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Et Dans l'Aube Les Sauver (Romance Legolas puis Eomer)

Summary:

L'histoire qui est relatée ici ne se trouve dans aucun livre, et ceux qui autrefois la racontaient dans les contes ou les chansons, ne sont plus.

Au cours de son voyage pour accomplir son destin, la guérisseuse Alcara n'aurait jamais pensé découvrir de tels mystères sur son passé magique, ni que son cœur serait partagé entre un prince elfe et un roi des hommes, au beau milieu des guerres de la Terre du Milieu...

Vous trouverez ici une histoire entièrement basée sur LOTR et respectueuse de l'œuvre de Tolkien !

Suspense, sororité, romance, magie, batailles et personnages complexes !
L'histoire se déroule à côté et après LOTR et suit exactement l'histoire sans modifications.

Avertissements :
Les personnages et les lieux sont inspirés de l'œuvre de Tolkien.
Certains contenus sont explicites et pour un public majeur.
Chaque chapitre a été créé avec une musique particulière qui m'a inspirée très directement : s'il vous plaît, écoutez-la avant ou pendant la lecture, cela change tout !!

Chapter 1: Prologue

Chapter Text

Prologue

Plusieurs heures s'écoulèrent, et la bataille n'en finissait pas. Le jour pluvieux et froid, qui avait transformé la terre en boue collante dont les armures et les cheveux ne parvenaient plus à se libérer, avait fait place à une nuit claire et sans nuage. Les ennemis se faisaient face dans une clarté irréelle, où chaque détail mis en valeur par la lune laissait voir l'horreur des plaies béantes de sang, des bouches ouvertes sur un cri de mort, ou sur un œil brillant de rage. Les armes luisaient tout autant de l'éclat de la lune et de l'humidité du sang frais.

Dans ce champ de violence, les Rohirrim combattaient comme dans un cauchemar qui n'en finissait pas : ils mettaient toute leur énergie dans cette dernière bataille qui scellerait le sort de leurs royaumes, aux côtés des Gondoriens. Mais les ennemis étaient difficiles à éradiquer : comme des cafards, ils résistaient aux assauts et semblaient se multiplier à mesure qu'on les tuait.

L'incroyable ténacité des hommes du Rohan, qui faisait leur légende, faisait aussi leur désespoir : à forces égales avec l'ennemi, personne ne reculait d'un pouce. Les heures passaient, les cadavres s'amoncelaient, Hommes, orques et chevaux mêlés. Pourtant personne ne perdait, et personne ne gagnait.

Les cavaliers tentèrent jusqu'à la dernière minute de rester sur leurs montures, avantage immense sur les Orques qui devaient lever plus haut leurs lames pour les atteindre. Mais à présent, peu de chevaux avaient survécu, ou bien par respect, les Rohirrim les avaient fait fuir pour les préserver, et luttaient à présent pied à pied, épée contre épée, guidés par un roi dont la force égalait la folie.

Car beaucoup, même au milieu de l'action, se demandaient ce qui faisait encore tenir leur roi debout. Même Aragorn s'était mis en léger retrait pour économiser ses forces. Mais Éomer, lui, restait à l'avant. Debout au milieu d'un creux du champ de bataille, entouré de ses plus fidèles chevaliers, il fendait avec rage les crânes, les bras et les jambes de ses ennemis, aveuglément. Ses plus proches amis savaient bien ce qui le tourmentait, mais son énergie infatigable leur donnait du courage. Ils devaient tenir eux aussi, malgré le risque de sacrifier leur propre vie, pour préserver le monde des Hommes qui venait à peine de s'imposer sur la Terre du Milieu.

Qui sait quelles pensées se bousculaient dans l'esprit d'Éomer ? Est-ce que la déception, la colère cédaient sur le chagrin ? Pensait-il encore à elle, ou avait-il effacé de son esprit tout souvenir heureux, pour n'avoir aucun regret s'il laissait sa vie aujourd'hui ?

Seul un miracle pouvait les sauver. Un miracle, ou bien elle, revenue des Enfers...

 

Bienvenue à tous! Voici une histoire que j'ai d'abord publiée en anglais (In The Dawn Save Them), mais écrite au départ en français. J'ai eu énormément de plaisir à l'écrire, j'espère que vous aurez du plaisir à la lire! Je suis au plus près l'histoire de LOTR en faisant en sorte que le personnage principal interfère le moins possible avec le parcours des héros qu'on connaît bien, on est donc parallèles à LOTR et après LOTR ! 

BONNE LECTURE !!! 

 

Chapter 2: Partie I : La Guerre - L’Âge d’Or

Chapter Text

Partie I : La Guerre

L’Âge d’Or

Musique à écouter sur ce chapitre :

L'histoire qui est relatée ici ne se trouve dans aucun livre, et ceux qui autrefois la racontaient dans les contes ou les chansons, ne sont plus.

Si l'on se souvient encore de la Guerre de l'Anneau et de la Communauté qui sauva la Terre du Milieu, beaucoup ont oublié, des siècles plus tard, longtemps après qu'advienne l'Âge des Hommes, que les forces maléfiques rôdaient toujours dans les bordures des royaumes, dans les contrées désertes et abandonnées, et dans tous les lieux qui portaient encore une ombre néfaste sur la paix retrouvée. Et qu'il fallait réunir toutes les forces de la vie et de l'amour, pour en venir à bout.

Pourtant, c'est une histoire digne d'être contée, dont la valeur égale celle des hommes courageux qui combattirent Sauron. C'est l'histoire d'une femme qui devait trouver qui elle est, et qui dans sa quête, changea le destin des peuples libres à tout jamais.

Comment aurait-elle pu le deviner en cet instant, alors qu'elle était entre la vie et la mort, dans le tourbillon de la bataille ? Parviendrait-elle à les sauver tous, à les lier dans la lumière de l'aube, et non plus dans les profondeurs des ténèbres? Croiraient-ils enfin en elle, et en sa puissance bénéfique, après tout ce qu'elle avait subi ?

Pourtant, son histoire n'a pas commencé ainsi : il n'y avait pas si longtemps, elle s'épanouissait dans un lieu préservé des tourments du Monde, dans des temps encore paisibles de son enfance, à Fondcombe, chez le roi Elrond. Dans ce lieu, elle grandit parmi d'autres Hommes et Femmes recueillis dans le royaume des elfes, des orphelins pour la plupart, mais dont la valeur insoupçonnée se révèlerait dans les temps à venir. Aragorn, fils d'Arathorn, avait été l'un des plus célèbres, mais ils étaient nombreux.

Alcara en faisait partie. Son nom, elle l'avait reçu des elfes. Étant née à l'aube, on l'avait baptisée du nom elfique qui signifiait "Petite Aube". Comme les elfes et les autres enfants recueillis, on lui avait appris la vie de Cour, les connaissances livresques mais aussi les chasses et les promenades à cheval, les danses et les chants. Mais on lui avait aussi appris qu'elle n'était pas une elfe, et qu'elle pouvait être reconnaissante et respectueuse d'avoir été élevée parmi des êtres immortels. Alcara mesurait bien sa chance, et acceptait comme naturel de rester éloignée d'eux, ne les côtoyant que lors des grands événements du royaume, ce qui forgea en elle un caractère à la fois réservé et intrépide.

Néanmoins, son tuteur et mentor venait fréquemment la voir : c'est lui qui avait vu en elle des dons précoces pour les sciences, et qui lui avait appris les rudiments de la médecine, de la chimie et de l'astronomie. Il avait aussi vu en elle d'autres dons, qui l'intriguaient lui-même et qu'il appréhendait avec curiosité et précaution, mais dont les conséquences seraient visibles bien plus tard. Sans qu'elle ne le sache, les elfes eux aussi avaient senti en elle des talents cachés, mais l'avenir était encore trop flou pour en savoir plus.

Pour le moment, c'est son tuteur, qu'elle chérissait comme un père, que Alcara entendit arriver, alors que comme tous les matins, elle étudiait dans son laboratoire les propriétés des plantes et confectionnait des potions et des remèdes. Aux sons des sabots de chevaux et des roues d'une charrette, mais aussi d'une chanson qui semblait venir de l'Ouest, elle sut que c'était lui qui revenait lui rendre visite.

Elle se leva et descendit pieds nus les escaliers blancs taillés au milieu des jardins suspendus pour l'accueillir avec enthousiasme, comme souvent. Gandalf, en la voyant arriver en courant et le prendre dans ses bras, éclata de rire et lui rendit son accueil chaleureux.

- Alcara, comme je suis heureux de vous revoir ! s'exclama-t-il en souriant. Cela me fait autant plaisir que de revoir mes vieux amis de la Comté....!

- Gandalf, je ne savais pas que vous alliez revenir ! répondit-elle avec un grand sourire et les joues rosies d'avoir couru. Mais vous parlez si souvent de ces mystérieux Hobbits, quand les verrons-nous?

- Ah, je reviens justement de la Comté, ma chère Alcara, répondit Gandalf avec nostalgie. Les Hobbits sont vraiment extraordinaires, et croyez-en mes paroles : un jour, ces petits hommes auront un destin bien plus grand qui les attendra.

Comme les elfes, Gandalf avait souvent le pressentiment des choses à venir. Il la regarda alors avec un petit sourire en coin, comme si sa dernière phrase ne s'adressait pas seulement aux Hobbits.

- Vous êtes devenue une belle jeune femme à présent, "Petite Aube", ajouta Gandalf en l'observant avec une sorte de fierté paternelle. J'ai l'impression de vous voir changer et vous affirmer à chaque nouvelle visite !

- Vous devriez venir encore plus souvent pour le voir, répondit-elle avec malice.

Il rit et sortit son bâton magique pour s'y appuyer. Il descendit de sa charrette et Alcara l'accompagna jusqu'à l'entrée du palais d'Elrond, que Gandalf allait toujours voir dès son arrivée. Elle soupçonnait qu'ils n'échangent des nouvelles importantes sur la Terre du Milieu, qui la dépassaient. Mais elle était curieuse, et aurait aimé en savoir plus sur le monde alentour, qu'elle connaissait encore très peu.

- Mais racontez-moi plutôt ce que devient mon ancienne élève, continua Gandalf en montant les marches vers le palais, ponctuant ses pas du bruit de son bâton de bois noueux. Avez-vous continué à étudier les sciences de la médecine, comme je vous l'avais conseillé lors de notre dernière rencontre?

- Tout à fait, et même plus, répondit immédiatement Alcara. Je vous montrerai tout à l'heure le laboratoire que j'ai mis au point. J'ai pu développer des potions plus complexes cette fois-ci. Je vais d'ailleurs me rendre bientôt à Minas Tirith, à l'invitation des guérisseurs...

- Nous irons ensemble, déclara Gandalf. Je leur ai en effet parlé de vous, et j'aimerais faire votre introduction auprès d'eux. Ils sont très savants, mais malheureusement assez avares de leur savoir. Surtout s'il s'agit d'une guérisseuse, et non d'un guérisseur...

Alcara se tut. Elle oubliait parfois que les Hommes, contrairement aux elfes, faisaient des distinctions fortes et souvent injustifiées, entre ce que pouvaient la gent féminine et la gent masculine. Elle était encore jeune, et venait de sortir d'une éducation libre et riche, où tout semblait possible. Mais elle avait un fort caractère, et ne comptait pas se laisser impressionner par de vieux guérisseurs du Gondor.

Une fois arrivés au pied des marches du palais, ils levèrent la tête et aperçurent le roi Elrond, entouré de sa Cour et accompagné de ses fils et de sa fille, la princesse Arwen. Alcara ne les voyait que très rarement, seulement aux événements importants, elle eut donc le réflexe de leur faire une profonde révérence. Mais Gandalf, quant à lui, fit simplement un geste amical de la main, car il était plus familier qu'elle du roi des elfes. En relevant la tête, Alcara croisa le regard de la princesse Arwen, qui l'observait avec beaucoup de curiosité, la fixant dans les yeux. Gênée, elle baissa de nouveau la tête, et prit congé de Gandalf, lui proposant de le voir plus tard.

En remontant vers son laboratoire, en repassant par le petit chemin de pierre entre des parterres de fleurs, elle entendit de nouveau des chevaux et des voix d'hommes en contrebas, ainsi qu'une trompette annonçant une nouvelle arrivée. Elle se retourna et se pencha pour mieux voir : elle comprit alors pourquoi Arwen était aux marches du palais. Aragorn, qu'on appelait alors encore Grands-Pas, arrivait d'un de ses longs voyages. Il était de notoriété publique qu'ils s'aimaient et désiraient se marier, malgré les obstacles nombreux que pouvait constituer une telle union entre une princesse elfe et un prince des Hommes exilé. Mais il n'était pas seul : des cavaliers elfes l'accompagnaient.

Contrairement aux elfes de Fondcombe, ceux-ci avaient des cheveux blonds et portaient des tenues qui rappelaient les feuilles vertes des arbres, ainsi que de grands arcs dans leur dos. En un seul bond, ils sautèrent de cheval avec élégance, comme flottant sur le sol, et Alcara fut impressionnée de leur adresse.

L'un d'eux tapa amicalement l'épaule de Grands-Pas, qui lui rendit son accolade en riant, et ils se rendirent tous vers le palais. Mais en regardant de plus près son visage, Alcara fut subjuguée : cet elfe, aux cheveux d'un blond presque blanc, était plus grand, plus fort que les autres, et semblait mener le groupe de cavaliers. Il avait lui aussi une allure princière, et guerrière à la fois. Le soleil semblait le suivre de ses rayons partout où il allait, lui donnant une aura solaire et rendant ses yeux d'un bleu clair encore plus perçants.

Éblouie, elle sembla prise par un sortilège, sa respiration se coupa et elle oublia de faire le moindre geste, comme figée par cette apparition. Elle ne put que le suivre du regard, le voyant s'éloigner. Mais soudain, il se retourna, comme s'il avait senti une présence derrière lui, et il fouilla de son regard vif les jardins suspendus au-dessus de lui. Alcara, instinctivement, se cacha derrière une colonne entourée de rosiers. Ne voyant rien, l'elfe continua sa route, et Alcara s'en voulut d'avoir eu une réaction aussi puérile. De plus, elle s'était griffée aux épines d'une rose : dépitée, elle alla vers son laboratoire. Elle avait un baume pour guérir sa blessure, mais pas pour soulager l'étrange sensation qui naissait en elle. Il fallait absolument qu'elle sache qui était cet elfe ami de Grands-Pas.

Les événements de la Cour étaient plus rares en ce début de printemps, où le froid et la pluie étaient encore présents. Malgré tout, Alcara ne changea pas ses habitudes, et alla tous les matins chevaucher dans les bois et s'entraîner à l'épée, avant de passer le reste de la journée dans son laboratoire. Hormis Gandalf, qui vint la voir tous les jours, et ses quelques amis non elfes, elle n'eut pas l'occasion de revoir l'elfe blond, même si elle l'espérait en partant dans la forêt, quand l'aube naissait. C'était toujours son moment préféré de la journée, plein de tranquillité et de silence, le moment où les animaux sauvages étaient encore visibles dans les bois, au milieu de la brume. C'était aussi une activité salutaire, car elle commença à avoir du mal à dormir : elle ressassait sans arrêt les images de cet elfe ami de Grands-Pas. Mais elle n'osa en parler ni à Gandalf, ni à quiconque, ne pouvant expliquer cette curiosité envahissante qui prenait le pas sur ses pensées.

Un matin, elle descendit de cheval après son habituelle promenade, et sortit son épée pour reprendre ses entraînements. Comme tous les enfants de Fondcombe, elle avait appris à combattre à pied comme à cheval, et ne voulait pas oublier ses bases, contrairement aux autres jeunes gens, plus insouciants, qui pensaient à jouer de la musique, danser ou parcourir le monde. Plus réservée et solitaire, Alcara trouvait un plaisir particulier à faire tournoyer l'épée et chercher à imiter les prouesses qu'elle voyait lors des tournois et des jeux d'été des sujets du roi Elrond.

Mais ce matin-là, encore bercée par les images de l'elfe au regard bleu et revoyant sa blessure à la main causée par les épines de rosier, elle lança son épée vers le sol, sans y penser. La lame se ficha dans l'humus de la forêt, et en soupirant, elle la tira fermement pour la ramasser. Mais en le faisant, un événement extraordinaire se produisit : à l'endroit où l'épée s'était enfoncée dans le sol, des dizaines de roses rouges sans épines apparurent en quelques secondes, tapissant le sol et embaumant d'un fort parfum envoûtant.

Alcara n'en revint pas, ne comprit pas, crut à un rêve dont elle allait s'éveiller. Etonnée mais retrouvant ses réflexes de femme de sciences, elle cueillit une rose pour en confirmer l'existence concrète, et repartit vers Fondcombe immédiatement, sans un regard en arrière, comme si elle avait commis une faute honteuse.

En arrivant à son laboratoire, elle se demanda si elle devait en parler à Gandalf : mais alors qu'elle allait arriver devant sa porte, une autre surprise l'attendait.

La princesse Arwen, accompagnée de deux dames de compagnie, l'attendait devant ses appartements.

Alcara, surprise, fit immédiatement une révérence et vit la princesse s'approcher d'elle avec un beau sourire bienveillant.

- Votre Altesse, dit Alcara timidement, je suis honorée, mais...je suis désolée, j'étais...

- Je viens d'arriver, répondit Arwen de sa douce voix. Ne t'en fais pas, Alcara.

Étonnée qu'elle se souvienne de son nom, Alcara se tut et la laissa continuer.

- Je souhaitais te convier à la chasse royale que nous organisons à la fin de cette semaine, déclara-t-elle. J'ai entendu dire que tu chevauchais très bien, et j'aimerais que tu fasses partie de ma suite.

- Votre...Votre Altesse, balbutia Alcara, je suis...merci, je viendrai avec plaisir!

Elle savait que peu de représentants des Hommes étaient conviés avec les elfes, qui étaient plus rapides et plus adroits dans les chasses. C'était un privilège, même si elle ne savait pas pourquoi elle avait la chance d'y être invitée.

Arwen lui sourit à nouveau, et regarda la fleur qui se trouvait dans sa main avec curiosité.

- Tu as une belle rose rouge dans ta main.

Alcara rougit légèrement, et la tendit à Arwen, qui la prit et sentit son fort et doux parfum.

- Je n'avais jamais vu une rose pareille à Fondcombe, ajouta Arwen en l'observant, comme pour deviner où elle l'avait trouvée.

- Je l'ai...cueillie dans la forêt, dit Alcara en mentant à moitié.

Arwen n'insista pas, mais l'observa intensément comme pour lire dans ses pensées, et Alcara baissa les yeux en se demandant comment elle interpréterait son explication.

- Tu as eu de la chance de trouver une fleur aussi rare, déclara Arwen, mais on m'a dit que tu étais particulièrement douée. J'aimerais voir ton laboratoire, et tes recherches. Et j'aimerais aussi que nous nous tutoyions.

Alcara releva les yeux vers elle, surprise, mais hocha la tête en souriant et la fit entrer. La princesse resta longtemps, écoutant les explications de la jeune femme et posant de nombreuses questions. Alcara, tout en lui parlant, ne pouvait s'empêcher de l'admirer : Arwen avait un port altier, une taille incroyablement fine et des mains délicates, aussi pâles que du marbre. Alcara se sentit grande et maladroite à côté d'elle, comme issue d'un moule imparfait et plus rudimentaire. Mais elle sentit aussi la sympathie étrange de la princesse pour elle, alors qu'elle était entourée d'une cour abondante des elfes ancestraux. Peut-être devenait-elle plus curieuse de rencontrer d'autres hommes et femmes mortels...

Après sa visite, Alcara réfléchit intensément : elle se disait que Gandalf avait dû parler d'elle et avoir la gentillesse de vanter ses mérites, aussi modestes soient-ils face à tous les pouvoirs magiques des elfes. Arwen elle-même possédait, disait-on, des pouvoirs de vision dans l'espace et dans le temps. Mais Alcara était à mille lieues de s'imaginer la vérité, qui était qu'Arwen avait pressenti et compris qu'elle aussi avait des dons magiques insoupçonnés, et en avait fait usage dans la forêt seulement une heure auparavant.

 

En arrivant à l'aube à l'entrée de la forêt, le jour prévu de la chasse royale, Alcara retrouva un groupe important de cavaliers, à la fois des hommes remarquables et des elfes, qui se préparaient à la chasse, apprêtant les chevaux et réunissant les lévriers qui bondissaient avec élégance parmi eux. Elle salua Arwen, qui lui rendit son habituel sourire doux et énigmatique, ainsi que Grands-Pas, debout non loin d'elle, qui avait toujours un sourire chaleureux pour chacun, même s'il connaissait peu Alcara. Cette dernière se doutait que la chasse serait surtout l'occasion pour eux d'avoir un moment de tranquillité loin des regards de la Cour...Un peu intimidée par tous les elfes présents, Alcara fut soulagée de trouver Gandalf, assis sur un banc et observant les événements avec un sourire. Ils bavardèrent un instant, le magicien racontant les chasses de sa jeunesse avec beaucoup d'humour, pour détendre la jeune femme.

C'est alors qu'un elfe s'approcha et se tint debout devant eux et ils se levèrent pour le saluer. Alcara n'en revint pas : il s'agissait de l'elfe qui était arrivé avec Grands-Pas et qu'elle ne pouvait pas faire sortir de ses pensées. Il avait la même tenue de cavalier qu'à son arrivée, d'un vert foncé, et ses longs cheveux blonds très clairs entouraient son visage fin et carré. Il s'inclina respectueusement devant Gandalf : ils se connaissaient et échangèrent quelques mots de politesse. Il se tourna ensuite vers elle : en croisant son regard d'un bleu clair, elle fut comme hypnotisée. Comme souvent, les elfes avaient un regard qui voyait plus loin que les autres créatures, mais cette fois, il lui rendit son regard intense et l'observa en fronçant légèrement les sourcils, comme intrigué.

- Je ne pense pas que vous vous soyez déjà rencontrés, dit Gandalf. Alcara, je vous présente Legolas, fils de Thranduil, prince de la Forêt Noire. Legolas, je vous présente ma pupille.

- "Petite Aube", commenta-t-il immédiatement, en traduisant son nom elfique dans la langue commune. C'est un prénom rare, que portaient les premières princesses elfes de la Terre du Milieu.

- Je ne pense pas que Alcara soit aussi vieille que cela, plaisanta Gandalf.

Cela les fit rire tous trois. Gandalf, en fin observateur, vit que sa pupille était intimidée, car elle ne cessait d'éviter le regard de Legolas, qui l'observait comme une chose nouvelle et rare. Pour mettre fin à son embarras, Gandalf parla de la pluie et du beau temps, et enfin, au soulagement de Alcara, la trompette de ralliement les appela à monter à cheval.

Gandalf se rassit et ralluma sa pipe, regardant en souriant Legolas aider Alcara à monter à cheval et rester près d'elle, et voir tous ces jeunes gens qui avaient la vie devant eux, partir au galop dans la forêt royale. 

Chapter 3: Comme Dans Un Rêve

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Comme Dans Un Rêve

Musique à écouter sur ce chapitre: 

Alors qu'elle zigzaguait avec le groupe d'elfes au galop, entre les arbres denses et frais de la forêt, Alcara se sentit la plus heureuse des femmes : les odeurs d'humus et le cuir des selles et des rênes, la chaleur de la course qui lui montait aux joues, les rayons du soleil entre les branchages, les cris d'enthousiasme et les rires des jeunes gens qui l'entouraient, étaient comme un rêve.

Au bout d'un moment, ils se retrouvèrent tous à la croisée de plusieurs sentiers, au centre de laquelle se trouvait une grande statue d'un elfe recouvert d'un voile et portant un arc à sa main droite, un carquois à sa main gauche. C'était un repère et un lieu de rendez-vous pour les grandes chasses royales, mais aussi une borne indiquant l'entrée du royaume de Fondcombe. Chacun se regroupa par affinités, et Arwen et Grands-Pas restèrent côte à côte, le reste de la Cour les laissant un peu en retrait pour respecter leur tranquillité. Alcara vit alors Legolas s'approcher d'elle, et ne put s'empêcher de rougir. Il continuait de la regarder avec curiosité, et elle ne parvenait pas à soutenir son regard bien longtemps.

- Ainsi donc, vous êtes la pupille de Gandalf le Gris? commença-t-il pour engager la conversation.

- En effet, répondit-elle, j'ai grandi à Fondcombe, mais je ne connais pas mes parents. Gandalf m'a beaucoup appris.

- J'ignore s'il connaît bien l'équitation et s'il vous l'a apprise, mais vous chevauchez remarquablement bien, ajouta Legolas, et Alcara sentit à son grand désarroi, qu'elle rougissait encore plus, déclenchant chez Legolas un petit sourire au coin des lèvres.

- Les elfes aussi m'ont appris certaines choses, Prince Legolas, ajouta-t-elle.

- Ne m'appelez pas Prince, répondit-il. Cela fait longtemps que plus personne ne m'appelle ainsi.

- Je suis désolée, comment dois-je vous appeler ? demanda Alcara, toujours en fuyant son regard.

- Legolas. Seulement Legolas.

- Et d'où venez-vous, Legolas ? demanda-t-elle à son tour, en tentant de soutenir son regard plus longtemps.

- Je viens de la Forêt Noire, à l'Est de la Terre du Milieu. Mais je viens souvent à Fondcombe, et je regrette de ne vous avoir jamais rencontrée, pour voir vos multiples talents.

Il avait une voix douce et enveloppante, et Alcara se dit qu'il semblait non pas guider son cheval, mais lui parler en pensée, car ses mouvements étaient souples et élégants. Tout semblait facile et beau à son approche.

- Espérons que nous rattraperons le temps perdu, lui répondit-elle, surprise par sa propre témérité, alors qu'il l'intimidait tant.

Legolas sembla déconcerté et ne répondit rien, se contentant de la regarder avec un léger sourire. C'est alors que les trompettes retentirent à nouveau, et Grands-Pas s'écria :

- La proie est repérée ! Dispersez-vous !

Et dans un grand rire, tous les cavaliers partirent vers un chemin différent. Alcara, interloquée, ne sut que faire, et Legolas à côté d'elle, lui dit : "Par ici !"

Elle le suivit vers un sentier que les autres n'avaient pas emprunté, comme un grand jeu de cache-cache. Il était particulièrement adroit à cheval, pouvant faire des sauts et des virages fulgurants avec sa monture, mais Alcara se défendait bien aussi et le suivit à la trace.

Ils entendirent alors de nouveau la trompette, mais aussi les lévriers, sur leur droite, et lancèrent leurs chevaux pour retrouver le reste du groupe, à la déception de Alcara qui aurait préféré prolonger leur solitude. Ils furent rejoints rapidement par d'autres cavaliers, et ils s'élancèrent en même temps entre les arbres, zigzagant de plus en plus vite. Elle eut juste le temps d'apercevoir un cavalier qui la dépassait un peu trop vite, reconnaissant aussitôt la chevelure blonde de Legolas.

Mais son cheval, trop près du sien en la dépassant, lui fit peur et elle tira un peu trop fort sur ses rênes. Son cheval s'en inquiéta et se cabra soudainement, en tournant sur lui-même. Alcara avait déjà vécu de telles situations et savait comment le maîtriser tout en maintenant, par toute la force de ses jambes, sa position sur sa selle. Mais la fatigue et la surprise du cheval le rendaient difficile à manœuvrer.

Alors que le reste du groupe s'éloignait, Legolas l'aperçut en difficulté et fit immédiatement demi-tour pour l'aider. Tirant avec elle sur ses rênes, il parvint à immobiliser son cheval, tout en lui délivrant en elfique des paroles rassurantes.

Le cheval finit par se calmer et Alcara réussit à ne pas tomber de sa selle. Ils se retrouvèrent ainsi de nouveau seuls, au milieu de la forêt, face à face.

- Est-ce que tout va bien, Alcara ? demanda Legolas, en reprenant son souffle après avoir tiré à la fois le cheval affolé et le sien.

- Oui, merci de votre aide, Legolas.

- Je suis désolé, ajouta-t-il d'une voix plus douce, c'est à cause de moi que votre cheval a eu peur.

- Il n'a plus peur à présent.

Legolas sourit intérieurement : parlait-elle de son cheval, ou d'elle-même ?

- Nous allons rater la proie d'aujourd'hui, fit-il remarquer.

- Ce n'est pas grave, répondit-elle immédiatement, mais d'instinct, elle se mordit la lèvre pour avoir parlé si vite, et laissé entendre si facilement qu'elle gagnait bien plus par sa présence à ses côtés, en cet instant.

Mais Legolas ne répondit rien, restant face à elle, tout près, et la contemplant. Heureusement, les mots n'étaient pas utiles car la tranquillité des lieux, le silence, faisaient pour eux un cadre unique, où rien ne faisait obstacle à se connaître mieux l'un l'autre.

Soudain, le regard de Legolas sembla se déporter sur quelque chose, derrière elle. Alors qu'elle allait se retourner, Legolas lui mit la main sur le bras, pour lui intimer de bouger le plus lentement possible. Ce contact fut comme une décharge électrique sur sa peau nue, mais il semblait tellement concentré qu'il n'avait pas l'air d'avoir aperçu sa réaction.

En tournant très lentement la tête et en retenant sa respiration, elle comprit : Legolas avait vu derrière elle, plus loin près d'une clairière, la biche qu'ils chassaient. Elle était revenue vers eux, comme si elle n'avait senti aucun danger. Un rai de lumière passait entre les arbres et semblait lui couronner la tête. Alcara fut fascinée par cette vision presque divine. Elle vit néanmoins la biche tendre l'oreille, ce qu'elle fit à son tour, et se retourna vers Legolas, qu'elle surprit en train de viser l'animal avec son arc tendu et une flèche prête à se ficher dans son cœur. Le regard de Legolas avait changé, plus froid, sûrement son regard de guerrier qui tuait de façon mécanique depuis maintenant longtemps. Mais elle posa sa main sur la flèche et lui fit baisser son arc. Legolas lui lança un regard d'incompréhension. Mais sans dire un mot, en le regardant dans les yeux, elle lui fit comprendre que cette apparition était différente d'une chasse habituelle, et qu'il n'y avait pas de hasard à ce que cette biche soit apparue près d'eux. Elle ne savait pas pourquoi, mais elle en était intimement persuadée.

Legolas capitula et rangea très doucement son arme, sans la quitter des yeux. Ils ne virent pas la biche disparaître dans la forêt derrière eux. Et alors qu'il allait lui dire quelque chose, des cavaliers arrivèrent de nulle part, et l'un d'eux percuta violemment Legolas, le faisant tomber de son cheval. Alcara eut le temps de pousser un cri, et avant qu'il ne touche le sol, elle vit clairement un tapis de roses rouges apparaître d'un seul coup sur les pierres qui s'y trouvaient. Legolas, en tombant sur les fleurs sans épines, fut amorti dans sa chute, mais poussa tout de même un cri de douleur. Le cavalier qui l'avait cogné accidentellement n'était autre que Grands-Pas, qui revint sur ses pas rapidement et se précipita au sol pour l'aider, avec Alcara qui était elle aussi descendue de cheval.

Legolas semblait s'être cassé le bras. Grands-Pas, multipliant des excuses pour sa maladresse, lui dit :

- Je suis vraiment désolé de ne pas vous avoir vu, Legolas. Heureusement, vous êtes tombé sur ces fleurs, sinon vous vous seriez rompu le cou !

Et Legolas regarda à la fois Alcara et les fleurs, sans rien dire mais profondément préoccupé : comme Alcara, il avait bien vu que les roses n'étaient pas là l'instant d'avant. Embarrassée, elle évita son regard, mais croisa celui d'Arwen, qui s'était approchée et qui avait reconnu les roses rouges au parfum envoûtant, et observait Alcara en silence, elle aussi.

En revenant à Fondcombe, Grands-Pas conduisit Legolas directement auprès de Gandalf, toujours assis sur le banc de pierre. Alcara et le reste du groupe restèrent autour d'eux.

- Gandalf, dit Grands-Pas, seul vous pouvez le guérir rapidement !

Mais Gandalf, en observant la blessure, ne réagit pas immédiatement et sembla réfléchir. Au bout de quelques instants, il leva la tête, et déclara d'un air étrangement détaché :

- Je suis désolé, je ne peux rien faire.

- Mais... répondit Grands-Pas sans comprendre.

- C'est une blessure tout à fait naturelle, se justifia Gandalf avec les sourcils levés et un air toujours détaché et définitif. La magie ne peut rien. Par contre, il faudrait des talents de guérisseur pour le soigner rapidement.

Après un silence, il se tourna vers Alcara en ajoutant :

- Et cela tombe bien, nous avons une brillante guérisseuse parmi nous !

Tous se tournèrent vers Alcara, qui releva la tête, surprise, en rougissant fortement. Elle regarda Gandalf avec insistance, comme pour lui intimer de ne pas suggérer qu'elle guérisse un elfe, s'en sentant complètement incapable. Mais il lui répondit simplement par un grand sourire.

Se sentant piégée, elle ne put qu'approuver Gandalf, qui avait parlé avec tant d'autorité, et guida Legolas jusqu'à son laboratoire. Elle remarqua tout de même, en partant, le regard amusé que s'échangèrent Arwen et Grands-Pas.

Elle fit entrer et asseoir Legolas dans un fauteuil. Il sembla moins faire attention à sa douleur qu'aux instruments étonnants qui l'entouraient, des tubes à essai, des fioles, des alambics. Comme pour tous les elfes, les sciences étaient plutôt un objet de curiosité, car ils pouvaient compter sur la magie de l'ancien monde.

Alcara s'assit en face de lui et l'aida à enlever sa veste et la manche de sa chemise pour observer la blessure de plus près à son bras gauche. Elle fit tout pour faire abstraction du fait qu'il était assis tout près d'elle, révélant son torse imberbe et aux muscles ciselés comme dans du marbre. Elle se répéta à elle-même qu'elle devait garder une attitude objective de guérisseuse ; elle se concentra donc pour analyser la contusion avec précaution, plus attentive que d'habitude. Elle ne pouvait pas se permettre de mal le guérir. En touchant la peau incroyablement douce de son bras, elle retint sa respiration pour empêcher ses doigts de trembler.

- Vous êtes surprenante, lui dit Legolas d'une voix douce.

Elle releva la tête, étonnée par sa remarque.

- Non seulement vous chevauchez bien, ajouta-t-il, mais vous avez des dons de guérisseuse ?

- J'ai encore beaucoup à apprendre dans ce domaine, avoua-t-elle. J'ignore encore énormément de choses...

- Vous êtes trop modeste, continua Legolas en la regardant avec un sourire.

Alcara dut se retenir de ne pas le contempler béatement : de près, il semblait encore plus beau et plus impressionnant, et son sourire ajoutait de la douceur à son visage parfait. Elle préféra se lever et aller chercher un baume et un bandage.

En silence, elle appliqua l'onguent, se demandant intérieurement si ses remèdes prévus pour les Hommes fonctionneraient aussi bien sur un elfe, et au moment où elle allait ajouter le bandage, il lui dit :

- Merci d'avoir amorti ma chute.

Elle arrêta son geste, interdite. Tranquillement, comme s'il annonçait simplement qu'il allait pleuvoir, Legolas ajouta :

- Les roses n'étaient pas là l'instant d'avant, et sans elles, j'aurais pu me blesser bien plus gravement.

- Je...

Mais Alcara ne savait pas comment expliquer ce qu'il s'était passé, l'ignorant complètement elle-même et n'en ayant toujours pas parlé à Gandalf. Elle sentit une peur monter dans son ventre, comme s'il s'agissait de quelque chose d'interdit.

- Décidément très surprenante, remarqua simplement Legolas en souriant, ne cherchant pas d'explication, comme si cela avait été parfaitement normal.

- Je vous en supplie, ne le répétez pas ! Ne put s'empêcher de demander Alcara. C'est la première fois que cela m'arrive.

- Vraiment ? demanda Legolas en fronçant les sourcils.

- Oui, peut-être que quelque chose de nouveau est arrivé et l'a déclenché, mais...

Et elle se souvint alors précisément de la première fois où des roses étaient apparues, et elle fit le lien avec le fait de s'être griffée à des épines et d'avoir pensé à lui, et les choses commencèrent à s'éclaircir dans son esprit. Sentant ses joues rougir à nouveau, elle baissa la tête et fit le bandage.

- Je vous demande seulement de ne pas en parler, s'il vous plaît.

- Je vous le promets, confirma Legolas.

Et après un silence, elle lui dit :

- Je vous remercie. Le bandage est prêt, heureusement la blessure était moins sérieuse qu'on ne le pensait. Vous serez rapidement rétabli.

- Merci beaucoup, répondit-il. j'espère que je pourrai participer au tournoi du solstice d'été.

- Vous serez guéri bien avant cela, assura Alcara.

Et intérieurement, elle sentit une douce chaleur dans son ventre, car elle apprenait qu'il resterait à Fondcombe jusqu'au solstice, et cela la remplissait de joie.

- Mais...ajouta-t-elle en y pensant, il faudra que vous reveniez ici, pour refaire le bandage et vérifier que le bras guérisse correctement.

- Bien sûr, confirma-t-il immédiatement avec sérieux. Et...j'aimerais beaucoup en apprendre plus sur ce laboratoire et sur vos dons de guérisseuse.

Elle sentit ses joues rosir, et confirma simplement en hochant la tête.

- De plus, ajouta-t-il en se levant et en remettant sa veste sur un bras, aidé par Alcara, j'aimerais vous remercier d'une façon ou d'une autre. Si vous voyez quoi que ce soit que je puisse faire, dans la mesure de mon état, je le ferai.

Alors qu'il repartait déjà, Alcara réfléchit à vive allure, et au moment où il franchissait la porte, elle lui dit :

- L'arc ! Je ne sais pas tirer à l'arc. Si vous pouviez me l'apprendre...

Il s'appuya à l'encadrement de la porte et se retourna vers elle en souriant, décidément surpris et amusé.

- Entendu. Demain matin, je vous apprendrai les bases du tir à l'arc.

Après un silence, il la regarda à nouveau et ajouta :

- Je suis heureux d'avoir fait votre connaissance, "Petite Aube".

Et il repartit, laissant Alcara à ses pensées et à son cœur qui battait la chamade.

Dès le lendemain, et les jours qui suivirent, Legolas l'accompagna dans la forêt et lui montra comment tenir l'arc et viser le plus précisément possible. Peu à peu, Alcara eut moins d'hésitation et put atteindre des cibles de plus en plus lointaines très rapidement. Contrairement aux autres dames, elle avait choisi une occupation plus guerrière, ce qui ne manqua pas de plaire à Legolas, qui y trouvait un terrain où il excellait et pouvait transmettre toutes ses connaissances et son talent. Lors des jours de pluie où ils ne pouvaient pas sortir s'entraîner, il venait la voir son laboratoire et passait de longues heures à comprendre la fabrication de certains remèdes, comprenant mieux le mécanisme du corps humain et les affections que connaissaient les Hommes et qui restaient, pour la plupart, inconnues des elfes.

Ils passèrent ainsi la plus grande partie de leurs journées ensemble, et Gandalf, qui espaça ses visites sans donner de raison précise, les croisa fréquemment, pris dans leurs conversations et ignorant le reste du monde. Le magicien avait compris, bien avant qu'ils ne le sachent eux-mêmes, ce qui était en train de naître en eux, et leur laissa du temps et de l'espace pour en prendre conscience.

Quant à Alcara, elle se croyait dans un rêve éveillé, et se demandait chaque jour ce qui pouvait bien en elle intéresser un Prince des elfes. Dans sa modestie, elle ne s'apercevait pas de sa grande beauté naturelle et que son caractère et ses goûts étaient atypiques pour une dame de la cour d'Elrond. Cela n'avait bien sûr pas échappé à Legolas, qui observait longuement ses gestes et ses attitudes : plus grande que les autres femmes et d'une taille fine, dynamique et résistante aux efforts à cheval et à l'arc, elle avait de longs cheveux bruns et brillants qui semblaient d'une grande douceur, attachés en des tresses sophistiquées à la mode elfique ; elle avait une peau très pâle, au point qu'on apercevait ses veines bleuâtres à travers la peau fine de ses mains, et de grands yeux en amande d'un noir profond, brillants et chaleureux. Elle n'avait pas l'allure éthérée des elfes, mais évoluait avec délicatesse et élégance, et on sentait en elle qu'elle retenait une grande force et un caractère assuré, qu'elle ne dévoilait pas encore aux yeux des autres.

Pourtant âgé de plusieurs siècles, Legolas appréciait de passer du temps avec elle et y trouvait quelque chose d'inconnu et de nouveau qu'il ne s'expliquait pas complètement, car il avait beaucoup combattu dans sa vie, mais ignorait encore beaucoup d'aspects de la nature humaine.

Ainsi, quand il corrigeait les positions de Alcara au tir à l'arc, il ressentit des sensations étranges à s'approcher d'elle et à toucher sa main ; il pouvait la contempler pendant de longues minutes, comme perdu dans ses pensées, alors qu'il avait toujours l'esprit concentré et aiguisé habituellement. Le fait même qu'il n'ait pas entendu Grands-Pas arriver sur lui et le percuter à la chasse était la preuve que ses sens étaient comme assourdis quand il la regardait.

Au bout de quelques semaines, Legolas fut guéri et passa un peu moins de temps au laboratoire d'Alcara. Elle le regretta immédiatement, voulant passer plus de temps avec lui, ayant cru ou espéré...quelque chose qu'elle ne s'avouait pas encore réellement à elle-même. Mais elle comprit qu'il devait s'entraîner davantage pour retrouver ses talents, en vue du tournoi du solstice d'été, et elle rongea son frein en continuant à s'entraîner seule au tir à l'arc. La frustration de son absence lui donnait paradoxalement plus de force et elle s'améliora significativement, même si elle se sentait aussi moins enthousiaste à aller tous les matins en forêt sans lui.

Le matin du solstice d'été, elle se réveilla rapidement. Elle resta néanmoins quelques instants dans son lit, observant par la fenêtre un jour estival qui se levait entre les branches d'arbres verdoyants.

L'été était toujours magnifique à Fondcombe, mais celui-ci semblait encore plus beau que les années précédentes, comme un bouquet final, le plus beau des étés parce qu'il était le dernier. Alcara se sentit à la fois joyeuse et mélancolique à la vue de cette aube resplendissante, comme s'il fallait profiter de chaque instant avant qu'il ne disparaisse à tout jamais. Il était en effet de notoriété publique que Fondcombe commençait à se vider de ses habitants : les elfes immortels avaient commencé leur départ vers le Havre Gris, et un jour, toute la cité serait complètement déserte.

Elle se leva alors pour s'habiller de sa tenue de fête et revêtir la couronne de fleurs traditionnelle célébrant l'arrivée de l'été. Ce temps de ruines et de légendes oubliées n'était pas encore venu.

Avant le grand festin qui avait toujours lieu au coucher du soleil, la journée fut emplie de pièces de théâtres, de pièces musicales et surtout, d'un grand et beau tournoi.

Dans les tribunes, Alcara trouva une place en retrait, à côté de Gandalf : elle aimait admirer les chevaliers qui s'affrontaient, et enviait les chevaliers et les princes qui avaient le droit de combattre, contrairement aux dames ; mais elle appréciait surtout de pouvoir observer discrètement les membres du public.

Comme à son habitude, le roi Elrond était coiffé d'une couronne tressée d'or. Sur son modèle, Arwen et ses frères, à côté de lui, étaient revêtus des mêmes atours, mais la princesse semblait encore plus lumineuse qu'à l'ordinaire. En plus de sa couronne d'or, des pierres précieuses de différentes couleurs scintillaient dans ses tresses, comme d'innombrables fleurs écloses. Elle semblait impatiente : chacun savait qu'elle attendait les exploits de Grands-Pas. Leurs fiançailles seraient certainement annoncées le soir-même, même si ces étapes dans les royaumes des elfes prenaient souvent plusieurs années, en particulier dans les familles royales. Le roi Elrond n'en semblait pas spécialement enthousiaste, mais cela était peut-être une façon de montrer qu'il était dur en négociation.

Les premiers champions arrivèrent sur le terrain sous les acclamations : les premiers échanges furent impressionnants, les écus sonnèrent sous les coups des lances et les chevaux, lancés à corps perdus les uns en face des autres, faisaient s'exclamer la foule.

Alcara n'aimait pas spécialement la violence qui se dégageait de ces combats : après tout, c'était une façon de préparer la guerre que de s'entraîner aux tournois. Mais la dextérité avec laquelle les elfes et les Hommes manoeuvraient leurs chevaux était époustouflante. Elle-même adorait chevaucher mais n'était pas capable d'une telle adresse : ils semblaient deviner les pensées de leurs cavaliers et réagir par réflexe à toutes les incartades.

Au bout d'un moment, Grands-Pas arriva : son armure était particulièrement belle et étincelait sous le soleil, des plumes blanches décoraient son heaume. Avant de commencer, il s'avança vers la tribune et offrit, comme la tradition l'exige, le lys qui se trouvait sur sa poitrine à la Dame pour qui il combattait. Comme prévu, il l'offrit à Arwen dont les joues rosirent de plaisir, sous les acclamations. Au cours du combat, il montra les mêmes talents que son adversaire elfe, et le fit tomber dès le premier face-à-face. Sautant de son cheval pour continuer le combat au sol, il montra beaucoup de force et d'énergie dans son maniement de l'épée et fit rapidement en sorte que son concurrent mette un genou à terre, annonçant sa défaite. Il fut longuement applaudi : c'était réellement le champion de la journée.

Après lui vinrent deux elfes, dont un des deux lui était inconnu : son heaume et son armure portaient des armes d'un vert émeraude, avec un arbre et des feuilles dorées. Son cheval blanc trottait élégamment vers les tribunes. Mais contrairement aux autres, la rose rouge qu'il portait à la poitrine ne fut donnée à aucune demoiselle, comme cela arrivait de temps en temps.

Quand il passa devant Alcara, elle le vit de dos et le reconnut : sa chevelure blonde, presque blanche, ne faisait aucun doute : il s'agissait de Legolas. Son cœur battit plus rapidement : il portait une rose rouge sans épines, et elle ne put s'empêcher de penser qu'il était allé la cueillir dans la forêt, là où il était tombé, mais elle n'en avait pas la certitude.

Elle ne détachait pas ses yeux de lui : il ne donnait toujours pas sa rose, et passa plusieurs fois devant les tribunes, applaudi par la foule. En revenant sur la gauche de la tribune, où elle se trouvait, il sembla tourner sa tête vers sa direction. Mais comment en être sûr? Avec son heaume, on ne pouvait pas suivre son regard.

Son adversaire et lui se mirent en position pour l'assaut : sans s'en rendre compte, les mains d'Alcara commencèrent à trembler légèrement. Et si le choc était trop violent ?

C'est alors qu'au son de la trompette, ils foncèrent l'un vers l'autre : leurs boucliers se fracassèrent sous le coup des lances. Ils tombèrent en même temps de leurs chevaux. Alcara poussa un cri d'effroi et se couvrit la bouche, des spectateurs se levèrent même de surprise. Mais les deux cavaliers se redressèrent immédiatement pour s'affronter, au soulagement du public. Ils semblaient de force équivalente, mais la rapidité de Legolas était exceptionnelle : comme un oiseau, il semblait voleter de droite et de gauche, maniant son épée avec la main gauche, la main droite indifféremment. Alcara n'avait jamais vu une telle dextérité, il avait l'air de danser et non de se battre.

Au bout de quelques minutes, le combat était déjà terminé, et Alcara fut presque déçue de ne pas pouvoir l'admirer plus longtemps. Après avoir été déclaré vainqueur, il enleva son heaume et s'inclina face au public, en balayant du regard tous les spectateurs, sans s'arrêter sur une personne ou une autre, hormis le roi Elrond. Il récupéra son cheval et repartit rapidement vers l'arrière des arènes.

Alcara suivit de loin les affrontements suivants, rêveuse : Legolas semblait être un guerrier exceptionnel, même s'il n'avait jamais évoqué ses précédents combats lors de leurs conversations, où il avait surtout posé des questions sur elle. Il n'avait donné sa rose à aucune dame, ce qui était à la fois une bonne nouvelle, et une mauvaise : peut-être qu'ayant vécu déjà depuis si longtemps sur la terre, comme certains elfes, il avait fait le voeu de ne plus s'attacher à aucune femme, elfe ou humaine...

Le soir arriva doucement, avec un coucher de soleil interminable : les chants, les feux de bengale et les airs de musique créaient une atmosphère joyeuse et insouciante parmi les elfes. Alcara, coiffée d'une couronne de fleurs vives, s'adonnait avec enthousiasme à ces festivités : bien que femme et non elfe, elle adorait apprendre leurs chansons et jouer de leurs instruments, luth et harpe en particulier. Et avec les autres hommes et femmes du royaume, profiter du grand feu de joie où l'on jetait les symboles de l'hiver : branches de houx séché, de sapin, figurines tressées des esprits de la neige et de la pluie.

A travers les grandes flammes, une lueur attira alors son attention : un elfe aux longs cheveux blonds, et coiffé comme les autres membres de la cour, d'une couronne tressée de feuilles vertes. Alors que les elfes de Fondcombe étaient majoritairement bruns, lui détonnait par la couleur blonde presque blanche de sa chevelure, et une tenue d'un vert foncé et non pas bleu clair, comme les autres. Il était impossible de le confondre. Elle n'osa pas aller vers lui publiquement, et ne savait pas trop à quoi s'en tenir : devait-elle faire comme s'ils étaient bons amis devant toute la Cour ?

Elle profita d'être plus loin de lui pour le regarder : il semblait à la fois très jeune d'aspect, et très sage d'esprit, comme s'il avait déjà vécu plusieurs âges et toutes les expériences d'un ancien. Comme beaucoup d'elfes, son âge était donc indéfinissable ; mais contrairement aux membres des royaumes de Lorien ou de Fondcombe, il avait l'apparence d'un voyageur, ou d'un invité, et ne se mêlait pas avec aisance aux autres convives. Il se tenait d'ailleurs à côté de Grands-Pas avec qui il semblait en grande conversation, et souriait parfois avec lui, comme si entre exilés, ils se comprenaient.

Quant à Legolas, il ne manquait pas en réalité de remarquer, en feignant de les ignorer, les regards curieux de la jeune femme vers lui, mais il hésitait sur l'attitude à adopter. En compagnie de son ami Grands-Pas, tout était simple, ils se connaissaient bien et il était facile de lui parler. Avec elle, il avait l'impression de toujours manquer de choses pertinentes à lui dire, comme s'il avait le souffle coupé, comme intimidé, et les sens engourdis.

Gandalf était aussi de la fête : malgré sa réserve habituelle, Legolas se dit qu'il avait là l'occasion de parler à un confident moins malicieux et plus compréhensif que Grands-Pas. Il alla vers lui, et après quelques mots de politesse, il demanda au magicien, en tant que son tuteur, s'il savait d'où venait Alcara et quelles étaient ses origines.

- Son passé compte moins que son avenir, lui répondit Gandalf avec ses habituelles réparties énigmatiques.

- Je ressens chez elle une puissance peu commune, et même magique, lui avoua Legolas, et cela m'intrigue.

- Je pense que sa beauté joue aussi un rôle dans l'intérêt que vous lui portez, lui répondit facétieusement Gandalf en souriant dans son verre.

Legolas, interdit, rougit légèrement : en effet, il avait remarqué immédiatement la beauté de Alcara, différente de celle des elfes. Moins "lisse" et moins parfaite, elle avait le charme des femmes de caractère et une étincelle particulière dans ses yeux noirs qui attisait sa curiosité, si ce n'est son désir. Mais habitué à de longs voyages solitaires et aux batailles, Legolas n'avait aucune idée de la façon dont on pouvait aborder l'autre sexe en société.

- On dit que les danses vont bientôt commencer, dit innocemment Gandalf, en tirant sur sa longue pipe en bois, en regardant en coin Legolas.

Legolas le regarda et réfléchit, un petit sourire timide sur le visage :

- Décidément, Gandalf le Gris, même les pensées des anciens elfes ne sont pas un secret pour vous.

- Cher ami, répondit Gandalf en faisant des ronds de fumée, je pense être bien plus vieux, et donc beaucoup plus sage que vous.

Ils échangèrent un regard et rirent en même temps.

- Ah, cher Legolas, ajouta Gandalf ensuite : je sais que vous avez vu de nombreux chênes passer de glands à arbres centenaires, et que vous parcourez la terre depuis bien longtemps. Vous avez vu des batailles, des royaumes grandir et mourir...mais il est des aspects de la vie dont vous devez aussi profiter. N'hésitez pas trop : si votre vie est longue, d'autres vies que la vôtre sont hélas plus courtes.

Legolas, l'air pensif, tournait son verre vide entre ses mains, observant Alcara remettre sa couronne de fleurs en place et rire avec ses amis qui s'essayaient au luth. Puis il posa son verre vide sur la rambarde et se releva, en disant à Gandalf en partant :

- Par les Valar, il faut plus de courage que pour tuer une armée d'Orques !

Et il se dirigea droit vers Alcara.

Elle était en train de rendre le luth qu'elle avait dans les mains à un des musiciens, qui se préparait aux danses, quand elle leva les yeux et vit Legolas, planté juste devant elle de toute sa stature. Elle se mit à rougir fortement et arrêta un instant de respirer.

- Voudriez-vous m'accorder la première danse? lui demanda-t-il simplement.

Elle en eut le souffle coupé : elle, danser avec Legolas, si adroit pendant le tournoi de la journée ? Elle risquait d'être si maladroite...Mais avant qu'elle ait pu répondre, il ajouta :

- Je vous guiderai.

Elle fut amusée qu'il semble lire si vite dans ses pensées. Les elfes faisaient cela, quelquefois... Elle se tourna à droite et à gauche, comme vous vérifier qu'il ne s'adressait pas à une autre, et lui tendit la main.

Il la guida jusqu'à la piste de danse : intimidée et mal à l'aise, elle essaya de se rappeler les rudiments des danses elfiques, mais Legolas la rassura en prenant son temps pour la guider dans la première danse, dont le rythme était plus calme pour attirer les danseurs sur la piste. Heureusement pour elle, tous les regards étaient bien sûr tournés vers Arwen et Grands-Pas, dont les regards l'un vers l'autre étaient si intenses qu'ils semblaient produire de la lumière. La danse constituait en une série de rondes, mais chaque contact avec les mains de Legolas, ou sa main sur sa taille, déclencha chez Alcara comme une décharge de chaleur. Elle ne pouvait pas détacher ses yeux de son regard d'un bleu perçant, qui semblait lui dire où aller, comme un repère dans les rondes et les pirouettes de la danse. Au moment de se rejoindre, elle prit son courage à deux mains pour lui parler :

- Je vous félicite pour votre exploit pendant le tournoi d'aujourd'hui, vous étiez impressionnant.

- Je vous remercie. C'est un entraînement comme un autre, répondit modestement Legolas, les vraies batailles ont beaucoup plus de mauvaises surprises.

- Vous avez fait beaucoup de batailles? demanda-t-elle avec curiosité alors qu'il lui faisait faire un tour sur elle-même.

- Quelques-unes, répondit-il. La plus remarquable de ces dernières années était la Bataille des Cinq Armées, contre les Nains. Ils sont avides, mais redoutables au combat.

Après avoir donné quelques détails sur cette bataille, il s'aperçut que ce n'était peut-être pas un sujet approprié pour une danse, même si Alcara le relançait sur le sujet avec intérêt.

- Je n'aurais pas cru que ce sujet vous intéresserait autant, avoua Legolas.

- Vous allez encore dire que je suis...surprenante? lui demanda-t-elle en souriant.

- Peut-être bien, confirma-t-il en souriant à son tour.

- Je ne me rends pas compte de ce que je suis ou non, et cela m'importe peu en réalité, expliqua-t-elle. Le plus important est ce que l'on devient, ne croyez-vous pas ?

- Je crois qu'il y a beaucoup de choses dont vous ne vous rendez pas compte, répondit Legolas avec un ton soudainement plus énigmatique.

Elle se tut, surprise et intriguée par sa réponse ambiguë, et par son regard soudainement plus intense sur elle. Au bout d'un moment, alors qu'ils enchaînaient sur une deuxième danse sans s'en apercevoir, elle lui demanda :

- Pourquoi dansez-vous avec moi ?

Elle se mordit immédiatement la lèvre d'avoir posé une question aussi directe. Mais Legolas, que ce geste attendrit intérieurement, réfléchit un instant avant de lui répondre :

- Parce que c'est avec vous que j'en ai envie. Et puis nous ne nous sommes pas beaucoup croisés dernièrement, alors que je m'entrainais pour le tournoi. Et si je tombe, au moins pourrez-vous faire apparaître des roses pour amortir ma chute.

Elle rougit légèrement, espérant que personne ne les entende parmi les autres danseurs.

- Et vous? demanda Legolas. Pourquoi dansez-vous avec moi?

Dans cette atmosphère joyeuse, elle aurait voulu être plus intrépide, lui avouer qu'il lui avait manqué, qu'elle pensait encore à lui à chaque minute de la journée, et que le retrouver en cet instant lui apportait plus de bonheur qu'elle n'en avait jamais connu. Mais dans sa timidité, elle se contenta de répondre :

- Parce que vous dansez si bien que je ne risque pas de me ridiculiser.

Il rit de sa plaisanterie, et à cet instant, à la déception de Alcara, la musique s'arrêta et ils quittèrent la piste de danse. Dès qu'ils furent de nouveau dans la foule, Grands-Pas réapparut et échangea des plaisanteries avec eux. Sentant que le moment des confidences était terminé, elle prit alors congé en prétextant devoir se lever tôt, et repartit vers ses appartements. En marchant, elle se sentit à la fois heureuse et un peu frustrée de ne pas avoir pu le voir plus longtemps, mais danser avec lui aux yeux de tous avait été un réel progrès. Malheureusement, le manque de confiance de Alcara en elle-même prit le dessus quand elle se dit qu'il danserait peut-être avec d'autres femmes ce soir-là...

Pourtant, en passant devant la porte de sa chambre, elle remarqua un détail curieux : une petite rose rouge était accrochée sur le battant de la porte.

La rose que portait Legolas sur son armure pendant le tournoi.

 

Chapter 4: Dernier Été

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Dernier Été

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Avertissement : une partie de ce chapitre est réservée aux lecteurs matures et sera mentionnée par des étoiles ****

Mais d'autres parties sont significatives pour la suite de l'histoire et vous pouvez les lire sans avertissement.

Elle ne dormit pas de la nuit, à la fois enthousiaste et apeurée par la suite. Jamais encore elle n’était tombée amoureuse, et l’ensemble de ces indices suffisait à lui faire comprendre ce que Legolas ressentait pour elle. Elle faillit même retourner au bal, mais elle se retint de paraître chercher à tout prix sa compagnie aux yeux de tous.

Sans même se mettre en tenue de nuit, tenant la rose rouge dans sa main, elle marcha en tous sens dans sa chambre, se souvenant de chaque indice de l’affection de Legolas pour lui, alors que sa réserve, ses silences avaient été si difficiles à déchiffrer pour elle.

Elle ne vit pas les heures défiler, ni la lueur pâle de l’aube qui commençait à éclaircir le ciel. Penchée à sa fenêtre et perdue dans ses pensées, elle entendit alors quelqu'un frapper à sa porte. Sentant son sang ne faire qu’un tour, elle fut certaine que c’était lui qui venait la voir. Cela ne pouvait être que lui. Elle regarda rapidement son apparence dans le miroir avant d’inspirer fort pour se donner du courage, et ouvrit la porte.

Il était là, lui aussi encore en habit de bal, lui aussi semblant avoir peu dormi, avec un air sérieux et confus. Il remarqua immédiatement qu’elle tenait dans sa main la rose rouge qu’il avait laissée sur sa porte.

- Bonjour, dit-il de son habituelle voix douce et enveloppante. Je…je me demandais si vous voudriez faire quelques pas avec moi, dans la forêt ?

Elle haussa les sourcils mais ne tarda pas à accepter, impatiente de le retrouver et de plus en plus nerveuse.

Jusqu’à la forêt, ils marchèrent dans un silence gêné, et elle se demanda comment faire pour lui parler, lui avouer…et elle espérait qu’il avait les mêmes pensées que lui en cet instant.

Arrivés sur un petit sentier, il s’arrêta alors pour lui faire face, mais il regardait au sol et évitait son regard. Elle attendit patiemment, sentant son cœur battre de plus en plus vite.

- Alcara…J’ai réfléchi toute la nuit. Je dois vous dire que…commença-t-il avec hésitation, sans la regarder directement. Je dois vous dire que je ne peux rien vous promettre.

Alcara fronça les sourcils, étonnée, ne comprenant pas ce qu’il voulait dire.

- Vous le savez, Alcara, vous m’intriguez, et j’éprouve de la curiosité, et même du désir pour vous, mais…je suis un guerrier, et un prince depuis longtemps loin des siens. Je vis en permanence sur les chemins. Je ne suis pas de ceux qui restent.

Alcara hocha la tête lentement : “Je comprends.”

- N’espérez pas de moi ce que je ne saurais vous donner, continua-t-il. Je tiens à vous le dire avec sincérité. Je ne voudrais pas vous blesser.

Elle crut qu’il la rejetait, qu’il ne voulait pas d’elle, et baissa la tête. Mais prise par un élan mystérieux, elle leva de nouveau les yeux vers lui :

- Alors vous n’avez rien à perdre, lui répondit-elle avec défi. Je ne serai pas celle qui veut vous retenir contre votre gré, ou contre vos devoirs. Et si les dieux sont favorables, ils nous diront si cela vaut la peine ne serait-ce que d’essayer, pour un moment. Je ne chercherai pas à vous changer.

- Je risque d’être souvent absent, de partir longtemps et de vous laisser seule…expliqua-t-il en la regardant dans les yeux, comme pour s’assurer qu’elle mesurait toutes les conséquences qui en découleraient.

- J’attendrai, répondit-elle simplement.

Une forme de pacte inédit semblait se sceller entre eux, et ouvrir un horizon de possibilités.

Elle avait été loin de s'attendre à une telle déclaration, il avait dû y réfléchir toute la nuit avant de lui avouer tout cela…elle sentait qu’elle était face à un défi difficile, qui lui demanderait d’éprouver de nombreux obstacles. Pourtant, si elle ne le faisait pas, elle s’en voudrait toute sa vie. Et en cet instant, elle ne pensait qu’à une chose, et lui murmura simplement :

- Embrassez-moi, Legolas.

Il la regarda enfin dans les yeux, avec son regard bleu, semblant deviner non pas son esprit, mais son âme. Et doucement, précautionneusement, il lui caressa la joue, et déposa un baiser sur ses lèvres, un baiser plus long, plus intense que ce qu’il avait prévu, mais à présent il ne pouvait plus faire machine arrière et ne l’aurait pas souhaité pour tout l’or du monde.

Le reste de cet été-là fut placé sous le signe d’une grande liberté. Tous les jours dans la forêt, Legolas et Alcara profitaient de leurs promenades pour laisser libre cours à leur nouvelle attirance mutuelle.

Ils parlaient de nombreuses choses, du cours du temps et du monde, des voyages et des batailles de Legolas, des recherches scientifiques et médicales de Alcara. Même si comme tous les elfes, Legolas ne percevait pas toute l’utilité des potions guérisseuses et des onguents qu’elle apprenait à confectionner, il reconnaissait volontiers leur nécessité, particulièrement sur les champs de bataille. Il lui apprit ainsi l’utilité de certaines plantes de la forêt, pour soulager des douleurs, aider à s’endormir ou au contraire pouvoir rester éveillé plus longtemps.

Le plus souvent, ils allaient à pied à l’ombre des arbres, tenant leurs chevaux derrière eux, avec ou sans bride. La confiance que leur portaient leurs montures les amenaient à les suivre tranquillement, sans contrainte. Ils ponctuaient leurs discussions de longs baisers et Legolas prenait Alcara par l’épaule ou par la taille, caressant de temps à autre sa longue chevelure brillante et légèrement bouclée.

Alcara ne réalisait pas encore complètement que le couple qu’elle formait désormais avec Legolas aurait de nombreuses conséquences sur le reste de son destin. Elle avait le sentiment de continuer un rêve éveillé et profitait de chaque instant, comme un premier amour de jeunesse. Legolas faisait toujours preuve avec elle d’une grande douceur, comme si elle était un objet fragile à préserver, et ses baisers, bien que sincères et affectueux, restaient modérés, presque chastes. “A l’image des elfes”, se disait-elle en souriant, mais cette situation lui convenait car elle pouvait en savoir plus sur lui et comprenait pourquoi il l’avait tant impressionnée. Il était, effectivement, un prince en exil : les raisons de son départ lui restèrent inconnues, et elle respecta les silences que posait Legolas sur son passé. Il avait déjà connu de nombreuses batailles contre les Orques, qui représentaient, et elle en avait bien conscience, une menace persistante sur la Terre du Milieu.

Et plus fortement encore, ce qui la frappa sans ses récits était l’écart entre son âge et le sien, même si leur apparence physique laissait simplement penser qu’ils étaient deux jeunes vingtenaires amoureux. Les âges des elfes étaient si différents des hommes et des femmes…et on voyait dans son regard un peu lointain, que déjà beaucoup de sa vie était derrière lui.

Elle avait toujours ressenti une différence avec les elfes : petite déjà, Elrond ne la mêlait pas aux autres elfes enfants, et pour une bonne raison. La petite fille apprit rapidement par ses nourrices qu’on ne pouvait mêler des enfants qui grandiraient en plusieurs siècles, et ceux qui grandiraient et vieilliraient en seulement quelques décennies.

Mais Alcara semblait insuffler au prince des forêts une seconde jeunesse : il souriait plus qu’avant, était heureux de pouvoir se préoccuper d’elle et de mieux la connaître. Bien sûr, au fond de lui, il sentait que leurs “âges”, c’est-à-dire leurs expériences, leurs visions de la vie, ne coïncidaient pas : mais il bénissait le destin de lui avoir permis de vivre une si belle idylle, même s’il ignorait combien de temps cela pourrait durer.

Alcara était plus souvent conviée aux activités de la princesse Arwen, qui avait deviné sans le lui dire, sa relation avec Legolas. Elle s’en était doutée dès la chasse royale, et Grands-Pas le lui avait confirmé, même si Legolas s’était abstenu de lui en parler. Mais elle garda le secret, car comme le sien, d’autres amours ne voulaient pas toujours être connus du reste du monde. La princesse avait aussi une autre idée en tête, liée à l’apparition étrange des roses rouges que Alcara avait cueillies, et qui étaient survenues comme par hasard, là où Legolas était tombé de cheval. Elle avait fait le lien immédiatement avec la rose qu’Alcara portait à la main quand elle était venue lui rendre visite, et elle voulait en savoir plus, car aucun homme ni aucune femme ne possède de tels pouvoirs; même les elfes ne pouvaient faire apparaitre des objets…

Alcara fut ainsi invitée, avec les suivantes d’Arwen, à la suivre dans la forêt pour cueillir des fleurs et des framboises sauvages. C’était une très chaude journée d’été, et malgré la fraicheur des arbres, elles furent rapidement lasses, alors que l’après-midi se prolongeait. Arwen eut alors une idée :

"Allons nous baigner dans la rivière !"

Toutes les dames s’exclamèrent de joie, et Alcara, plus embarrassée, les suivit néanmoins. Elles arrivèrent sur une rive qui descendait en pente douce dans un bras plus calme de la rivière, et enlevèrent leurs tenues pour ne garder que les fines robes de lin blanc qui se mettaient sous les tissus de soie. Alcara les imita, et entra avec plaisir dans l’eau fraîche et claire avec elles. Arwen et les suivantes se connaissaient depuis l’enfance, et partagèrent des plaisanteries et des jeux, que Alcara suivit avec une confiance et un enthousiasme croissants. Elle découvrit une communauté de femmes elfes à la fois belles et épanouies, qui faisaient communion avec la nature sans honte, et elle apprécia de partager avec elles ce moment de liberté.

Mais alors qu’elles se baignaient tranquillement, elles entendirent soudain un homme s’écrier, en faisant irruption dans l’eau, créant un mouvement de panique et des cris parmi elles. Alcara, qui s’éloigna en nageant de l’autre côté, reconnut immédiatement Grands-Pas, qui s’amusa à les éclabousser et prit Arwen dans ses bras, comme pour l’enlever. Arwen riait aux éclats et les autres suivantes firent semblant de l’en empêcher, en l’éclaboussant avec vigueur, mais alors d’autres elfes, dont les frères d’Arwen, sortirent eux aussi de la forêt et les rejoignirent dans l’eau. Alcara riait et s’amusait avec eux, et finalement sortit de l’eau pour se sécher un peu au soleil, pendant que les autres jeunes gens continuaient de plaisanter et de nager dans l’eau claire.

Allongée sur la rive, elle regarda la rivière et les arbres derrière elle, et aperçut entre les branches, un cheval qui ressemblait à celui de Legolas. Intriguée, puisqu’il n’était pas parmi eux, elle se leva, rassembla ses cheveux encore humides et défaits, prit sa robe de soie sous son bras et s’approcha lentement des feuillages pour aller voir la monture blanche.

Quand elle reconnut effectivement le cheval, elle lui adressa quelques mots en elfique et lui caressa l’encolure, et quelqu’un la prit soudainement par la taille. Elle s’exclama, mais en se retournant, reconnut Legolas qui lui fit un grand sourire. Elle entoura immédiatement son cou de ses bras.

- Je ne savais pas que tu étais là ! lui murmura-t-elle, et il déposa un léger baiser sur ses lèvres. Tu devrais nous rejoindre.

- Nous étions en train de nous entraîner à l’épée non loin d’ici, dans les bois, expliqua Legolas, et Grands-Pas vous a vues. Mais je ne lui ai pas dit que nous étions…

Elle hocha simplement de la tête, respectant sa réserve, et la partageant. Elle s’imaginait mal elle-même batifoler aussi ouvertement qu’Arwen et Grands-Pas.

- Viens par ici, lui dit-il en lui prenant la main, pour la guider plus loin.

Ils marchèrent quelques instants, et arrivèrent dans une petite clairière ensoleillée, entourée de grands hortensias d’un bleu vif qui grandissaient à l’ombre des arbres, et ils s'assirent côte à côte dans l’herbe tendre.

- Ici, tu n’auras pas froid, dit Legolas en se penchant vers elle, posant son bras autour de sa taille.

- Je n’ai jamais froid avec toi, lui confia-t-elle avec un sourire séducteur.

Elle voyait bien que Legolas observait les courbes de son corps, qui transparaissaient à travers le tissu fin de sa robe de lin encore mouillée. Au lieu de la gêner, son regard sur elle l’électrisait, et faisait naître une douce chaleur dans son ventre.

Legolas s’approcha alors davantage d’elle, et l’embrassa plus longuement, plus intensément que d’habitude, et sa respiration devint plus forte, plus entrecoupée. Alcara, penchée vers lui, sentait la chaleur de ses lèvres, alors que les siennes étaient encore fraîches de sa baignade, et respira son odeur, qui rappelait l’humus de la forêt et la paille des champs de blé en été. Legolas prolongea leur baiser et sa main, d’abord sur la taille de Alcara, commença à parcourir les courbes de son corps en de légères caresses, dans son dos, sur ses cheveux humides, puis peu à peu sur sa cuisse et sur ses reins. Elle aurait voulu qu’il ne s’arrête jamais, et désirait même qu’il aille encore plus loin. Pourtant, il s’écarta d’elle subitement, comme pris par un scrupule.

- Qu’y a-t-il ? lui demanda-t-elle, soucieuse.

- Je suis désolé, lui dit-il, je n’aurais pas dû.

- Pourquoi ?

Elle eut peur soudain, qu’il ne la désire pas, qu’il se lasse d’elle. Depuis leur premier baiser et le “pacte” voulant qu’elle ne s’attache pas trop à lui, cette peur revenait fréquemment, par intermittences.

- Tu es encore si jeune, Alcara, lui chuchota-t-il en lui caressant la joue et le cou. Tu as une fougue, une passion qui m’ont plu immédiatement chez toi. Mais je ne peux pas te mettre dans une situation hasardeuse…

Elle comprit de quoi il parlait. Chez les elfes comme dans beaucoup de sociétés, la tradition était encore vivace.

- C’est parce que tu es un prince que tu ne veux pas prendre de risque ? lui demanda-t-elle franchement.

- Non, répondit-il en souriant, ce n’est pas pour cette raison, et ce n’est pas un obstacle.

- Je suis guérisseuse, lui expliqua-t-elle, je sais comment ne pas me mettre dans des situations hasardeuses. Les vieux grimoires que j’ai lus donnent des solutions.

Il sourit en la regardant, mais resta gêné. Elle appréciait à la fois sa prévenance et la regrettait, espérant qu’il soit plus spontané et plus passionné, davantage…comme elle. Mais elle voulait l’accepter tel qu’il était, sans vouloir le changer.

Le moment était passé, elle le savait. Elle se leva, mais il lui prit la main pour la retenir.

- Ne pars pas, lui dit-il, et elle sentit sa résistance plier peu à peu, mais elle tint bon.

- Tu sais que je suis là, lui répondit-elle. Mais tu sais aussi que tu partiras tôt ou tard. Saisissons l’instant tant que nous le pouvons.

Il ne dit rien, mais sembla sensible à ses paroles. Elle remit sa robe en soie, et ajouta :

- Ce soir, nous avons le festin d’été. Si tu le souhaites, nous pourrons nous retrouver ensuite. Je serai là et…je serai prête.

Elle lui reprit la main et la serra en souriant, et repartit vers Fondcombe, perdue dans ses pensées.

Le reste de cette journée d’été déposa sur tout Fondcombe une langueur toute particulière, écrasant les habitants sous la chaleur. Dans la cité, la rivière du contrebas et les frondaisons permettaient un peu de répit, mais le soleil avait assoupi tous les esprits.

Peu à peu, le soleil s’inclina, offrant un répit joyeux aux habitants. Les elfes, reposés toute la journée, étaient en pleine forme et s’activèrent pour préparer le grand festin de la mi-solstice.

Alcara suivait de loin les opérations : depuis leurs baisers dans la forêt, ses pensées restaient tout entières tournées vers Legolas. Elle avait de plus en plus de mal à se concentrer sur son apprentissage des sciences, et comme une fièvre, la langueur de cette journée l’avait atteinte à son tour. Elle attendait avec impatience de pouvoir approcher Legolas à nouveau, toucher ses mains, effleurer ses cheveux et son visage, comme dans un enchantement irréel. Elle était partagée entre l’incrédulité d’avoir séduit un si beau guerrier, et un amour aveugle qui lui faisait croire que c’était parfaitement naturel.

 

Quand le crépuscule arriva, incendiant le ciel de couleurs rougeoyantes, elle sentit pourtant son corps en demande d’un attachement plus fort, et elle aurait aimé que son amant soit plus entreprenant.

En prévision du festin du soir, elle revêtit une ample robe légère, bleu ciel, dont les bretelles fines recouvraient à peine les épaules. Elle mit seulement une petite ceinture en argent pour ne pas serrer sa tenue et profiter de l’air plus frais du soir, et natta ses cheveux pour dégager sa nuque. Elle soupira : finalement, elle n’avait pas très envie d’être aussi éloignée de Legolas pendant toute la soirée, à ne pouvoir échanger que quelques regards de loin, comme Arwen qui devait réfréner ses émotions devant la cour face à Grands-Pas.

Mais cela faisait partie des traditions. Elle prit donc son courage à deux mains, et ouvrit grand la porte.

Elle tomba alors nez à nez avec Legolas, qui allait justement frapper à la porte de sa chambre.

Elle ignorait qu’il avait partagé les mêmes pensées qu’elle, et il se tourmentait intérieurement de ne pas l’avoir revue depuis plusieurs heures. Il ressentait la même impatience, la même soif de l’autre.

Pour le festin, il portait une tunique blanche, argentée et aérienne, propice à la fraîcheur du soir, ainsi qu’un pantalon blanc qui flottait sur ses jambes et des sandales légères.

Ils se regardèrent sans un mot, souriant l’un à l’autre de se retrouver de façon aussi synchrone.

Legolas murmura simplement en elfique : “Comme tu es belle, Alcara”, et caressa sa joue en remettant une de ses mèches derrière son oreille.

Alcara, comme hypnotisée, le laissa entrer. Ils n’iraient pas au festin, finalement.

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Tout se déroula lentement, comme une évidence. Elle lui prit les mains et le fit avancer au centre de la chambre, après avoir fermé précautionneusement la porte. Legolas, les yeux toujours plongés dans les siens, semblait deviner ses désirs et ses pensées avec son regard perçant. Alcara le laissait découvrir ce qu’elle voulait au plus profond d’elle-même. Elle savait qu’il devait avoir plus d’expérience qu’elle, et se laissa guider.

Legolas caressa à nouveau sa joue, puis laissa glisser sa main vers son cou et vers la bretelle droite de sa robe qui tenait à peine sur son épaule, déclenchant en elle un frisson. Il s’approcha d’elle et l’embrassa, toujours de son habituel baiser presque chaste, sans chercher à lier sa langue à la sienne, mais plus fermement que d’habitude. Son autre main vint lui caresser les cheveux. Alcara lui entoura la taille et caressa son dos à travers le fin tissu argenté, sentant les muscles ciselés de son torse.

Legolas, tout en continuant à l’embrasser, jouait machinalement avec sa bretelle, qu’il laissa glisser de son épaule. Il respirait de plus en plus vite, comme Alcara, qui peinait de plus en plus à retrouver son souffle.

Les mains de Legolas glissèrent de l’épaule d’Alcara à sa taille, et sans hésitation, il commença à ouvrir la boucle de sa ceinture. Alcara n’eut pas le temps de s’étonner de son audace, lui qui était si gêné auparavant. Elle saisit l’instant, et suivit ses mouvements de façon symétrique en enlevant la ceinture de Legolas qui tomba sur le sol.

Au loin, les bruits des préparatifs festifs continuaient et les premiers grillons de la nuit se firent entendre, mais les deux amants ne les entendaient plus depuis longtemps. Legolas embrassa Alcara sur les joues, le front, le cou, tout en la faisant reculer vers le lit et en caressant son corps à travers la fine étoffe de sa robe, qui laissait deviner une poitrine ronde et ferme. Il la fit asseoir sur le lit, pendant qu’il ôtait sa tunique, découvrant à Alcara son torse fin et musclé. Fascinée par la vue de son corps parfait, elle ne bougea pas, et attendit qu’il se penche vers elle pour la faire allonger sur le dos, tout en remontant peu à peu sa robe sur ses jambes, puis le haut de son corps. Elle se retrouva entièrement nue devant lui. Sans un mot, il parcourut ses courbes du regard, comme pour garder en mémoire ce souvenir dans son esprit perçant. Alcara surmonta sa timidité : elle avait confiance en lui, cette soirée semblait faite pour cette nuit à deux, et malgré une forte chaleur qui lui montait aux joues, était impatiente d’aller plus loin. Legolas sembla avoir un éclair d’hésitation, qu’elle aperçut. Et comme pour l’encourager, elle lui caressa le torse et lui sourit.

Legolas sourit à son tour, plus timidement mais sans dire un mot.

Elle lui tendit les bras pour l‘accueillir vers elle, il se pencha et l’embrassa à nouveau. Ses cheveux blonds sentaient encore la fraîcheur de la forêt et cette odeur de paille séchée typique des heures de canicule. Elle sentit contre son bas-ventre, la bosse de son membre durci par le plaisir, et elle tressaillit, sentant son cœur battre de plus en plus vite, libérant ses envies et ses désirs. Elle fit des mouvements de haut en bas pour l’inciter à aller plus loin, et sentait à travers l’étoffe de son pantalon en toile légère, que cela lui faisait un certain effet. Il cessa un instant de l’embrasser pour la regarder avec des yeux plus sombres, plus volontaires, qui lui rappelèrent le moment où il allait tirer une flèche contre la biche qu’ils pourchassaient, mais il semblait attendre sa réponse et lui demander l’autorisation d’aller plus avant. Pour montrer qu’elle avait compris, elle hocha la tête et reposa sa tête sur les draps. Il se redressa un peu pour ôter son pantalon, et elle découvrit alors sa virilité épanouie, comme si tout comme elle, il avait toujours vingt ans.

Il alla le plus doucement possible, pour ne pas la brusquer. Elle profita de ce moment pour réfréner sa crainte et s’habituer à sa présence, profitant de sa délicatesse, de la douceur de ses cheveux qu’elle caressait avec bonheur, de son parfum et de ses soupirs de plaisir. Après un bref moment de douleur, elle ressentit à son tour une chaleur agréable et des frissons la gagner. Elle laissa échapper un soupir plus puissant et agrippa ses épaules, mais Legolas crut qu’il lui avait fait mal et interrogea son regard. Elle le rassura et espéra qu’il irait plus vite, ou plus fort, mais il resta prudent et s’avança graduellement, pendant qu’elle sentait son plaisir croître au fur et à mesure qu’il entrait plus énergiquement en elle. Au bout d’un moment, leurs corps complètement fusionnés l’un à l’autre, ils poussèrent, lui puis elle, un soupir étouffé pour ne pas attirer l’attention des invités qui passaient dans les allées, à quelques mètres de leur chambre. Elle sentit que le membre de Legolas eut un léger frisson, mais il resta quelques instants en elle, couché sur sa peau. Elle caressa ses cheveux dorés, mêlés dans ses cheveux bruns, et voulut que ce moment ne s’arrête jamais.

Les jours suivants, ils s’isolèrent un peu davantage pour profiter de tous les moments qu’ils pourraient passer l’un avec l’autre. Les autres membres de la cour, se doutant de quelque chose en remarquant leurs absences simultanées, ne trouvaient rien à en redire. Après tout, Legolas venait d’une forêt lointaine et il était de notoriété publique qu’il était davantage un guerrier solitaire qu’un prince pétri de devoirs. Alcara quant à elle, était une jolie et brillante jeune femme, certes moins intéressante qu’une elfe à leurs yeux, mais libre de toute contrainte et de toute attache familiale. Pendant cet été de passion, elle délaissa ses études, mais Gandalf, loin de jouer le mentor sévère, observait de loin la jeune femme avec bienveillance : après tout, elle avait l’âge de connaitre l’amour et devait en profiter.

Une autre raison, peut-être plus sombre, animait le magicien gris : d’une part, cette idylle la détournait de la recherche de ses origines. Et Gandalf, qui n’avait pas manqué de voir le potentiel de la jeune femme, savait aussi que ce passé la rattraperait un jour, mais pas aujourd’hui. Mais d’autre part, un avenir funeste, bien plus proche, les attendait dans peu de temps, un avenir qui les lierait tous, autour de guerres et d’un Anneau de pouvoir. 

 

Chapter 5: Quand Arriva L'Automne

Chapter Text

Quand Arriva l’Automne

Musique à écouter sur ce chapitre :

Deux mois après leur idylle pourtant, l’automne les rattrapa, et les tourments du monde s’invitèrent dans le vallon tranquille des elfes.

Cela commença par des réunions de plus en plus fréquentes entre Gandalf, le roi Elrond, Grands-Pas et Legolas, ainsi que les frères d’Arwen et quelques autres guerriers. Alcara ne put en savoir davantage ni de la part de Gandalf, ni de Legolas, et rongeait son frein. Tout le monde gardait le plus grand secret, mais on pressentait que de graves décisions étaient prises. On disait même que la reine Galadriel était passée pour y participer. Alcara ne comprenait pas pourquoi on ne lui faisait pas confiance pour lui en parler, mais Gandalf l’avait traitée comme une enfant : “Ce sont des sujets importants”. Il aurait presque pu ajouter, se dit-elle avec ironie : “Des sujets pour les grandes personnes.”

Quelques jours plus tard, Grands-Pas partit le premier, revêtant à nouveau une tenue de rôdeur, rejoignant sûrement le groupe des Dunedain qu’il dirigeait dans le Nord. Arwen fit bonne figure, mais on pouvait aisément voir sa peine et sa préoccupation.

Peu de temps après, par un matin plus frais que les précédents, Legolas l’invita à se promener avec lui dans la forêt, et elle craignit le pire. Elle le suivit, mais sa froideur soudaine envers elle, sa distance lui laissaient bien deviner que ses mauvais pressentiments allaient se réaliser.

- Ma douce Alcara, lui dit-il en lui prenant les mains. Je dois t’annoncer une nouvelle importante. Moi et mes hommes devons partir pour l’Est.

Elle reçut cette nouvelle comme un coup de poignard. Comment tout pouvait se terminer si rapidement ?

- Mais pourquoi si vite? répondit-elle, Ne peux-tu pas attendre encore quelques jours?

- En réalité, avoua Legolas, cela fait déjà une semaine que je devrais être parti, mais je n’avais pas le courage de te le dire. Nous devons vérifier des informations.

- Des “informations” dont je ne dois rien savoir, je présume ?

Face à sa peine et à sa déception, elle ne put que réagir de façon sanguine, abrupte, laissant sortir son aigreur. Elle aurait voulu qu’il résiste, qu’il la fasse passer avant ses devoirs, et en même temps elle savait bien que cela était impossible. Dans cette situation insoluble, il faisait ce qui était juste, mais aussi ce qui était difficile, et même si elle le comprenait dans son esprit, son cœur disait l’inverse.

- Ne m’en veux pas, s’excusa-t-il en lui serrant les mains plus fort. Ce ne sont que des vérifications, mais elles sont importantes pour préparer l’avenir.

- Mais moi aussi, je peux faire partie de cet avenir.

Après un silence, elle ajouta :

- Pourquoi ne partirais-je pas avec toi ?

- C’est bien trop dangereux, lui répondit-il avec une voix égale, toujours douce et calme, et elle sentit que son manque d’émotion la mettait en colère malgré elle. Nous avons des années, des siècles d’expérience, pour nous fondre dans la nature, et nous battre contre les Orques si nous en croisons. Si tu venais…

- Je vous ralentirais, le coupa-t-elle avec aigreur. J’ai compris.

Elle se tourna, dos à lui, refoulant les larmes qui menaçaient de couler.

- Peut-être…commença-t-elle à dire, peut-être que nous n’aurions pas dû, que tu regrettes aujourd’hui que nous ayons…

- Je suis heureux que tout cela soit arrivé, insista Legolas, toujours aussi calme devant les réactions tempétueuses de son amie. Je n’aurais pas voulu vivre les choses autrement. Mais oui, des contraintes nous dépassent, et j’ai des devoirs que je dois assumer à présent.

Alcara avait l’impression que son cœur ne lui obéissait plus, qu’il voulait sortir et exprimer de la colère, même de la rage. Comment pouvait-il garder un discours si raisonnable? Elle aurait voulu qu’il lui fasse des promesses insensées, qu’il la supplie de ne pas l’oublier…mais elle oubliait un peu vite le fossé des âges qui les séparait.

- Tu as raison, dit-elle toujours dos à lui, avec une voix étranglée. Tu as des devoirs, tu dois les accomplir. Tu devrais partir, et m’oublier.

- Ne réagis pas ainsi, réagit Legolas. Tu ne le penses pas. Tu es encore jeune et…

- Ne dis pas cela! s’exclama-t-elle soudain en se retournant vers lui, faisant peur à quelques oiseaux qui s’échappèrent des cimes. J’aurais cru…que tu résisterais, un peu, que tu me dirais que tu as vécu le meilleur avec moi, que tu t’es senti jeune, à nouveau, mais…mais tu n’en as pas le courage! Et le courage n’est pas seulement sur un champ de bataille. Je n’ai pas…

Après un silence, s’en voulant de lui montrer ses larmes, elle ajouta :

- Je n’ai pas autant de temps que cela, Legolas, et nous aurions pu en profiter encore un peu. Mais manifestement, c’est une frontière infranchissable pour nous, ajouta-t-elle plus doucement, plus amèrement. Après tout, tu vis depuis plusieurs siècles, quant à moi, je ne vivrai peut-être que pendant quelques décennies, tout au plus.

- Tu sais que ce n’est pas le plus important, rétorqua Legolas, toujours aussi calmement. Si l’on ne fait rien de sa vie pendant plusieurs siècles, à quoi bon? Mais il nous faut agir pour que la Terre du Milieu nous survive, Alcara. C’est cela qui est en jeu. Nous devons protéger notre terre, et ce que nous y avons bâti. Pas seulement pour nous, mais pour les prochains après nous.

Legolas n’évoqua pas une seconde l’avenir en parlant d’eux deux, et cela blessa profondément Alcara. Elle se retenait de ne pas donner des coups de poing contre son cœur si froid, si détaché…il redevenait le guerrier, le prince avec des responsabilités. Elle savait que c’était égoïste de sa part, mais elle ne pouvait s’empêcher de résister. Après tout, elle vivait son premier amour, et sa douleur était si forte…

- Je t’avais prévenu de cela, Alcara, ajouta-t-il simplement.

C’était l’argument qu’elle ne voulait pas entendre : elle avait accepté ce pacte entre eux, mais au fond d’elle-même, elle avait cru qu’il pourrait changer…et cet espoir, finalement, la rongeait.

- Je sais bien, soupira-t-elle en regardant au sol, laissant tomber une larme sur les feuilles tombées.

- Je te promets de revenir l’an prochain, dit-il alors. Attends-moi ici au début de l’automne, et nous nous retrouverons comme avant.

Elle resta un instant silencieuse, la tête toujours baissée. Elle la releva peu de temps après, pour lui répondre :

- Est-ce que ce sera toujours ainsi? Nous nous aimerons, tu partiras, et j’attendrai ton retour? Dois-je attendre ici sans rien faire, que tu reviennes?

- Non, répondit-il. Je pense qu’il faudrait que tu ailles au Gondor, finir ton apprentissage de guérisseuse. C’est une fonction qui sera peut-être plus précieuse qu’on ne le croit d’ici peu de temps.

- J’irai en effet, acquiesça-t-elle, pour penser à autre chose et espérer que tu tiennes ta promesse.

Pour la première fois, l’amertume prenait le pas sur son caractère d’habitude si enthousiaste. Legolas avait montré si peu de tristesse à la quitter, cela lui paraissait incompréhensible.

Alcara fit ainsi la première expérience d’un chagrin d’amour. Les jours suivants, Legolas parti, elle se laissa aller à sa mélancolie, et comme si le temps avait entendu son état d’esprit, il se mit à pleuvoir sur Fondcombe et les premières feuilles d’automne commencèrent à tomber.

Gandalf fut d’une grande aide pendant ces quelques jours, pourtant préoccupé par plusieurs réunions toujours aussi secrètes. Il faisait venir à Fondcombe des visiteurs mystérieux : des nains, d’autres hommes inconnus, des mages, et même, se demanda-t-elle, peut-être un Hobbit.

Il était distant mais prit le temps de lui parler quelques fois pour lui faire accepter sa peine et continuer son chemin personnel.

- Il ne faut pas vous décourager, Alcara, lui dit-il en se penchant à côté d’elle, sur le bord de sa fenêtre. Legolas reviendra, après tout, et ce n’est pas le plus important. Il faut que vous continuiez à étudier, nous en aurons besoin.

- C’est ce que m’a dit Legolas, répondit-elle toujours amère, la gorge nouée, en regardant les gouttes de pluie tomber le long de sa fenêtre. On aurait cru que vous vous êtes concertés. Mais je ne m’attendais pas à ce que celui que j’ai aimé parle comme mon mentor.

- Lui aussi est tiraillé par ses devoirs, la rassura-t-il.

- Pourtant il n’en a rien montré.

- C’est un elfe, il ne montre pas facilement ses sentiments.

- Quand Grands-Pas est parti lui aussi, Arwen n’a pas hésité à pleurer devant toute la Cour, et à partir précipitamment de la salle du Palais, devant son père.

- Cela dépend des caractères, Alcara.

- Cela dépend aussi si une relation peut durer ou non, rétorqua-t-elle. Je ne suis ni une princesse, ni une elfe. Je ne sais pas ce que je suis, ni d’où je viens. Au fond, cela n’intéresse pas Legolas, ni grand-monde d’ailleurs. Je n’ai pas besoin que vous ayez pitié de moi, Gandalf.

Il soupira.

- Alcara, depuis toute jeune enfant, je vous ai accompagnée ici. Vous devez me faire confiance : l’avenir vous donnera les réponses, et pour cela vous devez agir sur cet avenir. Reprenez vos études, faites des expériences scientifiques, et continuez à vous entraîner à l’arc, à l’épée et au cheval. Pour tout cela, vous êtes incroyablement douée, et vous avez reçu le meilleur, des Hommes comme des Elfes. Utilisez ce bagage précieux pour aller plus loin et vous réaliser pleinement.

Elle retenait ses larmes. Gandalf lui parla plus doucement, en lui prenant le menton pour qu’elle tourne son visage triste vers lui.

- Malheureusement, la plus grande des adversités peut être le meilleur des apprentissages. Vous deviendrez plus forte.

- Je ne peux que vous croire, lui chuchota-t-elle avant que quelques larmes ne coulent spontanément sur ses joues.

- Où est passée Alcara l’intrépide? lui dit-il en lui souriant. Depuis toute petite, vous n’avez jamais eu peur de défier les elfes, même les plus courageux. N’oubliez pas que votre nom signifie “Lumière de l'aube”. Faites confiance en l’avenir.

- J’irai dans le Gondor avec vous, répondit-elle en essuyant les larmes qui avaient coulé sur ses joues. Pour ne plus y penser, et pour honorer la confiance que vous me portez, Gandalf. 

 

Le lendemain, ils quittèrent Fondcombe, et Alcara parcourut la Terre du Milieu pour la première fois. Elle vit des paysages grandioses et impressionnants, des routes commerciales avec des créatures et des Hommes très différents, bigarrés, parlant de multiples langues. Elle se sentit rassurée d’être avec Gandalf, et en même temps curieuse et désireuse d’en voir toujours plus. Mais le voyage, au bout de plusieurs jours, toucha à sa fin, et elle découvrit, époustouflée, la grande cité blanche de Minas Tirith.

Gandalf avait tout prévu, et ils logèrent dans une grande résidence, où une vieille femme de caractère accueillait des hôtes de marque dans la cité, en particulier des elfes, car elle avait appris l’elfique dans sa jeunesse. Sur place, Alcara fit la connaissance des autres personnes logées, dont beaucoup d’autres jeunes filles, mais elle s’aperçut rapidement qu’elle ne partagerait pas les mêmes centres d’intérêt, en les voyant broder au coin du feu toute la journée. 

- Gandalf, dit-elle un jour à son mentor, est-ce que qu’aucune jeune femme chez les Hommes ne se promène à cheval, ou ne sait manier l’épée? Ou même l’arc ?

- Chère Alcara, je vous ai laissée avoir une éducation bien trop libre, s’amusa Gandalf. En effet, il existe des différences bien plus importantes entre hommes et femmes dans les royaumes des Hommes.

- Mais nous pourrions combattre, vous ne croyez pas ? insista-t-elle.

- C’est possible, répondit vaguement Gandalf. Mais pour l’heure, vous avez des dons bien plus précieux, qu’il faut cultiver et développer. En route pour la Maison de Guérison !

Et tous les jours, Gandalf l’accompagna à la Maison de Guérison royale du Gondor : les femmes y étaient surtout représentées par des Soeurs, qui vouaient leur vie au soin des autres. Les hommes étaient les grands guérisseurs, des médecins, pharmaciens, botanistes et même alchimistes. Gandalf avait une forte autorité sur eux, et ils consentirent de mauvaise grâce à terminer la formation de la jeune femme. Elle put ainsi profiter de leurs laboratoires et même assister à de nombreuses opérations chirurgicales, pendant que Gandalf passait de longues journées dans les archives souterraines de la ville. Il revenait toujours tard le soir, préoccupé et silencieux, tirant sur sa pipe.

Néanmoins, elle progressa très rapidement : elle parvint à créer elle-même des essences, des onguents, des potions, et ses mains délicates lui permirent de faire elle-même des chirurgies simples et même d’assister une sage-femme pour un accouchement. Elle lisait de nombreux grimoires anciens et en notait les éléments essentiels. Pendant un an, elle se dévoua complètement aux études, chassant tant qu’elle pouvait Legolas de son esprit, se demandant s’il allait bien et n’osant pas demander à Gandalf s’il avait des nouvelles. Une fois par semaine, elle trouva le moyen de s'entraîner à l’arc, au cheval et à l’épée, malgré les regards réprobateurs de sa logeuse et des autres jeunes filles de la résidence, mais elle en avait besoin pour défouler sa tristesse et sa mélancolie.

Contrairement à Fondcombe, où le roi Elrond consultait Gandalf presque chaque jour, l’intendant du Gondor, Denethor, était complètement indifférent à sa présence, et ne l’invita jamais à loger au palais. Alcara soupçonna Gandalf de ne l’avoir même pas prévenu de sa présence, pour consulter plus librement les livres des archives.

Cependant, un matin, il lui annonça brusquement qu’il devait partir de toute urgence, sans lui dire ni pourquoi, ni où il se rendait. Il s’assura plusieurs fois qu’elle se rendrait bien à Fondcombe au moment prévu, au début de l’automne, et qu’elle pourrait retrouver facilement sa route. Elle le lui promit, il lui restait encore quelques semaines devant elle. Mais ce départ précipité l’inquiéta énormément, et redoubla sa mélancolie, car elle se retrouvait seule au milieu des autres jeunes filles qui la regardaient toujours avec curiosité et dédain, comme une étrangère. 

 

Chapter 6: Le Chemin De Fondcombe

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Le Chemin De Fondcombe

Musique à écouter sur ce chapitre :

Alors que les premières feuilles mortes tombaient dans les jardins suspendus de Minas Tirith, Alcara prépara ses bagages pour retourner à Fondcombe. Une longue route l’attendait, mais elle ne craignait pas les longues chevauchées, qui lui permettaient de s’aérer l’esprit.

Elle mit au point un bagage spécifique pour emporter avec elle un nécessaire d’onguents et de potions indispensables, et un petit carnet où elle notait les propriétés des plantes et des arbres. Qui sait, sur la route, elle trouverait peut-être des spécimens rares qu’elle pourrait cueillir et étudier.

Elle pressentait aussi que les temps allaient bientôt changer : une certaine fébrilité gagnait les messagers et les soldats qui revenaient des quatre coins du royaume. On disait que Boromir, le fils aîné de l’intendant, se préparait à partir vers une destination inconnue. Elle-même n’était pas mécontente de s’éloigner de la frontière du Mordor : des nuages noirs se tenaient en permanence au-dessus des montagnes, et l’on ne savait pas s’il s’agissait d’orages, ou de fumées…

Le voyage devait durer une semaine : Minas Tirith était très éloignée de Fondcombe. Les femmes qui hébergeaient Alcara la prévinrent qu’il n’était pas prudent pour une femme, de voyager seule et pendant si longtemps, surtout en passant à l’Est du Rohan, dont les cavaliers étaient connus pour leur sauvagerie.

Alcara ne connaissait pas le peuple du Rohan mais partageait avec eux la passion de chevaucher dans les grandes plaines. Et elle se méfiait des préjugés : on trouve toujours sauvages ceux qui n’ont pas les mêmes traditions.

Malgré sa résistance, la propriétaire de son logement avait prévenu, sans l’en avertir, la garde du Gondor pour savoir si une délégation pouvait l’accompagner. C’est ainsi que la veille de son départ, on frappa à sa porte.

Quand elle l’ouvrit, elle fit face à un homme de belle stature, à la barbe carrée et brune, portant sur son torse une tunique bleu sombre sur laquelle un grand arbre blanc était brodé.

- Dame Alcara, lui dit-il. Nous avons appris que vous deviez vous rendre à Fondcombe. Étant la pupille du magicien Gandalf, et amie des elfes, nous allons assurer votre protection durant votre voyage.

- Bonsoir, Messire, lui répondit-elle en soupirant. Je vous remercie de votre sollicitude, mais j’ai déjà fait ce voyage. Je n’ai pas besoin d’être accompagnée.

- A vrai dire, répondit le soldat avec un sourire en coin, il se trouve qu’une délégation part déjà à Fondcombe. C’est donc plutôt nous, qui vous proposons de nous accompagner. Ce serait un peu ridicule que nous passions notre temps à nous dépasser les uns les autres sur la même route, vous ne croyez pas?

Alcara ne répondit pas tout de suite. Elle observait l’homme qui se tenait en face d’elle. Il devait avoir trente ans, tout au plus, et avait de l’esprit.

- Et avec qui aurais-je l’honneur de faire route? finit-elle par lui demander.

- Avec Boromir, fils de Denethor, Intendant du Gondor, répondit-il en se redressant fièrement.

- Boromir va donc aussi à Fondcombe, dit-elle en fronçant les sourcils. Curieux, il ne me semble pas que beaucoup de Gondoriens aient été conviés par Elrond depuis quelques années.

- En tous cas il l’a fait, répondit l’homme, comme pour couper court à sa curiosité. Acceptez-vous de faire partie de notre groupe? Nous partons demain matin vers le port de Belfalas, et nous irons vers le Nord par la mer.

Alcara réfléchit : avec une délégation officielle, ils feraient le début du voyage en bateau, depuis le port de Belfalas, et gagneraient ensuite Fondcombe par l’Ouest, beaucoup plus rapidement qu’en traversant le Rohan.

- Pourquoi ne passez-vous pas par les terres? demanda-t-elle tout de même.

- Je vois que vous restez méfiante, lui répondit-il avec impatience. Nous savons de source sûre qu’il n’est pas très prudent actuellement de côtoyer l’Est de la Terre du Milieu.

- Je ne suis pas méfiante, répondit-elle en souriant. Seulement curieuse. Boromir me semble être quelqu’un de particulièrement prudent, ajouta-t-elle avec ironie, comme pour douter de son courage. Très bien, je viendrai avec vous par la mer.

- Parfait, répondit-il avec un peu de froideur après sa remarque, rendez-vous demain à l’aube, devant la Grande Porte.

- Messire, demanda-t-elle alors qu’il faisait demi-tour, à qui ai-je l’honneur? Si nous devons voyager ensemble, j’aurais sûrement besoin de connaître votre nom.

- Quel malotru je fais, dit-il en se tournant vers elle en souriant. Je suis le très prudent Boromir. Et je pense que ma prudence ne sera pas un luxe sur notre trajet.

Il repartit dans la nuit, laissant Alcara rougir légèrement d’embarras.

Le lendemain matin, Alcara guida son cheval, lourd de ses bagages, jusqu’à la Grande Porte. Elle aperçut immédiatement le groupe de soldats prêts au voyage, et parmi eux Boromir, qui lui fit un salut de la tête et aperçut immédiatement avec surprise, le nombre de bagages que portait son cheval, en plus du grand sac qu’elle portait elle-même sur son dos.

- Dame, s’exclama-t-il, est-ce que vous partez pour plusieurs années à Fondcombe?

- Pendant plusieurs mois, répondit-elle tranquillement sans relever son sarcasme. Et je transporte des ingrédients de guérison très précieux.

- Espérons que vous n’en aurez pas besoin pour soulager le dos de votre pauvre cheval, ironisa-t-il avec un petit sourire en coin.

- Mon cheval va très bien et en a vu d’autres, rétorqua-t-elle.

Sans la prévenir, il lui prit le sac qu’elle tenait dans son dos pour le porter à sa place. Alors qu’il allait lui prendre aussi son arc, elle le retint.

- Non merci, je préfère l’avoir sur moi, lui dit-elle. Je sais prendre la route seule, mais aussi me défendre.

- Très bien, Dame Alcara, lui répondit-il, toujours en souriant et en feignant de lui faire une révérence. Vous semblez pleine de ressources.

- Vous n’avez pas idée, seigneur Boromir.

Ce voyage allait peut-être être drôle, finalement.

La partie du voyage en bateau fut plus mouvementée que prévu. Alcara n’avait pas le mal de mer, mais de terribles maux de tête, et des cauchemars étranges, où elle voyait d’étranges visions : des rais de lumière rouge, des aigles gigantesques, et surtout elle se réveillait en sueur, croyant avoir fait une chute de plusieurs dizaines de mètres… mais ces symptômes ressemblaient à une peur de la tempête, et, ne voulant montrer aucune faiblesse devant Boromir, qui la traitait plutôt comme une dame effarouchée, elle ne laissa rien paraître de ses craintes. Pour s’occuper et par compassion, elle partagea une potion contre le mal de mer avec quelques pauvres compagnons de route qui vivaient mal les roulis du bateau.

Une fois arrivés au grand port de Lond Daer Eneth, ils remontèrent le fleuve du Flot Gris, qui menait directement au vallon de Fondcombe.

Boromir était peu bavard avec Alcara, si ce n’est pour continuer à lui faire quelques remarques moqueuses, comme si elle était une petite sœur têtue. Et en effet, elle lui tenait tête systématiquement, ce qui ne manquait pas de divertir les autres soldats de la délégation qui, par respect pour Boromir, échangeaient seulement quelques sourires amusés.

L’un des derniers soirs avant d’arriver à Fondcombe, ils montèrent le camp dans un bras du fleuve, sur une prairie que la pluie avait épargnée depuis quelques jours. Quelques feuilles séchées jonchaient le sol, et les soldats partirent chercher du petit bois sec pour faire un feu.

Le temps était calme, mais les esprits restaient aux aguets : sur le trajet, ils virent de grandes fumées noires à l’Est, vers Isengard.

- Sûrement un village, disait Boromir pour se rassurer. Le vent a dû changer de direction et nous en voyons les cheminées.

- Je n’en suis pas si sûre, dit Alcara. L’Isengard est le domaine du mage blanc Saroumane, il n’y a aucune ville aux environs. Et il préserve ses prés et sa forêt. Cela doit être autre chose.

Après un silence de réflexion, elle ajouta plus doucement et d’un air plus sombre :

- J’espère seulement que ce n’est pas la fumée d’une bataille qui vient d’avoir lieu. Car sinon, nous risquons d’être sur leur route.

- Les deux soldats partis hier en éclaireurs n’ont rien vu de tel, la rassura Boromir. Nous aurions entendu des chevaux ou des armures.

Un long silence suivit ses paroles.

- Pourquoi vous rendez-vous à Fondcombe? lui demanda Alcara.

- C’est au moins la centième fois que vous me posez la question, soupira Boromir en attisant le feu de camp avec un bâton.

- J’ai les moyens de le savoir sur place, vous savez, dit-elle en souriant. J’ai de nombreuses connaissances à la cour du roi Elrond.

- Je le sais bien, lui dit-il en souriant à son tour, par-dessus les flammes du feu de camp. Et en premier lieu Gandalf, que mon père ne porte pas dans son cœur, mais qui connaît toujours tout sur tout le monde. Si vous voulez vraiment le savoir, ajouta-t-il en se redressant un peu, je ne suis pas invité mais convoqué par Elrond. Il nous a dit qu’il avait quelque chose d’important à nous annoncer et que les représentants des peuples libres devaient venir prendre part à une décision.

- Si vous représentez des Hommes, lui répondit-elle en fronçant les sourcils, alors d’autres représenteront les elfes, ou les nains?

- En effet, acquiesça-t-il. Et cela veut dire qu’il s’agit d’une décision importante pour la Terre du Milieu. Je dois aussi leur dire, ajouta-t-il avec hésitation, que j’ai fait un rêve étrange, ainsi que mon frère. Le songe nous disait de nous rendre à Imladris, là où se trouve l’épée qui fut brisée, car le Fléau d’Isildur va se réveiller. C’est tout ce que je sais.

Après un silence, il l’observa : elle semblait réfléchir intensément en regardant les flammes.

- Et vous ? lui demanda-t-il. Nous avons fait route ensemble, mais je ne sais toujours pas vraiment d’où vous venez, ni ce que vous allez faire à Fondcombe.

Alcara hésita à lui répondre. Elle ne savait pas jusqu’où elle pouvait se permettre d’aller. Il devait savoir qu’elle connaissait bien Gandalf. Mais elle ne pouvait pas dire qu’elle connaissait Legolas, qu’elle avait hâte de le retrouver, qu’elle pensait à lui toutes les nuits, qu’elle se demandait comment il réagirait à leurs retrouvailles, si elle le retrouverait tel que l’été dernier, si elle lui avait manqué, s’il avait pris conscience qu’il tenait à elle, ou si au contraire, une terrible déception l’attendait. Mais si elle était trop évasive, Boromir allait se méfier d’elle, il penserait peut-être même qu’elle espionnait le Gondor. Pourtant elle sentait qu’elle pouvait lui faire confiance : il avait des principes, et tenait sa promesse de la conduire saine et sauve à Fondcombe.

- Je rentre tous les ans à Fondcombe, lui dit-elle. J’ai grandi chez les elfes. Ils m’ont tout appris : ce qui est dans les livres, et ce qui est dans les forêts, à cheval, pour chasser ou pour se battre. Les elfes ne font pas, comme nous, de différences entre ce que peuvent savoir les représentants de la gent masculine ou féminine. J’ai eu de la chance que Gandalf m’y conduise quand j’étais encore une jeune enfant. Et pour ce qui est de l’endroit d’où je viens, avoua-t-elle, je n’en ai aucune idée.

- Aucune idée? dit-il en haussant les sourcils. Pas même le lieu où on vous a retrouvée enfant? Vous n’avez ni parent, ni attache?

- Rien, dit-elle en soupirant, et pour une fois, cet aveu lui fit plus mal qu’à l’ordinaire. Je me concentre sur ce que je vais devenir plutôt que d’où je tire mes origines.

- C’est une bonne philosophie, répondit-il, j’aimerais quelquefois pouvoir faire abstraction de ma famille et de mon passé.

Cette confidence de la part de Boromir l’étonna. Ils étaient seuls, les autres soldats s’étaient endormis, il pouvait donc le dire sans que ses hommes ne l’entendent. Il était de notoriété publique que Denethor était un père dur et autoritaire, très exigeant avec ses fils, et attendant beaucoup de Boromir. Il devait toujours être à la hauteur, et cela devait lui peser.

- J’ai comme l’impression que les temps qui nous attendent nous obligeront à nous tourner vers l’avenir plus que vers le passé. Et pour s’y préparer, ajouta-t-il en se levant, il faut dormir!

Leur conversation s’arrêta là. Alcara sentit que malgré le poids des traditions et des a priori, Boromir semblait être un homme d’honneur, tiraillé entre ses devoirs et ses ambitions.

En se levant à son tour pourtant, elle entendit un bruit dans les feuillages. Sans hésiter, elle ramassa son arc et son carquois pour viser la lisière de la forêt. Boromir, derrière elle, avait aussi entendu le bruit et réveilla discrètement ses hommes, tout en préparant son épée à sa ceinture.

Un lourd silence s’abattit sur les arbres sombres. Toujours concentrée, Alcara se demandait s’il ne s’agissait que d’un animal nocturne. Mais peu à peu, une sorte de vrombissement envahit la végétation, comme un essaim de frelons très, très nombreux.

D’un seul coup, un groupe de corbeaux s’envola des arbres, dans leur direction, comme pour s’abattre sur eux et les attaquer. Alcara eut le temps de décocher sa première flèche et d’en prendre une nouvelle, et deux corbeaux tombèrent au sol. Boromir et ses hommes avaient dégainé leurs épées et les agitèrent à l’aveugle au-dessus d’eux, tout en protégeant leurs têtes des attaques de becs et de serres.

