie de leur groupe. Il regarde un instant dans la direction du banc, dans sa direction, avant de se faire aspirer par les interrogations et l’entrain de ses nouveaux coéquipiers. Il se prête au jeu, explique ses raisonnements, leur propose de nouveaux ajustements. Suki se mord la joue. Dans la masse des auras qui ont retrouvé leur mouvance, une fausse note persiste.
***
Ce sont les dernières minutes de la première période et Raimon fait une percée dans le couloir gauche.
— Vas-y, Kazemaru ! encourage Endou depuis ses cages.
— Compte jusqu’à deux et passe-la à Matsuno !
Le défenseur obéit et s’étonne lui-même de la vitesse et la facilité avec laquelle il se plie aux consignes de Kidou. En même temps, comment ne pas être émerveillé alors qu’il règle en un claquement de doigts ce qui risquait bien de signer la fin de leur aventure dans le tournoi ? En face, ceux de Senbayama ne peuvent pas comprendre pourquoi réussir leurs passes les réjouit autant. Ils doivent certainement les trouver naïfs. Ou les prendre pour des fous peut-être. Et même si leurs adversaires ont repris du poil de la bête, les joueurs de la montagne n’ont pas dit leur dernier mot non plus.
Matsuno est forcé de piler, encerclé par trois adversaires. Ceux-ci lui tournent autour, les bras tendus sur les côtés en chantonnant.
— Kagome, kagome, kaaagome kagome. Kagome, kagome…
— Et voici l’hissatsu tactique de défense de Senbayama, Kagome Kagome !
Le milieu de Raimon pivote sur lui-même, les pompons de son bonnet accompagnent les mouvements de sa tête. Alors que ses camarades sont tenus à distance, il essaie en vain de garder tous ses adversaires dans son champ de vision.
— Max, passe-la !
Il grince des dents. Il en a des bonnes, Endou, mais il aimerait bien l’y voir. Il aurait largement l’espace de passer entre deux de ses encercleurs, mais une force le cloue sur place. Le oni, le démon de la chanson. Pour lui échapper, il doit trouver qui se trouve dans son dos, qui échappe en permanence à son regard. Lequel est-ce ? L’air s’obscurcit tandis que le cercle se referme. Matsuno ne voit plus le terrain, plus aucun joueur. Il les sent seulement bouger et chanter. Le cuir danse sous ses crampons pour le garder hors de leur portée, à l’instinct. Un de ses adversaires est plus rapide que lui. La lumière revient lorsque le ballon lui échappe. Celui qui le lui a dérobé esquive sa tentative de récupération et file.
Pas longtemps. Kidou surgit, le tacle et passe dans la foulée :
— Someoka !
Gouenji et lui sont démarqués, l’attaquant sait ce qu’ils ont à faire.
— Dragon…
— … Tornado !
Le dragon de flammes illumine le stade et le cœur des membres de Raimon. Someoka n’a même pas le temps de réaliser que leur hissatsu technique est sortie sans difficulté. C’est leur chance ! Les bras croisés, le gardien de Senbayama ne bronche pas. Au contraire, plus le tir approche, plus il dégage une force tranquille et imposante, comme les deux défenseurs qui se postent à ses côtés. Et la force grandit. D’un même geste, les défenseurs poussent leurs bras vers les airs, ancrent leurs auras dans le sol. Celle du portier s’étend tout autour. Un mur surgit de terre. Immense. Une barrière sans fin, inébranlable. Le dragon s’y heurte, rugit, griffe les pierres, arrache la mousse qui les couvre, crache ses flammes avant de céder, insignifiant face au rempart. Comme s’ils venaient de percuter le mur de plein fouet, les joueurs de Raimon restent sonnés.
— La voilààà ! L’hissatsu technique qui a donné sa réputation à Senbayama, celle qui lui a permis de ne jamais encaisser le moindre but depuis le début de la compétition, la muraille imprenable ! La Mugen no Kabe !
***
Ils ne sortent de leur immobilité que lorsque le double sifflement strident signale la fin de la mi-temps et traînent leurs jambes lourdes jusqu’au banc. Là, ils observent un silence étouffant au milieu duquel Endou est le seul à s’agiter.
— Eh ! Les gars, réveillez-vous ! On n’a pas encore perdu.
Ils grimacent à l’intention du tableau qui affiche, implacable, le but encaissé.
— Tout va bien, insiste-t-il. Après tout, Gouenji et Someoka ont réussi à faire la Dragon Tornado, neh ? Ça veut dire que ça peut marcher ! On va remonter !
Il ne prête pas attention aux regards désespérés qui lui sont lancés. Est-ce qu’au moins il a vu la Mugen no Kabe ? Son sourire s’élargit. Bien sûr. Et ils vont la briser. Ses camarades ne répondent rien, s’essuient le visage et la nuque. Shishido passe parmi eux avec les filles, tend les gourdes pleines, récupère celles vides, s’enhardit à s’approcher de Kidou, resté à l’écart. Celui-ci saisit la bouteille sans sortir de ses réflexions avant d’annoncer :
— Someoka sera seul en pointe pour la seconde mi-temps.
Il cherche validation auprès d’Hibiki qui incline la tête, lui confirmant ce qu’il lui a dit la veille – il lui confie les rênes.
— Seul en pointe ? répète Endou.
Le capitaine considère la formation proposée. Son principal problème au départ avait surtout été de réunir assez de joueurs, et après, il n’a jamais vraiment réfléchi pour en changer. Ils sont nombreux à attendre son verdict, plusieurs à s’être tournés vers leur coach. Face aux sentiments mitigés, houleux, qu’ils dégagent, Kidou se sent obligé de se justifier, paré de l’assurance qui a toujours accompagné chacune de ses décisions stratégiques.
— Il est vrai que la Mugen no Kabe est une hissatsu technique très forte. Cependant, le fait qu’elle nécessite trois joueurs est une faiblesse que nous allons exploiter. En faisant semblant d’attaquer seul, Someoka séparera le numéro 5 loin du numéro 4. L’ouverture créée les empêchera d’exécuter facilement la technique.
Quelques exclamations ponctuent leurs concertations en messes basses pendant qu’ils délibèrent. Kurimatsu donne un coup de coude dans les côtes de Shourinji, Shishido se penche vers les autres premières années avec un sourire. Heureusement que Kidou-san est là, ils n’auraient jamais eu cette idée sans lui. Le stratège se détend imperceptiblement devant le bruissement d’assentiment. Jusqu’à la goutte de trop, jusqu’à l’intervention acide qui ramène le silence.
— Attendez un instant.
Suki devine le dos de Kidou se tendre à travers sa cape lorsque Handa s’avance d’un pas. La note dissonante. Les derniers grains de sable. Le milieu de Raimon est resté silencieux depuis le début du match, depuis la mise sur le banc de Shishido au pied levé. L’amertume qui couve au fond de lui depuis que l’arriviste se croit tout permis prend le dessus.
— Vous êtes sûrs qu’on devrait mettre Gouenji en arrière ?
— La stratégie proposée par Kidou semble être la meilleure, tente de le raisonner Kazemaru en posant une main sur son épaule. Ce qu’il a indiqué jusque-là nous a bien aidé alors…
Handa se dégage, secoue la tête.
— Ce n’est pas notre football. Ce n’est pas… Aujourd'hui, ce n’est pas comme d’habitude.
Il voit bien que ses camarades ne comprennent pas ce qu’il veut dire, mais il lutte pour trouver comment exprimer ce qui le brasse depuis le début de la rencontre.
— L’équipe, notre jeu… ça… ça sonne pas pareil. C’est pas nous. Et… d’accord, nos passes fonctionnent, mais avant on n'avait pas besoin de Kidou pour qu’elles marchent et je suis sûr qu’on pourrait y arriver à nouveau sans lui.
D’abord Shishido sur le banc, puis les instructions de Kidou et maintenant Gouenji en retrait… Ce ne sont pas vraiment les changements en eux-mêmes qui posent problème, Handa le sait, mais il ne parvient pas à expliquer autrement pourquoi la sensation qui l’envahit quand il joue aux côtés de ses camarades habituellement a filé entre ses doigts. Comme si leur grain de folie se faisait moucher par la rigueur imposée par le joueur de la Teikoku.
— J’ai l’impression qu’on est en train de perdre ce qui fait notre football.
Le doute passe sur le visage de ses camarades. C’est vrai, mais…
— Tu n’as pas l’air de comprendre, rétorque Kidou, le ton soudain glacial. Ici, on est au Football Frontier Stadium. Les meilleures équipes du pays s’y affrontent pour se mesurer entre elles et tu foules sa pelouse. Il n’y a pas le temps pour jouer au feeling, pour être content quand l’un d’entre vous a une nouvelle hissatsu technique. Toutes les équipes en ont, aussi fortes que les vôtres, que la Mugen no Kabe, voire plus encore. Tu es au niveau national ! Ici, c’est gagner ou partir.
Les mots de Kidou sont une détonation silencieuse. Certes, ils savaient pour quoi ils jouaient, mais il vient de leur faire réaliser. Ils sont dans la cour des grands désormais. Plus le temps de s’amuser. Et en même temps, leur arrivée jusque-là ne saurait être un hasard. Toutefois… si Kidou a peut-être décodé le jeu technique de sa nouvelle équipe, il a encore beaucoup à comprendre et il ne réalise pas encore à quel point ça va être crucial. Des années à jouer dans une équipe millimétrée ne se défont pas en une mi-temps. Le grand écart entre la Teikoku Gakuen et Raimon est immense. Ne sois pas en retard. Il n’y a pas de bonne réponse.
Des étincelles invisibles crépitent dans l’air alors que la tension monte et que la fin de la pause approche. Kidou ne lâchera pas sa position, Handa s’arc-boute contre. Si Handa rejette tout en bloc, c’est toute l’équipe qui s’effondre. S’ils se plient à la vision de Kidou, est-ce qu’ils perdront qui ils sont ? Autour, les autres attendent, incertains. Pas Gouenji.
— Je compte sur toi.
Le numéro 10 a tranché et tend son poing à Someoka. En réponse, ce dernier applique ses phalanges contre les siennes.
— Eh !
Handa prend la trahison en plein cœur. Il se détourne d’un quart quand Someoka fait mine de lui parler et le laisse, immobile, répondre à l’appel de l’arbitre pour retourner sur le terrain. Le reste de l’équipe suit le mouvement en chuchotant. Endou s’arrête à son niveau.
— Essayons, neh ? propose-t-il sur un ton qui se veut réconfortant.
Vaincu, Handa baisse les yeux, et acquiesce du bout des lèvres. Il prend la suite des autres, traînant derrière lui sa peur amère et triste de perdre l’équipe qu’il connaît et le football qu’il aime.
Notes:
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Chapter 39: Faire tomber la muraille
Notes:
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Chapter Text
Dès la reprise, Kakuma rappelle les enjeux. Malgré l’unique but marqué par Senbayama, si Raimon ne trouve pas un moyen de briser la Mugen no Kabe, ils seront éliminés. Endou encourage ses joueurs, parcourus du même frisson. Ils doivent marquer. Kidou laisse à peine leurs opposants mettre la balle en jeu avant de s’en emparer. En même temps, Someoka se met en mouvement.
— Oy oy, Raimon a placé son numéro 11 seul en pointe et ce dernier prend de l’avance !
Le souffle du numéro 5 de Senbayama dans sa nuque, l’attaquant de Raimon franchit les lignes adverses le long de la ligne de touche. D’une feinte, d’une accélération, il l’incite à garder son attention sur lui et le défenseur lui colle aux basques, déterminé à ne pas le laisser se démarquer.
— C’est l’Inazuma Otoshi ! s’exclame le commentateur avec fracas. Senbayama n’a pas fait attention, cette erreur risque de leur coûter cher !
Le joueur en ocre fait volte-face, livide, au moment où Kidou passe à Gouenji et Kabeyama, monté depuis la défense. Tous les yeux se rivent sur les deux joueurs et les éclairs qu’ils déclenchent malgré une seconde d’hésitation – et si l’hissatsu technique ne marchait pas ? Les espoirs de Raimon battent à l’unisson, en même temps que les prémices de l’orage. Le tir s’abat vers les cages en claquant, la ligne d’horizon couverte de nuages sombres. Ils se flétrissent avec le grondement décroissant du tonnerre lorsque le ballon s’écrase sur la muraille de pierre.
— Ils l’ont bloqué ! Senbayama a bloqué le tir de Raimon de justesse !
Le public accueille le sauvetage exceptionnel à grands renforts de cris et d’applaudissements, orage cette fois-ci au service de Senbayama. Someoka peste. Celui qui le marquait lui a faussé compagnie à la dernière seconde, juste à temps pour faire jaillir la Mugen no Kabe. Essoufflé mais victorieux, le numéro 5 se tourne vers l’attaquant. Ils ne marqueront pas. Kidou fronce les sourcils au milieu des joueurs de Raimon consternés. Ceux de Senbayama sont rapides et maintenant que leur stratégie est éventée, ils ne laisseront plus avoir. Il va devoir trouver autre chose. Un regard pèse sur son dos, accusateur – il savait que ça ne marcherait pas. Kidou inspire, carre les épaules. À lui de le faire mentir.
***
Les secondes s’égrènent sur la peau de Suki. Sur la pelouse, Kidou guide les joueurs, retourne les informations en sa possession dans son esprit, calcule toutes les combinaisons possibles et imaginables. Sous ses ordres, Raimon harcèle Senbayama et fait pleuvoir les tirs vers leurs cages. Mais, comme le Dragon Crash ou la Fire Tornado avant lui, l’Honoo no Kazamidori est impuissant à faire trembler la Mugen no Kabe, et les tireurs, en particulier Gouenji, accusent le coup des tentatives répétées. Ce sont autant de vagues sur une falaise qui refuse de s’éroder. Non, ce qui s’émiette, c’est la volonté de Raimon, un peu plus à chaque revers.
Alors que Matsuno lutte au corps à corps pour garder le ballon, Kidou tourne sur lui-même. Il est à court d’idées. Comment passer le mur impénétrable que les hissatsus techniques laissent de marbre ? L’acidité de ses échecs lui brûle la gorge, de même que l’angoisse sourde qu’Hibiki lui demande de partir après leur défaite qui s’approche à grands pas. La colère aussi. Celle d’être impuissant, d’être incapable de porter la promesse qu’il a faite à ses coéquipiers, qu’il s’est faite, de les venger et de battre Zeus. Il fait taire la voix froide, sans émotion, qui sort de ses souvenirs – perdre est pathétique, seule la victoire compte – et embrasse du regard la position de chaque joueur, se repasse mentalement toutes les données accumulées sur Raimon. Il doit y avoir une solution. Par les mouvements des joueurs vers les couloirs, le centre est grand ouvert, des cages d’Endou à la moitié du terrain. Le premier but contre Mikage Sennou !
— Endou ! Gouenji ! Matsuno, passe-la en arrière !
Marqué de près par deux défenseurs, Gouenji s’en défait tandis qu’Endou remonte le terrain sans discuter. Le milieu s’exécute. L’attaquant et le gardien se retrouvent à mi-chemin, tournent un instant autour de cuir avant de le frapper simultanément.
— Inazuma Ichigou !
La foudre qui accompagne le ballon laisse des trainées brûlées dans l’herbe sur son passage et noircit les pierres de la Mugen no Kabe sans les égratigner. Sur la ligne de but. Kidou serre les dents. Ils y étaient presque. Ce n’est toujours pas assez. Le tir à longue distance, malgré la puissance accumulée en traversant le terrain, n’a pas eu plus de succès que ceux au contact, que les feintes pour passer sans technique. Pas plus non que les tirs en ras de terre ou que ceux depuis les airs. Kidou a épuisé toutes ses options. C’était son dernier atout, la dernière carte dans sa manche. Maintenant… il ne sait pas.
— C’est pas grave, on essaiera encore ! Jusqu’à réussir !
Endou tapote l’épaule de Gouenji qui hoche la tête en essuyant sa joue dans son col. Le capitaine se retourne pour rejoindre ses cages et se heurte aux visages défaits de ses camarades.
— Eh, les gars ! Qu’est-ce qu’il y a ? C’est quoi ces têtes d’enterrement ? Me dites pas que vous avez déjà abandonné. Le match n’est pas fini !
Il s’avance parmi son équipe, les interpelle, les nomme un à un pour les pousser à réagir. Ils gardent la tête baissée, leurs espoirs brisés comme leurs tirs par la Mugen no Kabe.
— On ne pourra jamais la franchir, désespère Matsuno. Il nous faudrait une hissatsu technique encore plus forte…
— On a une hissatsu technique ! s’emporte Endou.
Sa lumière intérieure flamboie d’autant plus fort, grandissant à chaque mot qu’il prononce en se frappant la poitrine du poing. Il pense chacun d’entre eux, sans exception.
— Notre hissatsu technique, ce n’est pas l’Honoo no Kazamidori ou l’Inazuma Ichigou. Notre vraie hissatsu technique, c’est notre capacité à ne jamais abandonner, jusqu’au bout !
Sa clarté se propage, ravive celles essoufflées de ses amis qui relèvent la tête, le dévisagent, le souffle suspendu.
— Notre capacité… à ne pas abandonner ? répète Shourinji.
Handa a le sentiment d’enfin réussir à comprendre ce après quoi il court depuis le début de la rencontre, cependant, Endou n’a pas fini.
— C’est toujours comme ça depuis qu’on a affronté la Teikoku Gakuen. Et l’Institut Okaruto.
Il cite chaque adversaire qu’ils ont affronté, chaque adversaire qu’ils ont battu, et une étincelle sauvage danse dans ses yeux.
— On est allés aussi loin parce qu’on a jamais abandonné, neh ?!
Le corps de Kidou est parcouru de milliers de fourmis. Endou l’éblouit. C’est sa lumière qui l’a poussé à s’intéresser à Raimon au départ mais c’est comme s’il commençait tout juste à vraiment la voir. Le capitaine de Raimon, dans sa lancée, gronde, la voix soudain chargée d’émotions :
— Je n’abandonnerai jamais. Parce qu’au final, peu importe qui est sur le terrain ou sur le banc, on joue tous, en vérité. Non… notre football, c’est de tout donner et d’y croire, jusqu’au bout. Alors, les gars, s’il vous plaît, allons-y à fond. Et gagnons ce match.
Le flamboiement se répand à mesure que les sourires reviennent sur leurs visages. Chaque mot a touché juste, là, au fond de leur cœur. Comme toujours, leur capitaine a su rallumer l’aurore au milieu de leurs sombres doutes. Ils se laissent envahir par la sensation familière, douce et vivifiante. Il pourrait les amener jusqu’au bout du monde avec ses mots.
— Endou… appelle Handa d’une voix étranglée, inaudible.
Pourtant son ami se tourne vers lui et lui sourit, plus largement que jamais. Handa déglutit. Eh, il a compris. Il a compris et la douleur dans son ventre s’est tue.
Kidou est pétrifié sur place. C’est la première fois qu’il vit ça et… il n’était pas prêt. Il n’aurait jamais pu se préparer à l’avalanche d’émotions qui déferle. Alors qu’il a passé des heures à décortiquer le jeu de Raimon, il en avait raté l’essence-même. Jusqu’ici tu ne voyais Endou que de face. Que penses-tu de le laisser surveiller tes arrières ? Les mots de Gouenji prennent un sens nouveau. Il ne peut retenir ceux qui franchissent ses lèvres tout seuls :
— Yosh, il nous reste plus beaucoup de temps. Donnons tout ce qu’on a !
Le cri uni qui lui répond l’enveloppe et lui réchauffe le cœur.
— Endou monte rejoindre l’attaque. Le corner de Raimon sera certainement la dernière offensive !
Dans l’angle du terrain, Handa inspire profondément. Endou lui a confié la responsabilité de tirer et le ballon avec des étincelles dans les yeux. Le cuir lui a picoté le bout des doigts lorsqu’il l’a saisi. Malgré l’urgence de la situation, pour la première fois depuis le début du match, il se sent bien. En paix. Les battements de son cœur ont arrêté de sonner comme des claquements sourds de bottes au pas scandant sa peur, terrifiants, inhumains. Son regard se promène sur ses camarades et leurs adversaires qui les collent au talon. Il expire doucement. Frappe.
Le ballon s’envole. Someoka s’enroule autour de ceux qui le marquent, saute. Le portier écarte la balle d’un coup de poing. Endou réceptionne de la tête, Matsuno devance son vis-à-vis de peu, contrôle en équilibre sur une jambe, se retourne et tire. Le ballon s’écrase sur le poteau, revient en jeu. Someoka est déjà là pour le reprendre, malgré le harcèlement qu’il subit, et le fait glisser à Handa, esseulé le long de la ligne.