Aussi vite qu’ils étaient venus, les corbeaux repartirent vers la forêt. Alcara et Boromir s’approchèrent alors prudemment des deux corbeaux tombés au sol : mais alors qu’ils se penchaient sur eux, ils disparurent dans une fumée noire.

- J’en étais sûr, de la magie noire ! dit Boromir en crachant dans l’herbe, à l'emplacement où se trouvaient les oiseaux un instant auparavant. Impossible d’avoir des corbeaux en pleine nuit et en si grand nombre contre nous !

Alcara observait l’endroit d’où ils étaient venus : la forêt, et après elle, les fumées noires…

- Ils proviennent de chez Saroumane? demanda-t-elle à voix haute. Comment est-ce possible? C’est un mage blanc…

- Ce sont forcément des espions, assura Boromir. Levons le camp, inutile de rester plus longtemps ici. Nous devons vite rejoindre l’abri de Fondcombe.

Sans demander leur reste, l’ensemble de la compagnie plia bagage et repartit dans la nuit.

 

Chapter 7: Retrouvailles

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Retrouvailles

Musique à écouter sur ce chapitre : Enya met toujours une ambiance particulière pour évoquer les elfes !

Avertissement : une partie de ce chapitre est réservée aux lecteurs matures et sera mentionnée par des étoiles ****

Mais d'autres parties sont significatives pour la suite de l'histoire et vous pouvez les lire sans avertissement.

Aucun autre incident ne vint entraver leur route. Aux derniers kilomètres, la chevauchée sur les sentiers escarpés qui précèdaient Fondcombe était difficile, et ils durent finir à pied en guidant leurs chevaux, passant plusieurs sentinelles d’Elrond qui vérifièrent leur nom et leur destination. Mais la vue époustouflante du vallon elfique, baigné dans la lumière dorée de l’automne, valait tous les kilomètres qu’ils avaient parcourus.

Les hommes, Boromir en tête, poussèrent une exclamation admirative. Alcara, même si elle avait l’habitude de cette vision, ne s’en lassait pas. Elle avait l’impression de rentrer à la maison. Malgré tout, une certaine appréhension la guidait : comment se passeraient ses retrouvailles avec Legolas?

En entrant par le grand portail de la cité, elle aperçut plus de monde qu’à l’accoutumée, une foule cosmopolite où se mêlaient les nains, les elfes de différents royaumes, et même des mages. Si Elrond invitait fréquemment des délégations, celles-ci étaient plus importantes qu’à l’ordinaire.

Alors qu’elle parcourait la foule des yeux, une silhouette à la chevelure blond clair attira tout de suite son regard : Legolas sortait du palais et semblait chercher quelqu’un dans la foule, habillé en tenue de voyage, son carquois et son arc sur le dos.

Quand il croisa son regard dans la foule, il se dirigea vers elle sans hésiter. Elle avait la gorge nouée et ne savait pas comment réagir, submergée par ses émotions. Il était toujours aussi beau, svelte, parcourant ces quelques mètres en quelques instants de son pas rapide et souple. Elle fut immédiatement saisie par ses yeux d’un bleu perçant, qui semblaient toujours lire en elle comme un livre ouvert.

Il arriva devant elle, sans sourire, comme s’il hésitait lui aussi sur la façon de la saluer, attendant sûrement un moment plus tranquille pour l’accueillir plus chaleureusement. Mais son regard restait planté dans le sien, comme si tous deux avaient vu une apparition.

Alors que son coeur battait la chamade, Alcara entendit Boromir, qui se tenait derrière elle avec son propre cheval et sa délégation :

- Bonjour Legolas, fils de Thranduil, le salua-t-il, j’ignorais que vous étiez déjà arrivé.

Legolas détacha lentement son regard de celui de Alcara et se tourna vers lui, en lui souriant avec respect.

- Seigneur Boromir, fils de Denethor, je vous souhaite la bienvenue au nom du roi Elrond. Je suis en effet revenu ce matin, je devais donner des nouvelles à Gandalf sur les récents événements dans la forêt de Grand-Peur.

Alcara sentit une nouvelle fois qu’elle n’était pas mise dans la confidence. Ce n’était ni la première, ni la dernière fois.

- J’espère que vous avez fait bonne route? demanda Legolas en tournant à nouveau son regard vers Alcara.

- Une longue route, mais une route sûre, lui répondit Boromir en s’avançant avec son cheval, faisant signe à sa délégation de le suivre vers les écuries. Simplement quelques corbeaux envahissants. Je vous laisse saluer Dame Alcara, après tout, c’est vous qui avez voulu que nous l’escortions!

Alcara se tourna vers lui avec surprise, alors que Boromir partait vers les écuries en lui lançant un clin d'œil malicieux. Il s’était bien gardé de lui dire cela sur le trajet !

Cela voulait donc dire qu’il connaissait la sollicitude de Legolas à son égard, ce qui expliquait son comportement respectueux et attentif durant tout le trajet, réservé habituellement aux dames de la haute noblesse.

- Bonjour, Alcara.

Elle se tourna vers Legolas, qui venait de la saluer si simplement, avec une voix plus douce qu’avec Boromir.

- Je te laisse t’installer et je te rejoins dans une heure, je dois aller dire quelques mots à Elrond.

Et il la laissa là. Elle était à la fois reconnaissante de son souci de la protéger, et agacée qu’il ne propose pas de la conduire à sa chambre, comme s’il n’était pas impatient de la retrouver. Mais il était si prudent depuis le début de leur relation (ou pseudo-relation, ils ne s’étaient pas écrit depuis plus d’un an), et si préoccupé par l’agitation de cet événement mystérieux qui se préparait à Fondcombe…

Elle se dirigea vers les écuries en caressant l’encolure de son cheval, et aperçut Gandalf à la rambarde du Palais, dans les étages supérieurs. Il ne la vit pas dans la foule, mais elle l’entendit distinctement s’exclamer dans sa direction :

“Grands-Pas, il s’est réveillé!”

Elle ignorait que Grands-Pas fût si proche, dans la foule des visiteurs, et tous se turent en entendant les mots de Gandalf. On vit alors Grands-Pas sortir de la foule et parcourir à toute vitesse les escaliers du Palais, suivi par trois hommes minuscules, habillés de salopettes en velours vert.

Gandalf, Legolas, Grands-Pas…tous semblaient bien occupés, et elle se rendit directement dans ses appartements, en se disant qu’elle les saluerait tous dans la soirée.

Alors qu’elle avait rejoint sa chambre et installé ses instruments et ses remèdes, elle dénoua ses longs cheveux pour les brosser après avoir pris un bain réconfortant. Elle portait simplement une longue robe de nuit blanche, pour pouvoir être plus à son aise. Sur la coiffeuse, elle avait déposé un petit bouquet de Fleurs d’Automne, des petites fleurs qui rougissaient une fois ouvertes, qu’elle avait trouvées dans les jardins suspendus. Pour le moment, elles n’étaient qu’à l’état de bourgeons.

Cela faisait plus d’une heure maintenant qu’elle avait croisé Legolas, et ne savait pas trop si elle devait lui évoquer son manque d’égards, et alors qu’elle était de plus en plus nerveuse, quelques coups discrets furent frappés à sa porte.

En l’ouvrant, elle retrouva Legolas, toujours en tenue de voyage mais sans ses armes.

Il entra immédiatement sans lui laisser le temps de lui parler, comme préoccupé de la foule qui parcourait les couloirs et les allées du palais. Elle referma la porte doucement et se tourna vers lui, qui l’observait des pieds à la tête sans dire un mot.

- Je suis désolé de mon retard, lui dit-il en s’approchant d’elle, il y avait un Semi-Homme blessé dont nous attendions avec impatience qu’il se réveille de son mal. C’est à présent chose faite, et cela va accélérer le conseil à venir.

- Que se passe-t-il, Legolas ? finit-elle par demander, ne comprenant pas toute cette agitation.

- Nous avons de plus en plus d’alertes à l’Est de la Terre du Milieu, lui raconta-t-il. Des attaques auraient eu lieu dans la forêt de Grand-Peur, ainsi que des incursions des envoyés de Sauron jusque loin dans l’Ouest. On dit que le Semi-Homme blessé aurait été attaqué par un Nazgûl.

Alcara eut une exclamation : Sauron, encore vivant? Et les Nazgûl, les rois maudits par les anneaux de pouvoir, ne seraient pas une légende?

Elle s’assit sur la chaise de sa coiffeuse, abasourdie.

- Alors c’est vrai, souffla-t-elle, les rumeurs d’une guerre qui approche?

- Oui, répondit simplement Legolas d’un air grave. Elrond a convoqué tous les représentants des Peuples Libres pour en parler.

- Mais pourquoi maintenant? demanda-t-elle, pourquoi une guerre se déclenche en ce moment?

- Cela, je l’ignore, avoua Legolas, mais le conseil devrait nous donner quelques réponses.

Un silence pesant s'abattit entre eux. Alcara n’avait pas imaginé ainsi leurs retrouvailles, alors qu’elle attendait avec autant d’impatience, et depuis si longtemps, de retrouver son corps, son odeur de forêt et de prairie, ses yeux perçants et bleus…

- Je n’avais pas non plus imaginé qu’on se retrouverait dans de telles circonstances, dit-il en s’agenouillant devant elle, comme s’il avait deviné ses pensées. Mais je suis heureux de te retrouver enfin.

Sans hésitation, il lui prit les mains et s’approcha pour lui donner un baiser. Elle eut alors l’impression de l’avoir quitté la veille à peine, et tous ses sens reprirent leurs repères.

Leur baiser, d’abord prudent et chaste, dura de plus en plus longtemps et gagna en intensité. Leurs souffles étaient plus rapides. Legolas lui caressa les cheveux de sa main droite, et sa main gauche parcourut le bas, puis le haut de sa cuisse, très doucement.

Alcara frissonna : ils reprirent un instant leur souffle, leurs front se touchaient, et de sa main, elle lui caressa à son tour ses longs cheveux d’un blond presque blanc.

- Tu m’as manqué, dirent-ils en même temps, et ils rirent ensemble de cette coïncidence.

Malgré le ressentiment qu’avait éprouvé Alcara envers lui de l’avoir quittée un an auparavant, de n’avoir donné aucune nouvelle, elle ne lui en tint pas rigueur en cet instant. Elle sentit une forme d’urgence à profiter de sa présence, comme si la guerre allait trop vite les rattraper.

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Alcara le laissait prendre en main les choses. Mais en cet instant, ils semblaient être à égalité, peau contre peau. Legolas se releva et la prit dans ses bras, pour la coucher doucement sur le lit. Alcara avait l’impression d’être une princesse enlevée par son amant secret, comme dans les contes de fées. Le lieu, Legolas : tout semblait féérique, pour le temps que cela durerait.

Sans dire un mot, il se déshabilla rapidement, et elle ôta sa robe de chambre à son tour. Au lieu de se coucher sur elle, il s’assit à la tête du lit et lui prit la main pour la guider sur lui. D’abord craintive et timide, Alcara le chevaucha et se détendit au contact de Legolas qui, pour l’encourager, lui embrassait les joues, le cou et caressait sa nuque et le bas de son dos. Elle adorait le contact de sa peau douce, la douceur de ses mains, comme suspendue dans un rêve éveillé. Après quelques instants, n’y tenant plus et sentant son désir de plus en plus impatient, elle le regarda dans le fond des yeux, se redressa légèrement et prit dans ses mains le sexe de Legolas, pour le faire pénétrer doucement en elle.

La sensation était incroyable et lui coupa le souffle : elle avait l’impression qu’il l’occupait tout entière, et elle sentit un frisson lui traverser l’échine. Legolas l’observait et admirait ses réactions, en accompagnant son geste et en la faisant descendre plus profondément sur lui. Très graduellement, ils trouvèrent un rythme commun de haut en bas, d’avant en arrière, balancés par leur désir. Alcara essayait de ne pas crier face à la force de ce plaisir et se mordait la lèvre, et Legolas lui aussi se retenait de ne pas gémir en soupirant de plus en plus fort dans le cou de son amante.

Leurs pouls s’accélérèrent, leurs peaux frottées l’une contre l’autre étaient de plus en plus chaudes. Soudain, presque en même temps, il émirent un gémissement discret et elle sentit Legolas se répandre en elle dans un souffle.

Quelques minutes plus tard, étendus l’un à côté de l’autre, rassasiés dans leur désir, Alcara n’osa pas lui poser des questions sur le devenir de leur couple. Elle savait bien que l’avenir était complexe, mais que faire? Se séparer, alors que leur attirance était toujours aussi intense et qu’ils n’avaient pas de grief réel l’un envers l’autre? Rester ensemble, alors qu’une guerre imminente allait sûrement les séparer pendant longtemps? Et que voulait dire rester ensemble, entre un elfe millénaire qui lui survivrait, et elle, qui dans beaucoup moins de temps, vieillirait et…mourrait, si une bataille ne la prenait pas avant ?

Elle ne voulait pas penser à tout cela, et demanda plutôt à Legolas de lui raconter l’année écoulée. Il lui narra alors les expéditions dans la Forêt Noire, les apparitions inquiétantes, les bruits de la forêt émis par l’une des créatures les plus répugnantes et les plus énigmatiques qu’il ait jamais vu…Gollum, kidnappé par les Orques, qui avait révélé à l’ennemi où se trouvaient les Semi-Hommes.

Pourquoi cette information était importante, ils l’ignoraient encore tous deux. Legolas lui raconta alors qu’il avait déjà croisé un Semi-Homme il y a plusieurs années, qui se trouvait justement en ce moment à Fondcombe. Un certain Bilbon, qui avait croisé le chemin d’un dragon et d’un royaume de Nains aux incroyables trésors, et la terrible guerre des Cinq armées.

Ces Semi-Hommes semblaient étonnants, à la fois enfantins et courageux. Elle espérait qu’elle pourrait les croiser lors des repas du soir et peut-être leur adresser la parole. Ils se relevèrent du lit, et elle entreprit de se vêtir de sa robe dédiée aux festins du roi, et Legolas la quitta à regret pour retourner dans ses appartements se préparer. Alors qu’elle regagna sa coiffeuse, elle aperçut une chose étrange : les fleurs, tout à l’heure en bourgeon, étaient à présent grandes ouvertes, et affichaient un rouge écarlate et flamboyant.

La soirée se déroula joyeusement : elle revit la princesse Arwen, qui la salua chaleureusement, et à ses côtés se tenait Grands-Pas, qui fut tout aussi amical avec elle. Boromir continua à lui adresser des plaisanteries, elle rencontra des elfes d’autres royaumes et des Nains bavards qui ne cessèrent de complimenter sa beauté, ce qui la faisait beaucoup rire mais suscitait la méfiance de Legolas, qui n’appréciait que très peu les Nains. Les Hobbits présents n’étaient pas en reste, dont surtout trois chantaient et dansaient gaiement. Cela surprit beaucoup les elfes, qui n’avaient pas l’habitude de sortir de leur retenue habituelle. Mais Alcara, curieuse de les connaître, participa elle aussi et apprit auprès d’eux des anecdotes charmantes sur leur mode de vie, à la Comté. Le dernier Hobbit était beaucoup plus discret : il semblait très fatigué, il souriait poliment mais portait encore de grandes cernes brunes. Il restait à côté d’un très vieil Hobbit, plus insouciant que lui, qui suivait les chansons en riant. Cela devaient être Frodon et Bilbon, qui semblaient porter un étrange poids sur leurs épaules.

De temps à autre, elle jetait un regard vers Legolas, qui restait plus calmement en retrait avec d’autres elfes de la Forêt Noire. Lui aussi l’observait de loin, avec un air mélancolique. Elle se demandait si elle aurait encore beaucoup d’occasions de le voir dans la même salle de fête qu’elle, participer en riant aux mêmes festivités, avant que l’Ombre ne s’abatte sur eux tous. 

 

Chapter 8: Mauvais Présage

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Mauvais Présage

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Alcara et Legolas purent profiter de leur amour secret pendant encore quelques semaines supplémentaires. Legolas venait souvent lui rendre visite le soir, car il passait la journée dans différentes réunions et points avec des messagers, dont Alcara ne pouvait savoir grand-chose. Les menaces se multipliaient, en particulier autour de l’Isengard, siège de Saroumane. Alcara lui avait raconté l’attaque des corbeaux, et Legolas lui apprit qu’ils n’étaient pas les seuls voyageurs à les avoir croisés.

Alors que l’automne se terminait et que l’hiver commençait à arriver, un bel hiver ensoleillé et doux, le conseil d’Elrond fut annoncé pour le lendemain. Ils avaient conscience qu’il serait lourd de conséquences, et Alcara se préparait au pire. Le dernier festin royal avec les délégations fut moins joyeux et plus grave que d’habitude.

La nuit qu’ils passèrent ensemble à la veille de ce conseil important fut à la fois le point d’orgue de leur passion et de leur tristesse. Alors que Alcara se rendait vers sa chambre, un peu après minuit, elle entendit plus bas un couple qui chuchotait : en se penchant par la rambarde, elle vit les silhouettes d’Arwen et de Grands-Pas, qui se tenaient l’un en face de l’autre. Arwen semblait lui confier un objet, un bijou vraisemblablement, qui contenait sans nul doute des pouvoirs magiques propres aux elfes. Elle aurait aimé pouvoir lancer un charme à Legolas elle aussi, mais se rassura en se disant qu’il possédait des capacités naturelles bien au-dessus de la moyenne des autres guerriers. Elle sentit alors une présence derrière elle et reconnut le parfum de forêt de sapins et d’herbe fraîchement coupée. Legolas l’entoura de ses bras, et lui fit un léger baiser dans le cou.

- Reste avec moi ce soir, supplia Alcara.

- Je resterai toute la nuit, lui répondit simplement Legolas, en parcourant sa chevelure de baisers légers.

 

Le lendemain matin, elle se réveilla avant l’aube. Le conseil d’Elrond devait avoir lieu dans la matinée. La lumière pâle de l’automne commençait à peine de poindre. Legolas, allongé sur le ventre entièrement nu à côté d’elle, semblait être un dieu ancien envoyé du ciel. Même en dormant, il ressemblait à une peinture. Et elle se demanda comment il avait pu, dans le long cours de sa vie, avoir pu la désirer elle, sans nom ni origine, et quel était le sens de tout cela.

Sans oser bouger de peur de le réveiller, elle regarda sa chambre encore à moitié dans l’obscurité. Elle aperçut alors, sur sa coiffeuse, les Fleurs d’Automne.

Avait-elle rêvé? A présent, il n’y avait que des bourgeons dans le vase. Les fleurs s’étaient pourtant ouvertes, et certaines avaient commencé à fâner ?

Peut-être était-ce une propriété de ces fleurs, dans cet environnement elfique empli de magie ancienne.

Elle se rappela alors pourquoi elle s’était réveillée : un cauchemar désagréable l’avait tourmentée. Une ville faite entièrement de bois, dont les murs brûlaient ; des rangées de blessés et de cadavres dans une immense galerie à colonnes de pierre ; une crypte ancestrale dont les statues l’observaient à la lueur des flambeaux…

Elle ne doutait pas que ces rêves révélaient ses craintes d’une guerre imminente. Mais ils étaient si tangibles et si précis…est-ce que comme Boromir, elle avait un message à comprendre et y voir des songes prémonitoires ?

Legolas ouvrit les yeux et balaya ses préoccupations en l’attirant à lui immédiatement, comme s’il ne fallait pas perdre de temps, et ils s’enroulèrent à deux sous les draps.

Tout le monde avait la vive curiosité de suivre, même de loin, le conseil d’Elrond, et des groupes s’amassèrent autour de la salle, comme pour écouter ce qu’il s’y disait. Mais des gardes elfiques s’assurèrent que personne ne franchirait la porte. Pour patienter, les délégations se regroupèrent donc pour converser. Seuls restaient trois Hobbits tout prêts de la porte, fréquemment éloignés par les gardes qui les repoussaient, mais ils parvinrent plusieurs fois à se faufiler entre eux.

Alcara estima qu’il était peine perdue de savoir ce qu’il s’y dirait, et elle retourna vers ses appartements. Mais à ce moment, une des suivantes d’Arwen se dirigea vers elle, et lui annonça que la princesse voulait qu’elle la rejoigne dans sa suite, pour broder sa tapisserie.

Cette demande étonna Alcara : seules les elfes femmes pouvaient entrer dans la suite d’Arwen, selon les traditions anciennes. Elle la suivit néanmoins. En arrivant dans une grande suite luxueuse, agrémentée d’un patio avec une fontaine, la suivante attendit que Alcara fasse la révérence à Arwen, qui la salua élégamment sans lui dire un mot, puis lui indiqua un siège où se placer pour continuer un morceau de la tapisserie.

Il s’agissait d’une scène dont on ne voyait pour le moment que la moitié, mais que Alcara reconnut tout de suite : c’était le roi Isildur, le premier à avoir vaincu Sauron, au moment où il lui coupait le doigt avec la fameuse épée Anduril. Elle jeta un regard discret à Arwen, qui l’observait depuis qu’elle était entrée, et détourna le regard. Elle voyait dans cette invitation soudaine, un signe envoyé par Arwen, pour lui faire comprendre la teneur du conseil d’Elrond. Et elle commençait à comprendre l’importance de l’enjeu.

Quelques exclamations se firent entendre au loin, mais leur origine était imprécise : Arwen détourna un instant la tête dans leur direction, puis reprit son ouvrage. Elle semblait chercher une occupation pour ne pas trop penser à cette réunion où se trouvaient à la fois son père et son fiancé, et comme Alcara, semblait avoir des craintes légitimes.

Au même moment, alors qu’elle tentait de se concentrer sur les fils, Alcara eut le regard brouillé, comme si elle allait s’évanouir. Une force semblait la pousser au sol, comme un métal fondu qui l’attirait vers les abîmes. Elle s’appuya sur sa chaise mais ne pouvait plus rien voir : des flammes et des cris envahirent ses yeux, ses oreilles, et un bourdonnement incessant envahissait ses oreilles. Elle avait l’impression qu’après avoir envahi ses jambes, le même métal fondu envahissait ses poumons pour l’empêcher de respirer. Puis ce fut le trou noir.

- Tout va bien, Dame Alcara?

Quand elle rouvrit les yeux, les suivantes elfes s’étaient regroupées à genoux autour d’elle et la regardaient, alors qu’elle était allongée au sol. Elle se releva sur les coudes : elle se trouvait toujours dans la suite royale, mais quelques-unes des suivantes étaient parties. Le conseil devait être terminé.

Elle se releva vivement et défroissa sa robe, en remerciant les suivantes, passa devant Arwen en s’inclinant, qui lui renvoya son salut d’un air impassible, mais tout en la scrutant intensément.

Alcara sortit alors de la suite et dévala les escaliers, pour se rendre dans le jardin où le conseil s’était terminé. Les portes étaient à présent ouvertes.

Le groupe d’elfes, de nains et d’hommes qui formait à présent la communauté de l’Anneau s’y trouvait et semblait prendre congé. En arrivant auprès d’eux, elle vit d’abord Boromir, qui l’aperçut et se dirigea vers elle.

- Dame Alcara, vous tombez bien. Je vais vous dire au revoir.

Elle le regarda sans rien dire, sa gorge se noua.

- Ce n’était pas une légende : l’Anneau de Sauron existe bel et bien, et il a été trouvé. L’Oeil est déjà parti à sa recherche. Cela explique les attaques de Nazgûl contre les Semi-Hommes et les corbeaux que nous avons contrés. Saroumane est passé du côté de Sauron et menace le Nord de la Terre du Milieu.

Boromir poussa un soupir avant de continuer :

- Frodon le Semi-Homme est d’un grand courage, il a proposé d’aller dans le Mordor détruire l’Anneau. Mais nous formons une communauté pour l’accompagner et assurer sa sécurité. Nous partons demain, à l’aube.

Elle sentit son regard glisser de Boromir à Legolas, derrière lui, qui parlait toujours avec Grands-Pas.

- Je suis désolé, nous partons tous.

Une larme unique glissa sur sa joue, en regardant Legolas. C’est alors que Legolas se retourna et la vit, et sut qu’elle avait compris.

Elle se tourna vers Boromir et spontanément, le prit dans ses bras.

- Soyez prudent, Boromir. Vous êtes un homme d’une grande valeur. J’ai été heureuse d’avoir croisé votre route.

Il se dégagea doucement de son étreinte en souriant.

- Merci, Alcara. Vous êtes une femme courageuse, et vous ferez encore de grandes choses. Nous nous retrouverons à Minas Tirith !

 

Bien sûr qu’elle connaissait la légende de Sauron et de l’Anneau : la rumeur avait déjà couru dans Fondcombe. Mais c’était une réalité bien tangible à présent, terriblement inquiétante, et Legolas partait, avec Boromir, Gandalf, Grands-Pas et les Semi-Hommes si attachants, au milieu de ses griffes. Comment pourraient-ils en réchapper ? Les meilleurs guerriers, liés ensemble dans un destin mortel…

Elle accompagna Legolas jusqu’à sa chambre, où il devait réunir ses affaires. Ils n’échangèrent pas un mot. Ils semblaient deviner à présent plus facilement les sentiments de l’autre.

Alcara se fixa une priorité : ne pas accabler Legolas de son chagrin, alors qu’il ne leur restait guère de temps ensemble.

En arrivant à sa chambre, que Alcara n’avait jamais vue, Legolas la fit entrer : elle vit les nombreuses flèches, le carquois, le grand arc élégant qu’il portait souvent. En aurait-il suffisamment pour se défendre? Comment pouvait-elle l’aider ?

Et comme pour répondre à sa question une nouvelle fois, Legolas lui dit simplement :

- Tu dois résister, Alcara. Ma mission est dangereuse, mais je connais ces dangers et je m’en sortirai, pour aider Frodon. Mais le danger s’étendra sur toute la Terre du Milieu.

Alcara s’en voulut de laisser les larmes couler silencieusement sur ses joues et d’exposer sa tristesse à Legolas, qui continua :

- Tu y auras ta part. Tu peux aider les autres. Les Hommes, surtout, auront besoin de ton savoir. Tu sais guérir et soigner. Et tu possèdes…cette énergie étrange et puissante, qui se révèlera peut-être à cette occasion.

Elle repensa alors aux dires de Gandalf, un an auparavant : “La plus grande des adversités peut être le meilleur des apprentissages. Vous deviendrez plus forte.”

- J’aurais aimé que nous ayons plus de temps, Legolas…pour tout…

Elle aurait aimé dire : pour mieux se connaître, pour réfléchir ensemble à ce qu’était réellement leur couple, et s’il allait durer. Et si seulement ils avaient pu en profiter davantage avant que Legolas ne parte, peut-être à la mort…

- Moi aussi, dit-il en ravalant sa salive tout en rangeant ses flèches dans son carquois ; mais il nous faut fixer des règles, dit-il avec sang-froid. Je n’aurai pas l’occasion de te donner des nouvelles, ou de te laisser espérer quoi que ce soit. Nous entrons en guerre, nous devrons tracer notre route, et tâcher de nous retrouver si nous le pouvons, après tous les événements qui nous attendent.

- Je ne sais pas comment tu peux rester aussi calme, dit-elle en hoquetant soudain sous les sanglots.

Il se retourna et s’approcha d’elle, et la prit dans les bras pour la réconforter.

- Je suis désolé, ma douce Alcara. J’ai besoin de me focaliser sur la mission qui m’attend, je ne peux pas me permettre de regarder en arrière. Sinon je ne réussirai jamais à partir d’ici.

Elle respira plus fort plusieurs fois, pour se calmer, et resta un instant dans ses bras avant de s’en dégager doucement. Legolas l’observait avec calme, comme à son habitude. Il était si difficile de savoir s’il éprouvait du désir, ou du chagrin. Mais elle devait l’imiter pour ne pas se laisser envahir par la douleur.

- Je penserai toujours à toi, Legolas, et je prierai les dieux de te garder sain et sauf.

Il essuya les larmes de ses joues et lui baisa le front, comme pour la remercier solennellement de cette protection.

- Moi aussi je penserai à toi. Je saurai que tu es là, quelque part sur notre Terre, et que je veux te protéger.

 

Les membres de la Communauté se réunirent discrètement un peu avant l’aube, le lendemain matin. Le but réel de leur mission restait secret, et Boromir avait témoigné d’une grande confiance en elle pour lui révéler leur destination.

Il était trop douloureux pour Alcara de devoir dire au revoir à Legolas en silence, face aux autres. Elle resta donc en retrait jusqu’au bout, alors que Grands-Pas, dont les origines étaient à présent révélées et qu’on appelait désormais Aragorn ou Elessar en elfique, semblait hésiter à quitter les mains d’Arwen, qu’il garda encore dans les siennes jusqu’au dernier moment.

Alcara avait aussi du mal à imaginer son quotidien à Fondcombe sans Gandalf et ses conseils : elle pensa soudain à quelque chose, et s’approcha de lui.

- Gandalf, je dois vous confier quelque chose : pendant le conseil d’Elrond, j’ai eu des visions.

Elle lui raconta alors les flammes, les cris, le bourdonnement, et la sensation de métal fondu dans ses poumons qui la collait au sol.

Gandalf fronça les sourcils et lui dit :

- C’est étrange, j’ai maintes fois entendu parler des songes prémonitoires, et beaucoup d’Hommes en font. Mais des visions éveillées…quand cela s’est-il passé exactement?

Elle tenta de lui donner des repères, et il comprit : c’était au même moment que l’Anneau avait été présenté aux membres du conseil. Il avait dû lui parler, à elle aussi.

- D’habitude, l’Anneau ne parle qu’en proximité aux gens qui le portent, pour le mener à son Maître, lui dit-il avec gravité. Seuls les elfes ou les…mages, peuvent en sentir le pouvoir, et seulement en le touchant.

Un silence pesant s’installa entre eux deux. Gandalf ne disait pas à voix haute toutes les réflexions qui le traversèrent en cet instant, et dont il n’était pas temps de faire état.

- Je n’ai jamais entendu cela…mais j’y réfléchirai.

Alcara était un peu déçue que Gandalf, comme habituellement, ne lui apporte pas de réponse. Mais comme il se plaisait à le dire, “Plus on sait, plus on a d’incertitudes”.

Il releva la tête et lui fit un sourire triste, en la prenant dans les bras.

- Chère petite lueur du matin, lui dit-il avec affection, je compte sur toi pour répandre ta belle lumière matinale sur les gens qui t’entourent. Nous aurons besoin de toi pour préserver l’astre du jour sur notre Terre du Milieu.

- Nous aurons besoin de tout le monde, et Frodon aura besoin de vous, lui répondit-elle. Et elle sentit que malgré tout, l’espoir restait fort dans son cœur.

 

Longtemps après que l’ensemble du groupe s’était mis en marche, il ne resta qu’elle et Arwen sur les marches du Palais, alors qu’autour d’elles, les feuilles mortes continuaient de tomber en virevoltant. Alcara ne savait pas quoi faire : elle n’avait jamais vraiment eu de grandes conversations avec la princesse, et n’osait pas l’aborder.

Ce fut Arwen qui s’avança vers elle, et se pencha avec bienveillance pour lui parler :

- Lueur de l’Aube, commença-t-elle avec l’élégance de la langue elfique, je vois que nos deux destins se rencontrent.

- En effet, altesse, avoua Alcara tristement. Nos chevaliers nous quittent pour partir sauver le monde…

- Oui, répondit simplement Arwen. Ils nous ont quittées pour avoir le cœur libre et se sacrifier si cela était nécessaire. Mais nous les suivrons par nos esprits. En se tournant vers elle, elle ajouta : à travers Aragorn, j’aurai des nouvelles de Legolas. Je te les partagerai.

Alcara était si reconnaissante de cette sollicitude qu'elle prit la main d’Arwen dans la sienne.

- Merci, merci Princesse, du fond du cœur.

Pour la première fois, Arwen lui sourit.

- Cependant, ajouta la princesse, nous n’allons pas les attendre sans rien faire. Le laboratoire est toujours disponible : je demanderai à nos soigneurs de t’apprendre tout ce qu’ils savent. Et le moment venu, tu iras de nouveau en Gondor, où l’on aura besoin de toi. Et tu y rencontreras la suite de ton destin.

S’agissait-il d’une promesse? En réalité, Alcara n’avait pas du tout réfléchi à l’endroit où elle vivrait la guerre, et espérait pouvoir rester à Fondcombe. Mais en effet, l’automne était réellement arrivé ici, et elle avait remarqué que les elfes semblaient moins nombreux petit à petit.

- Je dois rester ici et mener, avec mon père, le voyage de notre peuple vers les Havres Gris, déclara Arwen en regardant au-dessus d’elle, le palais ancestral. L’Âge des Hommes va bientôt commencer, et tu en feras partie. 

 

Chapter 9: L’Effort De Patience

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L’Effort De Patience

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Les mois passèrent, et Alcara put continuer son apprentissage, plus intensément encore qu’à l’ordinaire. Elle s’était lancée à corps perdu dans ses études après avoir quitté Legolas pendant un an : à présent, dans la crainte de ne jamais le revoir et de vivre la guerre à son tour, elle redoublait d’énergie. En plus des leçons sur la chirurgie, le bandage des os cassés ou même les accouchements, elle s'entraînait dans des lieux plus escarpés et enneigés à tirer à l’arc et à gagner en rapidité à cheval, à gérer des situations difficiles comme porter une armure lourde et savoir descendre de selle, sauter des obstacles à cheval de plus en plus haut, nager dans les forts courants de la rivière à présent de plus en froide. Les soldats d’Elrond étaient à présent placés en sentinelle en permanence autour de Fondcombe, et lui donnaient l’autorisation de sortir à cheval dans la forêt.

Arwen, toujours présente mais toujours distante, lui donnait des informations de loin en loin. Comment elle les obtenait, cela restait mystérieux : le bijou qu’elle avait offert à Aragorn ne devait pas y être pour rien.

Alcara plongea aussi dans la bibliothèque pléthorique du palais, et surtout dans les légendes de l’Anneau et des Premiers Âges, l’arrivée des Valar, l’existence de phénomènes magiques qui avaient engendré des guerres, des revendications de pouvoir et l’ascension de Sauron.

Elle avait besoin de comprendre pourquoi l’ombre et la lumière se combattaient sans cesse depuis la naissance du monde, et le rôle que jouaient la terre et la nature dans cet équilibre. Elle découvrit que de nombreuses créatures peuplaient encore le monde : des démons dans les tréfonds des abîmes, des oiseaux à l’envergure colossale dans les airs, des esprits dans les forêts.

Ses lectures emballèrent son imagination et semblèrent avoir sur elle un étrange effet : elle remarqua des faits étranges dans son quotidien, au même titre que les Fleurs d’Automne qui s’étaient ouvertes, puis refermées. Elle était par exemple certaine d’avoir vu les gouttes de pluie, le long de sa fenêtre, descendre naturellement de la vitre, puis remonter…mais peut-être était-ce à cause du vent.

Ses cauchemars, quant à eux, se multiplièrent : elle voyait toujours des flammes et des salles à colonnades envahies par des bourdonnements et des insectes indéfinissables, qui semblaient grouiller du plafond et descendre le long des colonnes…des grondements dans des gouffres…des animaux monstrueux, oubliés, qui se réveillaient d’une longue torpeur dans les recoins les plus touffus des forêts…

Elle décida de poser sur le papier tous les matins le contenu de ses rêves, au cas où il s’agirait réellement de visions de l’avenir, voire du présent…

Alors qu’elle sortait de ses appartements, un nouveau phénomène la perturba : elle repensait, comme souvent, à Legolas, à Fondcombe dont les habitants se faisaient plus rares à présent, et à la façon de résister à cette mélancolie qui emplissait l’atmosphère. Elle vit alors un bouquet de Fleurs d’Automne encore rougeoyantes au sol, et se pencha pour les admirer. Il ne restait que quelques fleurs encore fraîches dans le royaume, elle en profita pour admirer leur vivacité. Mais alors qu’elle touchait un pétale, l’ensemble du bouquet se fana d’un seul coup sous ses mains, devenant un groupe bruni et desséché. Elle poussa un hoquet de surprise et se releva d’un coup, y voyant un présage néfaste. Mais elle n’avait pas aperçu le roi Elrond, qui s’avançait sur une passerelle au-dessus d’elle, et qui avait assisté à toute la scène.

Il repartit vivement, et elle ne parvint pas à le suivre jusqu’au bout, car il s’engouffra à un étage du palais. Elle monta vivement les marches d’un escalier en colimaçon, et entendit au détour d’un couloir, une vive discussion. Elle reconnut la voix du roi, et resta cachée derrière le mur. L’autre voix était celle d’une jeune femme, sûrement la princesse Arwen. Ils parlaient très vite en elfique, et Alcara ne comprit que l’essentiel de leur conversation, mais cela était suffisant :

- Je t’avais dit de l’envoyer rapidement à Minas Tirith! grondait le roi. Ce que je viens de voir, tu le savais, n’est-ce pas? Comment peut-elle faire de la magie ainsi?

- Nous lui devons l’hospitalité, Père, répondait Arwen tout aussi vivement, lui tenant tête. Elle est inoffensive, elle ne sait même pas comment elle provoque ces phénomènes.

- C’est peut-être encore pire ! s’emporta son père. A présent, la Terre du Milieu est trop dangereuse pour qu’elle s’aventure seule vers le Sud. Mais nous visons Fondcombe de ses habitants, bientôt il ne restera personne. Il faut qu’avant notre départ, elle se soit organisée pour partir elle aussi.

- Elle le fera, promit Arwen. Mais il faut qu’elle maîtrise ses talents de guérisseuse jusqu’au bout. Nous en aurons besoin, je l’ai vu.

- Je fais confiance en tes visions, tu le sais, répondit plus doucement Elrond. Mais je ne veux pas prendre le risque que ses pouvoirs se retournent contre nous.

Et il repartit. Alcara retourna sans un bruit au dehors, mais se sentit peinée et préoccupée. Elle aurait aimé rester, mais elle savait que c’était impossible. Et le moment n’était pas opportun pour comprendre ce qu’elle avait provoqué, chacun était si occupé que personne ne pouvait l’aider à y voir plus clair. Elle sentit alors comme une urgence à continuer à lire, à s'entraîner, et à comprendre.

Les jours, puis les semaines s’écoulèrent, et les nouvelles étaient de plus en plus rares. Un soir qu’elle rentrait vers sa chambre pourtant, elle ressentit une violente douleur à la tête, au point de s’agenouiller au sol. Des elfes qui passaient l’aidèrent à ne pas tomber, et à se relever. La douleur fut aussi intense que courte. Elle avait l’impression qu’on lui avait ouvert le crâne.

Sans hésiter, elle courut vers les appartements d’Arwen : curieusement, aucune suivante ne se trouvait avec elle, et la porte de sa chambre était grande ouverte.

Elle comprit en ouvrant légèrement le battant de la suite : elle vit Elrond, qui semblait venir d’entrer, et qui s’était assis en face de sa fille, les coudes sur les genoux, la tête dans les mains. Arwen, assise bien droite et immobile, pleurait. Les larmes coulaient abondamment sur ses joues sans qu’elle s’en aperçoive.

Alcara crut que son cœur allait s’arrêter de battre : une terrible nouvelle l’attendait, elle en était certaine.

Sans se demander pourquoi elle se trouvait là et pourquoi elle se sentait autorisée à entrer, sans même faire une révérence, le roi Elrond se tourna vers elle. Alcara approcha lentement, comme avec réticence, redoutant ses paroles :

- Gandalf, dit seulement Elrond, d’une voix blanche.

Alcara ne sut que dire, mais elle sentit la gravité de la nouvelle. Gandalf était mort.

- Comment est-ce arrivé? demanda-t-elle doucement, la voix étranglée, le coeur battant.

- La reine Galadriel m’a parlé de la Moria : ils s’y étaient aventurés, ne pouvant monter par le col de Caradhras. Là-bas, ils ont réveillé, dans les profondeurs, un mal ancien. Gandalf s’est interposé pour permettre au reste de la communauté de s’enfuir. Mais il est tombé, tombé dans les abîmes de la Moria.

Alcara était encore tellement sous le choc qu’elle se laissa tomber sur une banquette. Gandalf perdu…son mentor, son tuteur, disparu à tout jamais. Comment faire sans guide, alors que les autres mages pouvaient tourner aussi mal que le puissant Saroumane ? Était-ce un revers définitif, qui ferait pencher la balance en faveur de Sauron?

- La communauté est à l’abri en Lothlorien, la rassura Elrond, comme s’il avait entendu ses pensées. Ils y retrouveront du courage pour reprendre leur route. Ils sont restés suffisamment discrets pour que l'œil de Sauron ne soit pas sur eux. A présent, ils doivent surtout partir rapidement, loin des soldats de Saroumane.

La communauté de l’Anneau, prise en étau entre Saroumane à l’Ouest, et bientôt tout le Mordor à l’Est…c’était du suicide…

Elrond et Arwen laissèrent Alcara rester auprès d’eux et partager avec eux une nuit de peine et de chants funèbres.

Peu de temps après, comme si cette terrible nouvelle ne suffisait pas, ils apprirent la mort de Boromir. Alcara, qui avait vu en lui un guerrier à la fois valeureux et soucieux des autres, porta son deuil en plus de celui de Gandalf, au nom des Hommes au sein de Fondcombe. Peu à peu, elle revêtit des robes de plus en plus sombres, même si elle avait la ferme volonté de garder espoir et demanda aux forgerons elfes d’ajouter à son armure d'entraînement, des liserés noirs. Mais elle leur demanda aussi d’ajouter au centre du poitrail, un motif d’espoir : une Fleur d’automne rouge, éclose. C’était sa façon, symbolique, discrète, de soutenir l’avancée de ce petit groupe de guerriers vers leur destination, même si la Communauté était à présent dispersée et qu’il serait plus difficile d’avoir de leurs nouvelles.

Mais à Fondcombe aussi, la guerre devenait imminente. Alcara n’eut plus le droit d’aller en forêt faire des entrainements. Le roi Elrond demanda à faire fermer les portes le soir. Dans les hauteurs, entre les arbres, on entendit une rumeur gronder. 

 

Chapter 10: La Bataille De Fondcombe

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La Bataille De Fondcombe

Musique à écouter sur ce chapitre :

Quoi de mieux qu’Ursine Vulpine pour accompagner une scène de bataille ? 🙂

Alors qu’elle étudiait silencieusement dans les bibliothèques souterraines du palais, à la lueur d’un chandelier, le lendemain du jour de la mort de Boromir, elle vit que les différents serviteurs semblaient courir en hâte dans les couloirs, et murmurer vivement entre eux.

Cette agitation intrigua Alcara : elle referma son livre, prit son chandelier et se dirigea vers un de ces groupes. Un des serviteurs se tourna vers elle et lui dit, l’air affolé :

“C’est l’alarme! Ils arrivent! Les Uruk-Hai de Saroumane!”

Alcara poussa une exclamation de surprise : Saroumane, qui osait défier le roi des Elfes, alors qu’il avait combattu auprès des Hommes deux mille ans auparavant, et avait aidé à vaincre Sauron avec Isildur?

Ils étaient à présent prêts à tout, et devaient se sentir en position de force.

Le plus vite possible, elle grimpa les marches vers sa chambre, enfila sa tenue de cavalière, et prit son arc, son carquois et son épée, une petite lame elfique légère et tranchante en argent. Elle tressa ses cheveux très serrés. Avant d’ouvrir la porte, elle prit une petite sacoche, qui contenait ses carnets et les potions les plus indispensables. Si elle s’en sortait, elle filerait vers le Gondor.

En se penchant sur le rempart du Palais, elle évita de justesse une flèche noire qui faillit lui transpercer la tête, et se réfugia derrière une porte. Ils étaient beaucoup plus proches qu’elle ne le pensait. De nombreux elfes avaient heureusement préparé la défense, et décochaient dix fois plus de flèches que l’ennemi n’en envoyait. Il fallait qu’elle agisse elle aussi, et dans l’affolement général, elle aida à décocher des flèches pour tuer des ennemis.

Mais au bout d’un moment, les Uruk-Hai arrêtèrent d’attaquer et levèrent tous en même temps leur main droite, peinte en blanc.

Alcara, derrière la muraille, risqua un regard en entendant le silence : une ligne d’ennemis étaient alignés juste devant la grande porte fermée, et imitèrent les signes de la paix. L’un d’eux s’avança et sembla crier à des interlocuteurs au premier étage.

Alcara ne comprit par leurs mots : c’était une langue impie, qui ressemblait à de l’elfique qu’on aurait tordu et soufflé dans un râle.

Alors, elle vit Elrond et Arwen, au même étage qu’elle, à sa droite, s’avancer devant le mur du rempart pour leur faire face, dos à elle. Elrond portait son armure, et Arwen une tenue de cavalière elle aussi.

Le chef des ennemis répéta son cri rauque, mais Alcara le comprit cette fois :

Donnez-nous la non-elfe”.

Alcara sentit un frisson glacé lui parcourir l’échine : il ne restait plus qu’elle pour représenter les non-elfes à Fondcombe…

Arwen et Elrond ne se tournèrent pas vers elle et ne montrèrent pas le moindre signe qu’ils allaient leur obéir. Alcara se releva légèrement, hors de la vue des Uruk-Hai mais visible d’Elrond et de sa fille, qui se tournèrent légèrement sur le côté, sans la regarder.

- Reste où tu es, Alcara, la prévint Elrond. C’est un piège.

Mais le cri de l’ennemi se répéta.

- Nous ne pouvons pas négocier avec eux, souffla Alcara en réponse. Je…je me suis entraînée…

Elrond tourna vers elle un œil sévère, comme pour l’interdire de continuer sa phrase. Mais elle poursuivit néanmoins…

- Je suis prête à me rendre, pour préserver Fondcombe.

Elrond la regarda comme une jeune enfant qui ne se rend pas compte de ce qu’elle dit. Alcara n’en tint pas compte. N’importe quel jeune homme de son âge aurait eu ce courage. Pourquoi pas elle ? Qu’avait-elle à perdre, avec Gandalf sacrifié, Legolas perdu si loin, peut-être pour toujours?

D’abord avec hésitation, puis en prenant une grande respiration, elle avança à côté d’Elrond, sur le rempart, pour se montrer, alors qu’Elrond faisait un petit signe de la main comme pour le lui interdire, mais il était trop tard. Les Uruk-Hai la virent et tambourinèrent sur leurs boucliers comme pour applaudir, et ricanèrent de joie.

Alors très rapidement, elle dévala les escaliers pour leur faire face de l‘autre côté de la grille de la Grande Porte, sans vouloir laisser le temps à Elrond de l’en empêcher. Seule la herse et la rivière de Fondcombe, sorte de “douve” de la cité, la séparaient de l’ennemi.

Elle s’arrêta un moment et hésita : elle n’avait aucune idée de ce qui l'attendait de l’autre côté, si elle serait conduite à Saroumane, et surtout, pourquoi elle? N’avaient-ils pas plutôt intérêt à exécuter un roi elfe ?

Alors qu’elle se tenait avec hésitation devant la grille, soudain, une flèche partit de chez l’ennemi et lui effleura l’oreille. Simultanément, en quelques fractions de seconde, elle entendit le sifflement de la flèche, le cri d’Elrond et d’Arwen et de quelques autres soldats elfes, la surprise des Uruk-Hai car le coup avait dû partir par accident, la douleur brûlante de son oreille et alors, par réflexe, en poussant une exclamation de douleur, elle s’accroupit et se protégea la tête de ses bras.

Ce qui arriva ensuite, elle ne le vit que partiellement, et peu en crurent leurs yeux : la rivière qui la séparait de l’ennemi devint un immense mur d’eau, qui surgit des douves tel un geyser immense et continu. Tout au long de la ligne ennemie, il gagna une hauteur inimaginable, plus haut que le toit du palais. Et aussi rapidement qu’il était monté, il descendit en une cascade violente et mortelle, emportant dans la rivière l’ensemble des guerriers de Saroumane en une immense clameur de douleur et d’effroi.

Elle ne vit que le courant d’eau les entraîner au loin, en relevant la tête et en entendant le bruit fracassant de l’eau. A ses pieds, une petite vague était montée sur les pavés. Elle n’avait pas vu qu’au même moment, l’aube venait de se lever.

Un long silence abasourdi suivit cette scène, et les soldats elfes la regardèrent avec effroi. Soudain, on entendit un cri monter des murailles : des soldats avaient été blessés au moment où le mur d’eau était retombé, les projetant violemment contre les pierres. Elle entendit des éclats de voix et des cris de douleur, et les soldats furent évacués rapidement.

Son coeur battit encore plus fort, et elle se sentit paniquée : c’était elle qui venait de faire cela? De tuer un groupe d’ennemis mais aussi de blesser dans le même instant, les alliés qui l’avaient accueillie?

Qu’avait-elle fait?

Mais sans qu’elle puisse y réfléchir davantage, Elrond et Arwen arrivèrent et lui tirèrent le bras pour l'entraîner de nouveau dans le palais.

Encore dans l’incompréhension de ce qu’il venait de se produire, elle se laissa conduire vers les sous-sols, dans des couloirs qu’elle n’avait jamais arpentés.

Enfin, Elrond et Arwen lui lâchèrent les bras, s’arrêtant devant une très ancienne porte de pierre, entourée de deux statues d’elfes tenant des torches.

Elle les regarda sans savoir par où commencer ses questions. Mais elle comprit une chose : aux regards effrayés que lui lançaient Arwen et Elrond, même les elfes n’avaient jamais vu cela.

- Ce qui vient de se produire, commença Elrond avec gravité, même les elfes, même Galadriel ne l’ont jamais vu. Pas de la part d’une humaine.

Le pouls de Alcara s’accéléra : ça ne pouvait pas être elle qui avait provoqué cela, c’était impossible…

- Saroumane l’avait vu, continua Arwen en la regardant avec inquiétude : ils sont venus pour te chercher, car ils savaient que tu avais cette force.

- Il faut que tu partes, Alcara.

L’annonce eut l’effet d’un coup de tonnerre : elle avait beau s’y être préparée, le vivre était difficile. Elle s’était habituée à Fondcombe comme d’une patrie, d’un havre de sécurité…

- Ils croiront que tu es toujours ici, insista Arwen pour lui expliquer. Si tu pars tout de suite, tu peux rejoindre le Gondor, et là-bas te faire passer pour une simple guérisseuse. Loin du danger, ils ne te trouveront pas, et tu vivras en sécurité.

Alors c’était donc ça…l’adversité qui révèlerait ses aptitudes, dont parlait Gandalf, c’était un pouvoir? Un pouvoir maudit, qui attirait le mal auprès de ceux qui lui étaient chers ? La seule solution en effet était de partir, de se faire oublier, de n’être qu’une humaine parmi d’autres, mais…

- Mais je n’ai pas maîtrisé ce que j’ai fait, avoua Alcara, la voix étranglée par la panique. Comment vais-je faire pour ne pas recommencer, pour ne pas me faire repérer?

- Nous protégerons ta route, promit Elrond. Une fois dans le Gondor, deviens anonyme, et surtout, reste loin des champs de bataille. Tu pourras guérir, mais tu ne dois pas combattre.

Avec Arwen, ils l’aidèrent alors à nettoyer le petit filet de sang de son oreille et à revêtir une grande cape surmontée d’une capuche. A sa ceinture, Alcara remit sa petite épée et enfila son arc et son carquois.

- Ton cheval t’attendra à la sortie du passage, ajouta Elrond. C’est un tunnel qui date de la fondation de Fondcombe, peu savent qu’il existe encore. Et surtout, n’oublie pas ceci.

Il lui donna sa sacoche remplie de ses remèdes et de ses carnets. Il y ajouta un sac, déposé près du passage, comme pour prévenir des fuites possibles de son peuple…

- C’est du lembas, précisa Elrond, le pain elfique. Il te nourrira le temps d’arriver à Minas Tirith.

Elle marqua un temps de pause et leva sa tête vers le roi :

- Vous saviez? Vous saviez que cela était possible, et vous ne m’avez rien dit?

Elrond fronça les sourcils :

- En effet, reconnut-il. Tous les elfes ont senti que tu avais une force peu commune. Mais nous ne savions pas quelle forme elle prendrait, ni à quelle occasion.

Il ajouta, comme pour couper court à la discussion :

- Surtout, pars le plus vite possible : ton cheval est informé de la route, nous l’avons dressé ainsi. Il peut voyager au galop pendant plusieurs jours. Pars vite, et ne te retourne pas.

Ni vers eux, ni vers le passé, comprit Alcara avec effroi.

Elle se tourna néanmoins vers eux une dernière fois, comme si elle oubliait une dernière chose, et Arwen comprit : elles ne se reverraient sans doute jamais, car la princesse partirait bientôt vers les Terres de l’Ouest. Arwen lui serra la main une dernière fois, comme pour garder espoir et courage.

Alors Alcara lâcha sa main et s’engouffra dans le tunnel, aux tréfonds des fondations de Fondcombe, vers un avenir incertain. Et vers l’oubli.

 

Chapter 11: Dans Le Rohan

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Dans Le Rohan

Enfin…le Rohan!! Montez le son !

Musique à écouter sur ce chapitre :

Pendant deux jours, Alcara fuit le plus rapidement possible loin de Fondcombe, en évitant tous les passages les plus ouverts, les plaines ou les clairières, par lesquelles pourraient passer les groupes armés de Saroumane.

Le chemin souterrain qu’elle arpenta sous Fondcombe était plus long que prévu : en en sortant, elle s’aperçut rapidement qu’elle se trouvait à l’est des Monts Brumeux, elle pourrait ainsi descendre vers le Sud en longeant la Forêt noire de Thranduil, le père de Legolas, et à l’Est de la Lorien, près de Galadriel. Proche de deux forêts magiques, elle aurait plus de chances de rester cachée ; de plus, son amitié avec les elfes et sa connaissance de leur culture lui donnaient l’espoir de ne pas être arrêtée en chemin par leurs gardes.

Les trois premiers jours passèrent en un éclair, malgré les pentes escarpées des Monts Brumeux et les bords de rivière glissants. Son cheval était très adroit après son entraînement actif sur les contreforts de Fondcombe, et ne craignait pas le relief.

S’arrêtant à peine, elle grignotait quelques morceaux de lembas en chemin et reposa son cheval pendant quelques minutes seulement à chaque fois, le faisant boire avec elle à la rivière. Mais elle était si effrayée d’être arrêtée par les Uruk-Hai qu’elle n’avait ni faim ni sommeil. Lors de sa course, elle pensa alors au Hobbit qui portait le lourd fardeau de l’Anneau, dont toute la Terre du Milieu voulait s’emparer, et elle eut de la compassion pour lui. Avoir un pouvoir sur soi était plutôt une malédiction qu’une chance…

Lors de ses réflexions, tout au long de la route, se demandant ce qui avait pu arriver et pourquoi elle avait déclenché la mort soudaine de centaines d’Uruk-Hai et blessé des elfes, elle traversa le haut plateau qui surplombait la plaine du Rohan. A partir de maintenant, il lui serait plus difficile de se cacher, et elle espérait qu’elle n’aurait à rencontrer ni ses ennemis, ni le peuple du Rohan, dont elle ne savait pas presque rien.

Alors qu’elle commençait à descendre sur la plaine Est du Rohan, elle vit une chose extraordinaire : un immense aigle, qui devait faire plus de dix fois la taille d’un rapace normal, la survola de très haut et partir vers l’Ouest, en direction de la forêt de Fangorn. D’abord craintive à l’idée qu’il puisse vouloir la surveiller, au même titre que les corbeaux de Saroumane, elle mit son cheval au galop. Mais l’aigle, beaucoup plus loin qu’elle déjà, ne semblait pas vouloir ni l’attaquer ni l’observer, étant déjà dos à elle et ne prenant pas le même cap. Au lieu de ressentir de la crainte, elle ressentit, étrangement, de l’espoir, comme si cet aigle immense était de bon augure. Les aigles ne représentaient pas les forces maléfiques, mais les forces bénéfiques de la Terre du Milieu. Elle continua néanmoins de descendre la plaine au galop, voulant traverser le plus vite possible cette terre étrangère.

Alors que le jour commençait à décliner, elle se demanda où elle pourrait trouver refuge dans ces landes nues, ouvertes à tous les vents. Alors qu’elle observait quelques crêtes de pierre où elle pourrait se cacher, elle sentit comme une présence derrière elle, alors qu’elle était passée du galop au trot. Mais avant d’avoir pu comprendre cette présence, un bruit de tambours la rattrapa par l’arrière, et aussi vite qu’un éclair, un groupe de cavaliers la dépassa pour l’encercler, l’obligeant à faire freiner son cheval.

Ils portaient tous des armures, des heaumes surmontés de crins de chevaux, et de hautes lances qui reflétaient encore le soleil du soir. Ils étaient tous très grands et barbus, et leurs cheveux blonds dorés ou roux dépassaient de leurs casques en longues tresses. Leurs chevaux leur ressemblaient, eux aussi nattés et redoutables. Elle ne savait pas trop quoi faire : la présence de son arc et de ses flèches la rassuraient. Il fallait qu’elle reste calme, pour ne pas provoquer le même accident qui l’avait forcée à fuir…

Un des cavaliers, plus grand que les autres, aux cheveux et à la barbe blonds, s’approcha en première ligne devant elle : il portait un heaume surmonté d’une queue de cheval en crin blanc, et ses yeux d’un vert étincelant la scrutaient avec méfiance à travers son casque.

“Qui êtes-vous, et que faites-vous dans ce pays?” lui demanda-t-il d’une voix forte et claire, dans la langue commune.

Alcara reconnut les armes et les couleurs des cavaliers du Rohan, les Rohirrim. Des cavaliers très expérimentés, et de redoutables guerriers, mais dont elle savait bien peu de choses. Elle portait sa longue capuche elfique, et hésita un court instant : elle ne devait pas se tromper dans ce qu’elle répondrait.

Optant pour la mise en confiance de ses interlocuteurs, elle décida d’ôter sa capuche, pour révéler qu’elle était une simple femme, et non un elfe ou une autre créature magique, et garda un air neutre, même si sa crainte devait tout de même se voir.

Le cavalier eut un léger mouvement de recul, comme étonné d’avoir affaire à une femme. Mais il était difficile de lire son visage, toujours caché sous son heaume.

- Je ne suis qu’une messagère, répondit-elle simplement, également de la façon la plus claire et résolue possible, pour ne pas montrer sa peur. Je ne fais que traverser ces terres, pour rejoindre le Sud.

- Et quel genre de message pouvez-vous donc avoir à délivrer en ces temps incertains? demanda un autre chevalier, à côté du premier cavalier aux crins blancs.

- Vous pensez bien que je ne vais pas vous le dire, sinon je ne serais pas au galop au crépuscule sur une terre étrangère.

Alcara n’avait pas pu s’empêcher cette répartie, qui sembla vexer l’homme, mais amuser le reste des cavaliers autour d’elle.

Le premier aux crins blancs la regarda de haut en bas, intrigué.

- Votre message n’a pas d’importance pour nous, déclara-t-il, mais nous surveillons notre royaume, et nous avons besoin de savoir si vous êtes amie, ou ennemie, sur les Marches du Rohan.

Alcara voyait qu’il s’agissait de soldats officiels du Rohan, et même si elle savait que leurs relations avec le Gondor ou les Elfes n’étaient pas fréquentes, au moins elle ne travaillait pas pour le Mordor.

- Puisque vous voulez le savoir, je viens de la part d’Elrond, roi de Fondcombe, qui me charge d’un message pour le Gondor. Et je ne suis pas une amie des Orques, ni des Uruk-Hai de Saroumane.

- Une messagère des Elfes et des Hommes, qui ne dit pas son nom, et qui voyage armée, remarqua le cavalier en l’observant avec précision, détaillant son épée et son arc. Peu de femmes savent manier de telles armes.

Les événements ne semblaient pas aller en faveur de Alcara, qui espérait les convaincre de passer malgré tout. Mais elle ne manquait pas de répondant, et tenta le tout pour le tout.

- Une femme qui voyage seule ne peut-elle se défendre? dit-elle avec hardiesse. Je serais capable de couper une pomme en deux sur votre tête depuis l’autre bout de cette plaine, au galop.

- Nous n’allons pas le vérifier, coupa court le cavalier, alors que ses hommes riaient entre eux, semblant vouloir la prendre au mot. Nous n’avons pas le temps pour cela. Des groupes d’Orques rôdent à l’Est, mais avoir une femme parmi nous ne nous sera d’aucune aide. Cependant, comme vous ne répondez que par énigmes, vous allez rester avec notre eored jusqu’à que nous sachions quelles sont vos intentions.

Alcara ne releva pas sa remarque désagréable : elle savait bien que son “aide” contre les Orques pouvait être bien plus importante que tout un bataillon…mais elle avait promis à Elrond de rester discrète. N’ayant pas le choix, elle s’avança, à ses ordres, à côté du cavalier aux crins blancs, de mauvaise grâce.

C’est alors qu’en se tournant vers le cheval de l’homme, elle remarqua quelque chose au cou de l’animal, au niveau de ses rênes.

“Votre cheval est blessé!” s’exclama-t-elle.

Et en effet, une blessure sanglante semblait faire grandement souffrir sa monture, et les rênes venaient frotter sur la plaie, malgré un maigre morceau de tissu sale pour atténuer la douleur.

Le cavalier qui dirigeait l’eored se pencha sur l’animal et acquiesça : “Nous avons subi une bataille sur le Gué d’Ent. Beaucoup de nos soldats, et de nos proches, y sont morts.”

Sans perdre de temps, elle fouilla dans son sac de remèdes, sous la surveillance des autres cavaliers qui tenaient leurs lances à proximité, à tout hasard. Elle en sortit alors une petite boîte en argent, contenant un baume.

- Voici, dit-elle en tendant la boîte au cavalier : ce baume permettra à la plaie de sécher et de guérir.

- Êtes-vous messagère ou guérisseuse de chevaux? s’étonna le cavalier au crin blanc. Et en fronçant les sourcils, il ajouta : Pied-de-Feu est mon meilleur cheval. Qui me dit qu’il ne s’agit pas d’un enchantement, et que vous n’êtes pas une ensorceleuse?

- Absolument rien, répondit franchement Alcara. Je pourrais le faire essayer sur un autre cheval, ou sur moi-même, mais votre méfiance serait identique. Vous ne pouvez que me faire confiance. Trouvez-vous franchement, avec mon allure, que je ressemble à une sorcière? Si c’était le cas, ne vous aurais-je pas déjà mis à terre pour vous échapper?

Le cavalier l’observa en réfléchissant, et finit par dire :

- Très bien. Appliquez-le sur sa plaie, mais si quelque chose tourne mal…

- Je sais, mais cela n’arrivera pas.

Elle sortit un grand mouchoir propre de son sac, et le frotta contre le baume, puis l’appliqua doucement sur le cheval, effrayé d’abord mais rassuré par quelques paroles du cavalier dans sa langue natale.

Au bout de quelques instants, la pâte argentée recouvrit la plaie, et Alcara noua son mouchoir blanc autour de son encolure. Le cheval semblait déjà se porter mieux, comme soulagé, et l’odeur un peu fleurie de l’onguent l’apaisa.

“Vous me remercierez plus tard”, devança Alcara en s’adressant au cavalier.

Sans rien répondre mais en la regardant avec circonspection, le cavalier lança l’eored pour se remettre en marche vers l’Est. Alcara le suivit, même si cette route l’éloignait du Gondor. Elle n’avait guère le choix…

La nuit commença à tomber doucement sur la lande, et le vent se leva.

Le groupe mit pied à terre à l’abri d’une crête de pierre, peu de temps car ils devaient continuer à suivre les traces du groupe d’Orques qu’ils pourchassaient.

Le cavalier au crin blanc en profita pour enlever temporairement son heaume, et Alcara découvrit son visage.

Malgré le voyage et les précédents combats qui l’avaient marqué, il ne semblait pas très âgé, moins de trente ans en tous cas. Sa chevelure d’un blond doré, qui lui arrivait aux épaules, était attachée sur sa tête en une demi queue de cheval, et de plus petites tresses en descendaient. Il portait aussi une barbe de même couleur, et ses yeux verts ressortaient sur sa peau hâlée. Il avait un air farouche et fermé, et pourtant semblait être un homme d’honneur.

Il descendit de son cheval et au moment où il se dirigeait vers elle comme pour l’aider à descendre, elle sauta avec légèreté de son cheval, pour lui faire comprendre qu’elle savait très bien se débrouiller seule. Elle avait appris qu’avec les hommes en général, et avec Boromir ou lui en particulier, la galanterie cachait souvent un a priori sur les incompétences des femmes, et elle ne pouvait s’empêcher de les défier.

Il soupira et retourna à son cheval, pour en sortir une pomme qu’il lui tendit, mais elle sortit du lembas de son sac.

- Quelle est donc cette nourriture étrange? Demanda-t-il en fronçant les sourcils.

- Du lembas, dit-elle en articulant, comme si elle s’adressait à un enfant de cinq ans. Un seul morceau vous rassasie pour trois jours. Vous devriez essayer, ajouta-elle en lui tendant un morceau.

- Un seul morceau vous étouffe pour trois jours, répondit-il en goûtant le biscuit avec dégoût. Alcara en convint silencieusement, c’était un biscuit très sec et dense, mais bien utile en voyage.

Il partit donner des instructions à ses hommes dans sa langue, que Alcara ne connaissait pas. Elle se jura d’en apprendre plus sur les rudiments du rohirrique au Gondor si elle le pouvait, cela pourrait s’avérer utile.

Elle s’approcha du cheval blessé pour observer la plaie sous le pansement, et le cavalier revint à côté d’elle. Alors qu’il approchait, elle se tourna vers lui et lui montra fièrement que sous le mouchoir, le baume avait été complètement absorbé : la plaie ne saignait plus et commençait déjà à cicatriser.

- Dame, vous êtes une drôle de guérisseuse anonyme! s’exclama-t-il. Mais vous avez tenu parole, reconnut-il.

- Vous avez eu raison de me faire confiance, dit-elle simplement. Vous voyez que je ne vous veux aucun mal. Au contraire, j’aiderai tous ceux qui combattent Saroumane, Sauron et tout le Mordor. Mais pour cela, il faut accepter de me laisser partir.

Le cavalier la regarda un instant en réfléchissant, et s’éloigna en disant :

« Vous resterez avec nous tant que je n’en saurai pas plus sur vous, dit-il fermement, sans se retourner. J’ai appris à me méfier des guérisseurs, magiques ou non. »

Elle ne put en savoir plus, mais elle découvrirait plus tard l’existence de Grima Langue de Serpent, dont les sciences avaient permis à Saroumane d’envahir l’esprit du roi Theoden, avant que Gandalf ne l’en délivre. Tout cela, elle l’ignorait encore, comme elle ignorait qu’ils allaient au-devant d’un groupe d’Orques, dont le but était de livrer deux Hobbits qu’elle connaissait bien.

Au même moment, et alors que la nuit était tombée, un éclaireur revint au galop et annonça quelque chose à son chef au casque de crin blanc, qui revint rapidement vers son cheval à présent guéri.

« Les Orques se sont arrêtés à la lisière de la forêt, l’informa-t-il. Nous repartons pour les prendre par surprise. »

Alcara l’écouta mais hésita avant de remonter à cheval. Que ferait-elle en plein milieu de la mêlée? Est-ce qu’un nouvel événement malheureux et maléfique allait arriver?

Le cavalier qui était remonté à cheval, devait croire que son hésitation venait de la peur de rencontrer des Orques, et lui dit :

« Vous vous tiendrez en arrière du groupe lors de la charge. Mais restez près de nous. »

Alcara ne répondit rien et tint son visage impassible. Elle monta à cheval et suivit l’eored, alors qu’une idée germait dans son esprit.

Comme demandé, elle resta en arrière du groupe, qui chevauchait de plus en plus vite. Elle se demandait comment ils faisaient pour se repérer dans la pénombre. Soudain, ils ralentirent tous en même temps, au moment de monter une dernière colline, pour se préparer à la charge. Alcara se préparait, elle aussi.

Et alors que le groupe chargeait sur le groupe d’Orques, provoquant leur surprise et les empêchant de se défendre, elle n’hésita pas une seconde : elle fit demi-tour au galop, et s’enfuit le plus rapidement possible du combat.

Pourtant, elle n’aurait pas dû, mais elle risqua un dernier regard en arrière : et dans les flammes du camp ennemi, à la lueur des reflets de lances et d’épées, elle vit un Orque qui s’apprêtait à attaquer le chef au casque de crin blanc et à lui trancher le bras, alors qu’il était occupé à abattre un autre adversaire. Et sans hésiter, elle sortit son arc, dégaina une flèche, et aussi vite que possible, via l’Orque, le transperçant entre les deux yeux. Éomer se retourna et le vit, étonné, s’écrouler devant lui. Seule une personne avait un arc et des flèches parmi eux, et il devina rapidement qui l’avait sauvé. Mais lorsqu’il chercha des yeux la mystérieuse tireuse de flèches, il ne parvint pas à l'apercevoir dans la nuit. Pris dans le tumulte de la bataille, il n’eut pas le temps d’y réfléchir davantage, et continua ses attaques.

Alors que les Rohirrim massacraient avec méthode les Orques, puis les rassemblaient pour brûler leurs corps fétides, elle était déjà loin dans la nuit.

Quand la bataille fut terminée, à l’aube, le chef de l’eored chercha sans succès la jeune femme, après avoir retrouvé sa flèche elfique plantée dans une des têtes ennemies, et il s’aperçut avec dépit de sa disparition. Elle avait du caractère, savait bien tirer à l’arc comme elle l’avait prétendu, et elle possédait des compétences de guérisseuse bien utiles… mais il ne connaissait même pas son nom. Il repartit avec sa troupe, et s’aperçut qu’elle non plus ne savait pas qu’il était Éomer, troisième Maréchal de la Marche, et neveu du roi Théoden du Rohan.

 

Chapter 12: Retour À Minas Tirith

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Retour À Minas Tirith

Musique à écouter sur ce chapitre :

A quelques heures près, et si elle avait continué à suivre l’eored, Alcara aurait croisé bien des acteurs majeurs de la Communauté : d’abord Gandalf, devenu mage blanc, réfugié dans la forêt de Fangorn ; et surtout Legolas, parti avec Aragorn et Gimli à la recherche des Hobbits Merry et Pippin. Elle y aurait trouvé bien des soutiens pour mener la guerre qui ne faisait que commencer, face aux Deux Tours de Saroumane à l’Ouest, et de Sauron à l’Est. Peut-être aurait-elle apporté du réconfort à Legolas, dont les pensées vagabondaient vers elle pendant sa course à travers le Rohan, et plus tard, vers le Gouffre de Helm.

Mais comme le disaient souvent les elfes, “Il faut laisser au destin choisir le bon moment”. Ils étaient tous préoccupés par la guerre et l'Anneau, et elle ne pouvait pas leur apporter une aide suffisanre. Il fallait qu’elle trouve son rôle dans la guerre, et le jour d’après.

Même si le reste de son voyage lui prit beaucoup plus de temps que prévu, elle fut elle-même étonnée de rencontrer si peu d’encombres, se disant que Saroumane devait se focaliser sur la recherche du Porteur de l’Anneau. Elle ne croisa pas non plus de troupes du Gondor, même si les sentinelles se multipliaient. Être une femme avait un avantage : personne ne se disait qu’elle constituait un danger.

Enfin, après une semaine de chevauchée sans relâche, elle franchit les portes de Minas Tirith. Six mois après son départ, elle voyait que la situation avait passé un cran de tension : il y avait beaucoup plus de soldats postés à Osgiliath, la garnison posée sur le fleuve, en face de Minas Tirith. Et par-delà les montagnes, le Mordor semblait plus actif que jamais : des nuées rouges et noires sortaient des nuages et des monts comme d’innombrables cheminées, produisant armes et soldats sûrement par centaines de milliers.

Comment trouveraient-ils suffisamment de divisions pour les combattre, le jour où le Mordor les envahirait ?

En arrivant dans la résidence où elle avait logé avec Gandalf quelques mois plus tôt, la vieille dame qui l'accueillait habituellement et qui se nommait Thirindal, lui tendit les bras avec soulagement : elle était heureuse de la revoir avant le début de la guerre, comme pour se rassurer, mais elle désapprouvait l’idée que la jeune femme soit partie loin de chez les elfes, où elle était plus à l’abri. Alcara ne s’étendit pas sur le sujet : Minas Tirith serait son refuge à présent, et elle la défendrait coûte que coûte, comme la plus grande cité des Hommes libres.

Au bout de quelques jours, alors qu’elle retrouvait son petit laboratoire sur place et qu’elle se demandait si elle pourrait continuer de consulter la bibliothèque, elle apprit par Thirindal que le palais était maintenant complètement fermé, même aux anciens guérisseurs. L’intendant du Gondor, Denethor, avait appris la mort de son fils Boromir. Depuis, il avait sombré dans une profonde mélancolie, et ne désirait voir que ses soldats, et son fils Faramir pour lui donner des ordres.

- C’est absurde, s’exclama Alcara avec inquiétude. Il faudrait préparer des armes, la Maison de Guérison pour les blessés, préparer la riposte !

- Nous n’allons tout de même pas faire la guerre ! répondit une autre jeune femme, à table avec elle et quelques autres dames.

- Mais la guerre est déjà là, vous ne le voyez pas ? s’emporta Alcara.

- Nous n’y pouvons rien, répondit fermement la jeune femme. C’est aux Hommes de combattre, nous ne pouvons que prier pour eux.

- Priez si vous le voulez, mais je préfère être plus utile que cela, répondit Alcara.

- J’espère que nous pourrons rester dans la cité, dit sa logeuse, pour apaiser la discussion mais craignant de devoir partir un jour ou l’autre.

Mais Denethor ne demandait même pas l’évacuation des civils, alors qu’il était encore temps. Alcara sentit qu’elle ne pourrait pas ronger son frein bien longtemps…

C’est donc dans le secret de sa propre chambre que Alcara prépara de grandes quantités de baumes cicatrisants, de potions désinfectantes, de remèdes contre toutes sortes de maux. Elle savait que la guerre était un foyer de blessures graves, mais aussi d’épidémies dévastatrices.

Au bout de quelques jours,leur parvinrent d’autres nouvelles : on disait que les habitants du Rohan et leur roi s’étaient réfugiés au gouffre de Helm, et qu’une immense armée de Saroumane y avait installé un siège. Mais ils avaient pu lui tenir tête malgré le peu de soldats Rohirrim qu’ils avaient à disposition, grâce à un renfort inespéré des soldats d’Elrond et à une tactique incroyable : une prise en étau des Orques par surprise, qui avaient été éblouis par le soleil et n’avaient pas pu contrer la charge qui descendait vers eux.

Cathala fut impressionnée par ce récit, et aurait aimé en savoir plus, ou même savoir si le chef au casque de crin blanc qu’elle avait rencontré avait pris part au combat. Cette bataille, perdue d’avance et gagnée in extremis, lui redonna de l’espoir. Elle resterait sûrement, par les chansons et les contes, une des grandes batailles de l’Histoire, réunissant les Hommes et les Elfes.

Cela voulait dire qu’Elrond n’avait pas encore quitté la Terre du Milieu, et apportait encore son aide.

Mais surtout, elle aurait aimé en savoir plus sur la communauté : où se trouvaient ses membres à présent ? Est-ce qu’elle pouvait encore espérer que Legolas était vivant et parmi eux ?

Il était difficile pour elle de se tenir si loin des batailles, alors qu’elle pouvait apporter sa pierre et se battre, elle aussi. Elle en avait eu la formation et l’entraînement. Mais elle pressentait que Minas Tirith était le dernier verrou avant le Mordor, et que bientôt tout se jouerait ici…

Le temps lui donna raison. Faramir, le fils de Denethor, rentra d’une mission en Ithilien, au sud du Gondor. Il fallait qu’elle trouve le moyen de lui parler, car il revenait de la frontière du Mordor, il devait avoir des informations. Elle espérait aussi le convaincre de demander de l’aide aux autres royaumes avant qu’il ne soit trop tard…

Mais comment entrer dans le palais sans se faire remarquer ?

C’est alors qu’elle eut une idée, en voyant passer le groupe des Sœurs de charité de Minas Tirith dans les ruelles étroites et escarpées de la cité. Elles étaient des prêtresses dévouées aux anciens dieux, qui consacraient leur vie de célibat aux pauvres et aux malades. Et leur couvent se trouvait au Palais, à côté de la Maison de Guérison…

Comment les persuader de porter leur habit, mais sans prêter leur serment?

Tentant le tout pour le tout, elle s’avança vers la Sœur qui menait le groupe, et qui comme elle à cet instant, achetait au marché des fruits pour son repas.

- Tenez, ma sœur, lui dit-elle en lui tendant un paquet de belles pommes mûres. Je vous fais don de ces quelques fruits pour les pauvres.

- Merci, ma fille, lui répondit la vieille Sœur avec reconnaissance. En ces temps troublés, toute aide est la bienvenue.

- Je suis de votre avis, enchaîna Alcara. Et je pense que plus que quelques fruits, je pourrai vous apporter mon aide pour les malades et les blessés.

- Mais nos membres deviennent sœurs très jeunes, vers 16 ans, rétorqua la Sœur. C’est un engagement de toute une vie, corps et âme.

Cela n’allait pas être facile de faire appel à son pragmatisme plutôt qu’aux anciennes règles, soupira intérieurement Alcara. Même à l’aube de la guerre, chacun restait arc-bouté sur ses principes.

- Le temps de la guerre, insista Alcara, je pourrai vous apporter une aide précieuse. Je sais soigner, opérer un blessé, créer des remèdes. Nous aurons bientôt besoin de toutes les compétences.

- Mais notre Intendant, le respectable Denethor, n’a pas annoncé que nous étions en guerre, répondit froidement la Sœur. Nous n’en sommes pas là, et les règles sont les règles.

Les autres Sœurs plus jeunes qui l’accompagnaient devaient être Novices car leurs visages évoquaient un très jeune âge. Par curiosité, elles écoutèrent leur conversation.

Alcara essayait de garder son sang-froid, mais elle était têtue, et voulait essayer jusqu’au bout de la convaincre.

- Regardez les montagnes de l’Est, dit-elle en tendant le doigt vers le Mordor. Ne voyez-vous pas les fumées noires, et les lueurs rouges des forges? La Montagne du Destin est en éruption permanente, on a appris que Saroumane avait attaqué le Rohan. La guerre existe déjà autour de nous!

- Pas si Denethor n’engage pas officiellement le Gondor, et cela n’est pas arrivé, répondit toujours aussi froidement la Sœur. Notre Ordre est au service des habitants de Minas Tirith, et non du Rohan ou je ne sais quel autre peuple.

À ce moment, une servante courut jusqu’à la Sœur et s’exclama :

« Ma Sœur, venez vite avec moi ! C’est ma maîtresse, elle est en train d’accoucher ! J’ai besoin de votre aide! »

Alors que la Sœur s’apprêtait à la suivre, Alcara se mit sur son passage.

« Je vais m’en occuper, et vous allez m’observer, lui déclara-t-elle. Si vous estimez que j’ai correctement fait naître cet enfant, m’accepterez-vous parmi vous ? »

La Sœur était à la fois agacée, mais tout de même hésitante : cette jeune femme avait une force de caractère indéniable, et l’énergie, l’autorité qui se dégageaient d’elle faisaient qu’il était difficile de lui dire non. Et en effet, son ordre était important mais actuellement limité, peut-être que tout le monde serait utile finalement…

« Entendu, répondit simplement la Sœur. Hâtons-nous. »

En arrivant dans la demeure, un hôtel particulier construit autour d’un petit jardin, la servante les conduisit au premier étage côté cour, d’où les cris de la maîtresse retentissaient.

En entrant dans la pièce, Alcara se précipita vers la femme allongée, et prit en main les opérations. Elle demanda à la servante de l’eau chaude et des draps propres, du savon, des ciseaux en argent. Elle posa des questions précises à la future mère, sur la fréquence de ses contractions, vérifia qu’elle n’avait pas de fièvre ou d’autres douleurs, la plaça de façon plus confortable et la rassura en lui expliquant chaque geste qu’elle ferait pour que tout se déroule bien.

Pendant plusieurs heures, elle attendit l’arrivée de l’enfant, elle assura la naissance en donnant des instructions précises, en vérifiant que le bébé sortait correctement, sans jamais paraître prendre peur ou sentir de fatigue.

Elle tenait tant à convaincre la Sœur, dont la présence rassurait la mère par son habit reconnaissable, qu’elle était prête à y mettre toute son énergie.

L’enfant parut, en parfaite santé, et Alcara l’accueillit, vérifia son état, et finalement, le posa contre le sein de sa mère et lui expliqua comment l’allaiter, le tout avec patience et douceur, malgré sa lassitude.

La Sœur, qui avait surveillé chaque étape et était intervenue de temps à autre, se leva et prit Alcara par le bras pour l’emmener à l’écart.

« Très bien, déclara-t-elle, j’accepte de vous accueillir parmi nous, le temps de la guerre. Mais à certaines conditions : vous porterez le simple habit de novice, vous obéirez à mes directives, et vous habiterez avec nous au couvent. Au moindre écart de conduite, je ne pourrai plus vous garder parmi nous. »

Alcara sourit : son plan se déroulait comme prévu. Elle pouvait accepter ces conditions pour le moment, et imposer les siennes petit à petit. La guerre avait cet avantage étrange de permettre de briser d’anciens ordres établis…

Les premiers jours, Alcara se fit la plus discrète et la plus obéissante possible. Elle suivait scrupuleusement les horaires, les règles, et les procédés de guérison pour lesquelles elle n’avait pas toujours la même opinion, qu’elle gardait pour elle. Il serait toujours temps, plus tard, de s’en affranchir…elle en profita surtout pour repérer dans le palais les passages menant du couvent aux appartements de Faramir, pour avoir la possibilité de lui parler.

La Maison de Guérison avait un avantage immense : une des promenades était une grande loggia avec une colonnade, dont la vue donnait directement sur les champs du Pelennor. Elle y veillait souvent tard le soir, ne trouvant plus le sommeil. Ses cauchemars avaient repris de plus belle : des maisons en feu, des coulées de lave lourdes comme du métal fondu, mais aussi des tunnels obscurs et des menaces invisibles dans l’obscurité…et, en plus des anciennes images et sensations, une nouvelle, celle de forges inondées par des coulées d’eau immenses, et l’impression d’être prisonnière et d’étouffer …elle n’arrivait pas à savoir pourquoi elle subissait de telles visions, et quel était leur sens.

Alors qu’elle était parvenue à repérer les allées et venues de Faramir, elle apprit une mauvaise nouvelle : il devait repartir à la garnison d’Osgiliath, pour la défendre d’une attaque d’Orques. Si la garnison était prise, Minas Tirith était perdue.

Au détour d’un couloir, un matin, elle le vit de loin, partir en armure avec quelques hommes. Le moment n’était pas idéal, mais peut-être le seul avant longtemps…elle le suivit alors de loin. Mais au détour d’un couloir, elle aperçut une salle ronde entourée de quatre colonnes de marbre, avec au centre, l’objet le plus étrange qu’elle ait jamais vu. C’était un globe noir, dans lequel semblaient flotter des lueurs rouges et jaunes, et comme une substance vivante qui bougeait à l’intérieur.

Regardant autour d’elle, elle s’avança prudemment de l’objet. Cela ressemblait tellement à…mais c’est impossible, ils avaient tous disparu.,.

Elle entendit alors un bruit derrière elle, et se cacha le plus rapidement possible derrière une colonne. Elle aperçut alors Denethor entrer, avec son habituelle longue cape en fourrure noire. Il semblait avoir l’habitude de venir ici.

Il s’approcha du globe, et retroussa ses manches, en murmurant :

« Palantir sacré, toi qui vois tous les secrets du monde, dis-moi si les armées se forment en Mordor, et si Osgiliath sera préservée… »

C’était donc bien un Palantir, le globe permettant d’avoir des visions partout sur la Terre Du Milieu. Alors, Denethor posa ses deux mains sur le globe. Des lueurs rouges se mirent à étinceler autour de ses doigts, et son corps frémit. Il semblait repéter à voix très basse les mots qu’il entendait dans son esprit.

Alcara essaya de tendre l’oreille, mais ce qu’elle entendit était plus terrible encore que ce qu’elle imaginait: « plus grande des guerres », « massacre », « disparition », et même, plus terrifiant encore: « la fin des Hommes »…

Tout le corps de Denethor tremblait, il semblait possédé par le globe. Cela ne ressemblait pas à l’usage habituel d’un Palantir, on aurait dit qu’il avait été maudit, ou détourné par un esprit maléfique…Alcara était en train de se demander si elle devait faire quelque chose pour aider Denethor, mais le globe s’arrêta subitement de luire de sa lumière rouge, et Denethor le lâcha et tomba sur les genoux, comme épuisé.

Il se mit à nouveau à trembler, mais cette fois sous des sanglots. Il disait en gémissant : « Boromir, et Faramir à présent…nous allons tous à notre perte, c’est peine perdue… »

Alcara en profita pour se glisser vers la sortie. Elle se sentait à la fois gênée et prise de pitié pour cet homme. Aucun chef suffisamment fort n’allait défendre le Gondor, le plus grand royaume des Hommes libres qui n’avait pas de roi. Les choses s’annonçaient très mal, et Faramir était peut-être déjà en grand danger.

Alors qu’elle retournait discrètement vers la Maison de Guérison, des soldats coururent les uns vers les autres. Elle baissa la tête pour que son voile la recouvre et se fondre dans l’ombre du couloir. Cela fonctionna car ils parlèrent sans se soucier d’elle : « Gandalf est là, il demande à parler à Denethor, il faut aller le chercher! »

C’était impossible, il était mort…

« Il est là avec un Hobbit, il ne porte plus sa cape grise mais un grand habit blanc ! »

Le cœur de Alcara fit un bond immense : de l’espoir, enfin!

 

Chapter 13: L’Imminence De La Guerre

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L’Imminence De La Guerre

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L’habit de Sœur novice était bien utile : les habitants du palais avaient tant l’habitude de le voir que Alcara pouvait se glisser dans tous les couloirs sans encombre. La Sœur dirigeante la surveillait de près, mais l’absence de blessé, pour le moment, donnait un répit à Alcara.

C’est pourquoi elle put entendre directement la conversation entre Denethor et Gandalf, derrière les grandes balconnières de marbre grillagées qui dominaient la salle du trône. Elle entendit les mots durs de Denethor envers Gandalf, le traitant d’oiseau de malheur, lui demandant comment Boromir était mort, alors que comme depuis plusieurs jours, il tenait à la main la corne brisée de son fils défunt. Il vit aussi la ténacité de Gandalf qui insistait pour qu’une riposte soit organisée contre le Mordor, et le courage du petit Hobbit, qu’elle reconnut comme étant Pippin, et qui proposa son service au roi en rétribution de la mort de Boromir pour le sauver.

Alcara sentait son cœur s’emballer : Gandalf, sous ses yeux et vivant ! Et avec un nouvel habit blanc, comme le portait Saroumane. S’il était ici, c’était qu’il organisait les Hommes, y compris Aragorn, ou encore le Nain Gimli et peut-être même Legolas…

Denethor mit fin brutalement à l’entrevue par une fin de non recevoir. Alcara se leva le plus vite possible et dévala les escaliers pour rejoindre Gandalf dans les couloirs du Palais.

En bas des marches, essoufflée, elle le vit : il se retourna en entendant les bruits de pas précipités et le souffle court de la jeune fille. Il ne la reconnut pas tout de suite avec son habit strict de novice, mais ses yeux ne pouvaient être confondus avec d’autres…

Gandalf écarquilla les yeux et ouvrit grand ses bras en s’exclamant: « Alcara, ma chère Alcara! » et elle courut pour le prendre dans ses bras, à l’étonnement de Pippin qui la reconnut lui aussi depuis les festins de Fondcombe, qui semblaient à présent si loin…

Alcara ne put s’empêcher de pleurer de joie et Gandalf, attendri, essuya les larmes de ses joues en continuant à murmurer simplement « Ma petite Alcara, comme je suis heureux de vous revoir ».

« Gandalf, parvint-elle à dire, je vous croyais mort ! »

« Ah oui, c’est une longue histoire à raconter, dit-il facétieusement. Mais le temps nous manque. Venez ! Denethor nous a accordé une chambre au palais, et Pippin Touque ici présent y trouvera ses nouveaux habits de serviteur de l’intendant », ajouta-t-il en soupirant et en regardant le Hobbit du coin de l’œil, en montant vers les étages.

Ils prirent le dîner dans la grande chambre qui leur était réservée, où ils partagèrent à trois les deux plateaux qui y avaient été apportés. Pippin ne cessait de regarder Alcara du coin de l’œil, les joues roses de timidité : Alcara était une très belle jeune femme, qui n’avait rien à envier aux elfes, et son habit strict mettait en valeur son visage naturellement harmonieux et sa peau très pâle. Mais contrairement aux elfes, brillait dans ses grands et doux yeux couleur noisette une énergie, décuplée par la joie de retrouver ses amis et son tuteur. Gandalf quant à lui, en avait déjà conscience et autrefois en était fier comme un père, mais à présent il était focalisé par l’imminence de la guerre. Ils prirent néanmoins le temps de lui raconter tout ce qui était arrivé depuis leur départ de Fondcombe, plusieurs mois auparavant : la Moria, les bois de Galadriel, la mort de Boromir, puis les différents groupes de la Communauté dispersée qui s’étaient rejoints par intervalles. Tous sauf Frodon et Sam, qui continuaient leur route dans le silence et pour lesquels Gandalf gardait espoir qu’ils soient sains et saufs.

Lorsqu’ils lui racontèrent les Orques attaqués près de Fangorn par un eored, Alcara rassembla les morceaux du puzzle, en racontant sa rencontre avec le cavalier au crin blanc.

« Je comprends mieux à présent le mouchoir qui était noué autour du cou de son cheval, et qui portait des broderies elfiques! observa Gandalf avec perspicacité. Ce n’est pas n’importe quel chef des eored que vous avez rencontré. Il s’agit d’Éomer, neveu de Theoden, roi du Rohan. »

Alcara haussa les sourcils puis regarda dans le vague : la guerre leur faisait faire des rencontres étonnantes. Elle essaya de se souvenir de ses yeux verts, fiers et presque féroces, de sa barbe et de ses longs cheveux dorés avec quelques tresses fines…certes, ce n’était pas ainsi qu’elle imaginait un prince des Hommes, mais après tout, Legolas aussi était un prince et guerrier…

Et soudain elle s’en voulut de ne pas avoir immédiatement demandé des nouvelles de Legolas. Elle se tourna alors vers Gandalf, qui la regarda en souriant et avait devancé sa question.

« Legolas va bien, répondit-il simplement en la regardant avec bienveillance. Comme tout elfe qui se respecte, il ne semble ressentir ni la fatigue, ni la faim, ni la soif, et s’est battu avec beaucoup de courage au gouffre de Helm. Il s’est lié d’amitié avec son compagnon de la communauté, le nain Gimli. Ce qui nous redonne de l’espoir sur les sempiternelles inimitiés entre les elfes et les nains! »

Alcara sourit timidement. Legolas lui manquait, bien sûr, mais la guerre et les absences répétées le rendaient plus lointain encore. Il était fait pour être un guerrier, sur les routes, il réalisait ainsi sa raison d’être. Elle lui avait promis dès le départ de ne jamais le retenir, mais d’une certaine façon, il n’avait pas essayé non plus de la retenir, elle.

À présent elle avait l’esprit à la guerre, et à la meilleure façon d’y prendre sa part.

- Gandalf, il faut vous prévenir sur ce qu’il se passe ici, lui dit-elle avec empressement. Denethor est pris d’une mélancolie funeste : il consulte un Palantir, qui ronge encore plus son cœur qu’il ne l’est déjà : il y voit la ruine du Gondor, et la fin du monde des Hommes libres. Il envoie son propre fils Faramir se défendre seul à la garnison d’Osgiliath. Tout le palais est fermé, et l’intendant ne veut rien écouter ni personne!

- En effet, approuva Gandalf d’un air sombre. Ma conversation avec lui, même courte, m’en a montré assez.

Et en se penchant vers elle de l’autre côté de la table, avec des airs de conspirateur, il ajouta :

- Nous devons nous organiser sans lui, à présent. Je suis heureux que vous ayez réussi à vous faufiler dans la Maison de Guérison. Il va falloir la préparer en ampleur : pansements, lits, remèdes à profusion, et même salle d’opération. Tout doit être prêt pour dans trois jours. Car ensuite, nous serons rattrapés par la guerre.

- Je le ferai, répondit Alcara, mais il faut que je trouve un moyen d’éloigner la Sœur supérieure, qui me surveille sans cesse et doit se douter de quelque chose.

- Cela, je m’en occupe, dit Gandalf en souriant. Demain à l’aube, elle ne sera plus un problème. Filez vite maintenant, avant qu’elle ne s’aperçoive de votre absence!

Il reconduisit Alcara à l’entrée de la chambre : au moment d’ouvrir la porte, il lui dit en murmurant : “Elrond m’a raconté pourquoi vous aviez dû partir de Fondcombe.”

Alcara ravala sa salive et regarda Gandalf, son cœur s’accélérant. Avait-il quelque chose à lui expliquer? Ou à lui révéler ?

“Le moment n’est pas idéal pour vous raconter certaines choses, ma chère Alcara. Mais avant la fin de tout cela, je le ferai, je vous le promets. En attendant, ne mettez pas l'œil de Sauron sur vous, ou vous n’y survivrez pas. Suivez les conseils d’Elrond, et vous participerez ainsi à lutter avec nous contre le Mordor, pour gagner cette guerre.”

Alcara le regarda, un peu déçue de ne pas en savoir plus : elle savait bien que les phénomènes qui l'entouraient étaient liés à ses origines mystérieuses. Mais en effet, il était à la fois trop tôt et trop tard pour en parler, et la paix serait plus propice à cette discussion importante. Elle espérait seulement qu’il n’arrive rien à Gandalf pour qu’il puisse un jour, lui révéler ce secret.

Alcara se faufila vers sa cellule de novice, alors que des soldats apportaient à Pippin son uniforme du Gondor. Elle était si heureuse d’avoir retrouvé Gandalf qu’elle mettrait toute son énergie à préparer de quoi soulager et guérir les futurs blessés.

Avant même le début de la nuit, les événements donnèrent raison à Gandalf. Alors qu’elle avait encore du mal à dormir, elle vit à l’Est la tour de Minas Morgul s’éclairer violemment d’un trait de lumière vert et éblouissant vers le ciel. Le roi sorcier d’Angmar était prêt, et menait son armée vers Minas Tirith. La guerre commençait.

Quelques heures après, à l’aube, on vit le feu d’alerte s’enflammer au-dessus de la ville : on demandait de l’aide aux autres royaumes. Connaissant Denethor, cette idée ne pouvait venir que d’une ruse de Gandalf…

Dans la foulée, on ordonna l’évacuation des civils hors de la cité. Au petit déjeuner, cela provoqua un émoi et une panique parmi les Sœurs.

Les plus jeunes étaient d’avis de rester pour soigner les combattants. Mais les plus âgées, dont la Soeur supérieure d’habitude si prompte à montrer sa fermeté, semblaient hésiter.

Alcara, n’y tenant plus devant cet interminable débat, se leva :

- Cela suffit, vous n’êtes d’aucune utilité si la guerre vous fait peur! s’exclama-t-elle avec feu, en tapant du poing sur la table. Si vous avez peur d’une annonce, comment réagirez-vous face aux terribles blessures que porteront les soldats qui nous seront apportés, pleins du sang noir ou des sortilèges des Nazgul ? Ou quand il faudra choisir parmi les blessés, ceux qu’il faudra sauver et ceux qu’il faudra laisser mourir ?

Un lourd silence suivit ses propos. Elle ajouta, d’une voix plus basse :

- Certaines d’entre vous sont faites pour aider les pauvres, d’autres pour exercer la médecine. Nous aurons besoin de vous pour reconstruire le Gondor. Mais pour l’heure, nous ne devons garder que celles qui sont prêtes à soigner, nuit et jour s’il le faut, avec toute leur énergie, et toute leur abnégation.

La Soeur supérieure, à l’autre bout de la grande table, se leva face à elle.

- C’est à moi de décider de qui reste, ou qui part, dit-elle en rappelant son autorité à Alcara, qui soupira : il était bien temps de se camper sur ses positions ! Je propose à chacune d’entre vous, de choisir : que celles qui veulent rester, lèvent la main.

Seules les plus jeunes et les plus enthousiasmées par les paroles de Alcara se désignèrent, soit le tiers des Soeurs.

- Bien. Que celles qui souhaitent partir, aider les civils en détresse qui seront loin de chez eux, lèvent la main.

La Soeur voulait laisser entendre qu’il n’y avait pas de honte à fuir avec les civils, en trouvant ainsi une sorte d’excuse, puisqu’elle aussi leva la main pour quitter Minas Tirith. Les deux tiers de la table levèrent la main.

- Nous partons donc ce matin, ne prenez que le strict nécessaire. Pour celles qui restent : bon courage à vous, nos prières vous accompagneront.

Alcara avait du mal à croire à la fois qu’elle accepte si facilement sa proposition de choisir, et donc de diviser le groupe en deux, et qu’elle éprouve aussi peu de honte à s’enfuir, au lieu de soutenir les Soeurs sur place. Elle prendrait donc les choses en main.

Grâce à l’alarme provoquée par Gandalf, et le feu de détresse allumé par Pippin, elle avait le champ libre pour réaliser la promesse faite à Elrond : “Tu pourras guérir, mais tu ne pourras pas combattre.”

 

Chapter 14: Pelennor

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Pelennor

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C’est ainsi que commença la guerre des Hommes contre Sauron. Fidèle à son engagement, et pour ne pas attirer l’attention de l’ennemi sur elle, Alcara restait dans l’ombre de la Maison de Guérison, où il y avait beaucoup à faire. En une journée, elle répartit chacune des jeunes Soeurs à la préparation de l’hôpital, de la salle d’opération, de la pharmacie. Elle leur indiqua comment préparer et stocker les remèdes, les onguents, les pansements, les bandages en nombre. Elle devait être partout à la fois pour répondre aux questions et aider à tout organiser le plus vite possible, en se retenant d’aller sans cesse au balcon de la Maison de Guérison, où la loggia donnait directement sur le champ de bataille.

Dans les jours qui suivirent, on entendit au loin une rumeur lancinante et angoissante : une clameur sourde et terrifiante, des bruits de lames et de catapultes, des cris de peur et de douleur. Gandalf avait une voix très forte et grave, qu’on entendait par intermittences, donnant des ordres et encourageant les troupes à rester sur leurs positions.

La Maison était au plus haut de la citadelle, dans le palais, et plusieurs niveaux de ronde et de passerelles les protégeaient de l’assaut ennemi. Mais pour combien de temps ?

D’un seul coup, les soldats leur amenèrent les premiers blessés, bombardés par les pierres des catapultes, atteints de coups d’épées ou de masses. Alcara entra alors dans une longue journée qui dura plusieurs jours, mettant les entrées dans l’ordre pour avoir le temps de s’occuper de chacun et tenter de faire patienter les autres. Elle n’eut plus l’occasion de regarder au-dehors, elle demanda donc régulièrement à l’une des Soeurs les plus jeunes et les plus dynamiques, prénommée Elenie, de lui dire ce qu’il se passait sur le champ de bataille.

Au bout de deux jours, les premiers soubresauts se firent entendre dans la citadelle : on aurait cru que le sol tremblait, et les coups des catapultes se rapprochaient. Fréquemment, les Soeurs se baissèrent au sol à chaque secousse, croyant que le plafond allant s’effondrer au-dessus d’elles.

Les nuits blanches et la nervosité gagnèrent Alcara : malgré toute son énergie, et sa volonté de participer elle aussi à l’effort collectif contre le Mordor, elle sentit ses émotions l’envahir. Elle pria intérieurement de ne pas avoir de réaction involontaire, mais il était de plus en plus difficile pour elle de ne pas exprimer sa peur.

Et soudain, par la grande loggia qui donnait sur les champs du Pelennor, elle les vit : les immenses Nazgûl, menés par le roi-sorcier d’Angmar. Elle ne put s'empêcher d’aller au bord du balcon pour les voir : eux seuls pouvaient aller jusqu’en haut de la citadelle, montrant le chemin à l’infanterie.

Au même moment, une nouvelle vision s’empara de son esprit, la faisant s’écrouler au sol de douleur, et lui donnant un tel mal de crâne qu’elle se prit la tête entre les mains : les cris des créatures étaient assourdissants, et provoquèrent en elle des images d’horreur, de chair déchiquetée, de bâtiments écroulés sur des corps, de montagnes de cadavres sanguinolents. Mais alors qu’elle se demandait si ce supplice allait durer, n’y tenant plus, un grand éclair blanc les aveugla pour les éloigner, et ils s’envolèrent vers les rues les plus basses de la cité : Gandalf avait dû les apercevoir et réussir à les faire fuir.

La jeune Elenie parvint à la soutenir pour l’éloigner du bord, et la ramener à l’intérieur. Les visions se dissipèrent peu à peu, mais Alcara se sentit faible.

“Buvez et mangez quelque chose, je vous en prie! lui dit Elenie. Vous n’avez rien avalé depuis hier, il faut que vous soyez forte!”

Après avoir fait une courte pause, buvant de l’eau et mangeant un peu, une Soeur vint voir Alcara en courant : “Madame, Faramir est ici ! Il est blessé, mais vivant : son père a voulu le brûler avec lui, mais Pippin et Gandalf l’ont sauvé ! L'intendant Denethor est mort !”

Après un moment de sidération face à toutes ces nouvelles, Alcara se leva et courut à l’entrée, où des gardes du palais apportèrent un brancard. Gandalf et Pippin étaient juste derrière lui.

Gandalf eut pour premier réflexe de prendre Alcara dans ses bras : ce geste lui donna d’un seul coup une nouvelle vigueur, comme si elle avait pris une boisson réconfortante et revigorante à la fois. Puis il la regarda dans les yeux, et lui dit :

“Prenez soin de lui : il a de la fièvre, quelques brûlures et deux blessures de flèches, mais il survivra.”

Puis il ajouta, en lui prenant l’épaule : “Il y a quelque chose que je dois vous montrer. Avez-vous quelqu’un à opérer ?”

Alcara ne comprit pas le sens de sa question, mais répondit immédiatement : “Oui, une sentinelle blessée au bras, au fond de la grande salle à gauche. Il va falloir recoudre sa blessure. Pourquoi cela ?”

Gandalf était déjà parti devant elle, elle lui emboita donc le pas jusqu’au brancard.

Arrivés au blessé qui gémissait de douleur, Gandalf s’agenouilla et lui indiqua de faire de même.

- A-t-il déjà pris une boisson calmante? demanda-t-il.

- Oui, mais il y a déjà plusieurs heures.

- Parfait. Placez votre main sur son front.

Elle s’exécuta, et posa sa main à plat sur le front brûlant du blessé.

- A présent, continua Gandalf, vous allez répéter exactement les mots que je vais prononcer. Récitez-les très distinctement, et habitez chacun de ces mots, comme s’ils étaient des créatures vivantes et que vous vouliez les faire apparaître.

Alcara, curieuse de la suite, hocha immédiatement la tête et se concentra sur ce qu’allait dire Gandalf, en fermant les yeux. Il lui dicta alors une formule en langage ancien, l’ancêtre de la langue elfique. Elle en connaissait les rudiments vus dans de vieux ouvrages, mais elle ne l’avait jamais entendu prononcer à voix haute. Il semblait être question de rêve et de conscience, d’entrer dans un autre monde avec son esprit. Elle imagina des oiseaux légers, qui montaient jusqu’aux cimes des arbres pour rejoindre un ciel brumeux mais paisible. Au milieu des nuages, ils s'épanouissaient comme dans une vallée blanche et tranquille, sur un tapis moelleux.

Une fois qu’elle eut tout répété, elle rouvrit les yeux : le soldat semblait complètement endormi, et respirait très doucement.

- Et voilà, dit simplement Gandalf. Vous avez appris à mettre un blessé en léthargie. A présent, vous pourrez coudre sa blessure ou même l’opérer, il ne s’en rendra pas compte.”

Alcara n’en revenait pas :

- Mais il m’a suffit de prononcer une formule? Comment est-ce possible?

- Je n’ai pas encore le temps de vous l’expliquer, mais il ne s’agit pas de formule : il s’agit d’avoir le pouvoir de la prononcer. Je savais que vous y arriverez, mais je suis heureux que cela soit venu si facilement.

Alcara fronça les yeux en le regardant : Gandalf se contenta de sourire malicieusement, comme souvent, et se releva.

- Je dois repartir protéger la porte de la citadelle. Je repasserai plus tard pour vous apprendre une ou deux choses, nous n’aurions pas pu le faire dans une autre situation, mais avec la guerre et tous ces blessés, votre concours est plus que précieux.

- Attendez Gandalf, comment vais-je faire pour le réveiller? demanda Alcara en le suivant rapidement.

- Ah, c’est vrai! s’aperçut-il en se retournant : je vous écris les formules. Il suffit d’imaginer la même chose, mais à l’envers.

Alcara espérait qu’elle y arriverait, sinon elle serait entourée bientôt de centaines de patients endormis par un sortilège, comme une ville ensorcelée…

- Voilà. Ne perdez pas ce papier. Je dois y retourner et galvaniser les troupes. Tout va bien se passer.

Et il repartit aussitôt : Alcara donna des ordres pour soigner immédiatement Faramir, et vérifier qu’il n’était pas nécessaire de l’endormir pour panser ses plaies.

Le lendemain, le nombre de blessés avait décuplé : elle se demandait comment ils pouvaient encore tenir la porte, avec autant de pertes. En rationalisant, elle libéra plusieurs lits et put renvoyer dans des chambres d’invités les blessés les plus légers, qui repartiraient à l’assaut quelques heures plus tard.

Et soudain, on entendit un cor sonner au loin, à l’Ouest : le Rohan arrivait !

Elle se précipita sur la loggia, et en passant, vérifia que la fièvre de Faramir retombait toujours : il récupérait déjà de ses blessures.

En arrivant au balcon, elle vit avec les autres Soeurs l’étendue de la bataille, répandue de toutes parts dans un immense flot noir qui semblait monter et descendre. En hauteur, à l’Ouest, une ligne de chevaux et d’étendards vert et or se préparait à l’assaut.

Malgré la distance, elle entendit leur clameur et le bruit des sabots lorsque la cavalcade s’engouffra dans la bataille, décimant les troupes ennemies. Ils semblaient n’avoir peur de rien, et Alcara sentit son cœur gonfler d’émotion à la vue d’une charge aussi impressionnante.

Bientôt, l’ensemble des armées s’entremêla dans des corps-à-corps indistincts, et dans un bruit épouvantable. Alcara étouffa alors un cri de frayeur : à l’horizon, des lignes d’oliphants immenses et effrayants se dirigèrent vers les troupes du Rohan et les écrasèrent avec leurs pattes et leurs défenses. Quelques assauts contre eux eurent du succès, mais la plupart de ces animaux immenses et féroces foncèrent sans résistance dans le cœur de la bataille.

Juste après cette attaque, alors que tout se déroulait dans une rapidité fulgurante, des navires qui semblaient tenus par des pirates entrèrent par le fleuve, devant la garnison d’Osgiliath : tout serait perdu si ces mercenaires prenaient en tenaille les troupes du Rohan…

Mais un événement étrange se produisit : un flux de spectres verdâtres en sortit et coula comme de l’eau sur le champ de bataille. Son effet fut immédiat : ils fauchèrent les ennemis, Orques, trolls et oliphants indifféremment. D’un seul coup, la victoire changea de camp. Alcara et les autres Soeurs en crièrent de joie.

Mais la bataille était loin d’être terminée : malgré cette aide inespérée, les Nazgûl étaient toujours présents. Le plus grand d’entre eux, qui devait être le roi-sorcier d’Angmar, renversa un cheval et son cavalier, et semblait prêt à l’achever, quand un autre guerrier se plaça devant lui. Avec la distance, il était difficile de savoir de qui il s’agissait, mais cela ressemblait à un homme du Rohan. Le cœur de Alcara s’accéléra : était-ce le prince Éomer qu’elle avait croisé ?

De si loin, elle ne put voir que son extraordinaire courage, car malgré les assauts furieux de l’ennemi, il parvint à décapiter son destrier Nazgûl et à se défendre, et tenait encore debout. Puis d’un coup d’un seul, il parvint à enfoncer son épée en plein milieu de la tête spectrale du roi-sorcier, qui sembla s’écraser sur lui-même, faisant fuir tous les autres rois maudits qui volaient encore au-dessus du champ de bataille.

A partir de cet instant, la bataille était gagnée : les spectres verdâtres terminèrent d’éliminer les ennemis qui étaient parvenus jusqu’à la porte de la citadelle. Les bruits et les tremblements des murs cessèrent, et tous éclatèrent en cris de joie et de victoire.

La bataille du champ du Pelennor était gagnée.

Malheureusement, ce ne fut que le début du travail pour Alcara : jamais elle n’avait vu autant de blessés et de morts. Sans relâche, pendant des heures, elle les répartit, les soigna, en opéra plusieurs et dut même en amputer certains. Le sortilège appris par Gandalf fut très précieux : elle le fit d’abord discrètement, mais dans l’urgence, dut le multiplier rapidement pour enchaîner les opérations, et les Soeurs se demandèrent quel pouvoir Gandalf avait bien pu lui donner. Elles ne l’en respectèrent que plus encore, car il s’agissait réellement d’un pouvoir de guérisseur émérite, voire de magicien.

Immédiatement après la bataille, une cohorte de Rohirrim entra dans la maison de Guérison avec fracas.

Certaines Soeurs voulurent les empêcher de rentrer de façon aussi tonitruante, mais Alcara leur ordonna de laisser entrer tout Rohirrim sans distinction, après le formidable courage qu’ils avaient montré lors de la bataille. Un d’eux, qui semblait haut gradé, lui en fut reconnaissant :

- Merci, Ma Dame. Nous apportons un blessé grave et précieux pour nous : Éomer, Gandalf et Aragorn arrivent également pour la soigner.

- La…soigner ? demanda Alcara en fronçant les sourcils.

L’homme laissa la place, et elle vit alors avec stupéfaction, sur un brancart, une jeune femme en armure, dont le casque avait été enlevé. Ses longs cheveux d’un blond vénitien étaient étendus autour d’elle. Elle était très belle : sa peau était blanche comme un lys, et elle semblait avoir été sculptée dans du marbre. Elle était inconsciente, mais semblait avoir recroquevillé par réflexe son bras gauche contre elle. Sa main droite, quant à elle, portait une horrible blessure : une immense tache noire s’était répandue sur sa main et son avant-bras, comme une grande brûlure. Toute sa peau était pâle comme une mourante.

- Vite! Déposez-la ici, sur ce lit.

Peu de temps après, un autre blessé arriva : un petit Hobbit, lui aussi atteint par une grande blessure noire à la main, complètement froide. Avec surprise, Alcara reconnut Merry : bien des choses étaient étonnantes dans cette guerre. Elle demanda aux soldats de l’allonger sur le lit à côté de la jeune femme, Pippin à son chevet.