— Raimon attaque sans relâche ! Il reste moins d’une minute !
L’énergie contenue dans la balle brûle les pieds du 6 de Raimon. Il les entend, les sentiments de ses camarades. Tout son corps, toute son âme lui hurlent d’y répondre. La sensation est enivrante. Là, il est là, leur football. Alors que le capitaine adverse se jette sur lui, Handa envoie le ballon par-dessus son épaule, droit sur le torse de Kidou.
Lorsqu’il réceptionne, celui-ci reste saisi par la portée de la passe qui dépasse tout ce à quoi il s’attendait. Peut-être est-ce cela qui lui fait perdre deux, trois précieuses secondes. Autour de lui, un chantonnement monte.
— Kagome, kagome, kaaaagome kagome…
Les joueurs de Senbayama dessinent autour de Kidou une ronde infernale. Sa cape fouette l’air tandis qu’il tourne sur lui-même, cependant il y en a toujours un qui échappe à son regard. L’air s’obscurcit, la présence dans son dos prend consistance, glaciale. Soudain figé sur place, le sang battant à ses tempes, Kidou ordonne, en vain, à son corps de bouger. Les sensations lui sont désagréablement familières et il reconnaît la voix qui parle à travers celles de Senbayama. Es-tu prêt à assumer les conséquences de ta défaite ? Tu n’as pas le droit de me décevoir. L’espace d’un instant, il est transporté ailleurs, loin du terrain de foot, le souffle coupé. Un cri l’arrache de sa torpeur.
— Kidou !
Faisant fi du barrage de leurs adversaires, Endou lui fonce dessus, Gouenji dans son sillage, tirant avec eux lumière et chaleur. Kidou retrouve le contrôle de son corps et se laisse emporter par la vague. Le ballon qu’il lève pulse. Il le rejoint dans les airs, Endou et Gouenji se matérialisent à ses côtés. Ce qu’il ressent, le fourmillement qui le dévore et crépite à ses oreilles, c’est trop. Kidou a l’impression qu’il va exploser. La foudre éclate, dorée et violette. Ils frappent simultanément.
Les décharges glissent sur la Mugen no Kabe, à la recherche du plus petit interstice, creusent, tempêtent. Pour la première fois, il croit discerner une fissure dans la muraille. Il a envie d’y croire. Ce tir, c’est plus que leur tir à eux trois. C’est celui de toute l’équipe. Son équipe. Ensemble. Et la Mugen no Kabe vole en éclats.
Le silence est assourdissant. Comme si le moindre bruit pouvait rendre irréel ce à quoi ils viennent d’assister. Pourtant, tout est là. Le portier de Senbayama et ses défenseurs au sol. Le ballon, fumant, au fond des cages. Même le sifflement de l’arbitre ne suffit pas à réveiller le stade. Les haut-parleurs répercutent les bégaiements incrédules du commentateur avant de laisser éclater sa voix retrouvée :
— … Oh ! La Mugen no Kabe a été brisée !
Et de ses mots, il rend la parole au public. Celui-ci laisse libre court à sa joie dans un concert d’applaudissements et de cris.
— Pour la première fois depuis le début du tournoi, Senbayama a finalement encaissé un but ! hurle le speaker. Leur incroyable palmarès prend fin aujourd’hui ! Les cartes sont redistribuées, tout est encore possible pour la seule et unique minute de temps additionnel !
Aki et Haruna se pincent en fixant le tableau d’affichage mais rien ne change. Ils ont bien marqué un point. Ils sont revenus à égalité. La victoire est à portée de main.
— Kidou ! Gouenji !
Endou passe un bras autour des épaules de ses coéquipiers. Un instant déstabilisé, Kidou se reprend vite et s’écarte avec un sourire contrôlé. Gouenji met plus de temps à l’imiter et ne lâche pas Kidou du regard. Celui-ci hoche la tête sans rien dire, se frotte la pommette. Il n’a pas les mots, il n’est même pas sûr de comprendre ce qu’il s’est passé, et cherche instinctivement le banc du regard. Le sourire d’Endou est éclatant et son exclamation est repris par toute l’équipe :
— Yosh, marquons une nouvelle fois !
***
Les joueurs de Senbayama restent hébétés par la défaite de leur hissatsu technique et perdent la possession dès la remise en jeu. Plus personne ne vient se dresser sur le chemin de Someoka et c’est avec une facilité déconcertante que son dragon inscrit le second but de Raimon. L’attaquant ne proteste pas, aussi heureux qu’engourdi. Il ne sait pas s’il aurait été capable de faire mieux face à une quelconque résistance. Même le 2 qui vient remplacer le 1 au décompte de leurs buts, même les trois coups de sifflet consécutifs, il n’est pas certain qu’ils fassent partie de la réalité. La voix de Kakuma lui parvient comme sous l’eau.
— 2 à 1 ! Raimon a renversé la situation en brisant la Mugen no Kabe et remporte la victoire ! Raimon met fin à la légendaire invincibilité de Senbayama et l’élimine ! Raimon se qualifie pour la demi-finale du Football Frontier !
L’étreinte de ses camarades qui l’enserrent, elle, est bien réelle.
— Capitaine ! Capitaine !
Shishido quitte le banc en courant et se jette dans les bras d’Endou qui le reçoit avec surprise puis plaisir. Le numéro 1 de l’équipe lui tapote le dos tandis que son joueur se détache finalement, les mots se bousculant dans sa bouche, son sourire remontant jusqu’à ses taches de rousseur.
— On a gagné ! On a gagné, neh ? On a… On a gagné… balbutie Shishido en boucle jusqu’à être obligé de s’arrêter, les larmes de ses yeux débordant dans sa voix.
Tandis qu’il renifle de manière incontrôlable, Endou pose son gant sur son épaule et répond :
— Eh, on a gagné.
Autour d’eux, les autres se regroupent, laissant Senbayama quitter le terrain, retardant l’instant où ils devront aller aux vestiaires, rejoints par Megane et Kageno sur la pelouse. Pour l’instant, ensemble, ils profitent. Quand Shishido reprend contenance, même si les sourires de ses camarades menacent de le faire repartir ses sanglots, il se tourne vers Kidou, s’incline. Même s’il n’était pas sur le terrain, il a joué avec eux. Il a gagné avec eux. Et c’est grâce à lui.
— Merci, Kidou-san.
L’intéressé réprime un mouvement de recul, d’incompréhension, son expression indéchiffrable derrière ses lunettes. L’appel des filles qui leur demande de se dépêcher lui évite d’avoir à répondre. Il laisse pourtant ses nouveaux coéquipiers partir devant lui, le temps d’une seconde. Le temps de poser la main sur sa poitrine, sur le blason de son maillot, là où palpite une sensation nouvelle. Réconfortante.
***
Le match ne leur a libéré que la matinée et retourner en cours l’après-midi a été un rude atterrissage. Après ses premiers pas dans l’équipe, Kidou a fait ceux dans sa nouvelle classe mais l’étape lui a paru anecdotique. Les regards de ses camarades lui ont glissé dessus, leurs chuchotements aussi. Parmi eux, il ne connaît que Natsumi qui l’a guidé dans les couloirs au fil des cours. Et quand ces derniers se sont finis, Gouenji qui a terminé une heure plus tôt l’attendait devant la porte. Le garçon lui a fait signe de le suivre, Kidou a obtempéré.
— Où est-ce que tu m’emmènes ?
Ils ont traversé la ville, Kidou a reconnu quelques rues, et ils arrivent désormais en bas de la colline où trône la tour. En l’incitant d’un signe de tête à patienter encore, Gouenji l’entraîne sur le chemin serpentant vers le sommet. Alors qu’ils grimpent la dernière volée d’escaliers, des bruits sourds leur parviennent, suivis de cris que Kidou reconnaît immédiatement. Aussi n’est-il qu’à moitié surpris en découvrant Endou étalé au sol une fois la dernière marche franchie. Tandis que Gouenji s’approche d’un pas tranquille, Kidou embrasse la scène du regard. Il n’y a personne d’autre qu’eux sur l’esplanade la plus haute du parc. Sans doute la faute à l’immense pneu suspendu à l’un des arbres qui peut être intimidant, ou au garçon avec un pneu au moins aussi gros accroché sur le dos. Ce dernier, la tête à l’envers, sourit en les remarquant. Gouenji lui tend la main et, une fois remis sur pied, l’aide à se défaire de son harnachement avec trop de fluidité pour quelque chose qui ne devrait pas être habituel. Endou s’époussette sommairement avant de faire signe à Kidou, resté en retrait.
Kidou s’approche lentement. Il a l’impression d’être invité dans leur univers et ne sait pas s’il a réellement le droit d’y pénétrer. Avec hésitation, il prend place avec Endou sur le banc le plus proche. Gouenji reste debout, le visage tourné vers le soleil couchant et la ville en dessous. À son tour, Kidou regarde. Le panorama est à couper le souffle. Les bâtiments se détachent dans la lumière orangée reflétée par la rivière ondoyant au milieu. Ensemble, ils se perdent dans leur contemplation. Ils ont encore le temps avant la célébration de leur victoire au Rairaiken.
Kidou passe son pouce sur le bout de ses doigts. Le sentiment qui habite sa poitrine depuis le match sans qu’il ne parvienne à le définir prend de plus en plus de place et le silence lui paraît soudain de trop.
— Alors tu t’entraînes souvent ici, avec ce pneu…
— Eh ! Pour un gardien de but, c’est le meilleur moyen de renforcer les bras. Les appuis aussi. Surtout qu’aujourd’hui je me suis pris un but… Alors je dois encore beaucoup m’entraîner si je veux arriver à tout arrêter.
Endou répond avec passion et Kidou réfrène un sourire.
— Comment va ta main, d’ailleurs ? Tu t’es fait mal, non, contre Sengoku Igajima ? développe-t-il face au froncement de sourcil du concerné. Et tu avais un bandage l’autre jour lorsque…
— Oh, ça ? Tout va bien, ne t’inquiète pas !
Pour démonstration, Endou tend le bras, fait tourner son poignet – il n’a rien senti pendant le match. Kidou insiste avec une inquiétude étouffée :
— Fais tout de même attention. Personne ne voudrait que tu te blesses… surtout pas maintenant.
— Humhum, on dirait Natsumi. J’ai l’habitude tu sais ? Je fais ça tous les jours.
— Tous les jours ?
Alors qu’Endou lui détaille ses entraînements et son objectif d’atteindre un jour le niveau de son grand-père, Kidou ne peut plus contenir l’étirement de ses lèvres, incontrôlable. La lumière que le garçon met dans ses mots est la même que sur le terrain. Comme s’il avait deviné ses pensées, Endou s’exclame :
— Et j’ai été tellement surpris quand tu es arrivé tout à l’heure ! Je ne m’y attendais tellement pas !
Gouenji remue mais ne dit rien, attarde un instant son regard sur la trace presque estompée sur la joue de Kidou. Celui-ci s’excuse. Il ne voulait pas les prendre de court…
— Tu rigoles ? Je suis trop content ! Depuis que j’ai arrêté ton premier tir, je me dis que ça serait trop bien de jouer avec toi. Tu te rappelles ? C’était avant que le match ne commence…
Endou ouvre et referme les mains. La brûlure de son arrêt revient le hanter, de même que l’excitation qui l’avait parcouru.
— J’avais jamais vu quelqu’un frapper aussi fort jusque-là. En plus, maintenant, je connais tes qualités de meneur de jeu. Et puis, on se l’était promis, neh, de jouer ensemble ? Alors t’avoir dans notre équipe… C’est un rêve devenu réalité !
Kidou vacille.
— Tu… vous êtes très forts, vous aussi, à votre manière.
Il se lève, s’approche de la rambarde, s’y accroche.
— En regardant vos matchs, j’ai découvert un football différent de celui auquel j’ai joué jusque-là. Même maintenant, je ne sais pas exactement ce que c’est. Et après avoir disputé la rencontre d’aujourd’hui à vos côtés…
Il se tourne vers eux, la main agrippée à sa poitrine. La sensation incroyable qui l’a étreint quand ils ont tiré est toujours là. C’est plus que la naissance de leur hissatsu technique, plus que le tir qui a scellé son entrée dans le onze de Raimon. C’est la sensation, pour la première fois depuis longtemps, de se sentir chez lui.
— … je ne veux pas que ça disparaisse. Je veux continuer à jouer avec vous.
Endou passe un bras autour de ses épaules, l’autre autour de celles de Gouenji en riant. Cette fois, aucun des deux ne se dégage.
— Tu fais partie de l’équipe maintenant, on va jouer tout le temps ensemble. Je compte sur toi désormais.
— Eh… Merci.
Le sourire d’Endou se fane apercevant le soleil disparaître définitivement derrière l’horizon.
— Oh non, on est en retard. Aki va être furieuse…
Notes:
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Chapter 40: Un endroit que l'on appelle "chez-soi"
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Kidou ne se souvient pas de la dernière fois où il a autant mangé, mais il est difficile de dire non à la cuisine d’Hibiki dont les fourneaux ne s’arrêteront que lorsque le dernier convive se sera écroulé dans son assiette, la peau du ventre trop tendue. Quand ils sont arrivés, les autres étaient déjà là et les ont pressés de prendre place avec eux. Megane leur a annoncé qu’il avait trouvé un nom pour leur hissatsu technique : l’Inazuma Break. L’idée a été adoptée par un cri enthousiaste et unanime dont Kidou est sorti à moitié sourd, un peu ébahi aussi.
D’abord sur la réserve, le nouveau venu se laisse gagner par l’ambiance du lieu, par les rires et les taquineries que s’envoient les membres de Raimon. Malgré une certaine retenue de leur part – au départ seulement – il y a droit lui aussi. Il n’en a pas l’habitude – ce n’était pas vraiment l’état d’esprit à la Teikoku Gakuen – mais ce n’est pas désagréable. Ça lui donne la douce impression qu’ils l’ont accepté parmi eux. Handa a voulu s’excuser tout à l’heure, maladroitement, et Kidou n’a pas su comment réagir, aussi mal à l’aise l’un que l’autre. Puis Kurimatsu, Shourinji et Shishido ont voulu faire le concours de celui qui mettrait le plus de raviolis dans sa bouche, encouragés par les autres malgré l’air réprobateur d’Hibiki, et ont sans le savoir désamorcé la situation.
Tandis qu’ils chahutent à grands renforts de rires dans la petite salle du restaurant, Domon profite d’aller aux toilettes pour traverser la réserve et gagner l’arrière-cour. Le froid lui fouette le visage lorsqu’il s’installe sur le banc qui jouxte la porte. Il plonge les mains dans ses poches, en sort un briquet et une cigarette. L’étincelle perce la pénombre au rythme du claquement de la pierre, remplacée par la lueur orangée incandescente. Le goût âcre et la brûlure dans sa gorge sont désagréablement réconfortants.
La porte qui coulisse le fait sursauter. Domon reconnaît, soulagé, le béret de Daburu. Le commis referme derrière lui et le joueur se pousse pour lui faire de la place. Ils restent longtemps assis côte à côte en silence, les nuages de buée et de fumée s’échappant de leurs lèvres se confondant avant de se diluer dans la nuit. Un chat sort de l’obscurité et Domon de ses rêveries. D’un bond, le félin monte entre eux sur le banc, lui renifle un instant la main, se frotte contre, avant d’aller se lover sur les genoux de Daburu. Le garçon prend une profonde aspiration avant d’arriver à parler :
— Ça… ça fait bizarre de rejouer avec Kidou. C’est si différent de… d’avant. En mieux, je crois.
De la fumée lui échappe à chaque mot. Il se rend une fois de plus compte à quel point Raimon est une équipe extraordinaire. Ses doigts se suspendent à mi-chemin de son visage.
— C’est difficile aussi. Ça fait mal. Mais moins que ce que je croyais.
Il écrase le mégot dans le cendrier que lui tend Daburu, souffle sa dernière bouffée. Le silence revient, le froid aussi – pas tout à fait, tenus à distance par le chahut et la chaleur contagieuse de ceux restés à l’intérieur. Domon glisse sa main dans la fourrure du chat, le ronronnement de celui-ci se mélange aux rires de ses amis. Le temps que l’odeur de tabac se dissipe, il lève les yeux vers le ciel piqueté d’étoiles dissimulées derrière les lueurs de la ville. Même quand il fait noir, l’obscurité n’est jamais complète. Du coin de l’œil, il s'aperçoit que Daburu regarde en l’air aussi. Ses pensées sont indéchiffrables. Les ombres masquent les émotions sur son visage. Ça ne dérange pas Domon.
Ils restent ainsi de longues minutes, jusqu’à ce qu’ils se décident à rentrer et le chat saute à regret des genoux du commis. Le premier à se faufiler par la porte, l’animal disparaît aussitôt à l’étage. Lorsqu’ils retrouvent les autres dans la pièce principale, ceux-ci leur demandent où ils étaient passés, Domon balbutie une réponse, Daburu hausse les épaules et la soirée reprend. Confortable.
Ils sont tous partis. Il n’y a plus qu’Hibiki en train de ranger la cuisine et Daburu d’essuyer les tables. Kidou, resté assis seul au comptoir, voudrait remercier le restaurateur de lui avoir donné sa chance. Aussi est-il pris au dépourvu lorsque ce dernier prend les devants :
— Merci d’avoir aidé l’équipe.
— C’était pour ça que j’étais là, non ? répond-il en masquant son trouble et son amertume. Même si je n’ai en réalité pas été très efficace…
Hibiki le dévisage par-dessus le comptoir.
— Parce que tu crois que ta présence était conditionnée par une quelconque utilité ? Ou par tes performances ? Que c’est pour ça que j’ai accepté que tu intègres l’équipe ? Que si l’on perdait je te demanderais de partir ?
Un air coupable passe sur le visage de Kidou tandis qu’il se tasse imperceptiblement sur son tabouret. Il recule quand Hibiki se penche vers lui.
— La seule, et tu m’entends bien, la seule raison pour laquelle je te demanderais de partir, c’est si, dans ton cœur, tu ne voulais pas rester. Alors ? Est-ce que j’ai besoin de te le demander ?
Kidou porte la main à sa poitrine, effleure l’écusson de Raimon.
— … non. Je… je vais rester.
— Eh.
Considérant le débat clôt d’un hochement de tête, Hibiki retourne à sa vaisselle. Kidou sursaute lorsque Daburu pose une tasse devant lui. La bouilloire a fini de siffler et il regarde le commis servir le thé comme si c’était la chose la plus naturelle du monde. Comme s’il était parfaitement à sa place, ici, à cet instant précis. Son cœur palpite un peu plus fort. Il est chez lui.
***
Ça fait tout drôle à Kidou de franchir le portail de Raimon. La veille, il n’a pas vraiment eu le temps de réaliser, ils étaient déjà en retard pour aller en classe. Il n’y a pas cours aujourd’hui, ça n’empêche cependant pas les étudiants de traverser les allées pour rejoindre leurs clubs respectifs. Kidou ralentit, imperceptiblement, jusqu’à ce que Domon se retourne, curieux. Les deux garçons se sont retrouvés en descendant du train matinal pour rejoindre Inazuma et ont marché ensemble depuis la gare. Domon désigne une petite bâtisse branlante au milieu des arbres du parc.
— Voici le local du club.
Kidou l’avait déjà vu, sans vraiment y prêter attention. Plusieurs membres de l’équipe sont déjà arrivés et changés, la porte est entrouverte et ils discutent en sortant du matériel. Pourquoi est-ce qu’il n’est pas surpris d’apercevoir des pneus au milieu des plots ? C’est curieux, de se glisser au milieu d’eux qui le saluent comme s’il avait toujours été là, qui l’accueillent dans leur minuscule local, si petit, si poussiéreux par rapport aux vestiaires de la Teikoku. Il sent la transpiration et le renfermé malgré les efforts des filles pour l’aérer, les coups de balai répétés ne suffisent pas à évacuer la terre et la boue séchée qui s’accumulent dans les recoins. Des posters sont accrochés au mur, abîmés par le temps, mais le plus grand, le plus récent, c’est celui du Football Frontier, placardé par-dessus tous les autres. Une armoire fait office de rangements, de même qu’une rangée de casiers bas qui sert également à entasser tout ce qu’ils ne savent pas où mettre, de sièges aussi à l’occasion. Une petite table entourée d’une poignée de chaises occupe le centre de la pièce et les premiers arrivés ont jeté leurs sacs dans un coin, pêle-mêles avec leurs chaussures. Kidou prend une profonde inspiration. Eh, rien à voir avec la Teikoku. Mais il y a quelque chose de rassurant dans l’authenticité des lieux.
— Le père de Natsumi-san a proposé de le remettre à neuf après qu’on ait gagné contre vous, mais Endou a préféré qu’on le garde comme ça. Plein de souvenirs et de poussière, plaisante Domon.
Son coéquipier d’hier et d’aujourd’hui est entré avec lui et s’est laissé tomber sur l’un des rares sièges, les mains croisées derrière la nuque, évitant soigneusement la chaise qui, vu l’empilement de vestes et de chasubles dessus, ne doit pas servir souvent. Les autres sont désormais sur le terrain, mais ils ne restent pas longtemps seuls.
— Onii-chan !
Haruna passe sa tête par l’encadrement de la porte et Kidou sourit. Sa sœur a l’air plus excitée que lui pour son premier entraînement.
— Tu es prêt ? Dis, ça te dit d’aller voir le centre Inabikari avant de commencer ?
Domon lui en a parlé, mais il n’a jamais eu l’occasion de le voir de ses propres yeux.
— On ne risque pas d’être en retard ?
Domon le rassure en tapant sur son épaule. Il n’a pas à s’en faire, les retardataires n’arriveront pas avant une vingtaine de minutes. Kidou se retient de tiquer – un tel laxisme ne serait pas toléré à la Teikoku – et craque en apercevant l’impatience sur le visage d’Haruna. La visite du centre n’est qu’une excuse pour passer du temps avec lui, neh ? Ça lui va.
— J’arrive, mais avant…
Il sort de son sac une pochette contenant une épaisse liasse de feuilles, élabore devant les expressions interrogatives des deux autres :
— Ce sont les données que la Teikoku avait regroupées sur nos potentiels prochains adversaires. Je me suis dit que ça pourrait être utile…
— Hum ! approuve Haruna avec enthousiasme. Laisse-les sur la table, Daburu les regardera tout à l’heure.
— Daburu ?
Kidou s’exécute avant de rejoindre sa sœur à l’extérieur et de la suivre derrière le local, au milieu des arbres.
— Eh. Il ne vient pas toujours aux entraînements, mais il s’occupe des fiches des joueurs et des hissatsus techniques. Il synthétise aussi les recherches sur nos adversaires. C’est plutôt pratique. Oh ! Il faudra faire la tienne en tant que membre de Raimon d’ailleurs !
Kidou hoche la tête en silence, amusé de retrouver l’énergie et la volubilité de sa petite sœur, frotte doucement ses doigts entre eux. Le commis du coach est décidément de plus en plus intriguant.
***
— Pauuuuuse ! On reprend dans un quart d’heure.
Le rappel d’Haruna ponctue le coup de sifflet d’Aki et les joueurs accueillent la nouvelle avec plaisir. Une bonne partie de la matinée a déjà filé sans que Kidou ne s’en aperçoive.
— C’est… c’est à ça que ressemblent tous vos entraînements ?
— Huh ?
Endou s’arrête, un ballon dans les mains, surpris par la question de son nouveau coéquipier. Le capitaine de Raimon cale le cuir sous son bras pour se gratter la tête, incertain du sens qu’il y met.
— Oui ? Je suppose ? Pourquoi ?
Quand Kidou et Haruna sont revenus tout à l’heure, les derniers joueurs étaient arrivés. Il s’est joint à l’échauffement – léger, comparé à ceux de la Teikoku – puis ils se sont dispersés en ateliers par petits groupes. Et autant le centre Inabikari l’a impressionné, autant une impression tenace ne le lâche pas depuis le début de l’entraînement mais elle n’a pas encore assez pris forme pour qu’il sache comment l’exprimer.
— Hmmhmm… non, pour rien.
Endou fronce brièvement les sourcils, scrute son visage qui se veut impassible avant de partir en courant boire. Non sans lui rappeler de ne pas oublier d’y aller lui aussi. Kidou a hoché la tête, distrait. Là-bas, Domon attend Aki près du portail. Elle doit aller faire une course en ville et il s’est proposé pour l’accompagner. Plus qu’une paire de minutes avant la reprise. La plupart des joueurs sont encore aux robinets derrière le gymnase. Dans le calme relatif, Kidou repère Daburu assis dans l’herbe. Comme prédit par Haruna, il est arrivé tout à l'heure et s’est installé à l’écart, ce qui ne l’a pas empêché de surveiller l’entraînement avec une attention discrète mais assidue. En s’approchant, Kidou reconnaît parmi les feuilles étalées autour de lui celles qu’il a portées tout à l’heure. Le titre de celle que le commis est en train de rédiger mentionne Inazuma Break, suivi d’un croquis étonnamment vivant d’Endou, Gouenji et lui en pleine action. Concentré sur son tracé, Daburu ne semble pas avoir remarqué sa présence.
— Tu aurais pu le faire, n’est-ce pas ?
La mine suspend sa course au-dessus du papier, le commis lève la tête. Face à son silence, Kidou développe :
— Ce que j’ai fait. Les aider à fonctionner ensemble à nouveau. Tu aurais pu le faire.
Il désigne du menton les notes. Daburu le scrute, fait tourner son crayon entre ses doigts et secoue la tête.
— Non.
Kidou va pour protester, il ne lui en laisse pas le temps.
— J’aurais pu, c’est vrai, leur donner des indications par moments, mais ça n’aurait pas changé grand-chose. Ce qui les freinait… ce n’est pas quelque chose qui se corrige depuis le banc, mais depuis le terrain, à chaque instant. Exactement comme tu l’as fait.
— Alors c’était mon rôle ? demande Kidou, sa moue et son ironie en rempart à ses doutes. Ce pourquoi vous m’avez accepté dans l’équipe.
Le commis se redresse et une lueur brille dans ses yeux. Kidou est sidéré par l’intensité de leur bleu.
— Hibiki te l’a dit hier, non ? Il n’y avait aucune condition pour que tu viennes dans l’équipe, autre que tu le veuilles vraiment. C’est vrai, ton arrivée a été providentielle par rapport aux difficultés de l’équipe. Mais tu serais aussi là aujourd’hui si elles n’avaient pas été là. Et si tu avais décidé de ne pas venir… on aurait trouvé une solution. Ils auraient trouvé une solution. Ils trouvent toujours.
Leurs regards partent ensemble sur le reste de l’équipe qui retourne sur le terrain en discutant avec entrain. Il devrait y aller, non ? Ce serait dommage d’être en retard… Pourtant Kidou reste immobile. Attardant son attention sur Someoka qui jongle avec un ballon ramassé au bord du terrain, Daburu reprend à mi-voix :
— Ce n’est pas pour ça non plus que tu es venu dans l’équipe, n’est-ce pas ?
Kidou ne répond pas, pas tout de suite. Le coup de sifflet d’Haruna le sauve de la boucle sans fin de ses pensées. Avec un vague geste de la main à l’intention de Daburu, il court rejoindre les autres, surpris de se trouver autant essoufflé quand il arrive à leur niveau.
***
Il est bientôt midi, cependant la faim n’a pas d’emprise sur les garçons. Suki a troqué la fiche technique de l’Inazuma Break contre son carnet de notes qu’elle couvre d’observations. L’équipe s’est transformée en profondeur depuis le match de la veille. Les grains de sable sont partis, leurs auras retrouvent leur liberté sans se blesser, les joueurs apprennent à s’apprivoiser, eux et leurs nouvelles capacités. Un mouvement attire son regard. De l’autre côté du banc et d’Haruna, un garçon approche. Elle vient à Raimon depuis trop peu de temps pour être familière avec tous les élèves, mais elle est certaine de ne l’avoir jamais vu. Il ne porte aucun uniforme, ni de l’école ni d’un quelconque club, entre son jean et sa veste sans manche laissée ouverte. L’inconnu observe avec intérêt les joueurs et ses yeux s’illuminent lorsque le Dragon Crash traverse la surface de réparation pour aller s’abîmer contre le Nekketsu Punch d’Endou. Le ballon repoussé roule jusqu’à ses pieds.
— Eh ! l’interpelle Endou quand il le ramasse. La balle s’il te plaît !
Un instant, les doigts de l’inconnu dansent sur le cuir et un sourire retrousse ses lèvres. Suki devine avec une seconde d’avance ce qu’il va se passer. Celle d’après, le garçon court le ballon au pied vers les cages, vers Endou. Kurimatsu et Handa se prêtent au jeu et s’interposent. Il lève la balle au-dessus de leur tête, se faufile entre eux et les laisse derrière lui sans ralentir. Des exclamations étouffées saluent sa performance, Suki se penche en avant. Quand il s’arrête à l’entrée de la surface, Endou claque ses gants.
— Yosh, je t’attends !
L’inconnu ne se fait pas prier. D’un demi-flip arrière, il se dresse sur les mains. Jouant de ses appuis, il tourne sur lui-même et un vent se lève. Le garçon disparaît, enveloppé par la masse d’air en mouvement qui soulève le ballon, l’entraîne dans une rotation de plus en plus rapide. Alors que les joueurs les plus proches lèvent leurs bras en protection devant leur visage, le pied de l’inconnu jaillit du tourbillon et tire. Dans la foulée, il se relève avec agilité et un sourire fier tandis que le vent retombe. Sourire qui se transforme en incrédulité admirative lorsqu’Endou fait apparaître la God Hand. Les éclats dorés de l’hissatsu technique se reflètent dans ses yeux écarquillés. Le gardien dérape jusqu’à la ligne de but, tient bon. Enfin, le tir faiblit. Quand la balle s’arrête dans son gant, Endou a le bras qui tremble. Sa grimace s’élargit en immense sourire alors que l’inconnu s’approche et admet, sans rancune :
— Tu as gagné.
— Tu aurais gagné si tu avais tiré de plus près, rétorque Endou.
— Ta technique d’arrêt est incroyable ! J’aimerais pouvoir la montrer à mes amis aux États-Unis.
— La tienne était géniale aussi ! Tu joues au football aux États-Unis ? T'es dans quelle équipe ?
La discussion entre Endou et l’inconnu s’enflamme tandis que le groupe se referme autour d’eux, fasciné par la démonstration à l’instant.
— Mon Spinning Shoot ? C’est vrai, tu trouves ? Merci ! Eh, j’ai récemment été sélectionné comme candidat pour représenter l’équipe junior.
— J’en ai entendu parler, intervient Kidou. On dit qu’un joueur japonais de génie serait le grand favori pour représenter les États-Unis dans le futur.
Il n’y a que Kidou pour se renseigner sur les joueurs à l’autre bout du monde. Le concerné écarte le compliment d’un haussement modeste des épaules. Impressionnés et poussés par la curiosité, les joueurs de Raimon le pressent de questions sur lui, son équipe là-bas et le football qu’il pratique. Est-ce qu’il est différent de celui du Japon ? Et ça veut dire qu’il a les deux nationalités ? Depuis combien de temps est-ce qu’il joue ? Il a d’autres techniques que le Spinning Shoot ? Pressenti pour l’équipe nationale ? Ça claque ! Il y en a trop pour qu’il puisse répondre à toutes, toutefois il se prête au jeu de bon cœur.
En retrait, Suki observe l’inconnu entre les têtes de Shishido et de Kageno. Elle incline la sienne et se mord la lèvre. Il l’intrigue. Il est bon au foot, c’est indéniable, mais il a plus que ça. Son aura circule en lui et autour de lui dans un ballet hypnotisant. C’est un état qu’elle ne retrouve chez les autres que lorsqu’ils sont sur le terrain, en plein match, portés par l’adrénaline et leurs coéquipiers. Chez lui, c’est habituel. Il en a une maîtrise de chaque instant. Sa vigueur évoque à Suki celle de ceux qui n’ont échappé à la mort que par leur détermination. De la lutte qu’il a dû mener, il a gardé des cicatrices dans le cœur de son aura et elles font partie des blessures qui ne guérissent jamais totalement. Il lui fait penser à Aki et à Domon aussi. Quelque chose, dans l’odeur de souvenirs nostalgiques et de passé poussiéreux. Dans un moment d'accalmie, Endou demande :
— Et au fait, pourquoi tu es venu au Japon ?
— Il y a des personnes dans cette école que je veux voir.
— Eh ? À Raimon ? Qui ?
Les conversations reprennent, accompagnées de spéculations plus folles les unes que les autres. Un pressentiment pince le ventre de Suki en remarquant Aki et Domon revenir de leur course. Ils interrompent leur conversation en remarquant l’attroupement, s’approchent, intrigués.
— Qu’est-ce qu’il se passe, les garçons ?
Shishido va pour expliquer la situation à la manageuse mais avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche, l’inconnu s’extrait du groupe et la prend dans ses bras. Ils se pétrifient tous. La logique voudrait qu’Aki se dégage, mais elle reste immobile. Son cœur bat la chamade dans sa poitrine. Suki voit l’énergie de l’adolescente se hérisser au contact avant de se calmer aussi soudainement. Domon est le premier à reprendre ses esprits et tempête :
— E-Eh ! Qu’est-ce que tu crois que tu… ?!
Puis son regard croise celui de l’inconnu et les mots meurent entre ses lèvres. Leurs auras se connaissent. Se reconnaissent. L’autre se détache d’Aki, sourit à Domon. Il plaque deux doigts contre sa tempe, les écarte dans un salut – tremblant d’émotion comme sa voix – accompagné d’un clin d’œil.
— Ça faisait longtemps. Ça fait… ça fait tellement plaisir de vous revoir. Aki, Domon… je suis rentré.
— … I… Ichinose-kun ?
Notes:
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Chapter 41: Quand le passé nous rattrape
Notes:
Ce chapitre aborde l'accident d'Ichinose et ses conséquences, avec mention de la mort, du deuil et d'automutilation. Prenez soin de vous.
(See the end of the chapter for more notes.)
Chapter Text
Un ami d’enfance… perdu de vue depuis longtemps a expliqué Domon en quelques mots, un peu ailleurs. Il s’est crispé lorsqu’il a ajouté qu’ils le croyaient mort. Endou a cherché dans le regard de Gouenji la confirmation que, à lui aussi, le nom est familier. Mais leur surprise sans commune mesure avec le choc d’Aki et de Domon. Si le second l’a repoussé tant qu’il a pu en égrenant les informations en sa possession face à leurs camarades stupéfaits, l’adolescente, après qu’Ichinose l’aie lâchée, s’est éloignée, pour respirer. Ichinose a attendu à l’écart, la surveillant d’un œil inquiet, souriant maladroitement à Domon qui ne le lui rend pas. Puis le capitaine de Raimon a incité son équipe à reprendre l’entraînement, laissant aux trois amis un semblant d’intimité. Depuis, installés sur le banc d’où ils regardent les autres jouer, Aki, Domon et Ichinose échangent des banalités. Sur leurs vies, leurs déménagements respectifs, les cours, les différences entre le Japon et les États-Unis, quelques souvenirs d’enfance aussi. Ils tournent autour du pot, Domon se contente de monosyllabes tendues, jusqu’à ce qu’Ichinose se jette à l’eau à la faveur d’un creux de la conversation :
— Je n’aurais pas dû vous mentir toutes ces années.
Ça y est. Il a ouvert la porte vers le sujet qu’il redoute, vers les questions qui les étouffent et auxquelles ils ont besoin de réponses. Sous l’encouragement muet d’Aki, sous le regard intense, suppliant, de Domon, il remonte des années en arrière.
— Lorsque le camion m’a… après l’accident, mon état était très grave. Vraiment très grave. Mon pronostic vital était engagé et les médecins ne savaient pas si je survivrais. Vous le savez, mais… Mes parents m’ont fait transférer dans un hôpital à l’autre bout du pays. Là-bas, pendant des mois, j’ai alterné entre des phases de coma et d’éveil plus ou moins lucide. J’avais conscience que mes parents venaient me voir, je les entendais me parler, mais je n’arrivais pas à communiquer. Ils me disaient que vous demandiez des nouvelles tous les jours et ça m’a beaucoup aidé. … je ne vous ai jamais remerciés.
Ichinose garde la bouche entrouverte, dans l’illusion d’un sourire triste, plein de regrets, avant de poursuivre.
— Pendant un moment, ça allait mieux. Et puis les examens ont révélé une infection qui s’est généralisée et j’ai replongé encore plus bas. Alors que mon état se dégradait et que les médecins étaient de plus en plus pessimistes, mon père m’a dit que vous vouliez venir me voir. Je ne… Je ne l’ai pas supporté. Je… je ne voulais plus que vous ayiez des espoirs que je n’avais plus. C’était… c’était trop dur pour moi. Alors je lui ai demandé de vous dire que j’étais mort.
Sa voix achoppe sur la fin de la phrase, l’émotion le force à prendre une pause. Aki et Domon replongent à l’instant où, au bout du fil, ils ont entendu la nouvelle. Aki se souvient de son souffle coupé, des murs qui se refermaient sur elle pour l’écraser, de ses cris, de son refus d’y croire, de ses larmes et de celles de Domon. Elles reviennent, aussi brûlantes qu’à l’époque. Domon crispe les poings. Il connaît par cœur le tracé de la coupure qu’il s’est faite ce soir-là, au-dessus du lavabo de sa salle de bain avec le rasoir de son père. C’est tout ce qu’il avait trouvé pour évacuer la douleur qui le rongeait. Il ignorait encore à l’époque que ce ne serait que la première de beaucoup d’autres. Quand Ichinose reprend, ses mots trébuchent.
— C’était horrible. Égoïste. Mais… je me disais que ce n’était même plus tout à fait un mensonge. Sauf que… ça n’excuse rien. Neh, rien n’excuse ce que je vous ai fait subir. Je n’aurais pas dû faire ça. Je… je suis désolé.
Un long silence suit. Il est désolé. Ce sont bien de piètres mots pour justifier le mal qu’il leur a fait, le deuil qu’il leur a infligé. Il n’ose pas croiser leurs regards, se contente de leurs attraper les mains. Pour leur montrer qu’il est bien là, qu’il ne disparaîtra plus. Un instant, il redoute qu’ils retirent les leurs. Si Aki serre aussitôt la sienne en réponse, Domon recule ses doigts avant de les laisser dans les siens. Désormais, il leur doit la vérité. Toute la vérité.
— À la surprise des médecins, mon état s’est stabilisé. Miraculeusement, je m’en étais sorti. L’infection avait disparu, je me rétablissais de mieux en mieux. Même si les médecins disaient que je risquais de ne plus pouvoir courir, sans parler de rejouer au foot, je m’en moquais. J’allais y arriver quand même. Dès que j’ai pu remarcher, j’ai voulu venir vous voir. Sauf que… vous n’étiez plus là. Vous aviez déménagé, vous deux… Nishigaki… Il n’y avait plus que des inconnus derrière vos portes. Mon monde s’est écroulé une seconde fois. J’ai bien cru… j’ai bien cru que cette fois, je ne m’en relèverais pas.
Ses doigts se crispent sur ceux de ses amis, sa respiration se fait laborieuse.
— Tout est devenu noir. Je pouvais à peine me regarder dans un miroir. Parce que… vous savez ce qui m’avait fait tenir jusque-là ? C’était notre promesse. Celle de toujours jouer ensemble. C’était mon seul objectif pendant que j’étais allongé dans mon lit, celui que je me répétais sans cesse. Quand je pourrai sortir, je me lèverai et j’irai jouer avec Aki, Domon et Nishigaki. Tous les jours. Et j’allais leur montrer, aux médecins, que je pouvais rejouer au foot, parce qu’avec vous, rien ne m’était impossible. Et ça m’a été arraché. J’avais traversé tout ça… pour rien…
Ichinose a un rire amer.
— C’est ridicule, parce que j’ai eu énormément de chance. J’étais en vie, je pouvais remarcher, vivre presque normalement, mais… ça m’a anéanti.
Il prend Aki et Domon au dépourvu en relevant la tête, un sourire étonnamment sincère aux lèvres.
— Je n’ai pas oublié notre promesse pour autant. Jamais. C’est grâce à elle que je me suis accroché. Jour après jour, elle m’a redonné la force d’avancer. C’est elle qui m’a tenu debout, qui m’a empêché de tout lâcher, qui m’a permis de surmonter les moments difficiles. C’est grâce à notre promesse que j’ai pu taper dans un ballon à nouveau.
La joie sur son visage efface la tristesse précédente. Depuis qu’ils sont tout petits, l’entrain d’Ichinose est contagieux. De leur groupe, il a toujours été la lumière. Et aujourd’hui, alors qu’ils pensaient ne jamais la revoir, elle les illumine à nouveau. Aki s’essuie les yeux dans le coin de sa manche, Domon renifle. Le passé et le présent se rejoignent.