Les soldats s’exécutèrent : peu de temps après entrèrent Gandalf et Aragorn.

Alcara vit ce dernier et ne put s’empêcher de l’observer : elle ne l’avait pas revu depuis Fondcombe, et il avait bien changé. Avec son armure, après la bataille, il était sale et blessé de toutes parts par des égratignures d’épées ou de coups, mais son regard était brillant et intimait le respect. Il finit par tourner les yeux vers elle, et après un temps d’hésitation, la reconnut malgré sa fatigue et son habit :

- Alcara ! Vous ici, au Gondor !

Et sans autre forme de salutation, il la prit dans ses bras avec affection. Elle lui sourit, et lui dit en quelques mots qu’elle était venue aider avec ses connaissances livresques, à soigner les Hommes libres.

Puis, elle se pencha sur la jeune femme pour lui enlever le haut de son armure, ses brassarts et ses gants, aidée par une autre Soeur.

- Que s’est-il passé ? demanda Alcara. Pourquoi s’est-elle battue ?

- Il s’agit d’Eowyn, nièce de Théoden, et sœur d’Éomer. Une fière guerrière, qui ne devait pas combattre mais qui a voulu défendre les siens. Elle s’est battue plus vaillamment que nous tous. Aucun Homme vivant ne pouvait vaincre le roi-sorcier d’Angmar : mais une femme le pouvait.

Le ton grave d’Aragorn laissait penser que la jeune femme ne serait pas sauvée. Pourtant, il se tourna vers elle, et lui demanda :

- Avez-vous ici de l’athelas, ou feuille des rois ?

- Il me semble que oui, répondit Alcara. Ioreth, dit-elle à la plus vieille des Soeurs qui avait bien voulu rester avec elles, va en chercher dans la réserve.

La vieille femme sortit. Alcara avait entendu dire par la vieille dame que selon la légende, le guérisseur aux athelas était le véritable héritier des rois du Gondor. Si Aragorn parvenait à les guérir de leurs maux maléfiques, il rentrerait véritablement à Minas Tirith comme le nouveau monarque.

Ce dernier demanda aussi à faire chauffer de l’eau. Lorsque Ioreth revint avec les feuilles et l’eau chaude, il prit une poignée d’athelas dans sa main et s’agenouilla à côté d’Eowyn. Alcara sentit qu’elle devait le laisser faire : il écrasa alors les feuilles au creux de sa main, et les jeta dans l’eau chaude. Alors, une odeur très agréable, de prés en fleurs, envahit la salle et parvint aux visages d’Eowyn et de Merry, qui ne se réveillèrent pas, mais eurent une respiration plus régulière. Leur peau n’était plus glaciale, et leurs joues reprirent un peu de couleur.

L’assemblée autour des blessés n’en revint pas : c’était donc vrai, Aragorn était bien l’héritier des rois du Gondor, et possédait les pouvoirs de ses ancêtres. Les gardes gondoriens inclinèrent la tête devant lui alors qu’il se relevait.

- Le mal le plus profond est terminé, dit-il à Alcara, je vous laisse leur apporter les autres soins nécessaires. Venez Gandalf, il nous reste encore beaucoup à faire. Et d’abord à honorer le défunt Théoden comme il se doit.

- Éomer est auprès de lui, dans la salle du trône, dit Gandalf avec une voix éteinte. Nous lui rendrons les honneurs au coucher du soleil.

Et ils repartirent tous deux : Alcara prit alors les choses en main, et termina de s’occuper d’eux pour préparer leur guérison, tout en gardant un œil bienveillant sur le pauvre Pippin, qui avait lui aussi vécu une bataille bien éprouvante. À partir de maintenant, la nouvelle se répandrait dans tout Minas Tirith : l’héritier d’Isildur était revenu, car il avait pu les guérir du Mal du Mordor.

Après un certain temps, Éomer vint prendre des nouvelles de sa sœur, après avoir organisé l’hommage à son oncle mort au combat, le roi Théoden. Il entra avec quelques soldats : n’ayant pas pu prendre le temps de se reposer, il était encore en tenue de combat, son armure tachée et cassée en certains endroits, mais sans son heaume, laissé sûrement à un écuyer.

Le voir entrer soudainement, en ouvrant les deux portes de la Maison de Guérison, en demandant fort et clair à voir sa sœur, impressionna toutes les guérisseuses. Il l’aperçut rapidement parmi les blessés et s’approcha d’elle pour s’asseoir à son chevet.

Alcara, qui était en train de plier le reste du bandage qu’elle avait fini de lui mettre autour de son bras cassé, resta immobile de l’autre côté du lit. Dans l’obscurité du soir qui tombait, il ne semblait pas l’avoir reconnue à la lueur des bougies, et restait focalisé sur sa sœur, dont il avait pris la main, encore noire et glaciale quelques heures plus tôt.

- Eowyn, c’est moi, Éomer, lui dit-il. Comment vas-tu? Es-tu guérie?

Eowyn ouvrit un peu les yeux et se tourna vers lui, en esquissant un sourire :

- Éomer, répondit-elle, je suis heureuse de t’entendre. Es-tu vivant? Est-ce un rêve? N’étais-tu pas à la bataille? J’ai cru t’avoir perdu…

- Je suis là, lui dit-il en souriant et en essayant de retenir ses larmes. Je suis près de toi, tout ira bien.

Et sans pouvoir se retenir davantage, il fondit en sanglots, à cause à la fois de la fatigue et du soulagement. Alcara était gênée : elle venait de faire la connaissance d’Eowyn, et assistait aux retrouvailles émouvantes du prince et de la princesse du Rohan, mais ne savait pas quoi faire. Elle leur laissa quelques instants de conversation, puis toucha l’épaule d’Éomer et lui dit très doucement :

- Il faut à présent qu’elle se repose. Elle sera sur pied dans peu de temps, soyez-en assuré.

Éomer se leva : avec son armure, il était bien très grand et impressionnant. Toujours dos à elle, il lui dit d’une voix ferme :

- Elle est têtue, et voudra se lever dans quelques heures. Il faut l’en empêcher. Elle a besoin de se reposer au moins une dizaine de jours.

Alcara, décidément étonnée de la ténacité des Rohirrim, lui répondit simplement :

- Entendu, nous ferons le nécessaire.

Et il repartit, sans l’avoir reconnue. Alcara soupira de soulagement, et se pencha vers Eowyn pour lui indiquer de fermer les yeux et d’essayer de dormir un peu.

Le soir venu, Alcara laissa les blessés aux soins des autres Soeurs, et accompagna Pippin aux obsèques du roi Théoden. Une foule compacte était réunie à la lumière des torches. Alcara comprit qu’il était mort écrasé par son cheval, victime du roi-sorcier d’Angmar avant qu’Eowyn ne parvienne à le vaincre. Alcara était impressionnée par la jeune princesse, et elle attendait avec impatience d’en savoir plus ; mais en cette soirée funèbre, elle était aussi triste de ne pas avoir connu le grand roi Théoden, ensorcelé par Saroumane et libéré par Gandalf, ayant mené deux batailles victorieuses au Gouffre de Helm et aux champs du Pelennor.

Une longue et lente procession passa devant le corps, recouvert d’un drap en or jusqu’aux épaules. Son épée était déposée sur lui, et de nombreux boucliers tout autour représentaient les régions du Rohan et les royaumes alliés. Alcara n’osa pas s’approcher plus avant : elle voyait au loin Éomer, le visage fermé, pleurer doucement mais tout en affichant dignité et fierté. Il avait l’étoffe d’un roi, et elle ne fut pas étonnée d’apprendre que Théoden lui avait légué, avant son dernier soupir, le royaume du Rohan. Même dans sa douleur, il avait l’apparence d’une statue des anciens temps, qu’on aurait recouverte de bronze ou d’or. Un peu intimidée, elle se tint à distance, pendant que Pippin s’approcha de lui pour lui présenter ses condoléances.

Elle repartit dans les couloirs du palais pour retourner à la Maison de Guérison et qui sait, essayer de dormir un peu, malgré les cauchemars qui continuaient à la tourmenter. La guerre, après tout, n’était pas terminée…

Mais au détour d’un couloir, elle aperçut une silhouette qui attendait devant la porte : un guerrier elfe, d’un blond presque blanc. Elle croisa son regard d’un bleu céleste.

Legolas.

 

Chapter 15: Dans Tes Bras

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Dans Tes Bras

Musique à écouter sur ce chapitre :

Elle s’approcha avec hésitation, son cœur battant la chamade : il avait relevé la tête en l’apercevant à son tour. S’observant l’un l’autre comme lors de leur première rencontre, ni l’un ni l’autre ne sut quoi dire, ou faire. Des mois étaient passés, mais tant de choses avaient eu lieu entre-temps…

Il finit par s’approcher d’elle, et lui dit simplement, de sa voix douce et aérienne : “Bonsoir, Alcara.”

Elle sentit une larme commencer à naître au coin de son œil.

- Legolas, dit-elle dans un souffle, en voulant à tout prix éviter que le sanglot n’étouffe sa voix. Tu es là…

- Je suis là, lui répondit-il toujours aussi simplement de sa voix douce.

Comme autrefois, comme dans un rêve - ou une autre vie? - Loin à Fondcombe, il lui caressa la joue.

- Tu n’as pas changé, et malgré ton habit, je t’aurais reconnue entre mille.

La larme coula lentement le long de la joue de Alcara, que Legolas essuya avec un regard de tendresse. Il fronça ensuite les sourcils :

- Ne pleure pas, tout ira bien.

- Cette guerre est si terrible, répondit Alcara en continuant de pleurer. Et tu m’as tant manqué…

- C’est vrai, et beaucoup de choses se sont passées dans notre Communauté…et ce n’est pas terminé. Frodon n’est pas encore arrivé à destination, et j’ai vu dans le ciel des mouettes qui remontaient les fleuves loin des mers. De grandes agitations nous attendent encore.

Après un silence, il ajouta :

- Je suis heureux de te revoir. Tu m’as manqué aussi.

Alcara avait l’impression de voir une apparition céleste, qui lui ôta toute fatigue et toute inquiétude. Malgré la gravité de la situation, Legolas paraissait très calme, comme s’il faisait confiance au destin. Elle essuya ses larmes, et lui sourit.

- Tu dois être très lasse, lui dit-il en lui prenant la main. On m’a dit que tu avais fait des miracles, en prenant soin de tous les blessés. Mais personne n’a pris soin de toi. Viens, allons nous reposer.

Alcara se demandait comment il pouvait rester si empathique alors que lui-même devait être exténué de tout son périple et des batailles où il avait remporté toutes ces victoires. Mais en effet, elle se sentit épuisée, et le suivit sans rien dire.

Sans qu’elle sache comment il l’avait deviné, il se dirigea vers la porte de sa cellule. Elle l’ouvrit et le fit entrer. C’était une salle très simple, aux murs de pierre, avec un tapis au sol et un petit lit rudimentaire, ainsi qu’une table de bois contre le mur d’en face. Alcara y avait peu à peu rangé ses remèdes et son laboratoire rudimentaire.

- Je suis désolée, s’excusa-t-elle, c’est un peu spartiate, mais avec tout ce que nous avons eu à faire…

- C’est parfait, la rassura Legolas en lui prenant les deux mains. Je préfère cela que te proposer ma tente sur le camp militaire, dans le champ du Pelennor.

Alcara sourit : il était toujours aussi bienveillant. Elle sentit tout de même dans son regard que la guerre l’avait éprouvé, mais il semblait trouver un bonheur serein à la revoir. Elle enleva sa coiffe qui ne laissait apparaître que son visage, et dé-tressa ses cheveux. Legolas l’observa et ne dit rien, comme si ce spectacle tout en simplicité le détendait lui aussi.

- Je ne te demanderai pas tout ce qui est arrivé depuis ton départ de Fondcombe, dit-elle en démêlant distraitement ses cheveux avec ses doigts, ni tout ce que tu as vu et ressenti. Il sera temps, après la guerre, d’en parler tous les deux. Et de parler…de nous deux.

Legolas baissa un instant la tête, comme s’il avait compris le sous-entendu. La guerre allait changer quelque chose entre eux, forcément.

- Mais n’en parlons pas pour le moment, dit-il en relevant ses yeux bleus vers elle. Passons ce moment ensemble comme cette dernière nuit à Fondcombe, avant mon départ. Profitons de notre présence à l’un et à l’autre.

- Oui, je suis d’accord.

Elle s’approcha de lui et lui prit les mains, et tout doucement, posa ses lèvres sur les siennes. Allaient-ils avoir une nuit d’adieu? Ni l’un ni l’autre ne le savaient encore. Il fallait profiter de cet instant, et c’est tout.

Leurs gestes étaient naturels, et simples. En s’embrassant, ils se serrèrent dans les bras le plus fort possible, y trouvant le réconfort qui leur avait tant manqué. Leurs lèvres ne se séparèrent à aucun moment, et leur souffle se fit de plus en plus court à mesure qu’ils se caressaient les cheveux, le visage, le dos. Alcara retrouva l’odeur familière de Legolas, qui lui rappelait leurs longues promenades en forêt, avec leurs chevaux, sur les terres elfiques anciennes. Legolas ne cessa de passer ses mains dans ses cheveux, et de rapprocher sa tête de la sienne, son corps du sien. Alcara ôta rapidement sa longue tunique et son jupon, et aida Legolas à enlever sa tenue de combat. L’elfe remarqua la maigreur de la jeune femme, qui n’avait pas économisé son énergie au service des autres. Il caressa ses côtes, et ses seins, et Alcara, comme prise dans l’urgence, ne cessait de parcourir de ses doigts son torse musclé, à peine égratigné par les combats, telle la statue d’un athlète antique.

Legolas l’entraîna vers le petit lit, où il s’allongea sur elle et continua de lui caresser le visage et le corps avec ses mains et ses lèvres, comme pour prendre à nouveau la mesure de son corps et de son désir pour elle. Ils se retrouvèrent comme on se retrouve chez soi, dans un espace familier, connu, du passé, où prendre du répit. Legolas entra en elle tout aussi doucement, naturellement, comme un prolongement de leurs caresses, et ils trouvèrent ensemble un rythme commun qui faisait monter leur désir. Leurs respirations s’accélérèrent peu à peu, ils oublièrent où ils se trouvaient, et les périls qui les attendaient encore, concentrés sur cet instant et sur la communion de leurs soupirs et de leur appétit l’un de l’autre. Leurs corps ne pouvaient être plus proches, plus soudés l’un à l’autre, en synchronisation parfaite, jusqu’à atteindre le sommet de leur plaisir commun, qu’ils exprimèrent par une même exclamation étouffée.

Le lendemain, avant l’aube, Legolas et Alcara étaient étendus ensemble dans le petit lit de la cellule, Legolas étendu sur elle, la tête reposée sur son épaule. Le soleil n’était pas encore levé, mais Legolas lui avait dit qu’il devait se rendre auprès de Gandalf, qui les avait demandés pour leur parler d’une chose importante. Vraisemblablement de la suite à donner pour aider Frodon à aller au bout de sa quête…

Alcara caressait ses cheveux d’un blond presque blanc et admirait son visage, son corps si parfaits. Comment faisait-elle pour le laisser partir, alors que quelques mois auparavant, leur séparation avait été un véritable déchirement? Elle avait l’impression d’avoir vieilli d’un seul coup. Ce n’était certes plus la passion d’autrefois, mais cela valait mieux. S’il devait arriver quelque chose à Legolas, la douleur en serait-elle moins forte?

Et effectivement, à l’aube, il remit son habit de combat et dut la quitter, en lui laissant un baiser sur le front, comme lors de son départ de Fondcombe avec la Communauté.

Alcara se sentit étrangement sereine, comme si Legolas était parvenu à lui insuffler son espoir. Et pourtant, le pire l’attendait, car il serait décidé plus tard dans la matinée de se rendre devant la Porte Noire pour faire diversion à l'œil de Sauron…

Tant de mauvaises nouvelles les entouraient chaque jour, tant de morts et de blessés, qu’une forme de recul était devenu essentiel pour ne pas devenir fou. Alcara décida donc de se concentrer sur des menues tâches de la journée, pour échapper à la pensée de Legolas, mais aussi de Gandalf, Aragorn, Gimli, Pippin et Merry, et leurs alliés, aux prises avec les plus féroces des soldats du Mordor.

Elle se rendit ainsi au chevet de Faramir, qui dormait paisiblement et dont la fièvre retombait peu à peu. Elle ordonna aux Soeurs, parmi lesquelles se trouvaient Ioreth et Elenie, la plus âgée et la plus jeune : “Déplacez Faramir et Eowyn dans des chambres isolées, plus grandes et plus confortables. Ils sont en bonne voie de guérison et nous ferons tout pour les remettre sur pied le mieux possible. Ils ont été particulièrement vaillants lors des combats, et je pressens que leur rôle à venir sera des plus importants.”

En disant cela, elle voulait laisser entendre qu’ils participeraient directement à la reconstruction du Gondor et du Rohan, et qu’il était toujours possible de gagner cette guerre, même si les chances restaient minces. Cela participa à galvaniser les Soeurs, qui continuèrent leurs multiples tâches avec un cœur regonflé d’espoir.

Alors que Alcara allait vérifier l’état de Faramir dans sa nouvelle chambre, la vieille Ioreth s’approcha d’elle pour lui parler :

- Alcara, j’ai quelque chose à te dire…

La jeune femme tourna ses yeux vers elle :

- Bien sûr, Ioreth.

Après une hésitation, la vieille Soeur continua :

- J’ai vu bien des générations de Gondoriens dans ma longue vie, aux qualités et aux défauts bien différents. Mais en ces quelques jours, j’ai vu émerger d’un seul coup la nouvelle génération de ceux et celles qui vont faire grandir un nouvel âge des Hommes. Et je t’ai observée, j’ai vu ta ténacité et ta force, mais aussi ta patience et ta douceur. Faramir et Eowyn auront un grand destin, si à la fin de toutes choses…si notre fin à tous n’est pas pour aujourd’hui. Mais toi aussi, tu accompliras ton destin dans ce nouvel âge.

Alcara ne savait pas quoi dire, elle sentait des larmes monter à ses yeux et ne pensait qu’à les retenir.

- Je l’ai dit à Gandalf ! ajouta Ioreth en tendant le doigt vers le ciel, et tenant de son autre main le bras de Alcara. Il est d’accord avec moi et il l’a senti lui aussi, et il m’a écoutée car moi seule connaissais encore le vieux proverbe, selon lequel le roi guérisseur de l’athelas serait le véritable héritier d’Isildur. Prends ta place dans ce nouveau monde, quand le temps sera venu, et ne reste pas en retrait : car le nouvel âge aura besoin de toi.

Sur ce, elle s’éloigna pour aller au chevet des blessés. Alcara sentit une larme tomber le long de sa joue. Elle désirait participer plus encore, et ne pas rester seulement dans une maison de Guérison. Elle rongeait son frein en entendant Legolas et tous les autres partir à la bataille, sans pouvoir y participer, alors qu’elle avait elle aussi appris à se battre. Mais la promesse faite à Elrond et à Gandalf la maintenait encore dans cette position. Pourquoi Gandalf jouait-il double jeu, en la faisant participer seulement à moitié, alors qu’il semblait dire à d’autres qu’elle aurait une place importante à l’avenir ?

Elle entendit alors Faramir bouger dans son lit, et s’approcha de lui en essuyant ses larmes. Il ouvrit les yeux petit à petit, prenant conscience de ce qui l’entourait, et la regarda.

- Suis-je au paradis des Hommes ? murmura-t-il, car vous êtes une bien belle prêtresse du Gondor pour m’accompagner vers la Mort.

- Vous n’êtes ni mort, ni en train de mourir, Faramir, fils de Denethor, lui répondit Alcara en souriant. Vous avez combattu vaillamment, et aujourd’hui vous devez reprendre des forces. Comment vous sentez-vous ?

- Comme quelqu’un qui revient des Enfers, répondit-il d’un air tourmenté, en regardant autour de lui et en ressentant les douleurs de ses blessures. J’ai rêvé qu’Aragorn, héritier d’Isildur, était venu me sauver, et que j’avais échappé à des flammes meurtrières…

- En effet, confirma Alcara, Aragorn est de retour : il a permis de sauver bien des héros des sortilèges du Mordor avec l’Herbe des rois. Le nouveau roi du Gondor est revenu. Quant aux flammes…ajouta-t-elle avec hésitation, je ne sais pas si je suis la meilleure personne pour vous l’annoncer, mais…elles étaient bien réelles.

Elle dut alors lui expliquer que son propre père, le croyant mort, avait tenté de le sacrifier avec lui sur un autel païen, et que Gandalf et Pippin l’en avaient sauvé. Mais que malheureusement, son père, lui, n’en avait pas réchappé.

Faramir ne répondit pas, il semblait penser encore à son père, et à la mélancolie funeste qui devait tous les entraîner vers la mort. Mais Alcara, pour ne pas le laisser se perdre dans ses pensées, enchaîna avec le récit de la bataille des champs du Pelennor, en la résumant à partir de ce qu’elle avait vu et de ce qu’elle en avait entendu depuis la veille.

- Qui est cette jeune Eowyn qui a combattu avec tant de bravoure ? lui demanda Faramir.

- Voulez-vous la voir, et lui demander cela vous-même? proposa Alcara en souriant.

Faramir hocha la tête, et se prépara à se lever, aidé par Alcara qui le soutint jusqu’à l’entrée du jardin de la Maison de Guérison. Là, il vit sur la promenade une jeune femme convalescente, avec un bras en écharpe, marcher à côté d’une Soeur : elle semblait protester de ne pas pouvoir se déplacer seule et sortir de la Maison de Guérison, mais la Soeur lui expliqua les consignes de son frère Éomer. Elle se calma alors et s’appuya contre le bord du mur qui longeait le jardin, regardant le paysage au loin. Elle avait un air très triste, comme si elle avait dû abandonner un amour longtemps espéré, et prenait la mesure du deuil de son oncle bien-aimé.

Alcara observa Faramir du coin de l'œil : il semblait avoir été foudroyé. Il ne bougeait plus, et fixait Eowyn comme s’il s’agissait de la plus belle chose qu’il eût vue de sa vie. Alcara lui proposa de l’aider à marcher jusqu’à elle.

En entendant leurs pas, Eowyn se retourna : derrière elle, le soleil se levait dans un matin calme et apaisé après la bataille, malgré quelques fumées qui s’élevaient encore. Nimbée de cette lumière, on aurait cru à une déesse des anciens temps, qui symboliserait à la fois la guerre et l’amour. Elle-même, en voyant Faramir, affaibli mais grand et valeureux, qui dégageait lui aussi une grande noblesse, elle se troubla à son tour.

Alcara fit simplement les présentations l’un à l’autre, et proposa à Faramir de prendre un peu l’air avant de retourner se reposer à l’intérieur. Et sur ces entrefaites, elle les laissa ensemble et repartit très discrètement, avec un sourire : elle venait d’assister à un véritable coup de foudre.

Avant de revenir à l’intérieur de la Maison de Guérison, elle tourna un dernier regard vers eux : ils s’étaient tous les deux appuyés sur le mur, en ne cessant de se regarder.

Elle fut à la fois heureuse et mélancolique, à la vue de cette idylle qui allait naître : elle repensa à sa rencontre avec Legolas, quand ils se dévoraient des yeux, et à cet été magique où leur amour était encore si insouciant. A présent, ils s’étaient quittés définitivement, elle le savait. La guerre, mais aussi tout le reste, les avait séparés…

 

Chapter 16: Victoire

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Victoire

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Au cours des jours suivants, il fut difficile de se concentrer, comme pendant la bataille du Pelennor. Alcara regardait sans cesse par la loggia les lueurs rouges du Mordor, et au loin le phare terrifiant de l'œil de Sauron, qui ne regardait plus vers eux, mais vers la Porte Noire. Lors de son unique nuit avec Legolas, et les nuits suivantes, elle ne fit plus de cauchemars, mais ils avaient repris de plus belle la nuit précédente. La seule chose qu’elle pouvait encore faire, était de prier pour eux tous et de trouver du réconfort en regardant Faramir et Eowyn se rapprocher peu à peu, même si eux aussi craignaient pour leur avenir.

Pourtant, la victoire arriva enfin : l’effondrement de l’oeil de Sauron, l’explosion de la Montagne du Destin, et le sauvetage des héros Frodon et Sam, qui s’étaient sacrifiés pour tous mais qu’on avait pu retrouver grâce aux Grands Aigles, guidés par Gandalf.

Les Hobbits arrivèrent à Minas Tirith avant toutes les troupes, et le spectacle des Aigles immenses atterrissant sur l’esplanade du palais fut une vision enchanteresse et irréelle, que Alcara n’oublierait jamais. Quand Gandalf descendit du dos de Gwaihir, le plus grand des Aigles, il prit Alcara dans ses bras et courut vers Frodon et Sam pour aider à les porter à la Maison de Guérison. Mais alors que Alcara allait le suivre, Gwaihir émit une sorte de piaillement mélodieux dans sa direction, et elle se retourna vers lui. Il la fixait et avançait une de ses serres vers elle, comme pour lui dire de s’approcher. Mais elle hésita : il ne voulait tout de même pas qu’elle s’envole avec eux ?

Finalement, l’Aigle déploya à nouveau ses ailes, et s’envola, laissant Alcara un instant dans la perplexité, avant de se dépêcher d’aller secourir les deux Hobbits.

Ils reprirent peu à peu des forces : Alcara était parvenue à leur faire boire énormément d’eau, car ils étaient complètement déshydratés, et son baume cicatrisant permit de soigner leurs nombreuses brûlures et égratignures. Dans un état de semi-conscience pendant plusieurs jours, ils reprirent peu à peu leurs esprits et dormirent très profondément, quelquefois à l’aide du sortilège appris par Gandalf, pour faire cesser leurs cauchemars.

Pendant ces quelques jours, elle vit revenir à Minas Tirith l’ensemble de la Communauté victorieuse, à son grand soulagement. Legolas, comme à son habitude, ne s’approcha d’elle que le soir, sans témoins et dans sa cellule, principalement pour discuter avec elle et lui raconter l’ensemble de leurs aventures. Comme par un accord commun, ils ne passèrent plus de nuit ensemble.

Quand Frodon put être enfin sur pied et revoir tous ses amis, une ère de réjouissances envahit tout le Gondor. On prépara de grandes fêtes, en particulier le couronnement d’Aragorn. Les préparatifs apportèrent de la joie dans Minas Tirith, et les civils revinrent peu à peu.

Alcara délaissa bien volontiers sa tenue de Soeur au retour de la Supérieure. Les blessés quittèrent peu à peu la Maison de Guérison, Eowyn et Faramir les premiers, et la paix commença. A regret, elle dit au revoir à Ioreth et Elenie, mais elles se promirent de se retrouver.

La veille du couronnement, alors qu’elle se demandait si elle pourrait rester dans le palais ou tout simplement à Minas Tirith, elle croisa Gandalf dans les jardins du palais, assis sur un banc en pierre, fumant sa pipe avec un air rêveur. Elle s’assit à côté de lui et il lui sourit. Ils avaient enfin plus de temps pour se parler.

- Merci pour tout, chère Alcara, lui dit Gandalf. Vous avez rempli votre promesse de guérir sans combattre, avec plus encore de réussite que je ne l’aurais imaginé.

- Merci aussi à vous Gandalf, répondit-elle. Je ne pourrai pas énumérer tout ce que vous avez fait pour la Terre du Milieu, nous n’aurions pas assez de toute la nuit.

Il rit et tira de nouveau sur sa longue pipe en corne.

- Gandalf, ajouta-t-elle, comment saviez-vous que je pourrai appliquer le sort d’endormissement ?

Il regardait toujours au loin, en silence, et finit par lui répondre :

- Depuis que le roi Elrond m’a raconté pourquoi vous étiez partie avec précipitation de Fondcombe, j’ai compris plus de choses. J’ai aussi appris que…vous saviez faire apparaître des fleurs?

Elle baissa la tête, embarrassée, et Gandalf se tourna vers elle et l’observa. Il regarda à nouveau au loin, et continua :

- Tout cela, aucun Homme ni aucun elfe ne peut le faire, répondit-il. Mais un magicien le peut.

Elle releva la tête et le regarda avec un grand étonnement.

- Est-ce que vous voulez dire que…que ce sont les dieux qui m’ont envoyée sur terre?

Gandalf aurait pu rire de cette idée saugrenue, mais il resta sérieux, et lui répondit :

- Non, non. Vous êtes bien humaine, vous en avez tous les traits. Les magiciens ne sont pas envoyés comme nourrissons par les dieux, et cela fait quelques millénaires qu’ils n’en envoient plus. Je dois vous avouer que…je ne l’explique pas très clairement.

- Est-ce que mes parents étaient magiciens ? demanda-t-elle, empressée d’en savoir plus, de connaître la vérité sur son passé. Mais elle fut rapidement déçue :

- Cela je n’en sais rien, malheureusement. Personne n’en sait rien. Et la guerre ne m’a pas permis de creuser la question. Mais à présent, j’aimerais faire quelques recherches. Vous avez le droit de savoir, même si peut-être, nous ne découvrirons jamais la vérité. Il faut vous y préparer, à tout hasard.

Elle hocha la tête, désappointée mais comprenant ses raisons. La guerre l’avait faite mûrir beaucoup plus vite qu’elle ne l’aurait cru.

- Et ces rêves, ces cauchemars que j’ai faits? demanda-t-elle encore. Pourquoi ai-je eu des visions si réelles ?

- En avez-vous encore? demanda Gandalf.

- Eh bien…non, en réalité, plus depuis quelques jours.

- Depuis la chute de Sauron?

Elle réfléchit un instant, et répondit :

- Oui, en effet, je ne m’en étais pas aperçue.

- Cela fait aussi partie des énigmes qui vous concernent, Petite Aube, affirma Gandalf. Mais vous avez vu des aspects de la guerre lointains et pourtant bien réels. Heureusement, vous devriez ne plus les subir dans les temps à venir.

Ils restèrent silencieux, écoutant les grillons dans le jardin bleui par la nuit de pleine lune.

- Savez-vous…pourquoi ces dons ne sont apparus que si récemment? lui demanda-t-elle encore. Ils auraient pu se manifester dans mon enfance, et pourtant…

- Je pense que vous connaissez déjà la réponse, lui expliqua Gandalf avec un sourire énigmatique.

Elle fronça les sourcils, mais elle avait finalement déjà compris : c’était en tombant amoureuse, pour la première fois de sa vie. Et le reste s’était déroulé comme en enchaînement de ses émotions les plus profondes, la tristesse, la peur, la douleur. Elle se demandait comment elle pourrait envisager la suite, mais la paix qui s’annonçait lui donnerait un peu de répit.

Soudain, derrière eux, près de la porte du jardin, elle entendit une rumeur dans les rues. Une délégation semblait arriver au palais.

En se levant et en descendant les marches devant la porte, elle n’en revint pas : elle avait sous ses yeux Elrond et Arwen, et quelques autres elfes qui étaient restés auprès d’eux, alors qu’elle avait cru qu’elle ne les reverrait jamais.

Ils l’aperçurent et la saluèrent immédiatement comme une hôte de marque, ce qui interloqua les curieux qui s’étaient regroupés autour d’eux dans la rue. Alcara leur rendit leur salut, et Arwen prit immédiatement les mains de la jeune femme :

“Alcara, je suis si heureuse de te retrouver. On dit que tu as beaucoup fait pour guérir les blessés de cette guerre. Je t’en suis très reconnaissante.”

Alcara lui sourit, mais fut soudain happée par une silhouette lumineuse, derrière Arwen : alors, ébahie, elle reconnut la reine Galadriel.

Cette dernière semblait flotter au-dessus du sol, et porter sur tout un oeil bienveillant et omniscient. Elle salua Gandalf avec affection, ils semblaient se connaître depuis longtemps. Quand elle regarda Alcara dans les yeux, la jeune femme crut l’entendre à voix haute, pourtant ses lèvres ne bougèrent pas :

“Je te salue, Alcara, jeune fille liée pour toujours à l’Aube naissante.”

Alcara voulut lui répondre qu’elle était honorée de la rencontrer, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Pourtant, la reine lui répondit, toujours dans ses pensées :

“Beaucoup de choses n’ont pas été dites, autrefois. Mais tu trouveras les réponses. Gandalf te guidera, puis tu trouveras ta route. Suis la lumière.”

Alcara ne sut comment interpréter une parole aussi énigmatique, mais elle était certaine que cela avait un lien avec ses origines et avec son avenir. Elle compterait donc sur Gandalf pour en savoir plus, même s’il venait de lui dire que de longues recherches devaient avoir lieu pour savoir la vérité.

Elle regarda Galadriel s’éloigner avec son époux, en parlant avec Gandalf, alors que les rares passants du soir les regardaient, obnubilés.

Elle sentit alors Arwen lui prendre la main, et lui annoncer : “Viens avec nous, nous préparons une surprise pour Aragorn, mais pour cela, nous devons rester discrets.”

Et elle l’emmena avec elle et son père vers le jardin, où ils rejoignirent Gandalf qui les salua avec beaucoup d’émotion et de chaleur, et le suivirent dans une dépendance du palais qu’il leur indiqua, loin des appartements d’Aragorn, pour qu’il ne se doute de rien. Immédiatement et sans lui demander son avis, Arwen ordonna à ses suivantes d’habiller Alcara comme une des leurs, pour le couronnement du lendemain.

Après avoir passé la nuit à se parler, trop heureuses de se raconter leurs aventures et de préparer le lendemain, la jeune femme et la princesse elfe se dirigèrent au matin, avec Elrond, au milieu de la foule qui ferait allégeance à Aragorn, dans la grande cour du palais.

Alcara assista ainsi dans la délégation de Fondcombe au couronnement d’Aragorn, et à son émoi lorsqu’il reconnut Arwen parmi les elfes. Leurs retrouvailles fut le moment le plus émouvant qui fût donné à voir à Alcara : Arwen venait de sacrifier définitivement son immortalité par amour. Alors qu’elle les observait, elle aperçut Legolas derrière eux, qui croisa son regard. Alors, elle ne put s’empêcher d’éclater en sanglots, dans un mélange de joie pour ses amis, et de tristesse pour sa propre situation. Jamais Legolas ne ferait la même chose pour elle, leur amour n’était pas aussi fort. Elle avait beau le savoir depuis longtemps, depuis le début, depuis le pacte scellé avec Legolas, qui l’avait prévenue dès le début qu’il continuerait à sillonner les routes et à se battre, elle ressentit une profonde injustice.

Les heures de festin qui suivirent le couronnement furent étranges pour elle : au milieu de la joie de tous, des retrouvailles avec Frodon et Sam, de l’annonce du mariage d’Aragorn et d’Arwen, et de celui d’Eowyn et de Faramir, Alcara se sentit terriblement seule. Elle eut du mal à ressentir la même joie que tous les autres, et à profiter de la présence de Gandalf et de tous ses amis enfin retrouvés. Elle trouva une consolation à rire avec les Hobbits, qui avaient beaucoup d’humour et une joie de vivre impressionnante, et qui connaissaient un grand nombre de chansons entraînantes, hormis Frodon qui restait lui aussi en retrait. Elle fit aussi plus ample connaissance avec Gimli, qui était devenu un ami très proche de Legolas, avec qui il partageait le goût du combat et de l’aventure, et qui ne cessait de parler de la beauté de la jeune femme. Mais Alcara, en effet plus belle que jamais, parée comme une membre de la cour d’Arwen avec une longue robe bleue en tissu moiré et des bijoux d’argent dans ses longs cheveux lisses, n’arrivait pas à adresser la parole à Legolas, comme si elle avait peur de ce qu’elle pourrait dire, ou pire, lui reprocher. Sa tristesse cachait une forme de colère et d’incompréhension à ne pas pouvoir le suivre dans ses aventures ou à ne pas pouvoir le convaincre de rester avec elle, voire de partager leur vie en se mariant eux aussi.

Ce qu’elle ne comprenait pas encore, mais que Legolas avait déjà vu, était qu’elle faisait à présent pleinement partie de l’Âge des Hommes, contrairement à lui. Elle avait tissé, pendant la guerre, des liens indéfectibles avec les futurs souverains du Monde libre de la Terre du Milieu. Une des premières étapes de cette nouvelle ère fut lorsque Eowyn, la voyant seule au rebord du jardin du palais regarder la fête d’un air mélancolique, en essuyant encore quelques larmes, vint lui adresser la parole.

- Vous me paraissez bien seule et triste au milieu d’une telle célébration, ma chère Alcara, lui dit-elle doucement. Qu’est-ce qui vous tourmente ainsi ?

Alcara la regarda en souriant timidement : Eowyn était magnifique, et arborait les couleurs du Rohan, une robe en velours vert bordée de frises d’or ; un diadème, en or également, ceignait son front princier.

- Je suis désolée, dame Eowyn, lui répondit Alcara. C’est un sentiment ambivalent, difficile à expliquer. Je suis à la fois heureuse des temps à venir, et triste des souvenirs du passé.

- Je comprends, lui avoua-t-elle, je le ressens moi aussi. Beaucoup d’entre nous repensons à autrefois, car nous y avons grandi et nous y avions nos repères. A présent, tout est à réinventer.

Après un court silence, Eowyn ajouta :

- J’ai quelque chose à vous proposer, Alcara.

La jeune femme la regarda d’un air interrogateur.

- Je voudrais que vous m’accompagniez avec Faramir. Aragorn va le nommer bientôt Prince d’Ithilien, où il poursuivra les derniers bastions résistants d’Orques et d’Hommes du Sud qui avaient prêté main forte à Sauron. Nous allons d’abord nous marier chez moi, à Edoras, capitale du Rohan et maison de mes ancêtres, après y avoir mis en terre mon oncle Théoden. Puis, nous nous dirigerons vers l’Ithilien. J’ai pu profiter de vos multiples talents de guérisseuse, mais j’ai aussi entendu parler de vos talents de guerrière et de cavalière, et je serais curieuse de les voir à l'œuvre.

Alcara fit un grand sourire à Eowyn :

- Je suis très touchée de votre proposition, dame Eowyn, et j’accepte avec plaisir de vous suivre. J’admire beaucoup vos exploits au combat et la noblesse de votre caractère. Je vous accompagnerai toujours.

- J’en suis très heureuse, répondit Eowyn en lui prenant les mains, dans un geste tendre de reconnaissance. Et je n’oublie pas que c’est grâce à vous que j’ai rencontré mon futur époux! ajouta-t-elle en riant. Je vous avoue qu’il n’a pas été facile de convaincre Arwen de vous laisser partir : elle voulait vous garder auprès d’elle, dans sa Cour. Mais la fille d’Elrond et le roi-guérisseur du Gondor auront moins besoin que nous d’une grande guérisseuse. Par ailleurs, ajouta-t-elle avec douceur, je sens que nous deviendrons de très bonnes amies.

Alcara ne savait comment lui exprimer sa joie : elle voyait dans cette opportunité une façon de tourner la page de la guerre de Minas Tirith, et d’explorer de nouveaux horizons, pour oublier sa solitude.

Alors qu’elle allait lui confirmer qu’elles s’entendraient à merveille, elle aperçut du coin de l'œil que quelqu’un s’approchait d’elles, et en se retournant, elle reconnut Éomer, roi du Rohan.

Il avait une tenue d’apparat aux armes du Rohan lui aussi : un habit damassé en or et en rouge, et une grande cape vert et or, qui lui donnaient de véritables allures de roi. Alcara lui fit une révérence, et Éomer s’inclina également face à elle, en la dévisageant avec ses yeux verts et brillants, sans qu’elle ne puisse deviner pourquoi il la fixait de cette façon.

Eowyn fit les présentations, et Alcara, par souci d’honnêteté, ajouta :

- Nous nous sommes déjà croisés, roi Éomer. J’étais la messagère que vous aviez arrêtée dans les plaines du Rohan, avant de lancer votre eored à l’assaut des Orques de Saroumane, en bordure de la forêt de Fangorn.

Les yeux d’Éomer s’agrandirent, mais il semblait l’avoir déjà deviné.

- Je savais que c’était vous! s’exclama-t-il. Vous avez donc un nom, finalement, ajouta-t-il en souriant. Vous avez réussi à échapper à notre surveillance, et vous nous avez habilement faussé compagnie!

Alcara rougit légèrement, embarrassée, alors qu’Eowyn souriait en voyant qu’ils se connaissaient déjà. Éomer lui raconta brièvement cet épisode, quand il était encore exilé loin d’Edoras.

- Cette fois-ci, elle ne partira pas, déclara Eowyn, car elle va devenir ma guérisseuse et membre de ma Cour ! Elle nous suit à Edoras pour mon mariage, puis en Ithilien.

- Méfie-toi, ma chère sœur, ajouta Éomer avec un sourire en coin, ne la laisse pas chevaucher derrière toi, car elle a tendance à jouer à la fille de l’air !

- Contrairement à ce que vous pourriez croire, rétorqua Alcara, je tiens mes promesses. J’ai par exemple promis de soigner la blessure de votre cheval, et je l’ai fait. C’est vous qui n’avez pas tenu la vôtre de me laisser partir !

Éomer la regarda en haussant les sourcils : il ne devait pas avoir l’habitude qu’on lui réponde. Cela fit rire Eowyn.

- D’ailleurs, enchaîna Éomer, quel était donc ce message que vous deviez porter si urgemment au Gondor ?

- C’était évidemment une pure invention, répondit Alcara avec légèreté, je voulais simplement rester tranquille. Je vous prie de m’excuser, je dois aller saluer le roi Aragorn et sa future épouse, je suis un peu fatiguée. Je suis très heureuse de venir avec vous, dame Eowyn, nous allons nous recroiser lors des célébrations des prochains jours. Roi Éomer, je vous salue.

Et elle partit sur ces entrefaites en souriant, alors qu’Éomer et Eowyn restaient bouche bée. Elle crut entendre le roi du Rohan dire quelque chose comme : “sacré toupet”. 

 

Chapter 17: Un Nouveau Champion

Notes:

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Chapter Text

Un Nouveau Champion

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J’ai adoré écrire ce chapitre, j’espère que vous aurez plaisir à le lire!!

Alcara profita avec plus de gaieté des jours suivants : en effet, elle ressentait peu à peu son désir de se rapprocher du monde des Hommes, et de délaisser celui des elfes ou des nains. Elle avait encore du mal à croiser Legolas, ce qui arrivait fréquemment puisqu’ils assistaient aux mêmes célébrations. Elle choisit donc de partir plus fréquemment chevaucher en-dehors de la citadelle, avec des Gondoriens et des Rohirrim. Retrouver les chevauchées lui faisait un bien fou, car elle pouvait enfin sortir des murs de la Maison de Guérison et retrouver sa liberté.

Eowyn, qui ne pouvait pas chevaucher à cause de son bras cassé, la regardait depuis les barrières et conversait avec elle en riant, lui conseillant telle ou telle position pour améliorer ses cavalcades. Alcara vit aussi le roi Éomer chevaucher plus loin avec les Rohirrim et Aragorn, encore préoccupés de la restauration des champs de bataille et de son prochain retour dans le Rohan, et elle s’aperçut qu’il regardait souvent vers elle lui aussi à travers la plaine, sûrement comme pour veiller encore sur sa petite soeur.

Malheureusement, elle ne pouvait pas échapper à l'Étiquette : chaque membre des royaumes préparait simultanément les célébrations du mariage prochain d’Aragorn avec Arwen, mais aussi les affaires à venir pour reconstruire toutes les parties de la Terre du Milieu touchées par la guerre. Gandalf était inaccessible, courant de délégation en délégation, pour préparer le nouvel âge des Hommes, et Alcara, qui aurait voulu en savoir plus de sa part après ses déclarations énigmatiques, n’arrivait pas à le voir seul à seule. Elle-même était à la fois dame d’honneur d’Arwen, et future dame d’honneur d’Eowyn, et devait assister à de multiples et interminables réunions, essayages et répétitions protocolaires. Elle rencontra à cette occasion les dames de compagnie d’Eowyn, des demoiselles de haute noblesse originaires du Gondor, qui apprendraient à Eowyn l’attitude à suivre quand elle serait princesse de l’Ithilien. Au premier abord, elle aurait peu de points communs avec elles : elles étaient arrivées avec le retour des civils dans la cité et n’avaient pas vécu la guerre, et goûtaient peu l’inclination d’Eowyn pour le combat ou les chevaux, lui faisant faire des activités plus conformes à son rang. Alcara pourtant, se promit d’aider Eowyn à trouver tout de même un peu de liberté.

Simultanément, elle retournait de temps à autre à la Maison de Guérison pour prendre des nouvelles des Soeurs, hormis la Supérieure qui, malgré son comportement respectueux avec elle, restait froide et distante, comme si elle avait peur de perdre sa place. Après avoir mené la Maison de Guérison, Alcara reçut de nombreuses récompenses et trésors, qu’elle redistribua à la fois aux Soeurs et à sa logeuse Thirindal, pour qu’elle n’ait plus jamais d’inquiétude.

La veille du grand tournoi organisé pour débuter les célébrations du mariage entre Aragorn et Arwen, elle assista avec Eowyn et ses nouvelles dames de compagnie à une scène pénible. Parmi les soutiens armés du Gondor, figuraient des guerriers appartenant à la noblesse de Dol Amroth, ils participaient donc aussi aux célébrations. Mais habitués au luxe dans leur cité épargnée par la guerre, ils traitaient avec mépris les autres peuples libres et avaient eu un comportement à la limite de l’inapproprié à plusieurs reprises.

Alors qu’Eowyn, Alcara et les autres dames se reposaient à l’ombre des arbres des jardins, un de leurs groupes passa devant elles, en se vantant de leurs futures victoires au combat.

- Mesdemoiselles, préparez-vous à recevoir comme il se doit les gagnants du tournoi d’aujourd’hui! dit l’un d’eux, en faisant des gestes obscènes qui faisaient bien comprendre ce qu’il entendait par “recevoir comme il se doit”, et ses amis éclatèrent de rire.

Alcara, qui ne supportait plus leur comportement, ne put s’empêcher de se lever et de leur répondre :

- A qui croyez-vous parler? Vous vous adressez à Eowyn, qui a vaincu seule le roi-sorcier d’Angmar alors qu’aucun de vous ne l’aurait pu, et qui sera bientôt l’une de vos souveraines!

L’un des hommes s’approcha d’elle en la toisant de haut en bas, et lui dit à demi-mot :

- Et qui es-tu toi, ma beauté, pour défendre ainsi les paysans du Rohan? Tu étais bien cachée, car je ne t’avais pas encore aperçue.

- Je suis quelqu’un qui t’enverrait bien une leçon dans la figure, si j’avais une épée sous la main.

Les amis du chevalier rirent et sifflèrent derrière lui.

- Quel dommage, j’aurais bien aimé me battre à mains nues avec toi, répondit le cavalier en continuant de la toiser. Il s’éloigna alors en lui criant : “Prépare ton lit pour le vainqueur du tournoi, j’arrive!”

Et ils partirent en éclatant de rire. Alcara avait tant serré les poings pour s’empêcher de lui montrer de quel bois elle se chauffait, que ses ongles avaient fait une marque sur ses paumes. Les autres dames, quant à elles, semblèrent moins condamner l’attitude des hommes, habituelle pour des jeunes gens impétueux et conscients de leur supériorité nobiliaire, que sa réaction sanguine pour défendre Eowyn, car elle était sortie de la réserve et du calme que devaient montrer les dames en toutes circonstances.

Eowyn, derrière Alcara, lui mit la main sur l’épaule et lui dit :

- Laisse-les aller, Alcara, ils n’en valent pas la peine.

- Ah, quelles ordures ! s’exclama Alcara avec rage. Et nous, qui sommes réduites à devoir nous promener passivement, sans arme, face à ces rebuts du Gondor!

- Heureusement que tu n’en as pas, je ne veux pas d’incident chez Aragorn, répondit doucement mais fermement, Eowyn. J’aurais aimé avoir guéri de mon bras cassé pour leur donner une leçon moi aussi, ajouta-t-elle en soupirant, mais bientôt nous ne les verrons plus. Si tu le souhaites, Alcara, j’en toucherai un mot à Faramir et à Aragorn.

- Je te remercie, mais c’est peine perdue, répondit Alcara en lui souriant. J’ai une autre idée.

 

Jamais on ne vit de public aussi important et aussi prestigieux que pour le tournoi du mariage d’Aragorn et d’Arwen. La reine Galadriel, restée avec son époux et sa cour pour les festivités, était en bonne place dans les tribunes. Le temps était splendide, on approchait du solstice d’été où les noces seraient célébrées. Les cors retentissaient, les étendards blancs brillaient de mille feux, et les chevaux et leurs cavaliers étaient plus beaux que jamais.

Dans les gradins, Aragorn était assis à côté de sa fiancée, près du roi Elrond, de Gandalf et de Galadriel. Pour cette fois, il ne combattrait pas, étant l’hôte invitant les délégations. Les Hobbits étaient impressionnés par tant de lumière et de faste, et étaient impatients de voir Legolas et Gimli au combat. Ces derniers, parmi les premiers à défier des Hommes, remportèrent rapidement leurs défis, l’un par sa souplesse et sa rapidité, l’autre par son incroyable force et sa ténacité. Les rires, les clameurs ne s’arrêtaient pas. Quelques rares personnes, comme Elrond, Gandalf ou Arwen, ou encore Aragorn à qui sa promise avait fait des confidences, ayant eu connaissance de l’idylle entre Legolas et Alcara, remarquèrent que l’elfe des forêts, comme la plupart des chevaliers, offrit sa rose à la future mariée, et non à une autre dulcinée. Ils restèrent néanmoins discrets sur cet aspect, voulant laisser aux anciens amants le temps de cicatriser leurs cœurs.

D’autres champions, moins connus mais tout aussi valeureux, s’enchainèrent, y compris des maréchaux du Rohan et des nobles du Gondor. Parmi eux, celui de Dol Amroth qui avait insulté Alcara et Eowyn s’avança sur le terrain, le heaume retiré, saluant la foule comme s’il était le principal champion du tournoi. Ses amis, en armure sur les côtés pour les tours suivants, furent ceux qui l'acclamèrent le plus. Il retira sa rose de son armure, où se trouvait un poitrail bleu azur orné d’un cygne, et la remit avec obséquiosité à la princesse Arwen, qui le remercia d’un geste sobre. Eowyn, profitant de l’excuse de son bras en écharpe, ne l’applaudit pas, et jeta un oeil noir à Faramir pour lui intimer d’en faire autant. Ce dernier, se remettant lui aussi de ses blessures, était assis près d’elle et voyant son regard, n’essaya même pas d’encourager ce chevalier.

Son adversaire mettait du temps à arriver, et risquait de faire prendre du retard au tournoi : finalement, il arriva sur un cheval brun, son heaume, sa lance et son bouclier déjà en place. Il fut applaudi par la foule, même si les spectateurs se demandaient de qui il s’agissait, car aucun blason, ni aucun signe distinctif ne permettait de savoir de quelle maison il provenait. Il avait simplement une rose accrochée à son armure, comme tous les autres participants, mais ne l’offrit pas à Arwen. La tradition voulant que les chevaliers avaient le choix de la donner avant ou après le combat, personne ne s’en étonna, mais cela signifiait qu’il était prêt à faire un combat victorieux coûte que coûte, et cette détermination éveilla la curiosité des spectateurs.

Comme le tournoi devait continuer, les organisateurs ne perdirent pas plus de temps, et demandèrent au champion bleu de Dol Amroth de se mettre en position. Ce dernier, toisant son adversaire comme il toisait habituellement tous ceux qu’il méprisait, semblait lui adresser des menaces ou des insultes pour se préparer au combat, mais heureusement il ne parlait pas assez fort pour que cela arrive aux oreilles du roi Aragorn. Ce dernier éprouvait déjà de l’antipathie pour ce cavalier fanfaron qui avait offert sa rose à Arwen avec tant de flagornerie, et Gandalf à côté de lui était du même avis.

Au son de la trompette, les deux cavaliers se mirent en place, et foncèrent l’un vers l’autre. Le choc fut très violent, et les envoya immédiatement au sol. L’un et l’autre se relevèrent rapidement, même si le mystérieux chevalier sembla plus souple et adroit que l’autre. Le chevalier de Dol Amroth se releva en vociférant sous son casque, et sortit son épée avec hargne, encouragé par ses compagnons. L’autre la sortit aussi précisément qu’un poignard, et commença à tourner autour de son adversaire avec agilité. Au premier coup du chevalier de Dol Amroth, il para le coup et en tournant sur lui-même, envoya un premier coup à la jambe, un second au bras, et un troisième à la côte de son adversaire. Le public applaudit immédiatement face à une telle adresse, pendant que ses amis restèrent cois, encourageant plus férocement leur champion à mieux se défendre.

Ce dernier tenta plusieurs coups, de plus en plus acharnés et violents, faisant d’abord reculer son adversaire mystérieux qui parvint à le contourner et à l’attaquer par l’arrière, en envoyant une estocade derrière son genou. Le chevalier bleu de Dol Amroth, surpris par sa rapidité, n’eut pas le temps de voir arriver l’attaque, et fit tomber un genou à terre. Le public, en une clameur, lança des “hourrah” au chevalier inconnu, dont la dextérité était remarquable, faisant penser aux soldats elfiques. Aragorn et Faramir furent parmi les premiers à lancer des cris de joie, avec les sourires d’Eowyn et d’Arwen.

Mais le chevalier Gondorien ne voulait pas en rester là : il se releva, et asséna coup sur coup au chevalier, voulant user de toute sa force pour ne pas s’avouer vaincu. Ce dernier, plus léger que lui, semblait recevoir les attaques de plus en plus lourdes avec difficulté, mais son aisance lui permit d’en éviter un certain nombre.

L’un des coups, plus violent que les autres, enfonça l’épée du chevalier de Dol Amroth dans le bouclier de son adversaire. Il ne parvint pas à la retirer, créant l’hilarité du public. Alors, le mystérieux chevalier lança son bouclier au sol, entrainant dans sa chute le chevalier maladroit, décuplant ainsi les rires des spectateurs.

A genoux par terre, le chevalier bleu parvint enfin à la détacher en cassant définitivement le bouclier en deux, et lança son épée comme un poids contre la tête du cavalier, à la frayeur de tous les spectateurs.

Heureusement, ce dernier avait vu venir le coup et s’était penché à temps. Comme une danse, il se baissait, sautait et tournait sur lui-même face à chacune des attaques, et aucune ne l’attint.

Pris de fatigue, le chevalier de Dol Amroth ralentit peu à peu ses estocades, et le mystérieux adversaire en profita pour lui donner le coup de grâce : un coup en plein dans la poitrine, qui lui coupa le souffle, et, geste moins conventionnel en tournoi, un coup avec la poignée de son épée, en plein milieu de son visage, sur son heaume, ce qui fit résonner l’acier comme une cloche. Assommé, le chevalier bleu d’Amroth tomba d’un coup au sol, de tout son corps.

Alors Gandalf, Aragorn et tous les spectateurs se mirent en même temps debout, félicitant le chevalier d’un spectacle si réjouissant et si impressionnant : au milieu de la clameur, des spectateurs lancèrent “Nous voulons savoir ton nom!”, “Ton nom!”

Alors, le chevalier, qui marchait maintenant avec fatigue sur le terrain, enfonça son épée d’un coup dans le sable du sol, devant le chevalier assommé, et ôta son heaume. Ce fut une stupéfaction générale.

C’était une jeune femme, dont les longs cheveux bruns étaient simplement noués en une grande natte. D’une voix très forte et claire, elle dit à la tribune : “Je me nomme Alcara, dame d’honneur de la princesse Arwen et de la princesse Eowyn.”

Et en se tournant vers les amis du chevalier défait, qui la regardaient avec étonnement, elle ajouta : “Et que tous ceux qui offensent une femme retiennent bien ceci : notre vengeance est encore bien pire que notre colère!”

Sur ce, elle arracha la rose de son armure, et la jeta sur la tête du chevalier assommé, avant de partir hors du terrain.

La clameur du public en fut décuplée : Eowyn et Arwen s’étaient levées en même temps et n’avaient jamais acclamé un champion avec autant de ferveur, Aragorn, Gandalf, et les Hobbits rirent et l’ovationnèrent en même temps. Même Elrond et Galadriel rirent de bon cœur.

A côté du terrain, Alcara reprit les rênes de son cheval et se mit en selle. Legolas et Gimli, qui avaient suivi le combat depuis le côté, comme les autres concurrents, s’approchèrent d’elle.

- Alcara, quelle est cette offense qui a été faite par cet homme? demanda Legolas avec feu. Il faut que nous lui en fassions payer le prix!

- C’est inutile, répondit Alcara. Je m’en suis occupée moi-même.

Et sur ce, elle partit au galop, s’éloignant du tournoi.

De l’autre côté du terrain, Éomer, qui était en armure pour concourir à son tour et n’avait rien manqué du combat, regardait fixement la silhouette d’Alcara, qui partait au loin.

Toute la soirée, on ne cessa de parler de cet épisode du tournoi, et on attendait avec impatience l’arrivée d’Alcara. Peu de gens la connaissaient auparavant, et la rumeur se répandit rapidement qu’elle avait tenu la Maison de Guérison pendant la guerre. A présent, on l’associa à la fois aux talents de guérisseuse d’Arwen, et à la farouche détermination au combat d’Eowyn. Seuls les Gondoriens, à cheval sur les principes, en parlèrent du bout des lèvres.

Aragorn et Gandalf ressentaient une fierté particulière à ce que leur amie, dont ils connaissaient bien les mérites, reçoive enfin la lumière. Sa discrétion, qui venait de son caractère et de celui de Legolas, les avait tenus loin des regards, et il paraissait légitime qu’elle reçoive elle aussi la récompense de son comportement exemplaire. Quant au chevalier de Dol Amroth et ses amis, ils furent convoqués par les Sages du Gondor le soir même, et priés de se tenir en retrait des festivités dès à présent.

Alors, en haut des marches, on vit arriver en même temps Arwen, plus belle encore en ce soir de solstice, la princesse Eowyn, et à leur bras à toutes deux, la dame d’honneur Alcara.

Cette dernière, soulagée de se trouver entre ses deux amies, n’aurait pas supporté d’arriver seule face à tous les invités, qui la regardaient avec beaucoup de curiosité.

Arwen, surnommée “l’étoile du soir”, était toujours plus belle à la nuit tombée, et ce soir-là, toutes les dames de son cortège étaient habillées des mêmes couleurs, blanc et bleu azur, de la maison d’Elrond, y compris Eowyn. Mais Arwen avait ajouté une autre touche à la tenue d'Alcara, en lui faisant porter exceptionnellement un de ses bijoux, un magnifique diadème elfique en argent, avec des roses sculptées serties de rubis. Elle entendait ainsi rappeler son exploit au tournoi, et qu’elle méritait plus que toute autre dame, toutes les roses offertes par les champions du jour.

Alcara n’avait pas l’habitude d’être ainsi observée : heureusement, elle était entourée de ses nombreux amis, et la fête fut plus joyeuse que jamais. Pour la première fois depuis longtemps, elle rit de bon cœur, apprit même des pas de danse des Hobbits, et profita du moment présent.

Elle fut simplement étonnée d’une chose : elle ne croisa à aucun moment le roi Éomer.

Par contre, Legolas s’approcha d’elle en lui proposant de danser.

Cela faisait si longtemps que ce n’était pas arrivé, qu’Alcara y vit un signe de réconciliation, après toute la solitude qu’elle avait ressentie les jours précédents, et elle accepta.

- Te souviens-tu, Legolas, que nous avons dansé pour la première fois après ta victoire au tournoi de la princesse Arwen, à Fondcombe, au solstice d’été? lui dit Alcara.

- En effet, dit-il en souriant. Et je t’avais offert ma rose, en toute discrétion, devant ta porte.

- En toute discrétion, c’est un peu ta devise, le taquina Alcara.

- Et ce ne sera plus la tienne, lui répondit Legolas en souriant. A présent, tu es aussi connue que le roi !

Alcara soupira, ce qui fit rire Legolas.

- J’ai agi de façon impulsive, avoua-t-elle. J’étais très en colère. Il nous avait insultées avec Eowyn dans les jardins du palais. Je voulais lui donner une bonne leçon.

- C’est réussi, lui dit Legolas, mais j’aurais aimé que tu acceptes mon aide pour cela, nous sommes tous présents pour te soutenir.

- Je te remercie, Legolas, lui dit Alcara dans les yeux. Mais je sais aussi que ce soutien est ici et maintenant, et que bientôt, nos routes ne se croiseront plus. Je dois apprendre à me défendre seule.

Legolas ne répondit rien pendant un moment. Elle avait raison, bien sûr : même si Aragorn retardait le moment de leur séparation, la Communauté allait bientôt être dissoute définitivement, et les Hobbits se languissaient de retrouver la Comté.

- Que feras-tu, Legolas, après le mariage d’Aragorn? lui demanda Alcara.

- Nous allons partir avec Gimli vers les grottes étincelantes du Gouffre de Helm, que nous avions seulement aperçues pendant la guerre. Puis je continuerai à voyager sur la Terre du Milieu, et je rendrai de temps à autre visite à Aragorn. J’ai cru comprendre que tu suivrais Eowyn et Faramir?

- En effet, avoua Alcara, il est temps pour moi aussi de prendre mon envol, je pars à mon tour visiter la Terre du Milieu. Je suis heureuse que…

Elle ne savait pas comment achever sa phrase, mais Legolas, comme souvent, comprit.

- L’heure n’est pas encore venue pour moi de partir vers les Terres de l’Ouest. Un jour peut-être. Nous aurons donc l’occasion de nous revoir, et j’en suis heureux.

-Moi aussi, Legolas. Nos chemins vont se recroiser.

Ils se sourirent, dans une compréhension commune et une sérénité dont Alcara ne se sentait pas capable encore quelques jours avant. Sa colère avait disparu.

Après avoir pris congé de la fête, et alors qu’elle se dirigeait hors du jardin, un homme d’une cinquantaine d’années la salua :

- Dame Alcara, je suis heureux de vous voir.

En observant ses yeux d’un bleu profond, ses cheveux bruns et sa peau hâlée, Alcara déduisit son origine, qu’il éclaircit en déclarant :

- Je me présente, je suis le prince Imrahil, de Dol Amroth.

Alcara avait déjà entendu parler de lui : c’était un soutien important du Gondor. Il avait défendu Faramir à Osgiliath, et Aragorn dans les plaines du Pelennor. Mais après les événements du tournoi, elle se sentit tout à coup un peu gênée.

- Je tenais à vous présenter mes excuses, dit-il avec gravité. Le comportement des jeunes hommes qui vous ont offensée est inacceptable, et cela n’arrivera plus.

- J’en suis heureuse, dit-elle simplement. Mais je voulais simplement leur faire comprendre la leçon.

- Par ailleurs, ajouta-t-il, je tiens à vous féliciter, pour votre action à la Maison de Guérison, et pour le tournoi d’aujourd’hui. C’était très impressionnant, vous avez appris auprès des meilleurs.

- J’ai grandi parmi les elfes, répondit-elle en souriant, cela donne un certain avantage. Je vous remercie pour vos excuses.

Il hocha la tête, mais continua à la fixer, comme perdu dans ses pensées, les sourcils froncés. Au bout d’un moment, embarrassée, elle détourna le regard, et il sembla sortir d’un rêve.

- Je suis désolé, s’excusa-t-il, mais vous ressemblez tellement à…vous avez grandi chez les elfes, c’est bien cela?

- En effet, répondit-elle simplement, cherchant à prendre congé de lui.

Elle avait l’habitude que les hommes l’observent. Elle savait qu’elle était d’une grande beauté, et ses atours elfiques ce soir-là la sublimaient. Mais elle savait aussi que cela pouvait attirer le désir d’hommes de tous âges.

- Je suis désolée, je suis fatiguée, finit-elle par lui dire. Je vais me retirer. Je vous souhaite une bonne soirée.

- Naturellement, répondit-il, je vous laisse. J’espère que nous aurons l’occasion de nous revoir.

Elle se contenta de lui sourire, sans rien lui promettre, et partit.

Le lendemain, le mariage d’Aragorn et d’Arwen fut plus somptueux encore, nimbé de lumière. L’arbre du Gondor, auparavant sec et mourant, avait grandi et portait de nombreuses feuilles et des oiseaux à son sommet. Une végétation fleurie et abondante recouvrait à présent Minas Tirith.

Avec tristesse, Alcara prit congé d’Arwen et d’Aragorn, ainsi que de Gandalf, qui avait fort à faire encore dans le Gondor, et suivit le cortège d’Eowyn, Éomer et Faramir vers Edoras, accompagnée des Hobbits qui rentraient par étapes vers leur maison. La guerre était vraiment terminée, à présent.

 

 

Notes:

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE : LA SUITE AVEC LA PARTIE 2 ! 

Chapter 18: Partie II : Le Monde Des Hommes : Edoras

Chapter Text

Partie II : Le Monde Des Hommes

Edoras

Chanson à écouter sur ce chapitre :

C'est de loin la partie que j'ai eu le plus de plaisir à écrire ! Chaque chapitre est lié au suivant. J'espère que vous l'apprécierez et qu'il montrera toute la complexité des personnages !

Au bout de quelques jours, la procession des Rohirrim arriva à Edoras. Alcara, qui observait avec curiosité tout ce qui l’entourait, ainsi que ses amis Hobbits, fut frappée par le changement de climat entre le Gondor et le Rohan. Malgré le printemps qui était arrivé, les landes étaient toujours battues par le vent, et de nombreux épisodes de pluie rythmèrent leur voyage.

Eowyn, malgré sa blessure, voulut chevaucher et non voyager en carrosse, et Alcara l’accompagna avec plaisir, ne supportant pas non plus ces charrettes inconfortables où on ne pouvait pas découvrir les paysages majestueux sur la route. Le reste des dames gondoriennes de la suite d’Eowyn, néanmoins, y restèrent et se plaignirent fréquemment du trajet, en particulier en découvrant le climat plus inhospitalier du Rohan.

En arrivant à Edoras pourtant, des chaînes de montagne les protégèrent de toutes parts, et le climat fut plus agréable et moins frais, réchauffé par un grand soleil. Des champs avaient déjà recommencé à être entretenus le long de leur chemin, où tous les habitants, même les plus modestes, reconnurent le roi Éomer et le saluèrent avec beaucoup d’affection, ainsi que le porteur de l’Anneau. L’enthousiasme de la victoire était très présent, même s’il restait beaucoup à reconstruire, et les villages brûlés sur leur route étaient là pour le leur rappeler.

En arrivant dans le palais d’Edoras qu’on appelait Meduseld, au sommet d’une haute colline battue par le vent, Alcara se sentit tout de suite à l’aise et impressionnée, au milieu de la grande salle dorée du trône, ornée de têtes de chevaux sculptées dans le bois. Eowyn semblait si heureuse de revenir dans ces lieux, qu’elle leur fit la visite, à elle, Faramir et aux deux Hobbits, Frodon et Sam, qui ne l’avaient encore jamais vu. Les autres dames, lasses de leur voyage, préférèrent aller installer les bagages et se reposer. Pendant ce temps, face aux questions nombreuses et curieuses du groupe qui la suivait, Eowyn leur raconta l’histoire de Meduseld. A présent, plusieurs événements les attendaient : le soir-même, la cérémonie funèbre de Théoden, dont le corps avait été ramené à Edoras ; une semaine plus tard, le couronnement d’Éomer ; et enfin, ils iraient en Ithilien pour le mariage d’Eowyn, deux mois plus tard, le temps que son bras cassé guérisse complètement.

Entourée de plusieurs de ses connaissances, et sous l’égide d’Eowyn, Alcara fut conduite dans sa propre suite, une grande chambre en bois avec une cheminée généreuse, et des tapis simples mais moelleux au sol. Depuis la fenêtre, la vue sur la lande était époustouflante. Elle avait même la place, si elle le souhaitait, d’installer temporairement son laboratoire et sa bibliothèque, car les célébrations qui les attendaient dureraient sûrement longtemps, et Eowyn ne semblait pas empressée de rejoindre l’Ithilien, une terre encore étrangère pour elle.

Dans son enthousiasme, Alcara quitta rapidement sa chambre et explora le palais de Meduseld, pour y trouver le point le plus haut d’Edoras et y avoir la vue la plus panoramique. Un garde lui indiqua la tour de guet, et elle y grimpa, deux ou trois marches à la fois. Là, elle se retrouva nez à nez avec les quatre Hobbits, qui avaient eu la même idée, et ils rirent de cette coïncidence. Merry et Pippin leur indiquèrent des lieux et des directions de tous côtés, mais hésitèrent souvent ou confondirent l’Est et l’Ouest.

- La Trouée du Rohan est par là! Euh, enfin, je crois…disait Pippin.

- Mais non! répondait Merry, tu vois bien que le cours d’eau passe au Nord, c’est de l’autre côté!

A ce moment, une voix grave leur répondit :

“Ce n’est ni à l’Est, ni au Nord, mais à l’Ouest que se trouve la trouée du Rohan, jeunes Hobbits !”

Ils se retournèrent tous en même temps, pour trouver Éomer, qui semblait faire le tour de la cité avec un groupe de ses maréchaux. Ils s’inclinèrent tous poliment.

- Roi Éomer, comme nous sommes heureux de revenir à Edoras! Nous avons beaucoup d’histoires à raconter à nos amis, s’exclama Pippin.

- Tant mieux, répondit Éomer, j’espère seulement qu’il n’y aura pas trop de géographie !

Cela fit rire le petit groupe réuni sur la tour. Éomer se tourna alors plus sérieusement vers Alcara :

- Comment trouvez-vous Edoras, Dame Alcara ?

- Edoras, et plus généralement le Rohan, sont plus impressionnants et plus vastes que je ne l’imaginais, répondit franchement Alcara.

- Vraiment ? dit Éomer en s’approchant d’elle. En général, les Gondoriens trouvent que nous sommes beaucoup plus rustiques, et plus sauvages qu’eux.

- Tous les Gondoriens ne pensent pas ainsi, notamment les Rôdeurs du Nord, répondit immédiatement Alcara, en faisant allusion au soutien d’Aragorn. Et je ne peux pas dire que je sois une Gondorienne, car il y en a certains que je n’apprécie guère.

- J’ai pu l’observer en effet, dit Éomer, notamment pendant certains tournois. Au moins vous montez bien à cheval, cela est très utile ici. Je vous prie de m’excuser, je dois continuer ma ronde avec mes Hommes. Nous nous verrons ce soir.

Sur ce, il redescendit. Alcara était perplexe face à ce que lui avait dit Éomer, qui était resté distant et silencieux pendant tout le voyage de Minas Tirith à Edoras.

- Ce n’est pas très gentil, remarqua Sam, vous avez surtout été très vaillante au combat lors du tournoi, et vous n’avez chevauché qu’au début ! Je n’aurais pas aimé me retrouver face à vous!

- Mais il a dit aussi qu’elle chevauchait très bien, et chez les Rohirrim, c’est un sacré compliment, répondit Merry en levant sa pipe fumante en l’air, pour se donner l’air d’un sage.

- Peu importe, ajouta-t-elle en riant de son faux air de notable de la Comté : il a dit cela pour faire le roi, voilà tout. Venez, Merry et Pippin n’ont pas fini de nous faire la visite!

Ils allèrent ensuite voir les immenses écuries, qui laissaient en effet entendre l’importance des chevaux dans la culture du Rohan.

Le soir venu, les funérailles officielles de Théoden eurent lieu au coucher du soleil. Alcara remarqua à cette occasion la tombe de son fils Theodred à côté de la sienne, et les airs graves d’Eowyn et d’Éomer. Désormais, ils étaient les seuls héritiers directs de leurs ancêtres, et ne pouvaient compter que l’un sur l’autre pour perpétuer leurs traditions. Mais avec le départ prochain d’Eowyn, puis celui de tous leurs amis de la Communauté, Éomer se retrouverait bientôt seul, avec un énorme poids sur les épaules.

C’est alors qu'Alcara remarqua sur tous les tertres, de petites fleurs blanches qui poussaient à l’ombre d’Edoras. Elle en cueillit quelques-unes discrètement, car elles avaient l’apparence de fleurs riches de nombreuses vertus.

Les jours suivants, elle installa son petit laboratoire tout en participant aux événements de la Communauté, notamment les sorties à cheval dans la plaine, où Eowyn leur raconta l’histoire de son pays. Elle remarqua aussi que les autres habitants du Rohan restaient en retrait et ne leur montraient pas un accueil très chaleureux : ils semblaient avoir peu l’habitude des délégations d’autres royaumes, et les considéraient encore comme des étrangers. Alcara entendit même des maréchaux parler entre eux dans leur langue en les désignant. Elle se rapprocha du cheval d’Eowyn, et lui demanda :

- Eowyn, pourriez-vous nous apprendre les rudiments du rohirrique?

La princesse se tourna vers elle, surprise. Alcara ajouta :

- Une fois que nous serons au milieu des Gondoriens en Ithilien, nous pourrons ainsi converser plus discrètement…

Eowyn rit de cet argument et lui expliqua quelques mots de vocabulaire de sa langue natale. Faramir, qui chevauchait toujours non loin d’Eowyn, voulut les apprendre lui aussi, car il buvait toutes les paroles de sa fiancée et semblait fasciné par tout ce qu’elle disait.

Alcara se tourna alors vers les autres dames de compagnie d’Eowyn, qui, contrairement à elle, chevauchaient en Amazones et ne cessaient de déplorer la mauvaise influence d'Alcara sur Eowyn. Elles ne semblaient pas très intéressées par les mots de vocabulaire en rohirrique, mais firent l’effort d’écouter les histoires d’Eowyn, même si elles ne cessaient de répéter qu’une fois de retour en Ithilien, cela leur serait peu utile. Une des dames, très belle comme elles l’étaient toutes, mais avec une longue chevelure rousse et flamboyante et de grands yeux bleus, prénommée Umiel, était particulièrement attentive et semblait vouloir se rapprocher davantage d’Eowyn, tout en ignorant toujours royalement Alcara et y voyant une concurrente. Elle ne cessait de comparer ce qui était autorisé dans le Rohan mais ne l’était pas dans le Gondor, information précieuse pour Eowyn, mais qui désolait Alcara d’avance.

En effet, contrairement au Gondor, l’étiquette était moins stricte dans le Rohan, et il n’y avait pas de multiples courtisans dans les couloirs des palais ou dans les jardins pour surveiller les moindres faits et gestes des uns et des autres. Alcara appréciait cette liberté, qui lui permettait de mieux connaître Eowyn et Faramir, ainsi que les Hobbits, dont elle savait peu de choses. Elle vit que Frodon restait en retrait, il était souvent fatigué ; quant à Éomer, sa nouvelle charge faisait qu’il était souvent absent. Mais ils pouvaient l’apercevoir de loin en loin dans les landes du Rohan où il faisait de nombreux voyages, ou dans la grande salle de Meduseld où il devait tenir de nombreux conseils. Alcara ne l’enviait pas de devoir assister à tant de réunions, et du poids des responsabilités qui lui tombaient à présent sur les épaules. Mais elle vit bien que les suivantes, surtout Umiel, le cherchaient souvent du regard avec curiosité.

Pour sa part, elle comptait bien profiter des libertés du Rohan et décida de nouveau, tous les matins, de recommencer le tir à l’arc et l'entraînement à l’épée, qui lui délassaient le corps et l’esprit. Elle trouva un terrain propice à ces activités en contrebas d’Edoras, non loin du manège à chevaux, où elle visait des cibles qu’elle avait confectionnées. Peu étaient les Rohirrim qui tiraient à l’arc, ils préféraient les lances ou l’épée, mais depuis le manège, ils l’observèrent avec interrogation, n’osant pas lui parler mais prenant l’habitude de la croiser à l’aube, à pied ou à cheval. Elle y vit même à plusieurs reprises Éomer, mais il lui fit seulement des saluts à distance, sans venir lui parler.

Alcara commença à tracer quelques projets pour son propre avenir : elle se disait que sur le modèle de la Maison de Guérison, elle pourrait développer sa propre école de guérisseurs en Ithilien. Et si cela fonctionnait, peut-être qu’Éomer aussi en créerait une à Edoras. C’était une façon de garder le meilleur des héritages des anciens âges.

Elle remarqua avec soulagement que ses cauchemars avaient disparu, même si de temps à autre, elle se rappelait des images pénibles, surtout certaines qui revenaient plus que les autres : enfermée dans une salle noire sans pouvoir en sortir, la sensation d’étouffer, ou d’avoir comme du métal fondu aux pieds qui l’enfonçait dans le sol comme dans un sable mouvant. A force d’observer Frodon, qui avait encore des sursauts ou des absences, elle lui proposa de la consulter régulièrement, pour l’aider à retrouver le sommeil à l’aide de ses remèdes. Mais il accepta seulement une potion de valériane, qui l’aidait à s’endormir, et demandait surtout à être diverti pour ne plus avoir à réfléchir au passé. Elle n’osait imaginer tout ce qu’il avait pu subir, pour en avoir encore un tel traumatisme. Elle lui suggéra seulement une chose : de poser par écrit ce qu’il avait vécu, car cela pourrait l’aider à l’extérioriser. Il acquiesça seulement, et elle espérait que l’idée ferait son chemin.

Le couronnement, bien que moins grandiose que celui d’Aragorn, réunit à son tour les chefs des royaumes libres. Aragorn lui-même vint avec Arwen, et Alcara fut heureuse de les retrouver. On disait que déjà, Arwen pressentait un heureux événement à venir…Gandalf aussi vint y assister, mais il resta trop peu de temps ensuite, alors qu'Alcara espérait qu’ils puissent parler ensemble, mais il devait retourner dans le Gondor assez rapidement et le regrettait, car il voulait lui aussi profiter encore de la présence des Hobbits avant leur retour dans la Comté.

Quant à Legolas et Gimli, ils ne purent assister à la fête car ils se trouvaient encore dans les cavernes étincelantes, au-delà du Gouffre de Helm, au soulagement d'Alcara qui ne parvenait pas encore complètement à maîtriser ses émotions en sachant Legolas dans les parages.

Le couronnement d’Éomer n’eut pas du tout la même tonalité que celui d’Aragorn. Tous les seigneurs et les maréchaux du Rohan étaient réunis, vêtus de leurs tenues de combat et non de tenues d’apparat. Ils étaient tous beaucoup plus grands et musclés que les Gondoriens ou les autres royaumes invités, et portaient tous des barbes et des chevelures longues, blondes ou rousses. Les femmes étaient moins présentes, réunies dans une partie de la cérémonie seulement, sauf Eowyn, dont la robe aux couleurs du Rohan, verte et or, avait des broderies martiales qui pouvaient rappeler une armure et se tenait toujours au premier rang.

Dans le temple qui jouxtait le palais, Éomer, plus grand encore que ses sujets, reçut la cérémonie d’intronisation des dieux. Dans la nef de bois baignée de lumière, il reçut une grande couronne en or, sans pierrerie mais ciselée avec des inscriptions en rohirrique qui la faisaient étinceler. Il reçut également une grande cape bordée de fourrure blanche et brodée de chevaux. Alcara ne comprit pas toutes les bénédictions en rohirrique, mais une chose la frappa : l’omniprésence des chevaux. Pied-de-Feu, le fidèle destrier d’Éomer, dont la crinière magnifique brillait, paré d’une selle neuve et de rênes en or, fut introduit dans la nef et béni avec son maître, comme une sorte de “roi des chevaux”. Leur sort était à présent scellé, ce qui voulait dire, comme Alcara l’apprit plus tard, qu’il le suivrait jusque dans la mort.

La cérémonie se termina et l’assemblée se dirigea vers le palais, mais avant cela, sur la grande estrade devant l’entrée de Meduseld, elle vit alors une foule de Rohirrim avec leurs chevaux et leurs épées. Et Éomer, debout face à la cité, bénit tour à tour les cavaliers et leur arme. Alcara fut alors étonnée, dans cette atmosphère si virile, de voir de nombreuses femmes venir, elles aussi, bénir leur monture et leur épée, au milieu des hommes.

Une fois dans la grande salle de Meduseld pour le festin, Alcara s’installa à la table des Hobbits, laissant les autres dames d’honneur à une autre table, qui regardaient le reste des convives avec perplexité, face à une fête beaucoup plus simple et “rustique” que celles du Gondor. Les délégations “étrangères” étaient en effet à certaines tables, et les habitants du Rohan à d’autres. Avant le festin, l’assemblée des maréchaux lança de nombreux discours de fidélité et de reconnaissance à Éomer, mais aussi à Eowyn, reconnue à présent comme celle qui les avait sauvés du roi-sorcier d’Angmar. Éomer fit ensuite un long discours de paix et de défense du Rohan, en rohirrique puis en langue commune, et de nombreux verres furent levés pour lui rendre hommage, avec des cris et des hourrah. L’ambiance était à la fois festive et très martiale, comme une fête pour célébrer la victoire, mais cela impressionna beaucoup Alcara. Dans son habit de roi, avec sa couronne, Éomer inspirait le respect et la confiance.

Alors, tous les hommes du Rohan entonnèrent une chanson puissante et virile en langue commune, en battant le rythme avec leurs verres sur les tables, souhaitant prospérité et bienvenue à tous ceux qui voulaient partager leur joie. Alcara apprendrait plus tard, qu’on la nommait La Chanson des Amis :

Musique à écouter :  https://music.youtube.com/watch?v=y2q5R9HU7C0

Levez tous vos verres au ciel

Partageons la bière nouvelle

Bienvenus, prenez un siège

Et chantez tous, fort et clair

Hommes de courage et de guerre

Femmes de force et femmes fières

Levez tous vos verres au ciel

Et chantez plus fort que le tonnerre :

Skål! Skål!

Chantez bien fort!

Skål! Skål!

Un toast et un chant d’enfer!

Le couplet se répéta plusieurs fois, et dès la deuxième répétition, Éomer et Eowyn le chantèrent eux aussi avec un grand sourire fier. A la troisième répétition, ce fut aux invités d’entonner eux aussi le couplet : Alcara hésita et regarda autour d’elle, et vit que les dames de compagnie gondoriennes refusèrent de la chanter, gênées; Aragorn la chanter avec enthousiasme (il semblait déjà la connaître); Arwen l’imiter en souriant; Gandalf l’entonner gaiement; Merry et Pippin la chanter très fort en levant très haut leurs verres; Sam et Frodon les imiter peu à peu, et à son tour, timidement, elle répéta les paroles. Leur table fut l’une des plus bruyantes. Au bout de la quatrième répétition, tous connaissaient par cœur les paroles, et aux cinquième et sixième répétitions, chacun chanta de plus en plus fort, leva son verre au cri de “Skål” qui signifiait “Santé” en rohirrique, et l’enthousiasme gagna toute l’assemblée, finissant la chanson dans une grande acclamation enjouée. Les Rohirrim avaient le don d'entraîner les autres à leur suite !

Après le couronnement, une soirée joyeuse commença, et la fête dura plusieurs jours. Les tournois recommencèrent, et Éomer glissa au détour d’un de ses discours que les femmes étaient autorisées à combattre dans les tournois du Rohan, ce qui fit rire l’assemblée et déclencha une clameur de joie parmi les femmes. Eowyn dut décliner en raison de sa blessure, mais Alcara fut tant sollicitée pour y participer, qu’elle accepta et se battit avec beaucoup d’adresse face à des chevaliers non moins valeureux. Elle gagna haut la main, sans profiter de la galanterie de son adversaire, et offrit sa rose à Eowyn. Le soir venu, une nouvelle chanson célébra les dames qui gagnaient des victoires dans les guerres, notamment celle qui un jour, avait tué le roi-sorcier. La légende d’Eowyn commençait, pour le plus grand plaisir d'Alcara.

Alors que la fête battait son plein le soir-même, elle sortit prendre un peu l’air sur l’esplanade du palais de Meduseld, qui donnait sur l’ensemble de la vallée. En contrebas, elle entendit des rires et le son d’une conversation : en se penchant par-dessus la rambarde, elle aperçut les silhouettes de Faramir et d’Eowyn. Ils semblaient se parler à voix basse, en se tenant les mains et en ne cessant de s’embrasser. Alcara sourit et s’éloigna : leur amour semblait si simple ! Ils s’étaient plu au premier regard, et étaient à présent inséparables. L’amour des elfes était bien différent, puisqu’ils ne vivaient pas dans la même temporalité.

Alcara se demandait si Legolas ne s’était pas fermé à l’amour pour cette raison : le jour où elle disparaîtrait, et qu’il lui survivrait, la douleur aurait été insupportable pour lui, et Arwen subirait un jour ce destin si funeste…

Elle entendit quelqu’un s’éclaircir la gorge derrière elle, et se retourna : Éomer se tenait devant elle, encore dans sa tenue d’apparat, excepté sa grande cape en fourrure blanche qu’il avait ôtée dans la douceur du soir.

Elle ne sut quoi dire ou quoi faire, elle était gênée d’être restée perdue dans ses pensées.

« Je ne voulais pas vous embarrasser, lui dit-il simplement. Il fait chaud dans la salle et je suis allé prendre un peu l’air. »

Éomer l’observait : elle n’avait pas l’allure un peu magique de sa tenue elfique de Minas Tirith, mais sa robe bleue sombre bordée d’or mettait en valeur sa noblesse naturelle. Un ruban doré ceignait son front, sur lequel des torsades de cheveux étaient enroulées, à la mode du Rohan. Elle regardait au sol, comme surprise en train de préparer une bêtise.

- Ce n’est pas parce que je suis un roi à présent qu’il ne faut plus m'adresser la parole, lui dit-il en souriant.

- On ne sait jamais, lui répondit-elle en lui souriant à son tour. Peut-être avez-vous acquis des pouvoirs cachés avec une couronne sur la tête.

Ils rirent tous deux en même temps. Malgré sa tenue impressionnante, il restait réservé lors des conversations en tête à tête. Il était assez différent des elfes…

- En parlant de pouvoir cachés, lui dit Éomer en l’observant avec plus de sérieux, j’ai entendu dire que vous n’étiez pas en reste.

Le cœur d'Alcara s’accéléra : que pouvait-il avoir entendu? Est-ce qu’Arwen, ou Gandalf…

- Ma sœur Eowyn dit que vous avez fait des miracles pour guérir ses blessures, ajouta-t-il, au soulagement d'Alcara. Elle a énormément confiance en vous. Faramir aussi, d’ailleurs.

Il s’approcha un peu plus d’elle : elle se demandait quelle étaient ses intentions, mais à voix plus basse, il ajouta alors, en la regardant toujours au fond des yeux :

- Peut-être que dans le Gondor, les guérisseurs et les magiciens ont voix au chapitre. Mais ici, dans le Rohan, nous n’aimons pas beaucoup les tours de magie et les ensorceleurs. Ils arrivent avec des remèdes miracles, puis ils veulent nous manipuler et prendre notre pouvoir. Eowyn vous veut près d’elle, et Gandalf et Aragorn vous font confiance, soit : mais je vous garde à l’œil. Depuis notre première rencontre, vous n’avez toujours pas clairement dit pourquoi vous étiez partie de Fondcombe, ni même de quelles terres vous étiez originaire. Vous n’avez même pas de nom de famille. Tant qu’elle restera auprès de moi, je veillerai sur Eowyn comme la prunelle de mes yeux, et je vous surveillerai de près chaque jour. J’ai le souvenir de Grima pour m’aiguillonner.

Alcara rendit à Éomer son regard pénétrant, qui inspirait l’autorité, et répondit :

- J’ignore quelles raisons j’ai eues de vous inspirer autant de méfiance, et je le regrette. Mais je vous prouverai que vous pouvez me faire confiance.

- Nous verrons bien, ajouta Éomer d’un ton menaçant.

Et il repartit vers la grande salle. Alcara soupira : elle savait Éomer distant, mais elle pensait que c’était en raison de ses nouvelles responsabilités. À présent, c’est elle qui se trouvait dans une situation périlleuse…

Son cœur battait encore la chamade. Au moment où il s’était approché, elle avait vraiment cru qu’il lui faisait confiance, voire même…mais peu importait à présent.

Dans la grande salle, elle aperçut Umiel, la belle dame aux cheveux roux du Gondor, qui semblait avoir entendu leur conversation. Elle lui fit un grand sourire victorieux, et se dirigea vers Éomer pour lui parler avec son sourire le plus charmeur.

 

Chapter 19: Construire La Confiance

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Construire La Confiance

Musique à écouter sur ce chapitre : 

Même si elles n’appréciaient pas spécialement la culture plus rudimentaire du Rohan, les dames d’Eowyn avaient bien conscience qu’Éomer était un roi puissant, et de plus, un roi célibataire. Umiel, en particulier, était suffisamment claire sur ses intentions et parlait souvent, quand elles se voyaient entre membres de la suite d’Eowyn dans la journée, de ses propres atours qui lui serviraient à le séduire. Elle s’abstint bien sûr de l’évoquer devant Eowyn, et Alcara ne l’évoqua pas avec elle : ce n’était pas son rôle, et elle ne souhaitait pas créer des tensions ou des divisions. Mais elle se sentit en colère d’être considérée par Éomer comme une intrigante voulant influencer Eowyn, alors qu’elle avait tous les jours devant les yeux un exemple beaucoup plus parlant dont il n’avait pas conscience. Et de même, si elle dénonçait les intentions d’Umiel à Éomer, cela pourrait confirmer qu’elle dénigrait les autres à son profit. Cette situation de secrets d’alcôve la lassait.

Elle passa ainsi davantage de temps à cheval et à s'entraîner à l’arc et à l’épée, et Eowyn venait souvent lui tenir compagnie. Au moins, au-dehors, les choses étaient plus simples. Au même moment, Faramir s'entraînait avec les Hobbits, à qui il apprenait des manoeuvres de combat, tout en jetant de nombreux regards vers Eowyn, qui l'observait de loin en souriant et appréciait elle aussi de profiter du dehors, même si son bras ne lui permettait toujours pas de chevaucher ou de manier l’épée.

Un matin, Alcara descendit de cheval après son entrainement pour aller la retrouver, et en remontant les rues d’Edoras, elle lui demanda :

- Eowyn, qui était Grima?

Eowyn soupira et baissa la tête, mais lui raconta avec franchise toute l’histoire de Grima Langue de Serpent, d’Éomer exilé et du roi Théoden ensorcelé par Saroumane et délivré par Gandalf. Elle ne cacha même pas que Grima avait eu des vues sur elle et voulait la garder enfermée au palais, comme sa prisonnière. Alcara fut scandalisée de cette histoire, mais comprit mieux les méfiances d’Éomer envers elle.

- Pourquoi me demandes-tu cela ? questionna Eowyn.

Alcara hésita, mais face à l’honnêteté d’Eowyn, elle lui avoua la conversation qu’elle avait eue avec Éomer.

- Comment?? s’exclama Eowyn, outrée par le comportement de son frère. Je vais lui dire deux mots, c’est complément idiot !

- Ce n’est rien, la rassura Alcara. Je comprends mieux, après ce que tu m’as dit : le précédent roi du Rohan s’était fait manipuler par un sorcier. Puis à son tour, Éomer s’est fait exiler à cause de Grima, et vous avez failli perdre votre liberté. Il ne se laissera pas convaincre facilement qu’il peut faire confiance à une guérisseuse qui peut anesthésier les blessés avec des formules magiques.

- La guerre aurait quand même pu lui faire comprendre que ce sont nos actes, et non qui nous sommes, qui prouvent notre valeur, la défendit Eowyn avec véhémence.

- C’est exactement ce que je tenterai de lui faire comprendre, avec le temps.

Elle se tut, et regarda devant elle, perdue dans ses pensées. Eowyn l’observa : elle avait un caractère beaucoup plus franc et naturel que les dames sophistiquées du Gondor, et elle s’intéressait sincèrement au Rohan. Pourquoi son frère ne le voyait-il pas ? Les responsabilités de roi l’avaient-elles rendu méfiant de toutes et tous ?

Au moment où elles entrèrent dans l’écurie, elles croisèrent justement Éomer qui s’occupait de son fameux cheval Pied-de-Feu. A côté de lui se trouvait Umiel, appuyée contre le pilier d’une alcôve, tortillant une de ses mèches rousses avec son doigt. Elle se retourna en les voyant, et fit une révérence un peu trop appuyée à Eowyn, dévoilant son impressionnant décolleté. Alcara fit comme si de rien n’était, mais spontanément, Eowyn se tourna vers elle avec un air ironique et désabusé qui amusa Alcara. Umiel prit congé et ressortit de l’écurie en mettant immédiatement son mouchoir parfumé sur le nez, apparemment incommodée par les odeurs de l’écurie, et Alcara rit doucement en l’apercevant. En passant devant Éomer, elles le saluèrent, et Eowyn lui demanda directement :

- Je ne savais pas qu’Umiel appréciait le cheval, à présent ?

Éomer baissa la tête, comme gêné. Alcara se dit qu’il ne devait pas être insensible à ses charmes très…évocateurs. Mais elle aurait préféré qu’il s’en méfie un peu. Apparemment, Eowyn voulait le lui faire remarquer.

- Elle m’a seulement dit bonjour avant que vous n’arriviez, répondit Éomer, très occupé à nettoyer son cheval. Et vous ? dit-il pour changer de conversation, tu n’as pas fait de cheval j’espère, Eowyn ?

- Malheureusement non, soupira-t-elle, je dois me contenter de regarder Alcara chevaucher comme une elfe.

Alcara se sentit rougir, et balbutia qu’elle était beaucoup moins douée que les elfes, et Éomer l’observa avec un visage impassible.

- Une guérisseuse, une cavalière, une combattante de tournoi…énuméra Éomer. Décidément, vous ne suivez pas vraiment le protocole du Gondor !

Était-ce un reproche, ou comme Legolas autrefois, il trouvait cela…surprenant ? Mais il ignorait qu’elle était aussi très entêtée, et s’il y avait une chose qu’elle refusait, c’était d’être comparée à des dames comme Umiel.

- Peut-être que vous appréciez davantage la broderie et les robes à corset, mais ce n’est effectivement pas mon cas, répliqua-t-elle.

Eowyn éclata de rire, et Éomer resta interdit, haussant les sourcils. Puisqu’il avait décidé de se défier d’elle, et qu’elle partirait tôt ou tard du Rohan, Alcara ne voulait pas se laisser impressionner. Elle en avait assez qu’il l’associe au Gondor sans cesse, où elle était si peu allée, contrairement aux autres suivantes beaucoup plus distantes de la culture du Rohan.

- Méfie-toi, Éomer, répondit Eowyn avec malice, elle pourrait te provoquer en duel au prochain tournoi !

Et il les suivit des yeux, avant de repartir vers le palais en secouant la tête.

Une semaine après le couronnement d’Éomer, Alcara et les dames d’honneur se préparèrent à accompagner Eowyn et Faramir en Ithilien, pour organiser leur mariage.

Alcara eut du mal à dire adieu aux Hobbits, et espéra les revoir bientôt, pour d’autres célébrations ou des visites. Une ambiance de fin de fête mélancolique s’abattit sur eux, après tant de moments joyeux depuis le couronnement d’Aragorn, et Alcara se sentit un peu frustrée de quitter déjà les contrées fascinantes du Rohan.

Eowyn elle-même eut du mal à quitter sa terre d’origine, et Faramir lui promit de revenir souvent ; Alcara ajouta qu’une fois dans le Gondor, elles pourraient toujours chevaucher et s'entraîner au combat, et cette pensée consola un peu la princesse. Au fond d’elle-même, elle était préoccupée à l’idée de laisser son frère seul, avec tant de poids sur les épaules.

Finalement, au cours du dernier dîner, où ils étaient moins nombreux qu’habituellement, Éomer les rejoignit à table, ce qu’il faisait rarement, mangeant souvent seul ou avec ses maréchaux, ayant beaucoup de choses à régler depuis son couronnement. Umiel fut la première à lui adresser un sourire enjôleur, et Alcara ne put s’empêcher de lever les yeux au ciel. Elle-même le salua avec respect mais avec froideur, car depuis leur conversation la nuit du couronnement, elle se savait surveillée, ce qui ne manquait pas de l’exaspérer.

En s’asseyant et en mangeant avec eux, Éomer déclara soudain :

- Je vous accompagne en Ithilien.

Eowyn, étonnée, posa ses couverts ; Umiel tendit une oreille attentive, ravie de cette nouvelle.

- Mais tu as tant de travail, ici ? demanda Eowyn, en fronçant les sourcils.

- Tout est réglé, répondit simplement Éomer. Mes maréchaux resteront ici, pour garder Edoras. Avec la paix revenue et la reconstruction, les choses se mettent en place lentement, et cela me laisse du temps pour aller découvrir le Gondor avec toi, petite sœur.

- Je n’ai pas besoin qu’on monte la garde pour moi, répliqua-t-elle. Faramir est déjà là pour nous guider et nous protéger si c’était nécessaire.

Faramir sourit et ajouta :

- Je crois qu’on a aussi une autre garde du corps parmi nous, et il désigna du menton Alcara.

Alcara rougit légèrement mais ne dit rien, fouillant dans son assiette avec ses couverts. Elle n’avait vraiment pas envie d’attirer l’attention d’Éomer, il se méfiait déjà suffisamment d’elle. Mais ce dernier la regarda, comme s’il n’avait pas pensé à cela, et dit :

- Tu vas te marier bientôt, Eowyn, et je viendrai de toutes façons pour ton mariage. Autant venir un peu plus tôt, la route est longue d’ici à l’Ithilien.

- Mais il n’est pas très courant qu’un roi fasse un tel trajet pour sa sœur, il faudra des écuyers, des serviteurs, la garde royale…

- Je voyagerai seulement avec mon écuyer et quelques Rohirrim, répondit Éomer. Et je me ferai tout petit…

Il était difficile d’imaginer Éomer, qui faisait presque deux mètres de haut, avait une stature musclée et imposante, et des habits de roi qui ajoutaient à son allure impressionnante, se faire tout petit, et Alcara, en ayant cette pensée, ne put réprimer un rire et faillit s’étouffer avec son verre de vin, qu’elle avala de travers. Elle s’essuya la bouche rapidement, remarquant au passage le regard noir d’Éomer sur elle.

- Très bien, déclara Faramir, je t’accueille avec grand plaisir chez moi, Éomer. Il y a beaucoup à découvrir, j’ai hâte de vous présenter tout cela avec Eowyn.

Cette dernière acquiesça : intérieurement, Eowyn n’était pas mécontente qu’il vienne avec elle, cela ferait un soutien supplémentaire pour représenter le Rohan sur place. Mais elle se demandait pourquoi son frère, si absent depuis leur arrivée à Edoras et débordé de travail, réussissait à libérer plusieurs semaines juste pour son mariage.

L’ensemble de la compagnie partit à l’aube le lendemain matin. Alcara regretta de ne pas avoir l’occasion de voir le Rohan durant l’été, car le temps s’était adouci et des fleurs commençaient à recouvrir la lande, sous une aube claire et sans brume. Mais le temps en Ithilien était réputé pour être particulièrement clément, et elle était curieuse d’en découvrir la nature, la faune et la flore.

Pour le début du voyage, Umiel, contrairement à ses habitudes, n’entra pas dans le carrosse mais chevaucha en amazone sur un palefroi, un cheval au dos plus large qui convenait mieux aux robes des dames. Alcara, en tenue de cavalière, chevauchait toujours comme un homme et ne supportait pas les multiples jupons, peu commodes pour voyager, et Eowyn était du même avis, même si cette dernière dut chevaucher lentement en raison de son bras encore endolori.

Mais Alcara comprit rapidement qu’Umiel chevauchait seulement pour pouvoir rester à côté d’Éomer et bavarder avec lui tout au long du trajet, avec des œillades et les sourires les plus charmeurs possibles. Alcara se sentit étrangement très agacée, même si le roi du Rohan faisait ce qu’il voulait et était un adulte qui savait quoi faire, et qu’elle-même aurait pu profiter de la situation pour échapper à ses perpétuels regards inquisiteurs vers elle, dès qu’elle avait le malheur de parler à Eowyn ou à Faramir.

Elle chevaucha malgré tout à gauche d’Eowyn, Faramir chevauchant à sa droite, parlant de choses et d’autres avec eux. Faramir racontait des anecdotes sur le Gondor, et Alcara, en réponse à leurs nombreuses questions, racontait la vie parmi les elfes de Fondcombe, qui les fascinaient. Ils ponctuaient leurs récits de plaisanteries et de boutades, mais à chaque éclat de rire, Éomer, qui chevauchait devant eux avec Umiel à côté de lui, se retournait et leur lançait un regard méfiant. Au bout de quelques coups d’oeil soupçonneux, Eowyn soupira et lui lança :

- Éomer, cesse de chevaucher dans ton coin avec cet air renfrogné. Si tu te retournes sans arrêt, tu vas avoir un torticolis ; viens participer à la conversation avec nous !

Umiel, qui faisait tout pour rester seule avec lui, ne sembla pas très enchantée par cette idée. Le matin était clair mais encore frais, et elle avait opté pour une robe très décolletée, aux épaules dénudées, et on la voyait souvent resserrer son châle autour d’elle. Mais c’était la condition pour être la plus séduisante possible… Finalement, Éomer soupira, et tourna son cheval en arrière, se plaçant à la gauche d’Alcara. Umiel, un peu vexée, s’éloigna pour remettre son châle sur ses épaules, et finalement entrer dans le carrosse à l’abri du froid, en se plaignant vertement de la qualité du voyage.

A côté de lui, Alcara retroussa ses lèvres et baissa les yeux sur ses rênes, comme surprise en train de préparer une mauvaise farce.

- Eh bien, de quoi parliez-vous, qui avait l’air si drôle ? demanda Éomer avec un air supérieur.

- Alcara nous racontait que la nourriture des elfes était…comment dire, très particulière ! raconta Faramir en riant encore.

- Apparemment, ils aiment manger cru, même les poissons ! ajouta Eowyn en riant franchement. Cela avait l’air terriblement mauvais. Ils ne mangent même pas de pain !

- Vous le savez, puisque vous avez déjà goûté du lembas, vous vous souvenez ? dit Alcara en regardant Éomer.

- Bien sûr, et plus jamais je ne voudrais goûter à cette horreur ! s’exclama Éomer, qui se laissa finalement aller à la bonne humeur générale.

- Mais comment as-tu pu tenir aussi longtemps parmi les elfes, en mangeant seulement leur nourriture ? demanda Eowyn à Alcara.

- Eh bien, heureusement, Gandalf a beaucoup de tours dans son sac, et il faisait une contrebande de nourriture très bien organisée avec les Nains et les Hobbits ! Dans sa charrette, il rapportait toujours des salaisons, du bon pain frais, et même des gâteaux quelquefois !

Ils rirent de nouveau, Éomer de façon plus retenue que les autres, mais il resta tout de même à côté d’elle durant tout le premier jour du voyage.

Le reste du trajet se passa tranquillement et avec légèreté, dans des paysages qui avaient retrouvé la verdure d’autrefois et ne laissaient que peu de traces des batailles passées. Alcara, curieuse, s’arrêtait souvent pour cueillir des fleurs nouvelles ou noter dans son carnet l’aspect de certains arbres. Un matin, ils virent même bondir un magnifique troupeau de biches qui suivaient un grand et beau cerf en travers de la route. Ils s’arrêtaient dans des auberges ou des fermes, du Rohan puis du Gondor, où ils étaient accueillis comme des sauveurs, avec beaucoup d’égards. Mais Éomer semblait ne pas beaucoup dormir, car quand Alcara partait tardivement se coucher, relisant ses notes et regardant son herbier, il était encore auprès du feu, et le matin, quand elle s’étirait et faisait quelques exercices avant de chevaucher, il était déjà là, dehors et près de son cheval. Pourtant, il ne lui adressait jamais la parole, et elle ne voulut pas insister, craignant de nouvelles menaces de sa part. Sa présence la gênait un peu, comme si une sentinelle se tenait toujours prête à l’observer.

Un de ces matins, elle sortit de l’auberge avant l’aube, car la femme du propriétaire lui avait dit que de magnifiques oiseaux rouges migraient actuellement depuis l’étang d’à côté. Elle voulait absolument les voir, comme si elle avait besoin d’absorber toutes les belles images du Gondor. Elle enfila donc sa cape elfique qui lui avait tant servi lors de sa fuite de Fondcombe, et marcha entre les arbres, pour arriver en lisière du plan d’eau. Là, elle vit une image à couper le souffle : le soleil rougeoyant se levait dans la brume, et de grands oiseaux rouges, aux longues pattes fines, dormaient ou pêchaient des poissons avec de longs becs fins. Elle en nota les détails pour retrouver leur trace dans ses grimoires, quand elle entendit un bruit derrière elle. Elle remit sa capuche, et s’approcha d’une silhouette qui était non loin derrière elle, et qui regardait aussi les oiseaux. Elle savait que sa cape avait des propriétés particulières, et la confondait avec les branchages autour d’elle. Elle s’approcha le plus possible, sentant son épée à sa ceinture, et enleva brusquement sa capuche en sortant son épée et la tendant contre le visage de l’inconnu. Mais il sursauta avec un cri, et Alcara le reconnut immédiatement :

- Roi Éomer !

- Bonté divine, vous m’avez fait peur ! s’exclama-t-il. Et rangez cette épée, elle est pire qu’un poignard !

Elle rangea son épée, confuse, mais intriguée.

- Mais…Vous m’avez suivie ?

- Bien entendu, répondit-il comme si cela était évident. Que fabriquez-vous, aussi tôt ?

- Je venais simplement observer les oiseaux, on ne peut les voir que très tôt le matin, expliqua-t-elle, mais en se tournant vers eux, elle les vit s’envoler après le cri d’Éomer. Et voilà, ils sont partis, bravo !

- C’est à cause de vous si j’ai crié, lui dit Éomer avec reproche. Vous sautez souvent sur les gens pour les égorger ?

- Vous n’aviez pas à me suivre ainsi ! répliqua-t-elle, en colère.

- Je vous avais dit que je vous aurai à l'œil, répondit Éomer, tout aussi énervé.

- C’est pour cela que vous êtes éveillé si tard le soir, et si tôt le matin ? demanda Alcara. Ce n’est pas croyable ! Vous me surveillez, alors ?

- Non, ce n’est pas pour cela, répondit Éomer en se frottant les yeux, semblant fatigué et à bout de patience en même temps. Enfin, si, aussi, mais…

- Attendez, le coupa-t-elle, c’est pour cela que vous êtes venu avec nous en Ithilien ? Pour me surveiller ? Vous n’avez vraiment que cela à faire ?

- Arrêtez de vous énerver, soupira-t-il, et il mit ses mains sur ses hanches, en regardant le soleil rouge se lever.

Un lourd silence tomba entre eux. Alcara était très irritée, et soupira à son tour, mais se tut, attendant sa réponse. Elle s’en voulut de remarquer à ce moment que, face au soleil rouge du matin, Éomer ressemblait à un lion royal, qui guettait les oiseaux comme des proies. Il avait toujours une prestance incroyable, même au petit matin. Mais elle était trop énervée contre lui et ne voulut pas lui trouver des qualités en cet instant.

- Écoutez, je suis désolé, finit-il par dire. Je n’aurais pas dû vous suivre. Je dois sans cesse vérifier que je ne suis pas entouré d’intriguants, d’espions, et vous venez d’ailleurs, Eowyn vous a tout de suite fait confiance, mais je ne suis pas comme elle. J’ai besoin de vérifier qu’elle est bien entourée, et que vous ne partez pas au petit matin retrouver des contacts, ou des ennemis qui voudraient la piéger pendant son voyage.

- Donc, répondit Alcara en essayant de se calmer un peu, comme je suis une étrangère, je suis une ennemie ?

- Non, ce n’est pas cela…soupira-t-il à nouveau. Vous ne vous rendez pas compte. Je suis entouré de flatteurs, de…diplomates, qui promettent monts et merveilles et jurent, la main sur le cœur, de ne jamais me trahir. Et je ne peux jamais en être certain.

Alcara ne répondit rien, et comprit mieux où il voulait en venir, et la situation nouvelle dans laquelle il se trouvait. Elle aurait aimé ajouter : “Alors méfiez-vous aussi des courtisanes”, mais c’était peine perdue. Elle eut tout de même plus d’empathie pour lui, qui suscitait tant de convoitises.

- Je sais que c’est inutile de le dire, répondit-elle avec une voix plus posée, mais très franchement, vous perdez votre temps à vous méfier de moi. Je ferai tout pour vous prouver que vous avez tort.

- Vous pourriez vous dire que cela vous est égal, répondit Éomer en la regardant avec un sourire ironique. Après tout, c’est Eowyn votre princesse, en Ithilien, moi je suis le roi du Rohan.

- Mais vous êtes son frère, répondit-elle immédiatement. Si je n’ai pas votre confiance, je n’aurai jamais complètement la sienne. Alors, je me battrai pour ne serait-ce que faire éclore chez vous un peu de confiance, un peu comme…un œuf délicat, dont il faut prendre soin.

Elle semblait avoir fait une sorte de serment, et ne s’aperçut pas de la gravité de ce qu’elle venait de dire, jusqu’à ce qu’un phénomène les surprenne tous les deux. Depuis l’étang, une langue d’eau se leva à la surface, et visa directement Éomer, qui sursauta en poussant une nouvelle exclamation. Mais l’eau visait sa main ouverte et l’éclaboussa, avant de retourner immédiatement dans l’étang.

- Qu’est-ce que c’était ? s’exclama Alcara, un poisson? Un oiseau?

Mais Éomer ouvrit sa main trempée, et ils y virent tous deux un petit œuf rouge.

- C’est arrivé juste après vos paroles, murmura Éomer, estomaqué. Comment…

- Vous voulez dire que…?

- Ce n’est pas vous qui venez de provoquer cela ?

Alcara ne dit rien, émerveillée par le petit œuf rouge dans la grande main d’Éomer. Était-ce vraiment elle qui avait créé cela, à l’instant, en faisant une promesse ?

- Vous êtes bien une magicienne, alors, déclara Éomer en la regardant presque avec reproche.

- Mais je n’ai pas fait cela ! Enfin, pas volontairement…c’était une image…

- Vous ne l’avez pas fait exprès ?

Elle hocha la tête à la négative pour le confirmer, en le regardant avec crainte. Décidément, ce n’était pas la meilleure façon de commencer à gagner sa confiance…

Éomer soupira, et ne sut quoi faire de l'œuf dans sa main. Alcara lui dit simplement :

- Je suis désolée, mais je crois…que maintenant, vous devez vous en occuper.

- Comment ? s’exclama Éomer. Vous croyez que je n’ai que cela à faire, de couver un œuf ?!

- C’était un signe, non ? insista-t-elle. Il représente la confiance que vous devez mettre en moi. Une confiance fragile, qu’il faut entretenir.

- Ce n’est pas possible…soupira-t-il.

- Gandalf serait du même avis que moi, ajouta-t-elle avec un argument d’autorité. Si je lui raconte…

- D’accord, d’accord, la coupa Éomer avec impatience. Je n’en reviens pas… Surtout, surtout, ne racontez cela à personne.

- Et vous non plus, lui fit promettre Alcara. Peu de gens savent que je peux…faire ce genre de choses. Mais je ne le maîtrise pas.