— Pendant toute ma réhabilitation, et même après, alors que je recommençais à jouer en club, j’ai gardé un œil sur les tournois étasuniens et japonais. Je me demandais où vous étiez, ce que vous deveniez. Je crois que si j’avais vraiment cherché à vous recontacter, je vous aurais retrouvés plus tôt, mais je n’osais pas. J’avais peur. Honte aussi. Après toutes ces années, débarquer comme si de rien n’était ? Impossible… Et puis, il y a deux semaines, je suis tombé sur le résultat de votre finale contre la Teikoku Gakuen. Je vous dis pas le choc lorsque je vous ai vu tous les deux sur la photo. C’était forcément un signe. Je ne pouvais plus me défiler. J’ai demandé à mon père de me prendre un billet d’avion et… me voilà.
L’air pétille à la fin de sa phrase tout en douceur. Aki dégage sa main pour se moucher, Domon garde le regard au loin pour cacher les tremblements de sa respiration. Dans le silence qui s’étire, Ichinose redoute ce qui va suivre. Pas vraiment un silence, ponctué des cris des autres, de leurs frappes dans le ballon, mais le fond sonore n’est pas désagréable. Enfin, Aki prend la parole :
— Je crois qu’il va me falloir du temps... pour encaisser.
Il s’y attendait, mais ça fait mal.
— Je… Je ne vous demande pas de me pardonner, pas tout de suite.
Et même jamais, s’il le faut. Aki secoue la tête. Comme si elle était capable de lui en vouloir. Elle ne va pas prétendre qu’elle comprend, mais elle accepte. Elle est incapable de savoir ce qu’elle aurait fait à sa place et le temps a passé. Hors de question de gâcher son bonheur de le retrouver avec des reproches.
— Neh, vous imaginez ? Nous retrouver, Domon et moi, puis toi, de l’autre côté de l’océan, après tant d’années…
— Ne manque plus que Nishigaki et le groupe sera au complet. C’est… si improbable, philosophe Domon, le nez levé vers les nuages.
Même s’il est un peu perdu, même s’il dénouera plus tard le nœud complexe d’émotions qui luttent dans sa poitrine, si une part de lui redoute que ce ne soit qu’une illusion qui disparaîtra une fois le dos tourné, Domon est certain d’une chose. La lumière est revenue. Aujourd’hui, elle brille, éblouissante, et il a envie d’en profiter, de s’y accrocher, plus fort que jamais. Il réfléchira au reste plus tard. Alors il se lève du banc, écarte les bras, théâtral, son sourire moqueur décorant son visage pour masquer ses tourments intérieurs – qu’ils se taisent ! au moins jusqu’à ce soir.
— Eh ! Mesdames, messieurs, veuillez assister à la renaissance du milieu de terrain de génie. Je vous présente Ichinose Kazuya, le magicien du ballon rond !
Ichinose éclate de rire, Aki se laisse emporter elle aussi, ses derniers sanglots hachant encore sa respiration. Puis le rire de l’un entraînant l’autre, aucun des trois n’arrive plus à s’arrêter, le souffle coupé et les larmes aux yeux, bien plus belles que les précédentes. Comme avant. Comme s’ils ne s’étaient jamais séparés.
Suki les écoute vibrer à l’unisson. Ils ne forment qu’un seul et même tout. Leurs énergies s’emboîtent et leur chant conjoint la fait frissonner. Ils sont magnifiques. Leurs émotions pulsent autour d’eux, influencent sans qu’ils ne s’en rendent compte les autres qui redoublent d’ardeur sur le terrain. Par instants, un drôle de reflet s’accroche dans les replis de l’aura d’Ichinose. Celle de Domon oscille, absorbe tant qu’elle peut la lumière contagieuse de ses amis pour combler ses cicatrices. Le regard de Suki s’arrête sur Shuuya. Son ventre se noue. Retrouver un ami perdu de vue depuis des années… Elle se mord la lèvre. Est-ce qu’il la croit morte ?
— Eh ! Ichinose !
L’appel d’Endou chasse les pensées sombres naissantes et coupe l’éclat de rire du trio. Depuis ses cages, le gardien fait de grands signes.
— Tu viens jouer avec nous ?
— Et comment !
Ichinose saute sur ses pieds, attrape le bras de Domon au passage et l’entraîne avec lui. Celui-ci se laisse faire, trop anesthésié par la surabondance d’émotions pour protester. Aki les encourage, les mains en porte-voix contre ses joues humides, alors qu’ils se glissent au milieu des autres et partent avec eux à la poursuite du ballon.
***
Il ne faut pas plus de trente secondes à Ichinose pour captiver tous les regards. Il semble danser au milieu des joueurs de Raimon qui viennent à tour de rôle tenter leur chance pour lui reprendre le cuir. Ce dernier accompagne chacun de ses mouvements, répond à la moindre de ses sollicitations. Ichinose efface Shishido d’un mouvement de hanche, se glisse entre Handa et Kabeyama, soulève la balle par-dessus Megane et la récupère de l’autre côté. Sur sa ligne, Endou trépigne, impatient de l’avoir en face de lui. Restés en retraits, les autres, spectateurs, admirent son impressionnante progression. Le suspens monte d’un cran alors que se profile la confrontation que tout le monde attendait.
Kidou a pris le temps d’étudier la manière de se mouvoir d’Ichinose, son rythme, là où va son regard quand il bouge, avant de s’avancer. Ça fait longtemps qu’il veut se mesurer à celui que Domon comme les articles étasuniens qualifient de magicien du ballon. Au sourire de son vis-à-vis lorsqu’il surgit devant lui, sa réputation le précède également et l’envie est partagée. Les deux garçons se défient un instant du regard, cherchent à lire dans celui de l’autre quel sera son prochain mouvement et celui d’après. Ichinose ramène le ballon contre son talon, le soulève dans son dos au-dessus de sa tête, esquisse une esquive sur le côté. Kidou est là. Sa cape flottant autour de lui, il a le torse en avant et la jambe levée pour intercepter la balle. L’admiration se lit sur le visage d’Ichinose. Et le cuir échappe à Kidou.
L’énergie d’Ichinose s’est saisie du cuir et en a changé la course à la dernière seconde. Suki a encore du mal à appréhender à quel point l’aura du garçon occupe l’espace autour de lui, à quel point elle bouge, elle irradie. À quel point elle est vivante. Alors qu’Ichinose s’offre le luxe de jongler un court instant à la récupération tandis que Kidou fait volte-face, leur admiration respective est palpable. Et avec elle grandit l’envie de tester leurs limites, de se confronter, de se pousser mutuellement dans leurs derniers retranchements. La seconde d’après, Kidou se lance à sa poursuite à travers le reste du terrain. Personne ne vient s’interposer dans leur duel. Ils ont le souffle trop coupé pour ça tandis qu’ils réalisent quel est réellement le niveau d’Ichinose. Il est au moins aussi doué que Kidou !
— Yosh ! s’exclame Endou, un sourire jusqu’aux oreilles. Lui et moi, on va s’affronter aux tirs au but !
Gouenji ne prend même pas la peine de soupirer face à son excitation, pas le moins du monde découragé par la démonstration à laquelle ils viennent d’assister.
Ichinose pose le ballon sur le point de penalty, Endou claque ses gants. Les autres ne font même plus semblant de s’entraîner et se sont regroupés au bord du terrain en un public impatient.
— J’y vais !
— Eh !
Un pas d’élan, et Ichinose frappe. Endou bondit, les mains tendues. Le ballon se glisse dans le coin supérieur et étire les filets avant de revenir rouler à ses pieds. Le portier le ramasse en se relevant, demandant déjà :
— Un autre ! Et je l’arrêterai celui-là !
Pas besoin de le répéter. Avant que les compliments admiratifs sur son premier tir ne s’éteignent, Ichinose est déjà en place. Le garçon étire le suspens quelques secondes, évalue la position d’Endou, le côté vers lequel il choisira de plonger. Dès qu’il se met en mouvement, Endou saute. Cette fois, le bout de ses doigts touche le cuir.
— Yosh !
Avoir pris deux buts ne le ralentit pas. Au contraire. Le prochain sera le bon.
— Encore une fois ! réclame Ichinose en le prenant de vitesse.
— Je t’attends !
***
Ils sont inarrêtables. Le reste du groupe a perdu le compte des tirs et se contente de profiter du spectacle. Aki répond avec fatalisme à Haruna qui s’inquiète de voir l’entraînement ainsi ajourné :
— Aucun des deux ne s’avouera jamais vaincu. Et puis, après le match d’hier, l’équipe peut se permettre de prendre une pause.
Sa cadette acquiesce en contemplant le groupe. L’après-midi est étonnamment douce pour une fin d’octobre et ils sont plusieurs à s’être assis pour offrir leur visage au soleil tandis qu’Ichinose se replace pour la énième fois. Shishido et Megane reviennent vers eux, les bras chargés de gourdes pleines. Puis son attention revient sur le terrain et elle sourit :
— Ils se ressemblent beaucoup, tu ne trouves pas ?
— Hum ?
— Ichinose-san et Endou-san.
— Eh, acquiesce Aki. Je l’ai toujours pensé, depuis que j’ai rencontré Endou-kun.
C’est sans doute pour ça qu’elle s’est rapprochée de lui, en premier lieu. Parce qu’il lui rappelait Ichinose. La frappe de ce dernier s’écrase dans les gants d’Endou qui, les bras tendus, tient bon. Il en a arrêté à peu près autant qu’il en a laissé passer et peu importe qu’Ichinose marque ou pas, chaque tir leur donne envie de recommencer. Rien qu’une dernière fois.
Son menton calé dans ses genoux, Suki les écoute d’une oreille distraite. Eh… Elle pourrait peut-être trouver les mots qui manquent à Aki et Haruna pour définir l’origine de la similarité qui relie Endou et Ichinose. Leurs éclats se ressemblent, lumineux, vifs. L’un autant que l’autre, ils débordent d’énergie et éclairent autour d’eux de leur aura. Leurs sourires sont contagieux. Et même si c’est chacun à leur manière, ils sont de ceux qui tirent les autres vers le haut de leur passion, de leur volonté à ne jamais abandonner. Côte à côte, c’est comme s’ils entraient en résonance et le reste de l’équipe baigne dans leurs couleurs. Suki se laisse envahir par la douceur de l’instant. S’il pouvait ne jamais s’arrêter…
***
Endou boit la moitié de sa gourde, renverse le reste sur sa tête, plonge aussitôt le visage dans sa serviette. Ichinose accepte avec gratitude celle tendue par Aki. C’est la soif qui les a poussés à faire une pause, sans elle, ils y seraient encore. Sans doute pour le reste de la journée.
— Neh, Endou ? J’aimerais essayer une technique avec toi.
Les yeux d’Endou étincellent lorsqu’il baisse la serviette sans hésiter une seule seconde.
— Yosh ! Allons-y !
Son enthousiasme conforte Ichinose dans son pressentiment. Avec lui, ça peut marcher. Ichinose pianote contre sa bouteille, sent la curiosité d’Endou tandis qu’il cherche à croiser le regard de Domon, assis entre Kageno et Shourinji au bord du terrain. Acceptera-t-il… Ichinose sourit doucement, l’interroge, comme s’il n’osait pas.
— Domon… Tu veux bien la faire avec nous ?
Les émotions se succèdent sur le visage de son ami, indéchiffrables.
— Eh… tu penses à… répond-il, hésitant.
— Hum !
Ichinose hoche la tête, soulagé qu’il n’ait pas refusé d’un bloc. Endou fronce brièvement les sourcils avant que son visage ne s’éclaire et qu’il sautille sur place :
— Tu veux parler du Tri-Pegasus ?!
— Tu la connais ? s’étonne Ichinose.
— Domon et Aki nous en ont parlé l’autre jour. Mais même si j’ai pas tout compris, j’ai trop envie de l’essayer !
Domon tire la langue à la balle perdue pour ses explications, faussement outré, secrètement soulagé de la diversion. Ichinose se tourne successivement vers lui, vers Aki, plaque une main contre sa poitrine pour leur demander la permission.
— Il n’a pas volé depuis… depuis des années. Et, Endou, c’est avec toi que j’ai envie de lui rendre ses ailes, conclut-il.
Conscient de l’honneur qui lui est fait, Endou attend que les deux autres acceptent pour hocher plusieurs fois la tête, incapable de se retenir de trépigner. C’est tellement excitant !
— Eeeeh… Quand est-ce qu’on commence ?
***
Le seul bruit est celui, lourd, de leurs respirations haletantes. Endou, Domon et Ichinose se sont laissés tomber par terre, la poussière colle à la sueur qui leur pique les yeux. Les bras écartés, le capitaine de Raimon est allongé, à la recherche de son souffle. Les deux autres ne mènent pas plus large.
— Encore raté… pantèle Domon.
Ils ont arrêté de compter leurs échecs depuis longtemps. Ichinose désigne les traces qu’ils laissent derrière eux à chacune de leurs tentatives :
— On n’est toujours pas synchronisés.
Endou se redresse et regarde à son tour le triangle dessiné dans la terre battue là où se croisent leurs trajectoires. Ichinose leur a expliqué tout à l’heure, elles doivent se rencontrer en un seul et même point pour que la technique fonctionne. Mais même si ses instructions sont plus claires que celles de Domon l’autre jour – celui-ci fait semblant de mal prendre les taquineries de ses coéquipiers à ce sujet – ce n’est pas pour autant que la réalisation est facile. Comme s’ils allaient s’avouer vaincus. Endou récupère le ballon aux coutures brûlées par leurs efforts qui a roulé plus loin.
— Yosh, encore une fois !
Leur public les observe reprendre place, Ichinose avec la balle, Domon et Endou de part et d’autre. Le trio se concentre sur le milieu du rond central, point de repère de là où leurs courses doivent se rencontrer. Suki les écoute inconsciemment caler leurs souffles, les battements de leur cœur. Le Tri-Pegasus est une hissatsu technique qui combine la puissance de trois joueurs. Ceux-ci doivent se croiser au maximum de leur vitesse en un point unique. Là se concentrent alors leurs énergies qui fusionnent avec le ballon. La description donnée par Ichinose est sommaire mais est une démonstration supplémentaire de son savoir sur les auras. Elle ne devrait pourtant pas être si étonnée que ça. Pour maîtriser la sienne à un niveau pareil, il a forcément appris à la comprendre et à l'apprivoiser.
Au signal d’Ichinose, les garçons s’élancent. Ils accélèrent tandis que leurs trajectoires convergent. L’énergie qu’ils dégagent creuse toujours plus le sillage de leurs précédents passages. Les spectateurs se protègent au moment où leurs courses se coupent, le visage fouetté par l’onde de choc. Quand Suki parvient à ouvrir les yeux, des flammes bleues tracent leurs sillages et le ballon est suspendu à mi-hauteur, à la croisée des chemins. Elle retient un mouvement instinctif de recul. Ils ont mis des dizaines, des centaines d’essais à y parvenir et, désormais, jusque-là, ils maîtrisent à peu près. C’est maintenant que les choses se corsent. En bout de leurs lignes respectives, ils retiennent leur souffle, les yeux rivés sur le cuir. Le vent qui fait claquer leurs vêtements et les flammes s’enroulent autour, avant de s’ouvrir. Au cœur du brasier s’esquisse la silhouette d’un pégase, son hennissement roule sur le terrain tandis qu’il déploie ses ailes.
— Alleeeeeez !
Endou prie de toutes ses forces, Domon et Ichinose veulent y croire, comme à chacun de leurs essais précédents. Après trois interminables secondes de suspens, le vent emporte les flammes et efface avec elles l’animal. Le ballon retombe au sol. Les garçons résistent un instant aux bourrasques, hors de contrôle, avant de se faire balayer une fois de plus.
— On est de plus en plus proches ! positive Ichinose, sur les fesses.
Endou pose un regard sévère sur sa trace, décalée par rapport aux autres.
— Désolé, c’est ma faute. Je suis en retard.
Son sillon dans la terre battue est celui qui subit le plus de variations depuis le début de leurs essais, s’éloignant et se rapprochant au gré des tentatives de l’intersection rapidement devenue parfaite d’Ichinose et de Domon. Les amis d’enfance n’ont mis qu’une poignée d’essais à retrouver leur synchronicité, leur complicité d’antan. Endou a plus de mal. Suki se mord la lèvre. Il est là, le décalage qui empêche leurs énergies de parfaitement fusionner. Le retard qui pourrait être anecdotique les empêche d’approcher le pégase, sauvage, indomptable, et l’animal se sauve sitôt apparu, les laissant pantelants.
— On a essayé des centaines de fois, soupire Domon, les jambes ramenées en tailleur, ça fait des heures qu’on y est, on pourrait abandonner à ce stade… bien que je ne m’attende pas à ce que vous le fassiez.
Endou lui sert un sourire désolé, à moitié seulement.
— S’il te plaît. Je crois que je commence à comprendre.
— Eh ! Je n’ai pas envie d’abandonner non plus ! renchérit Ichinose.
En infériorité numérique, Domon ne peut que s’incliner, se frotte la nuque en se relevant avant d’écarter les mains, impuissant.
— Je savais que vous diriez ça. Eh, je vous aiderai aussi longtemps que vous aurez besoin de moi.
Ses amis le remercient d’un sourire, d’une tape sur l’épaule qui le fait ciller, imperceptiblement. Leurs camarades les encouragent, à grands renforts de sifflements et de cris. Le coup de fouet est bienvenu lorsqu’ils se positionnent avec le ballon, rapporté par Kageno. Suki fait tourner son crayon entre ses doigts. Et ils recommencent.
***
Le soir est en train de tomber. Les jambes d’Endou se dérobent sous lui et l’empêchent de se lever, les autres renoncent à essayer. Aki et Shishido leur apportent des gourdes qu’ils vident en deux secondes. Ce sont Someoka, Gouenji et Kidou qui les remettent sur pied.
— Il faut arrêter maintenant.
Endou grogne, repousse l’ordre de Kidou.
— Mais… on n’a pas encore réussi…
— Et vous ne tenez plus debout.
Accroché aux épaules de Gouenji, Endou accepte avec une moue. Aussitôt remplacée par un sourire.
— Je sais ! On n’a qu’à aller au Rairaiken !
— Pas les samedis soirs a dit Hibiki-san, rappelle Handa, on est trop nombreux.
— Alors venez manger à la maison.
La proposition soulève des exclamations enthousiastes. Kazemaru lève un sourcil :
— Tu as demandé à ta mère ?
— … Non. Mais on se débrouillera. Alors, vous venez ? Ichinose ?
— Avec plaisir !
— Je vous rejoindrai plus tard, je dois passer ailleurs avant.
Endou dévisage Gouenji un instant avant de hocher la tête. Il comprend. Kidou s’excuse également.
— Je ne sais pas si je vais…
— Allez, s’il te plaît… supplie Haruna en glissant sa main dans celle de son grand-frère.
L’indécision passe sur le visage de Kidou – il doit aussi passer quelque part et… il faut qu’il demande s’il a le droit – avant qu’il n’accepte dans un soupir. Mais il ne promet rien.
— Yosh, on n’a qu’à dire qu’on se donne rendez-vous dans une heure devant chez moi ? Ça vous va ?
Endou partage son adresse, le groupe se disperse lentement. Ils sont plusieurs à devoir prévenir leurs parents, à vouloir se doucher et se changer aussi. Aki propose à Ichinose de passer chez elle pour poser ses affaires. Il y a assez de chambres vides à la pension pour qu’il puisse en prendre une et Kazeaki-san ne dira pas non. Quelques volontaires aident à ranger le matériel éparpillé, au final assez peu utilisé. Kazemaru rejoint Daburu, en train d’épousseter l’herbe sur ses vêtements. Le commis relève la tête à son approche et lui laisse le soin de commencer la conversation. Il a quelque chose derrière la tête, non ? Kazemaru sourit et plonge ses mains dans ses poches sous la question muette, ses intentions dévoilées au grand jour.
— Je me demandais… Comme pour l’Honoo no Kazamidori… Tu as une piste de comment ils pourraient réussir le Tri-Pegasus ?
Malgré sa question bancale, pleine de suppositions et de semi-certitudes, il sait qu’il a touché juste à l’étincelle qui passe dans les yeux bleus.
— Eh… peut-être mais… pas encore. Pas tout à fait.
Un peu de patience, dans le temps qui leur est compté. Kazemaru accueille la réponse d’un signe de la tête. Endou, les jambes plus assurées, passe à côté d’eux pour récupérer un ballon abandonné.