Éomer la regarda, comme abasourdi, la bouche ouverte, secouant la tête de droite et de gauche avec incrédulité. Il semblait avoir encore une foule de questions, mais le temps pressait, ils devaient repartir sur la route, et le reste de la délégation se demanderait où ils étaient. Il prit donc l'œuf avec un soupir d’exaspération, Alcara lui prêtant un mouchoir pour le recouvrir, et il le rangea précautionneusement dans la poche intérieure de sa tenue de cavalier, avant de repartir avant elle. Elle attendit quelques minutes pour qu’on ne les voie pas arriver ensemble, et rentra vers l’auberge, avec un sourire sur les lèvres. Pendant le voyage, il serait très amusant de penser qu’Éomer, l’autoritaire et charismatique roi du Rohan, portait contre lui un petit œuf, qui risquait de se briser à tout instant. 

 

Chapter 20: Le Mariage À Venir

Chapter Text

Le Mariage À Venir

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Les relations entre Alcara et Eomer deviendraient-elles ambiguës? 😉 Lisez pour en découvrir davantage !

Quand il arrivèrent enfin en Ithilien, Alcara n’en crut pas ses yeux : la cité était lovée dans les collines d’Emyn Arnen, un lieu étrange, comme entre deux mondes. D’un côté, la cité à flanc de colline était un pays de Cocagne, verdoyant, coloré de mille fleurs différentes et habité par des oiseaux magnifiques, le long de rivières claires et riantes, et on apercevait au loin la blanche cité de Minas Tirith. D’un autre côté, on voyait à proximité les terres dévastées du Mordor, et la chaîne de montagnes sombres où se trouvaient toujours de grands nuages noirs. Faramir aurait la charge de surveiller qu’il ne restait pas des poches de résistances ennemies à la frontière, et il serait toujours l’Intendant du Gondor, gouvernant le royaume si Aragorn devait s’absenter.

Cette fois, Alcara faisait partie des étrangers qui découvraient les lieux, au même titre que les Rohirrim. Une foule les accueillit dans les rues, décorées pour l’occasion, acclamant le retour de Faramir et saluant sa fiancée ; Eowyn reçut de nombreux bouquets de fleurs. Ici, beaucoup d’habitants avaient vécu la bataille du Pelennor, et savaient ce qu’ils devaient à la princesse qui avait vaincu le sorcier-roi d’Angmar.

Quant aux dames d’honneur d’Eowyn, elles connaissaient bien la cité et s’y sentirent tout de suite à l’aise, saluant quelques habitants qu’elles connaissaient bien au passage, et faisant les présentations.

Une fois arrivés au palais, après que Faramir les ait guidés et ait raconté l’histoire des lieux, les dames d’honneur montrèrent à Eowyn et Alcara leurs appartements respectifs, leur dirent quel type de robe mettre pour les dîners, à quelle heure se réveiller, quelles activités faire dans la journée, qui penser à saluer. Eowyn fut surprise de ne pas partager la chambre de Faramir, ce qu’elle faisait à Edoras, mais les dames rirent en même temps car cela était impensable avant le mariage, selon les traditions. Alcara craignit qu’Eowyn ne se sente isolée, et elle se dit qu’il lui faudrait rapidement repérer l’écurie et un terrain d'entraînement à l’épée pour la faire respirer…

Dans ce cadre, Umiel était familière de tous les lieux, des gens et des usages, et menait avec fierté Eowyn et les dames d’honneur. Alcara ne put qu’accepter d’être plus en retrait, même si elle désigna à son tour l’absurdité de certaines règles, comme Umiel ne s’était pas gênée de le faire à Edoras.

Au cours du dîner de bienvenue, où Eowyn rencontra de nombreuses personnalités importantes, parées, coiffées et serties de bijoux magnifiques, Éomer parut complètement perdu devant le nombre de couverts qu’il avait à disposition à sa place. Alcara, qui était assise plus loin, sourit en le regardant. Éomer paraissait incongru dans un tel endroit : sa tenue de roi était faite pour le climat froid du Nord, et sa grande stature, sa barbe blonde et sa coiffure un peu négligée évoquaient plutôt un guerrier habitué à monter sa tente de campement seul et à dormir avec ses chevaux, qu’un courtisan sophistiqué. Heureusement pour elle, Alcara avait l’habitude de s’adapter et montra plus de souplesse pour s'habituer à de nouvelles coutumes. L'élégance naturelle de son attitude, fruit de son éducation à Fondcombe, lui attira la sympathie de ses voisins de table, à qui elle raconta ses origines, et ils furent à leur tour fascinés de côtoyer quelqu’un qui connaissait la reine Arwen et le roi Aragorn. Elle jeta un œil à la grande table, et vit bien qu’à la fois Eowyn et Éomer voulaient faire bonne figure mais avaient plus de mal à entrer dans le moule gondorien. Mais Umiel, assise opportunément à côté d’Éomer, lui expliqua en se rapprochant le plus possible de lui, les choses à faire ou non.

Le soir venu, elle suivit Eowyn dans sa chambre où, comme tous les soirs, elle lui appliqua un onguent pour soulager le muscle de son bras encore endolori, et lui faire faire des exercices pour l’assouplir peu à peu. Elle serait rétablie pour son mariage, cela était certain, et elle repensa soudain avec nostalgie à Legolas, qui avait recouvré l’usage de son bras pour le solstice d’été, autrefois. Elle sortit de ses pensées quand on frappa à la porte : c’était Faramir, qui venait rendre visite à sa fiancée. Alcara sourit et prit congé, non sans demander en passant à Faramir s’il pouvait lui indiquer un endroit où installer son laboratoire. Et dès le lendemain, des serviteurs la guidèrent au rez-de-chaussée, dans une belle salle haute et claire, dont les fenêtres nombreuses donnaient sur une grande cour recouverte d’herbe et de parterres de fleurs.

Là, elle installa peu à peu ses produits et ses instruments, ainsi que ses livres, et écrivit à Aragorn et Arwen pour leur indiquer qu’elle allait créer une autre Maison de Guérison en Ithilien, et leur demandait l’autorisation de faire venir des guérisseurs quelques temps pour l’y aider.

Au bout de quelques jours, elle trouva ses repères : les écuries étaient plus lointaines qu’à Edoras, mais elle y conduisit Eowyn au petit matin, à l’insu de tous, et elles partirent dans les plaines verdoyantes au galop, en riant. Eowyn pouvait à nouveau chevaucher avec prudence, mais elle se sentit si heureuse de retrouver les sensations de la cavalcade, qu’elle oublia sa douleur et se sentit enfin heureuse de s’installer en Ithilien. A leur retour, elles regrettèrent pourtant cette échappée, car les responsables du protocole leur reprochèrent longuement cette escapade, disant que ce n’était pas digne d’une dame de haute noblesse. Mais Eowyn avait du caractère, et ne se laisserait pas enfermer dans les salons dorés du palais…

Dans l’après-midi, Alcara retourna à son laboratoire, espérant qu’elle aussi trouverait sa place et plus de liberté dans ces lieux qui pouvaient devenir étouffants. Concentrée, elle n’entendit pas tout de suite que quelqu’un toquait à la porte, et elle vit entrer Éomer. Elle se redressa, sentant son coeur battre la chamade, comme si on pénétrait dans son jardin secret. Elle devrait s’y habituer, car les guérisseurs de Minas Tirith arrivaient prochainement, Aragorn en ayant donné l’autorisation dès la réception de sa lettre. Éomer regarda les lieux avec curiosité. Il portait sa tenue d'entraînement, un pantalon plus ajusté, des bottes et une tunique de lin, s’habituant ainsi au climat plus doux du Sud. Il avait son épée à la ceinture, et un paquet dans sa main.

- Bonjour, lui dit-il simplement, sans sourire. Vous avez déjà installé votre repaire de guérisseuse ?

- Je ne voulais pas perdre de temps, en effet, répondit-elle simplement, ne relevant pas sa remarque impertinente. 

Décidément, il y avait toujours un froid entre eux deux.

- Ce sont des instruments bien étranges…dit-il en voulant toucher un ustensile en verre.

- Ils sont surtout très fragiles, dit-elle en s’approchant de lui et en s’interposant devant un alambic très précieux et très brûlant, qu’il ne fallait surtout pas toucher. Et il sont bien utiles pour Eowyn, son bras cassé est déjà quasiment guéri. Que me vaut votre visite ?

Éomer lui tendit son petit paquet, en disant :

- J’aimerais savoir si vous pouviez prendre cela.

Elle prit le paquet, le regardant avec interrogation, et souleva le mouchoir qui se trouvait dessus. Elle vit alors le petit œuf rouge, posé sur de la paille, dans une petite boîte en bois.

- Mais…vous me le rendez ? dit-elle avec une touche de déception dans la voix, qu’elle regretta aussitôt.

- Non, répondit Éomer en souriant, je vous le confie. Je vais m'entraîner juste ici, ajouta-t-il en désignant la cour par les fenêtres, et je risque de le casser.

Alcara fit une moue dubitative, en réfléchissant. Apparemment, il prenait bien soin de l'œuf depuis son arrivée. Mais il aurait pu le laisser dans sa chambre, et non pas le lui apporter. Pourquoi…

- Il a besoin de chaleur pour survivre, non ? ajouta-t-il, comme s’il devinait ses pensées. Ici, avec les grandes fenêtres ensoleillées, il restera au chaud tout l’après-midi. Ma chambre est trop ombragée, il aura froid.

Alcara sourit à sa remarque : l’imaginer garder l'œuf au chaud, en le bordant le soir dans sa petite boîte, était bien loin de l’image que renvoyait ce roi guerrier, un peu trop bourru pour les courtisans précieux du Gondor.

- Pourquoi ne pas le confier à un domestique ? lui demanda-t-elle.

Éomer la regarda comme si elle venait de dire une chose complètement stupide.

- Vous voulez que moi, Éomer, roi du Rohan, ayant combattu pendant la guerre de l’Anneau, je dise à un domestique que j’ai un œuf et qu’il doit s’en occuper ? Vous imaginez sa réaction, et celle des autres quand il l’aura répété à tout le monde ?

Elle soupira : en effet, cela ne paraissait pas être la meilleure des idées.

- Très bien, déclara-t-elle, mais vous devez le récupérer ensuite. Il est à vous.

- Je sais, confirma-t-il en repartant vers la porte.

- Éomer ? le rappela-t-elle, et il se retourna vers elle. Elle hésita, et ajouta : Je sais que cela parait ridicule, mais…c’est important que vous y croyiez, vous aussi.

Il fronça les sourcils, et hocha simplement de la tête avant de repartir. Alcara soupira : il ne serait pas facile de le convaincre.

Pourtant, tous les après-midis, il passa lui confier l'œuf, et s'entraîna dans la cour avec les Rohirrim. Ils étaient au milieu du palais, et Alcara vit bien rapidement que leur attitude détonnait : ils criaient, sifflaient leurs chevaux, riaient fort, et faisaient un boucan d’enfer avec leurs lances et leurs épées, piétinant allègrement la pelouse impeccable et les parterres de fleurs. Elle se demanda par quel miracle ils ne brisèrent pas quelques vitres. Elle vit à plusieurs reprises des domestiques ou des courtisans les regarder par les fenêtres avec désapprobation. 

Mais un jour très chaud du début de juin, elle entendit aussi des femmes rire et s’exclamer aux fenêtres et sous les colonnades. N’arrivant plus à se concentrer, elle regarda par la fenêtre en soupirant, et poussa une exclamation à son tour : tous les Rohirrim étaient torse-nu et s'entraînaient à l’épée, leur peau transpirant sous le soleil. Certains se désaltéraient même à la fontaine, qui normalement ne servait que pour la décoration. Alcara ne put s’empêcher de rire : finalement, les Gondoriennes appréciaient tout de même certains aspects de ces “barbares”, en particulier leurs corps parfaitement sculptés et musclés, dorés sous le soleil. Parmi eux, Éomer était le plus grand, on pouvait le repérer aisément, et ne manquait pas d’énergie.

Mais quelqu’un avait dû protester, car elle vit alors Faramir arriver en courant, interpellant Éomer avec des rires, et ce dernier s’arrêta pour l'écouter. Elle n’entendit que quelques exclamations étonnées, et elle vit Éomer regarder autour de lui et s’apercevoir de l'existence de ses nombreux spectateurs, et surtout spectatrices, dont quelques-unes applaudirent même. Il vit aussi Alcara, qui le regarda avec un sourire moqueur et tournait la tête de droite et de gauche comme par réprobation. Il dit alors quelque chose à Faramir, qui devait être qu’il finissait simplement son entraînement d’ici quelques minutes, car il continua encore un peu. Mais son public nombreux dut le perturber, car il se blessa légèrement au poignet avec une manœuvre délicate, qui demandait beaucoup de force. Il s’arrêta alors, descendit de cheval et tenta de bouger son poignet, qu’il avait dû tordre un peu trop, et retourna à l’ombre, sous quelques applaudissements qu’il salua d’un geste de la main.

Alcara le vit s'approcher du laboratoire, et elle se dirigea vers la porte, quand il entra. Il était avec un autre Rohirrim. Ils étaient toujours torse-nu, brillants de sueur et à la peau tannée par le soleil, et Éomer regardait son poignet droit, préoccupé.

- Vous qui êtes guérisseuse, lui dit-il , savez-vous soigner cela ?

Alcara les regarda avec un visage le plus impassible possible, mais elle ne put s’empêcher de voir leurs muscles ciselés et leurs peaux parsemées de cicatrices, et rougit malgré elle. Elle se souvint alors de Legolas quand elle l’avait soigné, et inspira un bon coup pour se concentrer sur sa mission de guérisseuse. Non pas de femme, mais de guérisseuse avant tout.

Éomer lui présenta son poignet, et elle le fit asseoir. Il congédia alors l’autre Rohirrim en rohirrique, qui repartit. Alcara avala sa salive, mais sentit qu’elle avait toujours les joues en feu, et se détourna pour aller chercher de quoi le soigner.

- Commencez par boire de l’eau, dit-elle en lui tendant un grand verre rempli à ras-bord. Vous ne devriez pas vous entraîner avec cette chaleur, vous allez avoir un terrible mal de tête.

Éomer but le verre d’un trait et le lui rendit en la remerciant. Elle examina son poignet, quand il gémit de douleur.

- Ce n’est pas très grave, conclut-elle, vous avez fait un faux mouvement. Je vais mettre une compresse froide, et un bandage.

En se retournant pour aller les chercher, elle vit un grand nombre de personnes qui se tenaient aux fenêtres du laboratoire, dans la cour, et regardaient ce qu’il se passait. Elle ouvrit un battant, et leur déclara que ce n’était pas grave, et qu’il n’y avait rien à voir, et referma la fenêtre. Mais certaines curieuses restèrent surtout pour admirer Éomer, et Umiel n’était pas la dernière.

- Par pitié, remettez une chemise, sinon elles vont rester jusqu’à la nuit, soupira Alcara.

- Cela vous gêne ? demanda Éomer en la regardant avec un sourire.

- Qu’elles se collent à la fenêtre comme des oiseaux devant des miettes de pain? Oui, cela m’empêche de travailler ! répondit Alcara, exaspérée.

- Je ne parlais pas de cela, répondit-il avec malice.

- Oh…

Elle baissa immédiatement la tête pour finir de mettre de l’onguent, la compresse froide puis le bandage, mais elle sentit avec horreur ses joues s’enflammer à nouveau.

- Ne soyez pas ridicule. Je suis une guérisseuse, pas une courtisane.

Éomer ne répondit rien, mais continua de sourire légèrement en l'observant du coin de l'oeil. Finalement, il prit la chemise qu’il avait récupérée en passant dans la cour, et la remit. Les spectatrices s’éloignèrent alors lentement.

- Je vous remercie, ajouta Éomer en se levant, avec une voix soudain plus froide. Je ne vous dérange plus.

- Vous ne me dérangez pas, mais…

Et elle soupira malgré elle, ce qui interloqua Éomer, qui allait récupérer le petit œuf.

- Demain, les guérisseurs de Minas Tirith vont arriver. Je veux que tout soit parfait pour construire la Maison de Guérison. Tout est à inventer à partir de rien…et je n’ai pas le temps pour…

- Pour regarder les bêtises des Rohirrim ? compléta Éomer avec un ton amer. Je sens bien que nous ne sommes pas comme eux, et que nos habitudes détonnent. Mais je ne changerai jamais cela pour faire plaisir aux Gondoriens. C’est notre façon de faire, et nous avons gagné la guerre, ce n’est donc pas si mal. Mais je vois que vous vous adaptez très bien à leurs us et coutumes.

- Éomer, répondit-elle, je suis désolée, je n’ai jamais voulu dire cela…

- Pourtant vous le pensez, non ?

- Absolument pas ! protesta-t-elle. Je ne supporte pas moi non plus leur protocole strict, figurez-vous, et tous les matins je m’en échappe avec Eowyn pour m’entrainer à l’épée et chevaucher hors de la ville. Mais figurez-vous que contrairement aux hommes, les femmes qui combattent sont scandaleuses, ici !

Il se tut, regardant la table devant laquelle il se tenait. Il avait l’air de réaliser que les femmes n’avaient pas autant de liberté.

- Je m’habitue aux Gondoriens pour Eowyn, ajouta-t-elle. Elle me permet d’ouvrir une Maison de Guérison et de rester auprès d’elle. C’est mon seul but, ma seule pensée. Ce qui m’horripile, c’est…

Elle soupira, mais resta silencieuse, alors qu’Éomer attendait la suite. Elle voulait dire “Ce sont toutes les femmes qui tournent autour de vous”, mais c’était tellement déplacé de dire une chose pareille, et qui était-elle pour le lui reprocher ?

Finalement, elle prit une fiole et la lui tendit :

- Voici de quoi soulager vos maux de tête, qui ne vont pas tarder à arriver après être resté si longtemps sous le soleil. Vous me remercierez plus tard, si vous y croyez et si vous le prenez.

Éomer sembla comme vexé : elle ne comprit pas alors, qu’il se sentait heurté qu’elle lui rappelle la méfiance qu’il avait manifestée auprès d’elle jusqu’à présent, pourtant elle s’amenuisait peu à peu.

Il la remercia simplement, et repartit. Alcara soupira à nouveau, et se demanda si un jour, leur incompréhension mutuelle allait se résoudre. Et elle vit sur la table qu’il avait oublié de prendre le petit œuf.

 

Les jours suivants, il ne la croisa plus, et partit s'entraîner dans une autre partie du palais, le matin cette fois. Elle ne savait même pas s’il avait pris le remède contre le mal de tête, et si son poignet allait mieux, car il ne passa plus la voir au laboratoire. Finalement, elle garda le petit œuf près d’une source de chaleur, qu’elle rapportait le soir dans sa chambre, même si elle se demandait si cela servait à quoi que ce soit. Il était décidément à la fois buté et têtu : pourquoi s’était-il offusqué ? Elle l’avait soigné, elle se montrait coopérative…que lui fallait-il de plus ? Peut-être que l'œuf, représentant ses pouvoirs magiques ponctuels et inexpliqués, lui faisait peur finalement ?

Elle le vit aux dîners souvent assis à côté d’Umiel, qui avait profité de la tension entre eux pour se rapprocher de lui. Décidément, aucun secret n’était possible ici, et Alcara se désola que leur dispute ait été connue si rapidement. Elle décida de se concentrer sur son travail, et les guérisseurs, de meilleure composition qu’autrefois car elle connaissait bien le roi Aragorn, l’aidèrent énormément à trouver des élèves, des soigneurs, des sœurs pour constituer la Maison de Guérison.

Une après-midi, Eowyn était en train d’essayer sa tenue de mariée, entourée de toutes ses dames d’honneur. Umiel et les autres étaient bavardes, racontant des anecdotes amusantes et donnant des conseils sur la façon de porter la robe, provoquant quelques soupirs de lassitude de la vieille couturière venue du Rohan qui marmonna des mots en rohirrique qu’il valait mieux ne pas traduire, faisant sourire Eowyn. Cette dernière vit aussi Alcara, qui restait en retrait, indifférente à la conversation, assise sur le rebord de fenêtre et regardant dehors. La princesse soupira en l’observant dans le miroir, pendant que la couturière ajustait sa manche. Elle repensait à la dispute entre son amie et Éomer, dont elle avait entendu parler, mais aussi à sa méfiance le soir du couronnement. Quel gâchis, elle avait pourtant espéré… Éomer, à force de s’isoler, finirait comme un roi solitaire et soupçonneux envers tous, et toutes. Quitte à se faire avoir par la première jolie dame venue…

Soudain, elle eut une idée.

- Alcara, lui dit-elle avec un air d’autorité, j’ai pris une décision pour le festin de mon mariage, et j’aurais besoin de toi.

Umiel et les autres se tournèrent vers Alcara, l’air étonné et méfiant. Alcara sortit de ses pensées et se tourna vers Eowyn, l’air interrogatif.

- Tu veux que je combatte à un tournoi ? demanda-t-elle en souriant.

Elles rirent ensemble de ce qui commençait à devenir une manie des célébrations royales.

- Non, même si je trouve l’idée excellente, répondit Eowyn en riant. Je pensais à autre chose. Vois-tu, avant la guerre, je dansais énormément. J’adorais cela. En Rohan, il y a beaucoup d’excellents danseurs, et des pas de danses complexes et entraînants, qui rendent nos fêtes joyeuses sur plusieurs jours. Il y a plusieurs danses dans le Gondor, mais les nôtres sont très différentes. Nous avons toujours une première danse nuptiale, effectuée par les mariés, sur un air lent et romantique ; puis une première danse de fête, beaucoup plus rapide et entraînante, de deux autres personnes, souvent les proches.

En voyant que ce qu’elle disait piquait la curiosité d’Alcara, elle ajouta d’un air royal :

- Éomer est un excellent danseur, pourtant il n’a pas beaucoup dansé depuis la guerre. Je souhaiterais donc que tu apprennes nos danses du Rohan, et que tu fasses, après ma première danse nuptiale avec Faramir, la première danse de fête avec mon frère.

Umiel se renfrogna immédiatement, semblant chercher à toute vitesse des arguments pour être choisie à sa place. Alcara se leva, et s'approcha d’Eowyn avec un air étonné :

- Tu souhaites que moi, en quelques jours, j’apprenne une danse traditionnelle, très complexe, seule avec Éomer et devant tout le monde, pour ton mariage?

- C’est bien cela, répondit Eowyn d’un air dégagé.

- Eowyn, dit Alcara, sentant son cœur battre la chamade d’inquiétude, je sais danser un ou deux pas elfiques, et une ou deux rondes, tout au plus ! Tu peux me demander de me battre en duel ou de trouver des remèdes miracles, mais cela, c’est au-dessus de mes capacités…

- Elle a raison, coupa Umiel en se levant et en s’approchant d’Eowyn à son tour. Princesse, au Gondor nous sommes très douées pour la danse, nous l’apprenons très jeunes. Pour votre honneur et votre image face à tous les autres royaumes, il serait préférable…

- J’aimerais qu’on ne discute pas ainsi mes ordres quand je les prends, en particulier pour mon propre mariage ! répliqua Eowyn en haussant le ton, les faisant taire.

Umiel resta interdite, on pouvait voir son inquiétude comme sa colère monter en elle. Quant à Alcara, elle se sentit affolée, et tenta tout de même un autre argument, à voix plus basse :

- Eowyn, tu le sais bien, Éomer se méfie de moi. Même s’il acceptait de danser, ce qui n’est déjà pas certain, il ne voudra jamais danser avec moi !

Elle était sûre d’avoir entendu distinctement Umiel chuchoter aux autres dames : “Cela, c’est certain!”

- Il le fera si sa sœur le lui demande pour son mariage, répondit Eowyn d’un air dégagé, en se regardant dans le miroir avec un air royal. Et toi aussi, par amitié envers moi. Peux-tu me donner ta parole ?

Alcara cherchait d’autres arguments à opposer, mais Eowyn répéta :

- Alcara ? Peux-tu me le promettre ?

En guise de réponse, la jeune femme poussa un soupir. Mais devant le regard vert et pénétrant d’Eowyn, qui ressemblait tant à celui de son frère et ne souffrait pas de refus, elle lui dit finalement :

- Très bien, je le ferai. Mais tu as tort : ce ne sera pas une réussite. Je ferai ce que je pourrai.

- Tu le feras, et même mieux que quiconque, l’encouragea Eowyn en souriant à nouveau, se retournant vers le miroir pour ajuster sa robe. Je connais ta détermination quand tu veux réussir quelque chose. Je te fais confiance, moi.

Et se tournant vers Umiel et les autres dames, elle ajouta :

- Pendant ce temps, j’aimerais que vous continuiez à broder mon voile de mariée. Nous sommes très en retard, il ne sera jamais prêt à temps.

Elle sous-entendait ainsi qu’elle ne voulait pas qu’elles soient présentes pendant la répétition de la danse. elles obéirent, mais on pouvait voir la rage faire bouillir Umiel. Et devant le sourire un peu inquiet d’Alcara dans le reflet du miroir, Eowyn lui adressa un clin d’œil.

La répétition de la danse eut lieu dès le lendemain dans la grande salle de bal où se déroulerait le festin, parée sur un côté de grandes et belles fenêtres donnant sur un patio fleuri : Eowyn menait elle-même les opérations, accompagnée d’Erindal, la gouvernante de la Maison royale, une vieille dame connaissant sur le bout des doigts les traditions du Rohan comme du Gondor, ainsi que des musiciens venus spécialement du Rohan.

Alcara était présente, ainsi qu’Éomer, mais aussi Faramir pour s’entraîner à la première danse, et deux maréchaux qui s’entrainaient habituellement avec Éomer, et enfin son écuyer.

Alcara et Éomer avaient un air sombre tous les deux. Éomer parce qu’il avait accepté du bout des lèvres pour faire plaisir à sa sœur, mais avait argué qu’il avait du travail et ne pourrait pas rester longtemps. Alcara parce qu’elle était agacée du comportement défiant d’Éomer, alors qu’elle estimait avoir donné suffisamment de preuves de sa loyauté. Elle avait remarqué qu’il ne portait plus son bandage au poignet.

Il fut décidé de commencer par l’entraînement de la première danse. Faramir, qui arborait depuis plusieurs semaines un grand sourire, s’y adonna de bon cœur, même s’il était encore un peu maladroit. Au rythme des musiciens, qui proposaient un air doux et poétique, les deux fiancés trouvèrent leur rythme et ne cessèrent d’éclater de rire.

Alcara, Éomer et les maréchaux étaient assis sur les bancs de la grande salle, sur le côté de la piste, Éomer et Alcara plus en retrait. Alors que les maréchaux commentaient avec entrain la danse des fiancés, la comparant à d’autres danses du Rohan, Éomer ne cessait de soupirer d’agacement.

- Tout cela est ridicule, vociférait-il. Avec toutes les lettres que je dois envoyer à Edoras, je vais perdre des heures à m’entraîner pour une minute de danse !

N’y tenant plus, Alcara se tourna vers lui, elle aussi à bout de patience :

- Personne ne vous a obligé à accepter, lui rétorqua-t-elle.

- Si vous connaissiez mieux nos traditions, vous sauriez que c’est au père de la mariée de faire la première danse de la fête, répondit Éomer avec un air de donneur de leçon qui exaspéra Alcara, qui croisa les bras. Comme nous n’avons plus de parents, c’est à moi de la faire, que je le veuille ou non. Mais vous, vous n’étiez pas obligée d’accepter.

- Vous êtes vraiment un frère admirable, lui répondit-elle en accentuant le dernier mot, avec toute l’ironie dont elle était capable. Si vous connaissiez mieux le protocole, vous sauriez qu’en tant que dame d’honneur, je n'avais pas non plus vraiment le choix.

- On court à la catastrophe, ajouta Éomer avec amertume. Moi, je sais bien danser, mais avec vous, nous allons nous ridiculiser.

- Ce n’est pas très différent des combats de tournoi, alors il me semble que je sais plutôt me défendre, rétorqua Alcara.

Et en se retournant vers lui, toujours les bras croisés, elle ajouta :

- Ce n’est qu’une question de confiance, après tout.

- Je fais confiance en moi-même, c’est déjà bien suffisant et cela me contente tout à fait, répondit Éomer en lui lançant le regard le plus noir possible.

- C’est votre sœur qui va être contente de l’apprendre, répondit Alcara en lui rendant son regard. Si ça n’avait tenu qu’à vous, et si je n’avais pas soigné votre cheval, vous auriez mené la charge de Fangorn à pied, en courant derrière votre eored !

- Nan mais…

- Éomer, Alcara ! C’est à votre tour !

Ils ne s’étaient pas rendus compte que l’entraînement à la première danse était terminé, tout occupés à se disputer à voix basse sur le côté de la salle. Quand ils se tournèrent en même temps vers Eowyn, elle leur lança un regard de réprobation, les joues en feu. Faramir semblait très amusé par la scène.

Alcara décroisa les bras, et le plus lentement possible, elle et Éomer se levèrent, avec la plus mauvaise volonté du monde.

Eowyn sentit que les débuts seraient difficiles, mais étant aussi entêtée que son frère, elle prit les choses en main.

“Il s’agit d’une danse où vous commencez côte à côte : au son du tambour, puis des violons, l’homme commence par faire ces quelques pas, puis la femme les imite.”

Eowyn traça au sol des pas de danse sautillants, où un pied puis un autre se plaçait devant, puis derrière. Le bras gauche était tendu en avant et recourbé, le bras droit en l’air, recourbé au-dessus de la tête. Elle regardait droit devant elle sans regarder ses pieds, avec beaucoup de grâce. Alcara commençait à sérieusement s’inquiéter.

“Nous allons commencer tranquillement, pas à pas. Alcara, place-toi à côté de moi, et regarde d’abord mes pieds, puis les tiens.”

Alcara s’avança, et en passant croisa le regard moqueur d’Éomer. Piquée au vif, elle ressentit le même aiguillon qui l’avait déterminée à combattre au tournoi du Gondor. Il allait bien voir…

Aux sons du tambour et du violon, joyeux et entraînants, Alcara s’appliqua à danser de la façon la plus sautillante possible. Dès le départ, elle comprit la cadence et commença à se remémorer les premiers pas. Les Rohirrim, familiers d’Éomer qu’ils connaissaient depuis l’enfance, applaudissaient ou tapaient des mains en cadence, ajoutant un peu de gaieté à cette situation tendue.

- Très bien, Alcara, tu apprends vite !

- C’est parce que j’ai appris à danser auprès des elfes, qui sont de très bons danseurs.

Éomer, qui avait supporté les elfes pendant la guerre mais ne les portait pas spécialement dans son cœur, eut l’air encore plus fermé qu’auparavant.

- Éomer, viens ici et refais ces pas, lui intima Eowyn. Nous allons vérifier que vous êtes synchronisés.

Éomer décroisa les bras en soupirant et vint lentement, en gardant la tête haute, certain de ses talents. Alcara dut se retenir de ne pas pousser un soupir exaspéré.

Lorsque la musique recommença, il fit immédiatement les pas dans le bon ordre, les mains dans le dos, avec beaucoup de rapidité, en regardant devant lui d’un air dégagé, comme s’il pouvait tout à fait danser et prendre le thé en même temps. Eowyn l’imita quelques instants après, pour montrer toute la première séquence de la danse.

“Parfait, à toi Alcara ! Mets d’abord les mains dans le dos, puis tu pourras les lever.”

La jeune femme se plaça à côté d’Éomer : au moins, elle n’avait pas à croiser son regard supérieur. Quand la musique reprit, Éomer refit les pas rapidement : Alcara réunit toute la concentration possible pour les observer attentivement et les imiter très exactement, tenant pour le moment les mains dans le dos.

“Très bien, encouragea Eowyn, continuez la musique!”

Alors que l’air entraînant recommençait en boucle, Éomer fit ses pas de plus en plus rapidement, comme pour provoquer Alcara. Mais très concentrée, elle se promit de ne pas le laisser l’emporter, et réussit à l’imiter malgré cette accélération. Les maréchaux et Faramir applaudirent Alcara spontanément. Cela sembla agacer Éomer, qui demanda à arrêter la musique.

“Voyons à présent si vous savez faire la suite", dit-il d’un ton irrité.

Alcara avait un petit sourire de victoire en coin : s’il voulait jouer à ce jeu, il n’avait pas fini d’être déçu!

Éomer et Eowyn présentèrent la suite de la danse. Mais elle était beaucoup plus difficile que le début : alors qu’il fallait seulement imiter l’autre, il fallait à présent le faire en même temps, et beaucoup plus vite. Les pas se succédaient aux rondes, où il fallait prendre la hanche de l’autre et tenir l’autre bras en l’air, tourner l’un autour de l’autre puis sur soi-même très rapidement, taper des mains en rythme et recommencer dans l’autre sens, puis se séparer, et refaire quelques pas…

Même les maréchaux, qui connaissaient eux aussi ces danses entraînantes, étaient perdus. Faramir émit un sifflement, signifiant qu’il était impressionné. Et le visage d'Alcara blanchit d’un coup.

“Faisons-le de nouveau, pas à pas, la rassura Eowyn. Alcara, viens le faire d’abord avec moi.”

Mais l’enchaînement des pas puis des rondes était déstabilisant, et Alcara perdit plusieurs fois l’équilibre, rattrapée par Eowyn qui en riait pour la rassurer.

Alors qu’Éomer poussait un soupir très bruyant pour signifier son impatience, Eowyn se tourna vers lui et, avec un air de défi, lui dit :

“Très bien, à toi de faire le professeur, Éomer. Guide Alcara à ton tour ! Après tout, c’est vous deux qui danserez ensemble sur cet air.”

Éomer la regarda avec un air meurtrier, comme un petit garçon qui voulait se venger de sa petite sœur. Plus personne ne disait rien, attendant la suite avec impatience. Sauf Alcara, qui aurait tout donné pour se trouver n’importe où, sauf en cet endroit.

Alors qu’Éomer se rapprochait d’elle pour la première ronde, elle plaça sa main sur son bras. Mais à cet instant, Erindal, la gouvernante, s’écria en rohirrique en faisant de grands moulinets avec ses mains, et enleva prestement la main d'Alcara.

“Que se passe-t-il? demanda Alcara un peu paniquée, qu’est-ce que j’ai fait ?”

Eowyn parla à la vieille gouvernante en rohirrique comme pour la calmer, et l’éloigna un peu du couple de danseurs.

“Ce n’est rien, dit-elle en revenant. Elle dit que selon les règles, tu n’as pas le droit de toucher le roi.”

Alcara haussa les sourcils en regardant Éomer, comme pour lui faire comprendre que si elle pouvait ne pas le toucher, cela valait mieux… Quant à Éomer, il la regardait toujours avec le même air excédé.

- C’est au roi de toucher sa cavalière en premier, expliqua Eowyn. Tu dois attendre qu’il te tende la main, et qu’il te guide.

- Très bien, dit simplement Alcara en soupirant, mais chacun avait bien compris qu’elle sous-entendait que ces règles étaient bien absurdes.

- Eh bien, ne perdons pas de temps, dit Éomer avec impatience. Suivez mes pas, qu’on en finisse.

Éomer lui prit vivement la main pour la tirer vers lui, et lui prit la taille, n’oubliant pas d’afficher un air excessivement dégouté. Alcara ne le regardait plus dans les yeux pour ne pas s’énerver, mais elle se sentit étrangement très gênée, à la fois de cette situation, des regards tournés vers elle, y compris des yeux verts et inquisiteurs d’Éomer, et de cette trop grande proximité avec lui. Pourtant, elle avait l’habitude de danser avec différents cavaliers… Quelque chose dans ce qui se dégageait d’Éomer était différent, et la troublait, peut-être sa respiration rapide, son visage si proche du sien, son odeur de santal...et la main d’Éomer sur sa hanche eut un léger tressautement, comme si la toucher lui faisait mal ou l’avait brûlé. Elle prit une grande inspiration, et se concentra sur ses pieds.

Quand la musique reprit, elle réussit à faire les premiers tours, tenant bon, alors qu’Éomer continuait de la mener plus fermement pour la diriger. Mais ne sachant où aller, elle finit par être étourdie des multiples tours sur elle-même, et marcha par inadvertance sur un des pieds d’Éomer, qui poussa un cri de douleur.

“Je suis vraiment désolée!” dit-elle immédiatement, alors qu’il l’avait lâchée pour s’éloigner en boitant.

Faramir tenta de cacher un fou rire dans ses mains, et Eowyn se prit le front en soupirant.

- Ce n’est pas grave, dit Eowyn, nous allons reprendre à…

- Non, cela suffit !

Éomer revint vers Alcara et Eowyn, plus énervé que jamais, le doigt tendu vers le ciel.

- Je ne veux pas devenir le bouffon de mon propre royaume ! J’ai perdu suffisamment de temps à me tourner en ridicule ! Faites vos petites répétitions entre vous, mais ne comptez plus sur moi !!

 

Et il sortit de la salle, en faisant claquer la grande porte en bois, et les maréchaux et l’écuyer, hésitants, finirent par le suivre. Alcara trouva qu’il réagissait de façon totalement disproportionnée pour un simple entraînement de danse. Eowyn, les joues rouges de colère, se lança à sa suite, en lui criant toutes sortes de reproches, qu’il s’agissait de son mariage à elle, que cela faisait partie de ses devoirs, etc. Ils entendirent encore quelques minutes le frère et la sœur se disputer bruyamment dans les couloirs. Pendant ce temps, la vieille Erindal continuait à morigéner des critiques en rohirrique qu’elle seule entendait, qui devaient encore concerner la bonne et la mauvaise conduite des femmes.

Alcara, les cheveux décoiffés par toutes ces rondes, remit ses mèches en place avec un regard défait. Elle s’en voulait d’avoir déçu Eowyn. Pour empirer encore la situation, elle vit à travers une fenêtre Umiel et les autres dames qui avaient suivi la scène au lieu de broder comme prévu, et qui s’éloignèrent dans le jardin avec des rires excessivement bruyants et moqueurs.

Mais heureusement, au même instant, Faramir éclata enfin du fou rire qu’il tentait de retenir jusqu’à présent. Il riait tant qu’il dut s’asseoir. Par réflexe, les musiciens se mirent à rire à leur tour et finalement Alcara elle-même se laissa prendre par le rire elle aussi, alors qu’un instant auparavant elle était si inquiète et si coupable.

Après quelques instants, Faramir se calma et parvient à lui dire :

- Ma chère Alcara, merci ! s’exclama-t-il. Je n’avais pas tant ri depuis très, très longtemps ! Et j’aurai une bien belle anecdote à raconter à nos amis du Gondor ainsi qu’à Gandalf.

- Merci beaucoup, répondit Alcara en faisant une petite révérence, telle une comédienne de théâtre. Je suis à votre disposition pour toutes sortes de divertissements !

Faramir se servit un verre d’eau et lui en offrit un, qu’il lui tendit. Elle lui en était reconnaissante, toute cette répétition l’avait desséchée.

- Ne t’inquiète pas trop, les Rohirrim ont un tempérament de feu, la rassura Faramir. Depuis le début des préparatifs du mariage, Eowyn est sur les nerfs pour que tout soit parfait. Elle craint de ne pas proposer un mariage à la hauteur de celui d’Aragorn et d’Arwen, alors que je sais bien que ce sera une célébration magnifique.

- Mais en ajoutant au dernier moment cette danse à apprendre en si peu de temps, elle ne s'est pas facilité la tâche, dit Alcara. Comment vais-je bien pouvoir faire? Éomer supporte à peine ma présence, et je connais seulement les danses calmes et mesurées des elfes.

Faramir l’observa et hésita avant de répondre, comme s’il se demandait s’il devait lui dire la vérité.

- Eowyn a ses raisons pour avoir proposé cela, répondit-il de façon évasive. Je pense notamment qu’elle aimerait profiter davantage de la présence de son frère avant de rester vivre définitivement ici. Après cela, ils ne se verront que très rarement.

Alcara finit de boire son verre en silence. En effet, Faramir était fin observateur, il comprenait bien sa future épouse.

- Et par ailleurs, ajouta-t-il, Éomer est très préoccupé par ses nouvelles responsabilités de roi. Il veut être digne de sa fonction et se met beaucoup de pression. Il veut que son peuple soit content de lui. Je le comprends, car moi-même je ressens ce même devoir de bien faire, envers Aragorn qui me fait confiance, et envers mon peuple.

- Mais Éomer a du mal à comprendre une chose, remarqua Alcara : ce n’est pas en faisant montre d’autoritarisme et de mépris envers des personnes comme moi qu’il parviendra à donner l’image d’un bon roi.

- Tu penses qu’il te méprise ? demanda Faramir en fronçant les sourcils.

- Cela me semble évident, non ? Il m’a regardée avec dégoût pendant toute la répétition, et n’a jamais cherché à m’aider. Il voulait montrer qu’il était meilleur que moi…

- Je ne pense pas que ce soit du mépris, répondit Faramir avec un petit sourire.

Alors qu'Alcara allait lui demander ce qu’il voulait dire, Eowyn revint, les joues roses et les cheveux décoiffés, plus calme après avoir déversé sa colère.

- Bon. Nous ne pourrons pas compter sur Éomer pour les répétitions. Mais après tout, dit-elle comme pour se rassurer, il connaît bien les pas, il saura les faire le moment venu.

- Eowyn, dit Alcara précipitamment, il faut demander à quelqu'un d’autre que moi de faire cette danse. Tu as d’autres dames d’honneur, elles connaîtront mieux…

- Non, répondit fermement Eowyn. Les dames d’honneur me sont imposées par le protocole. Ce ne sont pas mes amies, elles ne m’ont pas sauvé la vie dans le Gondor, et ne m’ont pas permis de connaître mon futur époux.

Alcara fut étonnée de sa franchise, elle n’avait jamais dit aussi clairement que leur présence l’agaçait, et qu’elles deux étaient déjà devenues des amies proches. Elle s’approcha d'Alcara et lui prit les épaules :

- Je veux que tu aies la meilleure place, pour te montrer toute ma reconnaissance, Alcara. Je te dois beaucoup.

Alcara, très touchée, sentit des larmes lui monter aux yeux, mais se retenait de toutes ses forces de les montrer.

- Je sais que tu es comme moi, ajouta Eowyn, tu es une guerrière. Tu m’as défendue contre les rustres de Dol Amroth, tu sais tirer à l’arc, et manier l’épée, même sur un cheval au galop. Nous allons tout de même réussir à te faire faire une petite danse, non ?

Alcara, les yeux brillants, hocha simplement de la tête. Eowyn avait une vraie force de caractère, qui forçait l’admiration. Une vraie reine.

- Alors maintenant, nous allons prendre les choses autrement, ajouta Eowyn. Nous allons préparer cette danse comme un duel.

Un duel contre Éomer ? Voilà une idée qui ne pouvait que séduire Alcara.

 

Tous les jours suivants, pendant plusieurs heures, elle s’entraîna comme jamais, avec Eowyn d’une part, et d’autre part seule, puisque la future mariée devait encore assurer de nombreux autres préparatifs. Alcara comprit une chose qui faisait toute la différence : comme au combat, quand elle parait les coups et tournait autour de son adversaire, elle devait trouver un point fixe où attacher son regard, et ne jamais le quitter. À partir de cette révélation, elle trouva son équilibre, et pouvait regarder devant elle, tourner aussi vite qu’elle le souhaitait, elle avait trouvé son repère. Dans la grande salle, déjà décorée pour le festin, elle choisit d'attacher ses yeux sur une grande branche de gui entourée de rubans colorés, accrochée à un lustre, ce qui lui permettait de regarder au-dessus des spectateurs et de ne pas être gênée par leurs regards le moment venu.

L’avant-veille du mariage, toute la salle était prête, même les tables étaient déjà dressées. Alcara, seule sur la piste à la lueur des chandelles, faisait une énième fois l’enchaînement complet en fredonnant l’air de la danse à voix haute. Pour avoir plus d’aisance, elle dansait pieds nus, avec une jupe de la même taille que sa robe de bal.

À la fin de la danse, elle soupira : ce n’était pas parfait, mais cela devrait sauver l’honneur. Soudain, elle sentit que quelqu’un l’observait depuis le jardin. Une silhouette s’approcha pour se montrer à la lueur des bougies : c'était Gandalf !

Il rit doucement et l’applaudit chaleureusement. Alcara, folle de joie, courut vers lui et le prit dans ses bras. Gandalf en rit de plus belle et lui rendit son accolade.

- Gandalf, je suis si heureuse !

- Ma chère Petite Aube, comme vous virevoltez ! lui dit-il avec un air affectueux. Vous me rappelez les danses des jeunes elfes au solstice d’été de Fondcombe !

- Je n’ai pas la même grâce, répondit-elle modestement. Je ne savais pas que vous alliez arriver si vite !

- Moi non plus, mon enfant, dit-il en s’asseyant à une des tables déjà décorées, Alcara s'asseyant en face de lui. Je devais arriver de Minas Tirith en même temps qu’Aragorn, qui viendra demain avec Arwen et une foule d’autres personnes. Mais les événements m’ont fait partir plus vite que prévu.

- Que se passe-t-il ? demanda Alcara, un peu inquiète.

- Rien d’aussi grave que la guerre de l’Anneau, fort heureusement, la rassura Gandalf. Mais nous avons encore des poches de résistances venus d’Isengard, présentes jusqu’à la Comté. Je dois trouver Éomer rapidement, pour envisager d’envoyer des renforts.

Après avoir observé Alcara, il lui demanda :

- Sauriez-vous où il se trouve ?

- Pas le moins du monde, répondit Alcara en jouant machinalement avec un des couverts de la table. Je ne l’ai pas croisé depuis des jours. C’est assez fréquent, il est très occupé.

- Vraiment ? dit Gandalf en haussant les sourcils, même pas aux dîners ?

- Pas toujours, répondit-elle simplement. La plupart du temps, il mange seul ou avec des maréchaux. Nous dînons avec Eowyn, ses dames d’honneur, Faramir et la cour d’Ithilien. Quelquefois je me demande même s’il ne mange pas en tête-à-tête avec son cheval !

Gandalf émit un petit rire bref, mais reprit son sérieux :

- Cela ne ressemble pas aux habitudes du Rohan. Elles sont simples, mais intangibles. Je me demande ce qui le préoccupe. Je lui en toucherai un mot.

- Ne le faites pas, Gandalf ! le supplia Alcara en se penchant vers lui à travers la table. S’il sait que je vous l’ai dit, il va encore davantage se méfier de moi ! Il croit que je tiens Eowyn sous mon influence magique et qu’il faut me surveiller avant que je ne fasse un mauvais tour !

- Tiens donc, remarqua Gandalf avec un petit sourire, il a bien raison, vous en êtes capable !

Alcara rit de sa plaisanterie, mais ajouta :

- Je suis sérieuse. Grima Langue de Serpent a laissé des traces. Depuis qu’il est roi, il n’accorde pas facilement sa confiance.

- En effet, confirma Gandalf. Merci de m’avoir prévenu, je lui parlerai avec doigté. Mais il n’a pas à vous traiter de cette façon : vous avez participé autant que les autres à faire gagner la guerre. Il doit apprendre en tant que roi à distribuer équitablement sa confiance, et à mieux traiter ses hôtes comme ses alliés. Je tâcherai de le lui faire comprendre, diplomatiquement !

- En parlant de confiance…commença Alcara.

Et elle confia à Gandalf l’histoire de l'œuf rouge. Cette histoire amusa beaucoup Gandalf, qui la trouvait délicate et joyeuse, à l’image de la jeune femme.

- Cela vous ressemble bien, fit-il remarquer. Après l’épisode des roses rouges à Fondcombe, et des Orques décimés par les eaux, la nature vous rend un nouveau service.

- Qu’est-ce que cela veut dire ? lui demanda-t-elle.

- Rien d’autre que ce que vous avez déjà deviné, répondit Gandalf. Si l'œuf parvient à éclore, alors Éomer vous aura accordé sa confiance. Où se trouve cet œuf à présent ?

- Dans mon laboratoire, près d’une source chaude, avoua Alcara. Éomer ne s’en occupe plus beaucoup.

- Cela peut prendre des années, quelquefois, pour qu’un œuf éclose, déclara Gandalf. Et Alcara espéra que cela ne prendrait pas si longtemps.

- J’espère qu’un jour, je comprendrai les origines de tous ces phénomènes, ajouta-t-elle, pensive.

- Ce sera le cas, je m’y emploie, promit Gandalf. Mais cela prend du temps, j’en suis désolé, chère Alcara. Le moment venu, je vous apporterai les réponses.

Gandalf se leva et Alcara en fit autant.

- Je suis heureux de vous retrouver, Petite Aube, et plus longtemps que je n’avais pu le faire auparavant. Allez prendre un peu de repos, pour profiter des festivités à venir !

Et alors qu’il s’éloignait, elle lui demanda :

- Gandalf, avez-vous besoin que je vous montre où sont les appartements d’Éomer ?

- Merci, je vais trouver, répondit-il simplement en s’éloignant dans les couloirs, son bâton brillant à la main pour lui ouvrir la marche.

 

Le lendemain, tous les convives arrivèrent en procession en Ithilien : les rues, décorées de multiples rubans et fanions de toutes les couleurs, leur ouvraient la voie joyeusement. Alcara, en haut du palais, observait les arrivées successives, et les cortèges qui remontaient les rues de la cité.

Sur l’esplanade du palais, Eowyn et Faramir accueillirent les invités, et Éomer, qui portait sa couronne et son habit officiel, avec une cape en velours vert légère en raison du temps estival, se tenait à côté d’eux. Eowyn et Faramir recevaient de nombreux cadeaux, des tentures, des coffres remplis de trésors et de richesses exotiques, et même des animaux : des faucons, des élevages et bien sûr, plusieurs chevaux pur-sang.

Quand Aragorn arriva avec Arwen avec une cour immense derrière eux, car Minas Tirith ne se trouvait pas loin, Alcara dévala les marches pour venir les saluer après le roi du Rohan et les fiancés. Au moment des présents, elle vit qu’Arwen offrait un petit coffret en argent sculpté à Eowyn, qui semblait très touchée par ce cadeau, mais Alcara n’entendit pas leur conversation dans la foule de l’esplanade.

Les retrouvailles avec Aragorn et Arwen furent très joyeuses : Arwen arborait à présent un ventre un peu arrondi, mais ne semblait pas avoir souffert du voyage. Alcara était heureuse d’avoir tant d’occasions de les retrouver, si peu de temps après la guerre.

Derrière eux, elle aperçut quatre petites personnes chevauchant des poneys, et devant lesquels chacun se prosterna avec beaucoup de respect. Remplie de joie, Alcara reconnut ses amis Hobbits, qui venaient de passer quelques jours chez Aragorn, et elle les accueillit avec beaucoup de chaleur.

Derrière eux, elle reconnut le prince Imrahil de Dol Amroth, qui la salua de loin. Il était avec un groupe nombreux, où elle reconnut avec dépit le jeune homme à qui elle avait donné une leçon au tournoi de Minas Tirith, mais il semblait être devenu plus réservé et discret. Elle resta néanmoins loin d’eux.

Une fois les invités accueillis, les festivités commencèrent par un déjeuner fastueux mais léger, pour continuer ensuite avec une pièce de théâtre sur l’histoire des Rohirrim, dans le grand jardin du palais, accompagnée par la musique des ménestrels. Alcara remarqua que peu d’elfes étaient venus, et se demandait si les départs vers l’Ouest continuaient. Elle se demandait aussi si Legolas serait sorti des Cavernes étincelantes à temps pour le mariage…

Étant les hôtes de marque, et suscitant la curiosité, Éomer et Eowyn étaient très sollicités, et Alcara ne pouvait guère s’en approcher. Elle espérait qu’Eowyn ne voulait pas donner une impression parfaite à Aragorn, et se mettre trop de poids sur les épaules. Elle passa donc la journée avec Gandalf, qui devait souvent s’éclipser pour parler aux uns et aux autres, et surtout avec les quatre Hobbits.

À la fin de la journée, ils se rendirent dans la plaine au coucher du soleil, pour assister à une démonstration des meilleurs dresseurs de chevaux du Rohan, venus pour l’occasion. Le cheval était le symbole des Rohirrim, puisque le fondateur du pays, Eorl, avait pu dresser Felarof, le roi des chevaux Mearas, les meilleurs chevaux du monde. C’est pourquoi on appelait aussi les habitants du Rohan les Eorlingas.

Alcara commença à sentir monter son inquiétude pour le festin du lendemain soir : elle n’aurait aucune occasion de parler à Éomer, et elle n’arrivait pas à savoir de la part de Gandalf ce qu’ils avaient pu se dire. Elle-même était là pour rassurer Eowyn si besoin, personne n’était donc disponible pour la rassurer, elle. Et si elle trébuchait au beau milieu de la danse, devant tous les seigneurs de la Terre du Milieu, finie la réputation de guerrière de tournois…

Alors qu’ils sortaient de la ville pour s’installer dans les tribunes, à la fin du long cortège et au milieu de la foule, quelqu’un retint son bras. En se retournant, elle n’en crut pas ses yeux.

“Legolas!”

L’elfe portait une magnifique tenue de fête, blanche et argentée. À côté de lui, Gimli portait une cotte de maille qui semblait émettre sa propre lumière. Leurs chevaux, derrière eux, portaient de nombreux sacs qui semblaient lourds.

Legolas, spontanément, la prit dans ses bras avec un grand sourire. Il sentait toujours les fleurs des prés et la forêt :

- Tu es là à temps ! s’exclama Alcara avec joie, et elle salua Gimli à son tour. Les Hobbits à côté d’elle sautèrent de joie et accueillirent les deux amis avec ferveur.

- Comment étaient les Cavernes étincelantes? demanda Frodon avec curiosité.

- Grouillantes de Gobelins, mais en effet étincelantes ! répondit Gimli. Nous avons rapporté pour vous tous, des trésors qui brillent !

Et en effet, par l’ouverture des sacs sur les chevaux, on voyait des objets scintiller dans le coucher du soleil.

Legolas, lui aussi, paraissait très content de s’être battu et d’avoir vécu de nouvelles aventures à leur exposer.

- Nous allons rentrer les chevaux et revenir ensuite tout vous raconter, dit-il. Puis, en prenant brièvement la main d'Alcara, il ajouta plus bas : j’aurai aussi un petit cadeau pour toi. Tu es resplendissante, ce soir.

Et il repartit vers les écuries : heureusement, la couleur rose du coucher du soleil dissimula le rougissement des joues d'Alcara après les paroles de Legolas.

Alors qu’elle se tournait vers les tribunes pour trouver sa place, elle vit qu’Éomer était en train de la regarder à travers la foule, mais il détourna rapidement le regard.

Le spectacle fut impressionnant : les lueurs du coucher du soleil ajoutaient une véritable magie aux démonstrations de rapidité et d’agilité des cavaliers. Ils parvenaient à tenir debout, à tourner autour de leurs selles, alors que les chevaux étaient au galop. Certains avaient appris à leur monture des tours de dressage, donnant l’impression de danser avec eux. L’ensemble des spectateurs furent conquis et acclamèrent longtemps les cavaliers : Aragorn semblait particulièrement s’amuser, et trouver là une ambiance moins pesante que dans l’atmosphère très protocolaire du Gondor.

Pippin dit alors à Alcara :

- Vous aussi, Dame Alcara, vous savez tirer à l’arc sur un cheval au galop ! Nous vous avons vu le faire à maintes reprises !

- Hélas, mon cher Pippin, répondit Alcara, les répétitions de la danse étaient si longues que je n’ai guère eu le temps de m'entraîner. Et entre la robe de danse et la tenue de cavalière, il faut choisir !

Elle aurait évidemment bien préféré faire des acrobaties à cheval que de danser avec Éomer…

L’ensemble des spectateurs remonta ensuite les rues de la ville vers le palais, quelquefois portés sur des chevaux, en particulier les dames. Une fois tous réunis dans la salle du festin et du bal, ils écoutèrent plusieurs discours protocolaires de bienvenue d’Eowyn et de Faramir en plusieurs langues, et Aragorn les remercia au nom de tous leurs alliés dans la langue commune. Le repas put ensuite commencer, fait de spécialités du Gondor, diverses et sophistiquées, mais fraîches et légères en raison de la chaleur de la saison : poissons de rivière, volailles et desserts aux fruits rouges et aux herbes fraîches.

Éomer, à la table des hôtes sur l’estrade, parlait à Aragorn ou à Gandalf en souriant, mais semblait un peu ailleurs. Alcara se disait que leurs conversations devaient devenir très formelles et ennuyeuses entre rois et personnalités, ils devaient faire plus attention à leur image qu’auparavant, même s’ils restaient très bons amis. Au moins, elle s’amusait davantage à la table des Hobbits, de Legolas et de Gimli : les autres demoiselles d’honneur étaient très perplexes face aux récits gais et parfois grivois de Merry, Pippin et Gimli, et Alcara tentait de ne pas trop rire à cette situation cocasse. Elles étaient aussi complètement fascinées par la beauté de Legolas, qui rayonnait dans son habit brillant, et qui portait, comme Alcara le vit ensuite, de nouveaux bijoux dans ses cheveux très blonds, mais aussi à ses poignets ou autour de son cou. Elles louchaient d’ailleurs aussi sur toutes ces pierreries…Legolas et Gimli racontèrent leurs aventures avec tant d’énergie, que les tables alentour écoutèrent elles aussi leur histoire, et réagirent avec des rires, des exclamations et des sifflements impressionnés. En jetant un œil à la table royale, elle put apercevoir qu’Éomer cherchait à écouter leur histoire, ainsi qu’Aragorn, et elle craignit que Legolas et Gimli ne volent la vedette au roi. Mais elle ne s’était pas amusée ainsi depuis longtemps, et profita de sa chance.

C’est alors que débuta le premier bal, qui devait se finir plus tôt que celui du lendemain, pour laisser les fiancés se préparer au mariage. La musique fut immédiatement joyeuse et stimulante, et tous les convives se mirent à danser simultanément, les fiancés les premiers, sous les hourrah et les claquements de main en rythme des convives. Si les Gondoriens évoluaient sur la piste avec élégance et lenteur, les habitants du Rohan invités pour l’occasion étaient plus spontanés et apportèrent beaucoup d’énergie et de joie à des danses qui seraient sinon, restées trop guindées. Alcara n’avait pas très envie de danser, car cela lui rappelait avec inquiétude la danse du lendemain. Mais les Hobbits la tirèrent vers la piste de danse, elle se leva donc de bonne grâce pour les accompagner. Même Gandalf vint faire quelques pas de danse avec eux, ainsi que Gimli, ce qui fit beaucoup rire Alcara et les autres demoiselles d’honneur. Même Umiel, distante et de plus en plus froide avec elle, dansa avec bonne humeur, et Alcara ne put s’empêcher de la voir tourner très souvent autour de Legolas, en regardant ses pierreries et en l’incitant à danser davantage avec elle. Mais Legolas, d’un naturel détaché, ne la connaissait pas et resta éloigné d’elle. Quand il proposa à Alcara de danser avec lui plutôt qu’avec Umiel, elle lui lança un regard tellement assassin qu'Alcara se demanda si elle cachait un poignard dans son décolleté.

Au milieu de la foule de danseurs, Alcara s’amusa beaucoup, et dédramatisa la situation avec Éomer, même s’il restait à table en grande conversation avec d’autres invités, comme si personne ne dansait face à lui. Il était difficile de croire qu’il était si bon danseur, il ne dansait jamais aux bals depuis la fin de la guerre… Elle se sentit presque vexée d’être tant ignorée par le roi, mais cette sensation passa vite quand elle croisa Faramir et Eowyn qui lancèrent une farandole. Faramir, en passant devant Alcara, la prit par la main pour la faire tourner sur elle-même puis l'entraîner à leur suite, et elle traversa la salle en riant avec les autres danseurs. Elle prit elle-même par la main un autre danseur au hasard, qui s’avéra être Legolas. Les demoiselles d’honneur s’empressèrent de prendre sa main à leur tour, et quasiment tous les autres danseurs les rejoignirent au fur et à mesure. La farandole partit à l’extérieur du palais, en descendant les marches vers le jardin, guidés par Eowyn. Après plusieurs tours entre les arbres, puis de nouveau sur l’esplanade à l’avant, et de nouveau à l’arrière du palais, Alcara, essoufflée, lâcha la main de Faramir alors que d'autres danseurs reconstituaient la farandole, et elle s’assit sur un banc en pierre du balcon qui donnait sur le jardin, à l'arrière de la grande salle.

Alors qu’elle sortait de sa manche son éventail, Legolas, qui avait lâché la file dansante en même temps qu’elle, s’assit à sa gauche. Ils rirent en même temps alors qu'Alcara s’aérait d’abord elle-même, puis lui fit du vent à lui aussi avec son éventail.

Après une pause silencieuse, elle lui dit :

- Toutes vos aventures dans les cavernes étincelantes étaient épiques, toi et Gimli avez beaucoup impressionné les autres invités. Aragorn doit être jaloux de vos péripéties !

- Notre pauvre Aragorn est bien occupé par ses devoirs de roi, et de futur père ! dit Legolas en souriant. Mais en effet, il était très jaloux.

Et ils rirent de nouveau. Après un moment, Legolas la regarda en souriant, et chercha dans sa poche une boîte en bois sculpté, qu’il lui tendit.

- C’est pour toi, Alcara.

- Mais je n’ai pas besoin de cadeau ! lui dit-elle avec un petit sourire en coin.

- Je le sais, mais je voulais t’offrir quelque chose pour ton anniversaire.

Alcara se sentit rougir : en effet, elle ne s’était pas aperçue, avec tous ces événements, que ce jour était aussi son anniversaire. Pas exactement le jour de sa naissance, qu’elle ne connaissait pas précisément, mais le jour donné par Gandalf quand il l’avait apportée, encore nourrisson, à Fondcombe. Elle fut touchée que Legolas s’en souvienne.

Elle prit la boîte et l’ouvrit, et ne put s’empêcher de pousser une exclamation : c’était un pendentif. Une chaîne en argent, ou en or blanc, et au milieu, une pierre précieuse scintillante, taillée en ovale.

- C’est un diamant, expliqua Legolas. En explorant les Cavernes étincelantes, nous avons retrouvé les anciens trésors des rois Nains, et je pense que ce joyau a une histoire très particulière, car son aura est tout à fait unique.

- Merci Legolas, dit Alcara avec émotion, je suis très touchée. Il est vraiment magnifique. J’ai tendance quelquefois à oublier que tu sens aussi les auras des choses et des gens !

- En effet, et j’ai senti que ce joyau devait te revenir.

Il aida Alcara à mettre le pendentif autour de son cou. Ses doigts effleurèrent sa nuque, et elle ne put s’empêcher de frissonner à ce contact.

- Tu as froid ? demanda innocemment Legolas.

- Non, répondit timidement Alcara, en évitant son regard d’un bleu intense. Je repensais seulement à un souvenir.

Legolas ne répondit rien : évidemment, leur relation n’était pas si ancienne. Un an auparavant, à Fondcombe, ils étaient toujours proches, et avaient souffert de devoir se séparer. En se retrouvant, Legolas avait tenu sa parole : il l’avait prévenue qu’il serait toujours un guerrier sur les routes, et qu’il ne pouvait pas demeurer en un seul lieu. Alcara avait eu du mal à l’accepter à l’époque. Tout cela paraissait loin, à présent.

- Prends cela pour un témoignage de mon amitié pour toi, lui dit Legolas. Quoi qu’il arrive, je serai là pour te soutenir, à tout instant.

Malgré sa parfaite fidélité à sa parole et à ses devoirs, Legolas paraissait encore troublé de l’avoir à côté de lui, et de se plonger dans ses grands yeux bruns pleins de douceur. Elle semblait avoir grandi, et mûri, et devenir une femme à part entière. En cette nuit d’été, le diamant à son cou la faisait resplendir plus que jamais, comme si elle nourrissait le bijou avec sa propre lumière.

- Tu es vraiment unique, Alcara, ajouta Legolas en la regardant. J’ignore où te mènera l’énergie qui est en toi, mais je pressens que ta route ne s’arrêtera pas ici.

Alors qu’elle allait lui dire qu’elle le pressentait elle aussi, et que quoi qu’il arrive, elle serait toujours là pour lui comme lui pour elle, elle entendit un bruit de pas derrière eux. En se retournant, elle n’eut que le temps de voir un bout de cape légère, vert et or, flotter au vent du soir. 

 

Chapter 21: Insomnie

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Insomnie

Musique à écouter sur ce chapitre :

Je pense que c'est l'un des chapitres que j'ai le plus aimé écrire, court mais intense ! On peut sentir l'électricité dans l'air ! J'espère que vous l'apprécierez !

Elle savait qu’elle devait se lever tôt le lendemain, pour s’habiller, se coiffer et aider Eowyn à se préparer, mais elle eut beaucoup de mal à s’endormir. Le mariage aurait pu finir ce soir, par une belle danse et son tête-à-tête avec Legolas, cela lui aurait largement suffi. Et s’il avait cherché à être plus entreprenant ce soir, elle ne se serait pas dérobée…le temps d’été et la douceur de la fête prêtaient à l’amour.

Ne trouvant pas le sommeil, elle mit sa robe de chambre et partit chercher un peu d’eau dans les cuisines et un peu de fraîcheur dehors. Toutes les salles étaient pleines d’invités endormis, elle se faufila donc le plus discrètement possible dans les couloirs.

En arrivant dans les cuisines, elle se servit dans un grand tonneau, et ne se rendit pas compte qu’elle n’était pas seule : en voyant une silhouette de l’autre côté de la salle, elle sursauta et renversa de l’eau sur ses cheveux et sa robe. En étouffant un juron elfique, elle chercha de quoi s’essuyer.

- J’ignorais que les elfes savaient jurer, eux aussi.

En relevant la tête, elle vit avec plus de précision la personne qui lui adressait la parole : c’était Éomer.

Il avait un verre à la main, et portait une tunique de lin et un pantalon léger, qu’il avait mis sous son habit de roi dans la journée, il n’était donc pas en tenue de nuit. Contrairement à Alcara, qui ne savait plus où se mettre.

- Je ne suis pas la seule à avoir du mal à dormir, dit-elle pour cacher son embarras. Il fait chaud, cette nuit.

- Cela fait plusieurs semaines que j’ai du mal à trouver le sommeil, répondit Éomer, en s’appuyant contre le mur de pierre et en l’observant de son perpétuel œil inquisiteur, d’un vert brillant.

- Vous avez beaucoup de responsabilités maintenant que vous êtes roi, c’est tout naturel.

- Oui, sûrement, répondit-il de façon lapidaire.

Un long silence s’installa entre eux. Éomer la fixait toujours intensément, et Alcara ne comprenait pas pourquoi il ne bougeait pas, ne prenait pas congé, et laissait s’installer ce malaise. En regardant ailleurs, cherchant une excuse pour s’en aller, elle finit par aborder le sujet problématique :

- Je suis prête pour la danse de demain, dit-elle d’un ton désinvolte, en jouant avec une cuillère en bois qui traînait là.

- Tant mieux, répondit-il toujours aussi simplement, ce qui commença à agacer Alcara. Il paraît que vous vous êtes beaucoup entraînée, ajouta-t-il finalement, en regardant le verre qu’il portait à la main.

- En effet, comment le savez-vous ? demanda-t-elle, intriguée.

- Il suffit de vous écouter parler pendant les festins, répondit-il, toujours en regardant son verre, vous le racontez sur tous les toits.

Alcara, vexée, lui rétorqua :

- Je ne savais pas que mes sujets de conversation passionnaient le roi du Rohan. Et je ne savais pas non plus que vous m’entendiez parler depuis l’estrade, alors que vous devez avoir des sujets beaucoup plus importants à évoquer avec les grands de ce monde.

Tout en parlant, elle ne se rendit pas compte qu’elle faisait tourner la cuillère en bois de plus en plus fort, finissant par la faire tomber au sol.

Éomer s’approcha d’elle pour la ramasser. En se relevant et en la déposant de nouveau sur le comptoir, il la regarda et murmura :

- J’ai des oreilles partout.

Il était tout près d’Alcara, à présent. Un peu trop, même. Elle pouvait deviner, à travers la tunique, les muscles dessinés de ses bras et de son torse, sentir son odeur de santal, voir en détail sa peau un peu tannée par le soleil, et les nuances de blond doré de sa barbe et de ses cheveux. Les nattes fines de sa coiffure étaient ornées de petits bijoux simples, en or et en ivoire.

- Vous avez un beau pendentif, remarqua-t-il en baissant les yeux sur son cou.

Elle l’avait gardé sur elle, sans s’en apercevoir.

- C’est un cadeau, expliqua-t-elle. C’était mon anniversaire aujourd’hui.

Éomer la fixa de nouveau au fond des yeux. Son attitude était très énigmatique pour Alcara, car il ne laissait paraître aucune émotion, bonne ou mauvaise. Avec le même flegme, il se retourna vers le comptoir, versa du vin dans son verre, et le lui tendit.

- Dans ce cas, bon anniversaire.

Alcara hésita un instant, puis le prit sans le boire. Cette situation la dérouta complètement, elle ne sut pas quoi faire et sentit son pouls s’accélérer. En soupirant, elle finit par lui dire :

- À quoi jouez-vous ? Vous vous méfiez toujours de moi, ou vous me souhaitez un bon anniversaire comme si de rien n’était ?

Éomer sembla un peu étonné de sa question, ou de sa réaction, et comme s’il s’était aperçu de la situation, il soupira et s’éloigna d’elle, en prenant un autre verre qu’il remplit de vin.

- Vous ne voulez pas me répondre ? ajouta-t-elle en commençant à perdre patience. Comme d’habitude, vous m’ignorez et vous me méprisez ?

Il but son verre de vin d’un trait et, sans plus la regarder, le posa et se dirigea vers la sortie.

- Je ne vous méprise pas. À demain pour la danse. Passez une bonne nuit.

Et il sortit de la cuisine. Alcara se sentit furieuse et contint un cri de rage : il était vraiment au-delà de l’exaspérant, incompréhensible et lunatique. Faisait-il exprès pour la déstabiliser ? Pour la percer à jour, comme si elle était une seconde Grima Langue de Serpent ?

Comme par défi, elle fit tomber à nouveau la cuillère en bois, et vida son verre de vin dans la carafe. Elle n’avait pas besoin qu’il lui souhaite son anniversaire !

Elle regagna sa propre chambre un moment plus tard, toujours aussi énervée contre lui. Mais soudain, elle se souvint de ce que lui avait dit Faramir, et elle ne sut quoi penser :

« Je ne pense pas qu'il te méprise. »

Prise d’un doute, elle sortit de sa chambre et courut jusqu’à son laboratoire. Sur la table, le petit œuf avait disparu, mais à la place, le bandage qu’elle avait mis au poignet d’Éomer était posé, précautionneusement plié. 

 

Chapter 22: La Danse

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La Danse

Enfin, l'une des étapes les plus importantes de l'histoire ! !! C'est un tournant, et je l'ai écrit avec cette musique exactement, alors s'il vous plaît, écoutez la musique et ensuite, lisez l'histoire !

Alors que le soleil se levait de très bonne heure, en ce matin estival, Alcara fut soulagée de sortir enfin de sa chambre. Elle s'habilla et se dirigea vers la suite d'Eowyn, où la servante lui ferait la coiffure des demoiselles d'honneur.

En arrivant à son étage, elle aperçut Faramir, qui regardait d'un air absent par la fenêtre. Il ne l'entendit même pas arriver à côté de lui.

- Tiens, Alcara! dit-il d'un air lointain. C'est une belle journée, non ?

Alcara le regarda en fronçant les sourcils. Quelque chose n'allait pas.

- Tout va bien, Faramir ?

Il la regarda, et tout à coup, poussa un gros soupir en s'appuyant à la fenêtre avec des bras tremblants. Alcara lui prit un bras pour le guider vers un banc du couloir et l'obliger à s'asseoir.

- Tu fais un malaise ? Tu veux un peu d'eau ?

Alors qu'elle touchait son front pour vérifier qu'il n'était pas souffrant, il secoua la tête pour dire non, et soupira à nouveau en se passant la main sur le visage.

- Ce n'est rien, ce...

Et en ayant plus de mal à respirer, il retint un sanglot en disant :

- J'aurais aimé que Boromir soit là.

Alcara ne sut quoi dire : elle posa un bras sur son bras en s'accroupissant à côté de lui, alors qu'il cherchait toujours à retenir son sanglot.

- Oh, Faramir, je comprends...il aurait été très fier de toi. Tu as participé à nous délivrer de l'Anneau, et tu vas devenir roi en Ithilien, et restaurer la grandeur du Gondor. Je suis sûre que son esprit sera parmi nous aujourd'hui.

- Personne de ma famille ni de ma lignée ne sera là aujourd'hui, dit-il en laissant finalement s'échapper ses larmes. Mon père préférait Boromir et a voulu me sacrifier pour le Mordor. Je n'ai plus grand chose à offrir.

- C'est faux, Faramir ! Tu es issu d'une famille prestigieuse, et tu seras fidèle à tes ancêtres. Et ton père s'est rendu compte de l'amour qu'il avait pour toi avant de mourir.

Mais Faramir avait pris son visage dans ses mains et pleurait abondamment à présent.

- Je pourrais te dire de ne pas pleurer, mais il est bon quelquefois de laisser les larmes couler, ajouta doucement Alcara, en lui caressant le bras pour le réconforter. Tu sais, Eowyn non plus n'a plus beaucoup de famille, elle n'a plus qu'Éomer, et bientôt ils vivront loin l'un de l'autre. Vous êtes des survivants de la guerre, et vous aiderez à reconstruire la Terre du Milieu. Mais pour cela, il faudra faire le deuil du passé, ce sera long et difficile, mais vous y arriverez tous les deux, car vous vous aimez profondément l'un et l'autre.

Les larmes de Faramir se calmèrent peu à peu, et elle continua à lui parler pour le consoler :

- Je me souviens de votre première rencontre, je n'avais jamais vu cela de ma vie. L'amour au premier regard ! On vous aurait crus sortis d'une enluminure de chevaliers. La rencontre qui forge un destin.

- Eowyn était si belle, dit Faramir en souriant et en essuyant les larmes de ses joues. On aurait dit une fée descendue du ciel.

- C'est vrai, acquiesça Alcara, elle était la guerrière victorieuse du Pelennor, et déjà une reine en devenir. Vous avez beaucoup de chance de vous être trouvés.

Faramir soupira, et prit la main d'Alcara, posée sur son bras, dans sa main.

- Merci, Alcara. Tu es une amie chère à Eowyn, et tu es devenue également mon amie.

Alcara sourit et ajouta :

- Et encore, tu ne m'as pas vue danser !

Cette remarque fit rire Faramir :

- C'est vrai que j'avais beaucoup ri pendant la répétition, je suis désolé.

- Tu n'es pas du tout désolé...

- Non.

Et ils rirent de nouveau.

Faramir se leva finalement, et aida Alcara à se relever également. Il aperçut alors son pendentif en diamant.

- Quel beau collier!

- Merci, dit-elle en se penchant pour le regarder. C'est un cadeau.

- De la part de qui?

Et elle se rendit compte qu'Éomer, la nuit dernière, ne lui avait pas posé cette question.

- De...Legolas et Gimli, après leurs aventures aux cavernes étincelantes.

- C'est vrai qu'ils sont revenus chargés de cadeaux, dit Faramir en souriant. Je crois qu'Eowyn en a reçu un certain nombre!

Alcara sourit, mais resta dans ses pensées. Au bout d'un moment, Faramir lui dit :

- Alcara, tu penses beaucoup aux autres, et nous en sommes tous très heureux. Mais si je peux te dire quelque chose...

Elle fronça les sourcils, attendant la fin de sa phrase :

- Tu sembles être désabusée, de l'amour en particulier. Mais il ne faut pas. Reste ouverte à l'amour, et je pense que tu le trouveras plus vite que tu ne le penses.

- Je n'ai pas vraiment la tête à cela en ce moment, répondit Alcara. J'ai eu une expérience plutôt...douloureuse. Et je ne veux plus souffrir ainsi.

- C'est quelquefois le prix à payer, mais ça en vaut la peine. Reste attentive.

Alcara ne comprenait pas pourquoi Faramir lui donnait un tel conseil. Il lui prit les mains avec enthousiasme et ajouta:

- Merci ! Maintenant, le mariage peut commencer. Je vais me préparer. 

Et il partit, laissant Alcara perplexe. Encore perdue dans ses réflexions, elle rejoignit Eowyn.

La cérémonie du mariage était prévue dans le temple qui jouxtait le palais. Il était surchargé de rubans blancs et de fleurs de la même couleur, qui dégageaient un parfum enivrant. Alcara arriva en cortège derrière Eowyn, dont la robe de mariée était splendide : sur le modèle des robes traditionnelles, elle représentait des chevaux et des arabesques, qu'on apercevait par un jeu subtil de broderies plus ou moins blanches sur sa robe immaculée. Elle était recouverte d'un grand voile blanc en dentelle, sous lequel brillait une magnifique couronne en or et en émeraude, qui lui allait parfaitement en faisant ressortir ses yeux verts et sa peau pâle. Ses cheveux d'un blond vénitien étaient tressés en torsades complexes. Alcara et les autres demoiselles d'honneur portaient les mêmes motifs de tresses dans les cheveux et des couronnes de fleurs et de rubans blancs où étaient piquées de petites émeraudes. Legolas et Gimli avaient vu les choses en grand...et à la différence d'Eowyn, elles avaient une robe vert émeraude d'un velours léger, bordée de blanc.

Alcara dut se retenir de ne pas pleurer pendant le mariage : la confiance qui se dégageait du couple était incroyable, ils ne se quittaient pas des yeux et semblaient se faire un serment pour l'éternité. Alcara n'avait pas été aussi émue depuis très longtemps, oubliant que ses émotions les plus fortes avaient des conséquences.

Mais cette fois, cela eut un effet magique beaucoup plus positif : en sortant du temple, une mystérieuse pluie de pétales blancs descendit du ciel sur les mariés. Elle crut, comme les autres convives, qu'il s'agissait d'un sortilège de Gandalf. Mais ce dernier, en l'observant avec un sourire en coin, savait qu'il n'y était pour rien.

Après la cérémonie commencèrent plusieurs festivités : un tournoi auquel elle ne put participer en raison de ses entraînements à la danse du soir, des pièces de musique et des démonstrations d'acrobates et de jongleurs. Mais Alcara s'impatientait et regardait les minutes défiler avec une lenteur insoutenable. 

Musique à écouter pour la danse des mariés :

Le dîner dura longtemps, mais elle mangea très peu et s'absenta plusieurs fois, cherchant à calmer son inquiétude en s'isolant un peu. Elle dut alors abréger son repas pour monter se changer dans sa chambre avant la danse. Finalement, avant le dessert, les invités quittèrent la partie de la salle où se trouvaient les tables pour avancer devant la piste de danse, où les musiciens étaient déjà en place.

En redescendant depuis le couloir où elle s'était isolée, elle entendit la rumeur des invités qui se regroupaient. Après les mariés, ce serait à son tour, devant les personnes les plus puissantes de la Terre du Milieu, et même, et elle se détesta d'y penser en cet instant, devant Umiel qui ne se priverait pas de la moquer...elle se faufila dans le couloir qui se trouvait derrière la grande salle, où elle pouvait observer la scène à travers le rideau en velours bleu foncé et or, brodé de l'arbre blanc du Gondor, derrière l'estrade des musiciens : elle était très nerveuse.

Alors, comme pour lui envoyer un signe, Arwen sortit de la salle et vint la voir.

- Je savais que tu serais ici, lui dit-elle en elfique.

- Tu devrais aller voir la danse des mariés, lui dit Alcara dans la même langue, en souriant.

- Je préfère être avec toi, répondit simplement Arwen.

Elle tira elle aussi légèrement le rideau, et vit le couple de mariés se mettre en place sous les applaudissements. D'où elle se trouvait, Alcara pouvait observer discrètement tous les invités : Aragorn, à côté de Legolas et de Gimli, qui discutaient en regardant la danse et se souriaient, ressemblant encore aux guerriers du Gouffre de Helm. Gandalf et les Hobbits, heureux et rassurés de cette période de paix.

En tournant un peu la tête, elle vit ensuite Éomer, debout à côté d'Aragorn. Il ne parlait avec personne, et regardait chaque pas de danse des mariés avec concentration, comme s'il se préparait lui aussi à la danse suivante. Il n'avait pas l'air très à l'aise, lui non plus.

- Tu sais qu'Aragorn et Éomer parlent de devoir faire à nouveau la guerre? lui dit Arwen.

- Oui, acquiesça Alcara. Gandalf m'en a dit quelques mots en arrivant.

- Il paraît que la Comté serait menacée, ajouta Arwen. Heureusement, les Semi-Hommes ont tout de même pu venir ici.

- Mais ce n'est pas aussi grave que la guerre de l'Anneau ?

- Non, confirma Arwen, mais toute guerre est terrible, et ils risquent toujours leur vie à chaque bataille.

Alcara se sentit soudain inquiète à cette idée : en effet, même sans Sauron et sans Nazgûl, toute bataille pouvait être fatale. Elle se demanda ce qu'elle ressentirait à l'annonce d'une mauvaise nouvelle, la mort de Faramir, d'Aragorn ou même d'Éomer...et cela lui fit un coup qu'elle n'avait pas prévu.

- Il faut profiter de tous les instants joyeux que la vie nous offre, ajouta Arwen en la regardant avec douceur. Ce soir est un de ces moments. Ils partiront avec, dans leurs cœurs, le souvenir de ces épisodes de rire et d'amour.

Alcara ressentit alors la danse à venir sous un nouveau jour : elle y vit une mission, celle de gonfler les cœurs des guerriers de confiance et d'énergie, pour les temps plus sombres à venir.

- Un autre sujet revient souvent dans leurs conversations, ajouta Arwen.

- Vraiment, lequel ?

- Le mariage d'Éomer.

Alcara regarda la danse des mariés sans répondre, mais ses pensées tournaient à vive allure : elle imaginait Éomer en tenue de mariage à la place de Faramir, qui souriait à... à qui, en réalité?

- Éomer est le roi du Rohan, à présent, un grand héritier. Il doit rapidement choisir une épouse et créer des alliances, potentiellement avec d'autres royaumes.

Et là, elle vit à la place d'Eowyn, une femme inconnue, une princesse de Dol Amroth, par exemple, à la peau mate des terres du Sud, et aux yeux bleus des descendants des Elfes de Belfalas...ou peut-être même Umiel, si elle arrivait à ses fins.

- Pourtant, il ne semble pas très empressé de se trouver une épouse. Nombreuses sont les jeunes femmes de haute lignée venues pour la fête, et pourtant il ne parle, ni ne danse avec aucune. C'est assez inhabituel.

- Pourquoi fait-il cela, selon toi? dit Alcara dans un souffle, en fixant Éomer parmi les spectateurs.

- En général, on ne cherche pas à l'autre bout de la Terre ce qu'on a déjà trouvé près de soi.

Pourquoi lui disait-elle cela ? Elle ne pouvait pas tout de même pas parler d'Umiel. Ou alors elle parlait de...

Alcara crut sentir sa respiration et son coeur s'arrêter en même temps. Elle regarda Arwen, qui lui fit un grand sourire plein de douceur. Tout à coup, elle n'entendit plus ni la musique, ni les pas des danseurs. Elle venait de comprendre quelque chose.

- Mais Arwen, il me déteste, il me surveille, il doute de moi, il...

- Je ne sais pas s'il le sait lui-même, Alcara. Mais nous tous, nous l'avons compris.

Alors elle repensa à ce que lui avait dit Faramir le matin même : « Reste ouverte à l'amour, et je pense que tu le trouveras plus vite que tu ne le penses.»

- Tu es en train de me dire qu'Aragorn, Faramir, ou même Eowyn, vous tous, vous le saviez?

- Nous l'avons tous deviné, confirma Arwen, mais nous n'en avons pas parlé entre nous.

- Legolas le sait ? demanda Alcara rapidement.

- Penses-tu qu'il le sache ?

Alcara regarda son pendentif autour de son cou : était-ce un souvenir pour montrer que son cœur était toujours à lui ? Il lui avait parlé d'amitié et de toujours être là pour elle, même s'il partait au loin, cela ressemblait plutôt pour elle, à un cadeau d'adieu...

- Comment fais-tu pour toujours tout deviner? lui dit Alcara en souriant.

- J'ai encore certains dons, lui dit Arwen avec un grand sourire, et ses dents semblaient être des perles de nacre. Tu es libre de ton cœur, Alcara, mais il a des intuitions. Écoute-les, elles guideront tes pas, même les yeux fermés.

Alors Arwen lui prit les deux mains, et déposa un léger baiser sur sa joue. Comme une formule magique, ce geste eut un effet incroyable sur Alcara : tout à coup, elle se sentit légère et aérienne, comme l'étaient si souvent les elfes. Elle entendit alors les applaudissements nourris des mariés, qui venaient de terminer leur danse.

« C'est à toi », lui souffla Arwen.

Et alors, Alcara sut exactement quoi faire.

Musique à écouter pour la danse de la fête entre Éomer et Alcara :

S'il vous plaît, écoutez cette musique avant de lire la suite, c'est important de saisir le rythme et l'atmosphère exacts ! Cette musique est par-faite!

En soulevant le rideau, elle contourna l'estrade des musiciens et vint se positionner à côté d'Éomer, qui venait d'enlever sa cape pour la donner à son écuyer, ainsi que sa couronne pour qu'elle ne tombe pas. Quand elle se plaça à sa droite, elle ne vit pas tous les regards des spectateurs, y compris d'Eowyn et de Faramir, qui l'admiraient en cet instant, et les exclamations des convives. Elle avait ôté sa robe de cérémonie vert foncé et blanche, pour arborer une robe à la jupe un peu plus courte, faite pour danser. La tenue rendait hommage aux habits traditionnels des femmes du Rohan : un bandeau en or ceignait son front, autour duquel ses cheveux étaient enroulés en tresses et en torsades et retombaient à l'arrière de sa tête en une longue natte. Sa robe était majoritairement blanche avec des éléments vert émeraude, et des rubans sortaient de ses manches. Elle avait une grande ceinture en or, sculptée en arabesques qui imitaient l'écriture du Rohan. Enfin, ses chaussures étaient plus plates avec un petit talon, pour danser plus à son aise.

A côté d'Éomer, lui aussi en habit vert et or de son royaume, on aurait dit deux allégories des descendants d'Eorl, si ce n'est qu'Alcara n'avait pas leur blondeur, mais des cheveux bruns et des yeux couleur noisette.

Elle sentit seulement deux choses : la légèreté que lui avait prodiguée Arwen, comme un sortilège bienfaisant, et le regard pénétrant que portait Éomer sur elle, comme étonné de la voir arriver avec la tenue de son pays et cette étrange aura scintillante qui l'habitait toujours. Le pendentif à son cou semblait briller de sa propre lueur. Elle se tourna pour regarder Éomer à son tour : il avait toujours le même regard vert et brillant qui plongeait au fond de ses yeux et qui lui semblait si inquisiteur auparavant. Mais il n'était plus étranger, incompréhensible ou exaspérant pour elle. Elle détourna la tête, et ne regarda rien, fixant pour se concentrer, son point d'équilibre au plafond : la grande branche de gui décorée de rubans colorés. Elle était prête.

Lorsque retentirent les premières notes des musiciens, elle jeta simplement un œil aux pas d'Éomer, pour les imiter immédiatement en rythme. Au bout des premières mesures, il se tournèrent l'un vers l'autre, et Éomer lui prit la main le premier, pour qu'elle ne touche pas le roi la première. Alors il la fit tourner une fois, puis deux, ils se prirent les hanches et levèrent l'autre bras pour tourner ensemble, il la fit de nouveau tourner, et ils recommencèrent leur ronde, leurs pas synchronisés, en battant des mains à chaque changement de pas. Tout ce qu'était Éomer, chaque regard qu'il échangeait avec elle était comme neuf, et elle avait l'impression de le rencontrer pour la première fois. Régulièrement, elle jetait un œil à la branche de gui pour garder son équilibre et rester concentrée, et cette attitude lui faisait lever la tête et accentuait sa grâce, faisant voler les rubans de sa robe. Elle entendit à peine les claquements de main en rythme sur la musique entrainante et les exclamations régulières des spectateurs, impressionnés par les multiples tours et rondes qu'ils exécutaient sans faute, comme s'ils avaient dansé ensemble pendant des années. Pour l'assemblée réunie, l'alchimie entre eux deux était indéniable. Il fallait à présent qu'ils le manifestent l'un à l'autre...

Quand la danse s'arrêta dans une dernière pirouette d'Alcara autour d'elle-même, elle regarda enfin le public, qui applaudit très longuement, avec des acclamations nombreuses. Eowyn semblait folle de joie, Faramir riait et toute la Communauté réunie était la plus encline à faire durer les applaudissements, jusqu'à demander un "bis". Alcara souriait, essoufflée mais heureuse, ayant le sentiment d'avoir fait son devoir : ils partiraient à la guerre avec le souvenir d'un beau spectacle !

Alors les spectateurs se tournèrent vers les mariés pour les pousser sous le gui, en répétant "Sous le gui! Les mariés sous le gui!" Eowyn et Faramir furent tirés et emportés au centre de la pièce en riant.

Alcara n'avait jamais entendu parler de cette étape de la soirée, on lui avait seulement évoqué la danse de fête. Sans s'en apercevoir, elle tenait toujours la main d'Éomer, et elle regardait au loin les deux mariés qu'on poussait sous le gui, et qui s'y embrassèrent tendrement sous les applaudissements.

Éomer et Alcara, à présent isolés au centre de la piste de danse, se regardèrent. Alcara se demandait s'il l'avait vue fixer le gui pendant toute la danse, comme un point de repère seulement, et non pas pour sous-entendre quoi que ce soit...et sans le vouloir, elle sentit ses joues rougir encore plus qu'elles ne l'étaient déjà après la danse virevoltante.

Éomer la fixait lui aussi, mais pour la première fois, il lui sourit sincèrement : pour lui témoigner sa reconnaissance d'avoir fait cela pour Eowyn, parce qu'elle pouvait rendre fiers les Rohirrim, ou pour une autre raison...? Alcara l'ignorait ; mais elle lui rendit un grand sourire épanoui.

Alors, elle se souvint de toutes les questions qu'elle avait mises de côté pendant la danse : pourquoi était-il si souvent absent, pourquoi lui avait-il exprimé toute sa méfiance à la soirée du couronnement, sans jamais esquisser un seul geste vers elle, qui lui aurait permis de comprendre? En avait-il pris conscience lui-même, avait-il mis un mot sur son manque d'impatience à se trouver une épouse?

Elle vit alors qu'Éomer s'apprêtait à lui dire quelque chose : mais tous les invités refluèrent alors à cet instant vers la piste de danse, au son des musiciens qui commencèrent une nouvelle musique rapide. Il eut simplement le temps de lui presser légèrement la main, avant de la lâcher et de se tourner vers Eowyn, qui venait d'enrouler ses bras autour de son cou et l'encourageait à danser avec elle. Alcara, cachant son trouble, sourit à ses amis qui l'avaient rejointe et l'invitaient à danser avec elle également.

Le reste de la soirée fut endiablé : on enchaînait les danses et les desserts du festin, dans un ordre approximatif. Tout le monde s'amusait follement, avec plus de liberté que dans les fêtes guindées de Minas Tirith, dans un moment de paix avant que ne recommence la guerre. Une fois la soirée bien avancée, on invita les mariés à sortir du palais, et à monter sur deux chevaux blancs pour les conduire en contrebas de la vallée, sur un campement organisé pour eux au bord de la rivière. Alors la foule les salua en chantant, et on fit partir les chevaux au galop : Eowyn perdit son voile, qui s'envola dans les airs sous les applaudissements, et une fois que les mariés disparurent au loin, tout le monde retourna dans le jardin et dans le palais pour continuer la fête.

Dans l'ivresse de la soirée, Alcara avait le cœur léger : elle avait l'impression qu'un souci s'était détaché de ses épaules, et que des pièces s'étaient mises en place. Elle ne se doutait pas que ce n'était en réalité qu'une étape, avant que d'autres obstacles ne se dressent devant elle.

La nuit de fête continuait, avec des chansons plus calmes et des ballades chantées par différents invités. Arwen avait entonné une chanson elfique qui les avait tous hypnotisés, dont Aragorn avait accompagné le refrain de sa voix grave. Les Hobbits eux aussi chantèrent des chansons de la Comté, où l'on sentait leur nostalgie et leur impatience de la protéger.

Alcara, qui buvait un verre de vin à une table, regardait pensivement autour d'elle. Pendant toute la fête, elle avait croisé Éomer à plusieurs reprises, mais toujours très rapidement : un échange de regards, et il lui avait servi un verre de vin, ce qui l'avait fait sourire en repensant à la nuit précédente dans les cuisines du palais. La nuit précédente...il avait été si proche d'elle, il l'avait regardée en silence pendant si longtemps...pourquoi ? Est-ce qu'il avait hésité à lui dire quelque chose ? Et elle, qui n'avait pas vu les signes et l'avait éconduit sans s'en apercevoir...

A présent, il semblait être parti de la grande salle. Dans la joyeuse désorganisation de la soirée, personne ne prenait congé de façon conventionnelle. Gandalf n'était pas là non plus. Pourtant, elle aurait tout donné pour qu'Éomer soit simplement là, et qu'elle profite de sa présence. Elle ignorait ce qu'elle lui aurait dit, et comment savoir vraiment ce qu'il pensait d'elle? Mais à présent qu'il était absent, tout paraissait insipide.

En souriant, elle remarqua Umiel, qui tenait la main d'un maréchal du Rohan, jeune et aux traits fins, avec la même chevelure rousse, et ils partirent discrètement de la grande salle. Elle regarda aussi Legolas de l'autre côté de la pièce, qui riait à une histoire chantée par Gimli, concernant des Nains qui se volaient l'un l'autre la même pièce d'or sans s'en apercevoir. Elle se rappela alors qu'elle avait ressenti la même chose pour lui : l'espoir qu'il la remarque, qu'il soit sensible à elle, et réponde à ses sentiments. Cela avait été le cas pendant une saison, mais il était trop attiré par les aventures. Est-ce qu'Éomer à son tour, lui serait arraché par les guerres ou les responsabilités ? Et elle, devrait-elle à un moment, s'éloigner pour des raisons qui lui appartiendraient ? Comment pourrait-elle survivre à une absence si déchirante ?

Peu à peu, à son insu, un fol espoir naquit en elle. 

 

Chapter 23: Non-Dits

Chapter Text

Non-Dits

Musique à écouter sur ce chapitre :

J'ai d’abord écrit ce chapitre sans musique, puis j’en ai écouté au hasard et j'ai trouvé celle-ci et j'ai découvert que les paroles étaient exactement adaptées à l'histoire ! 😲

Les jours suivants, les festivités continuèrent, alors que les jeunes mariés, restés au campement en contrebas de la ville, coulaient une lune de miel à l’abri des soucis. Mais peu à peu, les invités prirent congé, les uns pour rentrer chez eux, les autres pour préparer la riposte au Nord de l’Isengard. Aragorn et Arwen s’en retournèrent à Minas Tirith, et Alcara espérait voir bientôt leur nouvel enfant, qui naîtrait quelques mois plus tard. Les Hobbits, quant à eux, repartirent vers la Comté, où ils avaient hâte de rentrer, préoccupés par la suite des événements. Gandalf proposa de les accompagner. Legolas et Gimli décidèrent de repartir avec Aragorn, pour l’y aider à préparer les futurs combats : le jour précis de l’assaut restait très secret, mais on évaluait à un mois plus tard le début des hostilités.

En disant au revoir à Gandalf, elle garda en mémoire qu’il avait pris soin de l’éviter pendant toutes les célébrations, décidément une manie entre lui et Éomer… alors, au moment de leur accolade, elle lui glissa :

- J’espère que nous nous reverrons bientôt, et que vous pourrez remplir votre promesse.

- Laquelle ? dit Gandalf d’un air innocent.

- Gandalf, répondit Alcara d’un air réprobateur, je suis sérieuse. J’ai le droit de savoir certaines choses sur mon passé.

- Vous avez raison, Petite Aube, lui dit Gandalf en utilisant son surnom elfique. Mais ne vous inquiétez pas, le moment arrivera bientôt, de cette discussion entre nous.

Alcara le regardait au fond des yeux comme pour avoir sa parole : mais il avait un air si grave qu'elle se demanda si ce qu’il avait à lui dire devait être de nature à l’alarmer, et elle eut soudain un peu moins envie de savoir…

En disant au revoir à Legolas, ce dernier la prit spontanément dans ses bras : à présent, leur amitié semblait définitivement scellée, pour le plus grand plaisir d'Alcara, qui tenait à ce qu’ils restent bons amis.

- Au revoir, Petite Aube, dit-il en imitant le surnom de Gandalf. Nous nous reverrons bientôt, car je serai en route à travers le Sud après la guerre, si tout va bien.

- Merci, Legolas, d’avoir été là, et pour le beau cadeau que tu m’as fait.

- Garde-le bien, lui dit-il en prenant son pendentif dans ses mains, il brille davantage quand il est sur toi. Je pense que vous étiez faits pour vous trouver. L’avenir nous le dira.

Alcara sourit : les elfes avaient toujours des formules mystérieuses quand il s’agissait de l’avenir ! Elle profita une dernière fois de pouvoir plonger ses yeux dans son regard d’un bleu intense, et elle ajouta :

- Bonne chance, pour la guerre.

- Merci, lui dit-il d’un air léger, j’ai surtout besoin de garder mon classement en tête du nombre d’Orques tués, devant Gimli !

- Et je vais te rattraper bien vite, ne vends pas la peau de l’ours !

Ils rirent tous ensemble et Alcara fut heureuse que leur chapitre à deux puisse se clore de façon aussi paisible.

Elle salua ensuite Aragorn et Arwen avec chaleur, et ils repartirent tous dans la plaine, où elle put les voir encore longtemps.

Elle s’aperçut alors qu’avec le départ des invités et Eowyn et Faramir toujours en lune de miel, il ne restait plus qu’elle et Éomer.

Elle le regarda, entouré de ses maréchaux et suivi de son écuyer. “Plus qu’elle et Éomer” était un bien grand mot, il était sans cesse en compagnie des Rohirrim. La pensée qu’elle devrait peut-être aller lui parler raviva à la fois son espoir et sa crainte : leurs relations étaient si compliquées, pleines de non-dits et de sous-entendus… chacun était comme retenu d’aller plus avant, sans cesse.

Mais elle n’eut pas le temps d’y réfléchir très longtemps, car les Rohirrim annoncèrent rapidement leur départ : ils étaient les voisins les plus proches de la Comté et de l’Isengard, leur devoir était de venir en renfort les premiers pour terrasser les dernières résistances ennemies. Dès le retour d’Eowyn et de Faramir, Éomer partirait.

Alcara se sentit comme un lion en cage, elle ne savait pas quoi faire. A présent, elle sentait qu’elle avait compris son propre cœur, grâce à Arwen ; mais lui, ne semblait pas l’avoir compris. Comme habituellement, il continua à l’éviter, à ne pas venir aux repas, il ne vint même pas la voir dans son laboratoire. Pendant deux jours, elle eut du mal à dormir. Devait-elle le chercher ? Lui écrire ? Mais elle avait peur de prendre les devants, ne voulant pas passer pour une autre Umiel insistante…

Eowyn et Faramir revinrent bien trop vite pour elle. Épanouis et heureux, ils faisaient plaisir à voir, mais Alcara ne put s’empêcher de les envier. Elle ne cessait d’observer Éomer à la dérobée, ayant si peu d’occasions de le faire…et avec le manque de sommeil, elle sentit ses émotions à fleur de peau.

Le lendemain, jour du départ d’Éomer et de ses maréchaux, arriva beaucoup trop vite lui aussi. Elle décida d’aller dans son laboratoire, n’ayant pas le cœur de voir Éomer partir si loin, et craignant que son affection ne soit trop visible. C’était ridicule, il était roi du Rohan, alors qu’elle…elle ne savait même pas d’où elle venait.

Mais on toqua à la porte. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, elle se retourna, et c’est lui qu’elle vit entrer. Il était en habit de voyage, prêt à partir, et elle sentit sa gorge se nouer. Il la regarda et sembla lui aussi un peu nerveux.

- Bonjour, lui dit-il simplement, avec un sourire. J’ai quelque chose à vous montrer.

Et il posa la petite boîte en bois sur la table, celle qui contenait le petit œuf rouge. Elle s’approcha, et lorsqu’il enleva le petit mouchoir qui le recouvrait, elle eut une exclamation de surprise : un petit poussin, encore rose et sans plumes, avait éclos.

- C’est incroyable ! dit-elle, ravie. Vous avez réussi !

Elle se tourna vers lui, qui l’observait toujours en souriant, avec une pointe de fierté, et elle lui dit, le coeur battant :

- Alors cela veut dire que ça y est, vous me faites confiance ?

- Je ne sais pas, répondit-il en la regardant dans les yeux. En réalité…cela fait longtemps que je ne vous surveille plus.

- Mais alors, demanda-t-elle en fronçant les sourcils, pourquoi s’est-il ouvert maintenant ?

Mais en posant la question à voix haute, elle trouva immédiatement la réponse : c’était elle qui avait changé. Elle, qui lui faisait confiance à présent. Cette découverte l’intimida elle-même et elle détourna son regard de ses yeux verts, dont la lueur montrait qu’il avait bien compris cela lui aussi.

- Je vous félicite, dit-elle finalement en regardant l’oisillon, et en le caressant délicatement. Vous avez passé une épreuve…étrange, mais constructive, j’espère.

Il se redressa en la regardant toujours, et baissa la tête.

- Je vais devoir partir, déclara-t-il. Mes hommes m’attendent. Nous devons rapidement aller aider les Semi-Hommes.

Alcara hocha la tête : quelle frustration, alors qu’elle venait de comprendre tant de choses ! Pourquoi ne l’avait-elle pas réalisé plus tôt, alors qu’il était à côté d’elle si souvent auparavant ? Maintenant il partait, et les dieux seuls savaient s’il reviendrait jamais en Ithilien…

- Je vais… je vais remettre ce petit oiseau dans son étang, si cela vous convient, ajouta-t-il, lui-même semblant avoir du mal à parler. Je ferai un détour pour y retourner.

Elle le regarda avec un léger sourire, mais un air triste malgré elle. Elle ne voulait pas qu’il la voie pleurer, elle se retenait de toutes ses forces.

- Merci beaucoup, parvint-elle à dire, la voix étranglée.

Il était pris par ses devoirs, elle par les siens : elle devait rester, pour Eowyn, et pour mettre en place la Maison de Guérison, et lui devait prendre ses responsabilités de roi et de guerrier. C’était irréconciliable. Sans cela…elle serait partie immédiatement avec lui.

Elle prit la boîte et la lui tendit précautionneusement : en la prenant dans ses deux mains, il engloba les siennes. Il avait la peau chaude et douce, et des mains immenses qui recouvraient complètement ses doigts. Elle se retint d’y penser, pour ne pas trembler, pour ne pas se trahir.

- Alcara, lui dit-il doucement en la regardant dans les yeux. Est-ce que je peux vous demander quelque chose ?

- Bien sûr, répondit-elle immédiatement, son cœur battant toujours la chamade.

- Promettez-moi de me donner des nouvelles.

Elle le regarda, reconnaissante de sa demande, mais presque déçue qu’il ne lui demande pas de s’enfuir avec lui.

- Ecrivez-moi, continua-t-il, pour que j’aie des nouvelles d’Eowyn. Si elle ne va pas bien, elle n’osera jamais me l’écrire, pour ne pas m’inquiéter. Mais vous, vous me le direz, n’est-ce pas ?

Elle hocha la tête, sans hésitation.

- Pour Eowyn, je le ferai, promit-elle.

- Merci beaucoup, répondit-il en souriant.

Il gardait toujours les mains posées sur les siennes, et Alcara aurait voulu qu’il ne s’arrête jamais, mais il sursauta comme s’il venait de s’en apercevoir, et prit la petite boîte en s’éclaircissant la gorge.

- Et…ajouta-t-il, gêné, en regardant le sol. Donnez-moi aussi de vos nouvelles. Je vous en enverrai, après la guerre.

- Entendu, répondit-elle simplement, la gorge nouée à nouveau, et son ventre se tordait à l’idée qu’il parte vraiment.

Il repartit vers la porte, et l’ouvrit.

- Éomer ? dit-elle, et il se retourna, comme s’il attendait qu’elle l’appelle.

Elle se mordit la lèvre, c’était le moment, il fallait qu’elle fasse quelque chose. Mais alors elle entendit des voix dans le couloir et dans la cour, d’autres membres du palais passaient et les verraient. Alors, elle se ferma à nouveau sur elle-même, et lui dit simplement :

- Faites attention à vous.

Il la regarda longtemps, comme s’il réfléchissait, et hocha finalement la tête pour confirmer.

Et il partit.

N’y tenant plus, Alcara laissa les larmes couler abondamment sur ses joues, et elle étouffa ses sanglots dans ses mains. Toujours seule, toujours discrète, pour ne pas gêner les autres, pour ne pas prendre trop de place. 

 

Chapter 24: Durant L’Hiver

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Durant L’Hiver

Illustration : IA

Musique à écouter sur ce chapitre :

Les jours, les semaines s’étirèrent alors, faisant entrer l’automne, et Alcara ne pouvait combattre sa mélancolie. Elle se résolut à se lancer à corps perdu dans son travail, constituant des classes d’élèves guérisseurs, leur montrant la confection des remèdes, recevant de nombreux patients, car comme partout, l’Ithilien avait son lot de malades et de blessés du quotidien. Les guérisseurs venus en renfort de Minas Tirith lui faisaient gagner du temps, mais elle les remplaça souvent, reculant le plus possible le moment où elle se retrouverait seule dans sa chambre, le soir, à ressasser des images intempestives d’Éomer. La guerre devait durer, car elle n’avait toujours pas de nouvelles de lui. Elle se posait mille questions qui la faisaient se tourner dans son lit : allait-il bien ? Lui arrivait-il de penser à elle, ou le retour dans le Rohan lui ferait-il oublier son visage et son existence ? Quant à elle, verrait-elle sa peine s’adoucir avec le temps et la distance ?

Heureusement, elle pouvait souvent aller rendre visite à Arwen, ce qui la calmait et lui faisait du bien. Elle ne pouvait se confier qu’à elle, car elle n’avait pas osé parler à Eowyn de ce qu’elle ressentait pour son frère. De toute façon, Eowyn et Faramir prolongeaient d’une certaine façon leur lune de miel : ils étaient inséparables, aussi soudés qu'Alcara et Éomer étaient éloignés. Faramir n’était pas allé combattre en Isengard, Aragorn lui ayant demandé de surveiller Minas Tirith et l’Ithilien en son absence, craignant d’autres groupes isolés d’ennemis du côté du Mordor. Alcara chevauchait donc souvent jusqu’à la Cité blanche, où Arwen la recevait toujours avec patience et affection.

Un jour qu’elles se promenaient dans les jardins du palais, Arwen caressant de temps à autre son ventre déjà bien arrondi par sa grossesse, Alcara s’épancha à nouveau :

- J’ai l’impression que chaque journée dure une éternité, avoua-t-elle. Tout me semble…insipide. Combien de temps cela va-t-il durer ?

Arwen resta un instant silencieuse, et lui répondit tranquillement :

- Je te comprends. Aragorn et moi étions fiancés depuis longtemps. Nous avons attendu quatre-vingts ans et la fin de la guerre de l’Anneau, pour nous retrouver enfin.

Alcara haussa les sourcils et la regarda, croyant avoir mal entendu : mais elle avait oublié bien vite qu’Aragorn et Arwen n’avaient pas du tout la même temporalité, et elle s’abstint pas la suite de se plaindre devant elle.

Mais une fois seule, à la nuit tombée, elle se demandait tout de même pourquoi elle n’avait pas la chance d’Arwen ou d’Eowyn : pourquoi ce n’était pas aussi simple ? Un coup de foudre, un amour immédiatement réciproque et avoué à l’autre, un mariage, des enfants ? Et pourquoi avait-il fallu qu’elle tombe amoureuse d’Éomer ? Elle aurait pu succomber à un domestique, à un soldat, n’importe qui d’autre, mais elle n’était pas princesse, et cette situation la désespéra et lui rappela son aventure malheureuse avec Legolas. 

Pourquoi n’avait-elle pas droit au même bonheur ?

Au moins, elle avait reçu un don particulier, qui l’intriguait toujours autant : des pouvoirs étonnants, mais qu’elle avait promis de ne pas utiliser pour combattre. Depuis le départ d’Éomer, ils se manifestèrent à plusieurs reprises, par petites touches, comme autrefois : des fleurs qui apparaissaient et disparaissaient, des objets qui se déplaçaient…et Gandalf, qui n’avait pas encore les réponses…

Excessivement frustrée par sa situation, elle chevauchait de plus en plus longtemps, de plus en plus tôt le matin, malgré la pluie ou le froid ; et pour arriver enfin à s’endormir, elle mettait des gouttes d’essence de lavande sur son oreiller, une plante qu’elle avait découverte dans cette région du Sud.

Pourtant, les événements plus ou moins dramatiques qui se déroulèrent ensuite suffirent à l'occuper.

Tout d’abord, elle tomba elle-même malade à force de chevaucher sous la pluie de l’automne, et dut rester alitée plusieurs jours, délaissant ainsi la Maison de Guérison. Elle s’en voulut, mais elle n’avait plus l’énergie de se lever le matin. Elle dut alors se résoudre à accepter qu’une jeune élève guérisseuse prenne soin d’elle et lui apporte des bouillons, mais elle ne ressentit même plus l’envie de manger.

Finalement, Eowyn vint à son chevet. Alcara s’en voulut : après tout, cela était incongru que la guérisseuse soit celle qui tombe malade ! Mais pleine de sollicitude envers elle, Eowyn fit tout pour lui remonter le moral, voyant bien qu’elle ne souffrait pas que d’un rhume, mais aussi d’un autre mal inconnu. Elle lui ramena de beaux bouquets de fleurs fraîches chaque matin, qui poussaient dans les jardins d’hiver du palais ; mais étrangement, elle les retrouvait chaque jour complètement fanées. Elle y vit un signe que les dons d'Alcara étaient affectés par son humeur.

Au bord de son lit, Eowyn lui faisait la lecture ou lui donnait à manger, malgré les protestations d'Alcara, qui ne cessait de lui répéter que ce n’était pas son rôle de princesse.

- Je décide moi-même de ce que je dois faire en tant que princesse, ma chère Alcara, lui répondait-elle souvent. Et comme chevaucher ou manier l’épée, je peux très bien prendre soin de mon amie !

- Tu dois avoir mille autres choses à faire, s’entêta Alcara, des délégations à recevoir, par exemple.

- Et je suis bien contente d’y échapper, répliquait Eowyn. Je laisse lâchement Faramir s’en débrouiller tout seul.

- Vous avez l’air très heureux, tous les deux.

Eowyn se tourna vers elle : Alcara, malgré sa faiblesse, lui fit un beau sourire, comme si elle était réellement heureuse pour elle. Elle lui rendit son sourire chaleureux.

- C’est vrai et…hésita Eowyn. Je pense que…nous aurons bientôt un heureux événement.

Alcara se redressa d’un coup sur ses coussins, poussant une exclamation.