— Dis, Daburu ! Tu viendras ?
— Je… hésite le commis d’Hibiki.
Kazemaru vole à son secours tandis qu’il grimace et recule d’un pas.
— C’est ok si tu ne viens pas, si tu n’en as pas envie. Tu n’as pas à te sentir obligé, ce sera pour une autre fois.
— Hum… Une autre fois, peut-être.
Daburu acquiesce avec soulagement et, avant qu’Endou ne puisse tenter de le retenir, s’éclipse.
Notes:
Aki et Domon ont toutes les raisons du monde de ne pas lui pardonner immédiatement.
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Chapter 42: À chaque jour suffit sa lumière
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
— Tu es sûre que tu ne veux pas aller chez Endou ?
Suki ferme les yeux, enfonce un peu plus profondément ses mains dans ses poches. Il y a longtemps que ce qu’elle fait n’est plus une question d’envie. Elle sait bien qu’Hibiki espérait qu’elle se change les idées, au moins pour la soirée, après qu’elle lui ait raconté les évènements de la journée. Eh, il aurait préféré ça à ce qu’elle se rende, une fois de plus, à l’hôpital. Lorsqu’elle rouvre les yeux sur la façade devenue familière, Suki s’efforce de souffler lentement. Il n’a pas essayé de la dissuader. C’est un combat perdu d’avance. Il l’a seulement enjointe silencieusement à faire attention. Elle lui a promis d’un sourire qui a soulevé ses lèvres sans allumer ses yeux. Toute trace s’en efface lorsqu’elle passe la baie vitrée.
— Zeus a atteint les demi-finales, annonce sombrement Sakuma.
Kidou hoche la tête. Il sait. Haruna lui a envoyé un message pour l’en informer tout à l’heure, quand ils étaient en chemin avec Gouenji. Ils se sont séparés dans les escaliers, Gouenji a grimpé un étage supplémentaire jusqu’à la chambre de sa sœur. Il doit certainement être parti maintenant, alors que lui, après être passé par les chambres de chacun de ses camarades de la Teikoku Gakuen, s’attarde auprès de Sakuma et de Genda. On lui a fait comprendre que les heures de visite sont terminées mais il ne peut se résoudre à s’en aller. Depuis son dernier passage, les machines entourant les lits de ses amis ont réduit en nombre et le tableau est moins impressionnant. Les médecins sont optimistes, cependant la convalescence prendra encore du temps. Leurs progrès ne suffisent pas à effacer la culpabilité qui ronge Kidou. Lui, tout ce qu’il voit, ce sont les perfusions reliées aux bras de ses amis, leurs bandages, leur absence à ses côtés.
— Je les ferai tomber.
Kidou renouvelle sa promesse, la voix brûlante. Redressé en position assise, le dos calé contre ses oreillers, Genda tend son poing.
— On compte sur toi.
Kidou plaque ses phalanges contre les siennes. La colère et la peine bouillent dans son ventre en sentant le tremblement incontrôlable de celles de son ami. Les bandes orange qui ornent les joues de ce dernier ont pâli, presque effacées. Kidou masque son trouble comme il peut en tapant le poing de Sakuma. Eh, il les vengera et portera leurs espoirs. Son portable vibre dans sa poche. C’est Haruna, elle lui demande où il est.
— Je dois y aller. Reposez-vous.
Une ombre passe dans l’œil visible de Sakuma. Ce n’est pas comme s’ils avaient le choix. Même s’ils ne sont plus assommés par les antidouleurs toute la journée, la fatigue les prend souvent par traîtrise et ils n’ont toujours pas le droit de se lever. La porte de leur chambre coulisse dans le dos de Kidou lorsqu’il la tire, répondant à sa sœur de l’autre main. Quelque chose lui fait relever la tête. Un pressentiment, la sensation d’être observé. Mais il est seul dans les couloirs que seules les lumières de sécurité éclairent. Après un instant d’hésitation, il presse son doigt sur le bouton d’envoi, reprend son chemin. J’arrive.
Le dos collé au mur, Suki s’écrase dans l’ombre, le cœur battant à tout rompre. Elle se maudit de son imprudence. Elle connaît toutes les habitudes de visite de Shuuya, elle sait que Kidou vient voir ses anciens coéquipiers, mais l’idée qu’elle risquait de le croiser ne lui a pas traversé l’esprit un seul instant. Heureusement, il est parti de l’autre côté sans la voir. Ça s’est joué à une poignée de secondes. Suki s’ébroue, reprend ses esprits et sa progression vers l’étage supérieur. Elle reviendra tout à l’heure.
La présence de Shuuya imprègne chaque recoin de la chambre de Yuuka. Les fleurs ont été changées, des peluches se sont ajoutées à la collection qui orne la commode. Un sourire nostalgique, triste, aux lèvres, Suki passe son doigt sur la crinière d’un petit lion avec une oreille en moins avant de s’asseoir auprès de Yuuka. La chambre est plongée dans la pénombre, prête pour la nuit qui s’annonce. Au visage paisible de l’enfant, Suki pourrait croire qu’elle est juste endormie, après que son frère lui ait lu le conte sur la table de nuit. Il fait trop sombre pour en déchiffrer le titre toutefois elle reconnaît l’illustration sur la couverture. Son adaptation en dessin animé est le film favori de Yuuka. Encore aujourd’hui, Suki peut en réciter les répliques par cœur.
— Elle peut rester dormir ce soir si vous voulez.
De nombreuses fois, Fuku-san a fait la proposition à Tia lorsque cette dernière appelait pour prévenir qu’elle serait en retard. À chaque fois Tia a refusé. C’est gentil, mais… Une autre fois peut-être. Et avec la jalousie d’une louve, elle est toujours venue récupérer sa protégée. Aujourd’hui ne fera pas exception à la règle. Fuku-san raccroche et jette un œil par l’encadrement de la porte. Le salon n’est éclairé que par la télévision. Son écran projette des couleurs changeantes au gré des actions qui défilent sur le visage de ses spectateurs. Ceux-ci disparaissent sous les coussins et les plaids. Difficile de dire qui s’appuie sur qui tant ils s’empilent les uns sur les autres. Captivés par l’histoire, retenant leurs souffles lorsque la tension monte, riant de concert lorsqu’elle retombe, ils ne font pas attention à elle.
Le film est terminé. Tia n’est toujours pas arrivée. Comme c’est le weekend et que Monsieur n’est pas là, ils ont eu l’autorisation d’en commencer un autre. Si Shuuya et Suki avaient réussi à choisir le premier, Yuuka a obtenu gain de cause pour le second. Avec une excitation non feinte, elle a regardé Fuku-san glisser la cassette, usée par les nombreux visionnages, dans le lecteur et lancer le film. Malgré la fatigue qui s’installe, l’enfant continue de déclamer tous les dialogues avec une seconde d’avance, au plus grand désarroi de son frère et de Suki qui ne parviennent pas à la faire taire. C’est pourtant elle, alors qu’ils délaissent la compréhension de l’intrigue pour profiter des musiques et des images, qui cède en premier. La tête sur le torse de son frère, les jambes en travers de celles de Suki, elle a ramené son pouce dans sa bouche et marmonne dans son sommeil. Les deux autres piquent aussi du nez. À intervalles réguliers, le menton de Suki glisse de sa paume, la réveillant en sursaut, court répit avant la fois suivante.
— Encore merci. Je suis vraiment désolée…
Fuku-san écarte d’un mouvement de tête l’excuse chuchotée de Tia. Cette dernière a toqué du bout des doigts et se glisse dans la maison sans un bruit. Elle suit Fuku-san à pas de velours jusqu’au salon. La télé est éteinte. Trois têtes dépassent des plaids, ainsi qu’une paire de pieds désharmonisés, sans savoir à qui ils appartiennent. Tia s’approche et reste un instant immobile devant Suki, endormie, paisible. La bouche entrouverte, étalée de tout son long, elle fronce le nez quand le pied de Yuuka frôle son oreille. Avec délicatesse, Tia défait le méli-mélo des corps et soulève sa protégée dans ses bras. L’enfant se blottit contre elle sans se réveiller. Fuku-san la recouvre de son manteau et les raccompagne jusqu’à l’entrée. Au moment où elles vont partir, Fuku-san renouvelle encore, l’air de rien, son offre. Aujourd’hui, Tia hésite un peu plus longtemps. Elle verra la prochaine fois…
Quand Tia tourne la clé dans la serrure, Suki remue, referme ses poings sur les pans de sa veste, blottit son nez dans le creux de son cou et soupire sans ouvrir les yeux. Tia traverse l’appartement plongé dans l’obscurité à tâtons et la glisse dans son lit. Aussitôt, Suki se tourne de l’autre côté, replie ses jambes contre sa poitrine tandis que Tia remonte le drap. Au lieu de quitter la pièce, elle l’observe un long moment. Où ses rêves l’emmènent-elles ? Dans des contrées, elle espère, dénuées des cauchemars qui ont hanté ses nuits des mois durant, la réveillant en sueur, hurlant, en larmes. Des mois pendant lesquels elle l’a consolée de longues heures, la berçant jusqu’à ce qu’elle sombre à nouveau dans un demi-sommeil agité. Elle soupire. Voilà plusieurs semaines que ses nuits sont à nouveau calmes. Si ces petits arrivent à offrir à Suki un sommeil épargné par la tourmente alors… alors oui, peut-être qu’elle n’a pas à craindre de la laisser dormir chez eux.
Kidou a trouvé l’adresse sans difficulté mais reste immobile dans l’allée. Les fenêtres laissent deviner en ombre chinoise l’agitation qui règne à l’étage. Quand il toque enfin, il attend quelques secondes avant d’entrer et a un mouvement de recul devant l’empilement chaotique de chaussures dans le genkan. Les siennes les rejoignent, pairées et alignées contre le bord. Deux pas l’amènent devant une porte entrouverte d’où proviennent des voix et des odeurs qui s’emmêlent. Dans la cuisine s’activent celle qu’il devine être la mère d’Endou ainsi qu’Haruna et Gouenji. Sa sœur lui fait signe dès qu’elle le repère. La mère d’Endou le salue, il se présente, demande :
— Je peux donner un coup de main ?
— Humhum, on a presque fini. Monte rejoindre les autres, va.
Gouenji confirme d’un signe de tête, Haruna l’encourage d’un sourire. Kidou s’engage dans l’escalier, s’arrête au milieu des marches pour tendre l’oreille. En haut, ça rigole et ça parle fort. Les éclats de rire, lumineux, l’attirent jusque devant la porte de la chambre d’Endou. La main sur la poignée, Kidou s’arrête une dernière fois. Pour ce soir, il peut profiter et se laisser porter. Pour ce soir, il peut oublier Zeus. Ses doigts se crispent, se détendent. Et une ovation l’accueille lorsqu’il pénètre dans la pièce.
Suki se redresse en sursaut, bat des paupières. Dans la pénombre, elle s’est laissé surprendre par le sommeil. Elle essuie sa joue, vérifie son béret avant de se lever. Yuuka ne bouge pas quand elle regagne le couloir. Il fait désormais noir dehors, l’hôpital est plongé dans la ouate des heures où tout le monde dort, même le petit soleil rieur. À pas de loup, Suki descend d’un étage. Tandis qu’elle avance entre les chambres, ses poils se hérissent sur ses bras. Le frisson qui remonte sa colonne vertébrale est désagréable, mais moins qu’il y a cinq jours. L’énergie poisseuse, malade, qui étouffe les auras des joueurs de la Teikoku Gakuen commence seulement à s’essouffler. Suki s’arrête de longues secondes à écouter. Écouter la nuit, le silence, les respirations paisibles et les bips des appareils. Et quand elle est sûre qu’il n’y a plus qu'elle d’éveillée, elle entre dans la première chambre.
Combien d’heures ont passé ? La nuit, le temps ne s’écoule pas de la même manière. Suki en a perdu le compte. Elle navigue de chambre en chambre, de chevet en chevet, profite de l’interlude du couloir pour frotter ses bras frigorifiés et arrêter ses dents de claquer. C’est la dernière. La dernière et elle rentrera s’effondrer dans son lit en espérant que la fatigue lui fasse la mansuétude d’un sommeil sans rêve. Elle souffle, secoue les doigts pour évacuer la tension, entre.
— Hey…
C’est stupide, ils ne peuvent pas l’entendre, pourtant elle a pris l’habitude de les saluer quand elle arrive comme lorsqu’elle part. Les lueurs des écrans des moniteurs laissent tout juste deviner le contour des objets et des silhouettes allongées. Elle n’a pas besoin de plus pour traverser la pièce. L’un des joueurs soupire, s’agite, tandis qu’elle tire le tabouret, rangé depuis la dernière fois. Quand elle se retourne, il est redressé sur un coude.
— Qui… qui es-tu ?
***
Aki et Ichinose marchent devant et ne parlent pas plus que Kidou et Domon, quelques mètres derrière eux. La manageuse leur a proposé de passer la nuit à la pension familiale quand ils se sont aperçus qu’ils avaient raté le dernier train. Elle a assuré que ça ne dérangerait pas. Ils ont accepté de bon cœur et la suivent dans les rues désertes. C’est pas loin, promis. Ils prennent leur temps. Domon regarde la buée qui s’échappe de leur bouche s’effacer dans les halos des lampadaires. Ses doigts cherchent son briquet au fond de ses poches sans qu’il ne le sorte.
— Kidou ?
— Hum ?
Domon garde les yeux levés vers le ciel, vers les étoiles invisibles dans la pollution lumineuse, conscient de ceux de son camarade posés sur lui.
— Merci.
Ça fait longtemps qu’il veut lui dire, même s’il ne le réalise que maintenant. Le silence surpris qu’il reçoit en retour l’encourage à continuer.
— Merci de m’avoir envoyé à Raimon. Ça a vraiment été… Je n’aurais jamais imaginé… Si j’avais continué à la Teikoku Gakuen…
Les pensées qu’il avait organisées s’emmêlent au moment de sortir. Cependant, une certitude le taraude jusqu’à lui donner la boule au ventre. La Teikoku Gakuen ne lui correspondait pas. Il y a été malheureux dès le premier jour où il y a mis les pieds et ça allait de pire en pire quand Kidou s’en est aperçu. Alors, lorsque le commandant a laissé entendre qu’ils devaient faire le nécessaire pour récolter le maximum d’informations sur Raimon, Kidou a proposé d’envoyer un espion. Lui. L’ancien capitaine écarte les remerciements d’un geste.
— Question d’efficacité. Comme prévu, tu t’es fait accepter très facilement.
Ils savent tous les deux que c’est un mensonge. C’était une question de survie. Domon sort les mains des poches pour les croiser derrière sa nuque, peu dupe. Devant eux, Aki et Ichinose ont tourné à l’intersection. Ils devraient accélérer pour les rattraper, pourtant ils n’en font rien. En moins d’un mois, loin de la pression de la Teikoku Gakuen, entouré par les membres de Raimon, Domon a retrouvé son entrain. Si Kidou savait toutes les cicatrices que cachent son sourire. Une ombre passe dans le regard de Domon.
— Daburu n’est pas venu.
Kidou a du mal à saisir le cheminement de ses pensées, mais acquiesce. Eh, il a remarqué lui aussi l’absence du commis.
— Il vient pas souvent, détaille Domon. C’est dommage, les entraînements sont sympas quand il est là.
Kidou repense à sa présence silencieuse de la journée, aux notes qui couvrent des pages entières, tandis que Domon repart dans ses pensées. Avec la nuit est revenue l’obscurité. Pourtant celle que Domon redoute garde ses distances. Elle ne s’est pas abattue sur lui pour l’y noyer. Pas encore. Eh… aujourd’hui était lumineux…
— Tu as dit quelque chose ?
Domon fait signe à Kidou que ce n’est rien. Là-bas, Aki et Ichinose se sont arrêtés sous le proche, dans la lumière. Dans leur lumière, dans celle d’Ichinose. Domon veut encore s’y accrocher, au moins quelques heures, quitte à s’y brûler. Si la lumière ne peut exister sans ténèbres, il veut croire que l’inverse est aussi vrai. À chaque jour suffit sa lumière.
***
Pourquoi est-ce qu’elle n’est pas surprise en apercevant le rai de lumière sous la porte du Rairaiken ? Dans des gestes devenus automatismes, Suki traverse la réserve, prend place sur le tabouret en bout de comptoir. Hibiki pose devant elle le bol de soupe qu’il a gardé au chaud. Perdue dans ses pensées, elle remue lentement le liquide, n’écoute le restaurateur que d’une oreille. Il suppose qu’elle n’est pas passée chez Endou, malgré son retour plus tardif que d’habitude.
— Hum…
Il arrête d’essuyer le comptoir et la dévisage, le visage soudain grave.
— Il s’est passé quelque chose ?
— … Eh.
— C’est grave ? Kage… ? s’alarme-t-il, l’affolement faisant gronder sa voix.
Suki secoue la tête, l’interrompt.
— Non… non, ne t’inquiète pas, c’est… c’est plutôt…
Hibiki doit encore patienter longtemps avant qu’elle ne déroule le fil de ses pensées et ne s’explique, à demi-mots qui mettent sa patience à l’épreuve. Sakuma s’est réveillé. Genda aussi. L’absence de panique de sa protégée tempère celle de Hibiki. À moins que ce ne soit la fatigue qui empêche Suki de pleinement réaliser. Elle se passe une main sur le visage, repense à la manière dont Sakuma la fixait en posant sa main par-dessus son bandeau malgré l’obscurité, comme si elle éblouissait son œil invisible. Ils n’ont appelé personne, ils n’ont pas allumé la lumière. Ils ne l’ont pas vraiment vue, pas plus qu’ils ont insisté lorsqu’elle a botté en touche quand ils lui ont demandé son nom. Elle n’est même pas certaine qu’ils se souviennent de quoi que ce soit lorsqu’ils se réveilleront demain, entre les anti-douleurs et les sédatifs. Elle a un semblant de sourire avec un mouvement d’épaules.
— On a… on a parlé. C’est inattendu.
Son récit décousu s’arrête là, en suspens, alors qu’elle replonge dans ses pensées. Hibiki s’approche, l’attire doucement contre lui et lui frotte le dos. Épuisée, elle se laisse faire. Il ne peut pas dire qu’il soit rassuré, mais il lui fait confiance. Toujours. Et puis, c’est la première fois depuis le match entre Zeus et la Teikoku qu’elle ne revient pas de l’hôpital en larmes.
Notes:
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Chapter 43: Celle qui abolit les distances
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Le lendemain, ils sont tous là bien avant l’heure du rendez-vous. Les plus matinaux ont dû attendre que Furubaku – surpris de les trouver devant le collège aussi tôt un dimanche – leur ouvre le portail. La valise au milieu des chaussures et des sacs éparpillés autour du banc leur rappelle que le temps leur est compté. Pas question de perdre une seule seconde. À la fin de l’après-midi, Ichinose s’envolera pour les États-Unis. Les quelques heures devant eux sont les dernières dont ils disposent, et leurs yeux embrumés par le sommeil, leurs cheveux encore en bataille sont les témoins de leur nuit trop brève. Qu’importe. L’excitation prend le pas sur la fatigue tandis que le trio se positionne sur le terrain. Leur public les encourage. Au centre, Ichinose pose le ballon avec gravité – ils doivent réussir – et sourit – il sait qu’ils vont réussir. Ils vont compléter le Tri-Pegasus, tous les trois. De part et d’autre, Endou et Domon acquiescent – ils sont prêts. À son signal, ils s’élancent.
— Go !
***
La matinée défile à une vitesse affolante et les essais s’enchaînent, autant d’échecs dont ils se relèvent aussitôt. Et ils recommencent dans la foulée. C’est à peine s’ils se sont accordés de trop courtes pauses pour reprendre leur souffle, pour boire un coup. Leurs camarades les forcent à s’arrêter à midi. Assis dans l’herbe avec des bentos, les adolescents offrent leur visage au soleil. L’astre chasse le froid piquant matinal à mesure de sa course à travers le ciel. Mais, même là, ils ne peuvent pas s’arrêter, débriefant leurs ressentis des dernières tentatives, les impressions de leurs spectateurs. Ichinose pointe leurs traces de ses baguettes.
— Nos trajectoires se coupent toujours pas en un seul point, mais le triangle se rétrécit, on est sur la bonne voie.
— Eh ! renchérit Endou. Le pégase reste de plus en plus longtemps, neh ?
— Yup, mais toujours pas assez pour nous permettre de l’approcher, soupire Ichinose.