- Eowyn, c’est formidable ! Et elle lui prit ses deux mains avec affection pour la féliciter.

- Mais il faut que tu guérisses vite, alors ! ajouta Eowyn, en faisant un sourire radieux. Comme cela, nous irons prendre l’air ensemble avec nos chevaux.

- Eowyn, répondit Alcara, l’air soudain soucieux. Je ne sais pas si tu devrais chevaucher, ce n’est pas prudent pour ta grossesse…

- Ne dis pas cela ! répondit Eowyn en balayant l’air de sa main. Avec mon bras cassé, je suis restée enfermée trop longtemps. Je ne le supporte plus ! Et je suis bonne cavalière, rien ne peut m’arriver.

Alcara n’insista pas, se trouvant encore trop fatiguée pour tenir tête à une Rohirrim. En se rappelant son caractère entêté, elle repensa soudain à Éomer, et son sourire disparut.

Eowyn le vit, et lui dit :

- Nous avons reçu du courrier. Des nouvelles nous arrivent du Nord.

Alcara la regarda alors, pleine d’espoir. Peut-être aurait-elle…?

- J’ai reçu une lettre d’Éomer, raconta Eowyn, et en voici une pour toi…(Alcara sentit son pouls s’accélérer)...de la part de Gandalf !

- Oh…

Alcara fit bonne figure pour cacher sa déception. Éomer devait être si occupé, ce n’était pas si grave…mais alors pourquoi se sentit-elle si triste ?

- Je vais te laisser la lire tranquillement, et tu dois te reposer, déclara Eowyn en se levant et en la bordant. Reste bien au chaud ! Je reviendrai demain matin.

Et elle partit, laissant Alcara lire sa lettre seule. Elle aurait aimé qu’Eowyn lise la sienne devant elle, ne serait-ce que pour avoir un morceau de la vie d’Éomer qui lui soit relaté. Elle soupira, n’ayant même plus envie de lire la lettre de Gandalf. Elle ne voulut rien savoir de cette guerre, qui avait éloigné Éomer d’elle. Mais finalement, par acquit de conscience envers son mentor, elle ouvrit l’enveloppe.

Il y avait un petit papier, où Gandalf écrivait : “Petite Aube, tout se déroule bien, l’ennemi recule. Voici l’essentiel. Mais d’autres que moi ont plus de choses à vous écrire. Prenez soin de vous, à bientôt.”

D’autres que lui ?

Elle déplia le reste de la lettre, et déroula un papier épais, dans lequel elle trouva une petite plume rouge. Autour de la plume, une longue lettre était écrite en petits caractères : elle se précipita à la fin pour en voir la signature, et y lut : “Éomer”.

Le cœur battant, elle en commença la lecture : 

Éomer lui expliquait d’abord qu’il avait préféré demander à Gandalf de mettre sa lettre dans son enveloppe, car il connaissait sa sœur et ses mille questions, et elle ne comprendrait pas qu’il écrive à Alcara. De plus, cela lui permettrait de lui répondre et de lui dire franchement si tout allait bien en Ithilien, sans qu’Eowyn ne s’en mêle. Il lui racontait ensuite qu’il s’était arrêté à l’auberge près de l’étang, où ils avaient reçu le petit oeuf rouge autrefois, mais que la femme de l’aubergiste l’avait réprimandé, en disant qu’il ne pouvait pas abandonner un oisillon si petit dans la nature où il se ferait dévorer, et qu’il devait continuer à s’en occuper. Éomer en avait été bien tracassé, et Alcara l’imagina en riant, cherchant quoi faire de cette petite bête. Il l’avait finalement confié à son écuyer en lui ordonnant d’en prendre soin, sans poser aucune question, et il s’était très bien acquit de sa tâche. Le seul problème était à présent que l’oiseau suivait Éomer partout, même sur le champ de bataille, ce qui avait beaucoup intrigué les soldats. Finalement, il avait dû envoyer son écuyer le relâcher une fois adulte plus au Sud, pour éviter qu’il n’attrape froid avec l’arrivée de l’automne à Edoras, mais il lui avait emprunté quelques belles plumes rouges avant de lui dire au revoir.

Alcara sourit : Éomer parlait longuement du petit oiseau rouge, mais pas du tout de la guerre.

Elle continua sa lecture, intriguée par un détail : l’encre était à présent plus foncée, comme si elle avait séché au bout de la plume. Est-ce qu’il avait dû réfléchir intensément avant d’écrire la suite ?

Il écrivait ensuite qu’il comptait sur elle pour lui raconter la vie en Ithilien, non seulement pour vérifier que sa sœur était bien traitée, mais qu’elle aussi l’était. Car, disait-il, elle était devenue une sorte de protectrice d’Eowyn face à tous les courtisans et les flatteurs qui voudraient l’enfermer dans une cage dorée. 

Mais il ne lui posa pas d’autres questions sur sa sœur, et multiplia celles la concernant, elle. Réussissait-elle à créer la Maison de Guérison? Cela représentait-il beaucoup de travail? Quel temps faisait-il en Ithilien? Il lui demanda même si elle avait fait apparaître d’autres œufs, ce qui la fit rire.

Enfin, il expliquait que malgré la guerre, les messagers passaient facilement, car le reste de la Terre du Milieu était en paix, et qu’il ne fallait pas hésiter à lui donner d’amples détails. Elle pourrait indiquer Gandalf en destinataire, qui se chargerait de lui confier ses lettres.

Sa signature indiquait seulement les derniers mots qu'Alcara lui avait adressés avant son départ : “Faites attention à vous”, et sa signature.

Tout à coup, elle se sentit beaucoup mieux. Elle rangea soigneusement la petite plume rouge. Dès le lendemain, elle quitta sa chambre, après avoir passé plusieurs heures à rédiger une réponse, le plus rapidement possible.

 

Éomer et elle échangèrent ainsi une sorte de correspondance secrète, où elle lui relatait sans délai tous les événements d’Ithilien, dans les moindres détails, jusqu’au temps qu’il faisait, la façon dont elle s’occupait au quotidien de la Maison de Guérison, et le début de la grossesse d’Eowyn. Elle présentait ses lettres comme des chroniques et cherchait à en restituer toute l’atmosphère, et comme elle, Éomer lui faisait vivre, à distance, la vie dans le campement des Rohirrim, au milieu des combats, donnant les noms des blessés, relatant la santé des chevaux, ou son état d’esprit. Elle avait un peu l’impression d’être une espionne pour le Rohan, et cette pensée lui apportait un plaisir particulier, comme si Éomer n’était plus si loin.

Les semaines passèrent, et l’absence d’Éomer fut moins douloureuse. Pourtant, chaque lettre reçue de sa part faisait encore bondir son cœur. A présent que la Maison de Guérison était bien installée, et que la première cohorte d’élèves travaillait avec beaucoup de sérieux et d’enthousiasme, elle laissa de nouveau ses pensées dériver vers lui.

Elle allait souvent voir Eowyn pour vérifier sa santé, et que tout se passait bien, mais malgré ses conseils, elle voulait encore chevaucher et s'entraîner à l’épée, autant que possible, et ne se reposait pas assez, alors qu’elle était, et c’était naturel, de plus en plus fatiguée par la grossesse. Faramir, qui allait sans cesse de Minas Tirith au palais, n’était pas très présent et ne pouvait pas appuyer les conseils d'Alcara auprès d’elle.

Un matin, un nouveau messager Rohirrim arriva, mais Eowyn, sous les ordres d'Alcara, dormait encore pour se reposer. Il alla donc toquer à la porte du laboratoire, où Alcara lui ouvrit.

Elle tomba alors sur un nouveau visage : ce n’était pas le messager habituel, mais un des maréchaux du Rohan, celui de l’Estfolde. Celui qui avait des cheveux roux et un beau visage aux traits fins.

- Tiens ! dit-elle avec surprise, vous n’êtes pas à la guerre ?

- J’ai obtenu l’autorisation du roi de venir ici, la guerre avance bien, nous espérons les vaincre d’ici peu, expliqua simplement le maréchal sans plus de détails.

Mais après l’avoir aperçu le soir du festin de mariage avec Umiel, Alcara se douta qu’il avait des raisons bien précises de revenir. Elle recueillit alors les lettres qu’il avait apportées, et l’invita à aller se reposer dans le palais.

- Je vous remercie, lui répondit le maréchal. Et…je suis heureux de vous revoir.

Il repartit en lui faisant son plus beau sourire, et Alcara, intriguée, le regarda repartir dans le couloir.

Les jours suivants, le maréchal resta plus longtemps que les autres messagers, et Eowyn elle-même en fut agacée : elle savait bien qu’il venait pour revoir Umiel, mais elle voulait envoyer à Éomer sa lettre de réponse, et Alcara aussi, même si elle le cachait toujours à Eowyn. Pourtant, Alcara ne lui en voulait pas : comme toutes les dames, elle était sensible à son charme et à son attitude élégante, drôle et enjouée. A table le soir, il avait toujours des anecdotes amusantes à raconter, et même Faramir lui reconnut un don indéniable pour les divertir.

Un soir, Alcara retourna dans son laboratoire où elle resta plus tard que d’habitude. En repartant vers ses appartements, elle entendit quelqu’un s’éclaircir la gorge derrière lui, et en se retournant, elle reconnut le maréchal.

- Vous devriez vous coucher, il est tard, déclara Alcara avec un sourire poli.

Le maréchal s’approcha d’elle, et répondit : “En effet, mais je voulais avoir l’occasion de vous parler.”

Alcara attendit la suite avec interrogation : il semblait gêné, et il baissa la tête en se mordant la lèvre, ce qui lui donnait encore plus de charme, dut-elle reconnaître.

- En réalité, je suis revenu en Ithilien pour une bonne raison, et j’en ai trouvé une autre. Je pensais…enfin, il me semblait que le roi et vous…mais à présent qu’il est retourné dans le Nord, je ne suis plus si sûr.

Alcara fronça les sourcils, et se sentit rougir malgré elle : elle craignait d’avoir compris.

- Vous savez, je suis un de ses cousins éloignés, continua-t-il, je gouverne sa ville natale, Aldburg, et je viens d’une grande famille…

- Mais, le coupa Alcara, je pensais que vous veniez retrouver Umiel ici ?

- Moi aussi, répondit-il avec un beau sourire charmeur, mais je vous ai vue ici mener la Maison de Guérison, soigner la princesse Eowyn, monter à cheval…et danser, surtout, avec nos couleurs. Vous êtes déjà un peu une Rohirrim, cela saute aux yeux.

Elle le regarda avec de grands yeux étonnés : elle ne s’était jamais dit qu’elle incarnait une sorte de Rohirrim d’adoption.

- Je pourrais vous faire découvrir d’autres attraits du Rohan, vous savez…

Le maréchal s’approcha un peu plus d’elle, mais elle n’osa pas bouger. Il l’accula alors au mur, l’empêchant de partir en mettant ses deux bras autour d’elle, et l’embrassa brutalement.

Mais Alcara le repoussa aussitôt : malgré le temps et la distance, elle était toujours aussi amoureuse d’Éomer, elle le savait, et malgré toutes ses qualités, le maréchal n’avait pas son affection, et son attitude lui déplut.

- Mais que faites-vous ! s’exclama-t-elle, en colère.

- Je vous demande pardon, répondit-il, mais il ne sembla pas vraiment le penser, car il disparut avec un air de dépit et de colère mêlés.

Alcara soupira, et retourna vers sa chambre, encore consternée qu’il croie que toutes les dames d’Eowyn étaient à la disposition du premier bel homme venu.

Le lendemain, une pluie battante s’abattit sur la cité, alors que l’automne touchait à sa fin et que l’hiver commençait déjà. Alcara n’appréciait pas particulièrement ces longues journées sans pouvoir chevaucher un instant. Elle se contenta donc de rester dans son laboratoire et de continuer ses leçons de médecine et d'apothicaire à ses élèves. Mais elle restait préoccupée par l’incident de la nuit dernière. Elle ne portait pas spécialement Umiel dans son cœur, mais le comportement du maréchal avec elle la révoltait, trahissant ainsi l’amour d’Umiel pour lui et se croyant permis d’en séduire d’autres.

Avec tant de nuages, la nuit sembla tomber plus vite, et dès la fin d’après-midi, les couloirs furent plongés dans l’obscurité. Une bougie à la main, elle parcourut les couloirs pour aller se changer avant le dîner. Mais soudain, quelqu’un l’agrippa violemment et la poussa contre le mur, faisant tomber sa chandelle au sol, qui s’éteignit. Dans une exclamation de surprise, elle reconnut Umiel dans la pénombre, qui semblait en rage et lui serrait le cou.

- Comment oses-tu ? lui murmura-t-elle d’un ton furieux.

- Umiel…put seulement articuler Alcara, pouvant à peine respirer. Elle était impressionnée par sa force, et par sa colère.

- Il est à moi, Alcara, continua Umiel. C’est moi qu’il aime. Et toi, tu arrives et comme d’habitude, tu te crois meilleure que les autres, et tu le séduis !

Alcara tenta de la contredire en secouant la tête, mais elle ne pouvait plus articuler, et sentait qu’elle manquait d’air, tentant d’aspirer tout ce qu’elle pouvait, son cœur tambourinant de peur dans sa poitrine.

- J’en ai assez de toi, ajouta Umiel, furibonde, semblant n’avoir plus aucune limite. D’abord Éomer, puis lui, tu veux donc tout me prendre ?!

Alcara ne l’entendait presque plus, des bourdonnements envahirent ses oreilles, et sa tête lui sembla peser une tonne. Elle sentait qu’elle serait bientôt inconsciente, il fallait qu’elle lui fasse lâcher prise…

Et d’un seul coup, elle fit un geste du bras, comme pour balayer Umiel. Mais son geste réussit, et la jeune femme fut projetée violemment contre le mur d’en face et tomba au sol.

Alcara venait d’utiliser son pouvoir à nouveau, pour se défendre, mais elle fut catastrophée : Umiel, à moitié inconsciente, se releva difficilement. Dans la pénombre, Alcara crut voir qu’elle était blessée à la tête, et voulut se pencher vers elle, mais Umiel la repoussa.

- Ne me touche pas ! s’exclama-t-elle.

- Umiel, qu’est-ce qui t’a pris ? chuchota Alcara, ne pouvant plus utiliser sa voix normalement, et elle toucha sa gorge endolorie.

Alors, Umiel s’assit contre le mur, et se mit à pleurer à chaudes larmes. Alcara s’accroupit devant elle, patiente, essayant de faire abstraction de son cou meurtri.

Entre les sanglots, Umiel parvint à articuler :

- C’est un traître ! Il m’a séduite, et nous avons…je suis enceinte, et je ne sais pas quoi faire ! Il va m’abandonner !

Alcara soupira : c’était donc bien un séducteur, qui une fois qu’il avait fait miroiter le mariage, arrivait à ses fins, et passait à une autre femme.

Umiel se calma peu à peu, essuyant ses larmes, et la goutte de sang qui avait coulé sur son front. La jeune femme regarda sa main rougie, et toucha son front avec un gémissement de douleur, puis regarda Alcara, étonnée.

- Mais…comment as-tu fait cela ?

Elle venait de comprendre, après le choc, qu'Alcara l’avait lancée contre le mur avec une force bien supérieure à la sienne, alors qu’elle n’était pas en capacité de le faire. Rien de cela n’était…normal.

Umiel se leva, de plus en plus perdue et stupéfaite.

- Tu…tu as des pouvoirs magiques alors ? C’était donc vrai ce qu’on raconte ?

Alcara avait encore si mal à la gorge qu’elle ne put pas répondre immédiatement, entendant Umiel avec de plus en plus d’inquiétude.

- Et personne ne le sait, ajouta-t-elle avec un petit sourire mauvais. Si ça se savait, tu aurais de gros ennuis, nous n’aimons pas trop les sorcières dans le Gondor…

Bien qu’elle eût du mal à répondre, Alcara se força néanmoins, car la situation était grave.

- Et si ça se savait que tu es enceinte du maréchal ? chuchota-t-elle.

Le sourire disparut immédiatement du visage d’Umiel ; Alcara avait marqué un point.

- J’ai quelque chose à te proposer, ajouta Alcara. Tu ne dis rien de ce qu’il vient de se passer, et je ne dénoncerai pas ton attaque contre moi. Ensuite j’irai lui parler, il doit prendre ses responsabilités.

- Il n’acceptera jamais…se découragea Umiel, des larmes revenant dans ses yeux.

- J’ai des arguments pour le faire plier, répondit Alcara. Fais-moi confiance.

Umiel hocha la tête comme pour nier que cela fût possible, pleurant encore un peu, et elle repartit dans le couloir sans un mot, laissait Alcara seule.

Alcara se fit alors porter pâle pour le dîner, prétextant un mal de tête, et Umiel s’y rendit malgré tout, son visage défait intriguant un peu Eowyn et le maréchal.

Le lendemain, ayant retrouvé une voix encore légèrement enrouée, Alcara vit dans le miroir une marque sur son cou, qu’elle cacha avec un haut col fermé. Le temps restant froid et gris, on croirait qu’elle avait simplement une tenue d’hiver.

Elle demanda au maréchal de venir la voir au laboratoire : avec la pluie battante, personne ne se trouverait dans la cour ni ne regarderait par les baies vitrées. Ils ne seraient pas dérangés. Quand il arriva, elle l’invita à s’asseoir, et resta debout face à lui.

Alors qu’il la regardait, impassible et plus froid après avoir été éconduit, elle déposa une lettre fermée sur la table, à côté de lui.

- Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il, en regardant la lettre.

- Vous l’ignorez, expliqua Alcara, mais j’écris très régulièrement au roi. Et vous ne le saviez pas, mais ce sont aussi ses lettres à mon adresse, que vous avez apportées ici.

Le maréchal se tut et baissa les yeux sur la lettre, sans rien dire.

- Celle-ci raconte que vous avez séduit Umiel, que vous l’avez mise enceinte, et que vous l’avez délaissée pour une autre.

- Comment vous…? réagit vivement le maréchal, pris sur le fait et cherchant à se lever.

- Je n’ai pas terminé, le coupa Alcara en élevant la voix fermement. Eowyn et Faramir en seront eux aussi informés rapidement. Mais Éomer, le roi du Rohan, pourra être beaucoup, beaucoup plus sévère avec vous.

- Ne faites pas cela, la supplia le maréchal, il peut m’enlever mon titre, voire pire! Je serai déshonoré!

- Et comment croyez-vous que sera Umiel, quand sa grossesse sera visible, et qu’elle ne sera pas mariée ? répliqua Alcara.

Une nouvelle fois, le maréchal ne répondit rien. Mais Alcara le vit regarder la lettre : il fit un geste très rapide pour s’en emparer et peut-être, chercher à la détruire, mais elle avait prévu qu’il le fasse. Elle sortit des plis de sa robe sa petite épée elfique en argent, et la pointa sur son visage, la lame à quelques millimètres de sa peau. Surpris et mis en joue, il ne bougea plus et la regarda, les yeux apeurés.

- Ne jouez pas à ça, dit-elle plus bas, d’une voix menaçante. Vous savez très bien que je sais me servir de mon épée. Rasseyez-vous.

Lentement, il se rassit, regardant toujours la lame qui visait son cou.

- Maintenant, ajouta-t-elle, vous allez prendre vos responsabilités. Si d’ici à ce soir, vous n’avez pas demandé Umiel en mariage, et annoncé à Faramir et Eowyn que vous l’épousez, cette lettre partira au roi Éomer. Et je serai très, très attentive à garder mon épée non loin de votre cou, jusqu’à ce que cela soit fait. C’est compris ?

Le maréchal hocha la tête, et elle le vit ravaler sa salive lorsque sa pomme d’Adam monta et descendit lentement. Elle éloigna doucement la lame, et le maréchal se leva, la regardant comme si elle était un feu dangereux prêt à le brûler. Il sortit immédiatement du laboratoire, et Alcara pria pour que cela fonctionne.

Le soir-même, Umiel, soulagée et heureuse, et le maréchal, encore un peu craintif, annoncèrent leurs fiançailles au dîner, et Alcara fit un léger sourire. Elle avait encore son épée sous la table, à tout hasard.

Cependant, d’autres bouleversements l’attendaient, dont le plus difficile concernait Eowyn.

Alcara était retournée à Minas Tirith pour la journée, rendant visite aux Sœurs de la Maison de Guérison et à la reine Arwen. Elle avait même croisé Faramir dans la ville, et ils rentrèrent de concert vers l’Ithilien. Mais en entrant dans le palais, une domestique paniquée courut vers elle : 

- Ma Dame ! s'écria-t-elle. Venez vite, je vous en supplie ! C’est Dame Eowyn !

Alcara et Faramir, alarmés, se précipitèrent pour la suivre. Ils la trouvèrent dans son lit, agitée par des douleurs au ventre.

- Par les dieux, que s’est-il passé? s’exclama Faramir.

- Elle..elle a fait une chute de cheval! expliqua la domestique, la voix étranglée par des pleurs et la panique.

- Oh non, Eowyn…murmura Alcara.

Elle devait absolument vérifier son état, elle demanda à Faramir de patienter dehors et fit appeler dans la ville deux guérisseurs qui l’assistaient habituellement à la Maison de Guérison. Mais en tirant la couverture qui recouvrait Eowyn, elle comprit : les draps étaient couverts de sang.

Après plusieurs heures de soin, Alcara sortit pour aller voir Faramir, qui tournait en rond dans le couloir et vint vers elle, terriblement inquiet.

Avec un air désolé, elle lui déclara, la voix serrée :

- Elle va mieux, ses jours ne sont pas en danger.

- Les dieux soient loués, soupira Faramir, soulagé, en se prenant le front.

- Mais…

Il la regarda, sentant son inquiétude revenir :

- Je suis désolée, Faramir…elle a perdu le bébé.

Faramir dut s’asseoir sous le coup de la nouvelle, comme assommé.

- Je lui avais dit de faire attention, de ne plus monter à cheval…dit-il dans un souffle.

- Nous lui avions tous dit cela, dit Alcara en s’asseyant à côté de lui, mais ce n’est plus la question aujourd’hui. Elle va avoir besoin de toi, Faramir. Sinon, elle va entrer dans une mélancolie funeste.

Faramir hocha la tête, regardant dans le vide. Alcara l’accompagna au chevet d’Eowyn, qui s’était endormie, et elle veilla sur elle pendant plusieurs jours, mais la princesse ne prononça pas un seul mot.

Alcara écrivit alors à Éomer, avant que le maréchal ne reparte : elle jeta un voile pudique sur le maréchal et Umiel, puisque ce dernier avait tenu sa promesse. Mais elle devait lui dire la vérité pour Eowyn.

L’hiver fut un long moment de tristesse et de convalescence au palais. Les routes étaient soit enneigées au Nord, soit gorgées de pluie au Sud. Mais ils apprirent que la guerre était gagnée, et que la Comté était libérée du joug de l’Isengard. Aragorn revint à Minas Tirith, et Faramir put passer plus de temps avec Eowyn, qui se remettait très doucement de sa fausse couche. Quant à Éomer, il continua sa correspondance avec chacun d’entre eux, toujours avec la complicité de Gandalf, qui était resté d’abord dans la Comté puis au Rohan pour l’hiver. Mais Alcara commença à se sentir préoccupée : pourquoi n’avait-il pas hâte de revenir, pour la voir, ou pour la chercher ? Peut-être qu’Arwen, elle, et tous les autres, avaient mal lu les signes ? Et elle sentit le doute entrer en elle, rivalisant avec l’espoir qui l’avait étreinte jusqu’à présent, mais elle ne pouvait en parler à personne.

A Minas Tirith, Arwen donna naissance à un beau garçon, nommé Eldarion, et cet événement, bien qu’officiellement joyeux, relança la mélancolie d’Eowyn. Cette dernière avait l’impression d’avoir échoué : elle ne montait plus à cheval, alors qu’elle le faisait auparavant peu importait le temps qu’il faisait, et elle n’avait pas pu porter l’enfant de Faramir. Malgré la présence d’Alcara, qui tentait de la consoler et de l’inciter à chevaucher progressivement avec elle, elle resta dans un état de tristesse permanent.

Alcara ne pouvait donc ni se confier à Arwen, bien occupée, ni à Eowyn. Elle repensa alors au passé, quand Legolas avait dû la quitter, et qu’elle s’était consacrée à son travail à Minas Tirith, et cette pensée la plongea dans le désarroi. Ne pouvait-elle avancer dans la vie ? Peut-être devait-elle prêter le serment des Soeurs, et se consacrer seulement à aider les autres, elle aussi ?

Elle se consolait en se disant que ce n’était peut-être pas plus mal : après tout, jamais elle ne pourrait épouser un roi, elle n’en avait pas le rang. Et clairement, elle avait un problème avec les histoires d’amour… Elle finit malgré tout par s’en confier à Gandalf, étant le seul à pouvoir comprendre, même si elle savait qu’il avait bien d’autres préoccupations plus importantes.

Quelques jours après, alors que le palais commençait doucement à sortir de l’hiver, elle reçut une bonne nouvelle : Legolas et Gimli, accompagnés d’Aragorn, venaient leur rendre visite pour quelques jours.

Quand elle vit le prince de la Forêt Noire arriver au bout de la grande rue, en face de l’entrée du palais, Alcara se sentit étrangement soulagée, et se demanda si Gandalf n’était pas derrière tout cela pour leur remonter le moral, après avoir lu sa lettre. Elle accueillit avec chaleur les trois guerriers, prenant soin de porter le pendentif que Legolas lui avait offert. Même Eowyn, si taciturne habituellement, fut agréablement surprise de leur présence et les accueillit avec joie.

Au cours du dîner, les trois amis racontèrent une foule d’anecdotes, sur la guerre mais aussi sur leurs voyages. Après les batailles au nord de l’Isengard et jusque dans la Comté, où les Hobbits s’étaient illustrés, Legolas et Gimli étaient partis explorer la forêt de Fangorn, et y avaient retrouvé leurs alliés Ents. Aragorn, de son côté, évoquait de nombreuses batailles anciennes qu’il avait menées avec son groupe de Rôdeurs, et dont Alcara ne savait pas grand-chose. Au coin du feu, sur des fauteuils confortables, alors que la pluie tombait dehors et que la nuit arrivait, Alcara apprécia particulièrement de les écouter.

- Je suis heureux que nos amis Hobbits puissent enfin vivre paisiblement, déclara Aragorn en regardant les flammes, fumant tranquillement une longue pipe en corne blanche. Certains de leurs compatriotes avaient même été réduits en esclavage, sous l’influence de Grima Langue de Serpent.

- Grima était toujours vivant ? demanda Eowyn, soudain particulièrement attentive.

- En effet, confirma Aragorn. Mais heureusement, les Hobbits sont parvenus à le tuer de plusieurs flèches dans le cœur, après qu’il a tué Saroumane de ses propres mains.

Cette annonce les fit frémir, et Alcara se demanda pourquoi Éomer n’en avait pas parlé dans ses lettres. Elle venait d’en recevoir une de sa part, mais il y parlait du quotidien à Edoras, et lui posait de moins en moins de questions sur elle-même. Elle se sentit soudain lasse de devoir lui répondre en lui donnant tous les détails de sa sœur, comme si elle la surveillait pour lui. L’arrivée des trois héros de la Communauté de l’Anneau la divertit beaucoup plus, et elle oublia de lui répondre.

De plus, elle remarqua le changement d’attitude d’Eowyn. Leur présence améliora sensiblement son état, en particulier quand Aragorn suggéra de lui appliquer des fleurs d’athelas pour la soulager. Alcara n’en avait pas le pouvoir, mais l’assista, et lorsqu’ils s’apprêtèrent à repartir, Eowyn demanda à Aragorn de rester quelques instants avec elle pour lui parler. Ne voulant pas les déranger, Alcara sortit, intriguée.

Quand elle la revit plus tard dans la journée, elle sembla beaucoup plus paisible que d’habitude.

La présence de Legolas dans le palais divertissait aussi Alcara : il vint presque tous les jours à son laboratoire ou assister discrètement à ses enseignements de médecine et de pharmacie pour ses élèves, mais naturellement, tous le regardèrent avec curiosité, car il était célèbre. Il se prêta alors de bonne grâce à une longue conversation avec eux, expliquant à la fois son rôle dans la Communauté, ses batailles, mais aussi les enseignements à tirer des elfes pour les bienfaits des plantes ou de la nature en général pour la santé des Hommes.

Un soir, après le dîner, ils restèrent jusque tard, à bavarder tous les deux dans un salon du palais, au coin du feu. Au bout d’un moment, Alcara raconta à Legolas qu’elle avait été intriguée qu’Eowyn demande à Aragorn de lui parler seule à seul. L’elfe regarda longuement les flammes dans le cheminée, comme pour les décrypter, et finit par lui confier :

- Eowyn était amoureuse d’Aragorn. Ils se sont rencontrés à Edoras, quand Théoden a été délivré par Gandalf des griffes de Saroumane. Même après la victoire du Gouffre de Helm, et alors qu’Aragorn pensait encore qu’Arwen partait pour les Terres de l’Ouest, je pense que…c’était encore possible qu’ils se marient.

- Vraiment ? s’étonna Alcara, qui ignorait que ses deux amies avaient en réalité fait partie d’un triangle amoureux.

- Oui, confirma Legolas. Mais Arwen est revenue, et elle est allée au bout du sacrifice de sa vie immortelle pour Aragorn. Et la suite…tu la connais.

Alcara resta perdue dans ses pensées un long moment, digérant la nouvelle. Elle comprenait mieux certaines réticences d’Eowyn à devenir amie avec Arwen, son air nostalgique quand elle se remettait encore de ses blessures dans la Maison de Guérison de Minas Tirith, et son souci de faire un mariage aussi beau que celui d’Aragorn. Le choc de sa fausse couche avait dû ajouter des regrets à sa peine, et Aragorn, presque par obligation envers Eowyn, s’était senti le devoir de l’aider à traverser cette épreuve, avec Faramir. Alcara se rendit compte que les pensées de ses proches cachaient encore des secrets bien complexes…

- J’ai remarqué que ton pendentif brille moins que d’habitude, murmura Legolas, en l’observant.

Surprise, Alcara regarda son collier, et en effet, le diamant semblait terni.

- Je n’avais pas fait attention, avoua-t-elle.

- Il est lié à ton état d’esprit présent, observa Legolas. Est-ce que tout va bien ?

Elle ne pouvait décemment pas lui parler d’Éomer et des sentiments qui étaient nés en elle, mais dont elle n’était plus si certaine à présent.

- Disons que…répondit-elle avec la gorge serrée, les derniers mois ont été difficiles.

- Est-ce que tes pouvoirs se sont manifestés à nouveau ? demanda Legolas de but-en-blanc.

Décidément, les elfes maniaient la franchise avec une facilité déconcertante, et Alcara n’en avait plus l'habitude.

- Eh bien, oui, en réalité, avoua-t-elle en soupirant. Ne me demande pas pourquoi, mais j’ai dû en faire usage pour me défendre. Et depuis, je culpabilise d’avoir eu ce réflexe, et des pensées désagréables m’envahissent.

- Lesquelles ? demanda Legolas.

- Spontanément, il me vient à l’idée que j’aurais pu utiliser encore plus de force pour me défendre, et même…que j’aurais été légitime à chercher à me venger.

Legolas resta silencieux, et regarda le feu de la cheminée, en réfléchissant.

- J’ai déjà eu des pensées de ce type, pendant la guerre, avoua-t-elle. Mais je me suis aperçue, après la victoire, qu’elles étaient liées directement aux événements de l’Anneau et du Mordor. Comme si…j’avais eu une sorte de Palantir dans la tête !

- Pourquoi penses-tu qu’elles reviennent particulièrement maintenant ? continua Legolas.

- Je l’ignore, reconnut-elle, peut-être à cause de mon état d’esprit mélancolique ?

- Ou peut-être, enchaîna Legolas, parce qu’il existe de nouvelles menaces qui rappellent celles du Mordor.

Un lourd silence accompagna ses paroles, et Alcara en le regardant, sentit comme un frisson parcourir son dos.

- Crois-tu…? commença-t-elle.

- Je pense que tu devrais en parler avec Gandalf rapidement, conseilla Legolas. Si tes intuitions sont justes, peut-être que des ennemis rôdent, non loin d’ici.

- En Ithilien?

- Nous sommes juste à côté de l’ancien royaume de Sauron, appuya Legolas. S’il reste des ennemis, cachés dans l’ombre et prêts à se venger, c’est là-bas qu’ils se terrent.

- Alors, j’espère que mes intuitions sont fausses, répondit Alcara. Mais en effet, je vais écrire à Gandalf.

Ils regardèrent le feu dans la cheminée, et Legolas observa Alcara : elle avait maigri, et semblait fatiguée, mais lovée dans son fauteuil, devant les flammes, elle gardait un air mystérieux et envoûtant qui faisait encore son charme. Legolas, malgré le temps et les voyages, ne parvenait pas à en rester totalement indifférent : mais il ne voulait pas la blesser avec de faux espoirs qui n’allaient pas se réaliser.

Alors Alcara, depuis son fauteuil, en regardant toujours le feu, tendit sa main vers lui. D’abord hésitant, il la prit finalement, et sentit sa peau douce mais froide. Elle soupira, comme si la chaleur de la main de Legolas la rassurait.

- Je suis heureuse que tu sois venu ici, murmura-t-elle, en regardant toujours dans les flammes, les yeux brillants de tristesse et de fatigue. Je me sens un peu perdue, ces temps-ci.

- Pourtant tu fais beaucoup pour la Maison de Guérison, et pour Eowyn ? la consola Legolas.

- Oui, répondit-elle, mais j’ai comme l’impression…de ne pas complètement trouver ma place. J’ai toujours envie de me trouver ailleurs qu’ici.

Au fond d’elle-même, elle se demandait si elle se serait sentie plus à sa place dans le Rohan, mais elle n’en avait aucune idée et se disait qu’elle n’aurait sûrement jamais l’occasion d’y retourner, et donc de se poser la question.

- Je te comprends, la rassura Legolas. J’ai toujours ressenti cela, moi-même. Cela fait bien longtemps que je ne suis pas retourné dans la Forêt Noire, et aujourd’hui, ce ne sont plus les terres des Elfes des forêts. Comme tous les autres, ils partent peu à peu vers l’Ouest. Mais il reste un groupe restreint, qui n’est guidé par aucun prince, et un jour, j’y retournerai pour leur trouver une nouvelle patrie sur la Terre du Milieu.

Alcara ne le savait pas, et l’écouta avec attention, sa main toujours dans la sienne, réchauffée à son contact. Elle lui répondit :

- Il paraît que les forêts à l'ouest de l’Ithilien, de l’autre côté du fleuve Anduin, au Sud des Montagnes Blanches, sont absolument splendides. Je suis allée chevaucher à la bordure Est cet été, et je n’ai vu qu’un petit aperçu, mais les paysages sont époustouflants. Et il n’y a quasiment personne qui habite là-bas, ce sont des forêts préservées, sans présence humaine.

- Je l’ignorais, reconnut Legolas, et elle le regarda en souriant, car il y avait peu de choses qu’il ne savait pas. J’irai explorer ces forêts. Merci de me l’avoir indiqué.

Ils se regardèrent longuement, et Alcara prit plaisir à le regarder au fond de ses yeux bleus et pénétrants, comme autrefois.

Legolas se leva, hésita un instant et s’assit sur le bras du fauteuil d’Alcara, pour l’entourer de ses bras et poser sa tête contre la sienne, en respirant le doux parfum de lavande qui embaumait ses cheveux. Alcara ferma les yeux et mit ses bras sur les siens, en soupirant, sentant déjà des larmes monter à ses yeux. Ce contact, ce sentiment de protection, de sécurité et de paix, lui avait terriblement manqué. En dépit de tout, du fait qu’ils n’étaient pas destinés à rester ensemble, que Legolas ne se marierait sans doute jamais avec quiconque, elle profita de son étreinte : elle qui avait tellement pris l’habitude d’aider et de soutenir les autres, ressentit le besoin profond d’être soutenue, rassurée à son tour.

Malgré ses doutes, Legolas ne put s’empêcher de retrouver lui aussi, auprès d’elle, quelque chose de rassurant, comme autrefois, à Fondcombe, quand tout semblait si facile. Il déposa alors de légers baisers dans ses cheveux, et sur son front, qu’elle reçut en fermant les yeux, comme apaisée, sentant des larmes silencieuses couler sur ses joues. Ils avaient eu un moment de passion, qui appartenait au passé. A présent, ils ne retrouvaient que la présence sécurisante d’un ancien amour familier.

Comme prévu, au bout de quelques jours, les trois amis quittèrent l’Ithilien. Aragorn repartit vers Minas Tirith, et Legolas et Gimli décidèrent de découvrir les forêts des collines, au Sud des Montagnes Blanches. Quand Alcara eut plus de temps pour voir Eowyn, elle la retrouva apaisée et plus sereine qu’auparavant. Elle osa évoquer l’avenir, et même de recommencer à monter à cheval : et cette nouvelle réchauffa particulièrement le cœur d’Alcara.

Qu'en pensez-vous ? Pensez-vous que Gandalf a quelque chose à voir avec la visite de Legolas 😂 Pensez-vous que le magicien a prévenu Éomer pour le faire réagir ? A suivre!

 

Chapter 25: Saisir Sa Chance

Chapter Text

Saisir Sa Chance

Musique à écouter sur ce chapitre :

Cette musique est incroyable, surtout la fin à la guitare 😍

Au départ d’Aragorn, de Gimli et de Legolas, l’hiver fit place au printemps, et dès le début du mois de mars, le temps commença à être plus clément. 

Dans le palais niché dans les collines d’Emyn Arnen, Arcala en profita pour chevaucher à nouveau avec Eowyn, et les habitants de l’Ithilien s’habituèrent à voir leur princesse Rohirrim chevaucher comme un homme dans les environs de la cité. 

Arcala sentait pourtant qu’elle aurait aimé voir plus de paysages, voyager plus loin, comme Legolas pouvait le faire. La Maison de Guérison était terminée, et constituée autour de Soeurs, de guérisseurs et d’élèves doués qui en bâtirent rapidement une solide renommée. Alcara aurait aimé trouver de nouveaux projets pour remplir sa vie, alors qu’Éomer ne lui envoya plus de lettres. Elle se dit que l’éloignement avait dû le lasser, et son espoir qu’il réponde à son affection pour lui s’émoussa.

Avec le temps, sa douleur s’était adoucie, mais elle s’aperçut avec désarroi qu’elle était toujours là. Éomer lui manquait, même son caractère susceptible et têtu ; l’idée qu’il ait pu l’oublier, ou ne pas voir l’intérêt de continuer à lui demander des nouvelles, la blessait profondément. Elle eut l’impression d’être délaissée, abandonnée, qu’il trahissait une promesse que pourtant il n’avait jamais proférée, et elle se détesta de lui en vouloir à ce point, sans recul ni raison.

Pourtant, elle n’était pas au bout de ses surprises.

Un matin ensoleillé, alors qu’elle était dans son laboratoire, Eowyn frappa à la porte et entra. En s’asseyant face à Alcara, elle lui tendit une lettre patente d’Éomer, avec le grand cachet de cire du roi orné d’un cheval cabré et des rubans officiels.

- C’est pour toi ! s’exclama-t-elle en souriant, sans rien annoncer d’autre.

Alcara prit la lettre, intriguée et anxieuse. Les rubans et le cachet de cire étaient inhabituels et solennels, jamais Éomer n’en avait mis dans ses précédentes lettres pour elle ou pour Eowyn. Ce devait être une décision royale, et importante.

En dépliant le parchemin, elle n’en revint pas : il était écrit que le roi du Rohan demandait l’autorisation au Prince et à la Princesse d’Ithilien de mander leur guérisseuse nommée Alcara, pour constituer une Maison de Guérison à Edoras.

Passée la surprise de cette nouvelle, elle sentit son coeur bondir : une immense joie la parcourut des pieds à la tête, elle eut l’impression de se réveiller d’un long sommeil. Si elle l’avait pu, elle serait partie immédiatement. Mais elle avait Eowyn en face d’elle, celle qu’elle avait promis de suivre, et dont elle s’occupait en tant que guérisseuse personnelle, et comme amie. Et qui par ailleurs, ne savait rien de son amour secret pour son frère Éomer.

- Qu’en penses-tu ? demanda simplement Alcara, prudente, sans rien laisser paraître.

- Je pense que c’est une excellente idée ! s’exclama sincèrement Eowyn. Après les batailles en Isengard et dans la Comté, il a dû y avoir des blessés, il faut constituer une Maison de Guérison bien organisée pour le royaume. Et même si j’aime le Rohan de tout mon cœur, il faut avouer qu’il n’est pas en avance par rapport au Gondor sur la question de la médecine…

Alcara, dont le coeur battait toujours à vive allure, répondit :

- Mais… je ne serai plus ici, avec toi…si jamais tu retombais enceinte, par exemple, je ne pourrai pas t’accompagner…

Eowyn eut un moment de silence, surprise de la question d’Alcara, mais qui sous-entendait aussi que les deux amies ne seraient plus à proximité pendant longtemps. La princesse baissa la tête, comme si elle avait déjà pris sa décision.

- Cela me fait de la peine, assurément, avoua Eowyn. Mais…c’est une occasion unique. Selon moi, cela prouve qu’Éomer a peut-être moins de préjugés sur les sciences qu’autrefois, peut-être grâce à l’influence de Gandalf, qui lui a rendu visite pendant plusieurs semaines.

Alcara se mordit la lèvre. Eowyn semblait accepter son départ avec facilité, et elle se demandait si elle ne se doutait pas que…mais elle hésitait encore, elle ressentait le besoin urgent, vital de partir, de rejoindre Éomer malgré son silence depuis un long moment, mais elle regrettait l’idée de ne plus voir Eowyn, qui lui avait apporté tant de soutien.

Comme si elle devinait ses doutes à demi-mot, Eowyn tendit son bras et prit la main de son amie de l’autre côté de la table, en lui disant :

- Alcara, c’est le moment. Saisis ta chance.

Elle leva la tête pour la regarder, intriguée, et rougissant malgré elle. Sa phrase était si ambiguë…mais Eowyn se contenta de la regarder en souriant, tout en se levant et en quittant la pièce, la laissant avec la lettre officielle.

Il fut ainsi décidé qu’Alcara quitte l’Ithilien pour rejoindre le Rohan cinq jours plus tard, le temps d’organiser l’acheminement de suffisamment de matériel pour constituer une Maison de Guérison temporaire. Elle laissa ainsi les rênes de la Maison d’Ithilien à un guérisseur de confiance, et dut dire au revoir à ses élèves, qui la virent partir avec grand regret. Elle eut aussi du mal à dire au revoir à Eowyn et Faramir, qui étaient des amis sincères, grâce à qui elle n’avait pas trop souffert de la solitude. Mais en ce matin ensoleillé de printemps, alors que la cité embaumait déjà de l’odeur des fleurs nouvelles, elle était impatiente de chevaucher à travers les grands paysages de la Terre du Milieu.

Avant de s’en aller, elle échangea un dernier regard éloquent avec Umiel, révélateur du fait qu’elles avaient dépassé leur froideur première et qu’Umiel semblait la remercier d’une certaine façon, malgré leur inimitié passée.

Alcara partit ainsi avec deux Rohirrim de la garde royale qui étaient venus l’escorter, suivie par une grande charrette remplie de matériel et de remèdes. Elle emportait toutes ses possessions avec elle, composées principalement de ses vêtements, son arc et son épée, mais aussi son pendentif en diamant et la petite plume rouge, envoyée quelques mois plus tôt par Éomer.

Alors que les Rohirrim voulaient se hâter d’arriver et parcourir plus de distance le premier jour, Alcara insista pour s’arrêter à l’auberge modeste où les échassiers rouges faisaient escale dans le petit étang. Malgré leurs réticences, ils acceptèrent une courte halte d’une heure, et Alcara renoua conversation avec la femme de l’aubergiste, qui l’observa en souriant et fit remarquer que décidément, beaucoup de personnalités du pays semblaient très intéressées par les oiseaux rouges. Alcara alla ensuite au bord de l’étang pour les observer, alors que le soleil descendait déjà dans le ciel. Les volatiles commençaient à revenir de leurs migrations, mais étaient encore peu nombreux. Perdue dans ses pensées, souriant aux oiseaux, Alcara dut être rappelée plusieurs fois par les Rohirrim pour continuer la route avant la tombée de la nuit, et elle finit par les suivre.

Le voyage fut paisible, et cette fois plus tranquille et discret qu’avec les processions royales précédentes. Les Rohirrim perdaient souvent patience face aux digressions d’Alcara, qui s’arrêtait toujours souvent pour admirer le paysage et prendre des notes face aux phénomènes naturels qu’elle observait et comparait à ses grimoires, cueillant des spécimens de fleurs et de feuilles au fur et à mesure de la route, mais ils obéissaient au roi et ne firent aucun commentaire direct. Alcara voyait qu’ils avaient hâte de partir d’Ithilien, mais elle ignorait pourquoi, sûrement pour rejoindre plus vite leur propre royaume. Cependant, plus ils avançaient vers le Nord, moins le temps était clément, et ils essuyèrent plusieurs jours de pluie et même quelques flocons de neige. Alcara ne regretta pas d’avoir prévu sa cape la plus chaude pour affronter ce climat encore hivernal…

 

Quand, enfin, Edoras se dessina à l’horizon, Alcara sentit son coeur s’accélérer : il y avait beaucoup à faire pour instaurer une Maison de Guérison, auprès d’un peuple encore réticent à accepter les progrès de la science. Elle ne pouvait plus reculer, à présent. Surtout, ses pensées furent envahies par l’idée qu’elle n’avait absolument pas réfléchi à ce qu’elle dirait à Éomer, et à comment pouvaient se passer leurs retrouvailles. Heureusement, Gandalf serait là, et cette pensée la soulagea.

Prenant une grande inspiration, elle fit avancer son cheval jusqu’aux contreforts de la ville, où elle vit à nouveau les tertres de la nécropole des Eorlingas, recouverts de petites fleurs blanches. Spontanément, elle en cueillit quelques-unes, comme elle l’avait fait un an auparavant aux funérailles de Théoden - et cela lui sembla si lointain qu’elle crut que des années s’étaient écoulées.

La cité semblait toujours aussi paisible, et elle remarqua de nouvelles constructions, de grandes halles de marché, des agrandissements de l’écurie royale, en plus des villages plus nombreux sur le chemin, signalant que la paix était bien installée et que le Rohan redevenait peu à peu prospère.

En entrant dans l’écurie royale, peut-être le lieu le plus important d’Edoras après la grande salle dorée du palais de Meduseld, elle vit, dans le compartiment à chevaux situé tout au fond, juste en face de la grande porte, un grand et majestueux cheval blanc. Sa porte n’était pas fermée, il n’avait aucune bride pour l’attacher, et aucune selle à proximité, et pourtant il ne bougeait pas. Quand elle le vit, il tourna la tête et la fixa longtemps, et elle fut certaine qu’il l’invitait à s’approcher. Elle s’avança, guidant toujours son propre cheval derrière elle, fascinée par ce grand cheval blanc. Quand elle arriva près de lui, il se tourna, comme s’il voulait qu’elle le caresse, ce qu’elle fit immédiatement. Alors un phénomène étrange se produisit : son propre cheval s’inclina devant le cheval blanc : il baissa sa tête, et plia sa patte avant droite devant lui, à la manière d’une révérence. Alors elle eut une exclamation, car elle avait compris : elle était face à Gripoil, le cheval de Gandalf, le plus rapide des destriers, le dernier des Mearas, les seigneurs des chevaux.

Pour s’en assurer, elle lui parla :

- Bonjour, Gripoil, car c’est bien ton nom, n’est-ce pas ?

Et lorsqu’il lui répondit en hochant la tête de haut en bas, elle sut que c’était lui. Elle n’en revint pas de le voir d’aussi près.

- Tu es vraiment le roi des chevaux, sans aucun doute, lui dit-elle en lui caressant toujours la tête. J’espère que nous nous reverrons souvent.

Gripoil souffla et hocha la tête de nouveau, comme si cela était évident, et elle espéra que c’était vrai. Elle repensa alors à Éomer, et elle se hâta de conduire son propre cheval à son alcôve.

Elle laissa son cheval reposer à l’écurie et monta avec les deux Rohirrim jusqu’en haut de la ville, en haut des marches menant à Meduseld, le palais d’Edoras.

Devant les portes, Gandalf se tenait debout, appuyé sur son bâton magique, regardant au loin, sa longue robe blanche flottant au vent. Quand il aperçut Alcara, il lui tendit les bras et ils se saluèrent chaleureusement.

- Gandalf, enfin nous nous retrouvons ! s’exclama-t-elle en souriant.

- Ma chère Petite Aube ! répondit Gandalf. Vous n’avez pas pris une ride, plaisanta-t-il.

- Vous non plus, enchaîna Alcara avec un regard malicieux.

- Ah, soupira Gandalf, je les ai depuis si longtemps que vous ne les voyez même plus !

Et ils rirent ensemble, heureux de se retrouver. Pourtant Gandalf, possédant toujours un sens de l’observation très aigu, remarqua la nervosité de sa pupille.

- Éomer est pris par un conseil royal, expliqua Gandalf. Venez, je veux vous montrer quelque chose.

Elle prit congé des Rohirrim en les remerciant, et elle et Gandalf entrèrent par une autre porte, pour ne pas déranger la réunion officielle qui se tenait dans la grande salle. Alcara se sentit déçue de ne pas croiser Éomer immédiatement, mais suivit le magicien.

Dans les couloirs sombres tapissés de bois, Gandalf lui dit en murmurant :

- J’ai bien reçu votre lettre, Alcara. Celle où vous dites pressentir des menaces de l’autre côté des montagnes de l’Est d’Emyn Arnen.

- C’est Legolas qui m’a conseillé de vous l’écrire, lui confia-t-elle. Ce ne sont que des intuitions…

- En effet, mais je regarde toujours les intuitions avec le plus grand sérieux.

Il s’arrêta un instant pour la regarder avec un air grave.

- Autrefois, quand vous aviez eu des visions, au moment où l’Anneau nous était présenté au conseil d’Elrond, j’étais trop préoccupé pour y réfléchir. Mais aujourd’hui, je sais que vous aviez vu des choses lointaines, et dans l’avenir, qui se sont vérifiées.

- Vous voulez dire que…s’étonna-t-elle, j’ai des visions? Comme Arwen ?

- Ce ne sont pas exactement les mêmes, car vous ne les maîtrisez pas comme elle, répondit Gandalf. Mais elles apparaissent à des moments charnières. Et cette fois, je veux les entendre et ne pas prendre de risque.

Alcara se dit qu’elle devrait réfléchir à la nature de ces moments charnières, mais elle connaissait déjà un peu leur teneur : les dernières fois où cela était arrivé, Legolas l’avait quittée pour partir à la guerre, et elle avait eu peur pour lui.

- Qu’allez-vous faire, dans ce cas? demanda-t-elle, alors que Gandalf et elle continuaient leur chemin.

- J’ai déjà écrit à Aragorn : avec Faramir, ils vont envoyer des sentinelles pour savoir s’il se trame quelque chose dans le Mordor. Et j’irai les rejoindre dans peu de temps.

Faramir serait donc moins présent pour Eowyn, et Gandalf partirait rapidement d’Edoras… décidément, ils ne seraient jamais tranquilles. Mais c’était le prix à payer pour préparer la paix.

Après plusieurs couloirs, ils arrivèrent dans une haute salle voûtée, taillée dans la pierre de la montagne, par laquelle on accédait en descendant les marches des sous-sols du palais. On y descendait par une petite porte en bois, puis quelques marches, et s’offraient alors aux yeux, de hautes fenêtres en ogive avec beaucoup de lumière et une vue dégagée sur la lande. De grandes tables en bois étaient encore alignées sur le carrelage en terre cuite, et des fresques si anciennes qu’elles étaient indéchiffrables ornaient les hauts murs au Nord et au Sud de la pièce. Une immense cheminée prenait presque tout le mur qui se trouvait en face des fenêtres, où un petit feu avait été allumé.

- Ma chère Alcara, déclara Gandalf, bienvenue dans votre nouveau laboratoire !

Alcara, curieuse et ravie, observa la salle sous tous les angles : elle ne donnait pas sur le reste du palais comme celle en Ithilien, et était assez loin de la grande salle du trône, mais elle était beaucoup plus grande et pouvait accueillir de nombreux élèves et beaucoup de matériel.

- Il s’agissait de l’ancien réfectoire des soldats, expliqua Gandalf, avant qu’une plus grande garnison ne soit construite en bas d’Edoras, plus pratique pour y regrouper les chevaux et la cantine de l’armée.

Elle l’écoutait en continuant d’explorer les lieux. Dans de grands buffets sur le mur du fond, elle trouva beaucoup d’instruments de cuisine qui ne servaient plus, mais qui pouvaient lui être utiles pour son laboratoire : des réchauds, des bols et des fioles en verre, des bouchons de liège, et même des chiffons blancs.

- Qu’en pensez-vous ? demanda Gandalf.

- C’est plus…rudimentaire que dans le Gondor, bien sûr, mais je pense qu’il y a l’essentiel, répondit Alcara. Si cela est nécessaire, je ferai venir d’autres ustensiles.

- Vous verrez, lui confia Gandalf, les Rohirrim les plus hauts gradés sont les plus rétifs, mais le peuple est très réceptif aux nouvelles sciences. Vous trouverez rapidement des élèves et de l’assistance, ici.

- Sûrement parce que vous avez participé à sauver le roi Théoden, autrefois, sourit-elle.

- Cela a pu aider, répondit modestement le magicien.

Alcara commença à ouvrir les autres portes des buffets, et à observer l’intérieur de la cheminée, tout en demandant :

- Gandalf, quand vous dites que les plus hauts gradés sont les plus rétifs, est-ce que vous pensez aussi à…

Mais en relevant la tête, elle vit Éomer, debout à l’entrée, encore en haut des marches de la salle. Gandalf se retourna lentement, pour l’observer à son tour.

- …Éomer, ajouta Alcara pour terminer sa phrase, la gorge sèche tout à coup.

Éomer, silencieux lui aussi, descendit lentement les marches, sans cesser de la regarder. Il portait ses habits de roi pour le conseil qu’il venait de présider, sa couronne d’or sur la tête, son épée au côté et sa cape bordée d’une fourrure brune. Elle se tint immobile, n’osant faire un geste, sentant sa nervosité plus grande encore.

- Bonjour Dame Alcara, déclara Éomer en lui faisant un salut poli de la tête. Vous êtes arrivée.

- Je vous laisse discuter, dit Gandalf en se tournant vers Alcara avec un air exagérément détaché.

Cette dernière essaya de lui faire comprendre par le regard de ne pas la laisser seule avec lui, mais c’était peine perdue. Il franchissait déjà la porte.

Éomer lui céda le passage pour le laisser sortir, puis descendit les marches pour se poster devant elle, et baissa la tête. Il semblait embarrassé et ne pas savoir quoi lui dire. Exactement comme elle.

Alcara se mordit spontanément la lèvre et posa machinalement ses mains sur la première table venue, alors qu’un silence de plus en plus pesant s’installait entre eux.

- Je vous remercie pour votre invitation, dit-elle finalement, pour briser la glace. Ce laboratoire sera parfait pour commencer l’installation d’une Maison de Guérison.

- Je vous en prie, répondit poliment Éomer. Cet endroit ne servait plus depuis très longtemps. Chez nous, les soldats préfèrent rester plus près de leurs chevaux !

Un nouveau silence. Alcara avait oublié qu’il n’était pas aussi prolixe que Faramir, ou Aragorn. Elle se sentit désemparée : après une si longue attente, comment faire, comment lui parler, renouer avec la réalité et non plus des rêves ou des regrets lointains ?

- Gandalf a été d’une grande aide, ici, ajouta Éomer.

Elle leva la tête pour l’écouter.

- Nous reconstruisons rapidement le Rohan, y compris la zone du Nord et de l’Ouest, près de l’Isengard, grâce à son impulsion. Et…il est de bon conseil.

Il n’en dit pas plus concernant cet aspect. Alcara ignorait quels conseils avait pu prodiguer Gandalf, mais puisqu’il avait fait passer la correspondance entre elle et Éomer, elle pouvait légitimement penser que ses conseils ne se bornaient pas seulement à la politique.

- Il est toujours bon d’écouter Gandalf, répondit Alcara. C’est grâce à lui que j’ai découvert mes dons pour être guérisseuse.

Un autre silence. Éomer regardait le petit feu dans la cheminée. Dans le Rohan, le printemps n’était pas encore arrivé, et la grande salle était encore fraîche, ne facilitant pas leur conversation.

- Est-ce Gandalf qui a eu l’idée de créer une Maison de Guérison ? demanda Alcara.

- Non, pas du tout, démentit immédiatement Éomer, en se tournant soudain vers elle, comme vexé qu’elle ait pu penser cela. J’ai eu l’idée moi-même !

- Oh, pardonnez-moi, je ne voulais pas…commença-t-elle à répondre.

- Pourquoi pensez-vous cela ? demanda Éomer, réagissant un peu trop vivement selon Alcara, et elle se demanda pourquoi il tenait tant à avoir l’idée lui-même.

- C’est seulement…votre lettre était si…officielle, et solennelle…

Éomer soupira et appuya ses deux poings sur la table, les bras tendus, en face d’elle. Elle s’en voulut d’avoir été si franche, mais elle n’y pouvait rien, cela l’avait perturbée.

- Peut-être parce qu’ainsi, j’étais sûr que vous la liriez, et qu’on me répondrait, répondit Éomer, d’un ton amer.

- Comment cela ? Je vous ai toujours répondu ! se défendit-elle.

- Non, rétorqua Éomer en levant son index, comme un roi-juge. Pas à la dernière lettre !

Et alors elle se souvint tout à coup qu’en effet, elle n’avait jamais répondu à la dernière missive, au moment où Legolas était venu en Ithilien, et elle se sentit soudain rougir.

- Mais…

Et elle soupira à son tour, se tenant comme lui à l’instant, en appuyant ses deux mains sur la table.

- Peut-être qu’écrire au roi du Rohan n’est pas assez bien pour une Gondorienne, ajouta Éomer, sur un ton excessivement ironique.

- Oh, je vous en prie, arrêtez avec cela ! s’agaça-t-elle en le regardant avec un oeil noir, et elle se sentit encore plus énervée en le voyant faire un grand sourire victorieux, comme s’il avait atteint sa cible. Je n’ai pas répondu parce que… j’en avais assez d’espionner Eowyn, voilà tout !

- Mais je ne l’espionnais pas ! se défendit Éomer, en prenant son air le plus innocent.

- Bien sûr que si ! insista-t-elle. Vous demandiez toujours les moindres détails sur elle. Au bout de plusieurs mois, j’en ai eu assez. C’est mon amie, et…ce n’est pas honnête envers elle.

Elle faillit dire “et cela semblait vous intéresser davantage que moi-même”, mais elle se retint à temps.

- Pourquoi croyez-vous toujours que je veux surveiller tout le monde ? demanda-t-il, irrité, en croisant les bras.

- Parce que c’est vrai, répliqua Alcara. Avec l’histoire de l'œuf…

- Mais c’est terminé, tout cela…

- Peut-être pas. Pourquoi m’avez-vous fait venir ? Pour être toujours certain que je ne fasse pas de bêtises?

- Mais non ! J’avais envie que vous veniez !

Elle haussa les sourcils en croisant les bras à son tour, l’air victorieux. Enfin, il sortait un peu de sa carapace… Mais il s’en était aperçu, et se gratta la tête, embarrassé.

- Vous aviez envie que je vienne ? insista-t-elle. Et pourquoi cela ?

- Parce que…hésita Éomer, qui semblait être au supplice, soumis à une torture insoutenable. Parce que vous avez à présent une réputation dans tous les royaumes, on vous dresse un portrait très élogieux et…vous êtes très douée, voilà. Je voulais montrer que le Rohan aussi peut entrer dans le progrès, et bénéficier de vos savoirs.

- Voilà une bien belle réponse de roi, remarqua-t-elle avec ironie. A présent, si vous m’y autorisez, je vais aller chercher tous mes instruments, et les installer.

Elle passa devant lui et se dirigea vers la porte.

- Alcara, l’appela-t-il avant qu’elle ne sorte, et elle se retourna vers lui.

Il la regarda étrangement, comme il ne l’avait encore jamais fait, ou peut-être un peu, le soir du mariage d’Eowyn et de Faramir, après la danse. Un regard plus intense, mais aussi plus doux, comme pour se faire excuser d’une faute contre laquelle il ne pouvait rien.

- Je suis sincèrement content que vous soyez là. Croyez-le.

Elle répondit à son regard sans sourire, hocha la tête, et repartit. Dans les couloirs, elle se toucha le front avec la main en soupirant, comme prise d’une fièvre, et se sentit terriblement tiraillée. Cela n’allait pas être facile, et construire la Maison de Guérison serait peut-être bien plus simple que de comprendre Éomer. Mais comme lui avait dit Eowyn, elle devait saisir sa chance : elle n’était pas venue jusqu’ici pour attendre, comme en Ithilien.

Quelques heures plus tard, elle se changea pour se rendre au dîner. Contrairement aux habitudes du Gondor, elle ne porta pas une tenue sophistiquée et opta pour la coiffure classique du Rohan, une natte torsadée autour d’un ruban qui lui ceignait le front et une robe en velours vert sombre au col et aux manches bordés de fourrure brune, pour lui tenir chaud.

Éomer et Gandalf étaient déjà attablés et devisaient tranquillement, et elle fut étonnée qu’ils soient les seuls présents au dîner. En Ithilien, les tablées étaient toujours importantes, remplies des membres de la Cour, et ses dîners à Edoras avaient toujours été en présence du groupe de dames d’honneur d’Eowyn. Ce serait donc un moment en très petit comité.

- Venez, Petite Aube, lui dit Gandalf en lui faisant signe, et elle s’avança vers la table. Éomer eut un léger mouvement du sourcil en le regardant : c’était la première fois qu’il devait entendre le surnom affectueux que lui donnaient Gandalf et les elfes. Avant que vous n’arriviez, continua le magicien, j’évoquais au roi Éomer les grandes chasses elfiques du temps du roi Elrond.

Pourquoi évoquait-il cela, se demanda Alcara ? Il savait bien qu’elle avait rencontré Legolas lors d’une de ces chasses…un peu déstabilisée, mais n’en laissant rien paraître, elle s’assit et participa à la conversation, pendant qu’Éomer lui servait à boire.

- En effet, c’est très impressionnant, raconta-t-elle. Il faut pouvoir cavaler très rapidement entre les arbres ; les elfes attrapent leurs cibles à l’arc, au galop, avec une grande précision. C’est si rapide, que les proies n’ont presque aucune chance de leur échapper.

Éomer l’observa du coin de l’oeil, et déclara :

- Je trouve cela très imprudent. A l’arc, et au galop, on prend toujours le risque de blesser quelqu’un. Il vaut mieux laisser faire les chiens, puis lancer l’hallali à la fin de la poursuite. De plus, ajouta-t-il en connaisseur - ce qui agaça un peu Alcara qui le sentait un peu jaloux - vous devriez savoir que les chevaux n’apprécient pas de galoper entre les arbres, ils se désorientent au bout d’un moment et peuvent paniquer.

- C’est possible, accorda Alcara. Mais cela reste très…

- Par ailleurs, la coupa Éomer, alors qu’on servait les entrées, c’est valable aussi pour le Gondor. Vous le savez, dit-il en la désignant de la main, puisque vous étiez vous aussi aux chasses, en Ithilien. Tout est précipité, on ne pense qu’à l’amusement des cavaliers. Mais il faut qu’un cheval puisse avoir le temps de connaître l’itinéraire, de sentir toutes les odeurs, de s’habituer aux cris des chiens. Sinon ils pensent se trouver dans une bataille et peuvent créer des accidents. Vous ne croyez pas ?

- Je n’en sais rien, répliqua Alcara impatiemment, en attaquant son assiette. Je ne suis pas un cheval.

Gandalf avala sa gorgée de vin en s’étranglant à moitié, et Alcara aurait juré qu’il cachait un fou rire. Éomer, quant à lui, eut l’air encore plus vexé que plus tôt dans l’après-midi. Mais elle n’avait aucun regret : s’il voulait jouer à ce petit jeu, de savoir qui des elfes, du Rohan ou du Gondor étaient les meilleurs, et qu’il l’associait encore une fois aux Gondoriens, elle relèverait le défi avec plaisir. Elle se disait même qu’elle aurait dû mettre une tenue gondorienne pour le dîner, simplement pour l’énerver, et elle se promit de le faire pour le lendemain.

- Gandalf, enchaîna-t-elle comme si de rien n’était, comment vont nos amis Hobbits ?

Et Gandalf raconta avec plaisir des nouvelles de Frodon, Sam, Pippin et Merry, annonçant la naissance prochaine de l’enfant de Sam Gamegie et de son épouse Rose Chaumine. Ces nouvelles divertirent Éomer, mais il continuait à la regarder du coin de l'œil avec prudence.

Alors que les entrées étaient terminées et que l’on apportait le plat de résistance, Éomer reprit la parole et demanda :

- A présent que vous avez vécu un certain temps en Ithilien, Dame Alcara, dites-nous ce que vous avez pensé de la vie dans le Gondor ?

Décidément, il ne lâcherait pas facilement le combat, et revenait sans cesse à la charge. Mais il oubliait un peu vite qu’elle était aussi fière et entêtée que lui…

- Le Gondor a ses charmes, commença-t-elle tranquillement. C’est un royaume ancien, la civilisation y est très installée, pour le meilleur comme pour le pire.

- Pour le pire ? Comment cela ? demanda Éomer, et elle avait prévu qu’il se saisisse de la perche qu’elle lui avait tendue.

- Pour le meilleur, commença-t-elle, parce que le niveau de raffinement y atteint des sommets, même si les elfes restent plus avancés, bien entendu - et elle le vit tiquer à nouveau. Pour le pire, car un si haut degré de raffinement ne va pas sans une vie de cour complexe, pleine de pièges, de sous-entendus, de secrets d’alcôves. Et cela ne m’étonnerait pas qu’il y ait même eu des complots autrefois.

- En effet, confirma Gandalf, pour qui l’histoire de la Terre du Milieu n’avait pas de secrets.

- Vous ne verrez pas ce genre de choses dans le Rohan, répondit fièrement Éomer.

- Du raffinement ? demanda Alcara innocemment.

Éomer tapa un instant ses doigts sur la table, visiblement agacé, et elle fit un beau sourire de politesse. Gandalf dut faire semblant de caresser sa barbe pour dissimuler son rire. Il avait l’air de beaucoup s'amuser.

- Des complots, la corrigea Éomer d’une voix sèche, en lui lançant un regard noir.

- Pour cela, je veux bien vous croire, confirma-t-elle. Il me semble que les Rohirrim sont plus sincères, pour peu qu’ils expriment clairement leurs pensées.

- Vous pensez que nous avançons masqués ?

- Ce n’est pas ce que j’ai dit, le rectifia-t-elle. Mais ils sont trop…taiseux, pour qu’on puisse bien comprendre leurs intentions.

Éomer gratta sa barbe un instant, et évita son regard pour finir son assiette. Elle menait décidément la danse, ce qui ne manqua pas de la ravir. Et peut-être arriverait-elle à lui faire avouer ses véritables sentiments à son égard, peu à peu.

- Les Rohirrim ont pris l’habitude de se défendre seuls depuis bien longtemps, finit par expliquer Éomer. Ils subissent le sentiment de supériorité de leurs voisins depuis des siècles.

- Maintenant que la guerre de l’Anneau est terminée, répondit Gandalf, ils pourront s’apercevoir que leurs voisins sont beaucoup plus bienveillants qu’ils ne le croient.

- Je l’espère, répliqua Éomer en tendant son verre, comme s’il trinquait à cette possibilité.

La suite du repas fut consacrée à des récits de Gandalf, qui donna des nouvelles du roi Elrond et de la reine Galadriel, et raconta quelques aventures épiques avec Bilbo et le dragon qui gardait le trésor des Nains. Le reste de la soirée se déroula tranquillement, et Alcara apprécia de ne plus avoir à faire des joutes verbales avec Éomer et de simplement écouter Gandalf, au coin du feu. La présence du magicien donnait plus de douceur à leurs conversations, qui finissaient sinon toujours en étincelles. Elle prit plaisir à observer le roi du Rohan du coin de l'œil, lui-même plus apaisé et diverti par d’autres histoires que les sempiternelles rivalités entre lui et les royaumes voisins. Quand Gandalf partirait de nouveau pour le Sud, ces moments paisibles lui manqueraient assurément.

Qu'en pensez-vous ? J'ai trouvé très amusant de taquiner un peu Eomer dans ce chapitre ! A Edoras, ils seront libres d'explorer leur future relation... ! 😀

 

Chapter 26: Simbelmynë

Chapter Text

Simbelmynë

Musique à écouter sur ce chapitre :

 

Ce chapitre est beaucoup plus long, mais je voulais faire monter la tension et le suspense entre Alcara et Éomer. L'histoire prend une tournure surprenante et plus sombre, j'espère que vous l'apprécierez !

Elle n’eut pas le loisir d’y réfléchir davantage les jours suivants. Dès que l’ouverture de la Maison de Guérison fut connue, de nombreux Rohirrim blessés lors de la guerre arrivèrent pour se faire ausculter, et elle dut d’abord répondre aux urgences avant d’envisager de mettre en place des classes de guérisseurs. Une partie de la grande salle voûtée servit ainsi de petit hôpital, avec des lits d’appoint, et les domestiques l’aidèrent à prodiguer les premiers soins. 

Grâce à l’aide de Gandalf, les premières aides arrivèrent de toute la ville : les sages-femmes, les guérisseuses traditionnelles, et de nombreux jeunes gens dynamiques. Les femmes étaient majoritaires, à l'étonnement d’Alcara, car dans le Rohan, les jeunes hommes apprenaient d’abord à se battre ou à s’occuper des champs cultivés ou des troupeaux. Elle constitua ainsi des groupes selon les besoins, tout en leur apprenant dans l’action les gestes à faire, contrairement au Gondor où l’on pouvait enseigner d’abord la théorie, puis la pratique. 

Les femmes les plus âgées furent les plus réticentes, car elles estimaient savoir déjà comment faire, et Alcara dut les convaincre de faire autrement, et plus efficacement, qu’avec les quelques herbes aromatiques qu’elles utilisaient jusqu’à présent. L’autre obstacle était la langue : quand Gandalf était là, il pouvait traduire en rohirrique ce qu’elle disait, mais en son absence, il lui faudrait compter sur les jeunes gens qui connaissaient mieux la langue commune. Elle-même dut ainsi apprendre le rohirrique au fur et à mesure, face aux circonstances.

Au bout d’une semaine, une forme d’organisation s’était mise en place, et le laboratoire servit à la fois pour faire les remèdes et accueillir les blessés les plus graves. Alcara en profita pour se reposer un peu : avec l’arrivée tardive du printemps, et la fatigue, elle avait attrapé un gros rhume et dut rester alitée. Après quoi, elle se dit qu’une bonne matinée d’exercice lui ferait du bien, et elle sortit du palais avec son arc et son carquois.

En descendant dans les rues d’Edoras, elle croisa beaucoup de visages connus : nombreux étaient ceux qui avaient besoin de ses services, et qui la saluèrent avec un sourire. Elle sourit à son tour : les habitants étaient en effet très taiseux, mais une fois que leur confiance était acquise, ils étaient loyaux et reconnaissants.

Elle se rendit alors compte qu’elle n’avait pas croisé Éomer depuis une semaine : le soir, trop fatiguée, elle mangeait un plateau laissé dans sa chambre et s’endormait aussitôt. Elle n’avait même pas pu mettre une tenue gondorienne pour l’énerver, comme elle l’avait envisagé; mais avec le recul, cette idée lui sembla puérile : face à tous les blessés qui avaient protégé le Rohan mais aussi la Comté et le Gondor des vengeances de Saroumane, ses susceptibilités ou celles d’Éomer lui parurent bien dérisoires.

En arrivant en bas de la cité, elle retrouva le terrain d'entraînement à l’arc qu’elle avait mis en place avant son départ pour l’Ithilien, utilisé par plusieurs Rohirrim, et elle en fut heureuse. Plusieurs jeunes gens, mais aussi de nombreuses jeunes femmes, s'entraînaient face aux cibles. Elle en installa une nouvelle un peu plus loin, car ses entraînements étaient payants et elle s’était grandement améliorée en Ithilien. 

Quand ils la virent tirer au milieu de la cible, à une distance bien plus importante, les jeunes Rohirrim la félicitèrent et lui demandèrent dans leur langue comment s’améliorer. Elle tenta de leur expliquer, avec son peu de vocabulaire, quels réflexes avoir et quelle posture corriger. Elle leur désigna même les cavaliers qui s'entraînaient dans le manège voisin, pour leur faire comprendre qu’il fallait aussi s'entraîner à cheval, en plein mouvement, et cela les enthousiasma particulièrement.

Elle alla donc chercher son cheval, et leur fit une démonstration de tir au trot et au galop, et ils la regardèrent avec entrain, certains allant chercher d’autres chevaux à l’écurie. Elle s’en amusa et se dit qu’il faudrait non seulement une école de guérison, mais aussi une école de tir à l’arc…

L’attroupement devint important, et des cavaliers curieux s’approchèrent pour voir ce qu’il se passait. L’un d’eux était particulièrement facile à reconnaître, et les jeunes gens lui laissèrent le passage avec respect quand il approcha son cheval de celui d’Alcara.

- Ma parole, déclara Éomer à Alcara, vous volez la vedette aux cavaliers !

- Il est impossible de voler la vedette aux chevaux, dans le Rohan ! plaisanta Alcara.

Dans cette belle matinée de début de printemps, la chevelure et la barbe d’Éomer brillaient au soleil. A cheval, il semblait toujours plus à l’aise qu’à pied, comme si son destrier faisait partie de lui. Et Alcara, vêtue en tenue noire de cavalière, avec une simple natte, se remettant à peine de son rhume et décoiffée après l’effort, se dit qu’elle devait faire triste figure.

- Je n’ai jamais fait beaucoup d’arc à cheval moi-même, avoua Éomer.

- Je peux vous montrer, si vous voulez, proposa-t-elle. Mon arc est peut-être un peu petit pour vous, mais…

- Volontiers.

Que le roi Éomer accepte sa proposition avec tant de facilité, devant ses sujets regroupés autour de lui, l’étonna particulièrement. Elle hocha la tête, en l’observant avec curiosité, et lui prêta son arc et une flèche. 

A cheval, il était plus difficile de corriger les postures, et elle dut avancer sa monture à côté de la sienne et se placer derrière lui pour le guider. Elle lui indiqua où regarder, comment faire le point avant de lâcher la flèche ; étant dans le même axe, elle pouvait voir où il voyait. Avant de tirer, il cria quelque chose en rohirrique à l’intention des autres, sûrement une boutade leur disant de reculer loin des cibles au cas où il raterait complètement son but, les faisant tous rire. Alcara était surprise du degré de proximité du roi avec ses sujets, qu’il traitait comme des compagnons de combat, sans la stricte hiérarchie des autres cours royales.

Mais quand elle voulut l’inciter à tirer au bon moment, elle hésita à placer sa main sur la sienne pour lui intimer de lâcher la flèche, se rappelant soudain la règle : “Il ne faut jamais toucher le roi en premier”. Elle se rappela en effet la vieille Erindal et les règles du protocole, quand ils avaient dansé ensemble.

- Si vous l’acceptez, lui demanda-t-elle, est-ce que je peux vous donner le signal de tirer en posant ma main sur la vôtre ?

Il se retourna un instant vers elle : de dos, avec l’arc bandé à la main, il paraissait encore plus grand et impressionnant, et cela l’intimida encore davantage. Mais le grand air, le soleil et cette atmosphère de camaraderie semblaient lui avoir donné la meilleure des humeurs.

- Mais ne me demandez pas la permission ! répondit-il. Je ne suis pas un dragon, vous pouvez y aller !

Pourtant, il se remit en place comme péniblement, hésitant davantage, et sa respiration n’était plus aussi posée. Alcara était sûre qu’il était nerveux. Elle attendit qu’il se concentre à nouveau, regarda sa ligne de mire, et au tout dernier moment, elle posa sa main sur la sienne. Comme si ce contact l’avait brûlé, il lâcha la flèche, qui alla se ficher en plein milieu de la cible, sous les applaudissements des Rohirrim. Mais Éomer, au lieu d’en être content, sembla embarrassé et regarda vers le sol.

- Bravo, lui dit-elle simplement. La prochaine étape sera de le faire au galop !

- Je pense que je préfère l’épée, lui dit-il en lui rendant son arc, évitant son regard.

- Pourtant, insista-t-elle, vous êtes doué, et l’arc permet beaucoup d’effets de surprise.

- Assurément, répondit-il simplement, cette fois en la regardant dans les yeux.

Et il repartit, laissant Alcara dans un état de circonspection. Mais elle inspira un bon coup, prit une flèche de son carquois, tendit son arc, visa en quelques secondes la flèche d’Éomer, et tira. Le coup était si puissant et si précis, que la flèche déjà fichée dans la cible fut brisée en deux dans toute sa longueur par celle d’Alcara. Les Rohirrim applaudirent encore plus fort, en poussant des cris impressionnés. Éomer se retourna sur son cheval et regarda la cible avec stupéfaction, puis Alcara, qui lui fit une petite révérence en souriant. Et elle était sûre qu’il avait souri, avant de s’en retourner au manège des chevaux.

Au bout de deux heures, elle retourna à l’écurie, fatiguée mais détendue ; son rhume avait disparu, et elle se sentit de nouveau prête à continuer la Maison de Guérison avec une nouvelle énergie. Elle avait même hâte de dîner à nouveau avec Éomer.

Alors qu’elle terminait de servir à manger à son cheval, elle sortit de son alcôve pour reprendre l’allée centrale des grandes écuries royales. A ce moment, elle croisa de nouveau Éomer, qui sortait lui-même du compartiment de son cheval, Pied-de-Feu.

- Vous vous débrouillez bien, remarqua simplement Éomer, en s’arrêtant pour attendre qu’elle arrive devant lui.

- Vous aussi, répondit-elle simplement en souriant. Dommage de ne pas avoir voulu continuer à essayer.

- Je peux être plus téméraire que vous ne le croyez, répondit-il, et l'ambiguïté de sa réponse, comme beaucoup d’autres, ne manqua pas de la laisser perplexe à nouveau.

- Dans ce cas, répliqua-t-elle, pourquoi ne pas convenir de vous entraîner à l’arc une fois par semaine, par exemple ?

- A une condition, répondit-il avec un début de sourire au coin des lèvres. Et il regarda la petite épée qu’Alcara portait à sa ceinture : si vous vous entraînez avec moi à l’épée.

Elle haussa les sourcils, surprise, et ne put s’empêcher de rougir légèrement ; à son grand désarroi, Éomer sembla le remarquer.

- Je pense avoir fait suffisamment de tournois pour ne pas avoir besoin de m’entrainer, rétorqua-t-elle en levant le menton.

Éomer sortit doucement son épée de sa propre ceinture, une épée beaucoup plus grande que la sienne, et lui répondit :

- Vous ne devriez pas défier seulement des jeunes hommes impertinents, déclara-t-il. Il faut savoir se défendre aussi contre des adversaires plus forts.

Piquée au jeu, Alcara sentit son coeur bondir : elle avait envie de relever le défi. Elle plissa les yeux, sortit sa propre épée, et lui répondit :

- Plus forts, mais pas forcément plus adroits !

Et elle envoya le premier coup, paré par Éomer. En entendant leurs épées sonner l’une contre l’autre, Alcara sentit que sa lame à lui était bien plus lourde que la sienne et la faisait vibrer jusque dans son épaule. Heureusement, les lames elfiques étaient indestructibles, mais elle devrait faire preuve d’adresse pour le contrer. 

Éomer contre-attaqua par plusieurs coups, où il ne mettait pas toute sa force, car ils ne portaient pas d’armure et auraient pu se blesser. Il semblait insister sur la technique plus que sur la force, mais Alcara avait l’habitude de parer comme les elfes. Elle recula dans l’allée en arrêtant chaque attaque, mais sautait, bondissait avec rapidité, et tournait même sur elle-même pour atteindre Éomer par le côté ou par-dessous. 

Mais Éomer avait de bons réflexes, il voyait venir les contre-attaques et les para avec puissance, utilisant toute la longueur de sa lame comme une sorte de bouclier en mouvement. Alcara comptait sur sa fatigue pour l’atteindre : et alors qu’il se tendit trop en avant, elle profita de la lourdeur de son épée, qui lui faisait porter tout son poids devant lui, pour l’éviter et tendre sa petite épée juste sous son menton. Il ne bougea plus, et sourit, essoufflé.

- Bravo, dit-il simplement. La prochaine étape sera de le faire au galop !

Il répétait ce qu’Alcara lui avait dit au tir à l’arc : le temps de s’en apercevoir, elle se déconcentra, et il en profita pour écarter l’épée d’Alcara en un mouvement circulaire, et la plaquer, dos à une colonne en bois de l'écurie, la faisant s’exclamer de surprise, leurs deux épées croisées entre eux.

- Égalité, déclara Éomer, qui n’avait pas perdu son sourire, la voix essoufflée.

- Je pense que je préfère le tir à l’arc, lui dit-elle en souriant, essoufflée elle aussi, pour faire écho à ce qu’il avait dit plus tôt dans la matinée.

Leurs deux visages, entre les lames d’épée, étaient très proches. Elle pouvait voir de minuscules paillettes brunes dans ses yeux verts, les moindres détails de son visage brillant de transpiration et ses mèches de cheveux blonds qui lui tombaient sur le front. Dans cette atmosphère guerrière, au milieu des écuries, elle eut l’impression de retrouver des instincts sauvages, une attitude animale, faite d’instinct, d’odeurs de chevaux, de sueur et d’herbe coupée, comme au milieu d’un champ de bataille. Elle savait ses cheveux défaits, collés à ses tempes, mais elle s’en moquait : elle n’entendait que la respiration syncopée d’Éomer contre la sienne, son regard dans le sien, et elle ressentit un noeud dans son ventre, une faim nouvelle et étrange, loin du romantisme de cours de palais qu’elle ressentait auparavant. Tout en lui, sa force indéniable, son corps musclé penché vers elle et la tenant en joue, leurs deux bras armés entre eux qui se touchaient, son souffle contre le sien, firent naître en elle un désir bestial pour lui.

Mais comme souvent, la réalité prit rapidement le pas sur ses réflexions qui n’avaient duré que quelques secondes. Il s’éloigna et rangea son épée, en baissant la tête, et elle en fit de même en arrangeant sa coiffure.

- Je vous retrouve dans une heure, pour le déjeuner, lui dit-il simplement, sans un autre mot.

Et elle attendit qu’il sorte de l’écurie pour se diriger après lui vers le palais, en soupirant, encore un peu perdue dans ses pensées. Après avoir aimé un être aussi aérien, aussi parfait que Legolas, elle désirait à présent son exact opposé…

En arrivant dans la grande salle dorée de Meduseld, elle remarqua qu’ils étaient de nouveaux trois à déjeuner ensemble, car Gandalf était déjà présent, mais il avait son bâton magique à proximité, contrairement à la dernière fois. Éomer, quant à lui, devisait avec le magicien comme si de rien n’était.

- Petite Aube, l’accueillit Gandalf en utilisant à nouveau son surnom, vous tombez bien ! Je déjeune pour la dernière fois avec vous. Ensuite, je devrai partir pour le Sud.

- Vous partez déjà ? s’étonna-t-elle, en s’asseyant, exprimant une peine sincère de ne plus le voir autour de la Maison de Guérison.

- Il le faut bien, lui répondit-il en souriant. Je dois vérifier que tout va bien de l’autre côté de l’Ithilien.

- Vous ne savez pas encore si les sentinelles du Gondor ont trouvé quelque chose? demanda Éomer à Gandalf, en buvant son verre, retrouvant le ton du guerrier.

- Malheureusement non, répondit-il, c’est pourquoi je préfère être sur place s’ils découvraient quoi que ce soit.

Un court silence suivit ses mots, et Alcara ajouta :

- Je vais devoir me passer de vos talents d’interprète, Gandalf, avec tous les patients et les guérisseurs qui parlent en rohirrique autour de moi !

- Je suis sûr que vous saurez les comprendre très vite, la rassura Gandalf.

- Vous ne comprenez pas encore le rohirrique sur le bout des ongles ? demanda Éomer à Alcara, avec un sourire en coin.

- Non, il existe des domaines où je n’excelle pas, malheureusement, ironisa-t-elle en entamant son entrée qui venait de lui être servie.

- Très peu de domaines, en réalité, la flatta Gandalf avec un œil malicieux.

- Nous pouvons arranger cela, déclara Éomer. Nous allons trouver un bon interprète. Et avec le temps, je vous donnerai des leçons de rohirrique.

Alcara fit immédiatement le rapprochement avec les leçons d’épée qu’il voulait lui donner quelques heures plus tôt dans l’écurie, et étant donné le résultat, elle se demandait si elle apprendrait grand chose… au souvenir de leurs deux visages si proches l’un de l’autre, et de ce qu’elle avait ressenti, ses joues rosirent légèrement, et elle cacha son visage dans son grand verre d’eau.

- J’imagine que vous voyagez léger ? demanda Éomer à Gandalf, comme s’il avait l’habitude de le voir aller et venir à Edoras.

- Je préfère ne pas alourdir mon cheval, répondit encore Gandalf malicieusement.

Et ils rirent tous trois, car Gripoil était le plus rapide de tous les chevaux, il était difficile d’imaginer que quoi que ce soit puisse l’alourdir.

Chacun semblait d’excellente humeur, même Éomer qui paraissait si gêné en sortant de l’écurie, quelques heures auparavant.

Dans l’après-midi, Alcara dit au revoir à Gandalf, et retourna dans la Maison de Guérison pour estimer, pour les jours suivants, ce qu’il faudrait mettre en place. Elle put ainsi décider d’enlever la partie dédiée à l’hôpital pour l’installer dans un autre bâtiment, et garder la salle du palais pour les enseignements et la fabrication de remèdes. D’ici quelques jours, elle pourrait commencer les cours aux femmes, jeunes et âgées, qui souhaitaient apprendre à être guérisseuses. Si elle avait trouvé un interprète d’ici-là…

Elle retourna ensuite à sa chambre, où ses malles étaient restées à moitié rangées depuis son arrivée. Elle se dit qu’il était temps de mettre un peu d’ordre, et elle commença à trier ses vêtements dans sa grande armoire, disposer ses grimoires sur sa table, et tous ses objets personnels. Au moment où elle retrouva la petite plume rouge dans sa cape de voyage elfique, elle entendit des voix à l’extérieur : elle s’avança à la fenêtre et vit qu’Éomer, entouré par un groupe de maréchaux, semblait visiter un chantier proche du palais. Par ce temps ensoleillé qui sentait déjà le printemps, il était souriant, riait beaucoup avec le groupe et marchait rapidement d’un lieu à l’autre, semblant commenter positivement l’avancée des travaux, donnant des ordres, pour ce qu’elle comprenait du rohirrique.

“Rien ne semble pouvoir entacher sa bonne humeur, aujourd’hui”, se dit-elle. Mais alors pourquoi ne se sentait-elle pas aussi légère, elle aussi ? Ils avaient été si proches dans l’écurie tout à l’heure, comment avait-il pu ne pas éprouver la même chose qu’elle ? Une fois Gandalf parti, il n’avait pas cherché à aborder le sujet avec elle, et elle doutait qu’il le fasse un jour.

Elle commença à se dire qu’elle avait peut-être tout inventé : que ses sentiments l’avaient rendue aveugle, et que son amie Arwen voulait peut-être seulement la soutenir. Malgré ses talents de voyance, la reine elfique ne voyait pas dans les cœurs. Que pouvait-elle réellement deviner des pensées d’un guerrier rohirrim, qui ne vivait que dans les combats depuis le plus jeune âge et savait bien peu de choses sur les femmes et leur sensibilité ?

Mais alors que ses pensées vagabondaient, elle n’avait pas vu qu’Éomer regardait dans la direction du palais, et qu’il l’avait aperçue depuis un bon moment. Or elle était tout près de la fenêtre, sous les rayons du soleil, la petite plume rouge à la main, parfaitement visible de l’extérieur.

Elle sursauta et, par réflexe, se cacha contre le mur, pour ne plus être vue, après quoi elle rangea précipitamment sa plume dans le tiroir de sa table de chevet. Puis elle se prit le front en soupirant : quelle imbécile ! Avoir une réaction si puérile, filer se réfugier derrière un rideau comme si elle avait fait une sottise, et cacher la petite plume comme un larcin…Si Éomer l’avait vue, il se moquerait d’elle indéfiniment…

Elle décida en son for intérieur de ne plus jamais sortir de sa chambre, et cette résolution, bien que totalement irréaliste et tout aussi puérile, lui fit du bien. Elle s’assit à sa petite table d’étude, et commença à ranger ses grimoires. Mais en prenant un des livres, elle fit tomber une petite fleur blanche, qui semblait avoir été cueillie à l’instant.

Elle l’observa attentivement, intriguée : c’était une petite fleur qu’elle avait cueillie sur les tertres, et elle était sûre de ne pas y être retournée récemment…

Elle se leva et alla fouiller dans son sac de voyage, où elle retrouva une autre fleur blanche, qu’elle compara à la première : celle-ci avait été cueillie une semaine auparavant et se trouvait dans son sac de voyage. Donc celle tombée de son grimoire…avait été cueillie presque un an auparavant, aux funérailles d’Éomer.

Mais en les mettant côte à côté, aucune différence n’était notable : la fleur du grimoire n’était même pas séchée, comme le sont les fleurs d’un herbier. Elle semblait fraîche…

“Comment…” se demanda Alcara, en fronçant les sourcils.

Elle retourna à son sac, et sortit deux autres fleurs, abandonnées au fond, qui auraient dû faner. Et pourtant, elles étaient intactes, elles aussi.

“C’est impossible…” murmura Alcara dans un souffle, stupéfaite.

Elle repensa alors, au loin dans ses souvenirs, aux fleurs d’automne de Fondcombe qui s’ouvraient et se fermaient à volonté : mais en rougissant légèrement, elle se dit qu’il n’y avait pas eu le même genre “d’événement” dans sa chambre d’Edoras, puisqu’elle n’y avait jamais dormi accompagnée… Cela ne pouvait donc pas être cela.

Il fallait qu’elle retourne rapidement aux tertres, pour les observer de plus près. En attendant, elle devait savoir à quelle espèce appartenaient ces fleurs étranges. Elle retourna rapidement au laboratoire, emprunta quelques instruments, et revint dans sa chambre. Elle préleva quelques pétales d’un côté, le pollen de l’autre, les mélangea à des liquides permettant de révéler leur composition, et chercha ensuite dans un de ses livres si elle en retrouvait la trace.

Pendant qu’elle laissait reposer les solutions dans des fioles de verre, elle parcourut son vieux grimoire d’herboristerie, mais elle eut beau chercher, elle ne parvint pas à retrouver la même forme ni la même origine géographique. La plus proche de ces plantes était l’athelas, mais elle différait à la fois par son aspect et par les lieux où on la trouvait.

C’est alors qu’on frappa à la porte : surprise dans ses recherches, elle se leva et se dirigea vers l’entrée. En ouvrant la porte, elle tomba nez-à-nez avec…Éomer.

Il semblait s’être apprêté à toquer à nouveau, car son bras était encore levé.

Alcara sentit sa respiration s’arrêter et son coeur s’emballer, elle s’attendait à voir un page ou une servante, mais pas lui, surtout devant sa chambre. Elle s’en voulut de sentir ses joues s’enflammer, et de ne plus savoir quoi lui dire.

Éomer lui aussi semblait un peu hésitant, comme le matin même... Alcara se disait qu’elle avait été moins timide lorsqu’elle était encore énervée contre lui… Au bout d’un moment, il fit un léger sourire et lui dit d’un ton ironique :

- J’ai conscience que mon auguste compagnie ne vaut pas toute la présence de la Communauté de l’Anneau, mais je commençais presque à me sentir vexé que vous ne soyez pas présente au dîner de ce soir !

Alcara poussa une exclamation, et regarda par la fenêtre : le soleil était en effet en train de se coucher. Elle avait passé toute la journée à étudier, et ne s’était pas aperçue qu’elle avait manqué le dîner.

- Je…je suis vraiment confuse, balbutia-t-elle, je ne m’étais pas rendue compte, j’étais tellement concentrée…

- Au moins vous n’êtes pas souffrante, c’est toujours rassurant, ajouta Éomer sur le même ton ironique.

- En réalité, j’étudiais quelque chose, et je n’avais pas vu…

- Vraiment ? demanda Éomer en fronçant les sourcils et en jetant un œil dans sa chambre. Et quoi exactement ?

Et il entra dans la chambre d'Alcara sans autre forme de politesse. Alcara n’eut pas d'autre choix que de lui céder le passage à contre-cœur. Erindal, la gouvernante si à cheval sur le protocole, aurait sûrement expliqué que le roi du Rohan avait le droit d’entrer et de sortir de toutes les salles du palais, mais elle fut terriblement gênée qu’il se trouve à cet endroit, à quelques mètres à peine de son lit…

Il n’eut pas l’air de s’en rendre compte, car il avait avancé vers la grande table où se trouvaient ses instruments et ses livres. Il se tourna vers elle avec interrogation, comme pour qu’elle lui explique ce qu’elle faisait.

Alcara, qui avait mis ses mains sur ses joues comme pour les forcer à ne plus rougir, les ôta rapidement quand il se tourna vers elle, et commença : “J’étais en train d’étudier une fleur qui pousse ici, à Edoras, mais je ne parviens pas à savoir de quelle espèce il s’agit. Elle semble avoir des propriétés uniques, je vais donc l’observer de plus près, dans son environnement naturel.”

- A quoi ressemble-t-elle ? demanda Éomer en se penchant vers une des fioles, car pour le moment, je ne vois qu’une purée de fleurs en décomposition…

- C’est normal, rétorqua-t-elle en avançant vers la table et en déplaçant la fiole comme pour l’éloigner d’Éomer, il faut la tremper dans une solution pour savoir si c’est la tige, le cœur ou les pétales qui possèdent des propriétés.

Elle repoussa une pile de livres, pour prendre une des fleurs restée entière, et la lui montrer. Il la prit dans sa main, et l’observa de près.

- Où l’avez-vous trouvée ? demanda Éomer en scrutant la plante.

- C’était…eh bien…je l’ai découverte lors de l’enterrement du roi Théoden. J’ai vu ces fleurs pousser sur les tertres, mais je ne les avais jamais observées ailleurs. Alors j’en ai cueilli pour les étudier. Et vous avez vu ? Depuis l’enterrement, elles n’ont jamais fané.

Éomer regardait silencieusement la fleur et la tournait dans sa main. Alcara espérait qu’elle n’avait pas encore fait un impair…

- C’est une fleur très courante ici, lui dit-il en la lui rendant. Il s’agit d’un Simbelmynë, ou “mémoire éternelle”. Elle pousse toujours à l’ombre d’Edoras, sur les tombes de nos ancêtres.

- Simbelmynë…répéta Alcara pour se souvenir de ce nom, et elle chercha une plume pour l’écrire dans son carnet. Savez-vous si elles poussent à d’autres endroits du Rohan?

Mais alors qu’elle commençait à l’écrire, Éomer lui prit la plume des mains, et l’écrivit à sa place : “Cela ne s’écrit pas de cette façon", marmonna-t-il, et il l’écrivit à la fois en écriture commune, et en rohirrique. "Je n’ai pas le souvenir qu’elle pousse ailleurs. On dit qu’elle garde la mémoire éternelle des ancêtres, d’où son surnom. Et pour le fait qu’elle ne fane pas…”

Il posa la plume, se releva et la regarda :

- Je ne me suis jamais posé la question. Est-ce vraiment possible ?

- Vous voulez dire, sans intervention occulte ? ajouta Alcara, qui avait été agacée qu’il lui prenne la plume des mains et retrouvait son ironie habituelle.

- Oui, par exemple, confirma Éomer du même ton.

- Je le saurai en allant les voir sur place, répondit Alcara. Ici, hors de leur milieu habituel, impossible de le savoir avec certitude. En général, il faut une intention pour que la magie opère.

- Je ne vous le fais pas dire, répliqua-t-il en souriant.

Alcara sentit encore, à son grand désespoir, ses joues s’enflammer. Il fallait vraiment qu’elle trouve un baume contre cela…

- Si vous avez faim, ajouta-t-il après un instant, le cuisinier pourra vous préparer un repas à vous apporter. Et si cela vous convient, nous irons demain matin à l’aube regarder de plus près les Simbelmynë.

Il se dirigea alors à nouveau vers la porte : avant de partir dans le couloir, il ajouta :

- Nous nous retrouverons à l’écurie.

Et il repartit, en fermant la porte derrière lui, la laissant toujours avec le teint écarlate.

Le lendemain matin, Alcara se mit en tenue de cavalière et fut prête avant l’aube. Elle devait s’avouer l’excitation qu’elle ressentait à se retrouver seule avec Éomer, pour une fois en-dehors de la cité, au grand air de cette journée de début de printemps. L’idée de chevaucher lui procurait toujours beaucoup de joie, et elle n’avait que de bons souvenirs de ses cavalcades, y compris à Fondcombe, avec Legolas. Peu à peu, l’espoir qu’Éomer partage ses sentiments prenait le pas sur ses doutes, et elle savait qu’il adorait être à cheval, ce qui pouvait le mettre dans de meilleures dispositions.

En arrivant dans les écuries, elle fit abstraction de leur jeu d’épée de la veille pour ne pas être trop nerveuse, et se dirigea vers son cheval, qu’elle avait depuis la fin de la guerre et lui avait été offert dans le Gondor.

C’était un beau palefroi brun, mais plutôt bas et large, fait pour porter une dame avec sa robe. Cela ne serait pas parfait pour sa tenue de cavalière, mais suffirait amplement pour aller seulement en bas d’Edoras.

- C’est un beau cheval, dit quelqu’un derrière elle.

En se retournant, elle vit, à l’entrée de l'alcôve de son cheval, Éomer qui s’appuyait contre la porte. Il portait lui aussi une tenue de cavalier, sans cape, légère et renforcée par des brassards de cuir aux avant-bras et aux mollets. Il s’approcha de son cheval pour lui donner une friandise et le caresser affectueusement.

- Par contre, ce n’est pas idéal pour aujourd'hui. Nous allons vous en trouver un autre : nous allons chevaucher une bonne partie de la journée.

- Mais je croyais que nous allions aux tertres? dit Alcara, intriguée.

- Pas seulement, je vais vous montrer autre chose, répondit Éomer mystérieusement avec son éternel petit sourire en coin. Heureusement, vous n’avez pas mis une de ces grosses robes du Gondor.

Et il sortit de l'alcôve de son cheval. Alcara le suivit immédiatement pour voir l’autre cheval qu’il allait lui prêter.

- Je vous rappelle que je ne suis pas originaire du Gondor, lui dit-elle en le suivant entre les alcôves où les chevaux mangeaient tranquillement, alors qu’Éomer leur donnait une petite tape affectueuse sur la tête.

Il semblait décidément comme un poisson dans l’eau dans l’écurie, et devait y passer beaucoup de temps, car il louvoyait rapidement entre les selles, les bottes de foin et les colonnes en bois qui soutenaient la toiture sculptée.

- C’est la même chose pour les elfes, lui répliqua Éomer. Leurs longues robes brillantes, en soie ou en satin…ce n’est pas mieux. Impossible de garder des vêtements propres avec une tenue pareille.

- Arwen met elle aussi des tenues de cavalière, je vous signale, se défendit Alcara. J’ignore ce que vous avez contre eux.

- Contre les elfes? enchaîna Éomer en s’arrêtant finalement devant une loge de cheval, et en se retournant vers elle. Disons qu’ils n’ont jamais l’air d’être vraiment là avec nous. Ils sont toujours ailleurs. Je suis plus terre-à-terre.

- Vous voulez dire que vous avez un complexe d’infériorité parce qu’ils sont plus beaux, plus rapides et plus éthérés que nous ? ironisa Alcara en souriant, et en le toisant avec les poings sur les hanches.

- Vous pouvez aussi dire que je suis plus pèquenaud, tant que vous y êtes, lui répliqua Éomer en commençant à se vexer.

- Je vous l’ai déjà dit, je n’ai jamais pensé que les Rohirrim étaient des ploucs, répondit Alcara. Par contre, ils sont fichtrement têtus.

Éomer éclata de rire, en entrant dans la loge où il s’était arrêté. Alcara ne l’avait jamais vu éclater de rire, pourtant cela éclairait son visage. Et, s’avoua-t-elle à elle-même en sentant ses joues rosir, il était encore plus beau ainsi.

En entrant à son tour dans l’alcôve, elle poussa une exclamation : elle se tenait devant un magnifique cheval noir, dont le crin brillait de sa tête à ses sabots. Il portait des petites nattes perdues dans sa crinière, comme les Rohirrim, et secoua la tête de joie quand Éomer s’approcha pour le caresser, plaçant son museau contre son épaule.

- Voici votre cheval pour aujourd’hui. Il s’appelle Remèan. Il est rapide, et surtout très endurant, mais aussi très doux.

- Il est…magnifique! s'exclama Alcara en s’approchant de lui.

- Les chevaux noirs sont assez rares chez nous, expliqua Éomer, mais celui-ci est né un beau jour, par hasard. Je le connais depuis sa naissance. Les Rohirrim n’aiment pas trop les chevaux noirs, ils les associent aux corbeaux et y voient un mauvais présage. Nous le gardons en général pour les invités.

- Je n’en reviens pas de ne pas l’avoir remarqué plus tôt, ajouta Alcara en lui caressant la tête. Pourtant, il est splendide!

- Vous allez essayer de le chevaucher et si tout se passe bien, vous pourrez l’emprunter si vous le souhaitez.

Alcara se tourna vers lui : Éomer était beaucoup plus sympathique depuis la veille et le départ de Gandalf, comme s’il n’avait plus besoin de faire semblant face à la Communauté de l’Anneau. Il semblait retrouver son naturel au milieu des chevaux. Elle décida donc de ne pas ironiser, ni de faire de remarque sur le fait qu’il lui faisait confiance pour quelque chose, finalement. Comme pour lui tendre la main et faire la paix.

- Merci beaucoup, dit-elle simplement, je l’apprécie déjà.

Éomer lui sourit, et partit chercher une selle et des rênes, pendant qu'Alcara continuait de caresser le cheval et de lui parler en elfique, comme elle en avait l’habitude pour leur donner confiance.

Elle le monta et sortit de l’écurie pour rejoindre Éomer, déjà sur son fameux cheval Pied-de-Feu, l’un des plus rapides des chevaux, après Gripoil. Elle se souvint alors de sa vitesse impressionnante, quand l’éored l’avait encerclée, lors de leur première rencontre, et elle observa de près le cou du cheval, là où elle avait soigné sa blessure un an auparavant.

Éomer, voyant où elle regardait, souleva légèrement les rênes pour lui montrer que la plaie avait complètement disparu.

- On ne voit plus rien, lui dit-il en souriant.

- Tout le monde sait que mes baumes sont très efficaces, dit-elle avec une fierté volontairement exagérée. Mais d’ailleurs, vous ne m’avez jamais rendu mon mouchoir !

Après un silence, son sourire s’effaça un peu, et il dit :

- Je crains de l’avoir égaré, répondit-il simplement. Comment réagit Remèan? changea-t-il de sujet en tapotant la tête du cheval noir.

- Il a l’air de bien m’aimer, répondit-elle.

- Alors vérifions si vous êtes bonne cavalière, déclara-t-il. Et aussitôt, il lança son cheval au galop, dans les rues pavées d’Edoras, et dévala la pente.

Alcara retint un juron en elfique et se lança à sa suite pour ne pas se faire devancer. Les rues étaient étroites et sinueuses, il n’était pas facile de le suivre, d’autant plus qu’elle connaissait mal son cheval. Mais ce dernier avait l’air d’apprécier la course et de connaître la cité, car il n’opposa aucune résistance et cavala de bon train jusqu’aux portes de la ville.

Elle y retrouva Éomer, qui faisait semblant de l’attendre depuis des heures.

- Ce n’est pas drôle du tout, dit Alcara en le rejoignant. Je ne connais pas la ville aussi bien que vous!

- Mais vous n’êtes pas tombée de cheval, cela veut dire qu’il vous a adoptée, répliqua tranquillement Éomer. En route!

Alcara y vit un “test” de la part d’Éomer, pour vérifier si sa réputation de bonne cavalière était fondée. Elle lui montrerait qu’elle n’était pas seulement bonne en tournoi…

Ils arrivèrent au bout d’une vingtaine de minutes en bas de la colline, au milieu des tertres. Ils attachèrent leurs chevaux à l'entrée de la nécropole, car ils craignaient ce lieu où la tradition voulait souvent qu’on enterre les membres de la lignée royale avec leur cheval.

En marchant quelques instants, au milieu de la brume du matin, Alcara frissonna un peu : ce lieu encore dans l’ombre, alors qu’une belle journée ensoleillée les attendait, avait une aura à la fois belle et sinistre. Les plaques en bronze et en pierre détaillaient les dates de vie et de mort des illustres défunts, dont certaines dataient de plusieurs siècles.

Mais au milieu de ces monticules, une mer de Simbelmynë apportait un ravissement léger à la pesanteur des tombes. On aurait dit des milliers de petits yeux de créatures féeriques, des petits esprits qui veillaient sur les morts.

Alcara sortit son carnet pour noter l’orientation des lieux, l’ombre portée par la colline en face et si les fleurs poussaient plutôt d’un côté ou de l’autre des tumulus. En s’approchant, elle vit que contrairement à l’athelas, elles ne poussaient pas en grappes, mais isolées les unes des autres, avec seulement une feuille ou deux, épaisses et tendres, comme les Perce-neige. Alors qu’elle en caressait les pétales, elle demanda à Éomer :

- Savez-vous si elles poussent seulement au printemps ?

- Il me semble qu’elles sont là dès le début du printemps, à la fonte des neiges, répondit Éomer qui se promenait entre les tertres, et jusque tard en automne.

- Il est donc possible que même en hiver, elles continuent à pousser sous la neige…est-ce que vous en avez déjà vu faner ou s’abîmer ?

- Je n’ai jamais fait attention, je ne suis jamais venu ici pour les fleurs.

Alcara se leva et tourna la tête vers Éomer. Il s’éloigna vers un tertre, où il pencha la tête et s’accroupit pour ôter avec sa main la terre qui recouvrait une plaque de bronze. Lorsqu'Alcara s’approcha, elle déchiffra en rohirrique :

« Ci-gît Théodred, fils de Théoden, prince valeureux aimé par son peuple, mort aux Gués de l’Isen en défendant son royaume. Puisse-t-il être guidé par ses glorieux ancêtres à travers les ténèbres. »

Éomer, toujours accroupi devant la plaque, ne disait pas un mot. Au bout d’un moment, comme s’il avait du mal à en parler, il dit simplement :

- C’est Théodred qui devait régner.

Cette simple phrase disait beaucoup de son état d’esprit : que son cousin lui manquait, qu’il avait été exemplaire mais fauché trop tôt par la mort, mais aussi qu’Éomer avait le sentiment de ne pas être complètement légitime, comme prenant la place d’un autre.

- Vous avez montré votre valeur à de très nombreuses reprises, lui dit Alcara pour le réconforter. Sans vous, la bataille du gouffre de Helm était perdue, mais aussi toutes les autres. Théoden vous a confié le Rohan car il savait que vous en prendriez soin.

Éomer ne répondit rien, il continuait à fixer le tertre, accroupi. Alcara ajouta simplement :

- Et le peuple vous aime, vous les avez sauvés et vous reconstruisez le pays. Sinon, je ne pense pas qu’il y aurait eu autant de gens qui vous auraient confié la bénédiction de leur cheval lors de votre couronnement, c’est après tout leur bien le plus précieux !

Elle avait réussi à égayer son esprit, car elle l’entendit rire légèrement. Mais il restait dans ses pensées. Finalement, il se releva à côté d’elle : elle avait tendance à oublier qu’il était très grand, et très musclé, à force de s’entraîner à l’épée et de cavaler dans les landes. Elle se demanda si Théodred lui ressemblait, autrefois.

Mais Éomer ne semblait pas avoir envie d’en dire davantage, et il continua à se promener parmi les tertres. Alcara, un peu par respect, cueillit un bouquet parmi les fleurs les plus éloignées des tumulus, pour ne pas marcher sur les tombes.

Alors le soleil commença à percer à travers la brume matinale, et à recouvrir les tertres. Alcara remarqua soudain un phénomène étonnant, et poussa une exclamation qui fit se retourner Éomer : les fleurs se tournèrent, lentement mais sûrement, vers le soleil.

- Ça c’est intéressant ! ajouta Alcara, qui s’empressa de le noter dans son carnet.

- Je n’avais jamais fait attention à cela, dit Éomer en fronçant les sourcils, d’un air perplexe. J’espère que ce n’est pas votre présence qui modifie leur comportement.

- Comment cela ? lui demanda Alcara d’un air interrogateur.

Mais comme Éomer ne répondait pas, et s’éloignait pour aller observer les fleurs un peu plus loin d’elle, elle ajouta en l’interpellant de loin :

- Ah, je comprends, vous voulez dire que ma présence magique, que ma sorcellerie, a pu créer un phénomène pareil ? dit-elle en sentant son agacement revenir, et en accentuant chacun de ses mots.

- Peut-être bien, lui dit Éomer en se retournant pour la regarder, et il continua son chemin pour observer les fleurs un peu plus loin, voyant son regard noir sur lui.

Il s’accroupit près d’une flaque de soleil, et dit:

- Finalement, non : elles se tournent toujours vers le soleil, partout sur les tertres. Ce doit donc être un réflexe naturel.

- Merci de me le confirmer, dit Alcara qui était restée plus loin, en mettant ses poings sur les hanches.

- Mais je vous en prie, lui répondit-il avec un petit sourire ironique. Je suis heureux de contribuer à vos découvertes botaniques.

Il passa devant elle sans ajouter un mot, et se dirigea vers l’entrée des tertres, suivi par Alcara. Il détacha les chevaux pour se préparer à partir. Alcara cueillit encore quelques fleurs, qu’elle mit dans sa besace, et le rejoignit pour remonter à cheval à son tour.

“Venez, nous repartons”, déclara-t-il. Et comme à Edoras, il lança d’un seul coup son cheval au galop à travers la lande qui brillait au soleil du matin. Alcara ne demanda pas son reste, et s’attacha à le suivre de près.

La chevauchée rapide à travers la plaine, au soleil, était revigorante : Alcara, se prenant au jeu, essaya de faire la course avec Éomer. Elle parvint à inciter son cheval à le rattraper, et elle se trouva vite à son niveau. Mais Éomer, qui ne voulait pas se laisser faire, alla de plus en plus vite, possédant l’un des chevaux les plus rapides du Rohan. Mais Alcara était têtue elle aussi, et avait l’esprit de compétition ; elle resta à ses talons pendant longtemps, et l’un et l’autre encouragèrent leur monture à dépasser l’autre. La course, les odeurs de lande et de fleurs de ce début de printemps, grisaient les deux cavaliers qui riaient et criaient à leurs chevaux pour accélérer encore. Cela faisait bien longtemps qu'Alcara n’avait pas ressenti autant de liberté.