Domon les observe. Plus il les regarde, plus il les écoute, plus leur ressemblance est flagrante. Leur lumière. Celle d’Ichinose n’a pas disparu pendant la nuit, elle était toujours là quand ils se sont levés à la pension. Ichinose était toujours là. Ce n’était pas un rêve. Alors peut-être a-t-il le droit d’y croire. Domon cherche Daburu, s’aperçoit que le commis les scrute également, ses notes en équilibre sur ses genoux. Il joue avec son crayon entre ses doigts, se mord la joue, ouvre la bouche et, sous l’invitation muette de Domon qui ne l’a pas lâché du regard, se lance :
— J’ai peut-être une idée.
Ichinose ne comprend pas tout de suite le soudain intérêt du groupe, le silence respectueux en attendant que le garçon qu’il a vu s’installer dans la pelouse tout à l’heure développe. Kazemaru sourit, Kidou dévisage Daburu plus longtemps que les autres quand ce dernier reprend la parole.
— C’est compliqué sans avoir vu la technique originelle, admet-il, mais… en changeant l’ordre avec lequel vous vous croisez…
Il pose sa plaquette par terre, trace sur la feuille blanche trois traits en les nommant.
— Ichinose, Domon et Endou en dernier. Si… si vous inversez, Endou et Domon, ça réduira l’écart.
Endou se gratte l’arrière du crâne, perplexe.
— Ça ne risque pas d’aggraver le problème au contraire ? Je veux dire… je suis déjà en retard, que je sois en dernier compense en partie, non ? Si je passe avant Domon, je vais le retarder.
Daburu secoue la tête, survole le papier de son crayon sans appuyer, le temps de formuler ce qu’il veut exprimer. Parvenu à la même conclusion qu’Endou, Kidou cherche ce que le commis a compris et qui leur échappe. La frustration de ne pas trouver les bons mots passe sur le visage de celui-ci. Il joue avec son stylo, s’agite sous toute l’attention qui pèse sur lui.
— Tu as plus de mal à t’accorder, finit-il par expliquer. En t’intercalant au milieu, tu t’appuieras sur eux et…
— La différence se résorbera ! s’exclame Ichinose en bondissant sur ses pieds, frappant du poing dans sa paume.
Le cheminement de ses pensées a suivi celui de Daburu qui approuve. Kidou objecte :
— Endou ne peut pas juste partir plus tôt ?
— Hmmhmm, j’ai l’intuition que les départs doivent être synchronisés pour que ça marche.
Domon et Ichinose se concertent avec Aki. C’est trop loin pour qu’ils s’en souviennent parfaitement, et puis, à l’époque, ils n’y réfléchissaient pas autant, mais ça colle. Ichinose remercie Daburu et, désormais surexcité à l’idée de tester la proposition, tend les mains à Endou et Domon qui les saisissent sans réfléchir.
— Yosh, faut qu’on essaie !
— Eh, attendez au moins d’avoir fini de manger ! les retient Natsumi avant de soupirer.
Peine perdue. Le trio est déjà dans le rond central avec un ballon que Domon récupère au passage. Les spectateurs se positionnent pour faire face au terrain, leurs bentos en guise de popcorn. Daburu hésite un instant à s’éloigner du cœur du groupe avant de renoncer et de rester là où il est. Il écarte les remerciements d’un haussement d’épaules. Rien ne dit que ça marchera, ils devraient attendre avant de crier victoire. Kazemaru objecte. Peu importe si ça marche ou pas, il les a aidés, c’est ce qui compte. Le commis n’a rien à répondre à cela et détourne le regard en ramenant ses genoux contre sa poitrine. Non sans croiser brièvement au passage celui de Kidou. Le top départ d’Ichinose empêche celui-ci de s’attarder sur l’étincelle qu’il a aperçue dans ses yeux.
***
Suki jette un œil à l’heure, pince les lèvres. Il leur reste trois tentatives, quatre maximum. Au fil de l’après-midi, le triangle de leur imprécision s’est réduit comme peau de chagrin et elle n’a plus eu d’excuse pour repousser leurs compliments. Le trio peut désormais se tenir près du pégase sans que celui-ci ne l’envoie valser d’une ruade avant de lui échapper. Le tour est cependant loin d’être joué. Maintenant vient la dernière étape, celle de dompter l’animal. Pour ce faire, les garçons s’élèvent dans les airs autour du cheval ailé, hennissant et bondissant, et approchent du ballon à travers les bourrasques enflammées. Mais avant qu’ils n’enferment dans le cuir la puissance de leurs énergies conjuguées, d’un claquement de sabot, le pégase soulève des tempêtes et se sauve. Les joueurs roulent alors en arrière, mettant à chaque fois plus longtemps à se relever. Même Endou marque un temps d’arrêt. Il est encore et toujours en retard, même s’il y a du mieux. En même temps, Domon et Ichinose se connaissent depuis l’enfance, ils ont grandi ensemble, se comprennent sans un mot, partagent les mêmes souvenirs. Difficile pour le gardien de Raimon de combler la distance en même pas deux jours. Toutefois, leur volonté est intacte et aucun d’entre eux n’a l’intention d’abandonner. Hors de question de se séparer en gardant le goût amer de la défaite. Domon tend la main à Ichinose.
— Si près du but !
— On a encore du temps, répond son ami.
Plus beaucoup. Ils prennent juste celui de souffler et comptent bien utiliser jusqu’à la dernière seconde. Endou saisit le ballon tendu par Kageno, le défi brillant dans son regard malgré son épuisement.
— Encore un !
— Je ne comprends pas pourquoi ils mettent autant d’énergie pour une technique qu’ils ne pourront jamais utiliser, s’interroge Haruna à mi-voix alors que le trio échoue et que le décompte de leurs chances se réduit encore.
Aki sourit sans quitter le terrain du regard.
— Il n’y a pas besoin de raison. Même si Endou-kun est gardien et Ichinose-kun va repartir, ce n’est pas important. Ils en ont envie, c’est leur manière à eux de partager ce qu’ils ressentent et… c’est beau, non ?
L’image des trois garçons, suants, pantelants, prêts à repartir, s’imprime sur la rétine d’Aki. Elle se superpose à une autre, un souvenir aux couleurs du passé. C’était les mêmes – ou presque – le jour où ils ont libéré le pégase pour la première fois. À l’époque aussi, ils avaient eu du mal à se synchroniser. Ils y avaient passé des journées entières et elle les regardait, impuissante, depuis le bord du terrain. Jusqu’au moment où…
— Aki-san ?
Kabeyama et les autres premières années s’inquiètent de la voir s’avancer vers les trois joueurs qui suspendent leurs gestes. La manageuse leur sourit avec un clin d’œil.
— Je me souviens maintenant. Je sais comment faire pour qu’ils réussissent.
Elle se plante devant Endou, Domon et Ichinose.
— Qu’est-ce que…
— Je serai votre repère.
Elle répète dans le silence incrédule qui s’abat sur le terrain et ses abords :
— Je me tiendrai là et je vous servirai de point de repère pour que vous sachiez où vous croiser.
— C’est dangereux ! proteste Kabeyama sans la faire frémir.
— Tout ira bien. Je leur fais confiance.
— Aki…
Ichinose s’approche, l’indécision flagrante sur son visage. Il cherche l’appui de Domon pour dissuader leur amie de cette folie. Celui-ci secoue la tête, aussi perdu que lui, impuissant. Endou regarde tour à tour les trois amis. Kabeyama a raison, c’est dangereux, pourtant… Il sourit à celle avec qui il a fait revivre le club du collège, celle qui est devenue son amie, celle sur qui il sait qu’il peut toujours compter.
— Je te fais confiance, Aki.
— Cap’taine ! Si elle se tient aussi près et que vous échouez…
Endou n’a pas la prétention d’effacer les inquiétudes de Kurimatsu, mais il peut lui promettre :
— C’est pourquoi nous allons réussir ! Puisqu’elle croit en nous, c’est obligé, neh, Ichinose, Domon ? Quand quelqu’un croit en toi de tout son cœur…
— Prouve-lui que tu es capable de réussir, eh ? complète Ichinose sans pouvoir se retenir.
Domon se frotte les cheveux, les ébouriffant en une auréole grise autour de sa tête, aussi désabusé qu’émerveillé :
— C’est la même chose que la toute première fois où on a réussi le Tri-Pegasus…
Ichinose approuve, une lueur dans le regard. Aki s’était positionnée au point d’intersection. Et l’hissatsu technique était née. Il est là, le point de bascule, l’instant crucial, celui où le passé rattrape le présent, où les deux se confondent. À l’époque déjà, ils avaient émis des réserves, craignant pour sa sécurité et, parce qu’elle croyait en eux, Ichinose et les autres avaient accepté, avec les mêmes mots qu’Endou à l’instant. Quand quelqu’un croit en toi de tout son cœur, prouve-lui que tu es capable de réussir. Les garçons interrogent Aki du regard. Avec détermination, elle hoche la tête et sans que personne n’ose plus l’interrompre, elle se positionne au centre du terrain.
— On n’a qu’une seule chance, les gars. Compris ?
Les trois garçons s’alignent en face d’Aki. La texture de l’air a changé, pourtant, la voix d’Ichinose est dénuée d’appréhension. Ils n’échoueront pas. C’est impossible.
— Eh !
Les deux autres sont concentrés. La fébrilité qui étreignait leurs spectateurs s’est modifiée elle aussi. Kurimatsu, Kabeyama, Shishido et Shourinji échangent à mi-voix, Kageno et Megane fouillent dans un sac pendant que le trio se prépare. Un seul essai.
— Tu crois que ça peut marcher ? demande Kazemaru.
Suki prend le temps de considérer Endou, Ichinose et Domon dans le rond central. Ils retiennent tous leur souffle et le silence est tel qu’elle peut entendre leurs cœurs battre à l’unisson.
— Eh. Ça va marcher.
Les pulsations de leurs auras s’alignent et, au cri d’Ichinose, se mettent en mouvement.
Les voir foncer vers elle à pleine vitesse est impressionnant. Aki puise dans sa détermination et la confiance qu’elle a en eux pour ne pas bouger. Elle l’a déjà fait par le passé, elle le fera aujourd’hui aussi et le pégase déploiera ses ailes. Dans deux foulées, ils sont sur elle. Elle se retient de fermer les yeux, crispe ses doigts sur le bas de sa veste. Au moment de se croiser, ils la frôlent. À l’époque, elle les avait guidés. Elle était le lien entre eux, l’histoire se répète. Elle est celle qui abolit les distances. Du point unique d’intersection, les flammes jaillissent, plus lumineuses que lors de tous leurs précédents essais réunis. Le vent brûlant lui fouette le visage, fait claquer ses vêtements. Aki esquisse un mouvement de recul, lève ses bras mais la chaleur diminue. Devant elle se dressent les premières années, les bras écartés en protection face au brasier. Shishido lui sourit par-dessus son épaule et, ensemble, ils assistent à la matérialisation du pégase. Quand ce dernier hennit, ils savent que leurs camarades ont réussi.
Le claquement des ailes soulève le cuir de l’ouragan qu’il déclenche. Les garçons dérapent dans la terre battue, sautent pour le ballon. Du même élan, ils le frappent, auréolé de flammes incandescentes. Sous leurs crampons pulsent leurs puissances, leurs énergies jointes pour n’en former plus qu’une. Et du même cri ils tirent.
— Alleeeez !
Le pégase ne peut plus se dérober. Il galope dans les airs, semant derrière lui des plumes de feu. Plus il approche des buts, plus il devient éblouissant. Lorsqu’il se dissipe avec un dernier souffle brûlant, un dernier hennissement bravache, lorsqu’ils se rétablissent de leur atterrissage hasardeux, lorsqu’ils voient le ballon au fond des cages et les filets qui tremblent encore, ils laissent exploser leur joie sans retenue. Ils l’ont fait ! Endou se jette dans les bras des deux autres, prend Aki avec lui dans leur étreinte.
— On a réussi, Endou ! Merci, Domon !
La voix d’Ichinose oscille quelque part entre l’incrédulité et l’exaltation.
— Eh… Comment c’était ? demande Domon, éblouit malgré ses paupières closes – lumineux, aujourd’hui est si lumineux.
— Merveilleux, chuchote Aki. Vous êtes merveilleux.
Coincée dans leurs bras réchauffés par le feu bleu, dans leur cocon de joie et de fierté, elle renonce à se libérer et éclate d’un mélange de rire et de larmes.
Suki est la seule à ne pas avoir bougé lorsque les flammes ont jailli. Un peu parce qu’elle retenait un mouvement instinctif de recul, surtout parce qu’elle a vu au travers qu’ils avaient réussi. Elle s’est brûlé les yeux sur l’union assourdissante de leurs énergies, elle a inspiré à plein poumons l’odeur de soufre. Matsuno et Handa se sont accrochés l’un à l’autre pour résister à l’onde de choc, Kidou a passé son bras autour des épaules de sa sœur. Puis l’inquiétude a laissé place à l’émerveillement en découvrant le cheval ailé traverser le terrain en un éclair.
Maintenant que l’hissatsu technique s’est dissipée, Kageno repose la trousse à pharmacie que Megane a fini par dénicher – au cas où – et plus rien ne retient les larmes qui menaçaient dans les yeux d’Endou lorsque ce dernier remarque la présence des premières années qui se sont discrètement écartés après avoir protégé Aki. Le capitaine serre Kurimatsu contre lui, submergé.
— Les gars… Merci.
Il s’essuie dans sa manche, en vain, et tombe dans les bras d’Ichinose lorsque celui-ci s'approche assez près. Le joueur étasunien lui tapote le dos, fait redoubler ses sanglots de joie quand il ajoute :
— Endou, je suis vraiment content de vous avoir rencontrés.
En remettant en place la barrette qui retient ses cheveux, Aki sourit à Domon qui dissimule bien mal son émotion, l’incite d’un signe de la tête. Maladroitement, Domon se joint aux deux autres, les enveloppant de ses longs bras sous les rires émus de leur public. Ils auraient pu continuer ainsi longtemps si Haruna n’avait pas sursauté, affolée :
— Ichinose ! Ton avion !
L’urgence qui s’empare du groupe en s’apercevant de l’heure ne peut pas effacer leur bonheur. Ils aident Ichinose à rassembler ses affaires, repoussent loin dans leurs esprits le moment où ils conscientiseront la séparation imminente. Le garçon fourre ses chaussures dans son sac, bondit sur ses pieds. Haruna signale que le taxi ne va pas tarder à arriver. Sa voix se casse un peu sur la fin. Ichinose attrape les mains d’Aki.
— Ton équipe est la meilleure !
Il sourit à chacun, plaque son poing contre ceux tendus. Il s’attarde plus longtemps contre celui d’Endou, plus longtemps encore contre les phalanges de Domon et est sur le point de dire quelque chose quand le taxi klaxonne. La magie de l’instant est rompue, il grimace en réalisant que…
— Il faut que j’aille aux toilettes.
— Suis-moi.
Le groupe s’écarte pour laisser passer Daburu, le premier à réagir, et Ichinose dans son sillage. Ils s’éloignent au pas de course vers le gymnase. Tandis que le taxi s’impatiente devant le portail, Kidou scrute la porte par laquelle ils ont disparu. Enfin, elle se rouvre, cependant ils ne sortent pas tout de suite. Dans l'entrebâillement, Ichinose écoute Daburu, saisit un papier qu’il lui tend et revient en courant. Une dernière salutation de deux doigts sur la tempe, une dernière poignée de main puis le taxi l’avale.
Lorsque le véhicule disparaît au coin de la rue et qu’ils baissent les mains qu’ils agitaient, ils restent silencieux, sonnés. Tout s’est passé si vite. Quand enfin ils sortent doucement de leur torpeur, Kidou cherche Daburu, sans le voir nulle part.
***
Après l’intensité des deux dernières journées, aucun d’entre eux n’a envie de retourner chez lui. À la place, ils étirent l’instant le plus longtemps possible dans un entraînement qui est plutôt une excuse pour rester encore ensemble. Personne n’y met beaucoup d’ardeur, ni dans leurs passes ni dans leurs tirs, perdus dans leurs pensées. Après une frappe de Someoka, Endou garde le ballon dans les mains, crispe ses gants dessus. C’est celui avec lequel ils ont réussi le Tri-Pegasus. Il reconnaît les brûlures et les accrocs sur le cuir. Comment peut-il être aussi vite nostalgique ?
— Il me manque à moi aussi…
Il n’a pas entendu Aki approcher. Il n’a pas la force d’étirer son sourire sur tout son visage comme d’habitude. Ichinose a surgi pour repartir aussitôt, retournant tout sur son passage et le vide qu’il laisse derrière lui est étonnamment grand. Il lève les yeux vers le ciel.
— Tu crois que c’est son avion ?
Aki regarde avec lui l’engin qui traverse le ciel au-dessus de leurs têtes, les autres les imitent.
— Eh. Peut-être.
Une étincelle revient dans les yeux d’Endou. Il cale le ballon sous un bras pour lever le poing en hurlant aux nuages, aux oiseaux, à leur ami dans la carcasse de métal :
— Eh ! Ichinose ! Jouons de nouveau ensemble un jour !
— Avec plaisir !
Endou se retourne si vite qu’il manque de s’étaler par terre et la balle lui échappe dans la manœuvre. Il doit se frotter les yeux, hésite à se pincer pour réaliser qu’il ne rêve pas. Se tient devant lui, appuyé sur sa valise, le sourire aux lèvres…
— … Ichinose ?!
— Hmmhmm. C’est la première fois depuis… depuis longtemps que je me suis senti aussi vivant. Je ne peux pas rentrer chez moi tout de suite. Si vous voulez bien de moi… Je veux jouer au foot avec vous, les gars !
Le groupe s’est resserré autour de lui, le souffle suspendu, attiré par sa présence sans oser le toucher pour vérifier que c’est bien lui.
— Tu vas rejoindre Raimon ? demande Endou sans oser y croire.
Pour toute réponse, Ichinose secoue le papier qu’il a dans la main. Endou identifie les formulaires d’inscription pour le collège et le club de foot. Kidou reconnait les papiers tendus par Daburu. Ichinose sourit.
— Il m’a dit que je pouvais prendre ma décision à tout moment. Mais qu’avant d’embarquer, c’était quand même mieux.
Les étoiles s’allument dans les yeux d’Endou et il se jette au cou d’Ichinose.
— Pour fêter ça… s’exclame-t-il, à brûle-pourpoint.
Ils explosent de rire, devinant à l’avance ce qui va suivre.
— … tous au Rairaiken !
Et personne ne s’y oppose.
***
Malgré l’heure tardive et les cours du lendemain, ils s’entassent tous dans le petit restaurant. Hibiki-san n’avait pas vraiment l’air surpris de les voir débarquer. Il a accueilli Ichinose avec une solide poignée de main que l’adolescent lui a rendue, ferme, dans un sourire éblouissant. Le restaurateur a entendu beaucoup de belles choses sur lui, c’est un plaisir de le rencontrer et de le compter dans l’équipe. L’officialisation du coach a déclenché une salve d’accolades, de rires. Eh, il est l’un des leurs. Ichinose s’est isolé un instant dehors pour confirmer sa décision à ses parents. Il les a eus tout à l’heure dans le taxi, juste avant d’arriver à l’aéroport où il a supplié le chauffeur d’attendre encore un peu. Ils ont compris ce qu’il leur a expliqué, ils ont accepté qu’il reste au Japon. Suis ton cœur, mon fils, lui a dit son père. À cet instant, ce dernier bat plus fort que jamais.
Aki a assuré qu’elle pouvait continuer de l’héberger à la pension et au bout du bar trônent ses papiers d’inscription. Coincé entre Someoka et Megane, Kidou n’a toujours pas réussi à demander à Daburu comment il a su. Plus tard. Pour l’heure, le commis est de l’autre côté du comptoir et s’active avec Hibiki pour remplir leurs bols vidés aussi sec.
Au milieu du brouhaha, Haruna manque de louper la discrète sonnerie de son portable. Pourtant, d’une phrase, elle ramène le silence :
— Notre prochain adversaire a été décidé. Ce sera Kidokawa Seishuu.
Entre Shourinji et Handa, Gouenji pâlit.
Notes:
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Chapter 44: Les règles qui régissent les probabilités sont absurdes et cruelles
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Quelles étaient les probabilités ? Les oreilles de Suki bourdonnent. Depuis la soirée d’ouverture du tournoi national, le nom lui parle. Rencontré par le passé, elle l’avait oublié jusqu’à ce qu’Haruna le mentionne, jusqu’à ce que Kidou se tourne vers Shuuya et que celui-ci confirme du bout des lèvres. Kidokawa Seishuu, l’école, le club pour lequel il jouait l’année dernière. Quelles étaient les probabilités qu’ils se rencontrent en demi-finale ?
Alors que les questions naissent chez ses camarades, Shuuya s’excuse et sort. Besoin de prendre l’air. L’heure et la fatigue poussent les autres à l’imiter dans la foulée pour rentrer chez eux. Tant pis pour la soirée d’accueil d’Ichinose, écourtée, ils célèbreront mieux son arrivée une autre fois. Le garçon a précieusement emporté ses papiers d’inscription. Demain, ils se retrouveront pour les cours, pour son premier vrai entraînement avec eux. Le silence revient dans le restaurant. Suki aide Hibiki à ranger, ses gestes poussés par la force de l’habitude, jusqu’à ce qu’il lui dise qu’il finira. Pendant qu’il essuie la vaisselle, elle s’assoit en tailleur sur l’un des tabourets et sort son carnet.
Depuis, elle couvre les pages des pensées se bousculant dans son esprit, de son écriture toute en rondeurs, en courbes et en déliés, qu’elle est la seule à lire et à écrire. Kidokawa Seishuu. Elle a entendu ce nom pour la première fois il y a presque un an, dans cette même salle, à la télévision. Le jour où, le temps d’une phrase d’un des commentateurs, sa route a recroisé par hasard celle de Shuuya. Le jour où Yuuka a eu son accident. Et aujourd’hui, leurs routes – la sienne, celles des adelphes – convergent à nouveau. Ses doigts se crispent sur le crayon. Et si… et si elle lui avouait la vérité ? Si elle quittait son masque, qu’elle arrêtait de mentir ? Si elle passait de l’autre côté du miroir ? L’envie lui a traversé l’esprit tout à l’heure. Le besoin. Et elle l’a regardé partir, pétrifiée sur place, impuissante. Elle se mord la lèvre, secoue la tête. C’est mieux comme ça. Alors pourquoi voit-elle flou ? Pourquoi est-ce que respirer lui fait mal ?
— Ça va, ma belle ?
Hibiki l’observe, attentif alors que son crayon est suspendu depuis une poignée de secondes – minutes ? – au-dessus de sa page.
— Hum… répond distraitement Suki.
— Tu devrais aller te coucher.
Il faudrait, oui, peut-être. Mais elle sait ce qui l’attend lorsqu’elle fermera les yeux. Alors elle ment.
— Je n’ai pas sommeil. Je vais aller voir…
— Non, l’interrompt Hibiki.
Il reprend plus doucement alors qu’elle se laisse glisser de son tabouret, approche ses mains de ses épaules sans la toucher.
— Non, tu ne vas nulle part ce soir. Tu es déjà assez éprouvée comme ça, ne t’inflige pas… ne t’inflige pas une épreuve supplémentaire. Je sais que tu veux faire pour le mieux, que tu veux les aider mais… sois égoïste, s’il te plaît. Pense à toi. Repose-toi. Reste avec moi ce soir.
Suki hésite, entrouvre la bouche pour protester avant de céder dans une moue et de se laisser aller contre lui. Il l’enveloppe dans son étreinte, elle se laisse guider jusqu’à son lit. Kibô bondit pour se lover contre elle tandis qu’Hibiki remonte les draps. Il pose le béret sur la table de nuit et attend qu’elle arrête de lutter pour garder les yeux ouverts avant de sortir à pas de velours. En tirant la porte, seules les pupilles du chat encore visibles, Hibiki récite les noms de tous les dieux qu’il connaît dans l’espoir qu’ils lui épargnent ses cauchemars.
***
Matsuno et Handa quittent le local en se chamaillant. Ils rejoignent Domon, arrivé sur le terrain en premier, et les autres qui se sont dépêchés de sortir à leur tour, impatients. Ne restent plus que Someoka, Endou et Gouenji dans la petite pièce. En retard, ils ne font pourtant pas mine de se presser.
— Hmmm… soupire Endou. De toutes les équipes, il fallait qu’on tombe sur Kidokawa Seishuu en demi-finale, eh…
— Si je devais changer d’école et jouer un match important contre Raimon… réfléchit Someoka. J’aimerais pas ça.
Gouenji noue ses lacets et se lève, laissant ses camarades derrière lui.
— Peu importe contre qui on va jouer. Sur le terrain, il n’y a que le football qui compte.
La crispation de son dos dément ses propos et ils le connaissent trop bien pour ne pas remarquer le changement, dissimulé comme il le peut, dans le ton de sa voix. Ils échangent un regard puis Endou sourit.
— C’est vrai. Sur le terrain, il n’y a que le football qui compte.
Il s’élance derrière Gouenji. Il ne peut pas changer le passé ni contre qui ils vont jouer, tout ce qu’il peut faire, c’est être là pour son ami. Ça, c’est dans ses cordes.
L’entraînement tourne autour de l’arrivée d’Ichinose, de celle de Kidou aussi. Celui-ci poursuit son travail de réglages minutieux, comme un horloger qui ajuste les mécanismes invisibles de l’équipe. C’est dur, plus que ce à quoi il s’attendait, de trouver l’équilibre entre la perfection qu’il vise et les particularités de ses coéquipiers avec lesquelles il doit composer. Ce ne sont pas ceux de la Teikoku Gakuen. Ils ne marchent pas au même pas, ne sont pas régis par les mêmes lois. Il n’a pas le droit de leur imposer sa cadence et doit accepter de changer autant qu’eux. Mais ce n’est pas le cœur de son attention aujourd’hui. Il connaissait déjà le jeu de Raimon, celui d’Ichinose le bluffe. S’intégrant dans l’équipe comme s’il en avait toujours fait partie, le nippo-étasunien s’adapte à chacun en un éclair, devine à l’avance où ils vont se trouver et millimètre ses passes. Si ses capacités motivent les autres à donner tout ce qu’ils ont en vue du match à la fin de la semaine, Kidou a envie de tester jusqu’où il peut aller, quelles nouvelles opportunités il ouvre à l’équipe. Alors il le pousse le plus loin possible, cherche ses retranchements, change sans cesse de combinaison de jeu.
— Yosh, tout droit, par les airs !
Ichinose réceptionne et s’exécute. Il envoie le ballon à la volée droit vers les cages, par-dessus la tête de Domon. Endou saute, réalise son erreur en apercevant Someoka. C’est un centre, pas une passe ! Le portier se rétablit d’une pirouette, repart avec un bond dans l’autre sens. Le boulet de canon de l’attaquant tape le bout de ses doigts avant de s’écraser dans les filets. Endou s’étale au sol tandis qu’Ichinose et Someoka célèbrent leur but.
— Joli tir !
— Ta passe était superbe ! rétorque Someoka avec un large sourire.
— Ichinose a un contrôle du ballon incroyable, vante Domon.
Le défenseur passe un bras autour du cou de son ami d’enfance. Ses camarades ne sont pas près de découvrir toute l’étendue de son talent et il s’emploiera à le leur répéter autant qu’il le faudra. Eux aussi, ils verront à quel point Ichinose brille.
— Thank you !
— Yooosh ! s’exclame Endou en se relevant, prêt à en découdre. Continuons comme ça, on va encore s’améliorer.
Ses coéquipiers se dispersent quand il fait mine de relancer le cuir.
— Par ici !
— Je les envie, parfois, soupire Aki, mélancolique.
La manageuse observe les joueurs évoluer à travers le terrain en riant, déroule le fil de ses pensées.
— En les regardant, ça a l’air si simple. Il suffit d’une passe et ils se comprennent instantanément. L’énergie… Savoir la sentir et la maîtriser… ça a l’air tellement génial.
— Hum ! Tu sais, Aki-san, répond Haruna, je crois que ça marche pour nous aussi, même si on n’est pas avec eux sur la pelouse, on est quand même à leurs côtés, neh ? Aux entraînements, mais surtout aux matchs… tu n’as pas l’impression d’être connectée avec eux ?
Pendant qu’Haruna et Aki partagent leurs ressentis, Suki tourne la tête vers l’opposé du terrain, où Hibiki surveille l’autre moitié de l’équipe. Parmi eux, Shuuya est en duel avec Kazemaru qui lutte âprement pour récupérer le ballon. Tellement génial, eh ? À cet instant, si elles savaient, elles n’envieraient pas le trouble qui ébranle l’aura de l’attaquant, le frisson que ça lui procure. Les doutes, les regrets, la peur, l’appréhension. Autant de maux dont elle ne peut le soulager. Eh… Sa bouche se plisse en une moue amère. Envieraient-elles l’impuissance qui la ronge ?
***
À la fin de l’entraînement, ils sont plusieurs à proposer d’aller au Rairaiken et le trajet est ponctué de rires et de douces moqueries. Exceptionnellement, Hibiki les laisse passer avec lui par derrière. Pendant que le patron accroche la devanture, Kidou étudie le ballet patiné par l’habitude des joueurs qui assistent Daburu pour descendre chaises et tabourets des tables. Puis les collégiens s’installent, les premières années d’un côté, les secondes de l’autre, sortent les cahiers de leurs sacs tandis que le commis passe derrière le comptoir. Kidou y prend place, invité par Endou. Là, celui-ci étale à son tour ses devoirs devant lui et l’ambiance se fait studieuse tandis qu’Hibiki et Daburu se lancent dans la préparation des ramens.
— Neh, Kidou, tu veux bien m’aider ?
Endou détourne l’attention du meneur de jeu qui accepte de se laisser happer par la nouvelle routine de Raimon qu’il découvre. C’est vrai que c’est plus agréable de travailler ici que seul dans le manoir trop vide et trop grand pour lui.
Sans que Kidou ne se rende compte du passage du temps, une odeur plus qu’alléchante a envahi la pièce. Hibiki a servi les premiers clients, ses protégés travaillent toujours, bavardant à voix basse. En attendant qu’Endou déroule ses calculs en frottant le bout de son crayon contre son bandeau, Kidou observe Matsuno accroupi près de la porte de la réserve qui tente d’amadouer le chat planté aux pieds des escaliers. Les oreilles pointues et les pompons du bonnet du garçon intéressent plus l’animal que ses appels, sans qu’il ne fasse mine de bouger.
— Il ne se laisse caresser que par Daburu, lui glisse Endou. Crois-moi, on a tous essayé. Si, une fois, Gouenji a réussi à l’approcher, et Max, un peu. Moi, il a juste essayé de me griffer, et il a craché sur Someoka…
Le regard de Kidou glisse sur les concernés, concentrés sur leurs cahiers, et s’arrête sur Daburu. Le commis a quitté les fourneaux pour s’installer au bout du comptoir avec un carnet et des piles de feuilles qu’il devine être les fiches du club.
— Ce chat est un ingrat, si vous voulez mon avis, philosophe Hibiki en posant un bol devant eux.
Kidou veut protester qu’il n’a rien commandé, reconnaît ce qu’il a pris la fois précédente et perd ses mots. Endou troque sans se faire prier son crayon pour ses baguettes, aspire aussitôt ses nouilles brûlantes. De son côté, Kidou attend que les siennes refroidissent et approche ses mains de son bol irradiant de chaleur sans le toucher. Il voudrait demander à Hibiki-san pourquoi il fait ça. À la place, il commence :
— Coach ?
— Hmm ? l’invite à poursuivre le restaurateur sans se détourner du bol qu’il dresse.
— J’aimerais discuter avec vous des changements que je pense indispensables aux entraînements afin de couvrir la préparation et le renforcement physiques nécessaires à l’équipe.
Et la rigueur. Ils manquent tellement de rigueur ! Quelque part, il se demande comment Raimon a réussi à avancer aussi loin dans la compétition. Sa tirade a longuement mûri dans son esprit tout le long de l’après-midi, presque trop mécanique pour être naturelle. D’un geste, d’un changement de posture, Kidou sent qu’il a l’attention d’Hibiki, celles de ses camarades les plus proches également. Il frotte le bout de son pouce pour dissiper sa nervosité et aucune trace n’en transparaît lorsqu’il poursuit :
— Les deux matchs qui nous attendent vont être les plus rudes du Football Frontier. Les équipes que l’on va affronter ne comptent plus une ou deux hissatsus techniques. Plus de la moitié des joueurs en ont à ce stade, si ce n’est tous. Nous ne pouvons pas nous permettre de faire preuve de la moindre faiblesse.
Le silence d’Hibiki l’intimide et Kidou est soulagé lorsque le restaurateur l’incite à élaborer. Eh, il a déjà quelques idées en tête.
Le coach écoute Kidou avec intérêt pendant qu’il liste ce qu’il considère comme les faiblesses de Raimon et de leurs entraînements malgré l'aide du centre Inabikari. Il lui demande même plusieurs fois des précisions sur ses propositions. Son hochement de tête lorsqu’il termine est l’approbation dont Kidou ignorait avoir besoin et les regards rivés sur son dos sont moins lourds à porter. Endou a fini son bol depuis longtemps, il a à peine touché au sien et les quelques autres clients sont partis.
— Daburu ? appelle Hibiki, faisant sursauter Kidou. Tu veux bien regarder avec Kidou s’il te plaît ?
Son commis lève ses yeux de ses fiches pour acquiescer. Kidou répond à son invitation à se rapprocher tandis que les conversations de ses camarades reprennent. En prenant place sur le tabouret à côté de Daburu, Kidou remarque le chat lové sur ses genoux. Celui-ci le fixe, avec au moins autant d’intensité que celle qu’il surprend parfois dans le regard du commis. Les avertissements d’Endou frais dans son esprit, Kidou se garde d’approcher la main. Daburu empile les fiches étalées devant lui pour dégager un coin de comptoir, en récupère certaines au passage.
— Ça… ce sont d’autres exercices. On peut les utiliser comme modèles. Si ça te va.
Kidou les parcourt et approuve, impressionné. C’est complet, avec même trois petits schémas gribouillés et, dans un coin, les groupes de rotation à privilégier. Une dernière fiche regroupe les séries d'étirements et d'exercices de respiration qui ont conclu chacun des entraînements auxquels il a participé. Daburu a déjà sorti une feuille vierge et attend.
— Par quoi on commence ?
— Ça me semble solide comme première base de travail.
Daburu opine distraitement. Pendant qu’il termine de reporter le dernier enchaînement que Kidou a expliqué, celui-ci passe les nouvelles fiches en revue. Il craignait que l’intensité de certaines séries soulève des réticences mais Daburu l’a plus d’une fois pris à défaut en proposant d’augmenter les répétitions. Ils en sont capables lui a-t-il assuré, et la possibilité que ça les effraie ne semble pas faire partie de ses considérations. Si Kidou lui fait confiance là-dessus, il ne peut cependant se défaire de ses réserves qui ont grandi au fur et à mesure qu’il réalisait que ce qu’il proposait se rapprochait beaucoup de ce qu’il faisait à la Teikoku Gakuen. Et si ça les rebutait ?
— Hmmhmm, ça va le faire.
Pour peu, Kidou croirait avoir rêvé. Pourtant il est persuadé d’avoir entendu Daburu répondre à la question qu’il n’a même pas posée, même si ce dernier semble plongé dans la relecture de ce qu’il a écrit, une main perdue dans les poils du chat. Hibiki ne lui est d’aucune aide face à son trouble lorsqu’il récupère son bol qu’il a enfin mangé et Domon, le dernier de ses camarades à l’avoir attendu, se contentera de hausser les épaules lorsqu’il lui posera la question tout à l’heure sur le trajet du retour. Eh, peut-être. Qui sait ?
***
Les coups de sifflet réguliers d’Haruna et les encouragements d’Aki rythment les secondes sur le chronomètre.
— Vous y êtes presque, encore un peu !
Les garçons se contentent de grimacer, incapables de prononcer le moindre mot. Au bout de quinze secondes – une éternité – un dernier sifflement, plus long que les autres, signale la fin de la série et ils s’effondrent tous avec le même soupir de soulagement. Endou roule sur le dos, remonte ses genoux contre sa poitrine en ignorant les décharges de protestation de ses abdominaux en feu. Qu’est-ce que ça fait mal… Ils ont enchaîné les exercices de renforcement physique, des sprints aux pompes, des fentes aux sauts de haies. Mais ce qui les a achevés, c’est le gainage de fin. Profitant de la pause largement méritée, les joueurs se relèvent, vont s’essuyer la nuque trempée de sueur, compenser la perte d’eau. Ils reprendront pour des ateliers avec ballon dans dix minutes.
Une ombre surplombe Endou. Quand il ouvre un œil, Kidou se tient au-dessus de lui, la main tendue. Le capitaine lui fait signe qu’il va rester encore à terre quelques secondes alors Kidou s’assoit à côté de lui, lui offrant une gourde au passage.
— Ça va ?
— Hum, ne t’inquiète pas !
Depuis la veille, Kidou oscille entre assurance et incertitude. Si c’était trop d’un coup ? Mais ils n’ont même pas une semaine avant le prochain match. Endou se claque le ventre en rigolant, regrette aussitôt.
— On n’a pas l’habitude, mais ça va venir. Même si c’est dur, on va y arriver, je sais qu’on en est capables !
Est-ce qu’il doit lui dire que c’est Daburu qui l’a incité à les repousser dans leurs limites ?
— J’ai quand même l’impression de dénaturer vos entraînements…
— Tu sais…
Endou se redresse en tailleur d’un seul élan, croise son regard, promène le sien sur leurs camarades.
— Depuis le début, on se débrouille, entre les carnets de mon grand-père et les souvenirs d’Hibiki-san, mais j’ai conscience que c’est du bricolage. Merci d’apporter ton expertise, je sens que ça va nous aider à évoluer encore plus loin.
La lucidité d’Endou déstabilise Kidou.
— Et puis… ça nous aide aussi à nous changer les idées.
Kidou pose à son tour ses yeux sur Gouenji dont le visage disparaît dans sa serviette. Une ombre passe sur celui d’Endou avant de s’illuminer à nouveau.
— Oh ! Et t’as pas encore eu l’occasion de venir faire un entraînement à la rivière ou à la tour. Tu verras, ce n’est pas du tout la même chose.
Kidou applique son poing contre celui, tendu, d’Endou. Domon lui en a parlé, eh. Il a hâte.
***
Un soir de plus, ils ont pris avec enthousiasme le chemin du restaurant d’Hibiki après les étirements, sur l’invitation de son propriétaire. Comme Gouenji s’est attardé sur le dernier atelier, Kidou et Endou sont restés avec lui en laissant les autres partir devant. Ils ont rassuré Aki, ils feront attention à bien fermer le local, promis. Malgré ses réticences, une fois changé, Gouenji s’est laissé convaincre de venir avec eux et ils prennent leur temps pour rejoindre le Rairaiken. Kidou joue un instant avec les clés avant de les glisser dans sa poche. Les mains dans les siennes, Gouenji avance le regard perdu dans les jeux de lumière dans les feuillages. Tout en marchant, Kidou relit ses notes sur Kidokawa Seishuu et révise la stratégie qu’ils devront adopter. Il fera un topo à toute l’équipe plus tard, mais ça le rassure.
— Endou, il faudra t’assurer que la défense soit bien rapprochée, explique-t-il. L’adversaire se concentrera essentiellement sur l’attaque.
Trois visages passent brièvement devant les yeux de Gouenji.
— Eh ! approuve le gardien. Notre arrière-garde sera bien occupée. J’ai tellement hâte !
— Nous devrons compter sur les contre-attaques pour aller chercher des points, poursuit Kidou. Gouenji, le moment où leur formation changera sera crucial.
— … Eh…
L’esprit ailleurs, il répond à moitié et Kidou et Endou échangent un regard inquiet. Puis Endou les devance pour marcher à reculons devant eux. Il claque dans ses mains.
— Yosh ! Prenons une pause dans cette réunion stratégique ! Les autres vont nous attendre.
— Je ne sais pas si ça a du sens de parler de pause… ni même de réunion stratégique…
Endou accueille le pragmatisme de Kidou avec une moue et croise les bras derrière la nuque. Ils traversent, arrêtant enfin de longer le muret du collège quand des exclamations moqueuses retentissent dans leur dos.
— Tiens tiens tiens… Mais ça ne serait pas…
— Oh mais oui. C’est Gouenji Shuuya.
— Ça faisait longtemps, neh, le déserteur ?
Notes:
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Chapter 45: Toutes les raisons d'être en colère
Notes:
(See the end of the chapter for notes.)
Chapter Text
Endou fait volte-face. Trois garçons se tiennent là-bas sur le trottoir, les poings sur les hanches et l’air goguenard. Presque identiques, de leurs uniformes aux lunettes teintées qui dissimulent partiellement leurs yeux en passant par leurs traits ou même la tonalité de leurs voix, ils se différencient par leurs coiffures et les couleurs – vert, bleu, rose – de ces dernières. Le visage de Gouenji se ferme.