Finalement, ils arrivèrent devant une petite colline d’herbe tendre qu’ils remontèrent dans leur élan, et la pente les incita à ralentir et à s’arrêter un moment pour faire souffler leurs chevaux, même si les deux montures, encore sautillantes, semblaient s’être elles aussi bien amusées. Les cheveux d'Alcara s’étaient dénoués avec la vitesse, elle tenta donc de les réunir pour les natter à nouveau malgré le vent fort et frais. Ils lui arrivaient à la hanche, comme la plupart des femmes, et les tresses leur donnaient une ondulation régulière. Alors qu’elle passait une mèche derrière son oreille, Éomer, à côté d’elle, lui dit : “Vous êtes belle avec les cheveux détachés.”

Mais il s’éloigna aussitôt. Alcara sentit une nouvelle fois ses joues s’enflammer, mais aussi comme des milliers de papillons dans son ventre, et son cœur s’emballa. C’était la première fois qu’il lui faisait un compliment aussi direct. Elle savait que la plupart des femmes du Rohan gardaient les cheveux relâchés au quotidien, sauf lors des événements officiels, mais elle ne l’avait jamais fait elle-même : les elfes préféraient avoir des coiffes sophistiquées, comme les dames du Gondor.

Alcara se demandait où il l’emmenait, et si ce compliment devait augurer d’autres aveux de sa part : l’espoir, toujours, tissait sa toile en elle. Mais il restait aussi tellement réservé, presque timide, qu’elle ne sut à quoi s’en tenir. Legolas lui aussi, avait été un guerrier plus à l’aise dans les combats que dans l’amour. Ou alors, il restait sur ses gardes, comme il l’avait été depuis son arrivée à Edoras, alors que luttaient en lui sa raison et ses sentiments ?

Ils commencèrent à gravir une colline plus haute que les autres, dont le sentier en pierre passait entre les arbres ; on pouvait voir en contrebas la pente devenir de plus en plus escarpée.

- Où allons-nous? demanda Alcara, voyant le sentier devenir peu à peu assez vertigineux, en particulier à dos de cheval, alors qu’ils marchaient au pas, en file indienne, Alcara derrière Éomer.

- Vous allez voir, lui dit Éomer, toujours aussi mystérieux. Nous allons chevaucher un petit moment, et nous déjeunerons sur la route, mais cela vaut le détour, croyez-moi. Ne vous inquiétez pas, la route est sûre.

- Déjeuner en route ? Mais nous n’avons pas pris de nourriture avec nous, remarqua Alcara.

- C’est prévu, répondit-il en tapotant les grandes sacoches, attachées de part et d’autre de sa selle.

- Après notre cavalcade, espérons que ce ne sera pas de la bouillie de déjeuner, railla-t-elle.

- Je ne vous trouve pas très positive, ma chère, répondit-il sur le même ton. Mais au pire, nous mangerons des baies et des mûres!

Elle devait reconnaître qu’il avait l’esprit de répartie, ce qui était assez divertissant, mais cachait sa timidité naturelle.

Au bout de deux heures de montée, la forêt offrit une grande trouée : d’un seul coup, l’immense paysage se dévoila sous leurs yeux, et la lumière du soleil, qui passait entre des petits nuages, faisait des jeux de lumière sur la vallée. Au milieu de la plaine, Edoras se dressait comme une sorte de navire doré qui aurait fendu la lande.

Alcara eut le souffle coupé par cette vue, qu’elle aurait voulu peindre ou graver, si elle en avait eu le talent. Éomer, fier de montrer un tel point de vue sur sa cité, semblait heureux de la voir aussi sensible à la beauté sauvage du paysage.

Ils continuèrent leur ascension sur le sentier forestier, qui commençait à devenir plus plane et formait un petit chemin d’herbe creusé au milieu des arbres, semblant se pencher vers eux. A travers ce tunnel de verdure, Alcara eut le sentiment d’arriver dans un territoire gardé par des elfes.

Sur le chemin, un grand arbre qui semblait vieux de plusieurs siècles avait poussé dans une petite clairière où passait déjà un soleil éclatant. Spontanément, les chevaux se dirigèrent vers le tronc et voulurent brouter l’herbe nouvelle qui y poussait. Éomer descendit de cheval, et Alcara l’imita. Il sortit ensuite de ses sacoches des paquets renforcés par un tissu solide, qu’il dénoua pour découvrir des plats restés intacts : des terrines de poisson avec un pain brun, des boulettes de viande parfumées aux herbes fraîches, et même du saumon fumé à l’aneth, qu’on trouvait en abondance dans les rivières. En dessert, ils avaient des fruits rouges confits et des petits pains à la cannelle. Éomer sortit aussi une gourde d’eau, et disposa l’ensemble des plats sur une petite souche, à côté du grand arbre. Les chevaux, sans être attachés, restaient docilement à côté d’eux.

- Je vois que vous aviez tout planifié hier, remarqua Alcara en souriant. Je ne vous savais pas si prévenant.

- J’ai demandé simplement au cuisinier un pique-nique, c’est lui qui s’est surpassé, répondit modestement Éomer. Je vous en prie, servez-vous.

L’ensemble des mets étaient à la fois légers et pleins de goût, mais un silence un peu gêné s’installa entre eux. Alcara, pour détendre l’atmosphère, dit quelques mots sur leurs chevaux :

- Remèan et Pied-de-Feu ont l’air de bien s’entendre, ils restent souvent l’un à côté de l’autre.

- Ce sont deux frères, lui révéla Éomer. J’ai surtout monté Pied-de-Feu, mais Remèan a été dressé juste après, ils ont un caractère proche.

- Remèan veut dire “foudre douce” en rohirrique, n’est-ce pas? demanda Alcara en observant le beau cheval noir.

Éomer se tourna vers elle, l’air étonné :

- Très exactement, cela veut dire “petit éclair”, mais ce n’était pas loin. Je ne savais pas que vous vous étiez améliorée en rohirrique ?

- Je connais seulement quelques mots de vocabulaire, avoua Alcara. J’ai demandé à Eowyn de m’en apprendre quelques rudiments, et Faramir le souhaitait lui aussi, et depuis une semaine je commence à comprendre plus de mots. C’est très différent de l’elfique, mais il y a des similitudes avec la langue Hobbit.

- Dis es a gepeode holdost, na half-geongum, lui dit Éomer en rohirrique, ce qui voulait à peu près dire : C’est la langue des guerriers, et pas des Semi-Hommes. Sa voix était toujours différente dans sa langue natale, un peu plus grave et gutturale, en effet assez guerrière.

Alcara en comprit l’essentiel, et lui répondit :

- Eac es a gepeode holdostenin !

Éomer rit à sa remarque : elle avait dit “C’est aussi la langue des guerrières!”

- Vous vous débrouillez très bien, lui dit-il en souriant.

- Comment dit-on, enchaîna Alcara : "Le saumon est très bon” ?

- E laks smak’àd god !

- E laks smaka good ?

Éomer corrigeait sa prononciation avec patience, alors qu’elle demandait à connaître la traduction des arbres, des fleurs ou des chevaux. Le repas passa ainsi rapidement, et Éomer semblait apprécier sa compagnie, et son souci de s’adapter au Rohan, et parut plus détendu.

Avant de terminer le repas et de reprendre leur route, il ajouta une dernière expression en rohirrique :

- Voici quelque chose que vous devriez connaître : Dagilin. (prononcer : Dag-ilin)

- Dagilin ? Qu’est-ce que cela veut dire ?

- Petite Aube.

Alcara, pensive, monta à cheval et lui dit simplement en souriant : “C’est très joli.”

Et ils reprirent le chemin sinueux entre les arbres.

Après une demi-heure, le sentier s’élargit peu à peu et les arbres devinrent de plus en plus grands et anciens. Soudain, une grande clairière s’ouvrit, au milieu de laquelle se trouvait seulement un immense chêne majestueux. Ils avancèrent vers lui, sur une herbe très douce, d’un vert très prononcé. Ici aussi, des Simbelmynë poussaient par centaines sous l’arbre ancestral.

Ils descendirent de leurs montures pour marcher au milieu des petites fleurs blanches. Alcara n’avait pas vu de lieu aussi beau depuis bien longtemps.

- Ce lieu est magique! s’exclama-t-elle. Vous qui vous méfiez des elfes, vous trouveriez le même genre d’endroit à Fondcombe, ou dans les bois de la Lothlorien.

- C’est davantage un lieu historique qu’un lieu magique, précisa Éomer. Je venais très souvent ici plus jeune, avec Théodred et Eowyn, pendant les longues journées d’été, faire du cheval et m’entraîner à l’épée avec eux. Il a une aura particulière, car c’est devenu un sanctuaire en hommage à Eorl, le fondateur du Rohan. On raconte que c’est sous cet arbre qu’il est parvenu à dresser le chef des chevaux légendaires des Méaras, Felarof. On dit que les Méaras comprennent la langue des Hommes, et vivent tout aussi longtemps.

- Et c’est le cas, confirma-t-elle, car j’ai parlé à Gripoil dans les écuries, et je suis certaine qu’il m’a répondu. Gandalf a de la chance de l’avoir.

- En effet, enchaîna Éomer, le roi Théoden lui avait accordé la permission de le garder, car il avait réussi à le dresser. Je n’en revenais pas, la première fois que je l’ai rencontré sur le dos de ce cheval immaculé, sans selle, alors qu’il venait me chercher pour la bataille du Gouffre de Helm.

- On m’a raconté que cette bataille était l’une des plus épiques, ajouta Alcara, et que lorsque vous êtes arrivé à la lumière de l’aube, en dévalant la pente, on aurait cru les anciens dieux des chevaux qui fondaient comme le vent sur les ennemis.

- C’était en effet une bataille mémorable, se souvint Éomer avec un sourire, en s’approchant du tronc de l’arbre pour le toucher. Faites-moi penser à vous demander d’en écrire les mémoires, car vous l’avez bien résumé.

Et ils rirent tous deux de cette plaisanterie, qui témoignait de la modestie et de l’éternelle réserve d’Éomer quand il s’agissait de parler de lui. C’est alors qu’Éomer ajouta, en se tournant vers elle :

- L'Aube m’avait plutôt bien réussi, ce matin-là.

Leurs regards restèrent fixés l’un à l’autre. Alcara se demandait quoi dire, quoi faire, et se sentit d’un coup elle aussi, prise d’une très grande timidité. Elle comprit alors pourquoi Éomer lui aussi, ne faisait pas le premier pas, malgré ses multiples allusions à sa beauté les cheveux détachés, à la “magie qui opère” ou encore maintenant, à son nom. S’ils se rapprochaient, ils ne pourraient plus faire demi-tour. Mais il était roi, contraint par de nombreux devoirs, et elle…si cela se savait dans le royaume, qu’une femme sans nom de famille ni origine, sans dot ni royaume à proposer au Rohan, avait séduit le roi, le peuple deviendrait méfiant, et la bonne opinion d’Éomer auprès de ses sujets risquerait d’en être ternie à tout jamais.

Cette prise de conscience eut sur elle l’effet d’une douche froide. Elle baissa les yeux, se mordit la lèvre par réflexe et s’éloigna de lui pour contourner le tronc de l’arbre. Elle poussa discrètement un soupir : elle était maintenant prisonnière d’un amour impossible, qui grandissait tout de même en elle avec entêtement, et ce fol espoir, toujours lui, était sourd à tous les obstacles de rang, de pays ou de langue.

En touchant le tronc du chêne, elle sentit une plaque de bronze, fixée sur le bois. Avec le temps, elle avait été un peu tordue par la force de l’arbre qui avait poussé autour d’elle. Les inscriptions étaient si anciennes, qu’elles étaient à moitié effacées et à peine lisibles, en ce qui ressemblait à de l’ancien rohirrique.

« Quelle est cette inscription? » demanda-t-elle à Éomer.

Il s’approcha à son tour de la plaque, et passa sa main sur les lettres gravées pour mieux les déchiffrer.

- Cela parle de…dit-il en déchiffrant peu à peu. Je ne suis pas certain, mais on aurait dit l’histoire d’Eorl et de…Lafelin.

- Qui est Lafelin? demanda Alcara.

Éomer soupira, il semblait devoir se forcer à raconter cette histoire.

- Si vous n’avez pas suffisamment retenu les leçons de votre professeur d’histoire, je chercherai dans un grimoire, plaisanta Alcara.

- Non ce n’est pas cela, dit-il en souriant. C’était l’épouse d’Eorl. Ils n’étaient pas censés se marier, car elle n’avait pas d’ascendance noble. Elle faisait partie d’une famille d’éleveurs de moutons, alors que les Rohirrim habitaient encore au Nord de la Terre du Milieu. Le père d’Eorl n’a pas approuvé le mariage, mais il est mort très tôt en voulant dresser Felarof, le cheval Méaras. Eorl est ensuite parvenu à le dresser. Lui et Lafelin se sont rencontrés pendant la première guerre d’Eorl. Cela a été le coup de foudre, mais ils n’ont pas pu se connaître très longtemps, car elle est morte très jeune en donnant naissance à leur fils, Brego. Eorl a fait de nombreuses guerres ensuite, pour oublier son chagrin. C’est tout ce que je sais de leur histoire.

Un long silence pesant tomba entre eux. Gêné, Éomer ajouta :

- La plaque dit que…qu’ils se sont mariés sous cet arbre.

Alcara n’osait pas le regarder, elle fixait un point sur la plaque, elle se sentait soudain frigorifiée, comme immobilisée par le gel. Décidément, le destin ne l’aidait pas beaucoup…Éomer lui aussi troublé, touchait machinalement les défauts de la plaque de bronze, tordue par les années, et enlevait les quelques branches de lierre attachées au tronc.

Finalement, Alcara prit une grande inspiration :

- Éomer…

- Non, je sais, la coupa-t-il immédiatement, en lui lançant un regard plein de reproches.

- Que savez-vous? demanda-t-elle, étonnée.

- Je sais ce que vous allez dire, lui répondit-il avec véhémence : mais c’est impossible. Je suis roi, et pourtant, les dieux savent…les dieux savent que je ne l’ai jamais voulu. Mais c’est ainsi : j’ai des devoirs qui me dépassent, à présent j’ai tout un royaume à reconstruire, et la guerre n’est pas terminée, nous allons repartir bientôt en Ithilien…

Il semblait se parler à lui-même, mais Alcara redoutait la suite. La température semblait continuer à chuter, irrémédiablement. Il était en train de l’éconduire, c’était bien réel. Elle avait eu raison de douter, de penser que son amour n’était pas réciproque, elle assistait, impuissante, à cette réalité atroce, qu’elle avait voulu repousser à tout prix.

Mais soudain, comme s’il luttait contre lui-même, Éomer donna un coup de poing contre le tronc de l’arbre, faisant à la fois sursauter Alcara et les deux chevaux.

- Je ne sais pas ce que vous m’avez fait!! s’écria-t-il d’un seul coup. D’abord Eowyn, puis toute la Communauté… je n’arrive pas à comprendre cette confiance que tous vous portent et… maintenant, je suis moi aussi pris dans ce piège ! Je voulais être le seul à y voir clair, à comprendre vos intentions, à résister, mais… je sais que vous avez jeté un sort pour me séduire!

Alcara en eut le souffle coupé, elle ressentit un choc tout aussi fort que s’il l’avait frappée, et ne sut quoi répondre.

- Et maintenant encore, continua-t-il, vous parlez de cette plaque, de l’histoire d’Eorl, mais il n’y a pas de hasard, vous le saviez, n’est-ce pas ? Mais vous ne tisserez pas cette toile autour de moi !

Quand elle comprit que pendant tout ce temps, alors qu’elle croyait simplement à une timidité, Éomer avait en réalité continué à douter d’elle, à lui attribuer des intentions mauvaises, quitte à être le seul à le penser, elle sentit que cette vérité la révolta profondément. L’injustice était telle, qu’elle sentit soudain une colère profonde, bouillonnante l’envahir.

- Comment… s’insurgea-t-elle, comment pouvez-vous penser des choses pareilles ! C’est bien vous qui m’avez invitée à venir dans le Rohan, vous qui avez proposé de chevaucher aujourd’hui, qui aviez soi-disant envie de me revoir ! C’est complètement fou, et complètement stupide, de croire qu’on peut jeter de tels sortilèges ! Et après tous les efforts que j’ai faits, toute la patience que je vous ai témoignée, alors que vous m’évitiez, que tous vous ont expliqué que j’étais digne de confiance, même Aragorn, même Gandalf, et tous ceux qui vous ont soutenu dans la guerre! Alors que…j’ai soigné votre sœur, et Faramir!

Éomer, qui s’était fermé comme une boîte, s’était reculé vers l’arbre et regardait le sol.

- Arrêtez de me faire des reproches, et soyez un peu sincère envers vous-même ! continua-t-elle, ne pouvant s’empêcher de lui répliquer tout ce qu’elle avait sur le cœur, quitte à le crier. Pourquoi vous m’évitez? Pourquoi m’avez-vous dit que vous ne me méprisiez pas, en Ithilien? Pourquoi est-ce que vous ne m’avez pas chassée d’Edoras si je suis si néfaste ?

- La Communauté…commença Éomer, mais Alcara le coupa :

- Arrêtez de chercher des coupables ! s’écria-t-elle encore plus fort. La Communauté a bon dos, c’est vous le roi du Rohan! Si Gandalf, Aragorn, et toute la Terre du Milieu ne peuvent pas vous convaincre que vous pouvez me faire confiance, c’est que vous avez un problème avec moi. Alors allez-y, dites-le : quel est le problème en réalité ? Dites-le moi !

Il fallait qu’elle comprenne à tout prix, qu’elle tente le tout pour le tout, pour le faire changer d’avis, pour enlever ses œillères et ses craintes illégitimes. Il fallait qu’elle sache, qu’il lui dise franchement s’il l’aimait ou non, ou si au contraire tout était peine perdue. Elle aurait préféré entendre cette vérité, sans laquelle elle était paralysée. Clouée au sol, comme retenue par du métal fondu…

- Éomer, ajouta Alcara plus bas, en retenant ses larmes. Soit vous m’acceptez, soit vous me demandez de partir du Rohan, pour de bon. Mais prenez une décision. Je ne peux pas continuer ainsi.

Mais Éomer se détourna, et les bras croisés, lui tourna le dos, en allant vers les chevaux. Alcara sentit une larme couler sur sa joue : cette fuite la désespérait. Comment pouvait-il avoir le courage de partir à l’assaut de l’ennemi sur les champs du Pelennor, et ne pas avoir celui de lui dire la vérité ?

Et alors, au pire moment, alors qu’elle tentait de le convaincre qu’elle était inoffensive, des milliers de pétales blancs tombèrent du ciel, qui était bleu et sans nuage. Tout autour du grand arbre, ils tombèrent comme de la neige sur l’herbe douce et sur les petites fleurs blanches.

Sans aucun vent, avec les Simbelmynë intacts, les pétales venaient de nulle part. Et Alcara se souvint des mêmes pétales, tombés sur Eowyn et Faramir à peine mariés, quand elle avait ressenti tant de joie à les voir réunis pour toujours. C’était donc elle qui les avait provoqués, et non Gandalf, comme elle l’avait cru. Avec retard, ils tombèrent autour d’eux, comme pour témoigner de l’espoir qu’elle ressentait encore, quelques instants auparavant.

Éomer leva les yeux en voyant ce phénomène, et les chevaux sursautèrent légèrement de surprise. Il la regarda en haussant les sourcils, sans faire de remarque sur ses joues à présent pleines de larmes.

- Qu’avez-vous fait exactement ? lui demanda-t-il avec du reproche dans sa voix.

- Je ne sais pas… répondit-elle dans un sanglot.

- Alors c’est encore pire : vous faites de la magie, et vous ne savez même pas la maîtriser.

- Et vous, dit-elle encore en colère en s’approchant de lui, vous faites du mal aux autres sans même vous en rendre compte!

Éomer sembla touché par cette dernière remarque. Mais Alcara ne le vit pas : elle était déjà montée sur son cheval, et lui dit :

- Je vais préparer mes affaires pour partir. Je retournerai en Ithilien, et je verrai sur place si Eowyn veut toujours de moi à ses côtés. Mais je ne serai plus un problème pour vous.

- Vous ne pouvez pas aller en Ithilien, lui répondit Éomer. La guerre se prépare là-bas.

- Alors j’irai à Minas Tirith en attendant, répliqua Alcara. Ou bien là où l’on m’acceptera telle que je suis, sans me prêter de mauvaises intentions. Mais je ne supporterai pas de rester ici une minute de plus.

Et elle repartit sur le dos de son cheval noir, en essuyant les larmes qui coulaient encore abondamment sur ses joues. Éomer, sous le grand arbre, était toujours entouré d’une douce pluie de pétales blancs.

En redescendant le chemin seule sur son cheval, Alcara avança comme dans un brouillard et fut moins prudente. Elle ne vit pas, comme Éomer qui connaissait bien la route, les trous et les écueils du petit sentier.

Son cheval trébucha à plusieurs reprises sur les pierres qui roulaient au sol, et commença à s’agiter, mais Alcara était trop bouleversée pour y prêter attention. Elle avait seulement hâte d’arriver le plus vite possible à Edoras et de faire ses bagages.

Elle ne vit pas un trou dans le chemin, qui descendait à pic dans la pente étroite : et le malheureux cheval Remèan perdit l’équilibre et tomba d’un seul coup dans le gouffre en pierre, entre les arbres. Alcara eut le temps de hurler de peur, son cri accompagnant celui de sa monture, et de s’agripper au bord du chemin, alors que son destrier continuait sa chute en contrebas, emportant de nombreuses pierres avec lui.

Se tenant par la seule force de ses mains aux brins d’herbe de la route, elle tira de toutes ses forces sur ses bras et poussa avec ses pieds les pierres qui s’éboulaient, pour tenter de se redresser. C’est alors que deux bras l’attrapèrent par les épaules et la tirèrent sur le sentier. Elle avait les bras en sang, râpés par les pierres.

Éomer, qui la tenait fermement par les épaules, la mit debout en un geste. « Alcara, est-ce que tout va bien? » lui dit-il avec un regard paniqué.

Mais Alcara le voyait à peine. Elle était angoissée par ce qu’il avait pu arriver à Remèan.

- Il est en bas, vite!

- Non, Alcara, c’est trop dangereux !

Éomer tenta de la retenir, mais elle lui échappa des mains et dévala la pente pierreuse, en se tenant comme elle pouvait aux branches des arbres au fur et à mesure.

Au bout d’une vingtaine de mètres, elle arriva en bas de la pente, où le pauvre cheval était tombé au milieu de rocs pointus et coupants. Une de ses pattes était tordue en un angle inquiétant, et du sang s’échappait de sa gueule.

Alcara s’approcha et le vit respirer avec difficulté. Elle lui parla en elfique comme pour essayer de le rassurer, mais peu à peu, son souffle se fit de plus en plus rare.

Et d’un coup, il ne respira plus.

Alcara lui prit la tête, comme si elle essayait de le sauver par un miracle, un sortilège, n’importe quoi. Mais le cheval était mort, par sa faute.

Éomer était descendu peu de temps après elle pour essayer de la rattraper, et assista lui aussi, à la mort de Remèan. Il la découvrit, avec la tête du cheval dans ses bras, les mains recouvertes de son sang.

« Non! Non, Remèan! » disait-elle en pleurant.

Éomer était complètement perdu, tout était arrivé si vite…il avait simplement voulu se protéger, mais il avait provoqué deux catastrophes. Le départ d'Alcara, et la mort de l’un de ses chevaux préférés.

Le cheval était tombé en renversant la besace d'Alcara, qui contenait toutes les fleurs de Simbelmynë, et il semblait en avoir mâché et avalé quelques-unes. Le blanc des pétales sur le noir de son poil faisait un contraste lugubre, comme si on lui avait déjà offert une couronne mortuaire.

Dans le silence de ce gouffre, Éomer était catastrophé et ne savait quoi faire : il avait vu grandir ce cheval magnifique, innocente victime d’une querelle qui ne le concernait pas.

Mais alors l’incroyable se produisit : Remèan recommença à bouger. Alcara, effrayée, sursauta et lui lâcha la tête. Éomer, tout aussi surpris, n’osa pas faire un geste.

Alors le cheval, peu à peu, donna l’impression de mâcher et d’avaler d'autres fleurs : plus il mâchait, plus il se redressait et respirait normalement. Hormis la trace de sang qui avait coulé le long de son cou et sur les mains d'Alcara, il avait une attitude de plus en plus normale.

Il essaya de se redresser, aidé par Alcara et Éomer.

« Sa patte! Regardez sa patte! » s'exclama Alcara.

Et en effet, sa patte ne laissait plus rien voir de sa blessure antérieure, comme si elle ne s’était jamais cassée.

Il se releva complètement, et entreprit de remonter la pente peu à peu. Spontanément, il retrouva le chemin du sentier, en le rattrapant plus bas.

Alcara et Éomer le regardèrent s’éloigner sans rien dire ni rien faire, comme devant un miracle.

Alcara se tourna vers Éomer : il était lui aussi sous le choc, mais cette fois, elle n’y était pour rien. Dans un souffle, elle dit :

« Les Simbelmynë. Il en a mangé après sa mort, et il est revenu à la vie. »

Éomer la fixa dans les yeux mais sans vraiment la voir: « C’est impossible! » ne cessait-il de répéter, comme pour s’en persuader. Mais il avait été témoin, comme elle, de cette incroyable résurrection.

Alors Alcara lui dit :

« C’est une fleur aux vertus prodigieuses : elle ne fane pas, et elle possède des propriétés encore plus miraculeuses que ce que je pensais. Il faut absolument que je puisse l’étudier. »

En la regardant, avec ses mains encore pleines de sang et son visage baigné de pleurs, Éomer crut voir une divinité de la vengeance. Il se sentait tellement coupable de ce qu’il avait provoqué, qu’il lui fallait à présent régler les choses. En roi.

- Je vous propose une chose, lui dit-il dans un murmure : nous rentrons, et vous étudiez en priorité les Simbelmynë. Dégagez-en les meilleures vertus, créez un philtre, une potion, capable de guérir de tous les maux. Et alors, nous aurons une armée invincible, qui pourra survivre à toutes les batailles.

- Rien ne garantit que cela fonctionne aussi bien que pour les chevaux, le prévint Alcara.

- Faites ce que vous pourrez, dit immédiatement Éomer avec plus de bienveillance qu’auparavant. Mais ne partez pas d’Edoras avant de l’avoir découvert. Peut-être est-ce une sorte de panacée pour les blessures, ou les maladies. Je vous laisse carte blanche.

- À une condition, dit Alcara, qui sentait sa colère et sa tristesse refaire surface. Je vous interdis de vous méfier encore de moi, sans aucun motif légitime. Faites-moi confiance, et je le ferai avec toute l’énergie dont je suis capable.

Éomer hésita un instant et finit par dire : « Entendu. »

Carla hocha la tête en le regardant, et entreprit d’escalader les rochers pour suivre le chemin de sa monture. La route qui l’attendait encore serait ardue, et pourtant, malgré la déception, malgré l’humiliation provoquée par Éomer, malgré la douleur qu’elle avait subie si soudainement, malgré le lien qui s’était brisé entre eux, elle ressentit malgré tout, plus puissant et résistant que tout le reste, l’espoir, le fol espoir, qu’Éomer puisse l’aimer un jour au vu et au su de tous, et veuille la garder auprès de lui.

L’espoir, le plus profond et le plus solide de tous les maux.

Alors, qu'en avez-vous pensé ? 😏 J'ai dû un peu malmener les personnages, mais ça rend cette relation passionnelle d'autant plus excitante, vous ne trouvez pas ? Que pensez-vous qu'il puisse se passer maintenant ? Plus dans le prochain chapitre, qui sera le pic de tension, pour clôturer la partie 2 ! !! 😱

Nota bene : J'ai vraiment fait des recherches pour trouver une langue aussi proche que possible du Rohirric/ Vieil Anglais, j'espère que cela vous a plu !

 

Chapter 27: La Course Contre La Montre

Chapter Text

La Course Contre La Montre

Illustration : IA

Musique à écouter sur ce chapitre :

C'est de plus en plus tendu, tant au niveau de la guerre que de l'amour ! Comment la relation entre Alcara et Eomer va-t-elle évoluer ? Pour en savoir plus, cliquez ici ! Ceci est la fin de la partie 2  😁

Les jours suivants furent un supplice pour Alcara, comme pour Éomer. D’un accord commun et tacite, ils décidèrent de s’éviter le plus possible : Éomer par honte, Alcara par colère.

Elle se résolut à s’enfermer dans son laboratoire, n’ayant plus le goût de sortir chevaucher ou de tirer à l’arc. Elle congédia tous les malades, et annonça aux apprenties guérisseuses que pour le moment, la Maison de Guérison était suspendue. Elle savait qu’elle créait de la déception et de l’incompréhension avec une telle annonce, mais elle utilisa un ton si ferme et définitif, que personne n’osa lui en faire le reproche.

Toute son attitude changea, comme si l’amour qu’elle avait éprouvé s’était mué en un dépit immense sur toutes choses, et elle y puisa toute son énergie pour se concentrer sur sa mission et pouvoir partir le plus rapidement possible.

Malheureusement, l’urgence vint aussi de l’extérieur : et comme prévu, Gandalf lui écrivit que des ennemis s’étaient regroupés de l’autre côté des montagnes du Mordor et s’apprêtaient à attaquer l’Ithilien. Ordre fut alors donné d’évacuer la population vers Minas Tirith, mais Eowyn insista pour rejoindre Edoras, comme elle l’écrivit à Alcara, alors que Faramir se préparait sur place au combat avec Aragorn. Éomer lui aussi rassembla ses troupes pour partir à nouveau au combat.

Les routes seraient donc bientôt impraticables, et Éomer allait repartir pour la guerre, mais Alcara s’en fichait, elle voulait s’en aller, et irait n’importe où, pourvu qu’elle s’éloigne d’Éomer. Elle se sentait à la fois lasse et vindicative quand il n’était pas là, mais si elle le voyait de loin ou entendait sa voix dans les couloirs du palais, elle savait qu’en le croisant, sa résistance s'étiolerait et que son espoir referait surface. Elle se détesta de lui laisser encore une chance, alors qu’il lui avait fait tant de mal.

Elle avait néanmoins besoin d’aide, et profita du blanc-seing du roi pour mander des serviteurs qui l’accompagnèrent de nouveau aux tertres afin d’y cueillir d’autres Simbelmynë, suffisamment pour expérimenter un philtre. Au loin, elle voyait Éomer surveiller l'entraînement de ses troupes, dans la vallée. Elle imaginait qu’il se dédiait totalement à la guerre, mais cela lui était complètement égal.

Jour et nuit, n’ayant plus faim, ni sommeil, elle se consacra exclusivement à sa tâche : c’était la première fois qu’elle créait elle-même un remède, elle devait donc s’appliquer le plus possible. Malgré sa concentration, l’image d’Éomer revenait par intermittence, avec des images confuses de bons et de mauvais souvenirs. Mais elle refusa de s’y attarder, souhaitant à tout prix ne jamais le revoir. Cependant, elle ne pouvait pas partir maintenant, avant d’avoir rempli sa promesse d’étudier la fleur du Rohan, et alors qu’Eowyn allait bientôt arriver.

Au bout du troisième jour, elle parvint à préparer plusieurs types de potions possibles, selon différentes techniques d’extraction de la fleur : en chauffant pour en prélever l’esprit, ou bien en le diluant dans de l’eau, dans de l’alcool ou même dans du suc digestif de cheval, qu’elle était parvenue à prélever dans l’écurie avec un soigneur de chevaux. Toutes les personnes qui la cotoyèrent à ce moment-là la craignirent un peu et évitèrent sa présence : Éomer lui avait donné mandat d’aller où elle voulait et que chacun lui obéisse pour tout ce qui concernait ses expériences scientifiques, mais elle avait un discours sec avec chacun, qui ne souffrait aucune réplique.

Seule une jeune servante, qui devait avoir une quinzaine d’années, trouva grâce à ses yeux : elle avait été envoyée indirectement par Éomer, non pas pour la surveiller, mais parce qu’il se sentait secrètement très coupable et voulait savoir comment elle se portait.

Quand elle frappa à la porte du laboratoire, Alcara répondit machinalement « Entrez! » de son ton tranchant. La jeune fille aux nattes blondes entra avec un plateau de nourriture et de l’eau. Avec ses grands yeux bleus, elle admira la grande salle complètement différente d’avant : des vapeurs blanches sortaient d’alambics, des branches de Simbelmynë pendaient des crochets attachés aux murs, et des piles de livres ouverts en désordre et de carnets recouverts d’inscriptions à la plume s’étalaient sur des tables et jusqu’au sol.

Alcara, en l’entendant s’exclamer, leva la tête : elle observa la jeune fille timide, qui venait vers elle.

« Dame Alcara, on m’a envoyée vous donner un repas pour prendre des forces. »

Avec des gestes gracieux, elle posa son plateau, servit un verre d’eau à Alcara et disposa dans une assiette le pain, le poisson, les œufs durs et les fruits qu’elle avait apportés.

Alcara ne répondit rien, et observa ses longues mains délicates. Quand la jeune fille lui tendit le verre d’eau, elle la remercia, et lui demanda:

- Comment t’appelles-tu?

- Lafindal, ma Dame.

- Ton nom a un rapport avec Lafelin, l’épouse d’Eorl? demanda Alcara en fronçant les sourcils.

- Oui, ma Dame, répondit-elle en souriant. C’est un prénom assez courant chez nous et pour notre rang, il est dérivé de Lafel, qui veut dire “bergère”.

Alcara ne dit rien, mais continuait d’observer la jeune fille, qui avait l’air impressionnée de lui parler.

- Pourrais-tu me dire qui t’a envoyée me voir? demanda Alcara avec méfiance.

Elle en venait, elle aussi, à s’isoler et à douter des autres.

- C’est…c’est l’intendante du palais, ma Dame.

En entendant son explication hésitante, Alcara fronça d’autant plus les sourcils.

- Tu n’es pas obligée de me dire la vérité, lui dit-elle. Je ne t’en veux pas. Mais je te remercie, Lafindal.

Pourtant la jeune fille continua à se tenir là et à la regarder. Alcara, qui allait continuer à travailler et pensait qu’elle allait prendre congé, leva à nouveau la tête vers elle.

- Qu’y a-t-il? lui demanda-t-elle. Tu veux me dire quelque chose d’autre?

- Oui euh, dit Lafindal en hésitant. Je dois vous dire deux choses : la première, c’est que la princesse Eowyn arrive demain matin, et on vous demande d’être présente pour l’accueillir.

- Oui, évidemment je serai là, dit Alcara, qui avait oublié que le temps était passé si vite.

- La deuxième euh, je ne sais pas si je devrais, mais… enfin, je ne vous avais jamais vue d’aussi près et, vous êtes plus belle encore que tout ce que j’avais entendu dire.

Alcara haussa les sourcils : elle ne s’attendait pas du tout à cette remarque. En souriant, elle lui demanda :

- Et que dit-on d’autre sur moi dans les couloirs de Meduseld, ou dans Edoras?

- On dit surtout que vous êtes très belle, répondit Lafindal sans hésitation. Et les femmes admirent beaucoup vos talents aux tournois ou au tir à l’arc, mais les hommes vous trouvent très belle aussi, et cela rend les femmes un peu jalouses.

Alcara s’assit sur son tabouret de laboratoire, et rit légèrement. Décidément, cette jeune fille était surprenante.

- On raconte vraiment des choses aussi positives sur moi? demanda Alcara.

- Oh oui ! approuva la jeune fille immédiatement. En réalité, il paraît que votre danse au mariage de la princesse Eowyn était mémorable, tous les Grands du Rohan qui étaient invités l’ont ensuite raconté. Mais…

- Mais...? insista Alcara.

- Mais, en réalité, vous…intimidez beaucoup les Rohirrim. Vous connaissez le roi Aragorn et la reine Arwen, vous connaissez les elfes et vous parlez avec eux, et surtout vous connaissez bien le grand magicien Gandalf! On vous prête donc des dons magiques très puissants.

- Et as-tu l’impression d’être ici, dans le repère d’une sorcière? demanda Alcara en souriant.

- Je…je ne sais pas, car je n’en ai jamais vu.

Alcara éclata de rire. Cette fraîcheur était bienvenue dans son quotidien morne.

- Il ne s’agit pas du tout de magie ici, figure-toi, lui expliqua-t-elle. Il s’agit d’expériences scientifiques tout à fait normales. J’ai étudié les savoirs des guérisseurs, pas des magiciens, et j’ai tenu la Maison de Guérison à Minas Tirith puis en Ithilien.

Lafindal hocha la tête. Alcara n’avait pas du tout envie de laisser entendre dans tout le Rohan qu’elle avait des dons surnaturels, car d’autres devaient encore avoir le mauvais souvenir de Grima Langue de Serpent et se méfieraient d’elle.

- Et pour ce qui est de la beauté, ajouta Alcara, sache qu’elle n’est qu’une étape de la vie, et quand on a la chance d’en avoir, il ne faut pas trop y compter. Elle finira par disparaître. Tu es toi-même très belle, Lafindal, mais tu dois posséder en toi-même d’autres talents, et d’autres ressources, qui t’aideront plus tard. La vie des femmes n’est pas toujours facile sur la Terre du Milieu.

Elle pensait alors au rustre de Dol Amroth, et se disait qu’elle était bien heureuse d’avoir eu la connaissance des combats à l’épée pour se défendre.

- Je vois que tu as des mains et des gestes très délicats, remarqua-t-elle, et Lafindal regarda ses mains. Si cela t’intéresse, je pourrais m’arranger pour que tu apprennes certains rudiments de ce que je fais ici, dans le laboratoire.

- Vraiment? J’en serais très heureuse! s’exclama la jeune fille avec joie. Je vous promets d’être rigoureuse, et de suivre toutes vos indications!

- Dans ce cas, retrouvons-nous ici demain matin, avant l’arrivée d’Eowyn, je commencerai à t’enseigner les bases des guérisseurs. J’en parlerai à l’intendant, puisque c’est lui qui t’envoie.

- Merci, merci beaucoup, je serai là à la première heure demain matin. Merci beaucoup Dame Alcara!

Et la jeune fille lui fit une petite révérence, et repartit en sautillant presque jusqu’à la sortie. Elle lui faisait penser à la jeune Soeur de la Maison de Guérison, Elenie.

Alcara s’aperçut alors qu’en effet, elle avait un peu faim. En approchant du plateau pour manger quelque chose, elle souleva le torchon qui recouvrait l’assiette. Et là elle vit, à côté de l’assiette, une petite rose. Il ne s’agissait pas d’une rose décorative : elle avait la même taille que les roses de tournoi, très petite pour pouvoir être attachée sur le poitrail d’une armure. D’ailleurs, une attache en or était fixée sur la tige. Avec la rose, un petit Simbelmynë avait été ajouté.

Alcara poussa un soupir, qui risquait de devenir un sanglot, et n’eut tout à coup, plus faim du tout. En colère, désespérée, ne sachant que faire de son cœur blessé, elle jeta l'épingle contre le mur.

 

Le lendemain matin, Alcara n’avait toujours pas réussi à faire une nuit complète : heureusement, la venue de Lafindal apporta un peu de douceur à sa matinée.

Alcara se dirigea ensuite vers la grande salle dorée de Meduseld pour l’accueil d’Eowyn, mais elle prit par réflexe le grand couloir, au lieu du petit qui passait derrière les cuisines et qu’elle empruntait depuis quelques jours pour être sûre de ne pas croiser Éomer. Malheureusement, le palais était bien plus petit que celui de Minas Tirith ou de l’Ithilien, et fatalement, elle croisa Éomer qui allait entrer dans la salle avec ses maréchaux.

Il s’arrêta en la voyant arriver, et elle se figea à son tour. Il demanda immédiatement à ses maréchaux de l’attendre dans la grande salle, et ils s’exécutèrent. Alcara se maudit de ne pas être passée par un autre chemin.

- Alcara, commença Éomer d’une voix douce, je dois vous parler.

Alcara ne répondit rien, et regarda partout ailleurs, comme pour trouver par où elle pourrait fuir. Elle était plus maigre, plus faible qu’avant, et le cœur d’Éomer se serra.

- Je voulais vous dire… Alcara, je suis vraiment désolé de ce qui est arrivé, je m’en veux terriblement, je ne le voulais pas…

- Non, ça suffit, le coupa-t-elle en levant sa main comme pour le faire arrêter. Je ne peux pas entendre cela, je n’y arriverai pas.

Elle ne parvenait même pas à dire son nom, comme s’il avait pu symboliquement la vider de ses forces. Et Éomer se tut, interdit devant sa réaction. Il ne s’y attendait pas.

- Je ne peux pas entendre vos excuses, expliqua-t-elle sans le regarder dans les yeux, du ton le plus ferme qu’elle put emprunter. Il ne suffira pas de cela pour vous faire pardonner. Vous avez porté de graves accusations contre moi et…et vous ne pouvez pas vous en laver les mains si facilement. Moi, j’avais confiance en vous. Mais vous n’aurez jamais confiance en moi. Jamais vous…

Mais sa gorge était serrée tout à coup; elle ne pouvait aller au bout de sa phrase, elle ne pouvait pas dire “Jamais vous ne m’aimerez, et je l’ai compris.”

- Je pense que nous sommes trop différents, se reprit-elle avec une voix plus tremblante, nous ne pouvons pas nous comprendre. Et nous n’avons pas le temps pour cela, actuellement. Je veux juste remplir ma mission, et partir.

Elle allait sortir, et Éomer essaya de la retenir :

- Alcara, je vous en prie, ne partez pas comme cela…

- Je…je veux juste que vous me laissiez tranquille, dit-elle d’une voix faible en s’éloignant de lui, comme pour échapper à son emprise. Laissez-moi au moins ma dignité, je vous en prie. Je me sens déjà suffisamment humiliée. Laissez-moi.

Et elle partit dans la grande salle, en cachant tant qu’elle put son ressentiment et son cœur bouleversé.

Eowyn arriva avec de nombreux Rohirrim sous une pluie battante, qu'Alcara analysa avec ironie comme le reflet exact de son état d’esprit. Pourtant, malgré le temps, dans les rues, nombreux étaient les habitants qui tenaient à saluer la princesse d’Ithilien, heureux de revoir la fille de leur pays. Sous le porche de Meduseld, ils étaient alignés pour attendre son arrivée, sans dire un mot : le roi Éomer, ses maréchaux, les grands seigneurs d’Edoras, et plus loin, Alcara. Cette dernière, qui sentait le regard d’Éomer sur elle par moments, ne chercha jamais à croiser son regard et fixa l’horizon devant elle, serrant ses mains si fort qu’elle faisait blanchir ses phalanges.

Quand elle arriva, fatiguée mais heureuse de revenir, Eowyn serra plus particulièrement dans ses bras Éomer, et Alcara. Elle semblait d’excellente humeur, et le mauvais temps n’avait pas du tout atteint son enthousiasme. Alcara sentit du soulagement à la voir, dans l’atmosphère devenue oppressante du palais.

Quand Eowyn salua Alcara, elle lui jeta un œil légèrement inquiet, mais sauva les apparences devant le reste de la Cour, en lui disant sa joie de la revoir.

Plus tard, après le déjeuner officiel, les membres de la Cour prirent peu à peu congé, et il ne resta autour de la table qu'Alcara, Éomer et Eowyn, hormis les serviteurs qui faisaient passer les derniers fruits confits. Eowyn ne tarit pas de sujets de conversation et de questions, auxquels Éomer répondit vaguement, et Alcara encore plus vaguement. Cette dernière parvint pendant tout le repas à manger le moins possible, n’ayant aucun appétit, et à ne jamais regarder Éomer dans les yeux, alors qu’il lançait intentionnellement des questions dans sa direction.

Eowyn sentait que quelque chose n’allait pas. Et fidèle à son caractère, profitant de leur petit comité, elle demanda franchement:

- Le temps est à l’orage à Edoras, j’espère que cela n’a pas affecté votre santé, à l’un comme à l’autre.

- Pas du tout, continua à répondre Éomer, pour couper court au sujet. Nous avons eu quelques perturbations, mais depuis le ciel est apaisé.

- Tu dois être fatiguée de ton voyage, enchaîna Alcara. Si vous m’y autorisez, roi Éomer, je souhaiterais prendre congé pour laisser la princesse se reposer.

Éomer hocha simplement de la tête sans la regarder, et en se levant, l’une des manches de la robe d'Alcara se releva légèrement. Eowyn poussa une exclamation :

- Mais, Alcara ! Qu’est-il arrivé à ton bras?

En regardant son bras, Alcara souleva par inadvertance son autre manche, qui montrait elle aussi, les blessures qu’elle s’était faites en râpant le sentier de pierre, lors de la chute de son cheval. Eowyn poussa une seconde exclamation, et se leva pour s’approcher d’elle. Mais Alcara s’éloigna et remit ses manches en place.

- Ce n’est rien, une mauvaise chute.

Mais Eowyn se tourna immédiatement vers Éomer :

- Ce n’est pas toi qui as fait cela, j’espère ! s’exclama-t-elle contre lui.

Alors Alcara sentit ses joues devenir rouges, alors qu’Éomer se levait, l’air choqué :

- Eowyn ! Comment peux-tu croire que je puisse faire cela à une dame !

- Alcara, que s’est-il passé? demanda Eowyn à nouveau, en se tournant vers elle.

- Il n’a rien fait, commença-t-elle. C’est seulement…

Alors que tous deux la regardaient, Alcara se sentit perdue : comment pouvait-elle expliquer rationnellement ce qui était arrivé ? Qu’elle avait ressenti la plus grande des joies, le plus fort des espoirs, mais aussi la plus grande des injustices, et le plus fort désespoir ? Qu’elle avait cru qu’Éomer se dévoilerait à elle, mais avait fait volte-face en l’accusant des pires choses, et s’était en fait fermé comme un tyran méfiant ? Qu’elle lui en voulait tellement, qu’elle avait envie de le frapper dès qu’elle le regardait ? Qu’elle avait envie de disparaître elle-même ?

- Je…je suis désolée, finit-elle par dire, la voix étranglée, je ne peux pas. Demande-le lui.

Et elle sortit de la salle, pour ne pas montrer les larmes qui lui montaient aux yeux. Avant de partir dans le couloir, elle entendit la suite de leur conversation :

- Éomer, tu dois m’expliquer! s’exclamait Eowyn. Alcara part pour Edoras, et tout se passe parfaitement bien, et j’arrive, elle est blessée, amaigrie et semble n’avoir pas dormi depuis des jours ! Et toi, tu es dans le même état, regarde tes cernes !

- Disons que..commença Éomer avec hésitation. Disons que j’ai fait une terrible erreur, et je ne sais pas comment la réparer.

Alors il lui raconta les Simbelmynë, la promenade jusqu’à l’Arbre d’Eorl, en prenant bien soin de ne pas détailler leur dispute, puis la chute de Remèan et son incroyable retour à la vie. Ce dernier événement fit suffisamment diversion pour qu’elle ne lui pose pas de question sur la nature précise de leur dispute.

- C’est impossible! s’exclama-t-elle, n’arrivant pas à trouver autre chose à dire face à un tel miracle.

- Alcara est donc en train d’étudier les Simbelmynë le plus vite possible, avant le début de la guerre, pour savoir si une panacée pourrait exister. Elle doit étudier nuit et jour, c’est pourquoi elle paraît si fatiguée.

- Ce serait un remède miracle, qui nous permettrait de posséder une armée invincible ! se dit Eowyn. Mais elle va avoir besoin d’aide, remarqua-t-elle avec inquiétude, comment pourra-t-elle y arriver seule ? Est-ce que Gandalf ne peut pas venir l’aider ? Ou les elfes ?

A cette question, Éomer répondit par un silence plus long, qui montrait sa réticence à faire venir des elfes dans le palais d’Edoras.

- Elle y arrivera, dit-il fermement. Je lui ai donné carte blanche pour recevoir toute l’aide nécessaire. Et en attendant, nos troupes se préparent au combat.

Un autre silence suivit ces derniers mots. Elle entendit Eowyn hésiter à vouloir demander autre chose, mais elle se reprit rapidement, et répondit :

- Je comprends. Tout est plus clair à présent, je te remercie. Je suis un peu fatiguée, je vais aller me reposer, puis j’assisterai aux entraînements. A tout à l’heure.

Alcara se dépêcha de se cacher dans l’embrasure d’une porte, pour qu’Eowyn ne la voie pas. Elle savait que cela ne ressemblait pas à la princesse du Rohan de montrer si peu d’entêtement à comprendre. Peut-être que la vie avec Faramir et les courtisans du Gondor lui avaient appris à faire preuve de plus de prudence. Alcara entendit seulement Eowyn prononcer une phrase pour elle-même, qu’elle ne comprit pas complètement : “Quel gâchis!”

Le mois qui suivit, au début de juin, fut placé sous le signe de la préparation de la guerre, et une atmosphère nouvelle, qu'Alcara ne connaissait pas encore mais dont Edoras était tristement coutumière, s’installa dans le Rohan. Des troupes ne cessèrent d’arriver de toutes parts, on prévit des haltes au fur et à mesure de l’avancée vers le Sud, et des vivres furent regroupés dans la cité.

Alcara eut besoin de tester les différentes préparations de Simbelmynë, et avec la jeune Lafindal, elles se mirent d’accord pour trouver des souris dans le palais, avec l’aide d’autres serviteurs. Cela détendit un peu l’atmosphère lourde de Meduseld, et même des chats furent trouvés pour les aider. Finalement, ils en trouvèrent une dizaine qu’ils mirent dans des petites cages. Heureusement, Lafindal n’en avait pas peur, et déployait beaucoup d’énergie pour apprendre vite auprès d'Alcara.

En testant les différentes potions, cette dernière notait les protocoles, différenciait les cobayes pour voir la progression des expériences. Mais les premiers jours furent décevants : ni la solution concentrée, ni celle chauffée, n’eurent l’air de fonctionner. S’il fallait emporter avec soi un énorme baluchon de fleurs pour les manger sur le champ de bataille, cela ne fonctionnerait pas.

Pendant ses expériences, Eowyn venait de temps à autre lui rendre visite. Elle aussi voulait aller combattre en Ithilien, même si Faramir et Éomer étaient réticents, mais sa légende sur les champs du Pelennor la précédait et donnait du courage aux soldats. Elle s’entrainait donc, et passait voir Alcara le soir, à la fois pour la soutenir et pour voir son état avec les jours passant.

L’été continuait sa route, donnant de grandes journées ensoleillées aux Rohirrim, mises à profit pour éprouver leur endurance aux entraînements. Avec la préparation de la guerre, les festivités habituelles du solstice avaient été annulées, au grand soulagement d’Alcara, qui se rappela avec douleur que seulement un an auparavant, elle avait dansé avec Éomer pour le mariage d’Eowyn.

Une semaine avant le départ pour le combat, Eowyn entra dans le laboratoire : sur le côté, de grands sacs de jute contenaient de la poudre de Simbelmynë, qui serait mise dans des petites boîtes posées sur une table. Au moins, s’il arrivait quelque chose aux chevaux, on pourrait leur donner cette poudre pour les guérir.

Mais Alcara semblait sur les nerfs. Malgré la répétition des expériences, les souris restaient insensibles aux Simbelmynë. Et l’heure approchait…

Eowyn s’assit, fatiguée par son entraînement de la journée, et écouta Alcara se parler à elle-même :

- Comment faire pour trouver le bon moyen ? Je devrais peut-être réessayer sur un cheval ? Ou peut-être un autre animal, plus proche du métabolisme des Hommes. Ou alors, je devrais essayer sur moi-même…

- Comment cela, Alcara ? s’inquiéta Eowyn.

Elle ne prévoyait tout de même pas de se tuer pour tenter de se ressusciter ?

- Non je réfléchis simplement à voix haute, la rassura Alcara, en passant sa main sur son visage.

Des mèches étaient sorties de sa natte, et ses cernes devenaient de plus en plus marquées sur son visage pâle et creusé.

- Tu devrais te reposer un peu Alcara, la fatigue ne va pas t’aider à réfléchir à la bonne solution.

Alcara soupira, et s’assit à son tour.

- Je ne peux pas m’arrêter si je n’ai pas trouvé, lui répondit-elle. Tout le monde compte sur moi…

- Nous avons des solutions, lui dit Eowyn pour la réconforter. D’abord, nous pouvons très bien partir deux jours plus tard. Ensuite, si tu ne trouves pas, ce n’est pas grave : la guerre ne dépend pas de ce produit. Nous avons des guerriers valeureux, et le soutien du Gondor, une partie de la Communauté sera là...Tout ira bien.

- Je dois trouver, Eowyn, insista Alcara avec un œil inquiet. Il le faut.

Après un silence, Eowyn, qui regardait Alcara en fronçant les yeux, lui demanda avec douceur :

- Quel est le vrai enjeu, Alcara ? Tu as toute ma confiance, et toute mon amitié. Quoi qu’il arrive, je te soutiendrai. Mais il faut que tu me parles.

- Tu devrais d’abord parler à Éomer, lui répondit-elle comme d’habitude.

- Je l’ai fait, insista Eowyn, mais il est aussi borné que moi, et aussi borné…que toi ! Vous ne vous adressez plus la parole, tu sembles toujours prête à l’attaquer dès qu’il fait un geste vers toi. Je sais qu’il t’a fait souffrir, et cela me fait souffrir, moi aussi. Je t’en prie, tu peux me parler.

Alcara regarda ses mains qui tremblaient, et se retint de ne pas pleurer. Elle qui était si forte ! Eowyn s’inquiéta sérieusement de ce dont avait pu être capable Éomer.

- Très bien, mais je n’en ai jamais parlé. Et je veux que tu le gardes pour toi.

- Bien sûr, lui assura Eowyn d’une voix douce.

- Voilà je…je me suis aperçue que l’agacement que je ressentais pour Éomer avant ton mariage n’était pas…exactement de l’agacement. Et que…que je l’aimais.

Eowyn resta silencieuse, attendant la suite.

- Et je crois, enfin je croyais, qu’Éomer m’aimait lui aussi. Mais ce n’est pas le cas. Il est persuadé que j’ai cherché à vous jeter un sort à tous, pour vous séduire et prendre vos places.

Eowyn ne put s’empêcher de rire à cette idée :

- Mais c’est complètement absurde! s’exclama-t-elle.

- C’est en tous cas ce qu’il m’a dit, ajouta Alcara. Et je me sens si bête, si tu savais, car j’ai vraiment espéré et… je me sens terriblement déçue. Mais j’aurais dû savoir qu’une inconnue comme moi, sans titre, sans passé, ne peut pas espérer quoi que ce soit.

- Alcara, je refuse que tu te dévalorises de cette façon, lui dit tendrement Eowyn en lui prenant les mains. Tu es une femme exceptionnelle, tu as un savoir immense, et un très grand courage. Tu es une femme forte, et je refuse que tu sois découragée par un homme. D’autant plus par mon frère !

Alcara rit un peu, en essuyant ses larmes.

- C’est ce que t’a dit Éomer, continua Eowyn, mais c’est un guerrier : il ne sait pas ce que c’est que l’amour. Ce que je pense, c’est qu’il s’est retrouvé perdu face à un sentiment qu’il n’avait jamais ressenti, et qu’il a cherché à y mettre des mots, mais il s’est complètement trompé. Peut-être qu’à un moment, Éomer comprendra qu’il faisait fausse route.

- Il ne m’aime pas, Eowyn, insista Alcara en la regardant. C’est inutile : regarde comme il cherche à réparer ce qu’il m’a dit, il a l’attitude de celui qui éconduit l’autre et qui s’excuse de la peine qu’il a pu créer, c’est aussi simple que cela. Maintenant, il veut simplement se faire pardonner et avancer.

- Pourtant, il ne cherche toujours pas d’épouse, remarqua justement Eowyn.

- C’est à cause de la guerre, expliqua Alcara, il s’en occupera après, quand nous serons partis. Mais malgré le fait que je me sois aperçue qu’il ne m’aimait pas, nous avons conclu une sorte de pacte lors de l’accident de Remèan : il m’accordera toute sa confiance, si je parviens à trouver le remède du Simbelmynë pour ses Hommes.

- Mais tu es sûre de toi ? insista tout de même Eowyn. Tu crois vraiment qu’il ne t’aime pas ?

- On ne réagit pas comme cela si on aime quelqu’un. Je faisais erreur. Et…ajouta-t-elle en sentant un nouveau sanglot monter dans sa gorge qui étrangla sa voix, et je suis tellement lasse, si tu savais! Parce que je continue à espérer malgré tout, je me dis encore que les choses peuvent changer, alors que c’est impossible. Je me sens humiliée, à genoux.

- Alcara, je te crois, lui dit Eowyn en lui tendant son mouchoir brodé pour essuyer ses larmes. Je suis désolée de te voir dans cet état. Mais tu as été si forte pendant la guerre! Tu as guéri un nombre phénoménal de soldats, tu m’as guérie moi, et même aux portes du Mordor, tu as toujours gardé espoir. Alors, ne t’en prends pas à cet espoir : c’est lui qui nous guide tous. Laisse-le s’exprimer, même s’il se trompe quelquefois.

Alcara rit un peu, et lui dit :

- Arwen m’avait dit presque la même chose : elle m’avait dit de suivre mes intuitions, et qu’elles guideraient mes pas, même les yeux fermés.

- Elle a raison, approuva Eowyn, et si cela te conduit à faire de la magie, et que tu as le don de cela, tant mieux ! Cela nous sera bien utile à l’avenir, et tant pis si Éomer n’y croit pas, cela n’a pas d’importance !

- Cela en a pour moi, répondit Alcara, mais tu as raison. Si je veux avancer, je ne peux pas me résigner à attendre son autorisation.

- Exactement ! approuva Eowyn. Allez, viens avec moi, il faut te coucher.

Mais en se levant de son siège, Eowyn eut un haut-le-cœur. Alcara eut juste le temps de la guider vers le bassin de pierre, sur le côté de la salle, et Eowyn rendit son dîner.

- Je suis désolée, lui dit-elle.

- Est-ce déjà arrivé? lui demanda tout de suite Alcara.

- Oui, depuis quelques semaines, surtout le matin…

Sans attendre, Alcara mit sa main sur son front, et lui demanda : « Es-tu plus fatiguée en ce moment? »

- Oui assez, mais les entraînements…

Alcara l’interrompit en lui prenant le bras et la regarda intensément. Eowyn ne comprit pas d’abord, puis ouvrit de grands yeux.

- Est-ce que tu crois…?

- Je pense que oui, approuva Alcara avec un grand sourire.

- Oh Alcara! Je suis enceinte!

Et elles se prirent dans les bras en riant. Eowyn voulut l’annoncer immédiatement à Éomer, et elles se dépêchèrent de sortir du laboratoire.

Mais en passant devant une des cages de souris, elles en ouvrirent une sans faire attention. Et un chat, près de la porte, s’en était aperçu.

Plus tard dans la soirée, Alcara retourna dans le laboratoire, l’esprit plus léger. La soirée avait été si joyeuse ! Pour une fois, tous les esprits étaient tournés vers une bonne nouvelle. Eowyn rayonnait, et Éomer semblait très fier de sa sœur. Ils écrivirent immédiatement à Faramir, et un messager était même parti dans la nuit.

Néanmoins, il fallut lui faire comprendre qu’il était trop dangereux pour elle de partir avec eux à la guerre, même en tant que « soutien moral » comme elle le proposa pour négocier. Et tant qu’on ne saurait pas si elle en avait la santé, il lui fallait éviter de monter à cheval, malgré ses protestations véhémentes. Mais après son expérience précédente, Eowyn en convint plus facilement. Quoi qu’il arrive, la nouvelle allait bientôt se savoir, et galvaniser le moral des Rohirrim.

En ouvrant la porte du laboratoire, pourtant, Alcara tomba sur un spectacle sinistre : la cage des souris était tombée au sol, et vide ; par terre, des traces de poursuite et de sang ; et le corps gisant de deux souris par terre, tuées mais ignorées ensuite par un chat, qui se léchait tranquillement la patte au bord de la fenêtre.

En retenant un juron, Alcara se précipita d’abord pour chasser le chat de la pièce, puis pour recueillir les deux corps des souris. Une des deux gisait à côté du sac des Simbelmynë réduits en poudre, dont la toile avait été trouée par le chat durant la poursuite. En se penchant pour la ramasser, Alcara fit tomber une cruche d’eau qui tenait en équilibre au bord de la fenêtre : décidément, la journée se terminait vraiment mal.

Et là, le miracle se produisit : l’eau se mélangea à la poudre sur le sol, coulant jusqu’à la tête de la souris…qui se réveilla. Au bout de quelques minutes, elle se releva et respira normalement.

Alcara, le souffle court, attrapa la souris et la mit rapidement dans la cage. Elle alla ensuite chercher l’autre souris morte, pour lui faire boire la même chose : et elle ressuscita elle aussi.

Ça y est. Elle avait trouvé.

La nuit et le jour d’après se déroulèrent dans la plus grande rapidité : alors que la poudre devait être mise dans des boîtes pour les chevaux, il fallut tout réorganiser. Elle demanda donc à Lafindal de l’aider à la diluer dans l’eau et à la mettre dans des fioles. Mais rapidement, elles n’en eurent pas assez, et durent aller en demander dans tout Edoras : elle manda des serviteurs pour cela dans toutes les rues, toutes les maisons, toutes les échoppes. D’autres serviteurs, dont les cuisiniers, furent réquisitionnés pour aller chercher davantage de fleurs dans les tertres, malgré la pluie. Eowyn voulut l’aider, mais Alcara ignorait si les Simbelmynë étaient dangereux pour les femmes enceintes : elle ne prit donc pas ce risque, et lui demanda de l’aider à l’organisation.

Dans le palais, en plus de l’agitation des soldats, s’ajouta celle des domestiques, qui couraient en tous sens avec de grands sacs de pommes de terre, vidés dans la hâte pour transporter les fleurs. Éomer et ses maréchaux, qui étudiaient la carte d’état-major de l’Ithilien, virent passer une file de domestiques, quelquefois aidés par les soldats, avec des sacs immenses de fleurs blanches. Interloqués, ils se regardèrent, mais replongèrent rapidement dans leurs cartes. Ils auraient bien le temps de comprendre plus tard ce qu’il se passait.

Au bout de trois jours, Alcara réunit une dizaine de fioles, et monta dans la grande salle dorée de Meduseld. Là, Éomer avait rassemblé autour de lui tous les maréchaux du Rohan qui partiraient faire la guerre avec lui. En entrant et en restant debout au centre de la pièce, elle fut un peu intimidée par cette assemblée d’hommes en tenues de guerre, assis autour de la table en demi-cercle, comme des chevaliers des anciens temps : mais elle inspira un bon coup, et déposa devant chacun d’eux la fiole précieuse. Elle aperçut sur le côté Eowyn, qui s’était assise sur un banc en bois, un peu en retrait, mais qui lui fit un grand sourire encourageant.

- Je vous en prie, Alcara, nous vous écoutons, commença simplement Éomer.

Alcara, un peu hésitante mais enthousiaste, expliqua les caractéristiques des Simbelmynë, sa découverte qu’elles ne fanaient jamais et, en poussant plus loin les recherches, qu’elles avaient le don de ressusciter les animaux morts. Les maréchaux se regardèrent entre eux, étonnés et choqués d’une telle nouvelle. Pour asseoir sa thèse, Alcara dut en passer par une démonstration peu ragoûtante, en montrant une souris morte, dans la gueule de laquelle elle versa le précieux liquide. Sous les regards ébahis, elle revint à la vie. Les maréchaux s’exclamèrent alors tous en même temps, enthousiastes, vantant cette trouvaille miraculeuse, presque plus précieuse que l’Anneau pour avoir l’armée la plus puissante du monde.

- Nous nous en servirons, mais à une condition, dit Éomer aux maréchaux d’une voix forte en rohirrique : aucun d’entre vous ne doit dévoiler notre secret avant la guerre. C’est une arme unique, il ne faut pas qu’elle tombe entre les mains de l’ennemi.

Les maréchaux se turent, et prêtèrent serment. Dans cette pièce sombre seulement éclairée par quelques bougies, la voix forte et autoritaire d’Éomer, en armure et avec sa couronne d’or, était impressionnante, et nul n’avait envie de lui désobéir. Alcara, malgré elle, remarqua à nouveau à quel point il paraissait grand, puissant et comme la couronne d’or le rendait plus beau encore.

- Expliquez-nous comment l’utiliser, l’invita Éomer.

- La fiole contient environ une trentaine de fleurs, indiqua Alcara : elles ont été réduites en poudre, et diluées dans de l’eau claire. Il faut donc secouer la fiole avant de l’utiliser, mais avec parcimonie : quelques gouttes avalées suffisent.

- Merci, Alcara, allait continuer Éomer avant de passer à un autre sujet, mais elle le coupa :

- Si je peux me permettre d’ajouter : j’ai fait une autre découverte aujourd’hui.

L’assemblée, silencieuse, attendit la suite. Éomer fronça les sourcils et Eowyn s’inquiéta elle aussi de ce qu’allait dire Alcara.

- La potion ne fonctionne que si l’animal, ou la personne, est décédée depuis très peu de temps, entre vingt minutes et une heure. Si on doit attendre plus, il est trop tard.

Un long silence suivit ses paroles.

- Cela veut dire, demanda un des maréchaux les plus âgés, que si un soldat meurt sur le champ de bataille, et n’est ramené que plus tard au campement, on ne pourra pas le sauver.

- Exactement, confirma Alcara, nous avons peu de temps. Et…la fiole ne guérit que les blessures et les accidents. Elle ne fonctionne ni pour les maladies, ni pour la vieillesse.

Les maréchaux se regardèrent et restèrent silencieux. C’était un remède miracle, mais qui avait ses limites.

- Nous sommes tout de même en face d’un élixir qui peut garantir la victoire, si chaque soldat en porte un sur soi, ajouta Éomer pour appuyer son propos et défendre la découverte. Ils ont peu de chances de mourir de maladie et de vieillesse sur un champ de bataille !

L’assemblée rit de sa boutade, et approuva. Alcara fut chaudement félicitée :

- Dame Alcara, nous étions fiers de cette fleur qu’on ne trouve qu’au Rohan, mais vous lui avez ajouté un prestige inégalé par vos découvertes. L’Ouestfolde vous en est très reconnaissant, lui dit même un vieux maréchal.

Ils se levèrent pour discuter encore un peu et la féliciter un par un.

Après la réunion, Alcara prit congé et repartit. Mais Éomer prévint les maréchaux qu’il s’absentait un court instant, et la suivit.

- Alcara, puis-je vous parler ?

Elle se retourna avec réticence vers lui.

- Je…je vous remercie. Vous avez réalisé un exploit. Tout le Rohan vous doit beaucoup.

- Je vous en prie, répondit-elle tranquillement. C’était notre accord.

- Oui, approuva Éomer, bien que ce terme d’accord le heurta profondément. Merci pour cela. J’espère vous avoir prouvé que je vous faisais confiance, à présent. J’ai eu tort de me méfier de vous.

Alcara resta silencieuse et interrogative.

- Nous partons demain matin pour la guerre. Je vous remercie de rester avec Eowyn, je sais que vous prendrez soin d’elle, et de son enfant. Dans quelques mois, nous devrions revenir, j’espère que nous serons là à temps pour assister à sa naissance.

Il s’approcha d’elle, et ajouta :

- En mon absence, il n’y a plus qu’Eowyn qui puisse rester responsable de la Maison royale. Mais dans son état, j’aimerais…j’aimerais que vous preniez cette responsabilité.

Les yeux d'Alcara s’agrandirent:

- Vous souhaitez que moi, je prenne le commandement d’Edoras ?

- Avec l’aide d’Eowyn, bien sûr, ajouta Éomer, mais en effet, si vous le voulez bien, j’aimerais vous confier Edoras et le palais de Meduseld en mon absence.

Alcara ne sut quoi dire, hormis :

- Pourquoi me faites-vous autant confiance, soudainement ?

Éomer hésitait : soudain, il parut moins grand et plus jeune, comme un adolescent qui cherche à se construire.

- Je pense que j’ai réfléchi. Et que vous m’avez convaincu.

- Je ne pensais pas pouvoir convaincre un être aussi têtu qu’un descendant d’Eorl, ironisa-t-elle.

- Les miracles existent, répondit-il en souriant.

Alcara ne put s’empêcher de sentir son cœur battre plus vite en voyant son si beau sourire, qu’elle n’avait pas vu depuis longtemps. Et qu’elle ne reverrait pas avant bien longtemps… Il l’avait vraiment très mal traitée, et pourtant, elle sentait bien qu’elle l’aimait toujours.

- Si vous me confiez Edoras, je tâcherai d’être à la hauteur, je vous le promets.

- Je vous en suis très reconnaissant, et…

Un des vieux maréchaux appela Éomer pour qu’il revienne à la réunion. Il dut donc repartir, mais avant cela, il eut le temps de lui glisser :

- Si c’était possible, j’aimerais que vous restiez à Edoras après la guerre.

Et il repartit.

Des milliers de pétales de fleurs blanches semblèrent s’envoler et papillonner dans le cœur d'Alcara.

Musique à écouter : Wicked Game, Daisy Gray

Le lendemain matin, avant l’aube, elle se réveilla d’un seul coup, et s’habilla rapidement.

Elle vint se tenir devant la porte de Meduseld pour se préparer à saluer Éomer et ses troupes, avant le grand départ, encore un pour la guerre, encore un pour sûrement plusieurs semaines, voire plusieurs mois.

Et encore l’absence d’Éomer qui, loin d’elle, pourrait très bien changer, une nouvelle fois, et retrouver ses méfiances.

Les Rohirrim se rassemblaient, préparaient les chevaux, vérifiaient les armes et les vivres une dernière fois, disaient au revoir à leurs proches.

Eowyn, à côté d’elle, était assise sur un fauteuil à l’abri sous le porche de la porte, couverte d’une grande couverture de laine malgré la douceur du matin, encore somnolente.

Et soudain, Alcara entendit le cor du ralliement sonner. Ils allaient sortir du palais, et partir pour de bon.

Alors, elle prit une résolution, se retourna et courut dans le palais le plus vite possible, surprenant Eowyn qui la regarda repartir à l’intérieur.

En courant, Alcara eut une seule certitude, après avoir tergiversé pendant toute la nuit, trouvant difficilement le sommeil :

Éomer partait pour longtemps, et elle n’aurait plus d’occasion de le revoir et de lui parler.

Elle avait perdu trop de temps, et elle devait lui faire comprendre, coûte que coûte, ses sentiments.

Enfin, elle lui pardonnait tout, tant pis pour son attitude cruelle, pour ses réticences, pour ses peurs. Ce n’était rien, si la mort devait le faucher sur un champ de bataille. Elle devait lui dire la vérité avant qu’il ne soit trop tard, avant de regretter toute sa vie de ne le lui avoir jamais dit.

Par la fenêtre, elle vit les soldats se réunir sous les bannières. Les cheveux dénoués par sa course, elle fila dans les couloirs, dévala les escaliers à sa recherche. Elle n’était jamais allée dans ses appartements, et elle s’en voulut de ne pas avoir pensé plus tôt à vérifier leur emplacement précis.

Et soudain, du haut d’un petit escalier en pierre, elle le vit.

Il était en contrebas des marches, sous un arche de pierre, déjà armé. Il portait son épée, son armure, il ne lui manquait plus que son heaume, ses gants et son bouclier. Il était debout dans l’embrasure du passage, et la regardait avec les yeux rougis.

Alcara ne sut quoi dire : essoufflée, les joues en feu, elle descendit une marche, en le fixant au fond de ses grands yeux verts. Son cœur battait très vite.

- Je pars, dit-il simplement d’une voix étranglée. Je pars, et je ne vous ai pas dit la plus infime partie de ce que je voulais vous dire.

Alcara resta silencieuse, toujours essoufflée, suspendue à ses paroles, s’appuyant d’une main contre le mur de pierre.

- J’aurais voulu vous dire tout cela…auparavant, quand je suis parti d’Ithilien et que vous êtes restée, mais je n’ai pas…

Il soupira et baissa la tête, comme s’il devait faire un saut immense, dans le vide. Et il continua en prenant une grande inspiration et en la regardant au fond des yeux :

- Je sais que c’est impossible Alcara, que vous avez tous les signes pour lesquels je me suis toujours méfié : votre enfance chez les elfes, vos dons étranges pour des sortilèges… Je sais que je ne sais toujours rien de vous, et que vous ne le savez même pas vous-même. Que je suis maintenant roi et que j’ai mille fois plus de devoirs aujourd’hui, alors que je n’ai jamais voulu l’être. Je sais aussi que depuis que je vous ai vue pour la première fois, pendant la guerre, quand vous avez enlevé votre capuchon, sur votre cheval, dans la lande de l’Ouestfolde, et quand je vous ai revue à Minas Tirith, le soir du couronnement d’Aragorn, mon destin était scellé.

Elle descendit une nouvelle marche, n’osant plus faire un geste, n’osant pas dire un mot.

- Je sais tout cela, et je ne dors plus.

Alors, Alcara se souvint de ce qu’il lui avait dit cette nuit-là, dans les cuisines, un jour avant la danse : « Cela fait plusieurs semaines que j’ai du mal à trouver le sommeil », et ses yeux s’agrandirent.

- Je ne dors plus, et je fais tout pour ne pas être dans la même pièce que vous, pour ne pas entendre votre voix, voir vos yeux, vos cheveux, vos gestes, votre sourire…sinon je deviendrais fou.

Alcara avait le cœur qui battait si fort qu’elle crut qu’il allait exploser dans sa poitrine. Elle descendit une nouvelle marche : il n’en restait plus qu’une qui le séparait d’Éomer, elle se trouvait donc à peu près à la même hauteur que lui, plongée dans ses yeux verts et embués.

- Quand je m’approche de vous, je dois me maîtriser et me retenir de faire un pas de plus, je dois sans cesse me freiner, mais… je suis comme au galop, je ne peux pas m’en empêcher. J’ai tout le temps envie de vous voir ou de vous savoir près de moi. Je n’y peux rien, et je peux plus y résister. J’y ai mis toute mon énergie. Et à présent que je pars, que tout peut arriver, que je pourrais ne plus revenir, je…j’en ai assez de faire semblant.

Alcara sentit son souffle se couper.

- Vous avez mon cœur, Alcara, dit-il enfin d’une voix étranglée, dans un souffle. Vous l’avez depuis le premier jour.

Alcara ne réfléchit plus, n’hésita plus. En un seul geste, elle sauta la dernière marche et prit son visage dans ses mains pour l’embrasser.

Éomer la prit dans ses bras puissants, renforcés par sa grande armure dorée. Il la serra aussi fort qu’il le pouvait, comme si elle était un oiseau qui aurait pu s’envoler. Alcara n’avait jamais connu un baiser aussi passionné de sa vie : il lia tout de suite sa langue à la sienne, et lui caressa les cheveux, la taille, les hanches, les mains. Il semblait vouloir tout retenir de son corps avant de partir, sans retenue, sans fausse pudeur, comme s’il en avait eu le besoin vital depuis longtemps.

Alcara, elle aussi, voulut faire durer ce baiser le plus longtemps possible, et garder en mémoire la douceur de ses cheveux blonds, de sa barbe contre son visage et sous ses doigts, son odeur de santal. Elle voulait graver en elle ce moment où elle pouvait enfin, enfin, l’entendre avouer tout ce qu’elle espérait, tout ce qu’elle avait pressenti mais qu’il se cachait encore à lui-même.

Ils n’arrivaient pas à se détacher l’un de l’autre : mais le cor du ralliement continuait de sonner. Ils séparèrent leurs lèvres, qui se rejoignirent sans cesse pour des baisers plus rapides, puis de nouveau plus forts.

- Revenez, Éomer, je vous en supplie, lui dit Alcara en reprenant son souffle. Revenez vite.

Toujours lovée dans le creux de ses bras, elle lui rendit la petite rose de tournoi, avec son attache dorée, qu’elle avait ramassée et conservée. Elle y avait ajouté d’autres fleurs de Simbelmynë, des fleurs de mémoire, qui voulaient dire : “Ne m’oublie pas.”

- Si je le pouvais, je ne partirais pas aujourd’hui, lui répondit Éomer, alors que leurs fronts se touchaient et que leurs regards plongeaient l’un dans l’autre. Je vous aime, Alcara, je reviendrai aussi vite que possible. Vous êtes la Dagilin qui me donnera du courage, ajouta-t-il en souriant, reprenant son surnom de “Petite Aube” en rohirrique.

- Je vous aime tant, Éomer : la Dagilin vous suivra jusqu’au bout du monde.

Et ils s’embrassèrent à nouveau avec fougue : jamais Legolas ne l’avait serrée aussi fort contre lui, avec autant de passion, et le cœur d'Alcara s’embrasa. Elle se sentit revivre d’un seul coup, revigorée, comme si elle avait pris la potion de Simbelmynë.

Éomer, lui aussi, n’avait pas paru aussi vivant, aussi heureux depuis longtemps : une nouvelle énergie semblait renaître en lui. Quand ils durent se défaire l’un de l’autre, il attacha la rose et les petites fleurs blanches sur son armure, et partit vers l’entrée de Meduseld, lui embrassant la main et la tenant le plus longtemps possible.

Alcara courut éperdument jusqu’en haut du palais, sur les remparts de la tour de guet, où elle pourrait le voir partir jusqu’à l’horizon. Elle le vit étreindre Eowyn, qui venait de lui dire au revoir. Et il leva les yeux pour l’apercevoir en haut de la tour, qui le regardait, alors que le vent faisait danser sa robe et ses cheveux défaits. Éomer lança la marche avec une vigueur nouvelle, galvanisant ses troupes, leur lançant dans un cri rohirrique : “En avant, Eorlingas!”

Cela faisait bien longtemps qu’en Terre du Milieu, on n’avait pas vu d’armée aussi joyeuse et redoutable.

FIN DE LA PARTIE II

A SUIVRE, LA PARTIE III

 

Chapter 28: Partie III : Passions et Prophéties - Tu Me Manques

Chapter Text

Partie III : Passions et Prophéties

Tu Me Manques

Musique à écouter sur ce chapitre:

Cette musique est si puissante! Elle donne l'impression de galoper tel un Rohirrim à travers les immenses paysages de la Terre du Milieu! 

Un Rohirrim, entièrement armé, descendit de son cheval, et attendit devant l'entrée de la tente royale. Il eut le temps d'apercevoir le roi sceller une lettre avec un anneau d'or et de la cire, se lever de sa table d'appoint et lui tendre plusieurs courriers. Le messager, en s'inclinant devant lui, prit les missives, enfourcha son cheval prestement et disparut au galop dans la vallée, vers le Nord, traversant les plaines et les côtes, les forêts et les prés.

La guerre dura en effet pendant plusieurs interminables mois. Heureusement, les messagers pouvaient passer librement entre Minas Tirith et Edoras. Arwen leur envoya des nouvelles régulières du front : tout d'abord les haltes et les arrivées dans le Gondor, puis les assauts qui commencèrent dans le Sud, sur les contreforts des montagnes du Mordor. Comme prévu, l'ennemi tint ses positions, et un long siège commença à la frontière du Sud autour de la grande garnison adverse.

Mais on sentait les ennemis fébriles : déjà se répandait dans les royaumes l'incroyable réputation des Rohirrim. Le gouffre de Helm et le Pelennor les avaient déjà rendus célèbres, mais la guerre d'Ithilien les rendit légendaires. Ils avaient une énergie et une force immenses, et on racontait qu'aucun de leurs soldats ne pouvait mourir.

Leur chef, le roi Éomer, était celui qui réunissait le plus de louanges : on le disait infatigable, téméraire, capable de mener ses troupes jusqu'aux enfers s'il le fallait. Arwen ajoutait avec malice, dans ses lettres, les confidences d'Aragorn, selon qui Éomer était toujours de bonne humeur malgré la fin de l'été et l'automne qui arrivait, et les conditions rudes de la guerre. Il semblait si confiant qu'il convainquit tous les alliés, et fit peur aux ennemis qui ne savaient comment le lasser. On le voyait portant toujours, sur son armure, un petit bouquet de fleurs blanches qui ne fanaient jamais.

Ces nouvelles enchantaient Alcara, qui n'avait qu'une hâte : qu'il revienne le plus vite possible. L'élixir de Simbelmynë semblait marcher incroyablement bien, et bientôt les alliés du Gondor voudraient eux aussi en bénéficier.

Par contre, à Edoras, les nouvelles étaient bien moins trépidantes : Alcara découvrit, sans aucun entrain, la cour de justice de Meduseld, où se réglaient tous les différends entre les voisins, les paysans, les seigneurs trop vieux pour combattre. Eowyn y siégeait en l'absence de son frère, et son état le lui permettait aisément. Alcara devait écouter au cas où elle devrait la remplacer, mais cela était d'un ennui mortel. Elle en profita pour réfléchir à un moyen d'écrire à Éomer, ou de lui envoyer un signe de son soutien et de son amour.

Elle n'avait pas dit à Eowyn ce qui était arrivé le matin du départ, pourtant cette dernière remarqua qu'elle était de meilleure humeur et avait retrouvé l'appétit et le sommeil. Alcara pensa qu'elle interpréterait cela autrement : qu'en l'absence d'Éomer, elle se sentait soulagée et que l'élixir était une réussite, en attendant de partir en Ithilien. Mais Alcara ignorait qu'Eowyn, qui connaissait bien les signes, avait compris que quelque chose les avait réconciliés.

Le reste du temps, Alcara remit en route la Maison de Guérison : la jeune Lafindal pouvait traduire ses explications aux autres femmes, qui s'appliquèrent encore davantage que d'habitude. La rumeur s'était déjà répandue des effets miraculeux de l'élixir, et de savoir que celle qui l'avait découvert allait leur enseigner comment guérir, les motiva encore davantage.

Malheureusement, l'attente de la fin de la guerre n'était pas de tout repos pour Alcara et Eowyn.

Un jour qu'elles suivaient une des assemblées de la cour de justice, Eowyn eut soudain un malaise. Alcara se leva d'un seul coup pour aller la voir, alors que ses voisins l'avaient aidée à s'allonger au sol. On l'amena rapidement dans sa chambre : en plus des nausées matinales, elle eut de terribles douleurs au ventre, et Alcara eut de nouveau peur d'une fausse couche.

Alcara appliqua tout de suite ses connaissances : elle la força à se reposer, à avaler un remède pour la soulager, et la remplaça pour toutes les menues tâches du palais. L'état d'Eowyn n'empira pas, mais ne s'améliora pas non plus. Et sa grossesse étant encore récente, elle ne pourrait pas accoucher avant un ou deux mois au minimum, ne serait-ce que d'un prématuré.

Alcara se refusait à l'idée qu'Eowyn, dont l'enfant suscitait tant de joie et d'espoir pour les Rohirrim comme pour les sujets de Faramir, arrive malade ou pire, mort-né, surtout après la fausse-couche qu'elle avait subie quelques mois plus tôt.

Elle plaça Erindal et Lafindal à son chevet jour et nuit, surveilla si elle avait de la fièvre ou des douleurs nouvelles, l'empêcha de sortir du lit pendant des jours, puis de sa chambre. Elle lui parla de plein d'autres sujets, lui fit des lectures, finit même par lui raconter son baiser avec Éomer pour lui changer les idées.

Cette dernière nouvelle eut un très bon effet sur sa santé, et pendant quelques jours, elle alla beaucoup mieux.

Au-dehors, l'automne était pluvieux, même si Alcara pouvait admirer les couleurs flamboyantes des arbres rouges et des landes de toutes les couleurs. Mais cela fut de courte durée, car la neige commença à tomber très tôt pour la saison, dès le mois de novembre, même si le Rohan était connu pour ses longs hivers. Et l'on vit alors, au milieu de la plaine blanche, un cavalier monter vers Edoras.

Éomer envoyait un messager.

Alcara, qui était sortie s'entraîner au tir à l'arc dans le jardin enneigé du palais, regardant en contrebas les immenses plaines du Rohan, l'accueillit avec empressement, et ce dernier lui tendit un grand paquet.

Elle y découvrit des lettres d'Arwen et surtout, des lettres d'Éomer et de Faramir.

Elle se précipita au chevet d'Eowyn pour les lui lire. Cela faisait cinq mois que la guerre avait commencé, elles étaient impatientes d'avoir davantage de nouvelles : Faramir, d'abord, racontait des détails inédits de leurs batailles, et des exploits incroyables. Comme deux frères, lui et Éomer combattaient toujours ensemble, se complétant dans les attaques. Faramir était plus agile et se faufilait rapidement, et Éomer était plus puissant dans ses coups.

Faramir était loquace dans l'expression de ses sentiments pour Eowyn, et Alcara un peu gênée, lui proposa de les lire seule. Eowyn, les joues un peu roses, garda la lettre pour plus tard... Elles ouvrirent alors le courrier d'Arwen, qui racontait plus globalement l'avancée du siège. La fin semblait proche, encore un ou deux assauts, et cela semblait gagné. Ils avaient apparemment opté pour une nouvelle technique, qu'Arwen proposait de ne pas dévoiler dans un simple courrier, même privé, par prudence. Enfin, l'épouse d'Aragorn s'inquiétait de l'état de santé d'Eowyn, et leur conseillait d'en avertir Faramir rapidement. Avec la guerre, Eowyn ne voulait pas l'inquiéter, mais il valait mieux qu'il le sache pour lui éviter tout choc. Enfin, Arwen évoquait son cadeau de mariage à Eowyn, pouvant en cette occasion lui être utile.

Alors Eowyn s'exclama, et demanda à Alcara de lui apporter rapidement le petit coffret en argent qu'Arwen lui avait offert et qu'elle avait emporté dans ses nombreux bagages. Alcara se dépêcha d'aller le chercher dans une commode et de le lui donner : en l'ouvrant, Eowyn sortit un collier qui semblait en cristal. Il ressemblait un peu au pendentif que portait Aragorn autour du cou, mais plus chargé et ciselé, comme une multitude de petites gouttes de pluie scintillantes. Alcara l'accrocha au cou fin et pâle d'Eowyn : et alors, il sembla luire davantage. Eowyn se détendit tout à coup, comme après une potion réconfortante. Alcara sourit de soulagement : Arwen avait encore des pouvoirs de prescience et d'empathie incroyables.

Alcara profita de ce répit pour ouvrir le dernier pli : la lettre d'Éomer. Elle en parcourut le début : son point de vue sur les batailles, des nouvelles de Faramir mais aussi de Gandalf, d'Aragorn, de Legolas et de Gimli. Mais assez rapidement, Éomer dériva sur un autre sujet, et les joues d'Alcara devinrent cramoisies.

Eowyn rouvrit les yeux et vit le visage rougi d'Alcara :

- C'est une lettre d'Éomer ? demanda-t-elle avec un petit sourire.

Alcara eut du mal à détacher ses yeux de la lettre, et la regarda en hochant simplement la tête.

- Je pense que nous pouvons chacune lire nos lettres de notre côté, et nous revoir plus tard ? ajouta Eowyn du même air malicieux.

Alcara hocha la tête à nouveau, remit rapidement les coussins d'Eowyn en place, lui souhaita une bonne nuit, et rejoignit rapidement sa propre chambre.

Un bon feu flambait dans l'âtre, alors qu'au-dehors, la neige commençait à tomber plus dru. Alcara s'allongea sur son lit, et lut la lettre de bout en bout, plusieurs fois. Elle eut ensuite du mal à dormir : Éomer ne parlait que de leur premier baiser, il disait y penser à chaque minute, et imaginer ce qu'ils auraient pu faire ensuite...il n'avait qu'une hâte, rentrer au plus vite à Edoras, congédier tout le monde et l'avoir pour lui tout seul. Il détaillait son envie de découvrir son corps, sa peau, ses réactions à ses caresses, de plonger son regard dans le sien au moment où ils partageraient le plus grand des plaisirs. Qu'il la désirait à chaque instant, et que ce désir le faisait se réveiller chaque matin et terrasser l'ennemi chaque jour avec une nouvelle vigueur. Que l'idée de la retrouver lui donnait le sentiment d'être invincible, et que les fleurs de Simbelmynë accrochées à son cœur lui rappelaient la blancheur de sa peau, qu'il voulait caresser et toucher au plus vite, en lui précisant les parties les plus intimes, ce qui fit frissonner Alcara dont l'imagination galopait. À la fin de la lettre, il lui demandait pardon d'avoir été si franc, mais qu'il ne pouvait plus faire autrement que de lui dire la vérité à présent, ayant le sentiment de lui avoir menti pendant trop longtemps, en se mentant à lui-même.

Alcara n'arrivait pas à se lasser de lire cette lettre, elle n'avait jamais reçu d'expression aussi belle, aussi puissante d'amour. Les pudeurs elfiques de Legolas lui parurent bien loin, et bien fades face à autant de passion. Elle se dépêcha de trouver une plume pour lui répondre.

Dans la nuit et la neige, pourtant, d'autres menaces attendaient la jeune femme avant qu'Éomer et elle ne puissent se réunir.

 

Chapter 29: Glace Et Sang

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Glace Et Sang

Musique à écouter sur ce chapitre : 

A la fin du mois de novembre, la neige fondit légèrement autour d’Edoras après les premières chutes de neige, permettant de dégager les routes et pour Alcara, d’aller aux tertres pour vérifier si, comme elle l’avait pressenti, les Simbelmynë continuaient de pousser sous la neige.

Au moment de sortir du palais avec Lafindal, elle fut pourtant arrêtée par le messager, qui s’apprêtait à repartir avec les réponses d'Alcara et d’Eowyn :

- Dame Alcara, lui dit-il, si je puis me permettre, je vous conseille de sortir d’Edoras avec une garde.

- Pourquoi cela ? s’étonna Alcara.

- Eh bien…hésita le messager, il faut que je vous prévienne. Avec la guerre, nous avons entendu dire que des ennemis auraient réussi à remonter vers le Nord par la mer. Ce n’est pas certain, mais un groupe aurait très bien pu profiter du rassemblement des armées dans le Sud, pour les contourner et en profiter pour attaquer Edoras. Et en chemin, j’ai eu des pressentiments que je n’étais pas seul. Ce n’est qu’une intuition…

- Mais elle est bonne à prendre, l’encouragea Alcara. Comme toutes les intuitions. Je vous remercie de m’avoir prévenue. Attendez-nous ici, je vais chercher des armes et des gardes, pour surveiller l’entrée du palais. Nous ferons le début du chemin ensemble.

Alcara, le messager et deux gardes repartirent ensuite en bas d’Edoras à cheval. Alcara avait emporté son arc et son carquois, et la petite épée qui l’accompagnait souvent. Falindal n’était pas rassurée, mais elle savait que la guérisseuse était bonne au combat. La jeune fille resta avec Eowyn, à la demande d'Alcara.

La luminosité en cette saison neigeuse n’était pas bonne : Alcara décida donc de ne pas s’attarder dans la nécropole. Elle avait un mauvais pressentiment, même si aucun indice ne laissait présager quoi que ce soit de menaçant. Les deux gardes observaient les alentours, alors qu’elle découvrait des Simbelmynë sous la neige. Elle sourit : comme elle l’avait pensé, les fleurs étaient intactes malgré le froid, elle en préleva donc quelques-unes.

Le messager, dont les tertres étaient sur sa route vers le Sud, lui dit alors :

- Je repars vers le front, ma Dame. Restez prudente, et…

Mais il n’eut pas le temps de finir sa phrase, et poussa un cri de douleur : une flèche s’était fichée dans sa cuisse.

Alcara se retourna et se cacha derrière un tertre : un groupe d’Orques leur envoyait des flèches et se dirigeait vers eux.

Il fallait agir rapidement : Alcara répondit par une pluie de flèches précises, qui atteignirent deux Orques, et les gardes sortirent leurs épées et se protégèrent des flèches avec leurs boucliers, en se rapprochant d’elle pour l’escorter rapidement vers Edoras.

Alcara se tourna vers le messager qui, à cheval, avait réussi à sortir la flèche de sa cuisse mais saignait abondamment. Elle courut vers lui :

- Avez-vous de l'élixir ? lui cria-t-elle.

Mais le messager avait si mal qu’il ne répondit pas : Alcara lui secoua le bras pour qu’il l’écoute.

- Répondez-moi ! Prenez l’élixir, vite !

Il sortit avec une main tremblante une petite fiole, et elle l’aida à l’ouvrir et à en boire quelques gouttes. Puis elle ajouta :

- Partez ! Allez prévenir Éomer et Faramir ! Allez chercher de l’aide !

Et le messager, qui allait déjà mieux, hocha la tête et lança son cheval au galop vers le Sud.

Pendant ce temps, les Orques sortirent des tertres et se lancèrent vers eux et vers le messager qui s’enfuyait. Alcara sortit son épée et se prépara à les confronter, malgré sa promesse au roi Elrond de ne jamais combattre, il y avait maintenant longtemps de cela. Elle n’avait plus le choix, à présent.

- C’est comme au tournoi, se disait-elle, pense aux tournois…

Et pour la première fois, elle contra les coups de l’ennemi, leur tourna autour et appliqua ses entraînements. Sa petite lame très affûtée était pratique pour le corps à corps et les six Orques face à eux ne résistèrent pas longtemps. Leurs cadavres firent couler du sang noir sur la neige.

En s'approchant d’eux, elle remarqua tout de même un détail étrange : une main blanche, peinte sur un des visages. La main de Saroumane, à nouveau ?

Mais elle n’eut pas le temps de s’attarder.

- Dame Alcara, regardez! cria un des Rohirrim.

Elle se retourna et poussa un cri d’effroi : ils étaient attaqués pour faire diversion. Un groupe bien plus important se précipitait vers Edoras. Déjà, ils entraient par la grande Porte, peu gardée.

- Non…non! Eowyn ! dit-elle en courant vers son cheval, comme les deux gardes. A Meduseld, vite !

Et en galopant vers Edoras le plus rapidement possible, elle n’eut qu’un cri :

- EOWYN !!

 

Le messager arriva dès le lendemain matin en Ithilien, en galopant plus vite que le vent. Son cheval, épuisé, écumait sur ses rênes, mais il fila entre les tentes du campement du Rohan, à la surprise de tous les soldats.

Sur le front, les rois et leurs guerriers revenaient à peine de la prise de la garnison ennemie ; la nuit même, ils étaient parvenus à entrer dans l’autre camp, grâce à une technique proposée par Aragorn : un tunnel, creusé en un mois sous leur citadelle. Discrètement, ils étaient entrés au beau milieu des tentes ennemies et les avaient massacrés dans leur sommeil.

La guerre était donc gagnée, et Éomer, Faramir, Aragorn et leurs amis, victorieux, revenaient joyeusement à cheval vers leurs tentes pour se préparer au départ.

Mais ils virent galoper vers eux le messager : Éomer et Faramir s’alarmèrent immédiatement, car ils le reconnurent comme étant celui qui était parti à Edoras.

Ils aperçurent aussi à l'instant la blessure qu’il avait reçue à la cuisse, dont le sang s’était répandu sur son uniforme, mais qui ne l’avait pas atteint grâce à l’élixir. Il paraissait paniqué.

Il s’arrêta pile devant eux, cabrant son cheval : à bout de souffle, il s’exclama :

- Majesté, Edoras est attaqué ! Un groupe d’Orques nous a pris en embuscade !

Éomer sentit le sang se glacer dans ses veines, et le visage de Faramir devint pâle d’un seul coup.

Aragorn, Legolas, Gandalf et Gimli se figèrent à leur tour.

- Combien sont-ils ? demanda Éomer d’une voix forte.

- Ils étaient six à nous attaquer près de la nécropole, mais beaucoup plus nombreux à nous contourner pour entrer dans la ville. Une quarantaine ou une cinquantaine!

- Alcara, Eowyn, murmura Éomer alors que son cœur s’accélérait.

Il se retourna sur son cheval et dit :

- Aragorn, s’il vous plaît, faites guider mon armée vers Edoras! Faramir, partons tout de suite!

- Bien sûr, confirma immédiatement Aragorn. Partez vite !

Et le roi du Rohan et le prince d’Ithilien lancèrent en même temps leur cheval au galop, ayant gardé leurs armures et leurs armes sur eux. Ils filèrent aussi vite que le vent vers le Nord.

Legolas hésita à les suivre, lui-même avait peur pour Alcara. Gandalf, lui aussi inquiet pour elle, le retint pourtant :

- Nulle crainte, Legolas : ce chapitre ne nous concerne pas. Nous aurons un rôle à jouer dans cette histoire, mais pas tout de suite.

Legolas, de mauvaise grâce, lui obéit néanmoins. Ils auraient vaincu ces Orques en quelques minutes, mais il savait que Gandalf voyait encore plus loin que lui dans les perspectives de l’avenir, et que ce moment appartenait aux Hommes.

Le combat à Edoras fut chaotique : heureusement, les gardes laissés sur place étaient excellents car ils appartenaient à la garde royale. Mais les Orques étaient tenaces, et la neige qui se remit à tomber n’aida pas les Rohirrim à se défendre.

Après avoir tenté de retenir la porte de la cité, les gardes avaient eu le temps de demander aux habitants de se barricader le plus vite possible, avant que le flot de l’ennemi ne s’engouffre dans les rues. Mais délaissant les victimes civiles, les Orques s’étaient dirigés directement vers le palais, filant à vive allure, n’attaquant que les gardes qui leur barraient la route.

Lorsqu’ils arrivèrent en bas d’Edoras, Alcara et les deux gardes aperçurent les premiers cadavres, et se dépéchèrent de leur administrer l’élixir. Mais il fallait aussi faire vite et remonter jusqu’au palais, avant qu’Eowyn ne soit en danger. Ils demandèrent ainsi aux survivants d’aider les autres, et repartirent au galop dans les rues de la ville.

Etrangement, les autres rues étaient calmes et les habitants avaient respecté à la lettre les ordres, mais les Orques avaient provoqué des incendies sur leur passage, dont le plus critique était celui de l’écurie, qui prenait déjà de l’importance. Alcara dut faire preuve d'autorité et demander en rohirrique à des vieux Rohirrim d’éteindre ce feu en priorité, espérant que la neige qui tombait ferait le reste.

Pourtant, en arrivant devant Meduseld, elle eut l’impression qu’ils cherchaient quelque chose de précis. Si c’était Eowyn, il faudrait qu’il lui passent sur le corps…

En haut de la cité, les Orques et les gardes s’étaient dispersés entre la porte d’entrée de Meduseld, le jardin et le balcon qui faisait le tour de la grande salle du palais. Alcara, toujours avec son cheval, grimpa les marches à vive allure et cabra sa monture pour les repousser loin de l’entrée.

- Repoussez-les ! cria-t-elle en rohirrique aux gardes, repoussez-les vers la tour de guet! Éloignez-les du palais!

Et elle sauta de son cheval pour les faire reculer de la porte.

Sous la neige qui tombait doucement, la scène était à la fois cauchemardesque et d’une poésie étrange. Alcara était si paniquée à l’idée qu’ils s’en prennent à Eowyn, fragile et enceinte, qu’elle redoubla de force et d’énergie.

Elle regarda rapidement autour du palais si elle voyait d’autres Orques, et elle en aperçut un petit groupe qui s’était faufilé sur le balcon de droite, dont la rambarde entourait la salle dorée. Elle courut après eux, et réussit à en tuer deux à l’arc. En continuant à avancer, elle en tua un autre à l’épée, mais ne vit pas un autre Orque escalader la rambarde derrière elle. Il s’avançait rapidement et s’apprêtait à l’attaquer en embuscade, lorsqu’Alcara, qui se retourna et le vit au dernier moment, l’entendit soudain pousser un cri de douleur, et s’effondrer juste devant elle, alors qu’il brandissait déjà son épée pour la tuer.

Quand il s’écroula au sol, il vit derrière elle Eowyn, qui portrait un long manteau fourré, et brandissait une grande épée teintée de sang noir.

- Eowyn ! cria Alcara. Qu’est-ce que tu fais ici !

- Je te sauve la mise ! lui répondit-elle sur le même ton, et elle embrocha un autre Orque quelques secondes plus tard qui passait lui aussi par la rambarde.

Alcara courut au bord du balcon et se baissa : en contrebas, elle vit deux autres Orques, qu’elle tua immédiatement avec deux flèches. Elle se retourna ensuite vers Eowyn, après avoir vérifié qu’aucun autre ennemi n’arrivait, et lui ordonna :

- Retourne dans le palais, cache-toi tout au fond, et surtout ne sors plus!

- Mais…

- C’est un ordre ! Ne prends pas de risque, tu portes un enfant, par les Valar !

Eowyn sembla hésiter et revenir à la raison. Et sans autre forme de procès, Alcara la poussa à l’intérieur, referma la porte et retourna à l’avant du palais, en souhaitant qu’Eowyn lui obéisse.

Sur la place devant le palais, puis de plus en plus bas sur les marches, les gardes et elle formèrent une ligne impénétrable, et elle ne cessa d’encourager les Rohirrim à repousser toujours plus loin leurs ennemis. Étant en haut des marches, ils purent en faire tomber un grand nombre dans les escaliers. Mais peu à peu, ils arrivèrent en bas de la tour de guet, et Alcara dut commencer à monter dans la tour, face à un nouvel assaut des Orques.

Au moins, la ligne devant Meduseld tenait bon, et les Orques délaissèrent le palais pour la viser elle, plus directement, en direction de la tour de guet. Ils avaient dû comprendre qu’elle donnait les ordres, étant celle qui commandait la ville à présent.

Mais les heures passaient, le froid les gagnait et la nuit commença à tomber. Alcara et quelques gardes se trouvèrent alors dans une situation difficile, reculant dans les escaliers des remparts, et montant les marches de la tour de guet pour les éloigner encore du palais. Mais leur ténacité était forte : Alcara possédait une énergie telle, que les gardes lui obéirent comme à leur roi et montrèrent une grande endurance.

Au bout de plusieurs heures, ils étaient parvenus, au sein de la tour, à éliminer tous les ennemis. Au milieu des cadavres, Alcara se rendit compte que le froid avait complètement engourdi ses mains, elle ne parvenait plus à bouger les doigts pour tenir son épée. Elle se réchauffa près d’un brasero et un des gardes lui proposa ses propres gants.

Ils se crurent tirés d’affaire, mais il n’en était rien : et dans l’aube naissante, un nouveau groupe d’Orques arriva.

Ils étaient différents, plus grands et plus cruels que les précédents, et au lieu de passer par la grande porte d’Edoras, ils eurent l’audace d’escalader la roche sur laquelle Meduseld était construit. Ils bénéficièrent ainsi de l’effet de surprise, en sautant directement dans la tour de guet, délaissant une nouvelle fois le palais, alors qu’ils auraient pu aller jusqu’à briser une fenêtre.

Alcara ordonna aux gardes de tout faire pour les empêcher de monter : pierres, débris, tout était bon à prendre pour créer des éboulis à faire tomber lourdement sur eux.

Pendant toute la matinée, ils parvinrent à les tenir à distance. La situation était fragile, ils étaient coincés en haut de la tour, l’ennemi pouvait tout à fait entrer dans le palais en les contournant, et pourtant, ils ne semblaient pas vouloir y entrer. Ils les visaient eux, précisément.

Au bout de plusieurs heures, ils furent à court de projectiles, et ressortirent les armes pour se préparer à leur assaut. Les ennemis ne tardèrent pas à se présenter : ils étaient moins nombreux, mais plus grands et plus violents encore. Certains portaient sur le visage la même empreinte de main blanche.

C’étaient des Uruk-Hai de Saroumane.

Alcara et les derniers gardes se retrouvèrent acculés tout en haut de la tour, alors que de nouveau, la neige se mit à tomber. Une dizaine d’Uruk-Hai les tint en respect : mais ils arrêtèrent soudain leurs coups. Un des Uruk-Hai, qui semblait être leur chef, s’approcha alors d’eux :

- Nous ne voulons pas vous tuer, dit-il dans un elfique approximatif, avec un fort accent du Mordor.

- Vraiment ? répondit Alcara avec hargne en elfique aussi, vous voulez simplement nous dire bonjour ? Vous nous prenez pour des perdreaux de l’année ?

- Nous sommes venus vous chercher, ma Dame, ajouta l’Uruk-Hai approximativement.

Alcara ne sut quoi répondre, tant la réponse l’étonna. Les gardes ne connaissaient pas l’elfique, et lui demandèrent ce qu’il avait dit. Mais elle ne sut pas quoi leur répondre.

En bas d’Edoras, un groupe de cavaliers venait d’arriver au même instant, Éomer et Faramir en tête, accompagnés de quelques maréchaux.

Ils eurent le temps de voir une situation inquiétante : des fumées noires montaient pas endroits de la ville, mais heureusement, aucune destruction n’était à déplorer. Ils mirent du temps à distinguer si des combats avaient encore lieu, car la lumière hivernale était mauvaise, comme un long crépuscule.

Ils se précipitèrent dans la ville, où des cadavres d’Orques jonchaient le sol. Ils grimpèrent alors jusqu’à Meduseld, où la place devant l’entrée était vide, si ce n’est d’autres cadavres d’ennemis et du sang noir sur la neige, et des gardes qui continuaient de surveiller la porte en ligne, mais aussi le jardin du palais et l’intérieur, au cas où les Orques aient voulu changer de cible. Etrangement, personne ne semblait être entré dans le palais.

En bas de la tour de guet, des gardes continuaient à se battre contre non pas des Orques, mais des Uruk-Hai redoutables, résistants, qui leur tenaient tête dans les escaliers.

Soudain, ils entendirent des exclamations en haut de la tour de guet. Ils levèrent la tête en même temps :

Alcara, acculée face à plusieurs Uruk-Hai qui tentaient de lui prendre le bras, comme pour l’enlever.

Et soudain, l’incroyable se produisit.

Alors que le temps était à la neige, une foudre immense s’abattit très précisément sur le chef des Uruk-Hai, alors qu'Alcara venait heureusement de se reculer. Par réflexe, elle lança son épée vers deux autres ennemis, et une autre foudre, qui tomba au même endroit, traversa son épée et se répandit en arc de cercle sur les Uruk-Hai restants en haut de la tour, les pulvérisant sur place.

Mais la tour de guet était en bois, et un feu démarra rapidement autour d’eux.

Éomer sauta de son cheval et grimpa les marches quatre à quatre, suivi de près par Faramir. Ils traversèrent les flammes, repoussant les Uruk-Hai dans les escaliers, mais ces derniers, terrorisés par ce qu’il venait de se passer, s'enfuirent spontanément loin d'Edoras, encore un peu poursuivis par les gardes. Éomer et Faramir arrivèrent en haut de la tour, tuant par derrière les deux derniers ennemis. Éomer prit Alcara par les épaules et la fit descendre le plus vite possible, avec les gardes restants.

Le feu prit aussi vite qu’une allumette : et la tour de guet en bois ne garda pas à s’effondrer sur elle-même. Sortis à temps, ils la virent s’écrouler, heureusement loin du palais et sans l’atteindre.

Et alors que la foudre avait été assez incroyable, de la pluie se mêla à la neige malgré les températures très basses et commença à éteindre l’incendie, qui brûlait les corps des ennemis avec les débris de la tour, dans une grande fumée noire.

Sous la neige et la pluie, Alcara se tourna vers Éomer : il enleva son heaume et l'enlaça immédiatement. Après vingt-quatre heures de combat sans aucun répit, couverte de neige et de sang noir, elle s’évanouit d’un seul coup dans ses bras. Éomer la porta dans le palais, suivi de près par Faramir, qui se précipita pour aller voir Eowyn.

 

Chapter 30: Loin Du Froid De L’Hiver

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Loin Du Froid De L’Hiver

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Avertissement : une partie de ce chapitre est réservée aux lecteurs matures et sera mentionnée par des étoiles ****

Mais d'autres parties sont significatives pour la suite de l'histoire et vous pouvez les lire sans avertissement.

Alcara ouvrit les yeux plusieurs heures plus tard. 

Elle se trouvait au milieu de son lit, recouvert de fourrures pour lui tenir chaud, et un grand feu ronflait dans la cheminée. Elle pensa en priorité à deux choses : le mal de tête qu’elle avait encore, mais aussi qu’elle n’avait plus froid, comme dans ses cauchemars où elle s’était vue les mains bleues et tremblantes, piégée dans la neige. En se tournant pour boire de l’eau qui se trouvait à la table de chevet, elle vida son verre en regardant un peu mieux autour d’elle et des détails l’intriguèrent : elle était dans un lit à baldaquin, dont les rideaux étaient ouverts, et dont le ciel de lit était sculpté finement de têtes de chevaux peints.

Clairement, elle n’était pas dans son lit.

Elle se redressa d’un seul coup et s’aperçut, en tirant un peu les draps, qu’elle portait une chemise de nuit qui n’était pas la sienne, et qu’une robe de chambre bordée de fourrure avait été déposée au niveau de ses pieds.

Elle fronça les sourcils, sentant les battements de son coeur s’accélérer, et elle se souvint alors peu à peu des événements de la veille : les Orques et les Uruk-Hai au sein de la cité, alors que Saroumane avait disparu, et une invitation à les suivre, mais pourquoi…?

Au même moment, elle se rendit compte qu’elle entendait une conversation étouffée, comme venant d’une autre pièce. Elle tira alors la robe de chambre à elle pour l’enfiler, et se leva doucement.

En tendant l’oreille, elle entendit en effet distinctement une conversation dans la pièce d’à côté, et elle reconnut la voix d’Éomer. Ce n’était donc pas un rêve, elle l’avait bien vu la veille. 

En s’approchant doucement de la porte, elle aperçut mieux l’espace de la chambre : une vaste salle toute en bois, recouverte de tapisseries, avec un plafond en caisson et des fourrures partout sur le sol ; un grand mur en pierre avec des fenêtres en ogives, aux lourds rideaux en velours ; une petite porte qui devait mener à un cabinet de toilette. Devant la cheminée, deux fauteuils étaient l’un en face de l’autre, avec une petite table ronde au milieu ; l’ensemble était accueillant et confortable, et beaucoup plus spacieux que sa propre chambre. Elle se demanda néanmoins où dans le palais pouvait-elle se trouver, et pourquoi.

En se rapprochant de la porte face au lit, à gauche de la cheminée, elle entendit mieux la conversation d’Éomer en rohirrique, dont elle comprenait à présent mieux la langue, après plusieurs mois de débats à la cour de justice de Meduseld. Il semblait s’adresser à ses conseillers et parler de la tour de guet, incendiée la veille :

- En acheminant les poutres directement, elle peut être prête en un mois, malgré l’hiver, avançait un des conseillers.

- Non, répondit Éomer fermement, on ne peut pas la reconstruire telle quelle, en bois ; il faut la renforcer à la base, avec des murs de pierre plus hauts. Et ajouter des défenses au niveau de la roche sous Meduseld.

-  Dans ce cas, nous devons attendre la fin de la tempête de neige, et le début de la fonte.

En effet, en regardant par la fenêtre, Alcara aperçut des tourbillons de neige qui s’envolaient dans les airs. Une tempête semblait en cours, obligeant tous les habitants à rester enfermés dans les bâtiments, sûrement pour quelques jours.

Elle entendit alors une autre porte s’ouvrir dans l’autre salle, et une personne entrer avec quelque chose qui résonnait entre les mains, comme un bruit de vaisselle. Elle se recula vers la cheminée, et un domestique pénétra dans la chambre, un grand plateau à la main. Il fut un peu surpris de la voir et s’immobilisa un instant, mais finit par s’incliner légèrement en silence pour la saluer, déposa le plateau sur la petite table entre les fauteuils près de la cheminée, et ressortit immédiatement en refermant la porte, sans un regard vers elle.

Alcara se mordit la lèvre par réflexe, et s’approcha à nouveau de la porte, où elle tendit l’oreille et entendit la conversation sur la tour de guet s’arrêter brusquement. Le domestique avait dû dire à Éomer à l’oreille qu'Alcara était réveillée, et son cœur bondit une nouvelle fois dans sa poitrine.

- Ce sera tout pour aujourd'hui, dit ensuite Éomer aux conseillers. J’organiserai un conseil une fois que les plans seront prêts. Merci.

Elle entendit alors plusieurs bruits de pas, puis l’autre porte qui s’ouvrait et se fermait. Alcara recula à nouveau plus loin de la porte de la chambre.

Éomer n’arriva pas tout de suite, comme s’il hésitait, ou se préparait. Elle-même ne savait pas trop quoi dire, ni quoi faire. Elle était à la fois heureuse et impatiente de le revoir, mais n’avait pas réfléchi précisément à leurs retrouvailles : leur baiser avait été provoqué par une impulsion, un désir puissant et réflexe, et il était plus facile de s’écrire des lettres enflammées que d’en parler de vive voix… Comment allaient-ils renouer ? Un peu embarrassée, le cœur battant la chamade, elle attendit.

Finalement, elle entendit Éomer traverser la pièce voisine à grands pas, puis il ouvrit grand la porte de la chambre. A ce moment, Alcara prit conscience qu’elle était en robe de chambre, les cheveux défaits, les pieds nus, et qu’il était maintenant trop tard pour essayer d’arranger sa tenue.

Éomer fit une pause, debout dans l’embrasure de la porte, puis la ferma derrière lui. A présent, ils étaient seuls.

- Bonjour, lui dit-il tout simplement, d’une voix grave mais douce, en la regardant avec ses yeux verts lumineux, et une lueur particulière brillait dans son regard.

Alcara prit le temps de l’observer. Il n’était plus en habit de combat comme la veille, et avait eu le temps de se changer et de se laver après son retour précipité. Il portait une tunique de brocart, en velours bordeaux, brodée de losanges avec du fil doré, un pantalon de même matière, et ses bottes. Il avait taillé sa barbe et arborait son habituelle coiffure, les cheveux aux épaules, retenus en demi-queue de cheval, et quelques fines tresses blondes.

Alcara ne pouvait détacher ses yeux de lui, mais elle lui demanda tout de même :

- Euh…je suis désolée mais…pourquoi…en désignant le lit derrière elle.

- Oui, c’est moi qui suis désolé, dit-il en se grattant machinalement la tête. Hier soir tout était un peu…précipité, et tu étais frigorifiée. Alors nous t’avons couchée ici, les femmes de chambre t’ont enlevé ta tenue trempée, ont ajouté des fourrures et fait un feu.

Alcara remarqua qu’il s’était mis spontanément à la tutoyer, et une sensation chaude et agréable fit bondir son cœur. Mais elle se demandait…un petit silence gêné suivit, qu’Éomer rompit en ajoutant, avec une touche d’ironie dans la voix :

- Il ne s’est rien passé, j’ai dormi dans le bureau.

Alcara hocha la tête, mais rougit très fortement à cette remarque en se mordant les lèvres à nouveau.

Elle inspira d’un coup, et lui dit spontanément, sentant une sorte de panique honteuse l’envahir :

- Je…je ne devrais pas être ici.

Elle avait soudain l’image d’Erindal, la vieille femme responsable du protocole, à l’esprit. Des domestiques savaient qu’elle était ici, si la rumeur se répandait qu’elle avait dormi dans le lit du roi, et lui juste à côté…

- Je comprends, répondit simplement Éomer, de sa même voix douce. Je ne veux pas t’embarrasser. Tu es bien sûr libre de partir, quand tu le veux.

Pour appuyer sa déclaration, il s’éloigna de la porte fermée, comme pour laisser le passage à Alcara, si elle le voulait. Elle se tenait appuyée contre un des piliers du lit à baldaquin, et Éomer près de la tapisserie, contre le mur, près de la porte. Mais elle ne fit pas un geste pour partir. Elle regarda la porte, semblant réfléchir intensément, la respiration rapide, la gorge sèche. Une autre image s’était emparée d’elle, une image qui la suivait depuis de longs mois : celle de leur duel à l’épée, dans l’écurie, et de ce nœud dans les entrailles, de cette faim bestiale qu’elle avait ressentie pour Éomer. Une faim avide, qui se ralluma en elle dans l’instant.

Elle regarda Éomer, qui ne l’avait pas quittée des yeux, comme inquiet de sa réaction, et elle s’approcha de lui au lieu de s’approcher de la porte. Étonnée par sa propre audace, elle se tint juste devant lui et lui dit, au fond des yeux :

- Je ne devrais pas être ici, mais… je n’ai pas envie de partir.

Et en s’entendant elle-même, elle sentit ses joues rougir fortement, fatalement, et elle se dit qu’elle ne pourrait jamais trouver aucun baume pour guérir cela, car tel était le reflet de son combat intérieur entre sa timidité et son désir profond.

Éomer sourit et, en s’approchant un peu plus d’elle, se pencha pour la regarder : il était plus grand et plus musclé que dans son souvenir, et avait toujours la même odeur de santal. Ses yeux verts étaient hypnotisants.

- J’adore te voir rougir, lui dit-il simplement de sa voix, plus grave encore que d’habitude, à peine murmurée.

Évidemment, Alcara n’en rougit que plus fortement, mais elle n’eut pas l’occasion de s’en rendre compte. Éomer l’embrassa directement, fougueusement, mêlant sa langue à la sienne, l’enlaçant par la taille, caressant ses cheveux et son dos. Alcara laissa échapper un soupir de plaisir et entoura son cou de ses bras, lui rendant avec la même passion son baiser profond, le serrant aussi fort que possible contre elle. Et le désir ardent, animal qu’elle avait pour lui, grandit alors en elle.

Éomer, la tenant toujours dans ses bras, se retourna avec elle et la plaqua brutalement contre la tapisserie. Il prit ses mains encore jointes autour de son cou, mêla ses doigts aux siens et lui leva les bras au-dessus de sa tête, contre le mur, en continuant de l’embrasser. Leurs corps étaient collés l’un à l’autre, leurs lèvres scellées. Alcara, en sentant le torse musclé d’Éomer contre le sien, ses jambes contre les siennes, acculée au mur et prisonnière de ses bras, ne put s’empêcher d’émettre un gémissement de plaisir. Éomer, en l’entendant, serra plus fort ses mains dans les siennes, et lui embrassa la joue et le creux du cou avec la même fougue.

Alors qu'Alcara se sentait fondre sur elle-même, il enleva ses mains des siennes, s’éloigna légèrement et lui dit :

- Tu as faim ?

Alcara rouvrit les yeux, étonnée : Éomer la regardait avec un sourire satisfait, alors qu’elle était décoiffée, les mains encore au-dessus de sa tête. Elle réajusta sa robe de chambre en souriant, et lui répondit : “Je pensais que tu avais faim d’autre chose.”

Éomer rit et l’embrassa une nouvelle fois rapidement, avant de se diriger vers la petite table où le plateau de nourriture les attendait. Deux couverts étaient mis et tous les plats pouvaient se partager à deux, comme le poisson fumé, les boulettes de volaille et même un potage fumant, protégé par une cloche.

Éomer l’invita à s’asseoir en face de lui, en lui répondant :

- Tu dois prendre des forces, tu as bataillé comme une guerrière pendant une journée et une nuit entières !

Alcara s’assit à sa suite et commença à picorer quelques fruits, avant qu’Éomer ne lui tende avec insistance du pain et du poisson, et ne lui serve un verre de vin. Finalement, elle se rendit compte qu’elle avait faim en effet, et partagea le repas.

- Est-ce que tu sais si Eowyn… commença Alcara.

- Elle va bien, lui répondit Éomer. Elle se repose, Faramir est avec elle. J’ai compris que tu lui avais ordonnée de rester au palais, ce qu’elle a fait, et nous l’avons retrouvée toute armée dans sa chambre avec deux servantes. Nous lui avons raconté la suite, avant de l’enjoindre à dormir. J’ai dû ensuite convaincre Faramir ce matin d’enlever son armure et d’aller se reposer lui aussi, elle aura besoin de lui dans les temps à venir.

Alcara hocha la tête en silence, en mangeant, avant d’ajouter :

- Comment as-tu fait pour arriver si vite, hier ?

- Nous venions de gagner la guerre, et nous allions rejoindre notre campement, lorsque le messager est arrivé, répondit Éomer. Moi et Faramir sommes partis immédiatement. Les troupes reviendront plus tard, quand la neige se sera calmée. J’ai écrit à Gandalf et à Aragorn pour leur raconter ce qu’il s’est passé, mais ils n’auront le courrier qu’après la tempête, dans quelques jours.

Après quelques instants, il ajouta avec plus de gravité :

- Je te remercie. Grâce à toi, Edoras n’a pas été prise. Je ne comprends pas pourquoi ils sont venus jusqu’ici.

Alcara but son verre de vin sans répondre.

- Mais cela veut dire que nous devons renforcer nos défenses, et nos gardes, pour leur passer l’envie de revenir. Il faut pouvoir assurer la sécurité de l’héritier à venir d’Eowyn et de Faramir.

Après une bouchée, il ajouta avec un sourire en coin :

- Même si manifestement, ce n’est pas la technique la plus efficace.

Alcara répondit à son sourire ironique, en regardant au fond de son verre :

- Encore une tactique surnaturelle dont j’ai le secret.

- En effet, je n’avais encore jamais vu la foudre frapper sous la neige, et deux fois au même endroit, confirma Éomer.

Alcara, embarrassée, posa son verre et prit une bouchée à son tour, silencieusement. Finalement, elle lui dit :

- Écoute, Éomer, je dois te raconter quelque chose.

Il croisa les mains et se pencha dans sa direction, toute ouïe.

- Je dois te dire pourquoi j’étais partie de Fondcombe pour me diriger vers Minas Tirith, pendant la guerre de l’Anneau.

Et en quelques instants, elle lui raconta l’attaque de Fondcombe, les Orques qui l’avaient réclamée, l’incroyable vague qui avait submergé les ennemis, enfin les elfes blessés par sa faute et la menace d’attirer Saroumane et l'œil de Sauron sur eux. Elle lui montra même la cicatrice laissée par la flèche des Orques sur son oreille.

- C’est pour cela que je me suis tournée vers la guérison et vers les remèdes, conclut Alcara, sous le regard concentré d’Éomer. Je voulais tenir ma promesse envers le roi Elrond : guérir, mais ne pas combattre. Quand je me retrouve dans une situation dangereuse, tout peut arriver.

Éomer hocha la tête silencieusement, montrant ainsi qu’il comprenait. La prise d’Edoras n’avait pas laissé le choix à Alcara, qui avait combattu sans hésiter. Mais ils avaient pris le risque de flamber et de s’écrouler avec la tour de guet.

- Je comprends mieux d’où venait la mystérieuse inconnue en habits elfiques, à présent, répondit-il avec légèreté, comme pour la rassurer un peu. Je suis heureux que tu me l’aies confié.

Après un court silence, il ajouta :

- Peut-être…devrais-tu apprendre à mieux connaître et à maîtriser les phénomènes que tu provoques.

Alcara releva la tête et le regarda en haussant les sourcils.

- Oui, je sais, répondit Éomer en souriant. J’ai plutôt donné l’impression de ne pas être très…ouvert sur la question, dernièrement. Mais je suis aussi pragmatique : si cela arrive si souvent, c’est qu’il y a une bonne raison, et les ennemis contre lesquels se battre ne manquent pas, malheureusement. Tu ne peux pas continuer indéfiniment à mettre le sujet sous le tapis, ou à te cacher dès qu’il y a un problème : cela arrangeait tout le monde pendant la guerre de l’Anneau, mais à présent il faut que tu puisses avancer. Je pourrais inviter de nouveau Gandalf à Edoras, pour que tu puisses lui parler.

Alcara hocha la tête : en effet, Gandalf était réticent à lui parler, mais elle ne pouvait pas mener toute sa vie dans l’incertitude.

- Tu as raison, approuva-t-elle, je devrais en discuter avec lui. Merci beaucoup.

Le repas était terminé : Éomer but la fin de son verre, et son regard changea légèrement en observant Alcara.

- As-tu reçu ma lettre ? demanda-t-il de brûle-pourpoint.

Alcara crut avaler de travers son verre de vin. Décidément, il était capable de passer d’un sujet à l’autre avec une rapidité surprenante. Evidemment, elle rougit de nouveau, au plus grand plaisir d’Éomer qui fit un grand sourire.

- Oui, je l’ai reçue, dit-elle simplement en esquissant à son tour un léger sourire, en croisant ses jambes.

- Et… comment l’as-tu trouvée? insista Éomer avec un sourire de plus en plus grand.

- Je l’ai trouvée…très, très intéressante, répondit Alcara lentement, laissant planer le mystère.

Éomer l’observait : sa robe de chambre bordée de fourrure ne cessait de s’ouvrir, laissant entrevoir sa chemise de nuit et le début de son décolleté et de ses jambes, croisées sur le siège, à chaque fois qu’elle s’était penchée pour partager le repas sur la table, malgré ses efforts pour la réajuster à chaque fois. Ses longs cheveux, ondulés par les nattes qu’elle se faisait habituellement, flottaient avec légèreté autour d’elle et dégageaient toujours un doux parfum de lavande.

- Suffisamment intéressante pour y répondre, d’ailleurs, ajouta-t-elle. Mais malheureusement, le messager n’a pas eu le temps de te donner ma réponse.

Éomer la regarda intensément, et se leva soudain pour se diriger dans l’autre pièce. Il sembla chercher un moment parmi des papiers. Il revint ensuite s’asseoir face à Alcara, une lettre cachetée dans la main, qu’il lui tendit.

- Il me l’a bien donnée. J’aimerais beaucoup que tu me la lises. A voix haute.

 

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Alcara regarda la lettre tendue puis leva les yeux vers lui. L’intensité de son regard était plus forte encore. Il était difficile d’y résister, malgré sa pudeur. Mais elle était curieuse de relever le défi, sentant son ventre se nouer à nouveau.

Elle prit la lettre, sans quitter son regard, et en brisa le cachet de cire pour la déplier. Elle en parcourut les premières lignes silencieusement d’abord. Il s’agissait bien de sa lettre de réponse, mais dans son élan, elle avait été aussi audacieuse que lui…elle se demandait ce qu’il avait en tête, et se mordit à nouveau la lèvre.

Elle se redressa un peu pour se préparer à la lire, et commença en s’éclaircissant la gorge :

Mon très cher amour…

Dès les premiers mots prononcés, Éomer se pencha vers elle en continuant de la regarder avec ardeur, et lui caressa la cheville. Alcara s’interrompit pour le regarder.

“Continue, lui dit-il lentement et intensément, et ne t’arrête pas.”

Face à la force de son regard, elle obéit et continua sa lecture.

Je ne saurais dire à quel point votre lettre m’a fait plaisir, et m’a émue.”

La main d’Éomer remonta de sa cheville à son genou, très doucement. Sentant sa respiration s’accélérer, mais sans oser ni vouloir bouger, Alcara continua comme si de rien n’était.

Je suis seule dans ma chambre, et à la lecture de votre lettre passionnée, je ne peux que vous avouer à quel point, moi aussi, je ressens le besoin de vous avoir auprès de moi.”

La main d’Éomer remonta au-dessus du genou, repoussant peu à peu la robe de chambre et la chemise de nuit d'Alcara, avançant lentement le long de sa cuisse.

Je…loue votre désir de me parler sans fard, et je tiens moi aussi à vous dévoiler la vérité de mes sentiments, et de mon désir.

A ce moment, elle ne put se retenir de pousser un soupir plus fort en le regardant dans les yeux : Éomer s’était levé de son fauteuil et se tenait maintenant à genoux face à Alcara. Par un geste, il l’incita à décroiser lentement ses jambes, ce qu’elle fit en sentant son pouls s’accélérer.

“Continue”, lui murmura-t-il de sa voix grave, toujours sans la quitter des yeux. Même à genoux devant elle, il semblait plus grand, et la dominait de sa hauteur.

Après une hésitation, la gorge sèche, elle continua la lecture, d’une voix légèrement plus tremblante :

Je…J’ai moi aussi beaucoup repensé à notre baiser passionné...

Il commença à remonter sa robe, sur l’autre genou, puis sur l’autre cuisse, en continuant de la regarder intensément.

Et je m’imagine à quoi ressemblera le contact de vos mains sur…ma peau…

Il caressait ses cuisses très, très doucement, traçant des cercles légers avec ses pouces sur sa peau nue.

Je rêve toutes les nuits de découvrir les courbes de votre corps…

Il dénoua le cordon de sa robe de chambre, et la fit descendre de ses épaules, révélant sa chemise de nuit et dénudant une bonne partie de son épaule gauche.

Et je nous représente, échangeant dans un même souffle, des baisers de plus en plus profonds…

Sa main descendit très lentement, dessinant du doigt sa clavicule, puis le début de son épaule gauche, puis descendant plus bas, vers son sein, en passant sous le tissu.

Des baisers sur ma bouche, sur mon visage, mais aussi sur tout mon corps…”

Il engloba son sein gauche avec sa grande main et le malaxa tout doucement. Alcara, qui tenait la lettre de sa main droite, et serrait l’accoudoir de sa main gauche, commençait à avoir beaucoup de mal à respirer normalement, sentant son ventre non plus chauffer, mais s’embraser. Elle émit un petit hoquet, mais persévéra :

Je veux que vous m’embrassiez absolument partout.

Et comme si ses désirs s’accomplissaient simultanément, il dénuda son sein puis l’embrassa et le mordilla légèrement. Elle émit un nouvel hoquet plus fort, comme si elle voulait qu’il aille plus vite, mais aussi plus lentement pour profiter de chaque seconde de ses mains sur sa peau. Pourtant elle continua la lecture, avec une voix plus saccadée encore :

Je…Je veux sentir…votre chaleur, tout près de moi…et en moi…

La main droite d’Éomer tenait toujours son sein dans sa main en coupe pour mieux l’embrasser, et l’autre recommença à remonter sa cuisse droite.

Je…je vous veux tout entier dévoué à ce désir, perdu en moi, et alors nos souffles, s’accéléreraient…

La main avait atteint le haut de sa cuisse, et effleurait maintenant tout doucement son intimité, pendant qu’il continuait à embrasser et mordiller le téton de son sein gauche.

Nos souffles s’accéléreraient, répéta Alcara, dont la voix était moins forte et plus proche d’un souffle syncopé, et notre plaisir grandirait…”

Un nouvel hoquet lui échappa, quand il chatouilla de façon précise son intimité. Il sentit alors l’humidité qui s’en dégageait spontanément, et émit un petit grognement de plaisir. Il cessa de mordiller son sein pour lui embrasser le cou.

Notre… plaisir…grandirait…bégaya Alcara, qui avait du mal à regarder sa propre écriture à présent, pour atteindre tous les deux, la plus grande des jouissances…”

Éomer avait fait pénétrer son majeur en elle peu à peu, pendant que son pouce la chatouillait toujours. Alcara lâcha alors la lettre pour caresser les cheveux d’Éomer et accompagner sa main. Elle n’avait jamais ressenti une telle tension charnelle, et un tel abandon. Elle savait qu’Éomer la regardait, continuant à l’embrasser dans le cou, sur les joues et dans les cheveux, mais elle ne pensait qu’au surgissement d’un plaisir intense qu’il allait provoquer.

Finalement, elle poussa une exclamation, qu’elle tenta de taire en se mordant la lèvre. Éomer se redressa pour la regarder au moment du pic de son plaisir, et sembla très satisfait du spectacle.

En rouvrant les yeux, Alcara le vit se pencher sur elle pour l’embrasser à nouveau avec passion. Il retira sa main, alors qu'Alcara se redressait et remettait ses habits en place. Éomer se leva et lui tendit la main, qu’elle prit pour se lever à son tour.

Et tout près d’elle, il lui dit :

« Ne te rhabille pas trop vite, Dagilin, lui susurra-t-il de sa belle voix grave. Si tu es d’accord, nous pourrions aller jusqu’au bout de cette lettre. »

Elle n’avait pas vu qu’il l’avait ramassée au sol. Il la parcourut rapidement pour retrouver où Alcara s’était arrêtée, et lut la fin à voix haute :

« Pour atteindre tous les deux, la plus grande des jouissances. Et je sais au plus profond de moi-même que je serais capable de recommencer encore et encore, sans me fatiguer de vous. Vous me manquez tant, que moi aussi je me sentirai revivre en entendant votre voix si grave et en vous revoyant, si beau, si grand et si aimé. À vous pour la vie, Alcara. »

Après un petit silence, il la regarda en caressant ses longs cheveux et en remettant une mèche derrière son oreille.

« Voilà un bien beau programme. Nous pourrions commencer tout de suite, qu’en penses-tu? »

Alcara sentit son corps s’embraser : elle n’avait que cette envie en tête. Mais par pudeur, elle hocha simplement la tête, lui renvoyant son regard intense. Éomer crut à une réticence de sa part, et voulut la rassurer :

« Tu sais, ajouta-t-il, je ne sais pas quelles sont les coutumes dans les autres royaumes. J’ai entendu dire que certaines dames devaient…se préserver si l’on peut dire, jusqu’au mariage. Mais ce n’est pas le cas dans le Rohan. »

Alcara n’avait pas très envie de lui avouer qu’elle avait déjà eu quelques expériences, même si tout cela lui paraissait bien loin. Et elle n’avait pas envie non plus de s’aventurer dans une discussion sur le mariage. Avec Legolas, elle avait au moins appris à apprécier une certaine forme de liberté sur ce sujet.

« C’est une coutume que j’apprécie particulièrement au Rohan », lui répondit-elle avec malice, pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas d’hésitation, encore surprise par sa propre audace.

Éomer sourit avec surprise, en continuant de lui caresser les cheveux. Elle lui prit la main et y déposa un baiser en le regardant dans les yeux avec toute la séduction dont elle était capable.

- Je veux simplement que tu saches que tu as le choix, lui dit-il avec sincérité.

Et en s’approchant d’elle, il lui prit le visage entre ses mains et ajouta en chuchotant :

- J’ai hâte de te revoir aussi belle qu’à l’instant, abandonnée sous mes doigts.

Et il l’embrassa avec ardeur, inspirant fort, comme pour s’abreuver de son parfum. Alcara lui rendit son baiser avec la même fougue et serra sa taille pour le rapprocher encore davantage d’elle, glissant ses mains sous sa tunique pour caresser sa peau. Éomer se recula pour enlever le vêtement, dévoilant à la jeune femme son torse très musclé, parsemé de petites cicatrices, tel qu’elle l’avait vu quand elle lui avait soigné sa blessure au poignet, en Ithilien. Et qu’elle pensait seulement à cacher l’impression que cela avait eu sur elle…

Les mains d’Éomer parcoururent sa nuque et son cou, et il lui ouvrit sa robe de chambre pour la faire tomber au sol. En la serrant contre lui, il sentit ses formes sous le tissu léger de la chemise de nuit et caressa ses seins, son ventre, ses reins. Il frissonna au contact des doigts fins d'Alcara qui suivaient les lignes de ses muscles sur son torse, son dos, ses bras. Il la tira à lui, et recula avec elle jusqu’au lit en continuant de l’embrasser avec énergie.

Il se retourna pour la faire asseoir sur le lit, et alla fermer la porte à clé. Alcara sentit son cœur s’emballer : en voyant Éomer revenir vers elle, elle en profita pour enlever sa chemise de nuit en la faisant passer par-dessus sa tête et en la jetant au sol. En ne quittant pas Éomer des yeux, qui s’était arrêté au bord du lit pour la regarder bouche bée, entièrement nue, elle se recula pour s’allonger sur les fourrures du lit et étendre ses bras au-dessus de sa tête, le souffle court. Elle ne voulait pas réfléchir à ce qui leur arrivait, de peur d’être encore dans un rêve et de prendre le risque de se réveiller. Il fallait saisir sa chance, maintenant.

Éomer, un moment interdit, parcourut sa nudité de ses yeux verts, de haut en bas, et enleva son pantalon et ses chaussures avant de s’allonger sur elle doucement, appuyé sur ses coudes. Il lui déposa impatiemment des baisers dans le cou et descendit sur ses seins, qu’il embrassa et malaxa à nouveau, faisant frissonner Alcara, qui entoura sa taille avec ses jambes. Elle sentit contre elle sa virilité ferme qui se frottait à sa cuisse et à son bas-ventre, déclenchant des vagues de chaleur dans ses reins. Elle se sentit vivante, frémissante, à sentir son odeur masculine, ses moindres réactions, loin de ses souvenirs éthérés de Fondcombe.

« Tu es si belle », lui chuchota-t-il dans l’oreille, et Alcara, dont le coeur brûlait à chacune de ses paroles, se sentit impatiente qu’il aille plus loin, plus vite, et lui dit : « Éomer, s’il te plaît… »

- Tu me supplies? demanda-t-il en souriant et en lui mordillant le cou et l’oreille.

- Oui, avoua-t-elle en souriant aussi.

- Alors, continue de dire mon nom pour la suite, dit-il en se redressant au-dessus d’elle sur ses coudes.

Il prit son membre dans ses mains pour l’avancer devant son intimité, et Alcara sentit qu’il pénétrait tout doucement en elle, comme prenant soin d’une chose fragile, alors même qu’il semblait lui aussi impatient de la posséder tout entière. Elle prit conscience de sa force et de sa taille, et paradoxalement de l’infinie précaution qu’il mettait pourtant à ne pas la brusquer, et son désir pour lui ne fit que grandir. Elle eut un grand soupir de plaisir et ferma les yeux.

- Regarde-moi, mon amour, lui dit-il fermement. Je veux voir tes yeux.

Alcara rouvrit les yeux et se plongea dans ceux d’Éomer, d’un vert plus sombre, scrutant la moindre de ses réactions, à présent qu’il s’enfonçait un peu plus en elle. Il l’occupa alors complètement, et elle sentit une grande chaleur irradier son ventre et la faire frissonner jusqu’à ses pieds.

- Oh, Éomer, murmura-t-elle en soupirant à nouveau.

- Oh par les dieux, murmura-t-il en l’admirant, comme s’il était stupéfait, tu es si belle, si étroite…

- Continue, continue…

Sous l’encouragement des mains d’Alcara, qui parcouraient son dos et ses reins, il accéléra peu à peu sa cadence, sentant chaque centimètre de sa peau contre la sienne, alors qu'Alcara recourbait ses jambes et ses hanches pour suivre ses mouvements.

Front contre front, leurs soupirs s’accélérèrent, leurs souffles se mêlèrent et Alcara enfonça ses ongles dans ses épaules. Il était plus « animal », plus physique que tout ce qu’elle avait connu, et ses yeux toujours ouverts sur elle pour observer sa jouissance croissante décuplèrent son plaisir. Ses mots, aussi, avaient un incroyable effet pour la faire lâcher prise.

Elle mordit sa lèvre pour empêcher un gémissement de sortir de sa bouche, comme elle l’avait toujours fait, mais Éomer lui dit d’une voix syncopée :

« Ne te retiens pas, Alcara! Crie mon nom, crie-le, je veux t’entendre! »

« Oh, Éomer, oui! »

Et Alcara se laissa aller à toute l’expression de son plaisir, qui sans le savoir, redoubla celui d’Éomer également. Ce dernier lui aussi, s’exprima par des grognements et des cris de plaisir, comme par un accord entre eux de sincérité et de vérité absolue sur leurs sentiments. Leurs corps, collés l’un à l’autre, de plus en plus ardents, luisaient de leur transpiration, mais rien n’aurait pu les arrêter : et même si Éomer était bien plus grand, leurs formes s’enchâssaient à la perfection, comme faits pour s’unir, comme deux parties d’un tout qui n’attendait que de se retrouver.

Et les yeux dans les yeux, leurs corps enlacés se tendirent ensemble dans une même apothéose, dans un même dernier cri. Elle sentit Éomer se répandre en elle, et elle fit en sorte de rester fermement autour de lui jusqu’au bout.

Éomer reposa sa tête sur son épaule et resta un moment en elle, soupirant contre sa joue.

Alcara regarda le ciel de lit du baldaquin et n’en revint pas. Elle n’avait jamais ressenti cela avant. S’il y avait eu des fleurs dans la pièce, elles auraient refleuri tout le palais d’un seul coup.

Éomer se retira et se releva, en prenant la main d'Alcara pour qu’elle se lève à son tour. Alcara admira un instant son corps nu de guerrier, le duvet de son torse et de ses bras et la force de chacun de ses muscles, aiguisés pour leur plaisir un instant auparavant, et sourit de satisfaction. Elle se releva ensuite avec son aide et lui jeta un regard interrogatif, alors qu’il tirait les fourrures et les couvertures du lit pour l’inciter à se glisser dessous. Mais Éomer désigna de sa tête une des fenêtres et répondit :

- Avec le temps qu’il fait dehors, je pense que nous allons rester un bon moment dans cette chambre.

Et en regardant par la fenêtre, Alcara vit en effet que la tempête semblait encore s’intensifier, plongeant la pièce dans une douce lumière bleutée, comme un crépuscule permanent.

- Nous avons justement de quoi nous occuper, lui répondit Alcara en souriant, et en glissant son corps nu sous les couvertures et les fourrures.

Éomer lui sourit à son tour en balayant du regard ses courbes et ses cheveux qui flottaient toujours autour d’elle, comme obéissant à un mouvement propre, et il se coucha à son tour auprès d’elle. Il l’embrassa de nouveau en tenant sa tête entre ses mains. Alcara sentit contre sa cuisse qu’il était ferme à nouveau. Éomer soupira et s’allongea sur le dos, en mettant son bras derrière sa tête.

- Par les dieux, nous venons à peine de terminer que je suis déjà prêt à recommencer!

Alcara éclata de rire, en se redressant sur un coude pour le regarder. Elle détailla alors de son regard les multiples petites cicatrices de son torse, et en caressa quelques-unes :

- Des petits souvenirs des Orques, dit-il pour expliquer ces traces sur sa peau. Et quelques chutes de cheval…

- Dommage que tu n’aies pas eu mon baume à l’époque, lui dit-elle en souriant.

- Non, mais par contre…

Il s’éloigna d’elle pour aller vers le lit, où il ouvrit le tiroir de sa table de chevet. Et il en sortit…

- Mon mouchoir ! s'exclama Alcara. Mais je croyais que tu l’avais égaré?

- Je ne pouvais pas le perdre, avoua Éomer en s’accoudant face à elle. C’était la seule trace de notre rencontre, et j’espérais pouvoir te retrouver grâce à lui. Et finalement, je t’ai revue, parlant avec Eowyn le soir du couronnement d’Aragorn.

- Tu l’ignores, mais nous nous sommes revus avant cela, lui confia Alcara, et elle lui raconta qu’elle était la Sœur de la Maison de Guérison qui était présente quand il était venu au chevet de sa sœur.

- Tu étais bien déguisée ! s’exclama Éomer jouant avec le mouchoir entre ses mains. J’étais sous le choc après le Pelennor, je croyais avoir perdu mon oncle et ma sœur dans la même journée.

- Il faut croire que nous devions nous retrouver, ajouta Alcara en touchant le mouchoir à son tour. Je n’en reviens pas que tu l’aies gardé depuis le premier jour. J’ai vraiment cru…

Elle allait dire « j’ai vraiment cru que tu m’oublierais », mais Éomer lui prit les mains.

- Tout cela est derrière nous, à présent. Un autre chemin nous attend.

Et il l’embrassa à nouveau passionnément, en ajoutant des mots qui la firent vibrer :

« Je t’ai aimée dès la première seconde. »

Enfin ! J'espère que vous avez aimé ce chapitre. Sinon, désolé, mais les chapitres suivants ressembleront beaucoup à celui-ci, après tout, c'est une vraie passion et nos héros ont bien mérité une pause… 🙂 ! Si vous ne voulez pas lire ces chapitres, vous pouvez aller directement aux chapitres sans avertissement, sans manquer les parties importantes de l'histoire. 

 

Chapter 31: Un Jeune Amour

Chapter Text

Un Jeune Amour

Musique à écouter sur ce chapitre:

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Les heures suivantes se déroulèrent en toute sérénité, entrecoupées de confidences et de repos. Alcara lui raconta la Maison de Guérison de Minas Tirith, et la guerre de l’Anneau qu’elle avait passée à soigner les blessés, en rencontrant à cette occasion Faramir et Eowyn. Éomer lui raconta ensuite la guerre en Ithilien, et la tactique trouvée par Aragorn pour défaire l’ennemi définitivement. Il raconta ses propres exploits mais n’oublia pas ceux de ses compagnons, ceux de la Communauté comme ses propres maréchaux.

Il raconta aussi l’effet galvanisant de l’élixir de Simbelmynë sur les troupes, mais aussi que Gandalf avait demandé à en conserver une fiole, pour l’étudier de près. Mais avec l’attaque d’Edoras, il n’avait pas eu le temps de parler avec les alliés des temps à venir, et avec l’arrivée de la neige, l’armée mettrait un peu de temps à arriver, il fallait simplement espérer que leur défense suffise à dissuader d’autres Orques de venir.

- Mais même pour eux, autant de neige est rédhibitoire, ils ne survivraient pas longtemps. Et tu leur as passé l’envie de revenir de sitôt…

Alors, Éomer dériva sur un autre sujet et posa à Alcara des questions sur les mœurs si particulières des elfes, et voulut connaître quelques mots en elfique lui aussi. En effet, en détaillant leurs habitudes et leurs comportements, Alcara se rendit compte des différences entre son enfance et celle d’Éomer, qui avait perdu ses parents très jeune et avait été davantage soumis aux aléas du monde.

- Les elfes vivent dans une autre temporalité, avoua-t-elle. Ils sont immortels et traversent le monde avec des dons particuliers. Ils ont la capacité de voir plus loin, d’entendre de loin, certains voient dans l’avenir…ils ont donc des relations particulières avec nous. C’est une sorte de tolérance des étrangers, mais aussi un recul qui ressemble presque à de l’indifférence.

Et Alcara se souvint particulièrement de l’un d’entre eux, à la fois proche et distant, alors qu’elle se trouvait si jeune, presque enfantine en présence de Legolas, qui avait le corps d’un jeune homme, sans défaut, mais l’esprit d’un ancien sage.

- Cela doit être étrange de vivre avec eux, dit Éomer en regardant le feu dans la cheminée, Alcara lovée dans ses bras. On doit prendre certaines de leurs attitudes j’imagine.

Il se tourna vers elle et lui caressa l’oreille où se trouvait sa cicatrice, et ajouta :

- La première fois que je t’ai vue, j’ai cru que tu étais une elfe.

Alcara se redressa pour le regarder.

- Vraiment ? dit-elle étonnée, se demandant s’il ne plaisantait pas.

- Oui, tu avais leur coiffure, leurs vêtements, même ta façon de chevaucher leur ressemblait. Mais ensuite, j’ai vu que tu n’avais pas d’oreilles pointues.

Elle lui lança un coussin au visage alors qu’il éclatait de rire et se protégeait avec son bras.

- Plus sérieusement, dit-il plus sérieusement, tu as évolué une fois arrivée dans le Rohan. Quand tu as porté les habits traditionnels pour la danse de fête, on aurait vraiment cru que tu venais de chez nous.

- J’ai un grand don pour me transformer, répondit-elle avec légèreté. Mais je suis touchée par ton compliment.

- Quand j’ai gardé ton mouchoir après notre première rencontre, ajouta-t-il, j’ai vu les broderies elfiques. Je me suis donc dit que j’irai te chercher chez eux après la guerre, même si j’ignorais totalement comment m’y rendre. Heureusement que je ne l’ai pas fait, puisque tu étais dans la capitale du Gondor, de l’autre côté de la Terre du Milieu !

- Tu as un peu le sens de l’orientation de Pippin et Merry, ironisa-t-elle en se souvenant de leur exposé approximatif d’Edoras, à leur arrivée.

Éomer, pour se venger, lui chatouilla les hanches, et elle éclata de rire en se tordant dans les couvertures. Il finit allongé sur elle, et lui dégagea une mèche de cheveux du visage.

- Mais il est vrai qu’il est difficile de savoir d’où tu viens en te regardant, ajouta-t-il en l’observant dans les yeux. Tu as les cheveux bruns du Sud, mais la peau pâle parsemée de taches de rousseur comme ceux du Nord, et des yeux bruns assez rares, presque noirs. Et cette grande beauté des elfes, un peu noble, cette aura mystérieuse qui te donne un petit air magique.

- C’est mon magnétisme naturel, répondit-elle en souriant.

- Une aura dévastatrice pour moi, commentat-t-il en l’embrassant à nouveau.

Alcara lui caressa les reins alors qu’il l’embrassait en liant sa langue à la sienne, et elle tordit légèrement son corps pour faire monter son plaisir.

- Tu as déjà compris comment me faire réagir, chuchota-t-il.

- Et j’ai encore plein d’idées, lui répondit-elle avec malice en le regardant de ses yeux brillants.

Éomer recommença à l’embrasser de plus en plus passionnément, entourant son visage de ses deux bras puissants et en frottant son corps brûlant contre le sien.

- Mais j’ai moi aussi une idée, répliqua-t-il en s’asseyant à genoux sur le lit, entourant sa taille de ses bras et en la tirant d’un seul geste avec lui.

Il la reposa, à demi assise, sur les coussins, près de la tête du lit. En la regardant droit dans les yeux, il reprit de la table de chevet son grand mouchoir blanc, et lui demanda de sa voix devenue plus grave avec le désir :

- Tu me fais confiance?

Alcara, intriguée, le regarda avec hésitation.

- Il te suffira de me dire « Assez », et j’arrêterai quand tu le veux.

Alcara répondit en murmurant et en lui souriant : « Alors, d’accord. »

Le sourire d’Éomer s’agrandit, et il tira sur le grand mouchoir pour en faire une torsade. Il leva alors les mains d'Alcara au-dessus de sa tête, et lui attacha doucement les poignets aux barreaux en bois de la tête de lit, sculptée de chevaux.

- Je n’ai pas serré fort, expliqua Éomer, j’espère que tu n’as pas mal ?

Alcara confirma en hochant la tête, curieuse de la suite.

- Je vais parcourir ton corps en suivant tes réactions, lui chuchota-t-il simplement dans l’oreille. Mais tu auras interdiction de bouger le moindre cil.

Et il tira complètement les draps, révélant leurs deux corps nus et chauds sous les fourrures et non loin du feu de la cheminée.

Ce projet intrigua Alcara mais lui plut immédiatement. De nouveau, son désir bestial reprit le dessus. Elle repensa à l’écurie, et…

 - J’aurais aimé te faire cela dans l’écurie, ajouta Éomer en continuant de chuchoter dans son oreille, et son souffle et sa barbe contre sa joue firent frémir Alcara.

- Quand nous nous sommes battus à l’épée? demanda-t-elle étonnée, en chuchotant à son tour, tournant son visage vers lui.

- Oui, confirma Éomer, en lui embrassant la tempe. J’ai failli le faire un instant, mais ce n’était pas très approprié avec autant de monde qui pouvait entrer…

Et Alcara, en imaginant la scène quelques secondes, se rendit compte qu’au même moment, Éomer avait été bien plus entreprenant encore dans son imagination qu’elle-même, quand leurs visages essoufflés et silencieux s’étaient fait face, et elle sentit son ventre se nouer à nouveau.

- J’aurais aimé que tu le fasses, avoua-t-elle immédiatement en souriant.

Éomer la regarda dans les yeux, comme surpris de découvrir qu’elle n’était pas aussi timide et réservée qu’elle en avait l’air, ce qui eut l’air de lui plaire tout particulièrement.

- Il n’est pas trop tard, nous y retournerons, répondit-il en lui caressant la joue, les lèvres puis la ligne de sa mâchoire. Pour l’instant, tu es toute à moi.

Et il lui embrassa le bas du cou, puis les seins un par un, prenant tout son temps pour la faire peu à peu soupirer de plaisir. Elle ferma les yeux et gémit quand il commença à lui mordiller l’extrémité de sa poitrine.

- Tu es si belle, disait-il, ton corps est absolument parfait…

L’entendre parler décupla le plaisir d'Alcara, qui aurait voulu lui caresser les cheveux, le dos, mais ne le pouvait pas avec ses mains attachées. Elle ouvrit les yeux et s’aperçut qu’elle tordait ses hanches dans un sens et dans l’autre.

- Interdiction de bouger, lui dit-il en souriant, en relevant ses yeux vers elle et en plaquant fermement ses hanches contre les draps.

Mais le fait de ne pas pouvoir le toucher, d’être entièrement dépendante de ses gestes, accéléra son pouls. Il joua en même temps de plusieurs caresses : il lui embrassa le sein, lui effleura en même temps les hanches et les cuisses. Les sens d'Alcara ne savaient plus où donner de la tête : elle ferma spontanément les yeux pour en ressentir les moindres vibrations, alors que la chaleur de son corps ne cessait d’augmenter.

En rouvrant les yeux, elle vit qu’Éomer observait très attentivement les effets de ses mains sur elle, comme s’il pouvait sculpter les contours de son corps. Ce sentiment de puissance de son amant ne le rendait que plus beau encore, mais elle avait l’impression, même en étant attachée, qu’il obéissait à ses réactions et qu’elle était à la fois impuissante et maîtresse du jeu. Son membre épanoui était dressé, et la respiration d’Éomer était de plus en plus rapide, comme s’il était lui-même impressionné par ce qu’il provoquait.

- Éomer…s’il te plaît…le supplia-t-elle à nouveau, pour aller plus loin dans leur plaisir.

- Encore un peu de patience, lui dit-il avec un petit sourire. Je n’ai pas terminé.

Et très doucement, il déroula ses doigts délicats sur ses cuisses, ses mollets et jusqu’au bout de ses pieds, ce qui eut pour effet de déclencher un grand frisson dans tout le corps d'Alcara. Il remonta alors le long de ses jambes en y déposant de légers baisers, tout en s’allongeant peu à peu sur elle. Le contact de ses lèvres chaudes et de sa barbe, alors qu’elle ne pouvait pas bouger, déclencha chez Alcara un gémissement de plaisir impossible à retenir. Éomer rit légèrement, satisfait de l’effet qu’il provoquait.

- Je veux connaître chaque détail de ton corps, chuchota-t-il, comme pour lui-même. Je veux retenir chacun de tes grains de beauté, chaque courbe, chacun de tes mouvements, et les graver en moi…

Mais alors qu’il déposait des baisers de plus en plus haut sur ses jambes, Alcara sentit la chaleur de son souffle devant son intimité, où il commença à déposer directement des baisers de plus en plus prononcés. Elle eut une exclamation de surprise, c’était comme s’il l’embrassait passionnément, au cœur de l’endroit où son plaisir grandissait le plus rapidement. C’est à cet instant qu’il l’effleura peu à peu avec sa langue, avec une délicatesse surprenante, comme à l’écoute de ses moindres réactions, et ce léger contact entre sa chair et la chaleur de sa bouche incendia ses entrailles. Un frisson la parcourut des pieds à la tête, comme si cette infime rencontre entre la langue d’Éomer et son bas-ventre avait des répercussions phénoménales dans tout son corps. Elle ne pouvait qu’être là, dans cet instant d’une grande intensité, et ce fut comme si la tempête de neige au-dehors tourbillonnait dans son esprit, dans son cœur et dans chaque parcelle de sa peau brûlante.

Elle n’eut pas le temps de se poser d’autre question, qu’il remonta vers elle et plaça ses jambes de part et d’autre des siennes, les tenant fermement serrées, et elle sentit son membre de plus en plus dur contre elle et de nouveau, un feu brûlant dans ses flancs. Le frottement de leurs corps faisait vibrer chaque pore de sa peau et lui donna la chair de poule. Elle aurait voulu le serrer fort dans ses bras, mais ne pouvait que souffler de plus en plus vite dans son cou, aspirant son odeur autant qu’elle le pouvait, alors qu’il ne cessait de lui caresser les bras de haut en bas, et de lui embrasser le cou en respirant lui aussi de plus en plus rapidement. Leurs peaux de plus en plus chaudes transpiraient, et la moiteur les fit glisser de plus en plus promptement l’une contre l’autre, les rendant silencieux, n’échangeant que des soupirs d'impatience et d’encouragement.

Il se releva alors, et écarta les deux jambes de son amante, pour les placer sur ses épaules. En déposant des baisers sur ses cuisses déjà humides de chaleur, il inséra doucement son sexe en elle. L’effet de cette position était incroyable, et Alcara eut une exclamation de plaisir : elle avait l’impression qu’il occupait toute la place et entrait en contact avec chaque parcelle de ses reins, alors qu’il n’avait pas terminé de pénétrer en elle. Quand ce fut le cas, peu à peu, elle crut voir des étincelles. Au-dehors, on entendit un grand souffle de vent et de neige passer au même instant, comme si la tempête se synchronisait avec la montée de son plaisir.

Éomer, lui aussi le souffle coupé, commença néanmoins à accélérer sa cadence. Les regards fixés l’un dans l’autre, Alcara et lui semblaient n’avoir qu’un seul but, se conduire ensemble vers la plus grande volupté. Concentrés, y mettant toute leur force, toute leur énergie, ils cherchèrent à faire fusionner leurs peaux et leurs cœurs. Alcara reposait sa tête sur ses bras attachés, et avait encore le réflexe de vouloir étouffer ses cris, mais Éomer l’encouragea à l’exprimer et à dire son nom.

Toujours en elle, il remit les jambes d'Alcara autour de sa taille et se rapprocha d’elle, prenant sa tête entre ses mains, pendant qu’elle le serrait autour d’elle, leurs regards fixes.

- Éomer, répétait Alcara en gémissant, mon amour…

- Oui, Alcara, lui disait-il, continue, dis-le!

Et une nouvelle fois, leurs cris d’amour retentirent dans la chambre quasiment simultanément, arc-boutés l’un vers l’autre. Au-dehors, la tempête de neige redoubla d’intensité.

Éomer se retira et embrassa de nouveau Alcara. Leurs corps étaient encore brûlants, ils restèrent donc au-dessus des fourrures. Mais alors qu’ils allaient se reposer l’un à côté de l’autre, on toqua à la porte.

Alcara sentit son pouls s’accélérer à nouveau, mais de peur : qui cela pouvait-il être?

- Éomer, il faut me détacher, lui chuchota-t-elle précipitamment, je dois me cacher !

Mais Éomer, très tranquillement, s’étira et se leva, et mit sa robe de chambre.

- Éomer ! lui lança à nouveau Alcara.

- Ne t’inquiète pas, lui dit-il simplement en se penchant pour lui embrasser le front, mais cela ne la rassura pas du tout.

Il tira alors tous les rideaux du baldaquin, et Alcara entendit quelques bruits d’étoffes, puis la porte qu’il déverrouilla et ouvrit. Elle entendit ensuite une courte conversation en rohirrique, qui avait l’air de parler de service et de la tempête de neige. Il répondit succinctement, a priori en demandant d’enlever le plateau du repas et d’en apporter un autre le soir, devant sa porte, et elle comprit le mot de “repos” - il est vrai qu’il sortait d’une guerre et cela ne paraissait pas improbable qu’il veuille un peu de répit. Le domestique prit le plateau, sans rien dire du fait que les rideaux du lit étaient tirés, ce qui devait arriver de temps en temps.

Éomer lui donna ensuite un ordre où elle comprit “Eowyn”, et elle se sentit coupable de ne pas s’être plus inquiétée de son état dans la journée, mais elle avait eu d’autres préoccupations en tête.

Le domestique repartit avec le plateau : elle entendit Éomer fermer la porte, et tirer à nouveau un des rideaux pour l’observer.

- Quelle belle vue, dit-il en souriant, à présent je te demanderai d’être ainsi tous les soirs, quand je rentrerai de mes réunions interminables.

- Ce n’est pas drôle, Éomer, lui répondit-elle en fronçant les sourcils, détache-moi!

Et en riant, il s’allongea sur le lit et lui détacha les mains, puis replia très précautionneusement le mouchoir pour le ranger dans la table de chevet. Alcara se leva de l’autre côté du lit et remit sa robe de chambre.

- Je devrais peut-être rendre visite à Eowyn, dit-elle. J’espère qu’elle va bien.

- J’ai demandé au domestique de me prévenir s’il se passait quoi que ce soit, lui répondit Éomer, en faisant le tour du lit pour aller vers elle. Je suis heureux que tu t’occupes d’elle, mais il faut aussi t’occuper un peu de toi. Et de moi.

Mais Alcara paraissait toujours aussi préoccupée. Elle fit mine de contourner le lit, mais Éomer, dans son passage, lui prit la taille.

- Je suis sa guérisseuse, soupira-t-elle, c’est à moi de surveiller son état…

- On se dira que tu es toujours en train de te reposer pour avoir sauvé Edoras, répliqua Éomer. Faramir est avec elle, les apprenties guérisseuses aussi.

- Mais… tenta d’ajouter Alcara, je ne devrais pas…

- Être ici ? compléta Éomer en souriant, et il déposa plusieurs baisers légers sur ses lèvres, en caressant à nouveau sa taille. Alcara sentit peu à peu sa volonté s’étioler, mais pas sa culpabilité.

- Éomer…murmura-t-elle, laisse-moi passer…

- Bien sûr, répondit-il en chuchotant, mais sans cesser de l’embrasser du bout des lèvres, serrant toujours sa taille. Si tu veux partir, tu es libre…

Mais Alcara ne montrait toujours pas de signe qu’elle allait le faire, son esprit étant de nouveau assailli par son désir. Elle n’en revint pas elle-même de l’énergie infatigable qui l’habitait quand elle se trouvait avec lui.

**************

Il lui prit alors la main, pour la guider vers les fauteuils, près de la cheminée, où ils avaient déjeuné quelques heures plus tôt. Alcara s’assit, et regarda au pied de son fauteuil, où se trouvait un luth. Elle prit l’instrument sur ses genoux, et demanda à Éomer :

- Tu joues du luth?

- Non, avoua-t-il en s’asseyant à son tour, avec un soupir d’aise. Il fut un temps où j’ai demandé à un ménestrel de venir me jouer de la musique pour m’aider à m’endormir le soir. Mais cela n’a pas fonctionné.

- Alors je te jouerai moi-même des musiques pour t’endormir, lui dit-elle en souriant et en faisant quelques gammes sur l’instrument.

- Je ne sais pas si j’arriverai à dormir davantage si tu es dans les parages, répondit-il malicieusement.

Elle se souvint que sa passion cachée pour elle lui avait ôté le sommeil déjà en Ithilien, comme il le lui avait avoué avant leur premier baiser. Elle sourit, et chercha encore quelques accords au luth.

- Connais-tu des chansons de ton enfance? demanda Éomer.

- J’en connais une, en elfique…dit-elle en lui lançant un regard interrogateur.

- Va pour l’elfique, concéda Éomer, mais tu me la traduiras ensuite.

Alcara retrouva la mélodie, peu à peu, et commença une chanson douce, qui ressemblait à une berceuse et qui pouvait se traduire ainsi :

(Chanson: April come she will, de Simon and Garfunkel, repris par Boyce Avenue):

En avril, elle vint, gracile,

Aux torrents tumultueux et gonflés par la pluie

En mai, elle restait

Dans mes bras, encore, sans un bruit;

En juin, un autre refrain

Elle parcourut les routes de la nuit

En juillet, elle disparaît

Sans avertir qu’un jour, elle a fui;

En août, sa vie eut un coût

Le vent d’automne, glacial, pleure et crie

En septembre, le passé se rassemble

Un jeune amour a maintenant vieilli.

Après un silence, Éomer continua de la regarder, alors qu’elle fixait, pensive, le feu dans la cheminée.

- C’est une belle chanson, dit-il doucement, même si elle est un peu triste.

- Je ne l’ai pas encore traduite, rappela Alcara en le regardant.

- Je sais, mais la mélodie est douce et triste à la fois.

- Cela parle d’un amour qui ne dure que d’avril à septembre, d’une femme qui apparait, et disparait. D’un amour fugace.

- Tous les amours ne sont pas ainsi, heureusement, dit Éomer en la regardant.

- Non, heureusement.

Mais un accès de mélancolie la prit tout à coup. C’était une chanson qui évoquait tant de choses pour elle, la fugacité de l’amour de Legolas, mais aussi son propre passage à Fondcombe, comme si l’automne et l’hiver s'étaient abattus définitivement sur les terres des elfes.

- A quoi penses-tu? demanda Éomer.

Après un petit soupir, elle avoua:

- Je pensais à Fondcombe. C’était ma patrie, la cité de mon enfance. Mais elle se vide, et bientôt tout ne sera qu’un souvenir, une ruine du passé. C’est si étrange…

- C’est vrai que j’ai la chance de vivre encore chez moi, admit Éomer. Cela doit être singulier en effet…de ne pas pouvoir revenir chez soi.

- Ce n’est plus chez moi, répondit Alcara en tapotant machinalement sur le luth. Je dois me trouver une nouvelle patrie, à présent. Mais je garderai une trace, infime, du passage des elfes sur cette terre.

- Sauf les oreilles pointues…

Et Éomer et Alcara éclatèrent de rire. Cela fit du bien à Alcara, qui s’était trop glissée vers la mélancolie dernièrement, et était heureuse que tout soit si simple et joyeux avec Éomer. Elle ignorait que lui aussi avait la même sensation avec elle.

La soirée et le jour d’après se déroulèrent de la même façon, ponctués de longues conversations, d’airs de luth et de moments d’amour, enfermés dans la chambre confortable d’Éomer.

Ils s’endormirent aussi pour de longues nuits réparatrices. La guerre, le combat à Edoras et leur nouvelle passion les avaient malgré tout épuisés tous deux. Ils se réveillèrent très tard, et Alcara n’en revint pas d’ouvrir les yeux à côté d’Éomer, comme si cela était naturel, et qu’elle pouvait enfin réaliser un rêve longtemps désiré. Une réalité pleine aussi de surprises, car elle avait sous-estimé la vigueur d’Éomer et sa franchise dans leur intimité, mais aussi sa curiosité permanente pour ce qu’elle était, pensait et ressentait. Ils passèrent les moments les plus passionnés de leur amour dans la grande suite royale d’Edoras, profitant de ces instants de tranquillité, sachant bien que d’autres obstacles ne présenteraient un jour, obstacles auxquels ils ne voulaient absolument pas penser à l’heure actuelle, mais qui les rattraperaient, plus grands et plus terribles qu’ils n’auraient pu les imaginer.

Musique à écouter :

La tempête de neige se calma au bout de plusieurs jours, où les routes furent dégagées. Les armées revinrent peu à peu chez elles, victorieuses et fourbues.

Quand décembre arriva, Alcara continua comme si de rien n’était à organiser la Maison de Guérison, tout en passant régulièrement voir Eowyn. Cette dernière s’excusa auprès d’elle d’avoir voulu défendre Meduseld malgré son état, mais Alcara ne pouvait lui en tenir rigueur, même si elle avait eu peur pour son enfant. Heureusement, Eowyn n’avait aucune séquelle, mais la fin de sa grossesse s’annonçait difficile, et Alcara prépara discrètement des remèdes dans son laboratoire, pour parer à toute éventualité.

Ni elle ni Éomer n’évoquèrent leur relation en public, comme pour préserver leur passion le plus longtemps possible, mais aussi parce que le secret ne la rendait que plus piquant. Malgré son audace dans certaines circonstances, Alcara sentit de nouveau sa timidité reprendre le pas, et elle n’osa pas aborder directement avec Éomer la nature réelle de leur relation. Était-elle sa maîtresse secrète ? Sa compagne officielle ? Elle savait que la question se poserait tôt ou tard, mais cet hiver paisible, dans un royaume moins courtisan et plus amical, la rassurait comme un cocon de ouate, et elle remit à plus tard ces réflexions.

Elle dut s’organiser pour rejoindre Éomer dans sa chambre le soir, et revenir dans la sienne au matin, le plus discrètement possible, tout en craignant que les domestiques, malgré leur loyauté et leur discrétion, ne parlent. Peu à peu, même endormie à côté d’Éomer, elle fit de nouveau des cauchemars pénibles, et ne put s’empêcher de repenser à Umiel, délaissée par le maréchal séducteur. En son for intérieur, elle n’avait aucune idée de ce qu’Éomer pensait réellement d’elle, s’il s’agissait d’un amour durable entre eux ou seulement d’une passion passagère ; elle pensa même que rien, au fond, ne pouvait empêcher Éomer de la délaisser un jour, quand sa passion pour elle se serait lassée.

Éomer décida d’organiser une fête à la fin du mois de décembre, pour honorer la vaillance des Rohirrim à la guerre et fêter de nouveau le solstice d’hiver. C’était une fête traditionnelle dans le Rohan, qui n’était pas célébrée depuis longtemps à cause des multiples guerres qui avaient accablé le royaume.

Tous les maréchaux arrivèrent à Edoras, y compris le séduisant maréchal d’Estfolde et sa nouvelle épouse, Umiel, qu’Alcara salua de loin. Cette dernière vit dans la visite d’Umiel, au moment même où elle se posait tant de questions, une sorte de signe ironique du destin, pour la rappeler à sa culpabilité. Umiel lui rendit un salut distant mais reconnaissant, comme quand elle était partie d’Ithilien, mais elle semblait plus fière qu’avant, ayant donné naissance à un magnifique fils qui avait hérité de ses cheveux roux flamboyants, et elle était parée ce soir-là de fourrures et de multiples bijoux, que son généreux époux lui avait offerts.

Alcara avait quant à elle opté pour une tenue discrète, même si pour la première fois elle laissa ses cheveux détachés, comme les femmes du Rohan. Elle en retrouva d’ailleurs plusieurs qui suivaient ses cours à la Maison de Guérison, et qui furent heureuses de lui présenter qui son mari, qui son fils, qui son frère revenu de la guerre, et indemnes grâce à sa découverte de l’élixir.

Elle découvrit également la tradition selon laquelle les veuves et les orphelins de guerre étaient accueillis dans la maison du roi, afin de recevoir des cadeaux et de la nourriture et d'encourager ainsi le reste de la population à les soutenir, pour le sacrifice de leurs maris et de leurs pères. Alcara regardait, touchée et attristée, ces malheureux impressionnés de parler au roi et reconnaissants de sa gentillesse. Le Rohan était une terre accueillante et bienveillante, et elle était heureuse de participer à la rendre paisible et prospère.

Contrairement aux fêtes plus importantes où étaient invités d’autres royaumes, Alcara vit pour la première fois une “vraie” fête du Rohan, entre Rohirrim, et l’apprécia particulièrement. Chacun était libre de s’asseoir où il le souhaitait, sans protocole, et les invités changèrent souvent de place, au gré de leurs conversations. Personne ne buvait de vin, mais seulement de la bière, parfumée avec des épices, et la nourriture semblait moins raffinée que dans le Gondor, mais beaucoup plus généreuse et réconfortante, alors qu’une fine neige tombait à nouveau au-dehors. Le temps était le cadet des soucis pour les Rohirrim, qui ne craignaient pas autant le froid que les autres peuples, et la fine neige ne les empêcha pas, plusieurs heures après, d’aller s’amuser, à cheval ou à pied, à se lancer des boules de neige.

Alcara s’était assise à côté d’Eowyn et de Faramir au début de la soirée, mais la princesse se sentit fatiguée assez tôt et partit se coucher. Faramir resta un peu plus longtemps, car quelques-uns de ses hommes l’avaient rejoint à Edoras, et repartiraient avec ses instructions pour rapatrier les civils dans la cité d’Ithilien et parer au plus pressé. Il n’était pas évident pour lui de rester bloqué dans le Rohan, mais il refusait catégoriquement de partir et de risquer de manquer l’accouchement de son épouse. Alcara admirait le soutien indéfectible qu’il témoignait envers Eowyn, et les envia un peu, alors qu’Éomer témoignait tant de joyeuse légèreté et qu’il ne semblait pas se rendre compte de ses préoccupations intérieures.

En fin de festin, Éomer, qui allait plus souvent que les autres de table en table, vint s’asseoir à côté d’Alcara, et profita du tumulte joyeux pour lui prendre la main sous la table. Faramir faisait mine de parler à d’autres Rohirrim, mais elle savait qu’il n’était pas dupe, et elle se demanda alors, en observant Umiel de loin rire d’une parole de son mari, combien de temps durerait sa passion pour Éomer. Pourrait-ils se lasser l’un de l’autre? Fallait-il déjà qu’elle pense à un avenir possible avec lui ? Elle se l’était interdit après Legolas, car la douleur avait été trop forte à son départ de Fondcombe, alors qu’elle avait tant espéré rester avec lui…Comme souvent, elle préféra profiter de l’instant et ne pas y penser, se disant qu’il était trop tôt.

Des musiciens entonnèrent alors un air entraînant, et plusieurs Rohirrim, hommes comme femmes, allèrent de façon désordonnée danser au milieu de la pièce, et certains montèrent même sur des tables. Alcara, qui n’avait jamais vu une fête aussi libre, ayant l’habitude des cours et des elfes, éclata de rire à les voir si insouciants et si indifférents au regard des autres. Éomer, qui arborait un sourire éclatant, semblait allégé d’un poids, et il se tourna vers elle pour admirer son éclat de rire. Il lui prit de nouveau la main, mais cette fois, il se leva et la tira avec lui vers le centre de la salle. Alcara, le cœur bondissant, le suivit parmi la foule, qui applaudit et poussa des hourrah en voyant Éomer venir danser avec eux. Alcara, qui ne savait pas comment danser sur une musique aussi rapide, était un peu perdue et se sentit gênée de voir tant de visages curieux l’observer. Mais Éomer garda sa main dans la sienne, et lui dit dans l’oreille :

“Suis mes pas, comme lors de notre danse en Ithilien.”

Elle se souvint alors des rondes et des pas bondissants, et du regard vert pétillant qu’il lui avait alors lancé, et elle retrouva le même rythme. Alors elle suivit ses mouvements, alors qu’il l'entraînait dans des rondes, des sauts et la faisait tourner sur elle-même, ses longs cheveux flottant derrière elle. Elle s’était toujours sentie trop grande et maladroite en dansant, mais Éomer était si fort et si grand par rapport à elle, la dépassant de plus d’une tête, qu’il la portait comme une plume, comme si elle était aussi douée que lui. Tous les autres danseurs semblaient d’une indifférence bienveillante envers eux, et cela la soulagea : dans le Rohan, elle se sentait plus libre, moins observée, et ses scrupules s’évanouirent. Elle passa alors, de loin, la plus belle soirée de sa vie.

Alors que la soirée touchait à sa fin et qu’Éomer prit congé de ses invités, en les laissant néanmoins continuer à s’amuser jusqu’à l’aube, elle le regarda partir vers ses appartements en jetant un dernier regard vers elle. Elle savait ce que ce regard voulait dire…

Elle se leva quelques minutes plus tard, prit congé de quelques invités restants, Faramir étant parti se coucher depuis longtemps, et se dirigea à son tour vers les couloirs du palais, dans l’idée de rejoindre Éomer dans sa chambre. Mais elle tomba alors nez à nez avec…Umiel.

- Je te dis bonsoir, Alcara, lui dit-elle en remettant sa fourrure sur ses épaules et touchant ostensiblement son grand collier scintillant. C’était une soirée mémorable, les soldats sont très heureux.

- Je te dis bonsoir à mon tour, Umiel, répondit Alcara en lui souriant poliment, un peu gênée qu’elle vienne lui adresser la parole à part, de cette façon. J’espère que tu es heureuse dans l’Estfolde.

- Je suis satisfaite, répondit-elle en regardant son mari du coin de l’oeil, qui semblait parler avec insistance à une jeune femme blonde. Disons que nous avons…un bon arrangement, à présent. Quant à toi, ajouta-t-elle, je ne t’avais jamais vue si radieuse.

- Vraiment ? répondit Alcara, soudain plus méfiante. C’est la victoire de la guerre qui m’a rendue heureuse.

- Vraisemblablement, répliqua Umiel en scrutant son visage. On n’avait jamais vu le roi danser depuis bien longtemps, et chaque fois, c’était avec toi… tu as l’air de lui porter chance.

- Peut-être, répondit évasivement Alcara en haussant les épaules.

- Je sais que… dans le Rohan, cela importe peu, ajouta Umiel en s’approchant d’elle, comme pour faire une confidence. Mais rien n’est jamais secret, sur la Terre du Milieu. Je te souhaite le même dénouement que pour moi, à la différence que…tu n’as pas une Alcara pour te sauver la mise. Sois vigilante.

- Par rapport à quoi ? se défendit Alcara, en se reculant légèrement.

- Le mariage reste la meilleure des défenses, c’est tout ce que j’ai à te conseiller.

Et Umiel partit, laissant Alcara pensive. Prise par un mélange de remords et de crainte, elle décida alors de retourner dans sa propre chambre.

Vers cinq heures du matin, elle n’arrivait toujours pas à dormir, harcelée de nouveau par des cauchemars. Umiel avait réveillé en elle le doute qui l’avait assaillie dès l’instant où elle était restée la première fois dans la chambre d’Éomer. Une partie d’elle-même obéissait aux idées des femmes de la Terre du Milieu : qu’il ne fallait pas s’engager avec un homme sans s’assurer que le mariage serait prévu, que la réputation d’une dame pouvait se ternir en une seconde… et une autre partie d’elle-même s’insurgea contre de tels clichés. N’avait-elle pas combattu à l’un des tournois les plus célèbres, celui du couronnement d’Aragorn, alors qu’aucune femme n’était censée concourir ? N’avait-elle pas défendu Edoras et tué plus d’Orques encore qu’à Fondcombe ? N’avait-elle pas…des pouvoirs, certes imprévisibles et non maîtrisés, mais qu’aucune autre ne possédait ?

Mais alors, pouvait-elle s’abstraire des règles qui régissaient la vie des autres femmes ?

Une seule chose s’imposa alors à elle, mettant fin à son débat intérieur : Éomer, à qui elle pensait à chaque seconde. Elle avait tant attendu ces moments où il lui avouerait enfin son amour, allait-elle rater la moindre occasion de profiter de ces temps passés avec lui ? Elle ignorait pourquoi, mais elle pressentait une urgence à le voir, comme si un jour, cela risquait de ne plus arriver.

Alors elle soupira, sortit de son lit et mit sa robe de chambre, et arpenta pieds nus les couloirs froids de Meduseld, pour ne pas réveiller les invités endormis.

Elle arriva devant les appartements d’Éomer, où il fallait traverser son bureau pour aller vers sa chambre. Elle inspira en pressant la poignée qui, heureusement, n’était pas fermée à clé, et entra dans le bureau. Elle s’avança ensuite sur la pointe des pieds vers la porte de sa chambre, et tenta à nouveau d’ouvrir : mais cette fois, la porte était fermée à clé. Elle soupira, et se dit à elle-même à voix haute un juron elfique. Elle sentit alors son remords et sa pudeur reprendre le dessus : Éomer avait dû l’attendre pendant des heures, et lui en vouloir à présent. Umiel avait réussi à leur gâcher la fête avec ses sous-entendus…

Mais alors qu’elle se dirigeait vers la porte du couloir, elle entendit la porte de la chambre se déverrouiller, et Éomer, torse-nu, ouvrit grand la porte. Sans rien dire et sans hésiter, il alla vers elle et la porta sur son épaule, provoquant chez elle une exclamation étonnée. Et toujours sans rien dire, il la porta vers sa chambre et claqua la porte avec son pied.

 

Chapter 32: Le Pouvoir De La Rumeur

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Le Pouvoir De La Rumeur

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Ce fut un hiver long mais joyeux : la guerre avait enrichi le Rohan, et on sentit les habitants retrouver l'esprit léger, malgré le froid et les longues nuits qui retardaient l'arrivée du printemps.

Après leur conversation, Alcara ignorait ce qu'Éomer avait annoncé à Faramir et à Eowyn sur le fait qu'il lui avait demandé de rester à Edoras, et elle n'osa pas en reparler. Elle avait seulement envie de profiter de chaque instant, sans trop penser au lendemain, et se cachait à elle-même les problèmes possibles : quitter Eowyn qui repartirait seule en Ithilien, se faire accepter définitivement comme une des leurs par la société des Rohirrim, inviter Gandalf à Edoras, et apprendre de sa bouche des révélations peut-être difficiles, ou incomplètes. Elle avait envie de profiter enfin de son bonheur, et Éomer semblait être du même avis.

Alors que la neige commençait à fondre partout dans le royaume, Alcara se rendit au chevet d'Eowyn, alors qu'elle tissait un étendard représentant le blason d'Ithilien. Mais après un moment de discussion légère, le sourire s'effaça du visage de la princesse.

- Que se passe-t-il? lui demanda Alcara en remarquant son silence pensif.

- Je repense à ma situation, avoua Eowyn, j'espère que tout se passera bien. Cela fait plusieurs semaines que je dois rester dans ma chambre, et dès que je vais dehors, je me sens faible. Et pourtant s'il y a bien une chose que je hais par-dessus tout, c'est de rester enfermée dans une chambre, pendant des jours et des jours...

- Nous allons essayer de te faire sortir tout doucement, la rassura Alcara. A présent que la neige a fondu, le temps sera plus agréable.

Mais elle tourna la tête, et vit la pluie abondante qui tombait, comme si le ciel voulait se moquer de ce qu'elle venait de dire, ce qui fit un peu rire Eowyn. Cette dernière retrouva néanmoins son visage grave.

- Je n'ai peut-être pas un corps fait pour être mère, s'inquiéta-t-elle.

- Ne dis pas de sottises! s'exclama Alcara. Je suis là, et je veillerai sur toi.

Et en effet, elle avait repris activement ses recherches pour trouver des remèdes qui puissent convenir à une jeune mère ou à un nouveau-né.

- Et de toutes façons, cela ne devrait plus tarder, ajouta Alcara : à la fin de l'hiver, tu seras libérée.

Eowyn ne répondit rien et ses joues rosirent légèrement. Elle avoua finalement, en faisant semblant de continuer à tisser l'étendard :

- Je pense qu'il arrivera avant cela... Comme la première grossesse.

Alcara la regarda en haussant les sourcils, et Eowyn ajouta :

- Avec Faramir nous n'avons pas...attendu le mariage. Mais cela est assez fréquent dans le Rohan! ajouta-t-elle pour se justifier.

- Tu n'as pas à m'expliquer quoi que ce soit, dit Alcara avec bienveillance. Par contre, c'est important pour prévoir l'accouchement avec suffisamment de précision.

Eowyn hocha la tête et ajouta, l'air de rien :

- En parlant de cela, on me dit qu'Éomer n'a jamais semblé aussi heureux que depuis quelques semaines. Et qu'il a demandé à danser avec toi plusieurs fois lors des dernières festivités. Alors qu'il ne danse pas souvent.

Alcara ne répondit rien, regardant négligemment par la fenêtre.

- On dit aussi...que tu ne dors plus très souvent dans ta chambre!

Alcara se sentit rougir énormément, et poussa une exclamation choquée.

- Qui a bien pu te raconter cela?

- N'oublie pas qu'Erindal, la gouvernante du palais, habite aussi dans Meduseld, les domestiques lui racontent tout, dit Eowyn en souriant.

Le cœur battant, Alcara se pencha vers Eowyn, se préparant à se justifier, mais elle dit avant elle :

- Moi non plus, tu n'as pas à m'expliquer quoi que ce soit. Et encore une fois, le Rohan est une région plus libre que d'autres royaumes. Je n'en parle surtout pas pour te juger, Alcara, je te le dis pour que tu sois prudente.

Alcara, interdite, fronça les sourcils, repensant un moment à sa discussion pénible avec Umiel.

- Toute la cour d'Edoras saura bientôt que vous formez un couple, et je suis la première à en être heureuse, car les dieux savent que je l'ai souhaité de tout mon cœur. Mais nous avons tout de même des traditions tenaces : si Éomer ne t'épouse pas, tu auras la réputation d'une courtisane qui a voulu le séduire pour prendre le pouvoir, et je ne peux m'y résoudre. Et jamais je ne t'imposerai de nous suivre en Ithilien pour sauver ta réputation, au risque de briser le cœur de mon frère.

- Mais je ne peux pas non plus lui réclamer de m'épouser, ajouta Alcara, la gorge serrée. Sinon, on pensera vraiment que j'ai voulu le séduire pour devenir reine.

- C'est pourquoi je te conseille la plus grande prudence. Je sais que ce n'est pas le fort d'Éomer, qui a toujours été très émancipé et ne se préoccupe pas des on-dit. Mais je sais aussi qu'il a grandi parmi des guerriers, il a une vision un peu...naïve de la réalité, et connaît mal les pressions et les règles qui régissent la vie des femmes. Il oublie un peu vite que nous n'avons pas le même sort que les hommes. Surtout quand les femmes finissent par attendre des enfants dits "illégitimes".

- Je fais attention que cela n'arrive pas, lui confia Alcara en baissant les yeux. Je suis guérisseuse, ne l'oublie pas.

- Je le sais, et je te fais confiance. Je fais aussi confiance à Éomer. Mais je ne fais pas confiance dans la force de la Rumeur.

Alcara ne répondit rien, et regarda Eowyn, en hochant la tête silencieusement.

- Gandalf va venir nous rendre visite dans un mois, dit-t-elle. Je vais lui poser quelques questions. Si je pouvais épouser Éomer, le Rohan réclamerait de connaître mon passé, et ma généalogie.

- C'est une bonne chose, répondit Eowyn en continuant de tisser. Et d'abord pour toi-même, tu as le droit de savoir d'où tu viens.

- Je désire le savoir, et je crains d'en connaître davantage, avoua Alcara.

Eowyn se tourna vers elle, et vit l'inquiétude dans ses yeux. Avec un visage serein, elle lui répondit:

- Tu as raison de te préparer à tout, mais surtout, promets-moi une chose : quoi qu'il arrive, aie confiance. Confiance en toi-même pour tout surmonter, confiance en l'amour d'Éomer, confiance en mon affection pour toi. Tu es unique, Alcara, courageuse et puissante. Et ton pouvoir, quel qu'il soit, tire bénéfice de cette confiance.

Alcara sentit une larme monter, mais inspira fort pour la retenir. De Minas Tirith à Edoras, les femmes qu'elle était amenée à rencontrer semblaient toujours d'une grande bienveillance avec elle, et lui redonnaient de la force. Même Umiel, qui semblait avoir été malveillante envers elle, lui avait en réalité donné un conseil précieux.

- Merci, Eowyn. Je dois te laisser, mais sache que je suis heureuse que nous soyons amies.

Et Eowyn et elles se prirent dans les bras l'une de l'autre, en souriant.

 

Pour ne pas inquiéter Éomer, Alcara continua comme d'habitude de venir le retrouver à la nuit tombée, en toute discrétion. Mais un soir, elle croisa un domestique, et dut faire tout le tour de l'étage pour qu'il ne voie pas où elle se rendait. En entrant dans son bureau, elle soupira : devrait-elle jouer à cache-cache encore longtemps ? Elle se sentit soudain agacée de devoir faire tant d'efforts pour le rejoindre, alors qu'il ne lui avait jamais rendu visite dans sa propre chambre. Mais il était le roi, il serait encore plus incongru qu'il se promène toutes les nuits dans les couloirs du palais...

En entrant, elle le découvrit encore à sa table de travail, en robe de chambre, finissant de lire et de signer des documents officiels. Il se tourna vers elle et lui sourit, en l'invitant à entrer. Elle vint se tenir debout à côté de lui, s'appuyant sur le dossier de son grand fauteuil, et caressa machinalement ses cheveux blonds en jetant un œil sur les papiers écrits en vieux rohirrique et couverts de cachets de cire. Elle se rappela alors que sa charge de roi, entre les conseils, les déplacements et les jugements, était fastidieuse et chronophage, et que ses moments de légèreté avec elle lui permettaient de s'échapper de ce quotidien qu'il n'avait pas choisi. Elle se sentit coupable de vouloir aborder avec lui la suite de leur idylle, pour l'instant constituée essentiellement d'ébats passionnés où ils ne discutaient jamais vraiment, et de lui ajouter un souci supplémentaire.

En regardant pensivement les chandelles sur la table, elle eut une prise de conscience : depuis la bataille d'Edoras et le début de sa relation avec Éomer, elle n'avait plus manifesté le moindre pouvoir magique, et elle se demanda pourquoi. Cela n'était pas arrivé avec Legolas, autrefois, où elle avait continué à faire apparaître spontanément des roses. Était-ce dû au fait de vivre davantage dans le monde des Hommes et de ne jamais aborder le sujet ? Était-ce une façon de "préserver" Éomer, dont elle connaissait bien la réticence face à la magie ?

Elle n'eut pas le temps d'y penser davantage, car Éomer se retourna vers elle, et lui dit simplement : "Viens par ici", en entourant sa taille de son bras et en l'invitant à s'asseoir sur ses genoux.

Il l'entoura de ses grands bras, où elle se sentit d'un coup toute petite, et il continua à travailler en lui embrassant de temps à autre la tempe ou les cheveux. Elle appuya sa tête sur son épaule et enlaça sa taille de ses bras, en profitant de ce moment de tranquillité. Elle n'avait pas encore l'habitude de le retrouver sans qu'il n'ait envie, comme elle, d'assouvir impatiemment, ardemment leurs désirs, et ce moment de calme sembla opportun.

Quand Éomer eut fini de signer le dernier parchemin, elle redressa la tête et le regarda.

- Tu as une journée bien studieuse, on dirait, lui murmura-t-elle.

- Ennuyeuse, tu veux dire, lui répondit-il en soupirant et en s'appuyant sur le dossier de son fauteuil, en l'enlaçant à son tour. Je n'ai même pas pu chevaucher, aujourd'hui. Et toi ? demanda-t-il en se tournant vers elle.

- Studieuse et ennuyeuse aussi, avoua-t-elle, sauf pour la partie où je dois éviter de croiser des domestiques ou des Rohirrim quand je te rejoins ici.

Il la regarda, mais ne répondit rien, se contentant de caresser ses longs cheveux et de se pencher vers elle, les yeux de nouveau assombris par le désir.

- Sans ces nuits avec toi, je serais un roi bien triste à voir, lui chuchota-t-il, avant de l'embrasser passionnément.

Comme toujours, le corps d'Alcara réagit à l'inverse de son esprit : il devint immédiatement brûlant, impatient, prêt à tout avec lui. Elle se demanda même s'il n'y avait pas une alchimie particulière de leurs deux corps pour vouloir se porter aussi souvent l'un vers l'autre. Mais son entendement reprit le dessus, et elle le repoussa gentiment, en se levant de ses genoux.

- Je suis sérieuse, Éomer, répondit-elle. Chaque soir, je dois louvoyer comme si je faisais quelque chose de mal.

- C'est peut-être bien le cas, si l'on suit les lois de certains royaumes, plaisanta Éomer.

Mais elle se posta dos à lui et joua machinalement avec une plume à encre, et il comprit qu'elle était inquiète.

- Tu n'as pas à t'inquiéter, la rassura-t-il. Aucun des domestiques n'a intérêt à me fâcher. Ils me connaissent tous depuis l'enfance...

- Mais ils sont nombreux à m'avoir vue, répondit-elle, nerveuse, en se tournant vers lui, s'appuyant sur la table. Les femmes qui m'ont amenée dans ta chambre, ceux qui ont apporté des plateaux, et ce ne sont sûrement pas les seuls ! Il y aura forcément des rumeurs !

- Des rumeurs disant que celle qui a trouvé l'élixir des Invincibles, qui connaît personnellement Gandalf, Aragorn, Arwen, qui est la guérisseuse d'Eowyn, aurait une relation avec le roi, et donc que leur roi ne vit pas seulement pour se battre et régner? répondit Éomer, assis au fond de son fauteuil, la tête penchée en arrière pour la regarder.

- En un mot, oui, répondit-elle, un peu désarçonnée, et je ne savais pas qu'on l'appelait l'élixir des Invincibles?

- En effet, lui dit-il en la regardant d'un air amusé. Nous en reparlerons plus tard, car tous nos alliés en veulent à présent et je ne sais pas si nous aurons assez de fleurs pour abreuver toute la Terre du Milieu... Tu sais, ajouta-t-il après un silence, être roi implique beaucoup de contraintes, mais aussi de pouvoir décider de certaines choses. Comme par exemple, de choisir celle qu'on aime.

Alcara sourit et rougit légèrement, mais ajouta :

- Parmi les contraintes, il y a celle de trouver une dame de haute noblesse, ou une princesse, pour monter des alliances avec d'autres royaumes et prévoir sa descendance, précisa Alcara.

- Très bien, dit Éomer en se redressant, les coudes sur ses genoux, et en comptant sur les doigts de sa main. Prenons les arguments un par un : les alliés, j'en ai plus qu'il ne m'en faut, de la Comté à l'Ithilien. J'ai combattu aux côtés des Hobbits, d'Aragorn, et même des elfes et de quelques nains, ma foi fort sympathiques, mais qui désertent la Terre du Milieu. Le Prince d'Ithilien, Faramir, est mon beau-frère. Quant à la descendance, il me semble qu'Eowyn est en bonne voie pour s'en charger, et je m'en préoccuperai pour ma part le moment venu. Mais j'aurai au moins un neveu pour me succéder, comme j'ai succédé à mon oncle.

- Ou une nièce, ajouta Alcara malicieusement.

- Tout à fait, confirma Éomer en souriant. Tu le sais bien, je n'ai pas choisi de devenir roi, et je refuse de me plier aux traditions absurdes comme les mariages arrangés. J'aime beaucoup trop ma liberté. Et j'ai l'impression que toi aussi.

- C'est juste, confirma-t-elle en baissant les yeux. Mais j'avais l'impression que la liberté n'était pas un mot à l'ordre du jour dans les cours royales...

- Ça l'est pour moi, insista Éomer en lui prenant la main. Personne ne m'imposera mon choix. Sinon, je t'enverrai défendre mon honneur !

Alcara éclata de rire, rassurée. Éomer avait bien changé depuis ses réticences premières, il assumait ses sentiments en s'affranchissant des règles qui l'avaient conduit au trône.

- D'ailleurs, je ne t'avais pas vu dans le public du tournoi de Minas Tirith, remarqua Alcara, quand j'avais combattu ce moins-que-rien de Dol Amroth.

- J'étais dans les coulisses, expliqua Éomer, figure-toi que je suis passé juste après toi. Autant dire que tu m'as volé la vedette. Mais je n'ai rien manqué de ton combat.

- Vraiment ? dit-elle en fronçant les sourcils, mais je ne t'ai pas vu de la soirée ensuite.

Éomer baissa les yeux, et soupira.

- Puisqu'il faut tout te dire, confia-t-il, je t'ai vue combattre et te faire acclamer, puis je t'ai vue le soir, resplendissante dans ta robe aux couleurs d'Arwen, et avec elle et Eowyn, vous sembliez trois divinités soeurs, et j'ai été intimidé.

Alcara haussa les sourcils, très étonnée.

- Ensuite, ajouta-t-il en caressant pensivement sa main, je t'ai vue danser avec tous ces rois et futurs rois, et ces elfes ; tu semblais parfaitement à l'aise, et cela m'a encore plus intimidé. J'avais l'impression que je ne pouvais pas t'impressionner avec le royaume plus rudimentaire du Rohan. A partir de ce moment, je me suis fermé. Et je me suis focalisé sur la conduite du royaume. Mais j'ai été rattrapé par mes sentiments.

- Alors que j'étais complètement terrorisée ce soir-là, avoua Alcara. Sans le soutien d'Eowyn et d'Arwen, j'aurais fui à toutes jambes pour m'enfermer dans ma chambre. Je ne me sentais...

- ...pas à ma place, compléta Éomer en même temps qu'elle.

Ils se regardèrent longuement : finalement, ils se comprenaient mieux qu'ils ne le pensaient.

- Fais-moi confiance, ajouta-t-il, en serrant sa main dans la sienne. Et surtout, ne t'inquiète pas pour des bêtises. Cela n'en vaut pas la peine.

Éomer avait l'impression que les rumeurs étaient sans importance, face à tous les enjeux qu'il devait assumer au quotidien, les guerres ou les responsabilités de roi. Alcara savait bien que les histoires de réputation la concernaient plus que lui. Mais elle lui fut reconnaissante de remettre de la rationalité dans ses peurs, même si elle se sentait incapable de se pavaner jusqu'à ses appartements, en faisant fi des on-dit.

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Éomer se leva et se plaça devant elle, à moitié assise sur le bureau, et appuya ses mains sur la table, pour l'entourer et l'embrasser. Elle se sentit suspendue à ses lèvres chaudes et réconfortantes, dont la douceur était toujours incroyable. Mais comme toujours, il ne pouvait se contenter d'un baiser léger et chaste, et l'embrassa longuement, de plus en plus profondément et passionnément, la caressant sur tout le corps, et remontant peu à peu la jupe de sa robe de chambre et de sa chemise de nuit.

Mais elle se leva de la table pour lui échapper, et lui dit en souriant :

- La soirée ne fait que commencer, je vous trouve bien impatient, votre Majesté.

- Il ne faut pas mettre ce genre de tenue, dans ce cas, répliqua-t-il en faisant à son tour un sourire carnassier.

Mais elle resta près du bureau, et se servit un verre de vin.

- J'aimerais ne jamais quitter cette chambre, déclara-t-elle en buvant son verre, tout en le regardant.

- Moi non plus, dit-il à son tour. Je pourrais régner depuis mon lit, ce serait une nouvelle forme de gouvernement?

- Les chevauchées te manqueraient trop, remarqua-t-elle.

- À toi aussi, surtout que Remèan t'adore, maintenant. On ne le ressuscite pas tous les jours !

- C'est vrai, admit-elle, et je ne l'ai pas vu depuis plusieurs jours...

Éomer lui prit le verre des mains, le termina et le posa, et sans la prévenir, il lui enleva sa robe de chambre et l'aida à ôter sa chemise de nuit, sans qu'elle n'émette la moindre protestation mais avec un sourire entendu et le coeur battant à nouveau la chamade.

- Je veux te voir entièrement nue, tout le temps, déclara-t-il sur le même ton que s'il avait énoncé une ordonnance royale.

Alcara rit :

- Je t'imagine l'écrire sur un traité très officiel, avec un cachet de cire !

Éomer fouilla alors immédiatement dans les papiers de son bureau, et trouva une petite bague en or avec un sceau.

- Voilà, dit-il, je peux tout décider avec cela. Il suffit de me dicter.

- Commençons par décider qu'on a le droit de toucher le roi en premier, plaisanta Alcara.

Éomer éclata de rire, et lui caressa la joue.

- J'ai l'impression que cette remarque d'Erindal a laissé une trace très forte!

- Si j'avais pu te toucher avant, les choses se seraient peut-être déroulées autrement, lui dit-elle d'un ton séducteur.

- Attention, ma Dame, je vais devoir vous attacher à nouveau...

Ils s'embrassèrent de nouveau tendrement. Alcara se leva et regarda alors à nouveau les documents de la table de travail. Elle vit parmi les cartes, une vue de tous les champs et de toutes les cultures du Rohan.

- Cette carte est impressionnante! remarqua-t-elle, je ne savais pas qu'on pouvait être si précis.

- Nous avons aussi de bons géographes dans le Rohan, dit Éomer, en regardant la carte à côté d'elle, tout en en profitant pour respirer l'odeur de lavande de ses cheveux et les caresser.

- Il y a beaucoup de céréales, remarqua-t-elle, mais peu de vergers...

- Les landes et le vent ne le permettent pas, dit-il en commençant à lui embrasser l'oreille. Et le sol est trop acide à certains endroits.

- Peut-être qu'autour du fleuve, la terre est plus fertile, réfléchit Alcara à voix haute, pendant qu'Éomer lui caressait les cheveux et lui embrassait à présent la tempe et la joue. Mais il faudrait un système de serres pour empêcher le froid et la neige...

- Je vais te faire entrer dans mon conseil royal, dit Éomer en lui caressant le dos. Tu as plus d'idées que mes conseillers. Et tu seras ma conseillère entièrement nue, avec simplement des cartes à la main.

Alcara rit et se tourna vers lui. Il ouvrit sa propre robe de chambre, et engloba Alcara dans ses pans, pour la rapprocher encore de lui. Il était déjà entièrement nu, comme pour se préparer à sa venue, et cela l'amusa. Il l'embrassa à nouveau passionnément, l'entourant de ses bras, et caressant les courbes de son corps.

Alcara sentit son corps chaud et de nouveau, l'effet qu'elle avait sur lui.

"Tu me rends fou", lui souffla simplement Éomer.

Et alors, il enleva sa robe de chambre, et d'un coup de bras, repoussa toutes les cartes pour y étendre son vêtement. En un mouvement, il prit Alcara par la taille et la coucha sur le meuble. Penché sur elle, il l'embrassa encore plus passionnément, liant sa langue à la sienne, respirant ses cheveux, sa peau. Alcara, elle aussi, s'abreuvait de lui, de son odeur, de sa chaleur, de la douceur de ses gestes, de sa beauté. Ils ne lassaient pas de se découvrir, de se chercher. Éomer se redressa pour l'observer de toute sa hauteur : abandonnée dans ses mains, couchée sur la table, le regardant avec envie, les joues rosies et la bouche entrouverte, elle était plus belle et plus désirable que jamais. 

Il caressa doucement de ses grandes mains de guerrier les reliefs de sa poitrine et de ses hanches. Il ne put alors résister plus longtemps, il lui prit les hanches et la pénétra abruptement, déclenchant en elle un frisson et un gémissement. Éomer était entré directement, profondément en elle, et Alcara, déjà prête à l'accueillir, sentit immédiatement un foudroiement de plaisir. Il commença alors des gestes de va-et-vient, sa peau claquant contre la sienne, et Alcara, cherchant à s'agripper à la table sans y parvenir, se livra totalement à ses mains, sentant ses soupirs et ses gémissements s'intensifier. Éomer, pour accentuer encore son désir, caressa avec sa main droite l'entrée de son intimité et doubla ses réactions. Alcara, sentant tous ces plaisirs à la fois, ne sut plus où donner de la tête, profitant simplement de ses sensations immédiates, animales, charnelles, sous la force et le désir d'Éomer, qui ne la quittait pas des yeux et laissait échapper des soupirs et des râles de plaisir de plus en plus puissants. Il n'avait jamais eu une vision aussi belle, aussi forte que celle d'Alcara, soumise à ses mouvements, s'élevant peu à peu vers l'apogée. Finalement, Alcara sentit un cri plus fort lui échapper, alors qu'elle atteignait le pic de son plaisir ; Éomer, un instant plus tard, se répandit en elle.

Il se retira ensuite, la redressa et la porta comme une plume, ses jambes toujours autour de sa taille, jusqu'à la chambre à nouveau, et pour plusieurs heures. Et pourtant, elle ne put s'empêcher de se dire, avant de s'endormir, qu'elle devait rester prudente. Elle le sentait. 

 

Chapter 33: Nouveau-Né

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Nouveau-Né

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Alcara passa le reste de la journée et le lendemain dans son laboratoire. Elle commençait à avoir terminé l’ensemble des remèdes possibles pour des jeunes mères et pour les nouveaux-nés, et demandait à Lafindal, la jeune servante qui l’aidait, de préparer les potions favorisant l’allaitement ou réduisant les éventuelles hémorragies.

Elle resta volontairement loin d’Éomer, après les conseils prodigués par Eowyn. Il ne fallait pas qu’elle s’impose dans sa charge de roi, au conseil ou lors des procès qu’il devait présider entre certains sujets. Il ne fallait pas qu’elle donne l’impression de vouloir influencer son jugement. Et par ailleurs, elle savait que quand elle le voyait, sa volonté fondait comme neige au soleil.

Par ailleurs, Faramir, de plus en plus préoccupé par l’imminence de l’accouchement, passa souvent au laboratoire, pour se renseigner sur les remèdes et mieux les connaître, s’il devait aider Eowyn. Alcara apprécia de lui apprendre, en même temps qu’à Lafindal, leurs différentes propriétés et leurs dosages.

Une de ces après-midis, alors que Lafindal l’aidait à embouteiller les derniers remèdes, Alcara repensa à sa situation, et s’aperçut qu’elle se posait toujours la même question par intermittence depuis plusieurs années : quelle serait la suite? Où allait-elle aller, où allait-elle vivre définitivement ? Est-ce qu’un jour, Éomer irait jusqu’à lui proposer de l’épouser ? 

Mais il semblait vivre lui aussi l’instant présent et ne pas se préoccuper de l’avenir, comptant sur Eowyn pour un héritier au Rohan. Serait-il comme Legolas, faisant d’abord passer l’exploration de la Terre du Milieu avant elle, alors qu’elle aurait pu le suivre, se battre elle aussi s’il le fallait ? Et elle, quelle patrie allait l’adopter pour de bon ?

À ce moment-là, la porte s’ouvrit. Éomer entra. 

Il descendit les marches et salua de la tête Lafindal, qui avait fait une révérence très respectueuse. Il fixa ensuite Alcara avec un air malicieux et ses habituels yeux pétillants, qu'Alcara parvenait à présent à décrypter.

« Lafindal, pourrais-tu nous laisser s’il te plaît? lui demanda-t-elle doucement. Je vais me charger des flacons. »

La jeune fille hocha la tête et sortit en refermant la porte derrière elle. Alcara et Éomer se regardèrent un certain temps, toujours happés l’un par l’autre dès qu’ils se voyaient. Le temps ne semblait pas atténuer leur passion.

- Je t’ai enfin trouvée, dit Éomer en la regardant au fond des yeux.

Alcara se leva alors et commença à verser la potion dans les flacons.

- Je termine quelques remèdes.

- Est-ce que cela a quelque chose à voir avec Eowyn?

Après un silence, Alcara le regarda et répondit :

- Il faut se préparer à toutes les éventualités. Qu’est-ce qui t’amène dans mon sanctuaire? lui demanda-t-elle ensuite.

- La curiosité, je dois l’avouer. Je n’étais pas encore revenu depuis que tu as tout installé, et je dois dire que tu n’en parles pas beaucoup. Alors je venais voir par moi-même tes expériences... Il paraît que Faramir passe fréquemment.

Alcara s’arrêta de verser et le regarda :

- En effet, il vient prendre des nouvelles des remèdes que nous préparons pour Eowyn.

- Cela semble beaucoup l’intéresser, ajouta Éomer toujours en la fixant, et Alcara crut y retrouver son regard inquisiteur du passé.

Elle posa sa fiole un peu plus vivement sur la table, et lui répondit :

- Oui, c’est vrai, il aime tellement Eowyn qu’il a peur pour elle, et pour son enfant. Il a besoin d’être rassuré. Il passe donc de temps en temps seulement quelques instants, nous rendre visite avec Lafindal, qui est là elle aussi. Et je ne sais pas qui te l’a raconté ni comment, mais tu aurais dû me poser la question directement. Je n’ai rien à te cacher.

- Tu aurais dû m'en parler quand même, lui dit Éomer avec le regard autoritaire qu’il pouvait lancer quelquefois à ses sujets.

- Je n’aurais jamais cru que tu aurais eu des doutes pareils. Je ne peux pas indéfiniment te prouver que tu peux me faire confiance, Éomer.

En se rendant sans doute compte que cela pouvait résonner avec leur passé, et notamment ses accusations de sortilège sous l’arbre d’Eorl, Éomer eut des regrets et calma sa colère.

- Excuse-moi, soupira Éomer après un silence, en s’asseyant.

- Tu commences toi aussi à écouter les rumeurs, remarqua Alcara. Je t’avais dit qu’elles étaient insidieuses, et tenaces!

- C’est possible…

- Ne serais-tu pas jaloux ?

Éomer leva les yeux et vit qu'Alcara le regardait avec un léger sourire.

- Peut-être bien, lui dit-il avec défi en se penchant vers elle par-dessus la table, mais c’est une preuve que je tiens à toi, tu ne crois pas ?

- Tout dépend du degré de jalousie, répondit Alcara en le regardant à son tour avec défi.

Il sourit en baissant les yeux, ce qui était un demi aveu.

- Éomer, dit-elle en tendant ses mains pour prendre les siennes de l’autre côté de la table. C’est toi que j’aime, et personne d’autre. N’écoute pas les mauvaises langues.

Éomer la regarda, et hocha la tête en silence.

- Être roi m’a quelque peu… tendu. Et je suis toujours entouré de conseillers qui pensent savoir quoi faire, mieux que moi-même.

- Je sais que tu fais ce qui est juste, le rassura Alcara. Ce n’est facile ni pour Aragorn, ni pour Faramir, et contrairement à toi, ils n’ont pas choisi d’aimer une guérisseuse.

Éomer releva la tête et la regarda en plissant les yeux, semblant réfléchir à quelque chose. Finalement, il se leva et fit le tour de la table vers elle, en disant : « Mais nous ne sommes pas les autres, alors fêtons l’instant présent et prenons le temps de nous détendre. »

***** Suite réservée aux lecteurs adultes******

Il se plaça juste derrière elle, les mains sur sa taille, se penchant au-dessus de son épaule pour la regarder travailler. Mais peu à peu, pendant qu'Alcara continuait de verser tranquillement les potions, une de ses mains remonta tout doucement jusqu’à son sein. Il commença aussi à lui embrasser les cheveux, la joue, puis le cou.

- Éomer, soupira Alcara en souriant, je dois finir…

- Bien sûr, répondit Éomer dans un murmure, entre deux baisers. Continue, fais comme si je n’étais pas là.

Mais il faisait tout pour la déconcentrer peu à peu. Pendant qu’une de ses mains malaxait doucement son sein, l’autre descendit de sa taille au bas de son dos. Imperturbable, Alcara continuait de préparer ses fioles, mais sa respiration devint plus saccadée.

La main d’Éomer commença à relever peu à peu sa jupe, à l’arrière de ses jambes. Alcara commença à voir sa vue se brouiller, et poussa un hoquet quand Éomer eut retroussé toute sa jupe, et commença à passer sa main sous les jupons, sur sa peau, en haut de ses cuisses arrières. Il laissa doucement passer sa main sur le côté de sa jambe, puis sur son bas-ventre, chaud et déjà un peu moite, et commença à effleurer son intimité avec ses doigts.

Dans le même temps, il avait collé son corps au sien, et frottait doucement son membre raffermi contre ses reins, à travers l’étoffe de son pantalon. Il soupirait de plus en plus intensément dans son cou, lui mordillant l’oreille. Alcara s’accrocha au rebord de la table, ne parvenant plus à se concentrer.

- Mon amour, lui chuchota-t-elle, la porte n’est pas fermée à clé…

- C’est vrai, lui répondit-il en chuchotant à son tour, n’importe qui pourrait entrer à n’importe quel moment…

L’idée que quelqu’un puisse entrer à tout instant et les voir dans cette position, dans un lieu si incongru, au lieu de lui faire peur, attisa son désir, comme un danger supplémentaire, comme s’ils bravaient un interdit. Cette idée embrasa le cœur d'Alcara, rendue aux bras de son amant.

C’est alors qu’Éomer inséra un doigt, puis un deuxième en elle. Elle se pencha naturellement en avant, les mains toujours accrochées au bord de la table. Les mains d’Éomer en elle, la sensation de son membre dur derrière elle, l’étourdirent et son pouls ne cessa de s’accélérer.

Pour ajouter à la montée de son désir, Éomer lui chuchotait à l’oreille des paroles qui la faisaient frissonner: « Ma Dagilin, je suis prêt à tout avec toi…je pourrai te prendre là, tout de suite…tu es si belle… » et elle ne pouvait que l’encourager : « Éomer…Mon amour, tu me rends folle…viens, je t’en supplie… »

Et comme pour exaucer ses vœux, il retira sa main, pencha Alcara légèrement en avant, fit un geste derrière elle, et la pénétra ainsi, par l’arrière, d’un seul coup. Alcara poussa une exclamation étouffée : il était entré profondément en elle, plus loin qu’elle ne l’eut jamais ressenti auparavant. Elle éprouva un plaisir foudroyant, qui lui coupa le souffle. Comme pour reprendre lui-même ses esprits, elle entendit qu’Éomer lui aussi eut le souffle coupé, mais après une pause, commença des mouvements d’avant en arrière, sa main sur ses hanches pour guider ses mouvements, l’autre toujours posée à l’avant sur son intimité.

Alcara eut beaucoup de mal à réfréner ses cris et ses gémissements, de peur que quelqu’un n’entre, et cette situation de secret ajouta du piment à la situation. Éomer soupira dans ses cheveux pour étouffer ses propres râles et on n’entendit que le claquement de leurs peaux et les pieds de la table qui raclaient le sol par ce mouvement.

Alcara avait l’impression d’être dans la salle mais aussi ailleurs, dans un lieu où leurs peaux incandescentes fusionnaient dans une même apothéose de plaisir. Éomer l’enveloppait tout entière, et elle aurait voulu que cela ne s’arrête jamais. Mais le plaisir était trop fort, et elle ne put réfréner une exclamation quand elle atteignit l’apogée de son désir. Éomer, peu de temps après, se répandit en elle dans un râle étouffé.

À bout de souffle l’un et l’autre, ils reprirent leurs esprits, quand soudain, on frappa à la porte. Éomer était toujours en elle, ils risquaient de se faire voir. Et la personne entrouvrait déjà la porte…

- N’entrez pas! cria Alcara spontanément, je manipule des produits dangereux!

- Bonsoir Ma Dame, répondit un serviteur de l’autre côté de la porte, je viens vous chercher pour Dame Eowyn, qui demande à vous voir!

- Très bien, j’arrive dans quelques instants, allez le lui dire, répondit Alcara le plus vite possible pour qu’il n’entre pas davantage.

- Entendu, Ma Dame, répondit le serviteur, et il referma la porte.

Avec un soupir de soulagement, Alcara se redressa un peu, alors qu’Éomer remettait en place ses vêtements comme ses jupons, et sortit son propre mouchoir pour le lui tendre. Elle se retourna pour lui faire face, et il l’embrassa longuement, doucement et tendrement.

- Arrêtons-là, sinon je vais vouloir te prendre à nouveau sur cette table, ou à même le sol…

- Nous l’avons échappé belle, ne tentons pas le sort une nouvelle fois…

- Je suis sûr que ça t’a plu, dit-il en souriant.

- Ça m’a… énormément plu, avoua Alcara en souriant à son tour.

***** Fin de la partie réservée aux lecteurs adultes******

Et ils sortirent ensemble du laboratoire. Mais en arrivant devant les appartements d’Eowyn, ils virent une grande agitation. Faramir arriva au-devant d’eux.

- Vous voilà! s’exclama-t-il. Eowyn a eu des contractions, l’accouchement va commencer!

Alcara se précipita alors dans la chambre, suivie de près par Faramir. En effet, Eowyn semblait avoir de nombreuses contractions à présent.

- Lafindal, va chercher les remèdes et mon sac! dit-elle en épongeant le front brûlant d’Eowyn.

- Est-ce que je dois rester? demanda Faramir, qui commençait à blêmir.

Alcara se tourna vivement vers lui, en lui disant :

- Tu es un guerrier, Faramir, tu as vu pire sur un champ de bataille!

- Cela, je n’en suis pas si sûr…

- Tu as eu le courage de combattre et tu n’aurais pas celui d’assister ton épouse? demanda-t-elle vivement. Reste à côté d’elle, et tiens-lui la main. Je te dirai quoi faire d’autre si c’est utile!

Et Faramir, sans broncher mais avec hésitation, s’assit à côté d’Eowyn, dont les cris de douleur s’accentuaient.

Alcara donna plusieurs ordres aux servantes : enlever les couvertures, ne laisser que les draps blancs, préparer l’eau chaude et les linges. Elle ouvrit son sac apporté par Lafindal pour en sortir tous les remèdes et les instruments, puis vint au chevet d’Eowyn pour vérifier son état et lui poser quelques questions, entrecoupées de paroles pour la rassurer.

- Alcara, demanda Eowyn entre deux respirations, j’ai peur, tu sais…

- Tout va bien se passer, Eowyn, lui répondit Alcara d'une voix calme et volontaire. Tu es une femme forte, tu vas y arriver. Et ensuite, tu seras enfin libérée de ta chambre, nous irons chevaucher à nouveau !

- Oui, c’est vrai, dit Eowyn en souriant timidement, essoufflée par les pics de douleur, c’est une libération qui m’attend !

- Exactement, confirma Alcara. Mets-toi le plus confortablement possible, et nous nous occupons de tout.

Les contractions s’étaient multipliées, l’enfant ne tarderait pas à paraître. Alcara observa attentivement l’ouverture et prit à plusieurs reprises la température d’Eowyn, mais son cœur s’accéléra.

Quelque chose n’allait pas.

- Ma Dame? demanda Lafindal, qui avait vu son regard.

- Faramir, dit Alcara en le regardant et en lui demandant de s’éloigner d’Eowyn pour lui parler, il faut que tu sortes.

Faramir la regarda, inquiet :

- Pourquoi? Que se passe-t-il?

Alcara hésitait à le lui dire, mais il lui prit le bras avec force en disant fermement :

- Écoute, il faut me dire la vérité.

- Les choses ne se présentent pas comme… je le pensais. J’ai besoin que tu sortes. Nous allons devoir faire sortir l’enfant par césarienne.

Faramir la regarda, les yeux agrandis.

- J’ai déjà fait des opérations, tout va bien se passer. Mais cela risque d’être long. Il faudra être patient.

Faramir ne dit rien et hocha simplement de la tête. Il se dirigea vers la porte, mais Alcara ajouta :

- Faramir, ne le dis pas à Éomer, j’ai peur qu’il s’inquiète inutilement. Dis-lui seulement que cela prendra plus de temps que prévu, mais que c’est normal.

- Il n’y verra que du feu, il ne doit rien y connaître en accouchements, dit Faramir avec un ton léger alors que ses yeux montraient son inquiétude.

- Faramir, lui dit Alcara avant qu’il ne sorte : tout va bien se passer, je t’en donne ma parole.

Et elle lui rendit son sourire triste pour le rassurer, puis prononça l’incantation pour endormir Eowyn. Elle inspira un bon coup, essayant d’oublier qu’elle pouvait sauver ou condamner son amie. 

Elle se remémora la Maison de Guérison de Minas Tirith, les multiples blessés qu’il fallait opérer sans distinction, et décida qu’Eowyn était une simple femme comme une autre, qu’elle ne connaissait pas mais qu’elle devait sauver. Elle demanda à Lafindal de l’assister ainsi qu’une domestique de confiance et la nourrice.

Plusieurs heures se passèrent, intenses, démesurément longues. Alcara fut très attentive, précautionneuse, jusqu’à prendre garde à ne pas laisser une cicatrice trop importante. Lorsqu’enfin, elle sortit l’enfant, elle crut au départ qu’il était trop tard : mais après l’avoir réveillé, il cria : elle respira de soulagement.

Il respirait, criait, il était vivant !

Elle se hâta de le confier à la nourrice, pour terminer l’opération sans risque pour Eowyn, et referma la plaie. Pendant ce temps, elle entendait des pas plus nombreux dans la pièce d’à côté : Faramir et Éomer avaient dû entendre les cris de l’enfant. En terminant, elle vérifia qu’Eowyn respirait normalement, mais elle avait encore beaucoup de fièvre, et lui donna un remède.

« C’est un garçon! » s’exclama la nourrice.

Et Alcara, qui se lavait les mains, redressa la tête et alla l’examiner : l’enfant était magnifique, rose et vigoureux, il avait déjà de petits cheveux d’un blond vénitien, même s’il gardait près de la tempe une marque de pression qui aurait empêché un accouchement naturel. La nourrice l’enveloppa dans un linge et lui donna tout de suite à manger pour le rassurer.

Alors, Alcara ouvrit la porte, et Faramir, fatigué mais impatient, se précipita dans la pièce, suivi de près par Éomer. Il courut jusqu’à la nourrice, qui lui confia l’enfant. Il semblait avoir le même regard que quand il avait vu Eowyn pour la première fois.

« Mon fils… » murmurait Faramir, subjugué.

Et Éomer entoura les épaules d'Alcara de ses bras, en lui murmurant simplement : “Merci”. Alcara soupira, à la fois de fatigue et de joie. En regardant par la fenêtre, elle vit que l’aube commençait déjà à naître.

 

Chapter 34: Rivalités

Chapter Text

Rivalités

Musique à écouter sur ce chapitre :

Eowyn et Faramir prénommèrent leur enfant Elboron, et Éomer, fier et heureux d’avoir eu un neveu, invita tous les maréchaux du Rohan et ses alliés à venir fêter l’événement à Edoras. 

Il invita Aragorn et Arwen, Gandalf et toute la communauté de l’Anneau : et c’est avec plaisir, presque un an après la fête de leur mariage, qu’Eowyn et Faramir accueillirent à nouveau leurs amis. Merry et Pippin se rendirent à Edoras, et expliquèrent que Sam venait aussi de donner naissance à un nouvel enfant ; mais Frodon, encore fatigué, avait entrepris un voyage vers Fondcombe pour revoir son oncle Bilbon et n’avait pas pu se joindre à eux. Arwen, qui attendait un nouvel enfant, ne put pas non plus faire le voyage, mais Legolas et Gimli accompagnèrent Aragorn et Gandalf, comme aux temps de la guerre de l’Anneau et avant la bataille du Gouffre de Helm.

Ils arrivèrent dans la ville en apercevant la nouvelle tour de guet, déjà presque terminée, renforcée à sa base par un haut mur de pierre, qui permettait de combler les trous et les failles de la roche qui portait Meduseld. Quelques échafaudages étaient encore visibles en haut de la tour, où les dernières poutres de soutien devaient permettre d'élever la tour plus haut encore, donnant une visibilité beaucoup plus importante jusqu’aux Marches du Rohan.

A leur arrivée, chacun se pencha sur le berceau pour saluer l’arrivée de l’enfant, lui apportant de précieux cadeaux, et félicitant chaleureusement Alcara des soins apportés à Eowyn. Aragorn semblait être particulièrement sensible à cette naissance, peut-être par parallélisme avec son propre fils. Mais Alcara savait à présent que si Arwen avait fait un autre choix, Aragorn et Eowyn se seraient peut-être mariés, et auraient eu un enfant ensemble. On sentait ainsi à leurs regards, qu’Eowyn et Aragorn y avaient pensé, et souriaient à la fois des caprices du destin, de la nostalgie du passé, et des belles surprises que leur avait tout de même réservé l’avenir.

Alcara profita des salutations autour du nouveau-né pour s’approcher de Gandalf, qui la salua aussi chaleureusement que d’habitude. Elle ressentait une certaine hâte à lui parler, depuis qu’elle avait évoqué avec Éomer la nécessité d’en savoir plus sur ses pouvoirs.