— Tu les connais ? lui glisse Endou.
Il a beau chuchoter, les autres l’entendent tout de même et s’emparent de l’opportunité.
— Nous sommes…
— … Mukata Masaru, …
— … Tomo…
— … et Tsutomu !
— Les triplés Mukata ! concluent-ils en prenant la pose.
— Je me demande ce que font les attaquants de Kidokawa Seishuu à Inazuma, lâche Kidou, le ton neutre.
L’attention des trois frères converge vers lui. Une lueur aux accents de revanche et de défi brille dans leur regard en le reconnaissant.
— Pas étonnant, de la part de Kidou Yuuto. Je vois que le stratège de génie de la Teikoku Gakuen ne nous a pas oubliés.
— Mais on a progressé depuis notre match, l’année dernière, genre.
— Alors considérez désormais Kidokawa Seishuu comme la meilleure équipe du monde. Elle a trois attaquants qui sont tous meilleurs que Gouenji, après tout.
Leur manière d’enchaîner les phrases donne le tournis à Endou. Il a déjà oublié le nom de chacun. Il sait juste que leur ton et leurs propos lui déplaisent. Ça lui gratte le ventre et hérisse les poils de ses bras. La sensation s’amplifie quand ils s’adressent directement à Gouenji.
— Comme notre adversaire des demi-finales est Raimon, on voulait venir saluer le lâche.
— Et t’annoncer quelque chose. Gouenji Shuuya…
— On va t’écraser !
Entre ses amis, Gouenji se tend, muet depuis leur apparition.
— Qu’est-ce que vous racontez ? éclate Endou, parvenu au bout de sa retenue. C’est quoi votre problème ?
— Notre problème ? On a un compte à régler avec Gouenji Shuuya, genre.
— Le lâche sait très bien de quoi on parle…
— … alors demande-lui toi-même !
Du même geste, ils pointent Gouenji, le doigt tendu, accusateurs. Endou se tourne vers son camarade qui garde les yeux baissés, les lèvres plissées. Kidou ne dit rien. Il y était, il sait, mais ce n’est pas à lui de le raconter. Endou fait mine d’attraper la manche de Gouenji, l’appelle, attend qu’il réagisse.
— Gouenji… qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Il se souvient de la seule fois où son ami a évoqué la période où il jouait à Kidokawa et a peur de ce qu’il est en train de comprendre.
— Ouais. Dis-leur, Gouenji, renchérit l’un des triplés, imité par les autres.
— Dis-leur que l’année dernière, au Football Frontier, Kidokawa Seishuu est arrivée jusqu’en finale grâce à toi.
— C’est vrai que tu étais très fort. À cause de ça, nous avons passé la saison sur le banc.
— C’était frustrant, mais c’était la réalité. C’est pour ça que nous avions mis notre rêve entre tes mains, genre.
— Nous pensions que nous gagnerions le tournoi tant que tu étais avec nous.
— Mais dis-leur.
— Dis-leur que le jour de la finale…
— Dis-leur que tu ne t’es jamais montré !
La vérité éclate au visage d’Endou plus brutalement que tout ce qu’il avait pu imaginer, malgré son intuition. L’année dernière, la finale entre Kidokawa Seishuu et la Teikoku Gakuen. L'absence de Gouenji. La défaite de son équipe. L’accident de Yuuka. Endou esquisse un pas en avant, écarte les bras, se mord les lèvres en se rappelant qu’il a promis de ne rien dire mais la colère de l’accusation injuste prend le dessus.
— Attendez ! Gouenji était…
Ils ne l’écouteraient pas de toute façon.
— Tu as trahi notre rêve !
— Nous pensions que tu étais un héros, mais tu t’es enfui comme un lâche, incapable de supporter la pression.
— C’est faux ! Gouenji n’est pas comme ça ! les interrompt Endou en criant, la rage au ventre face à la déferlante de piques acerbes – il a beau n’avoir qu’une parole, il ne peut pas les laisser raconter de pareils mensonges. Le jour de la finale, l’année dernière, il était…
— Arrête.
Plus que la demande en elle-même, le ton de Gouenji lui donne un nouveau coup dans la poitrine. Défait. Comme s’il avait renoncé à rétablir la vérité, comme s’il s’était résigné à prendre une par une les flèches empoisonnées décochées par les triplés.
— Mais, Gouenji… ! tente-t-il, déboussolé.
— C’est du passé maintenant. Je ne peux pas changer les faits.
Gouenji se détourne de ses anciens coéquipiers, attrape le bas de la veste d’Endou pour l’inciter à faire de même. Les autres les attendent au Rairaiken, neh ?
— Eh ! Où est-ce que tu crois aller comme ça, genre ?! Tu vas encore t’enfuir ? provoque l’un des triplés.
— Tu es vraiment le pire des lâches !
Endou aperçoit un mouvement au bord de son champ de vision et ses réflexes prennent le dessus.
— Ils sont en retard, soupire Haruna.
Tout le monde est déjà installé depuis un moment, les premières assiettes d’assortiments ont été servies et vidées. Et aucun signe de son frère, de Gouenji ou d’Endou. Aki relativise.
— Avec eux trois, on peut s’attendre à tout. Endou a sans doute décidé de faire un autre exercice à la dernière minute et les autres n’ont pas réussi à lui dire non. Ce ne serait ni la première fois ni la dernière.
— Eh… ça ne m’étonnerait pas. Quand est-ce qu’ils apprendront à respecter les horaires ?
— Tu les connais, sans doute jamais.
Les deux filles échangent un sourire complice. Matsuno et Kurimatsu enchaînent avec une blague que Suki n’entend pas. De l’autre côté du comptoir, elle se mord la joue. Elle ne partage pas la légèreté qui règne dans le restaurant. Lorsqu’Hibiki s’approche, elle souffle, si bas qu’il doit se pencher pour l’entendre à travers le rire général du groupe :
— Il se passe quelque chose.
Son mentor se tend aussitôt, envisageant déjà le pire. C’est… ? Suki secoue la tête pour le rassurer, grimace tout de même. Elle n’aime pas ça pour autant.
— On peut aller les chercher, si vous voulez, coach.
Sensible à l’inquiétude lisible sur le visage d’Hibiki et désireux de rendre service, Shishido se propose, imité dans la foulée par Shourinji et Handa alignés sur les tabourets. Hibiki hésite – si c’était dangereux ? Suki a dit que non et il la croit – finit par accepter. Les garçons se lèvent. Avant de sortir, ils interdisent à leurs camarades de manger leur part – et les autres prendront sans doute cela pour un défi – et se dispersent en passant la porte.
— Eh ! Mais vous êtes des malades !
Endou a levé le bras juste à temps pour intercepter le ballon que les triplés ont tiré vers Gouenji. Ce dernier n’a pas bougé et le fait qu’il se serait pris le cuir en pleine tête s’il ne s’était pas interposé rend Endou fou de rage. Pourtant, Gouenji ne dit toujours rien, ailleurs. C’est peut-être ce qui lui fait le plus mal.
— Bon sang, je ne peux pas supporter ça plus longtemps, gronde le capitaine de Raimon. Vous avez des comptes à régler ? Soit, mais faisons-le à la loyale et c’est moi qui serai votre adversaire !
— Endou ?!
Si la proposition tire un éclat de rire moqueur aux triplés, elle fait enfin réagir Gouenji. Mais, d’un signe de la main, Endou lui demande de ne pas intervenir. C’est devenu personnel.
— Qu’est-ce que tu racontes ? provoque un des triplés.
— Je ne vois vraiment pas où tu veux en venir… renchérit un autre.
— Si vous êtes meilleurs que Gouenji comme vous le dites, incite Endou, alors vous ne devriez pas avoir de mal à marquer contre moi, non ?
— Eeeeh… pas faux.
L’idée séduit autant les trois frères qu’elle effare Gouenji et Kidou. Quelle mouche a piqué Endou ? Cependant il est trop tard pour faire marche arrière maintenant. Leur ami relance :
— Alors, vous acceptez ou pas ? Qui va le faire ?
— Contrairement à ce lâche de Gouenji, nous ne sommes pas du genre à fuir.
— Tu es sûr que tu as bien entendu ? s’assure Someoka.
Les mains sur les genoux, Shishido, si écarlate que ses taches de rousseur disparaissent, a du mal à reprendre son souffle. Il est le premier des trois à revenir en courant encore plus vite qu’il n’est parti. Avec les autres, ils ont remonté séparément les trajets probables jusqu’au collège, espérant croiser leurs amis sur le chemin, ou au pire des cas les trouver à l’arrivée. Mais avant d’y parvenir, Shishido a fait demi-tour et c’est affolé, hurlant que c’est la catastrophe, qu’il a passé la porte du restaurant dans l’autre sens. Ses camarades peinent à démêler ses bouts de phrases hachées.
— Ou… ouais ! Ils parlaient… de duel ! Un combat sans merci. Et que personne… ne pourrait s’enfuir… Ils devaient… ils devaient aller dans un endroit tranquille pour… pour s’affronter…
Autour de lui, les autres se lèvent, prêts à se précipiter pour en découdre.
— Et tu sais où ils sont partis ? le presse Someoka.
— Eh… eh ! Vers la rivière !
Hibiki étouffe un profond soupir. Dans quoi est-ce qu’ils se sont fourrés ? La tête dans le guidon, aucun d’eux ne suspecte que Shishido puisse amplifier et déformer la réalité, redoutant le pire. Heureusement, le restaurateur les tempère au moment où ils s’apprêtent à franchir la porte. Pas besoin qu’ils y aillent tous, un petit groupe suffira pour les retrouver – et les retrouver uniquement. L’ordre est clair dans la voix d’Hibiki. S’il n’a plus l’âge de crapahuter partout dans la ville, il demande à Aki de se joindre à ceux que l’équipe a choisi de missionner. Pour être la voix de la raison, pour le joindre en cas de besoin aussi, étant donné que c'est l'une des seules à voir avoir un portable. Il fronce les sourcils en s’apercevant que Suki a quitté son tablier et se joint à eux. Ils échangent un regard, elle le rassure sans un mot. Ça va aller. Promis.
Endou les a guidés jusqu’au bord de la rivière. Les trois frères ricanent, leur ballon au pied, pendant qu’il prend place dans les cages.
— Ça va devenir intéressant, genre.
— On va vous montrer de quoi les triplés Mukata sont capables !
Kidou et Gouenji restent au bord du terrain. Kidou réprouve ce qu’il se passe autant qu’il voudrait intervenir, mais Endou leur a demandé de s’en abstenir. C’est un duel entre eux et lui. Gouenji, quant à lui, est venu à contre-cœur, plus mutique, plus renfermé que jamais. Kidou croit deviner dans ses yeux les ombres de ses regrets, celles des souvenirs qui reviennent le torturer.
Il n’y a pas de signal, pas de top départ pour que les triplés s’élancent de concert. Endou claque son poing dans son gant, serre les dents, le ventre bouillonnant.
— Ramenez-vous !
À mi-distance, celui du milieu aux cheveux verts – Tsutomu ? – soulève la balle et saute dans un mouvement terriblement familier. Même si les flammes qui l’accompagnent sont bleues, Endou reconnaît instantanément la rotation du joueur dans les airs.
— C’est… la Fire Tornado ?! s’étrangle Kidou.
Non. Gouenji sent chacune des différences – la couleur des flammes, la vitesse et le sens de rotation, mille autres détails qu’il ne peut décrire avec des mots mais qui résonnent en lui – avec l’hissatsu technique qu’il a créée, tant pratiquée qu’elle est gravée en lui. Toutefois les similitudes sont trop grandes pour empêcher l’étau sur sa poitrine de se resserrer.
— C’est notre hissatsu technique, qui surpasse la Fire Tornado ! clame le tireur dans une ultime rotation. Prends ça ! Back Tornado !
Endou chasse le malaise qui l’étreint pour se concentrer. Peu importe si cette technique est une copie déformée de celle de Gouenji, peu importe si elle n’a été créée que pour contredire la Fire Tornado, peu importe qu’elle lui soit désagréable, il doit l’arrêter.
— Bakuretsu Punch !
Ses poings mitraillent le ballon. À chaque coup, ils arrachent des bribes du feu qui l’enveloppe et lui brûle les phalanges malgré ses gants. D’un ultime uppercut, il écarte le tir. Presque trop facile. Deux autres ballons et leur auréole bleutée incandescente le frôlent avant de tendre les filets. Quoi ?! En face, les triplés se réceptionnent et prennent la pose, goguenards.
— Qu’est-ce que vous faites ? éructe Endou tandis que les balles roulent hors des cages.
— Eh bien, on a juste décidé de marquer, genre, ironise le premier tireur.
— Attendez ! proteste le portier. Comment pouvez-vous attendre de quelqu’un qu’il arrête trois tirs en même temps ?!
— Je vois. Pfff… Alors tu n’es pas capable d’arrêter trois tirs ?
— Bien sûr que non ! Utiliser trois ballons en même temps, c’est pas du football !
Kidou a un mauvais pressentiment. Quelque chose, dans le sourire satisfait des triplés. Ils provoquent Endou et celui-ci plonge la tête la première dans leur piège. Ils jonglent, s’échangent le ballon repoussé par Endou.
— Alors tu peux arrêter un tir, neh ?
— Un seul tir, genre, ça devrait être facile pour toi.
— C’est parti.
Et ils s’élancent à nouveau.
Le petit groupe accélère en traversant le pont. Suki laisse les autres la dépasser, partir plus loin devant, freine à mesure qu’eux accélèrent. Le déchaînement des énergies lui pique la peau. Contrairement aux craintes de Shishido, Endou ne s’est pas engagé dans un duel à mort. Sans ralentir en dévalant les marches, Kazemaru et Aki, même s’ils sont soulagés, même s’ils se doutaient que leur cadet exagérait, râlent. Someoka donne un coup de poing dans le bras de celui-ci pour la forme, manière maladroite d’exprimer son soulagement et ses reproches. Le fautif s’excuse comme il peut de les avoir inquiétés pour rien. Ils arrivent cependant trop tard pour arrêter l’élan des trois inconnus. À l’apparence et aux auras similaires, ils portent le maillot rouge de Kidokawa Seishuu et envahissent le terrain d’une tension qui hérisse les poils de Suki. La sensation s’intensifie pendant qu’ils font naviguer le ballon entre eux, le chargent de puissance dans des cabrioles de plus en plus acrobatiques, de plus en plus aériennes. Restée au milieu des marches, Suki remarque deux personnes courir sur le pont dans leur direction, mais leur présence est éclipsée par celles, écrasantes, des triplés. Enfin, l’un des trois joueurs de Kidokawa – celui aux cheveux violets et aux verres de lunettes arrondis – donne l’ultime coup et le tir file vers Endou, éblouissant. Le gardien reste un instant figé avant de lancer son poing.
— Bakure…
Le ballon ripe contre son gant et le percute de plein fouet. Tandis qu’il tombe à la renverse et s’étale dans la terre battue, les triplés atterrissent. Ils lancent, acides, provocateurs :
— Bah alors ?
— Comment est-ce possible de ne pas arrêter un seul tir ?
— En même temps, genre, personne ne peut faire le poids face à notre hissatsu technique combinée…
— … le Triangle Z !
Endou se relève lentement, le corps parcouru des décharges résiduelles, essuie son nez dans sa manche. Suki frissonne. Quel était ce tir ? Ichinose ne peut que secouer la tête à la question incrédule de Domon, pétrifié sur place comme les autres. Malgré leur but, surtout à cause de leur but, les triplés n’en ont pas fini et enchaînent pique sur pique. Même s’ils les adressent à Endou, la cible de leurs auras est tout autre. Le regard de Suki glisse sur le bord du terrain, s’arrête sur Shuuya.
— Tu devrais avoir compris, maintenant.
— Nous serons les vainqueurs de la demi-finale.
Endou, vacillant, gronde. L’un des triplés écarte les bras.
— Quoi, t’as vraiment pas compris ? On vient de te prouver qu’on était meilleurs que le sale déserteur.
— On a surpassé Gouenji !
— Alors on ne va jamais perdre contre Raimon, encore moins tant que Gouenji le lâche y sera.
La mâchoire et les poings contractés, celui-ci se crispe sous les assauts intangibles. Reste immobile. Garde le silence, résolument.
— Ceux qui vont battre Zeus et devenir les meilleurs du pays, ce sera nous…
— Les triplés Mukata de Kidokawa Seishuu !
— Eh ! Qu’est-ce que vous faites ?!
Suki avait occulté les deux personnes aperçues. L’une d’entre elles, un homme qu’elle n’a jamais vu, la fait sursauter en tonnant juste à côté d’elle, en la frôlant pour descendre les escaliers quatre à quatre. L’intervention stoppe net les triplés dans leur élan. Ils perdent aussitôt leur air bravache et tentent une amorce d’excuse, de justification.
— Coach…
— Si vous êtes de vrais joueurs de football, jouez fairplay et à la loyale pendant le match !
— On voulait juste passer dire bonjour…
Un regard les dissuade de poursuivre et ils s’écrasent en baissant la tête.
— Compris, coach.
— On ne recommencera plus.
L’entraîneur de Kidokawa acquiesce avant de se tourner vers Endou. Et si son ton est moins familier, il porte les mêmes reproches qu’à ses joueurs.
— Personne ne règle ses comptes de cette manière. Qu’en penses-tu ?
— Je suis d’accord, répond Endou en s’inclinant, non sans un tressaillement. Je n’aurais pas dû proposer un tel défi, je suis désolé.
— C’est bien si tu as compris. Allez, les garçons, on y va.
Les triplés ne se le font pas dire deux fois et quittent le terrain. Suki en profite pour descendre les dernières marches. L’air de rien, comme les autres qui laissent déborder leur inquiétude, elle se rapproche d’Endou et cueille du bout des doigts les résidus agressifs du Triangle Z. Le contact la fait tressaillir. Endou se détend alors qu’elle s’efforce de ne rien laisser paraître.
Shuuya s’avance de deux pas vers les escaliers. Il glisse son regard sur celui qui accompagnait l’homme – un garçon de leur âge, un autre joueur de Kidokawa, un de ses anciens coéquipiers – hésite, finit par interpeller :
— Coach Nikaidou…
Maintenant que la tension est tombée, les traits de celui-ci, rendus durs par la barbe de quelques jours qui les mangent, se sont adoucis et il lui sourit.
— Ça faisait longtemps, Gouenji. Je t’ai regardé pendant le Football Frontier. Je suis content que tu continues le football. Fais de ton mieux.
Shuuya s’incline sans un mot. L’homme qu’il a trahi l’année dernière, celui qui aurait tout autant que les triplés, si ce n’est plus, le droit de lui en vouloir ne lui fait aucun reproche. Au contraire, il l’encourage. Et… il ne sait pas comment gérer ça. Suki laisse Endou au soin d’Aki – la manageuse s’inquiète pour le gardien autant qu’elle lui reproche de s’être lancé dans cette stupide histoire de défi – et dévisage l’homme sous le revers de son béret. Il sait. Elle a la sourde intuition qu’il sait la vérité, à propos de Shuuya, de Yuuka et de la finale de l’année dernière. Elle se mord la lèvre, écoute l’aura du joueur de Raimon regagner un tant soit peu de sérénité.
Les triplés sont remontés, attendent sur le pont leur coach qui les rejoint. Sans un mot, il leur fait signe d’avancer. L’autre membre en rouge s’apprête à les suivre après un dernier regard indécis vers Gouenji. Ichinose grimpe le talus à toute allure pour le retenir.
— Nishigaki !
Ce dernier s’arrête et se retourne. Sous le bandeau bleu qui lui ceint le front, ses yeux s’écarquillent en se posant sur Ichinose. Il vient de voir un fantôme.
— I… chinose ? Ichinose, c’est bien toi ?!
Il dévale les marches dans l’autre sens et manque de se casser la figure au passage. Peu importe. Il bégaie, incapable de réaliser ce qu’il est en train de voir.
— Comment… comment est-ce possible ? Tu es… eh mais… mais… Aki ? Domon ?!
Les deux autres se sont approchés et sourient de sa surprise. Ils étaient à sa place il n’y a pas si longtemps. Nishigaki se frotte les yeux.
— Quoi… ? Que… j’ai traversé une brèche temporelle ?!
— On a… plein de choses à te raconter, si tu veux bien. Vraiment plein de choses.
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Didou on Chapter 10 Sat 22 Feb 2025 12:02PM UTC
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