- Petite Aube, la salua Gandalf en souriant, et elle remarqua des rides supplémentaires sur son visage, comme s’il avait encore un peu vieilli, malgré son âge indéfinissable.

- Bonjour, Gandalf, lui dit-elle, heureuse de pouvoir lui parler. Est-ce que…

- Je tiens à vous féliciter pour l’élixir des Invincibles, lui dit-il immédiatement. Je l’ai étudié, depuis la guerre d’Ithilien. C’est vraiment remarquable, il n’a aucun effet secondaire, et quelques gouttes suffisent pour guérir tout être blessé, attaqué ou accidenté. Cela va révolutionner le monde à venir.

- Merci beaucoup, répondit-elle, touchée par son compliment, qui avait une valeur particulière de la part du dernier plus grand magicien du monde.

- Peu de personnes auraient été capables d’une telle découverte, ajouta-t-il.

- Peut-être fallait-il avoir des pouvoirs particuliers, remarqua-t-elle, comme pour lui tendre une perche et lui faire comprendre qu’elle voulait aborder ce sujet.

- Il faut surtout des dons uniques de guérisseuse, répliqua Gandalf, en fermant le ban immédiatement.

Elle lui sourit, déçue au fond qu’il décide de ne pas aborder le sujet, ou d’évoquer une discussion à venir entre eux, comme il le lui avait dit autrefois. Mais le moment était sûrement mal choisi. Comme d’habitude, elle devrait prendre son mal en patience…

Elle n’eut pas le temps d’y penser davantage, car Gandalf s’approcha à nouveau vers le berceau, et Legolas s’approcha d’elle pour la saluer, le visage rayonnant. Alcara se sentit dans une position délicate : sa relation avec Éomer était connue dans le Rohan, mais elle ne l’avait pas relatée dans ses lettres à Gandalf, et encore moins à Legolas. Elle doutait qu’Éomer en eût parlé lui-même dans ses correspondances, où il était surtout question de relations amicales et diplomatiques avec ses alliés.

Son intuition fut confirmée lorsque Legolas vint vers elle : elle avait délaissé son pendentif en diamant offert l’année d’avant, mais l’avait remis avant son arrivée, et il recommença à luire de sa propre lumière autour de son cou. Legolas eut un regard vers le collier et spontanément, lui sourit et l’entoura étroitement de ses bras.

- Bonjour, Alcara, lui dit-il. Je suis heureux qu’il ne te soit rien arrivé lors de l’attaque des Orques à Edoras. J’étais prêt à venir sur l’heure pour te défendre !

- Tout va bien, Legolas, lui répondit-elle en sortant de son étreinte, les joues légèrement rosies. Nous avons réussi à les repousser.

Elle se sentit embarrassée par la situation, à la fois par le fait qu’elle n’aie jamais vraiment raconté ce que lui avait dit l’Uruk-Hai à qui que ce soit, et par le fait que Legolas lui avoue qu’il était prêt à courir à son secours, comme l’avait fait Éomer. Auparavant, elle aurait espéré que cela soit une preuve qu’ils pourraient un jour, peut-être, envisager de se retrouver, mais depuis, tout avait changé, et elle hésita à lui faire de la peine en lui avouant son nouvel amour pour Éomer. Et en regardant autour d’elle, elle remarqua qu’Éomer les fixait justement. Comme pour ajouter à cette situation périlleuse, Legolas, qui lui tenait toujours les bras, lui déclara :

- Tu as une mine splendide, il semble que tu aies pris goût aux grands paysages du Rohan !

- Oui, en effet, répondit Alcara de façon très évasive, les paysages sont magnifiques, surtout à cheval, et les habitants sont très attachants.

Et elle ne s’avoua pas complètement à elle-même que l’attitude affectueuse de Legolas à son égard faisait encore un peu bondir son cœur.

Le soir-même, un grand festin les réunit, et Alcara demanda aux Hobbits de lui raconter la suite de leur voyage de retour vers la Comté, et des nouvelles de Frodon et de Sam. Elle apprit alors que Gandalf leur rendait plus souvent visite qu’à elle-même, et cette nouvelle l’agaça involontairement ; elle était impatiente qu’il lui parle enfin de son passé, et il semblait trouver un malin plaisir à retarder ce moment si important pour elle.

Elle se tourna alors vers le magicien, qui était en grande conversation avec Éomer et Aragorn, après avoir parlé encore plus longuement avec Eowyn de son enfant. Alcara soupira : elle détestait le voir fuir ainsi sa présence, mais Gandalf, se sentant observé, croisa son regard et la fixa dans les yeux avec un air si serein, si entendu, qu’elle eut l’impression de le comprendre et son courroux s’évapora. Elle attendrait avec patience qu’il vienne discuter tranquillement avec elle.

C’est alors que Gimli et Legolas vinrent s’asseoir à côté d’elle et lui demandèrent de lui raconter ces derniers mois : la découverte de l'élixir, le combat contre les Orques à Edoras, avant qu’ils ne lui narrent à leur tour la bataille de l’Ithilien. Alcara leur raconta avec bon cœur tous ces événements, retrouvant ainsi avec chaleur leurs conversations d’autrefois, qui lui manquaient un peu. 

Elle s’abstint naturellement de dire que l’événement le plus important pour elle ces derniers mois, avait été avec Éomer. Legolas ne pouvait donc se douter qu’ils partageaient à présent un amour fort, passionnel, et ne vit pas les regards qu’ils s’échangeaient régulièrement au cours du festin. Au fond d’elle-même, Alcara s’en voulait de ne pas lui dire la vérité, mais elle ne parvenait pas à s’y résoudre, comme si une partie de son cœur prenait plaisir à retrouver, avec nostalgie, des traces de son amour passé.

C’est alors que les danses commencèrent : des premières musiques entraînantes amenèrent sur la piste de nombreux participants, mais Alcara n’y participa pas immédiatement, perdue dans ses souvenirs des festins précédents. Eowyn et Faramir furent les premiers à s’élancer, et Legolas se leva pour danser avec des dames de la cour, subjuguées par sa beauté et son adresse. Umiel, revenue avec son époux pour l’occasion, fut l’une des premières à aller vers lui pour danser étroitement avec le prince elfique. 

Pourtant, Legolas envoya à Alcara, à plusieurs reprises, des regards souriants comme pour l’inviter à le rejoindre. Mais Alcara connaissait le caractère d’Éomer, et hésita à danser avec Legolas devant lui.

C’est alors que quelqu’un se tint debout devant elle : Éomer, en habits de fête royaux. Alcara leva les yeux vers lui : ses yeux brillaient d’un regard particulier, qu’elle commençait à bien connaître. Avec sa grande cape, sa couronne et ses cheveux d’or, il ressemblait à un lion qui brillait sous les lueurs de la grande salle, et plusieurs invités se retournèrent pour le regarder.

Il lui tendit simplement la main, sans un mot, alors que les musiciens commençaient un nouvel air, plus doux, sûrement à la demande du roi. Les musiciens firent durer l’introduction, car elle hésitait : Éomer n’avait encore jamais dansé spontanément en présence de ses amis de la Terre du Milieu, et encore moins avec elle. 

Elle se demandait pourquoi il faisait cela, mais elle comprit assez rapidement qu’il l’avait vue parler avec Legolas, peut-être même qu’il l’avait vu l’inviter par ses regards à venir danser, et le roi du Rohan voulait ainsi faire comprendre à tous qu’ils s’étaient rapprochés.

Alcara commençait à connaître le caractère un peu jaloux d’Éomer, qu’il lui avait manifesté dans son laboratoire en évoquant Faramir. Mais elle ne voulut pas le mettre mal à l’aise devant toute la salle, alors elle joua sa partition. 

Elle lui sourit et prit sa main, le cœur battant : elle qui n’aimait pas être dans la lumière était observée par tous les danseurs, qui applaudirent et leur laissèrent de la place au centre de la piste. Parmi eux, elle aperçut Legolas, qui les regardait les sourcils froncés, comme intrigué. Elle se sentit à la fois inquiète et pour la première fois, grisée d’être le centre des attentions, au bras du roi du Rohan qui l’avait choisie, elle.

Éomer, comme pour la rassurer, lui serra davantage la main et lui prit la taille, après avoir enlevé sa cape qu’il avait tendue à son écuyer. Son regard, sa fierté de danser avec elle, lui donnèrent des ailes.

Ils retrouvèrent immédiatement un rythme commun, et Éomer, avec souplesse, la guida et la fit tourner à plusieurs reprises, comme si elle était légère comme une plume. Il était vraiment excellent danseur, et il était dommage qu’il le montre si peu, mais il était prêt à le faire avec elle.

 Ils ne se quittèrent pas un instant des yeux, et leur passion mutuelle, pour ceux qui l’ignoraient encore, crevait les yeux. Elle n’osa pas regarder en direction de Legolas à cet instant, mais elle se demanda ce qu’il pensait. Les autres danseurs autour d’eux, comme elle le sentit, dansaient en les observant attentivement, laissant un espace autour d’eux, comme pour les laisser seuls au monde.

À la fin de la danse, ils se saluèrent et tournèrent enfin les yeux vers les autres convives, qui les applaudirent spontanément, Eowyn la première, ravie qu’il ose enfin danser avec elle devant leurs amis de la Terre du Milieu.

Alcara, un peu essoufflée mais joyeuse, se tourna vers Éomer avec un grand sourire. Mais alors, à la surprise de tous, il prit son visage dans ses mains, et l’embrassa tendrement devant tout le monde.

Alcara, étonnée mais toujours aimantée vers lui comme par magie, lui rendit son baiser amoureusement, oubliant un moment la situation. À la fin de leur baiser, elle se rendit compte de tous les regards sur elle, et rougit affreusement. Tous ceux qui ne venaient pas du Rohan étaient stupéfaits, et les Rohirrim qui avaient entendu la rumeur, surpris de la voir confirmée. 

Un long silence gêné s’installa, et Alcara en voulut d’abord à Éomer d’avoir fait cela devant tout le monde. Mais Eowyn et Faramir, rapidement suivis par les Hobbits, Gandalf et Aragorn, les applaudirent et lancèrent des hourrah. Les Rohirrim, à leur suite, lancèrent les “Skal” traditionnels en levant leurs verres. Éomer et Alcara rirent ensemble et firent une petite révérence au public, comme pour confirmer l’officialisation de leur couple, et Éomer ne cessait de lui prendre les mains avec force. 

Alcara, le cœur battant, profita de cet instant avec bonheur et fierté. Malgré leurs conversations précédentes, malgré le fait qu’Éomer n’ait jamais abordé le sujet, il avait eu le courage de la présenter comme sa compagne aux yeux de tous, et au fond, elle lui en fut reconnaissante.

La musique reprit, et Éomer lui proposa de danser à nouveau : elle accepta sans hésiter, en jetant un oeil sur l’assemblée, où elle vit une grande silhouette aux cheveux d’un blond presque blanc, sortir sur le balcon du palais.

A la fin de la danse, elle demanda à Éomer quelques instants, et il n’accepta qu’à condition qu’elle lui donne un nouveau baiser, ce qu’elle accepta en souriant. Il retourna s’asseoir à côté d’Aragorn, et elle sortit à son tour dans la fraîcheur de cette soirée de début de printemps.

Elle trouva Legolas debout, au bord de la balustrade, observant la vallée sous la lune, en contrebas. Il y avait beaucoup de vent, mais il ne semblait pas avoir froid. En l’entendant, il ne se retourna pas, ayant déjà deviné sa présence, et il dit simplement :

- Je t’adresse toutes mes félicitations, Alcara. Éomer est un grand guerrier, et un grand roi.

Alcara, gênée, se tordait les mains, mais s’approcha en lui confiant doucement :

- Je suis désolée, Legolas, je voulais te l’annoncer, mais c’est difficile à expliquer dans une lettre…

- Je ne te reproche rien, lui dit-il avec douceur, en se retournant vers elle avec un sourire. C’est moi qui suis désolé. Je suis parti, pour la guerre puis pour d’autres aventures. Et je savais que tu ferais partie intégrante de l’Âge des Hommes, contrairement à moi.

- Alors, qu’y a-t-il? insista Alcara en s’appuyant à côté de lui sur la rambarde.

- Je l’ignore, dit-il en fronçant les sourcils. Pour moi, tout était clair, et ma destinée était tracée. Et cette annonce, ce soir, eh bien…je ne l’avais pas vue.

- Tu veux dire que toi aussi, tu peux être surpris? lui dit Alcara en souriant.

- Peut-être bien, confirma Legolas en lui rendant son sourire. Mais je suis sincèrement heureux pour toi.

Après un silence, il ajouta, en regardant son pendentif :

- Je reviendrai de temps à autre dans le Rohan, qui est sur mon chemin entre la Forêt Noire et l’Ithilien. Tu avais raison, c’est une région magnifique, avec de grandes forêts, et j’y ai installé mon peuple. Je ne sais pas si tu auras l’occasion d’y retourner un jour, mais sache que…quoi qu’il arrive, je t’accueillerai.

Alcara fronça les sourcils, ne comprenant pas. Elle vit alors, dans l’obscurité, son pendentif luire un peu plus, et le prit dans sa main.

- Legolas, demanda-t-elle, pourquoi m’as-tu offert ce collier ?

- Je te l’ai dit, répondit Legolas, il devait te revenir, c’est une évidence. Je pense qu’il te sera utile dans un temps prochain, même si les signes ne disent pas exactement de quelle façon. Tu le vois, il réagit spécifiquement sur toi.

- Tu penses…hésita Alcara, qu’il a des pouvoirs magiques ?

- C’est toi qui en as, expliqua Legolas. Il reçoit ta magie et y réagit. Peut-être qu’il t’aidera à maîtriser tes pouvoirs.

Alcara rit spontanément, et Legolas lui demanda pourquoi elle riait.

- C’est que…expliqua Alcara, tu parles de magie comme de la pluie et du beau temps, c’est plutôt rare chez les Hommes, je n’en avais plus l’habitude.

Legolas lui sourit, et ajouta :

- La magie est encore là, malgré tout. C’est vrai que chez les elfes, nous l’accueillons comme le soleil, la lune ou les étoiles. C’était le cas à Fondcombe.

Et Alcara eut alors une vague de nostalgie : Fondcombe, ses chevauchées, les fêtes elfiques où l’on pouvait parler de lire l’avenir, dans les esprits ou dans les arbres, sans jugement ou méfiance…

- Tu es vraiment heureux pour moi? lui demanda Alcara, alors que la question lui brûlait les lèvres.

Legolas regardait ses mains, hésitait. Mais il finit par répondre fermement :

- Oui, je suis vraiment heureux. Tu le sais, tu auras un rôle majeur dans l’histoire des Hommes. J’ai juste…enfin, je me suis rappelé certains souvenirs, mais j’ai conscience que le temps passe, et que tu as changé.

Alcara comprit alors que comme elle, il était soudain nostalgique du passé, et qu’il acceptait qu’elle avance à présent sans lui. C’était une vérité intangible, mais tout de même douloureuse, que de réaliser que plus rien ne serait comme avant.

- Je suis contente…que tu m’aies laissée partir, lui confia-t-elle. Tu avais raison, j’en avais besoin, pour m’affirmer et pour évoluer.

Legolas hocha la tête, en regardant toujours ses mains posées sur la balustrade, mais il leva la tête et lui dit dans les yeux :

- Mais n’oublie pas ma promesse. S’il se passait quoi que ce soit, je t’accueillerai.

- Que pourrait-il se passer ? demanda Alcara soudain inquiète, sentant que Legolas avait dû comme à son habitude, lire des signes spécifiques autour de lui.

Mais quelqu’un se racla la gorge derrière eux, et ils se retournèrent : Éomer se tenait là, dans l’embrasure de la porte, dans le cadre lumineux que projetait la grande salle sur le balcon.

Alcara jeta un dernier regard à Legolas, qui lui sourit et s’inclina devant Éomer, et partit vers le jardin. Éomer le regarda partir et se rapprocha d'Alcara, ne laissant rien voir de ce qu’il pouvait penser. Alcara ne sut pas quoi lui dire, elle venait de s’excuser auprès de Legolas de ne pas l’avoir prévenu, devait-elle aussi s’excuser auprès d’Éomer de ne pas lui avoir parlé de cette partie de son passé? Et qu’avait-il entendu?

Mais Éomer, toujours impassible, lui caressa les cheveux, et prit le pendentif dans sa main. Alors, Alcara lui dit :

- J’avais besoin de prendre un peu l’air, et Legolas était là…

- Oui, répondit simplement Éomer, toujours en regardant le pendentif dans sa main. C’est lui qui te l’a offert, n’est-ce pas?

Alcara ne répondit rien, sentant son pouls s’accélérer. Éomer ajouta :

- Je m’en doutais un peu.

- Ils ont offert, lui et Gimli, beaucoup de trésors, à de nombreux de leurs amis…

- En effet, approuva Éomer, en lui montrant sa main, où se trouvait une belle bague sertie d’un rubis scintillant, cadeau de l’elfe et du nain. Mais pas ce genre de trésor. Cela ressemble à une pierre magique.

- Legolas pense qu’elle m’aidera à maîtriser mes pouvoirs, répondit Alcara. C’est ce que tu m’as dit, toi aussi : que je devais apprendre à les dompter.

- En effet, approuva Éomer, et Alcara ne savait pas s’il était calme, ou s’il cachait bien sa colère.

Alcara soupira, et lui dit :

- Éomer…

- Tu n’as pas à m’expliquer quoi que ce soit, lui répondit-il en relevant la tête pour la regarder, la voix presque étranglée, comme s’il retenait ses émotions. C’est du passé. Je te l’ai dit, un autre chemin nous attend.

- Je le crois moi aussi, approuva Alcara en lui prenant les mains.

- Je veux simplement… être certain que c’est du passé.

Alcara fronça les sourcils : qu’avait-il entendu de la promesse de Legolas ? Mais Éomer la regardait avec intensité et lui dit, dans un souffle :

- Je veux que tu sois ici corps et âme, Alcara. Je veux…tout partager avec toi. Mais j’ai besoin d’être sûr que tu le veuilles, profondément, complètement.

- Bien sûr que je le veux, Éomer…

- En es-tu certaine?

- Oui, absolument ! s’exclama-t-elle en prenant sa joue au creux de sa main, je t’interdis d’en douter.

- Alors, épouse-moi.

Alcara fut si étonnée qu’elle retira sa main de sa joue et le regarda, bouche bée.

- Éomer…

- Épouse-moi, insista-t-il en avançant vers elle et en prenant son visage dans ses mains.

Alcara aurait dû sauter de joie, saisir cette occasion comme une chance inespérée, mais elle avait trop réfléchi à la question, sous les conseils d’Umiel et d’Eowyn, pour se précipiter dans cet instant.

- Mais Éomer, pourquoi me poses-tu cette question maintenant ?

- Peu importe ! balaya-t-il d’un revers de main, avec son insouciance habituelle pour les conséquences, fonçant toujours tête baissée. Le veux-tu ?

Elle ne sut pourquoi, mais une demande si rapide, si impulsive, lui fit peur, et elle se demanda pourquoi il lui faisait sa demande juste après avoir semblé si mécontent de la voir parler à Legolas.

- Mais tu sais bien que je ne suis pas d’une grande famille princière…

- Tu sais que ça m’est complètement égal, dit-il avec ferveur. Tu es celle qui a remis mon armée sur pied à Minas Tirith, qui a rendu les Rohirrim invincibles, qui a soigné Eowyn et a fait naître son enfant. Tu appartiens déjà au Rohan, tu es la guérisseuse…

- Oui, et c’est tout ce que je suis, ne l’oublie pas.

Éomer reposa ses mains, la fixant sans comprendre, comme un enfant à qui on refuse un caprice. Alcara détourna la tête pour s’appuyer sur la balustrade.

- Éomer, je ne viens de nulle part, et les dieux savent que tu as hésité pour cette raison à m’aimer. Les Rohirrim ne voudront pas d’une guérisseuse anonyme, qui a séduit le roi pour prendre le pouvoir. Cela leur rappellera Grima Langue de Serpent…

- Ne dis pas cela ! s’exclama Éomer en s’approchant d’elle, ça n’a absolument rien à voir…

- Pour toi non, mais pour les autres ?

- Si quelqu’un osait dire une chose pareille, et te manquait de respect, il tâterait bien vite de mon épée, répondit-il d’une voix ferme, presque colérique.

- Tu sais bien que ça ne fonctionne pas comme ça, remarqua Alcara, et que ceux qui répandent les rumeurs se gardent bien de dire qu’ils en sont les auteurs.

Alcara se sentit embarrassée et presque énervée, elle avait presque l’impression d’être la seule adulte, à envisager les choses de façon raisonnable, en prenant l’avis de son peuple en compte. Se rendait-il un peu compte des conséquences? Se mettait-il à sa place ?

Après un silence, Éomer ajouta :

- Je te pensais plus libre, plus affranchie de tout cela…

- Je le suis, confirma Alcara en se tournant vers lui, mais je ne veux pas t’épouser de cette façon, Éomer. Je ne veux pas que tu veuilles m’épouser parce que l’idée t’est venue, ou pour me protéger des rumeurs, ce qui ne fonctionnera pas. Ou bien…

- Ou bien ?

- Ou bien…parce que tu as peur qu’un autre prenne ta place.

Éomer recula d’un pas, touché au cœur. Alcara avait visé juste.

- Tu as appris à me faire confiance, Éomer, et je t’en serais toujours reconnaissante, car cela nous a permis de révéler notre amour. Mais fais-moi confiance jusqu’au bout, et ne laisse pas la jalousie te dévorer le cœur.

Éomer semblait retenir sa colère de toutes ses forces, et d’un seul coup, repartit à l’arrière du palais, de l’autre côté du balcon. Alcara soupira, et mit sa main devant la bouche pour s’empêcher de pleurer. Il était si impulsif, et à l’inverse de Legolas, laissait libre cours à ses émotions.

Elle espérait qu’elle n’avait pas fait une erreur.

Une grande fête était prévue le lendemain, et Alcara, qui n’avait pas revu Éomer de la soirée, ni le lendemain matin, était préoccupée. Mais l’idée de recommencer les chevauchées, les joutes et les tournois de tir à l’arc, lui fit plaisir et la sortit de ses pensées sombres. Avec le cheval Remèan, devenus complices, elle parvint à avoir des performances honorables, malgré la féroce concurrence des Rohirrim, les cavaliers les plus talentueux de la Terre du Milieu.

Elle se prépara ainsi à participer au tournoi contre un des maréchaux du Rohan. Dans les coulisses, elle vérifia la selle de Remèan, quand quelqu’un s’éclaircit la gorge derrière elle. Elle se retourna, et tomba nez à nez avec le maréchal roux au visage fin de l’Estfolde, qui avait revêtu son armure.

- Ma Dame, lui dit-il avec un sourire courtois, j’aurai l’honneur de combattre face à vous tout à l’heure. Je prendrai garde à ne pas vous blesser.

- Vous n’avez pas à retenir vos coups, je saurai parfaitement les contrer, répliqua Alcara en souriant.

Le souvenir encore aigu de leur altercation en Ithilien leur revint en mémoire, et le maréchal éclata de rire par politesse, en forçant tant le trait qu’Alcara douta de sa sincérité. Il répondit :

- Je ne le sais que trop ! En réalité, j’aurais plus peur pour mon propre sort, car je sais que sinon, le roi sera attentif à vous venger.

Alors, il n’avait pas oublié la menace qu’avait brandie Alcara autrefois. Il donnait le change, mais se méfiait encore d’elle, d’autant plus après le baiser public d’Éomer, la veille au soir. Il préparait ses arrières…

Alcara resta silencieuse, mais par curiosité, tenta de lui poser une question directe :

- Dites-moi, pourriez-vous me répondre avec la plus grande franchise à ma question?

- Bien entendu, Ma Dame, promit le maréchal en souriant.

- Sauriez-vous ce que l’on dit de moi dans le Rohan?

Le maréchal sembla réfléchir à vive allure : il avait l’habitude de la Cour et des flatteries qui y régnaient, et il savait qu’il devait répondre très diplomatiquement, car il était en présence de sa potentielle future reine. Il réussit à louvoyer dans sa réponse :

- Je pense n’avoir toujours entendu que du bien, vous avez inventé l’élixir des Invincibles, et grâce à vous, la reine Eowyn a donné naissance sans encombre d’un beau prince. Nous vous devons beaucoup…

- Est-ce vraiment tout ce que l’on dit de moi ? insista Alcara, certaine qu’il y avait autre chose.

Mais le cor de leur combat sonna, et avant de s’éloigner, il glissa tout de même :

- Il n’est jamais facile pour les étrangers d’être acceptés, surtout les magiciens. Mais vous pouvez vous en affranchir.

Et il s’éloigna pour aller chercher son cheval. Alcara était déçue, mais s’attendait à sa réponse évasive. Elle était perplexe : elle se dit que les habitants d’Edoras, terrifiés, avaient dû assister depuis leurs fenêtres au foudroiement de la tour de guet, et la nouvelle avait dû se propager. Mais elle craignit d’autres rumeurs…

Comme prévu, le maréchal fit montre d’une grande courtoisie, ralentissant ses attaques et laissant Alcara gagner haut la main. 

Mais lorsqu’elle partit de la piste, elle entendit annoncer les prochains concurrents : Legolas et…Éomer.

Elle se retourna vivement, regardant sur le côté les deux adversaires se préparer. Ce n’était pas ce qui était prévu, Legolas devait combattre contre un autre Rohirrim, et Éomer devait se confronter à Aragorn… pourquoi cela avait-il changé ?

Elle attacha Remèan sur le côté, et regarda attentivement le déroulement du tournoi. En apercevant Éomer en armure, elle vit qu’il tenait une rose à la main, mais que son attache de fleur de tournoi possédait toujours les Simbelmynë qu’elle lui avait offerts. Et il avait noué à son bras…son mouchoir, qu’il conservait dans sa table de chevet.

Elle ne put s’empêcher de soupirer : Éomer était toujours prisonnier de sa jalousie, et le fait de l’avoir mis à jour la veille au soir, en refusant sa proposition, avait attisé sa colère. Elle aurait dû retourner le voir, et lui parler, mais elle-même était en colère contre lui, et lui en voulait d’avoir réagi ainsi, alors que Legolas avait fait preuve de beaucoup plus de courtoisie et de courage…

C’est donc avec le cœur battant qu’elle les vit foncer au galop l’un contre l’autre, Éomer plus rapide, plus virulent que Legolas. Éomer envoya avec fracas sa lance dans le bouclier de Legolas, et tous deux tombèrent à terre.

Alcara s’avança un peu plus pour mieux voir la scène depuis les coulisses, au milieu d’autres concurrents qui s’étaient rapprochés, dont Aragorn et Faramir. Aragorn échangea un regard avec elle, aussi préoccupé qu’elle pouvait l’être, car il connaissait la relation passée entre Alcara et Legolas et ce que cela pouvait générer pour un caractère aussi impétueux que celui d’Éomer.

Éomer et Legolas se relevèrent rapidement, mais Éomer asséna immédiatement un coup d’épée à Legolas, à peine relevé, que ce dernier évita adroitement en sautant sur le côté, même s’il parut surpris d’être attaqué si rapidement. Éomer multiplia alors ses coups, tous évités par Legolas avec adresse. Ce dernier, tournant et souple comme un danseur, comme dans les souvenirs d'Alcara à Fondcombe, savait esquiver les attaques données avec force par Éomer. Mais ce dernier semblait avoir une énergie infatigable, et para les contre-attaques de Legolas, en le repoussant même en arrière de quelques mètres.

Alcara commença à s’inquiéter sérieusement : le combat pouvait durer longtemps, et Éomer n’entendrait pas qu’on y mette fin facilement. Elle se rapprocha d’Aragorn et de Faramir, et leur dit :

- Je vous en supplie, faites en sorte que cela ne tourne pas mal.

- Legolas est un grand guerrier, la rassura Aragorn, il ne va pas se laisser battre facilement.

- C’est justement ce qui m’inquiète, ajouta Alcara, ni l’un ni l’autre ne voudra s’avouer vaincu…

Les spectateurs, de leur côté, étaient impressionnés par le combat et lançaient des acclamations et des hourrah. Les coups étaient extrêmement rapides, puissants, filant dans l’air avec des sifflements, et les lames brillaient au soleil. Seule Eowyn, dans le public, semblait elle aussi préoccupée.

Legolas, au départ surpris par les attaques contre lesquelles il se défendait, attaquait maintenant à son tour, et Éomer parvenait à les parer coup sur coup, malgré leur vitesse. Ils semblaient totalement à égalité : Éomer ne voudrait jamais perdre car il était le roi accueillant, et Alcara connaissait son entêtement. Legolas, habitué à vaincre, et ne comprenant pas forcément la force des attaques d’Éomer, ne voudrait pas perdre non plus.

- Nous sommes attentifs, lui dit Aragorn. J’irai les séparer si c’est nécessaire.

Le combat dura longtemps, beaucoup trop longtemps pour Alcara, qui se demanda si elle pouvait trouver le moyen d’y mettre fin d’une façon ou d’une autre. Mais ironiquement, pour une fois, ses réactions surnaturelles restèrent muettes, et aucune tempête, aucune foudre, aucune pluie de fleurs ne vint les interrompre. Dépitée, impuissante, elle ne pouvait qu’assister au combat des deux rivaux. Elle en vint même à se demander si elle avait de l’élixir des Invincibles avec elle, en cas de nécessité…

Les coups redoublèrent soudain de violence, et quelques coups de poing furent échangés en plus des coups d’épée, Legolas répondant coup sur coup à Éomer. Les spectateurs étaient toujours joyeux et impressionnés, mais Alcara poussa une exclamation inquiète, et Aragorn commença à mettre son heaume.

Soudain, alors que l’issue ne pouvait être que désastreuse pour l’un comme pour l’autre, à cause d’une blessure ou pour des coups bas qui terniraient leurs réputations, leurs gestes se figèrent. Comme pris dans la glace, ils tenaient tous les deux leur épée en l’air, prêts à s’attaquer, mais rien ne se passa.

C’est alors que Gandalf, qui avait quitté sa place en tribunes à côté d’Eowyn, entra dans l’arène et se plaça entre eux, en se tournant vers le public. Il dit alors d’une voix forte aux spectateurs :

“ En tant qu’arbitre de ce tournoi, je vous annonce qu’exceptionnellement, il n’y aura ni vainqueur, ni vaincu. Ces deux champions, parmi nos plus vaillants guerriers, sont aussi valeureux l’un que l’autre, et je déclare qu’ils ont tous les deux remporté haut la main cette manche!”

Les spectateurs, à moitié déçus mais tout de même satisfaits du beau spectacle qu’il leur avait été donné de voir, applaudirent généreusement les deux champions. Gandalf se tourna alors vers eux, et sembla leur murmurer quelque chose, avant de les libérer. Ils lâchèrent en même temps leurs épées, qui tombèrent au sol, et semblèrent un peu étourdis. Mais en reprenant leurs esprits, il se serrèrent la main puis celle de Gandalf, s’inclinèrent l’un vers l’autre et saluèrent le public en retirant leurs heaumes.

Éomer se retourna vers les coulisses, et croisa le regard d’Aragorn et Faramir, attentifs et préoccupés, et surtout celui d'Alcara. Cette dernière était très en colère contre lui, et ne se gêna pas pour le lui faire comprendre. Elle lui en voulut d’avoir réagi de cette façon, si peu chevaleresque, comme si elle était un prix à gagner dans un combat de coqs.

Dépitée, elle lui montra ostensiblement qu’elle partait du terrain, montant Remèan et partant au loin, dans la vallée.

Elle ne revint que le soir, ayant ressassé son ressentiment toute la journée. Elle en voulait autant à Éomer qu’à elle-même, ayant l’impression d’avoir provoqué cette réaction disproportionnée. Mais elle n’en revenait pas qu’Éomer ait été aussi puéril, comme pour prouver qu’elle lui appartenait.

En entrant dans l’écurie, elle installa Remèan et le brossa longuement, n’ayant guère envie de retourner au palais tout de suite. Elle enleva elle-même son armure, sous laquelle elle avait conservé sa tenue de cavalière, et elle dénoua ses cheveux pour refaire sa natte. 

C’est à ce moment qu’elle sentit une présence derrière elle, et se retourna :

Éomer était là, en tenue de cavalier lui aussi, appuyé contre la petite porte de l’alcôve. Alcara se retourna de nouveau vers Remèan, n’ayant pas envie de lui adresser la parole.

“Je m’inquiétais de savoir où tu étais”, dit Éomer avec une voix plus douce qu’à l’accoutumée.

Alcara ne répondit rien, et ramassa les morceaux de son armure pour la ranger. Elle l’entendit soupirer derrière elle, et il lui dit :

“J’ai été stupide. Pardonne-moi. Je sais que tu m’en veux.”

Alcara ne répondit toujours rien, et commença à brosser Remèan avec des gestes nerveux, qui firent sursauter le cheval. Elle prit garde à ralentir ses gestes, mais resta silencieuse.

“Gandalf est venu me parler, et Eowyn m’a longuement…sermonné. Elle m’a fait comprendre que j’avais eu une réaction disproportionnée. Et surtout elle m’a fait comprendre…qu’avec ce genre de réaction, je risquais de te perdre. Et c’est la dernière chose que je souhaite.”

Alcara ne répondait toujours pas, regardant son cheval mais sentant sa gorge se nouer.

“Je sais que j’ai des réactions impulsives, mais…avec toi, je n’arrive pas à me cacher. Je te dois d’être sincère, et vrai, dans le bon sens comme dans le mauvais. Et je te fais confiance. Je te ferai toujours confiance.”

Alcara soupira en baissant la tête, et se retourna vers lui : son regard dépité, déçu, encore en colère, blessa Éomer, qui n’en culpabilisa que plus. Mais il tint bon, et en inspirant un bon coup, lui dit :

“Je ne peux pas imaginer que tu partes, Alcara. Je n’y survivrai pas.”

Alcara leva les sourcils, frappée par sa déclaration. Alors, Éomer s’approcha d’elle, lui prit la taille et en un geste, mit un genou à terre face à elle :

“Et je…je réitère ma demande. Épouse-moi.”

Alcara soupira et regarda ailleurs, égarée, ne sachant quoi dire, mais il ajouta :

“Je ne veux pas t’épouser par orgueil, ou pour que tu m’appartiennes. Je veux t’épouser parce que j’ai pesé chaque mot de ce que je t’ai dit avant de partir à la guerre, alors que tu m’embrassais pour la première fois. Que dès que je t’ai vue enlever ton heaume après avoir terrassé ce vaurien de Dol Amroth, après avoir dansé avec toi, légère comme un rêve, au mariage de ma soeur, après t’avoir vue chevaucher les cheveux au vent dans la lande avec moi, après t’avoir entendue déclarer devant tout mon conseil les vertus de notre fleur du Rohan, après avoir fait de mon armée la meilleure du monde, j’ai su que tu avais déjà conquis mon cœur. Je sais que j’ai combattu trop longtemps cet amour, mais il est là, au fond de mon être, enraciné dans ma chair. Si je ne te vois plus pendant une heure, je dépéris, je pense à toi, je cherche ton odeur, ta peau contre la mienne. J’ai besoin de te voir dans toute ta puissance, ta beauté, ta sagesse. Jamais je n’aurais cru vivre cela un jour. J’ai l’impression de…vivre une seconde fois. Alors peut-être que c’est ma passion qui parle à ma place, mais qu’il en soit ainsi, car même si elle se calmait, ou s’éteignait, je continuerai à te vouloir, à avoir besoin de ta présence. Je te veux à mes côtés, quand je m’endors le soir, quand je m’éveille le matin, quand je vois la pluie tomber et que je me demande si tu vas faire pleuvoir des fleurs. Je te veux auprès de moi, pour toujours.”

Alcara était si bouleversée par ce qu’il venait de dire qu’elle en eut le souffle coupé. Elle ne sentit pas la larme qui avait coulé sur sa joue. Elle fit simplement un geste : elle s’agenouilla à son tour devant lui et prit son visage dans ses mains.

- Éomer, je…je n’avais jamais entendu des paroles aussi belles de ma vie.

- Je t’aime comme un fou, Alcara, lui répondit-il alors que des larmes luisaient à leur tour dans ses yeux. Épouse-moi, je t’en supplie.

Alors Alcara hocha lentement de la tête en souriant, alors que des larmes coulaient à présent sur ses joues.

- Oui, Éomer, je veux t’épouser.

Et ils s’embrassèrent de façon ardente, précipitée, comme si le temps leur manquait, toujours à genoux l’un en face de l’autre, mêlant à leur baiser le goût salé des larmes de joie. Éomer soupirait de soulagement, de joie et d’amour, serrant la taille d'Alcara contre la sienne. Il ne cessait de répéter la même chose : « Je t’aime tellement, tellement… »

Quelque temps après, ils remontèrent ensemble, main dans la main, vers le palais. Le soleil allait se coucher, le festin allait bientôt commencer.

Après s’être préparés, ils entrèrent ensemble dans la grande salle, souriants et radieux. Eowyn et Gandalf échangèrent un regard : ils étaient heureux de voir qu’ils s’étaient réconciliés.

Alcara voulut rejoindre sa place, sur le côté de la grande table de festin, mais Éomer garda sa main dans la sienne et la conduisit à côté de lui, à sa droite. Alcara, qui n’avait jamais été à la table du roi, resta debout à côté de lui, le coeur battant. Il fit alors sonner son verre, prévenant ainsi qu’il allait faire un discours.

“Je tiens à vous remercier très chaleureusement d’être venus si nombreux saluer l’arrivée de mon cher neveu Elboron. D’aucuns disent qu’il a les yeux de son père, et le caractère de sa mère !”

Les rires fusèrent dans l’assemblée.

“C’est un très beau neveu, et je suis fier d’être son oncle. Félicitations à ses parents. A Elboron!”

Et tous trinquèrent au nom du petit prince. Éomer continua :

“Je tiens aussi à vous remercier pour les excellentes compétitions qui se sont déroulées aujourd’hui, à l’arc, à cheval et au tournoi.”

Un silence attentif suivit ces paroles, chacun ayant vu son duel avec Legolas…

“J'annoncerai le nom de tous les vainqueurs, comme le veut la tradition. Mais je tiens plus particulièrement à remercier et à saluer Legolas de la Forêt Noire, fils de Thranduil, dont les exploits nous ont tous impressionnés aujourd’hui, et je suis heureux d’avoir partagé un combat aussi valeureux avec lui. Je vous le confirme, il est imbattable! A Legolas!”

Et Alcara, soulagée, trinqua avec tous pour féliciter Legolas, qui fit un grand sourire, heureux lui aussi de cette réconciliation.

“Enfin, je terminerai mon discours en vous annonçant une nouvelle importante.”

Le cœur d'Alcara s’accéléra. Éomer prit une grande inspiration, n’ayant pas l’habitude d’aborder ce genre de sujet en public. Il réunit tout son courage, regarda Alcara en la prenant par la taille, et annonça à tous :

“Je suis très, très heureux, de vous annoncer mes fiançailles avec Dame Alcara, à qui le Rohan doit tant, et à qui j’ai donné mon cœur, et elle le sien.”

A cet instant, un tonnerre d’applaudissements retentit dans tout Meduseld, à la surprise d'Alcara et d’Éomer : tout le monde semblait s’y attendre, même si le tournoi du jour avait fait douter ses plus proches amis. Mais leur joie était réelle, et tous sans exception, de Gandalf à Eowyn, de Faramir aux Hobbits, Gimli et même Legolas, firent durer les applaudissements et les hourrah pendant très longtemps. Ils finirent par réclamer un baiser, et Éomer et Alcara s’exécutèrent de bon cœur, sous une nouvelle salve d’acclamations. Ils rougirent tous deux jusqu’aux oreilles, étant d’habitude si réservés sur leurs sentiments. Alors, les Rohirrim comme la Communauté chantèrent spontanément la chanson des Amis, battant la mesure avec leurs verres, les Hobbits étant ceux qui chantèrent le plus fort loin devant les autres.

La soirée fut encore plus enjouée que la veille : Alcara n’en revenait pas d’épouser prochainement Éomer, balayant dans sa joie tous les obstacles qui pourraient se présenter à eux. Ils dansèrent plusieurs fois ensemble, leurs regards perdus l’un dans l’autre.

Au bout d’un moment, entre deux danses, Alcara sortit sur le balcon retrouver Gandalf qui soufflait dans sa grande pipe en corne, sur un banc, profitant de la douceur de la nuit. Il l’accueillit avec affection, en la félicitant à nouveau.

- Je suis très heureux, Petite Aube, lui dit Gandalf, même si j’avoue que je m’en doutais depuis longtemps…

- Il est difficile de vous cacher quoi que ce soit, lui sourit Alcara.

- Et vous, lui demanda-t-il en se tournant vers elle, êtes-vous heureuse, Alcara?

- Plus que je ne saurais le dire, avoua Alcara avec sincérité. J’ai l’impression de vivre dans un rêve.

- C’est aussi une bonne chose de vivre dans un rêve, remarqua Gandalf en souriant.

- A condition que le réveil ne soit pas trop difficile, répondit Alcara.

Gandalf fronça les sourcils, et elle expliqua :

- Éomer m’a demandé de l’épouser, hier soir, et j’ai d’abord refusé. Le conseil du Rohan va avoir besoin de garanties sur mon passé, pour s’assurer que je ne suis pas une intrigante.

- Vous avez suffisamment prouvé votre valeur au Rohan, Alcara, ne vous inquiétez pas de cela.

- Pourtant, j’ai besoin de savoir, Gandalf, insista Alcara, sentant son impatience revenir. Si ce n’est pas pour les autres, au moins pour moi, ou pour mes enfants, si j’en ai à l’avenir.

- Bien sûr, répondit simplement Gandalf en baissant la tête, et il parut préoccupé.

- Gandalf, demanda Alcara avec obstination, est-ce que vous savez quelque chose que vous pourriez me dire?

Il releva la tête et la regarda, comme perdu dans un lointain souvenir triste. Et répondit lentement :

- Oui, oui je sais certaines choses. Et j’ai profité de résider dans le Gondor l’année dernière, pour vérifier certaines informations.

- Est-ce que…est-ce que vous pourriez me les confier? demanda Alcara avec hésitation, ayant soudain un peu peur de savoir.

- Oui, il le faut, répondit Gandalf en la regardant intensément. Mais je veux choisir le bon moment. Je reste encore quelques jours à Edoras, avant de…avant de repartir vers Fondcombe.

- Fondcombe? demanda Alcara en fronçant les sourcils. Mais il y a encore des elfes à Fondcombe?

- Quelques-uns, avoua Gandalf tout aussi lentement, Elrond est encore là, et quelques autres.

Et soudain, il parut à Alcara extrêmement vieux et fatigué, comme si le poids des siècles qu’il avait vécus s’était abattu d’un seul coup sur ses épaules.

- Le temps presse en effet pour vous dire des choses sur votre passé, mais aussi sur votre avenir, Petite Aube. Mais profitez de ce soir, de cette fête en votre honneur, et de votre bonheur. Le temps des histoires du passé viendra plus tard.

Alcara était un peu déçue qu’il ne lui en parle pas immédiatement, mais elle savait qu’il avait toujours de bonnes raisons de faire une chose et non une autre, et accepta sa décision. Par ailleurs, elle avait en effet envie de rester encore un peu dans son rêve et dans sa joie.

Elle hocha la tête, et se releva. Avant de partir, elle lui demanda :

- Gandalf, qu’avez-vous dit à Éomer aujourd'hui?

- Comment cela? demanda Gandalf en fronçant un sourcil.

- Lorsque vous avez figé Legolas et Éomer? Éomer m’a dit que vous lui aviez parlé?

- Oh, rien d’important, répondit Gandalf de façon évasive. Principalement, qu’il devait cesser immédiatement de faire l’enfant, et agir en roi, ajouta-t-il en lui envoyant un sourire malicieux. Mais je crois qu’Eowyn lui a dit la même chose, un peu plus vertement…

Alcara rit et retourna dans la grande salle, sans voir le regard préoccupé de Gandalf, qui fixait l’horizon, fumant machinalement sa longue pipe en corne.

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Quand la soirée se termina, Éomer lui prit la main, la guidant dans les couloirs du palais. Ils arrivèrent devant ses appartements, son bureau et sa chambre attenante. Éomer lui ouvrit la porte, et Alcara regarda autour d’elle. Ne voyant personne, elle entra en se disant qu’elle pourrait ne rester que quelques instants, sentant à nouveau sa gêne, d’autant plus que toute la Communauté de l’Anneau était accueillie au palais pour la nuit.

Mais dès qu’il eut fermé la porte, sa cape et sa couronne encore sur la tête, Éomer la plaqua d’un coup contre le mur et l’embrassa passionnément, avec hâte, liant sa langue à la sienne. De nouveau, comme par réflexe à son contact, le corps d'Alcara s’embrasa. Il lui prit les mains et les noua aux siennes au-dessus de sa tête, contre le mur, comme la première fois, dans sa chambre. À bout de souffle, le cœur battant, elle poussa un gémissement de plaisir. Il se colla encore plus à elle, et elle sentit son corps chaud, impatient contre le sien.

En l’embrassant dans le cou, il lui murmura : « Reste avec moi cette nuit. »

Depuis quelque temps, par prudence, Alcara avait pris soin de ne plus dormir avec lui, et ce soir, avec tous les invités présents dans le palais, pour qui l’attente du mariage était une tradition bien ancrée, elle hésita.

- Je ne crois pas que…

- J’ai annoncé nos fiançailles, nous n’avons plus à sauver les apparences, susurra-t-il en continuant ses baisers dans son cou, sur son visage et dans ses cheveux. S’il te plaît…

- Il y a des invités plein le palais, on va nous entendre…

- Mes appartements sont séparés des autres, personne n’entendra rien…

- Mais si jamais…

Éomer recula sa tête pour la regarder dans les yeux, et soupira :

- J’aurais dû te laisser attachée à mon lit indéfiniment.

- Cela n’est pas très bon pour la circulation sanguine, remarqua-t-elle avec malice.

- Je vois que les guérisseuses ont réponse à tout.

- Tu n’as pas idée.

Et Éomer se pencha à nouveau vers elle, en lui mordillant l’oreille et le cou, déclenchant un soupir de plaisir chez Alcara.

- C’est impossible de te résister, sourit Alcara, qui renonça à lui dire non. Tu as des arguments implacables…

Et Éomer l’embrassa à nouveau fougueusement, sauvagement, comme s’ils avaient été séparés pendant des semaines. Alcara frissonna au contact de son corps, ses jambes, son torse musclé contre elle, et leurs doigts entremêlés au-dessus de sa tête, emmêlant sa coiffe de la soirée.

“Déshabille-toi”, lui ordonna Éomer de sa voix grave, sensuelle, inflexible, en reculant pour la libérer de son étreinte.

Alcara, sans le quitter des yeux, sentit son désir animal pour lui reprendre le dessus et comptait qu’il ne soit pas déçu du spectacle. Elle dénoua très doucement les lacets de son corsage, enleva les épingles de ses cheveux, et fit tomber sa robe à ses pieds.

 Éomer l’observa de haut en bas, la respiration rapide, et enleva sa cape, sa ceinture, sa tunique, jetés épars sur le sol, ne gardant que sa couronne, entièrement nu face à elle. Alcara, à son tour, lui fit face dans le plus simple appareil. 

Sans attendre, il la plaqua à nouveau contre le mur, souleva ses deux jambes et les plaça sur ses propres hanches. Alcara, appuyée sur le mur et ses bras autour de sa nuque, ne tenait que par la force d’Éomer, poussée contre la tapisserie, enveloppée par son amant.

Il souleva alors ses jambes, et la pénétra d’un seul coup. Alcara, comme enfourchée sur lui, ne put réprimer un cri de plaisir. Leurs fronts se touchant, ils poussèrent à l’unisson un même râle de jouissance, alors que leurs corps se rejoignaient par la force des bras d’Éomer qui portaient Alcara vers lui avec puissance. Sa force, sa beauté quand il s’abandonnait au plaisir était une source infinie d’amour pour Alcara, avide d’assister autant qu’elle le pouvait à un tel spectacle. 

Il accéléra, poussant Alcara contre le mur, et ces mouvements martelés accrurent encore son plaisir et ses gémissements. Ils poussèrent en même temps un unique grand cri, alors qu’ils atteignaient le sommet de leur union. Et Éomer, sans demander à Alcara son avis, la porta dans son lit pour toute la nuit, où ils dormirent peu. 

 

Chapter 35: Prophétie

Chapter Text

Prophétie

Musique à écouter sur ce chapitre :

Le temps est venu des révélations… bonne lecture !

Le lendemain matin, très tôt avant que le soleil ne se lève, Alcara ouvrit les yeux. Allongée à côté d’Éomer, qui dormait la tête sur son épaule, elle réfléchit.

Elle avait le sentiment d’être à la fois dans la joie, et dans le doute : la joie d’être fiancée à lui, de pouvoir s’imaginer vivre indéfiniment leur passion, et de l’autre, les réactions de Legolas et de Gandalf l’intriguaient, comme si des épreuves devaient encore l’attendre.

Ne pouvait-elle pas découvrir sans encombre ses maigres pouvoirs ? D’ailleurs, ils ne pouvaient pas être si terribles : faire pleuvoir des pétales blancs, lever un cours d’eau, créer de la foudre pour terrasser des ennemis ? Elle ne voyait pas le problème avec tout cela. Mais pourquoi Gandalf avait eu une mine aussi grave ?

Son bonheur était-il en suspens ?

À ce moment-là, Éomer se réveilla et s’étira, et se tourna vers elle, en souriant. Elle aurait le temps de penser à tout cela plus tard…

 

Dans la journée, l’ensemble des convives repartirent, excepté Gandalf. Étrangement, malgré la joie de leur mariage prochain, l’ensemble de leurs amis semblèrent mélancoliques. Aragorn, notamment, repartit plus sombre vers le Sud. Alcara salua Legolas, qui lui sourit mais avait pris ses distances, lui disant au revoir comme à une bonne amie. Il lui dit seulement une chose : « Rappelle-toi ma promesse. »

 

Le lendemain, en fin d’après-midi, elle se rendit auprès d’Elboron, le fils d’Eowyn et de Faramir. La nourrice, qui la connaissait bien à présent, la laissa le prendre dans ses bras et le bercer.

Alcara aimait se rendre dans la nurserie et y voir l’enfant, déjà vigoureux et éveillé, car cela lui permettait de s’éloigner des turpitudes de la cour dont Edoras n’était pas épargnée, malgré ce qu’en pensait Éomer, et d’avoir une parenthèse douce, pleine de l’espoir de la vie qui paraît. Si elle devenait reine, Alcara savait bien qu’elle serait la proie de jaloux, de flatteurs, et elle voyait combien Éomer devait les combattre au quotidien, même si l’état d’esprit restait plus franc et plus simple que dans le Gondor.

Dans une heure, elle devrait passer devant le conseil du Roi, qui voulait lui poser quelques questions avant de valider son mariage avec Éomer. Ce dernier n’était pas le moins du monde inquiet pour ses fiançailles. Comme il s’agissait de la volonté du roi, peu de résistance serait affichée lors du conseil, mais cela préoccupait tout de même Alcara, qui se souvenait de son audience pour présenter l’élixir des Invincibles. Les conseillers étaient bienveillants, mais soucieux d’être justes. Elle ne devait pas commettre d’impair…

Elle chanta à Elboron la berceuse qu’on lui chantait à Fondcombe, celle qui racontait en elfique l’arrivée de la Fille d’Avril, et son départ à l’automne, et elle se demanda si cela lui suffirait réellement de rester à Edoras toute sa vie, et d’y avoir des enfants. Legolas, lorsqu’il lui avait offert le pendentif, lui avait prédit que sa route ne s’arrêterait pas ainsi. Mais sous quelle forme pourrait-elle continuer?

Elle fut tirée de ses pensées par l’écuyer d’Éomer, qui venait la chercher. Inspirant fort pour se donner du courage, elle rendit Elboron à sa nourrice, et le suivit.

En cette soirée de printemps, le soir tombait encore tôt, et la grande salle de Meduseld était déjà à moitié dans la pénombre. Des chandelles étaient allumées sur la grande table en arc de cercle où se tenaient les grands maréchaux du Rohan, restés après le baptême d’Elboron. Faramir faisait aussi partie de l’assemblée, à côté d’Eowyn, sur la droite. À côté de la grande table, dans un fauteuil, Gandalf était présent et fumait sa longue pipe à côté de la cheminée. Leur présence rassura un peu Alcara, qui fut invitée à s’asseoir dans un grand fauteuil.

- Dame Alcara, commença le premier conseiller et le plus âgé des maréchaux, comme vous le savez, il ne s’agit pas d’un interrogatoire. Nous sommes simplement ici afin de rassembler pour nos archives votre portrait et votre relation à notre roi, puisqu’il est question ici que vous entriez dans la lignée des descendants d’Eorl, fondateur d’Edoras. Nous avons des questions simples, et vous pouvez y répondre le plus simplement du monde. Voici la première : où avez-vous grandi et qui vous a élevée?

Alcara raconta alors l’histoire de Gandalf, qui l’avait recueillie et apportée à Fondcombe, son éducation parmi les elfes, son apprentissage de la vie de cour chez Elrond, mais aussi de la médecine et des arts de guérisseur.

- Pourquoi la médecine plus particulièrement, et non pas autre chose?

- Je pense que la cour d’Elrond a vu mon potentiel et ma curiosité, expliqua Alcara. C’est un lieu où l’on peut…où l’on pouvait découvrir de nombreux arts et choisir celui où s’exprimait notre talent.

- Et vous l’avez également appris à Minas Tirith?

- En effet, je me suis rendue dans la Cité blanche, car les guérisseurs y sont particulièrement renommés.

- Plus que les elfes?

- Les elfes ont des connaissances très anciennes, mais aussi certains pouvoirs magiques qui dépassent ceux des Hommes, expliqua-t-elle. Ils n’ont pas besoin d’autant de connaissances et d’expérimentations que nous.

- Quel est votre rapport à la magie ?

Alcara eut un regard interrogatif : elle regarda Éomer, qui ne pouvait prendre la parole pour intervenir, et Eowyn, qui la regarda avec une forme de crainte.

- J’ai vu beaucoup de personnes l’exercer, dit-elle prudemment. La reine Arwen, par exemple, a le don de prédiction, elle ressent des signes de l’avenir ou bien des événements ou des pensées lointains, dans l’espace et dans le temps. J’ai vu, bien sûr, le magicien Gandalf, ici présent, dit-elle en se retournant vers lui, et il lui rendit un sourire bienveillant. Ou encore les dons de la reine Galadriel, ou du roi Elrond.

- En avez-vous été témoin ici, dans le Rohan? insista le vieux maréchal.

Elle se demanda jusqu’où elle pouvait aller, devait-elle évoquer la bataille d’Edoras, ou même Fondcombe?

- J’ai pu y assister, répondit-elle prudemment, mais seulement des petits événements, bien loin de ce qu’on a pu voir dans les champs du Pelennor.

Le vieux maréchal n’insista pas, même s’il semblait vouloir lui faire dire quelque chose. Il se tourna alors vers le jeune maréchal de l’Estfolde, roux avec les traits fins, qui continua les questions.

- Dame Alcara, commença-t-il, pourriez-vous nous raconter ce que vous avez fait pendant la guerre de l’Anneau?

Elle expliqua alors la Maison de Guérison de Minas Tirith, les soins prodigués aux soldats, et à Eowyn et Faramir qu’elle avait rencontrés à cette occasion.

- Vous étiez donc à Minas Tirith dès le début de la guerre? demanda-t-il avec un faux air innocent.

Alcara avait bien conscience que tout l’eored d’Éomer devait se rappeler d’elle à présent, elle s’abstint donc de mentir.

- Non, avoua-t-elle, j’étais à Fondcombe au début de la guerre. J’ai pu rejoindre Minas Tirith avant l’avancée des troupes de Sauron à l’Est, et de Saroumane à l’Ouest.

- Pourquoi n’y êtes-vous pas restée? insista le maréchal. N’y étiez-vous pas plus en sécurité, loin du front et protégée par l’armée des elfes?

Éomer baissa les yeux sur ses mains, posées sur la table. Il savait la vraie raison, mais devait-elle avouer comme beaucoup le soupçonnaient, y compris le jeune maréchal, qu’elle exerçait elle aussi la magie?

- Le roi Elrond me l’a demandé, dit-elle. Il commençait à diriger son peuple vers les rivages de l’Ouest, et il savait que je resterai parmi les Hommes pour le nouvel Âge à venir.

- Cela ne pouvait donc pas attendre la fin de la guerre, comme pour sa fille Arwen?

- Elle devait partir elle aussi aux Havres gris, mais elle en a décidé autrement seulement plus tard, à la fin de la guerre.

Un silence suivit ses réponses : les maréchaux se regardèrent d’un air entendu. Alcara sentit que la situation ne lui était pas complètement favorable. Mais elle ne pouvait pas parler ostensiblement de magie, quitte à effrayer les Rohirrim. Il fallait un coup d’éclat comme celui de Gandalf, libérant le roi Théoden des griffes de Saroumane, pour se faire accepter. Et même ainsi, les superstitieux étaient encore nombreux à se méfier de lui et à l’identifier à Grima Langue de Serpent, voire à Saroumane.

Le jeune maréchal continua :

- Pouvez-vous nous raconter l’attaque d’Edoras?

Alcara les regarda tour à tour, et raconta la sortie près des tertres, le conseil du messager de partir armée et avec des gardes, l’attaque des premiers Orques et la fuite du messager. Elle insista particulièrement sur l’état de santé d’Eowyn, pour rappeler qu’elle en avait alors la responsabilité, et l’aide de l’élixir des Invincibles, pour rappeler qu’elle en était l’auteure et qu’il avait changé la donne pour l’armée du Rohan.

Elle raconta ensuite l’entrée des Orques dans la ville, comment ils les avaient repoussés vers la tour de guet, qu’ils avaient cru la bataille gagnée, mais que des Uruk-Hai avaient surgi de la roche. Et au moment où elle atteignit ce moment, le maréchal lui fit signe d’arrêter.

- Je vous remercie, dame Alcara. Pour compléter votre récit, nous allons faire entrer deux témoins supplémentaires.

C’est alors qu’entrèrent deux gardes, en uniforme mais sans leurs casques ni leurs lances. Alcara les reconnut : c’étaient les deux gardes qui étaient avec elle en haut de la tour de guet.

À la demande du jeune maréchal, ils narrèrent leur résistance en bombardant l’ennemi en contrebas avec tous les débris qu’ils avaient pu trouver, et les duels face à eux quand ils étaient parvenus à monter les marches.

- Vous étiez donc en haut de la tour, et eux en bas? demanda le maréchal aux gardes comme à Alcara. Vous n’étiez pas devant la porte de Meduseld pour la garder, ils auraient donc pu y entrer?

Éomer, Eowyn et Faramir, curieux de la réponse, les regardèrent. En effet, cela semblait à la fois dangereux pour Eowyn à cet instant, et peu stratégique.

- Il y avait des gardes royaux devant la porte, expliqua Alcara, ils auraient eu du mal à entrer. Peut-être voulaient-ils d’abord se débarrasser de nous pour entrer ensuite plus facilement dans le palais.

- Donc, ils vous visaient en priorité? Et non pas la princesse Eowyn ou le palais lui-même?

- C’est possible, répondit Alcara. Avec l’élixir, nous étions difficiles à éliminer.

- Mais vous étiez peu nombreux, ils ne se sont pas répartis pour attaquer sur deux fronts? C’est bien vous qu’ils visaient?

- Je suppose, avoua Alcara les sourcils froncés, ne comprenant pas où ils voulaient en venir.

Le jeune maréchal se tourna alors vers les deux gardes, et leur demanda :

- Une fois les Uruk-Hai arrivés en haut de la tour, à votre niveau, que s’est-il passé? Veuillez raconter exactement ce que vous nous avez dit.

Alcara eut le cœur qui battit plus vite : ce jeune maréchal séducteur et si courtois, avait bien une idée derrière la tête. Sous ses airs respectueux, il voulait mettre à jour les zones grises dans la vie d'Alcara. Au fond, lui aussi la voyait comme une étrangère, en plus de lui en vouloir personnellement de l’avoir rejeté et de l’avoir forcé à épouser Umiel. Mais elle ne pouvait faire autrement qu’écouter les gardes dire la vérité. Éomer les écouta et évita le regard d'Alcara, qui elle-même évita celui d’Eowyn et de Gandalf, à qui elle n’en avait jamais parlé.

- Eh bien…commença un garde en hésitant, les Uruk-Hai étaient prêts à nous attaquer, leurs épées étaient sorties. Mais un des plus grands, sûrement leur chef, leur a fait un signe pour leur dire de rester derrière lui et de ne pas se battre. Lui-même a rangé son épée, et s’est dirigé droit vers Dame Alcara. Et il lui a dit…quelque chose, en elfique je crois, mais je ne suis pas sûr. Elle a répondu dans la même langue, elle paraissait très en colère, mais alors, il lui a répondu autre chose qui a eu l’air de beaucoup la surprendre, et elle n’a rien répondu.

Alcara ferma les yeux et se concentra sur les battements de plus en plus rapides de son cœur, comme pour le faire ralentir.

- Et alors, continua le garde, ils se sont approchés d’elle, comme pour l’emmener avec eux, ou lui tirer le bras, et…elle a reculé, et…et il a été foudroyé.

- Foudroyé? s’étonna le maréchal, alors que l’assemblée se regardait avec gravité.

Gandalf fronça les sourcils, Eowyn regarda Éomer et Faramir avec incompréhension. Mais Éomer et Faramir ne firent pas un geste. Ils avaient été témoins de la scène, mais n’en avaient jamais parlé à quiconque.

- Oui, avoua le garde, et ensuite…ensuite, une autre foudre est arrivée. Elle a traversé l’épée de Dame Alcara, qui était en train de riposter vers les autres, et…la foudre les a tous réduits en poussière.

Des exclamations fusèrent tout autour de la table. Alcara tenta de réguler sa respiration le plus possible et réfléchit à toute allure.

- Vous voulez donc dire, dit le maréchal plus fort pour faire taire les commentaires, que contrairement à ce qui nous a été dit au retour de l’armée du Rohan à Edoras, l’incendie de la tour n’était pas dû à un brasero qui se serait renversé?

- Non, en effet, confirma le garde. Et je pense que plusieurs habitants confinés chez eux, à notre demande, ont vu ce phénomène depuis leurs fenêtres.

- Dame Alcara, pouvez-vous confirmer?

Elle rouvrit les yeux, et les regarda un par un. Pouvait-elle prendre le risque de dédire un garde du Roi? Pour se protéger, mais en inaugurant un climat de méfiance dans le palais? Elle opta pour un mensonge par omission.

- C’est possible, dit-elle, dans l’action, je n’ai pas bien vu ce qu’il s’était passé.

- De la foudre sous la neige, cela n’est pas très courant, ironisa le jeune maréchal. Soit vous l’avez vue, soit vous ne l’avez pas vue ?

- Cela faisait plus d’un jour et d’une nuit que nous combattions, sous le froid et la neige, s’impatienta Alcara. Je n’avais pas précisément l’esprit très clair.

Le maréchal n’insista pas et décida de l’attaquer par un autre front.

- Pourriez-vous nous raconter ce que vous a dit l’Uruk-Hai?

En réfléchissant à nouveau à toute vitesse, elle dit :

- Il parlait en effet en une sorte de mauvais elfique, quelque chose de proche de la langue du Mordor vraisemblablement. Il a dit…il m’a demandée de les suivre.

Éomer la fixait à présent, très concentré. Personne ne la quittait des yeux.

- Je ne voulais pas, évidemment, et je lui ai dit le fond de ma pensée.

- Qui était...? Insista le maréchal.

- Qui était qu’il pouvait bien aller aller se faire cuire un œuf ailleurs, répliqua Alcara, et elle ne parlait pas seulement de l’Uruk-Hai en disant cela au jeune maréchal d’un œil noir.

Après quelques rires, ce dernier, vexé, contre-attaqua :

- Mais alors pourquoi avez-vous eu l’air si étonnée, comme nous l’ont raconté les gardes? Était-ce si étonnant qu’il vous demande de les suivre?

- Si vous les connaissiez mieux, dit Alcara, vous sauriez qu’ils ne prennent pas d’otages. Si je les avais suivis, je n’aurais pas vécu très longtemps.

- Et donc ? Insista encore le maréchal ? Cela vous a étonnée ? Je suis désolé, je ne comprends pas très bien…

- J’ai simplement réalisé que si j’acceptais, cela pouvait épargner Edoras, mais j’ai ensuite pensé à Eowyn et son enfant, et j’ai refusé.

- Pourquoi vous auraient-ils demandé, à vous, spécifiquement, d’être leur otage? Pourquoi pas la princesse Eowyn et son enfant? Sans vouloir vous offusquer, n’étaient-ils pas des otages avec plus de valeur, d’une certaine façon?

- Vous pouvez leur demander vous-mêmes, je ne connais pas les intentions des Uruk-Hai. Et si vous n’avez plus d’autres questions, j’aimerais clore ce chapitre, car j’avais cru comprendre que ce n’était pas un interrogatoire.

- En effet, confirma le maréchal, mais je n’ai pas tout à fait terminé. D’après nos renseignements, un événement plutôt…proche, a eu lieu également à Fondcombe, mais vous vous êtes abstenue de nous en parler.

Son cœur battit la chamade à nouveau. Elle pensait que l’interrogatoire était terminé…

- Apparemment, d’autres Uruk-Hai étaient arrivés devant le palais d’Elrond, et vous ont réclamée. Mais cette fois-là, par contre, vous auriez été prête à être leur otage.

Qui avait bien pu le lui raconter? Qui savait tous ces détails? Cela ne pouvait pas être Éomer…

- Et là encore, miraculeusement, les troupes ennemies ont été noyées, emportées dans les douves de Fondcombe. Dans un lieu elfique, la magie est sûrement plus habituelle, j’en conviens. Mais ici à Edoras, loin de tout autre magicien, ne trouvez-vous pas cela curieux ? Et comme par hasard, vous partez de Fondcombe pour rejoindre Minas Tirith ?

- Je ne m’explique pas moi-même la moitié de ce que vous racontez, répliqua Alcara. Mais je ne savais pas que c’était un problème de terrasser nos ennemis, peu importe la manière.

- La manière compte dans un royaume où ceux qui nous ont rendu service par la magie nous ont aussi soumis à elle, rétorqua le vieux maréchal qui sortit de son silence. Et nous sommes nombreux à nous souvenir vivement de l’emprise de notre bon roi Théoden par…

- Je ne veux pas que le nom de cette vermine soit prononcé ici ! s'exclama soudainement Éomer en se levant. Je refuse également que de tels rapprochements soient faits entre des manipulateurs et ceux qui nous en ont délivré. Le magicien Gandalf, ici présent, n’a que faire d’entendre de telles bassesses, alors que grâce à lui nous avons été libérés du joug de Saroumane. Si vous voulez régler vos comptes avec la magie, trouver une autre cible. Vous êtes bien heureux que Dame Alcara nous ait découvert l’élixir des Invincibles, ait soigné la princesse Eowyn et son époux le prince Faramir, et ait permis que leur fils puisse naître sans encombre. Que cherchez-vous à prouver ainsi ?

- Seulement que toute la vérité soit dite, roi Éomer, répondit le vieux maréchal en se tournant vers lui. Et qu’il n’y ait pas d’intention derrière certains silences de votre promise.

- Il n’y en a aucune, je puis vous le jurer, promit Alcara. Et j’ai toujours tenu parole.

- Pourtant, l’élixir des Invincibles n’a pas eu que des effets bénéfiques, ajouta le jeune maréchal roux.

Cette déclaration jeta un lourd silence sur l’assemblée, et Alcara se tourna vers lui, étonnée. Le maréchal ayant toute l’attention, raconta :

- L’élixir a tout changé sur les champs de bataille, c’est vrai. Mais son usage a aussi été dévoyé. Les soldats l’utilisent, car ainsi il sont sûrs de pouvoir ressusciter, ou de pouvoir faire ressusciter les autres, et…s’adonnent à des jeux de plus en plus dangereux. On en a vu faire exprès, par défi, de se mettre en danger à cheval, en se jetant dans le vide ou pire, et j’espère que ces rumeurs sont fausses, en s’en prenant les uns aux autres, quitte à aller jusqu’à…la torture, parait-il. Ils n’ont plus peur de rien, mais ils n’ont plus de limites.

Éomer s’était rassis, en regardant ailleurs : ses maréchaux avaient dû l’en informer, mais il ne l’avait pas dit à Alcara. Ils commençaient à se cacher des choses l’un à l’autre, se dit-elle, par volonté de bien faire… mais les bonnes intentions ne mènent pas toujours aux meilleures solutions.

Alcara, quant à elle, était stupéfaite. Elle pensait avoir fait une découverte inestimable pour le progrès humain, mais il apportait à présent le chaos et l’anarchie. Plus personne n’avait peur de mourir…

- Dame Alcara a fait une découverte unique, déclara Gandalf d’une voix forte, sortant de son silence, depuis son fauteuil, près de la cheminée. Elle ne peut être tenue responsable du dévoiement de l’élixir. Il n’appartient pas aux guérisseurs de décider de l’usage qui est fait de leurs découvertes. Comme vous le savez, les rôles sont partagés : aux guérisseurs les remèdes, aux rois et aux maréchaux de faire régner l’ordre dans la société.

- Voulez-vous dire que nous devrions confisquer l’élixir ? demanda le vieux maréchal.

- C’est à nous d’en décider, trancha Éomer, et sa décision semblait déjà prise. Nous réunirons un nouveau conseil prochainement, et en attendant, nous allons suspendre la production de l’élixir des Invincibles.

Un nouveau silence s’installa. Les maréchaux observaient Alcara, semblant avoir encore des doutes et cherchant de nouveaux arguments pour s’en méfier. Le jeune maréchal rongeait encore son frein et semblait vouloir encore régler ses comptes, mais obéit à son roi. Le vieux maréchal soupira et conclut :

- Je pense que nous en savons suffisamment à présent. Dame Alcara, je vous remercie et vous prie de nous pardonner certaines de nos questions un peu véhémentes, qui ne visaient qu’à chercher à juger le plus justement possible.

- Je ne vous en tiens pas rigueur et vous remercie, dit-elle en se levant et en jetant un regard à Éomer.

Ce dernier évita son regard. Eowyn et Faramir quant à eux, semblaient gênés et interrogatifs. Et Gandalf fumait en fixant la cheminée, l’air pensif et préoccupé.

Elle soupira et ressortit par le balcon puis descendit prendre l’air dans le jardin. Cette séance du conseil validerait leur mariage, sans aucun doute : mais quelque chose d’insidieux venait de s’installer entre elle et Éomer, entre elle et ses amis. Le Doute, puissant reflet symétrique de l’Espoir, tissait sa toile à son tour.

Ne sachant que faire, tournant comme un lion en cage, Alcara décida d’aller vers les écuries et de partir chevaucher avec Remèan, pour s’éclaircir l’esprit, malgré le jour qui déclinait. Sans y prendre garde, elle se dirigea vers la nécropole des ancêtres d’Éomer et d’Eowyn. Nombreux étaient ceux qui étaient morts sous les coups des Orques, des Uruk-Hai ou des Nazgûl. Cela avait forcément créé des blessures profondes. Mais elle-même ne pouvait pas être associée à Grima! Pourquoi le jeune maréchal, si avenant et courtois habituellement, avait-il joué ce jeu de dupes et l’avait piégée ?

Elle entendit alors un galop derrière elle. Elle craignit qu’il ne s’agisse d’Éomer, mais c’était Gandalf qui arrivait sur le dos de Gripoil. Elle l’aida à descendre de sa monture, il avait en effet plus de difficultés qu’autrefois à se mouvoir et à marcher.

- Merci, Petite Aube, lui dit-il en elfique. Mes jambes ne sont plus ce qu’elles étaient.

- Vous parlez en elfique, Gandalf? demande-t-elle ironiquement. Je n’ai pas l’impression que cette langue soit la bienvenue ici…

- Peu importe, balaya-t-il d’un revers de main, cette fois dans la langue commune. L’étroitesse d’esprit est un caillou dans la chaussure, mais rien de plus que cela. Ils valideront votre mariage.

Alcara ne répondit rien, sachant que cette nouvelle ne la soulageait pas spécialement. Elle devrait vivre parmi eux en devant les convaincre chaque jour de sa valeur, et ce n’était pas une perspective réjouissante…

Gandalf se dirigea spontanément vers la tombe de Théoden, appuyé sur son bâton magique. Il se pencha pour lire l’inscription, et baissa la tête comme pour saluer les disparus. Alcara s’approcha près de lui et baissa la tête en silence à son tour.

- J’ai été me recueillir sur une autre tombe, il n’y a pas si longtemps, dit doucement Gandalf, avec une voix triste.

- Vraiment ? demanda Alcara en fronçant les sourcils, je suis désolée. Quelqu’un que vous connaissiez ?

Mais Gandalf ne répondit rien, perdu dans ses pensées. Soudain, il la regarda, comme las, et lui dit :

- Petite Aube, j’aimerais te raconter une histoire. Asseyons-nous sur ce petit banc de pierre, et regardons le soleil se coucher. 

Alcara sentit battre son cœur, et lui prit le bras pour l’aider à s’asseoir dos aux tertres, face à Edoras et au soleil couchant. Il s’était mis à la tutoyer d’un seul coup, comme s’il retrouvait un enfant du passé, et cela l’inquiéta.

« L’histoire que je vais te raconter est douloureuse, avoua Gandalf. J’ai mis du temps à la reconstituer, à en retrouver les parcelles les plus secrètes. Mais j’ai retrouvé toutes les pièces à présent. Avant de te la raconter, je veux que tu me promettes une chose : ne laisse pas les émotions t’envahir. »

Alcara le regarda, interloquée.

« Ne laisse ni la colère, ni la douleur, ni même l’envie ou la passion, t’envahir. Même l’espoir peut être mauvais, quand il domine ton esprit. Promets-le moi. »

Il avait sa main sur les siennes, et Alcara, à la fois impatiente et alarmée, le lui promit.

« Bien. Je te remercie.

« Mon histoire, vois-tu, commence au bord de la mer, dans la baie de Belfalas, au Sud de la Terre du Milieu. Une région riche et prospère, havre majeur, où arrivèrent les elfes de notre monde. Là-bas, certains s’unirent à des hommes et à des femmes, et donnèrent des descendants de haute lignée, qui avaient leur beauté et leur noblesse.

« Parmi ces grandes familles, celle du prince Imrahil est aujourd’hui l’une des plus importantes. La sœur aînée d’Imrahil avait épousé Denethor, intendant du Gondor, et Boromir et Faramir sont ses neveux. Il a eu de nombreux fils et de nombreuses filles, qui ont hérité de sa richesse et de sa beauté.

« Mais Imrahil a aussi eu des drames dans sa vie, l’un d’eux étant d’avoir perdu sa jeune sœur, sa préférée, Lothiriel.

« Lothiriel était la plus belle et la plus innocente, mais aussi la plus romantique. Elle ne manquait pas de caractère, et savait se battre, manier l’épée, chevaucher au galop. Elle devint rapidement le parti le plus prisé du Gondor. Mais elle voulait se marier par amour, et non par devoir.

« Un jour, un grand tournoi fut organisé, et des chevaliers valeureux y combattirent. Parmi eux, elle remarqua l’un des plus méritants : et quand il enleva son heaume, révélant un magnifique jeune homme, qui lui offrit sa rose de tournoi, elle fut certaine qu’elle était tombée amoureuse.

« Elle chercha à le revoir par tous les moyens : mais ses parents et son frère ne savaient presque rien de lui. C’était un étranger et un jeune homme mystérieux, mais très beau et très courtois, et tous l’aimaient et l’admiraient. Mais la famille de Lothiriel ne pouvait l’accepter comme époux de leur fille s’ils n’avaient pas plus de renseignements à son sujet.

« Peu de gens le savaient, mais Lothiriel et lui étaient parvenus à se revoir en cachette. Et le jour de ses vingt ans, d’un seul coup, Lothiriel disparut. Le jeune homme, lui aussi, était introuvable. On comprit alors qu’ils avaient fui ensemble. Son frère Imrahil était à la fois très inquiet et très en colère, il aurait défié ce jeune homme s’il l’avait pu, tenant particulièrement à l’honneur de sa famille.

« Un beau jour, après plusieurs semaines de recherche, elle réapparut. Seule, et désespérée. Après quelques mois, on comprit alors son désarroi : le jeune homme l’avait abandonnée, mais elle se trouva être enceinte. »

Alcara regardait machinalement le soleil se coucher, sans vraiment le voir, perdue dans ses pensées, dans une cité au bord de la mer. Mais ses mains serraient toujours fort celles de Gandalf.

« C’était une catastrophe pour la plus grande famille de Dol Amroth. Un déshonneur immense. Ils cachèrent la jeune fille autant que possible, mais le scandale était imminent. Imrahil lui-même avait honte pour elle ; et son affection autrefois grande se mua en haine contre elle et son erreur. 

« Lothiriel se retrouva sans soutien, elle affirmait que le jeune homme était un magicien, qu’il était impossible de se venger de lui, et qu’il était trop tard. Face à l’impossibilité de lui rendre honneur ou de la cacher, on chassa Lothiriel, pour toujours, pour préserver la réputation de la famille. 

« La jeune fille comprit que plus jamais elle ne reverrait les siens. Désespérée, elle s’enfuit à nouveau, seule cette fois. Mais l’errance pour une femme enceinte et sans ressources est difficile. Elle parcourut les campagnes dans la plus grande pauvreté, et nul ne chercha à l’aider dans sa situation. 

« Abandonnée, elle décida de se laisser mourir au bord du chemin. Mais c’est alors qu’un prince elfique, comme il en existait encore beaucoup dans le Gondor, la secourut et la conduisit chez la reine Galadriel.

« Cette dernière reconnut la noblesse de la jeune femme et sa situation, même si elle ignorait son nom, car elle ne le révéla jamais, et lui prodigua tous les soins possibles. Mais c’était déjà trop tard, et la jeune femme accoucha immédiatement, dans la douleur, de son enfant. Après des mois de privation et d’errance, elle avait épuisé son corps, et en donnant la vie, elle se donna la mort. »

Alcara regardait toujours le coucher de soleil et ôta machinalement une larme de son œil, n’ayant pas cligné des yeux depuis longtemps. Il commençait à faire plus froid.

« Galadriel récupéra l’enfant, qui était une belle petite fille. Contrairement à sa mère, elle n’avait pas les yeux bleus de Dol Amroth, mais des yeux d’un noir profond. Elle confia alors l’enfant à un magicien qui serait capable de savoir d’où elle venait, et qui était son véritable père.

« Comme tu dois t’en douter, je suis ce magicien. Pendant des années, j’ai recherché sa famille, qui l’avait reniée et ignorait son sort. J’ai retrouvé finalement Imrahil pendant la guerre de l’Anneau, il combattait avec les troupes du Gondor sous son blason, le Cygne blanc. Je suis allé le trouver après le couronnement d’Aragorn, et je suis parvenu à découvrir l’existence de sa jeune sœur et à lui faire avouer ce qu’il s’était passé. Il fut désespéré d’apprendre sa mort, même s’il s’en était douté, et il fit déplacer sa tombe de la Lorien à Dol Amroth, face à la mer. C’est là que je suis allé me recueillir sur sa tombe.

« Je lui ai aussi confié l’existence d’une petite fille, devenue une grande et belle jeune femme. Après avoir nié vouloir la reconnaître, il a finalement accepté, après que je l’ai convaincu, de cicatriser le passé. »

Gandalf tendit alors à Alcara un parchemin enroulé et scellé avec un cachet de cire représentant un cygne.

« Il reconnaît comme une de ses descendantes celle à qui Lothiriel, dans la douleur, a donné son propre nom. Alcara, ton vrai nom est Lothiriel. Lothiriel de Dol Amroth. »

Alors elle se souvint, il y a peu de longtemps mais qui semblait être une éternité, quand Imrahil de Dol Amroth l’avait abordée, la veille du mariage d’Aragorn et d’Arwen, là-bas à Minas Tirith. Il l’avait tant regardée, avec une sorte de choc, et lui avait dit qu’elle ressemblait à quelqu’un qu’il connaissait. 

Il avait dû voir en elle sa sœur disparue.

Sans y prendre garde, elle laissa couler une larme sur le parchemin.

« Pourquoi avez-vous tant attendu, Gandalf ? »

Il resta silencieux, et ferma les yeux dans un soupir douloureux.

« Je suis vieux à présent, Petite Aube. Mon temps sur la Terre du Milieu est révolu. Je pensais avoir encore le temps pour tout remettre en place, et tout comprendre, mais…même après plusieurs siècles d’existence, le temps me fait aujourd’hui défaut. A présent que j’ai pu voir Imrahil, tout rentre dans l’ordre. Tu pourras aller lui rendre visite, il sait que tu le feras. Ce qui m’a pris le plus de temps, vois-tu, a été de comprendre qui était ton père. »

Alcara fixait le parchemin, et écouta patiemment la suite.

« Tu avais des dons très particuliers, ceux que ni une princesse du Sud ni un beau chevalier ne peuvent avoir. Ils se sont révélés plus tard, et je n’ai vraiment compris que lorsque tu m’as raconté ce qui était arrivé à Fondcombe. Ce qui a été déclaré ce soir, au conseil du Roi, sur ce que t’ont dit les Uruk-Hai en haut de la tour de guet d’Edoras, m’en apporte aussi la confirmation. Tout est cohérent et a pris son sens.

« Je n’avais que peu d’indices sur tes origines. Et il a fallu reconstituer des chemins, des visites, des voyages, même des heures précises pour tout remettre en place. Cette grande enquête, je l’ai menée en parcourant la Terre du Milieu, en retrouvant chaque sorcier, chaque magicien existant.

« Et puis j’ai compris un jour, alors que quelqu’un parlait des couleurs d’yeux si particulières de certaines personnes. Je me suis rappelé tes yeux. Peu ont des yeux si sombres, si pénétrants, mais en même temps si brillants. Je me suis souvenu qu’une seule personne avait ce regard.

« Alors je suis allé le trouver. Mais j’y suis allé trop tard.

« Il avait déjà tant changé, que nous n’avons partagé que des sujets sur la guerre et sur la paix, sur les amis et sur les traîtres. Il a essayé de me jeter un sort pour me faire fléchir, mais j’étais déjà Gandalf le Blanc. En effet, je ne l’ai retrouvé que très récemment, à la fin de la Guerre de l’Anneau. Et oui, il était trop tard : il est mort à présent. En allant chez lui, et en détaillant ses affaires, ses instruments, j’ai retrouvé quelque chose, et cela ne faisait plus aucun doute : c’était bien lui. »

Gandalf sortit alors de son grand manteau un beau ruban bleu, sur lequel des cygnes blancs étaient brodés.

« Ce qu’il s’est passé précisément entre Lothiriel et lui, je l’ignore. Nous ne le saurons sans doute jamais. Ce que je crois, c’est qu’il a rencontré Lothiriel quand elle était au comble de la beauté et de la jeunesse, et qu’il est tombé passionnément amoureux d’elle. C’était un maître de la dissimulation, il s’est donc jeté un sort pour devenir à ses yeux un magnifique jeune chevalier. Ils se sont aimés, et se sont enfuis ensemble. Après, que s’est-il passé? Est-ce que Lothiriel a découvert sa véritable identité et a pris peur? Est-ce lui qui l’a abandonnée, ignorant qu’elle attendait un enfant ? Nous ne le saurons sans doute jamais. Mais il a gardé ce ruban, il avait donc encore ce souvenir, malgré la haine, malgré sa fascination pour le pouvoir, malgré son désir de toute-puissance. Malgré sa fascination pour Sauron. »

Alcara ferma les yeux, et de nouvelles larmes coulèrent de ses joues.

- C’est impossible…c’est impossible… , murmurait-elle, comme pour conjurer une malédiction.

- Petite Aube, dit Gandalf avec douceur en lui prenant les mains à nouveau, je t’en supplie, souviens-toi, tu m’as promis…Ne laisse pas les émotions prendre le pas. Ma magie peut encore te protéger, mais tes pouvoirs sont immenses. Si tu les laisses s'exprimer sans les retenir, tu peux courir à la destruction. Et je suis vieux, je… je vais bientôt quitter la Terre du Milieu.

Alcara rouvrit les yeux, et Gandalf vit la douleur et la terreur se mêler dans ses grands yeux sombres, les mêmes yeux que son père.

- Je dois partir pour Fondcombe, retrouver là-bas le roi Elrond et la reine Galadriel, mais aussi mon vieil ami, Bilbon. De là, nous irons retrouver nos amis de la Comté, et leur dire au revoir avant de rejoindre les Havres gris. Et je partirai, avec les Porteurs des Anneaux de pouvoir, pour les Terres de l’Ouest.

Alcara ne sentait même plus ses sanglots, elle ne pouvait que tenir les mains de Gandalf, comme pour l’empêcher de partir.

- Gandalf, ne me laissez pas, dit-elle dans un murmure, entre deux sanglots. Je ne sais pas quoi faire, comment vais-je pouvoir le dire à Éomer ? Et aux Rohirrim ?

- Éomer et toi avez fait le vœu de toujours vous dire la vérité, lui répondit Gandalf. Grâce à cette vérité, il a compris qu’il t’aimait, elle est donc bénéfique. Tu ne pourras pas lui mentir si vous devez partager vos vies ensemble. Je…je sais qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de le lui annoncer. Quant aux Rohirrim, ils s’habitueront, et ils l'accepteront. Mais souviens-toi d’une chose.

Il se tourna vers elle et lui prit le visage plein de larmes dans ses mains, comme pour insister sur l’importance de ce qu’il allait lui dire.

- Tu es la personne la plus forte et la plus puissante que je connaisse. Tu sauras tirer parti de ton passé de la meilleure des façons. Tu l’as fait pendant les pires heures de la Guerre de l’Anneau : au lieu de fuir ou de te cacher, tu as soigné tous les autres. Tu es capable de cela. Ta magie sert à aider, à donner, à guérir. Tu es plus proche de Galadriel ou plus proche de moi, que de Lui.

- Gandalf, j’aurais tant aimé…murmura Alcara. J’aurais voulu découvrir que vous étiez mon père.

Il sourit et ses yeux brillèrent un peu d’émotion.

- Je l’ai été d’une certaine façon, Petite Aube. Et je suis heureux de l’avoir été. Mais tu ne dois tes mérites qu’à toi-même. De grandes choses t’attendent, il ne dépend que de toi de les réaliser pour le meilleur, et non pour le pire. Ne l’oublie pas. Et tu n’as pas besoin de moi pour cela, tu y arriveras.

Alcara ne put que hocher la tête, et elle le prit dans ses bras, comme quand elle était enfant à Fondcombe, et qu’elle était heureuse de le retrouver.

- Je vous promets de suivre vos conseils, Gandalf. Mais je ne peux accepter que vous deviez partir de la Terre du Milieu. J’ai encore besoin de vous.

- Je serai là quoi qu’il arrive, promit Gandalf. Tu sais, la magie est très particulière, elle rapproche ceux qui sont éloignés. Tu le vois avec Arwen, qui peut vous envoyer des bienfaits par la pensée. La magie n’a pas encore complètement disparu de ce monde, et tu en es la dernière héritière. Prends-en soin.

Il se leva alors, et se dirigea vers Gripoil, qui caressa Alcara avec sa tête.

- Il t’aime bien, sourit Gandalf. Tu es déjà la reine des chevaux.

- Je ne sais pas si je pourrai être reine du Rohan maintenant que je sais tout cela, dit amèrement Alcara.

- Tu le seras, affirma Gandalf en se tournant vers elle, et en lui caressant la joue une dernière fois.

Alors il monta sur son cheval, et Alcara sut qu’ils ne se reverraient pas. Mais elle se souvint de tout ce qu’il lui avait apporté, et sourit avec sérénité.

- Bon voyage, Gandalf, je garderai pour toujours le souvenir de votre bienveillance. Merci pour tout.

- Merci à toi, Petite Aube. Je sais que tu porteras l’avenir de la Terre du Milieu, et je n’ai pas peur.

Et il lança son cheval au galop, dans la lande assombrie par le coucher du soleil.

Alcara le regarda longtemps, jusqu’à ce qu’il ne soit plus qu’un point minuscule dans l’horizon et le crépuscule. Elle remonta alors vers Edoras, comme poussée par le destin, contre lequel à présent, elle ne pouvait plus grand chose.

👀 Alors, qu’en avez-vous pensé ? Est-ce une surprise pour vous ? Comment voyez-vous la suite de l’histoire? Comment Alcara pourra l’annoncer à Eomer? La réponse dans le prochain chapitre ! 

 

Chapter 36: Révélations

Chapter Text

Révélations

Musique à écouter sur ce chapitre : 

Je suis désolée de ce qui va se passer, mais vous savez ce qu'on dit, parfois un auteur doit être cruel avec ses personnages pour faire avancer l'histoire... Bonne lecture !

Elle rentra ainsi seule, et se rendit directement là où elle avait besoin d’aller : dans les appartements d’Éomer.

Pourtant, avant de toquer à la porte, elle hésita : Éomer était celui dont elle avait le plus besoin en cet instant, celui dont les bras la réconforteraient. Mais il était aussi celui à qui la vérité serait la plus difficile à dire. 

Elle se sentit épuisée, découragée par la révélation qui venait de lui tomber sur les épaules, comme un poids trop lourd pour elle. Et elle prit une décision, dont elle n’était pas fière, et qui risquait de la ronger encore longtemps, mais la seule possible en cet instant. Elle cacha alors le parchemin d’Imrahil et le ruban dans les grandes poches de sa robe.

Quand elle ouvrit la porte, Éomer, qui était en train de faire les cent pas devant sa cheminée, accourut vers elle, inquiet de ne pas l’avoir revue après le conseil du roi.

Il la prit immédiatement dans ses bras, et Alcara poussa un long soupir, qui au lieu de l’alléger, l’alourdit encore plus. Elle avait l’impression d’avoir trouvé un radeau auquel s’accrocher, mais que la tempête venait à peine de commencer.

“Mon Amour, j’étais si inquiet, dit-il immédiatement. J’avais cru que tu étais partie loin, dans la nuit…est-ce que tout va bien?”

C’est alors qu’en se reculant pour la regarder, il remarqua les traces de ses larmes sur ses joues, et son air bouleversé. Il s’alarma immédiatement.

- Que s’est-il passé ? demanda-t-il d’un air affolé.

- Ne t’inquiète pas, dit-elle en souriant d’une voix éteinte et en essuyant les traces de larmes de ses joues, j’étais avec Gandalf. Il est parti, pour toujours. Il va rejoindre les Terres de l’Ouest.

Et elle se dirigea à son tour vers la cheminée, comme pour y retrouver un peu de chaleur et de réconfort. Éomer la suivit, ne sachant que lui dire.

- Je suis désolé, dit-il simplement. C’était comme un père pour toi.

Alcara ne put s’empêcher de sourire de l’ironie du sort, et se lova à nouveau dans ses bras, comme pour se réconforter.

- Je suis désolé aussi de la façon dont s’est déroulé le conseil, ajouta-t-il. Mes maréchaux ont été odieux avec toi. Je m’en chargerai.

- Non, le coupa-t-elle fermement. Ils cherchaient seulement à connaître la vérité. Ne leur en tiens pas rigueur.

Il laissa passer un silence, ne sachant pas si le moment était opportun, mais il ne put s’empêcher de lui demander :

- C’est donc vrai, ce qu’ils ont dit?

Alcara soupira, et leva la tête vers lui. Son visage, à la lueur rougeâtre du feu, paraissait plus mélancolique encore.

- Oui. Les Uruk-Hai se sont adressés à moi. Ici, à Edoras, mais aussi à Fondcombe.

- Et ils t’ont demandé de les suivre?

- Oui.

Éomer la regarda, essayant de déchiffrer son visage encore triste, attendant de savoir s’il pouvait continuer à lui poser des questions.

- Pourquoi tu ne me l’as pas dit ? lui chuchota-t-il, en repoussant tendrement une des mèches de cheveux de son visage.

Elle laissa passer un nouveau silence : elle avait pris sa décision avant de franchir la porte, et sa lassitude lui pesa plus encore.

- Cela ne me paraissait pas important, alors. Jamais je ne les aurais suivis. Et heureusement, tu es arrivé, pour me sauver.

- Tu te débrouillais déjà bien toute seule, lui sourit-il, en lui embrassant le front.

Mais Alcara, en soupirant, le serra fort dans ses bras, comme pour l’aider à affronter l’avenir incertain qui se dressait devant eux. Seule, c’était justement sa crainte, pour les temps à venir…

- Viens, lui murmura-t-elle. Allons nous coucher. Je suis fatiguée.

Et Éomer, n’insistant pas davantage, l’accompagna dans la chambre. Il se posait mille questions, mais n’osa pas les aborder avec elle : elle venait de perdre Gandalf, comme eux tous, et il faudrait laisser passer ce moment douloureux.

Et Alcara, exténuée, laissa le secret s’enfermer en elle.

Les semaines suivantes furent consacrées aux préparatifs du mariage : les rues, le palais étaient peu à peu décorés, et Alcara se prêta aux essayages de robes et aux répétitions.

Mais elle se sentit ailleurs : la joie qui l’avait habitée jusqu’à présent laissa place à un sentiment ambivalent. Elle avait l’impression d’être spectatrice de ses fiançailles, comme si une autre qu’elle devait épouser Éomer. 

Eowyn, ayant vu son changement d’humeur, pensait qu’il s’agissait d’une crainte face aux responsabilités de reine qui l’attendaient, et face à la réduction de la liberté qu’elle avait auparavant, pouvant aller où elle voulait, parler à qui elle souhaitait. Alcara joua le jeu et le prétendit en effet, pour ne pas aborder avec quiconque le secret qui la tourmentait à présent. Elle réussit ainsi à gagner du temps, des jours, des semaines de silence. Elle se demandait combien de temps elle y parviendrait encore…

Mais elle se sentit étouffer peu à peu, de plus en plus coupable d’avoir décidé de ne rien dire. Elle avait promis à Gandalf de ne pas se laisser aller à ses émotions, et elle les maîtrisait si bien qu’elle sembla froide, ou indifférente à son propre mariage. Mais elle devait aussi la vérité à Éomer, et elle reculait le moment de le lui avouer. Elle se disait qu’elle ne pouvait pas gâcher ce moment si important de leurs vies, mais comment trouver la bonne façon de raconter une chose aussi grave ? Et comment réagirait Éomer face à de telles révélations ?

Elle passa de plus en plus de temps à chevaucher, seule, dans la lande, pendant des heures, négligeant de se préparer aux danses et aux traditions du Rohan, qu’elle appréciait tant auparavant. Elle avait l’impression qu’elle allait trahir les Rohirrim, alors qu’elle n’avait rien fait contre eux, et subissait seulement l’injustice d’être née de parents aux destinées funestes.

Éomer, quant à lui, s’aperçut que quelque chose avait changé avec le départ de Gandalf. Il savait que le magicien avait dû parler à Alcara de ses propres pouvoirs, mais qu’avait-il bien pu dire exactement, qui la rende si différente, si insensible et détachée de leur mariage, qui était pourtant la plus belle des nouvelles ? Avait-elle des dons plus néfastes que ce qu’elle pensait ? Est-ce que cela avait un lien avec ce que les Uruk-Hai lui avaient dit lors de la bataille d’Edoras ?

Il ne cessait de se demander si elle lui avait caché quelque chose, mais il savait que c’était à elle d’en parler, et il respecta son silence, malgré la frustration que cela fit naître en lui peu à peu. Il espérait simplement qu’elle lui fasse suffisamment confiance à présent, pour lui dire ce qu’elle avait sur le cœur.

La semaine avant le mariage, prévu au solstice d’été, arriva. Éomer, debout dans la grande salle déjà décorée en cette soirée encore froide de juin, méditait, appuyé au manteau de l’immense cheminée, où brûlait un petit feu.

Alors que la nuit tombait, Alcara entra par la grande porte, revenant d’une de ses longues chevauchées solitaires. Elle était encore en tenue de cavalière, et elle sursauta en voyant qu’Éomer l’attendait.

-  Tu es encore partie chevaucher, aujourd’hui, lui dit-il de sa voix douce, mais le sourire amer qu’il arborait suffisait à dire son état d’esprit.

Elle évita son regard, mais s’approcha à son tour de la cheminée, et observa le feu.

- Tu…chevauches seule, n’est-ce pas ?

Alcara, étonnée de sa remarque, leva la tête pour le regarder, et elle comprit qu’il exprimait une forme de jalousie, à nouveau, croyant peut-être qu’elle retrouvait quelqu’un d’autre, ailleurs.

- Évidemment! s’exclama-t-elle spontanément, et Éomer, un peu honteux de ses soupçons, se sentit coupable de ses doutes. Je n’aime que toi, Éomer, il faut que tu le croies définitivement.

- Alors pourquoi…commença-t-il en regardant le feu, fronçant les sourcils. Pourquoi n’es-tu pas plus heureuse, que nous nous mariions ?

- Tu sais que je n’ai jamais aimé le protocole, tenta-t-elle d’éluder. Les essayages de robes, les danses, les cérémonies, tout cela n’est pas l’essentiel…

- Mais tu as été prête à le faire, pour le mariage d’Eowyn, insista Éomer. Pourquoi pas pour le tien? Pour le nôtre ?

Alcara sentit son cœur battre plus rapidement, et l’inquiétude l’envahir. Mais Éomer continua, et son ton monta peu à peu.

- Tu n’es pas venue pour la répétition de la cérémonie, lui dit-il avec amertume, comptant sur ses doigts, de plus en plus en colère. Tu n’as pas voulu savoir qui nous invitons. Tu as refusé d’organiser le dîner de veille de mariage avec tous nos convives. Je ne sais même pas si ta robe est prête ! Est-ce que tout cela t’intéresse? Pourquoi, après avoir été si enthousiaste, si impatiente auparavant, tu n’es plus présente ici, avec moi ?

- Éomer, ne commence pas à me faire des reproches ! lui rétorqua-t-elle pour se défendre, peu à peu en colère à son tour. N’ai-je pas le droit de chevaucher moi aussi, comme les hommes? De trouver des moments de liberté ?

- Ce ne sont pas des reproches, c’est la stricte vérité ! Tu pourrais chevaucher autant que tu le souhaites, si tu n’avais pas l’air aussi indifférente à l’événement le plus important de nos vies ! répliqua Éomer.

- Je ne suis pas indifférente, c’est injuste de me dire cela !

- Alors qu’y a-t-il? Pourquoi as-tu changé ? Pourquoi, depuis le départ de Gandalf, ne me dis-tu plus rien ?

Alcara ne répondit pas, elle ne pouvait que sentir sa respiration s’accélérer. Il avait raison, elle le savait, mais elle ne pouvait se résoudre à lui dire pourquoi.

- Alcara, ajouta-t-il avec gravité, en se retenant de parler plus fort encore sous le coup de la colère et de l’incompréhension. Nous devons nous marier dans quelques jours. S’il y a quelque chose que je dois savoir, il faut me le dire. Maintenant.

Alors, elle sentit que les quelques semaines de répit qu’elle s’était accordées ne pourraient pas durer indéfiniment, et le secret qu’elle avait bien gardé ne pourrait y résister.

- En effet, je dois te dire quelque chose. Mais sache que…c’est la chose la plus difficile que j’aie eue à dire de toute ma vie.

 

Elle poussa un long soupir en regardant le feu dans la cheminée, se calmant peu à peu, et s’approcha de lui. Éomer commença à s’inquiéter, et Alcara devina qu’elle ne pouvait plus reculer, à présent.

- Éomer, tu le sais, commença-t-elle à lui dire lentement et avec hésitation, nous nous sommes jurés de nous dire la vérité. Car il y a des choses que tu peux comprendre, et accepter. Tu as ainsi compris et accepté que tu m’aimais, et je bénis les dieux que nous puissions partager un amour aussi fort.

Elle lui prit les mains, et vit son regard anxieux, interrogateur, comme un petit garçon à qui on avait dû annoncer, des années plus tôt, que son père avait été tué par des Orques. Puis que sa mère était morte de maladie. Puis que son oncle Théoden avait succombé à l’attaque du Roi-Sorcier d’Angmar. Les épreuves le pourchassaient, sans relâche.

- Alors je te dois la vérité, même si elle fait mal, et j’ai voulu…bien faire, en la taisant, mais tu as raison, je dois t’en parler. Lorsque Gandalf est parti, il a tenu sa promesse : grâce à lui, je peux envisager l’avenir en connaissant mon passé. Mais il faut à la fois que j’accepte ce passé, et que tu l’acceptes, toi aussi, en te souvenant toujours que je suis moi : je ne suis ni mes parents, ni mes aïeux.

Éomer comprenait peu à peu qu’une mauvaise nouvelle l’attendait, mais il ne pouvait que continuer à écouter.

- J’ai appris que je descends d’une grande lignée de Dol Amroth. Ma mère…était la petite soeur d’Imrahil, prince de Dol Amroth. Je suis donc…la cousine de Faramir. Et mon vrai nom est le même que celui de ma mère. Je me nomme : Lothiriel, de Dol Amroth.

- Lothiriel…répéta seulement Éomer. J’ai combattu avec Imrahil, aux champs du Pelennor puis en Ithilien. Mais il n’a jamais dit qu’il avait une petite sœur…

- En effet, confirma Alcara, en le regardant toujours dans les yeux, dans les lueurs de la cheminée. C’est parce que…parce qu’elle est partie un jour, avec son amant. Et qu’elle est revenue, enceinte…de moi.

Éomer fronça les sourcils, mais Alcara continua sans s’arrêter, pour qu’il reconstitue les pièces du puzzle. Sa famille qui l’avait chassée, sa naissance, la mort de sa mère à l'accouchement, jusqu’à la reconnaissance par Imrahil de l’existence de sa nièce comme héritière de sa famille. Elle lui parla alors du parchemin scellé, qu’elle avait caché au fond du bureau d’Éomer, sans plus le regarder.

- Alors cela explique que tu aies grandi chez les elfes, répondit Éomer, la voix plus douce. Je suis triste pour toi que tu n’aies pas connu ta mère. Je l’ai moi-même perdue à sept ans, et c’est un manque qui ne s’est jamais vraiment comblé.

- J’ignore ce que j’ai manqué, ce n’est peut-être pas plus mal, répondit doucement Alcara, toujours d’un grand calme, en regardant le feu.

- Lothiriel…répéta Éomer, comme pour retenir son nom. Je pense que je préfère tout de même Dagilin. Tu sais…dit Éomer en souriant, Imrahil m’a proposé d’épouser une de ses filles, quand nous combattions en Ithilien.

Alcara se tourna vers lui, étonnée.

- J’ai refusé bien entendu, ajouta-t-il en souriant. C’est étrange comme le sort nous joue des tours, parfois. Car finalement, il t’accepte aussi comme sa descendante.

- Au moins tu n’épouseras pas une bergère, dit-elle en souriant à son tour.

- Même si c’était le cas, cela ne m’aurait pas gêné, dit-il en la prenant par l’épaule et en regardant le feu lui aussi.

Alcara aurait tant aimé que le temps s’arrête, qu’elle n’ait pas à dire le reste, qu’elle reste ainsi, le bras d’Éomer autour de son épaule, paisiblement. Mais le destin ne comptait pas en rester là.

 

- Mais alors, Gandalf savait qui était ton père?

Elle ferma les yeux et crut devoir prendre une grande inspiration avant de plonger dans une eau trouble et glacée.

- Il a fini par le découvrir, assez récemment. Il a mis beaucoup de temps à le savoir, car mon père n’avait laissé aucune trace. Mais il n’a pas pu s’empêcher de garder un souvenir.

Elle parla alors du ruban bleu brodé de cygnes, qu’elle gardait toujours dans sa poche, et elle le sortit pour le montrer à Éomer.

- Gandalf n’a pas pu savoir ce qu’il s’était réellement passé entre eux, et pourquoi ma mère l’a quitté et est revenue auprès des siens, enceinte de lui. Mais c’est étrange, il a gardé tout de même une trace de leur amour, alors que personne n’aurait pu parier qu’il serait un jour tombé amoureux.

- Mais alors, c’est un magicien? C’est lui qui t’a transmis ses pouvoirs?

- Oui…

Elle s’éloigna d’Éomer, allant sur le côté de la cheminée, fixant toujours le feu. D’un ton monocorde, comme s’il était plus simple de faire comme si elle racontait l’histoire d’une autre, elle lui dit :

- Éomer, j’ai besoin que tu gardes en tête ce que je t’ai dit. Que je ne suis pas mes parents, que je ne savais rien d’eux il y a encore quelques semaines. Que rien chez moi ne leur ressemble.

- Bien sûr…commença-t-il.

- J’ai besoin aussi que tu gardes en tête que j’ai gagné ta confiance avec toute la force et la détermination dont je peux être capable, et que cette confiance est solide, intangible entre nous. Que tu peux, tu pourras toujours me faire confiance. Que quoi qu’il arrive, je serai toujours là pour toi.

- Alcara, je t’en prie, je crains ce que tu vas me dire…

- J’ai un père dont je ne suis pas fière, Éomer, dit-elle en se tournant vers lui et en s’approchant de lui. Il a fait tant de mal, surtout ici, que si je pouvais taire son nom à jamais, et l’effacer de toutes les mémoires, je le ferais.

- Tu…tu ne veux pas dire…dit Éomer en la regardant avec des yeux agrandis par la peur.

Il recula d’elle, comme si elle l’effrayait tout à coup, et il posa son bras sur le manteau de la cheminée, observant à son tour le feu comme pour se rassurer. Il était dos à elle, et Alcara, dans un ultime effort, le dit enfin à voix haute :

- Si, c’est bien cela. Je suis la fille de Saroumane.

 

On entendit, pendant plusieurs minutes, seulement le crépitement du feu dans l’âtre. Un silence lourd, comme du métal fondu, s’était installé d’un seul coup dans l’immense salle plongée dans l’obscurité. Éomer, face à la cheminée, avait l’apparence d’un roi maudit.

Soudain, brisant le silence, un rire, surprenant, grave et instinctif, sortit de la bouche d’Éomer. 

C’était un rire mécanique, froid, disant toute l’ironie du sort, et combien le destin s’était bien joué de lui. Ce n’était pas un rire joyeux, comme quand il pouvait éclater de rire autrefois. C’était un rire de vaincu, celui d’un exilé à cause de Grima Langue de Serpent, d’un jeune neveu de roi, impuissant à voir son oncle envahi dans son esprit par un pouvoir maléfique, un jeune homme qui avait perdu son cousin chéri à cause des Orques, un orphelin victime des armées de Sauron. Malgré les victoires, malgré la fin de la guerre de l’Anneau et la marche triomphante contre les ennemis en Ithilien, les dieux lui voulaient du mal, forcément, ils voulaient sa perte.

Alcara fut à la fois étonnée et effrayée par son rire : soudain, tout pouvait basculer. Elle le savait, elle avait repoussé ce moment de toutes ses forces. Mais la vérité surgirait tôt ou tard, il le fallait.

 Et malgré leurs promesses l’un à l’autre, l’avenir, entre eux deux, était brisé.

Après avoir ri longtemps, trop longtemps pour elle, il dit :

- Je comprends pourquoi les Uruk-Hai voulaient que tu les suives. Tu n’étais pas une otage. C’est l’inverse, n’est-ce pas ? Ils venaient te chercher pour te suivre, toi.

- Oui, c’est ce que j’ai compris, dit-elle dans un souffle.

- Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

Elle se tut, ne sachant quoi répondre : en effet, elle lui avait caché cela.

- Nous avions promis de toujours nous dire la vérité, à présent, ajouta-t-il avec reproche, la tête tournée vers elle.

- Je sais, Éomer, dit-elle en voulant s’approcher de lui, je suis désolée…

- Ils savent, on ne sait comment, d’où tu viens, reprit-il en regardant à nouveau le feu, perdu dans ses pensées, coupant court à son élan pour se rapprocher de lui…et sans relâche, ils vont revenir ici, ils vont tout essayer pour te récupérer. Ils ont besoin d’un nouveau chef.

- Cela n’arrivera pas, Éomer.

- Et comment peux-tu en être certaine? dit-il tout à coup plus virulent, en se retournant vivement vers elle. Nous ne pourrons pas vivre indéfiniment en les repoussant d’Edoras. Nous allons encore devoir les pourchasser, où qu’ils se trouvent. Jamais…jamais nous ne serons en repos.

Alcara ravala sa salive. Elle ne parvenait pas à lui en vouloir, il prenait peur. Elle-même était terrorisée par ce qui pourrait advenir.

- J’ai réussi à en éliminer, la dernière fois, proposa-t-elle. Si je parvenais à maîtriser mon pouvoir, peut-être pourrais-je…

- C’est trop dangereux, répondit Éomer en soupirant. Pour toi, et pour nous tous.

- Mais il faut que je fasse quelque chose! s’exclama-t-elle. Je ne peux pas rester ainsi, à attendre qu’ils viennent nous attaquer à nouveau!

Éomer se tourna à nouveau vers le feu, dos à elle. Comme il avait été dos à elle, sous l’arbre d’Eorl, quand il croyait qu’elle avait jeté un sortilège pour le séduire. Et elle prit peur, pour eux deux.

- Et nous? dit-il dans un murmure étranglé. J’ai longtemps cru…que tu m’avais jeté un sort pour me séduire. C’était ce que Saroumane avait fait à ta mère. Est-ce possible que tu l’aies fait toi aussi, sans t’en apercevoir?

Alcara ne crut pas ce qu’elle entendit, elle se pensait dans un cauchemar.

- Éomer, je t’en supplie, ne dis pas cela, n’instille pas un doute pareil entre nous…

- Mais c’est envisageable, non? Tu m’as dit que personne ne pouvait jeter des sorts pareils. Mais Saroumane l’a fait, pourtant? Est-ce que toi aussi, tu pourrais en être capable?

- Ne dis pas cela!! cria-t-elle sans s’en rendre compte. Comment peux-tu croire une chose pareille? Pourquoi ferais-je cela ?

- Je n’en sais rien! cria-t-il à son tour, comme affolé. Je ne connais pas la magie, je connais à peine tes dons de guérisseuse! Pour te faire accepter chez nous? Pour ne pas être abandonnée à ton tour, après avoir perdu la possibilité de revoir Fondcombe? Comment pourrais-je le savoir?

- Te rends-tu compte, répliqua-t-elle, que si tu crées du doute maintenant, la confiance entre nous sera définitivement rompue?

- Mais je suis le seul, à ne pas douter de toi! s’exclama Éomer. Regarde mon conseil! La magie est une source de méfiance, ici. Nous sommes à l’Âge des Hommes! Ces temps sont révolus, à présent. Tout le monde a encore en mémoire les horreurs que Saroumane a provoquées : il a envahi l’Ouestfolde, tué nos habitants, soumis même notre roi! Comment…comment veux-tu que je leur explique que je vais épouser sa fille?

- Il y a encore peu de temps, je n’étais pas cela, se défendit-elle. J’étais Alcara, celle qui a trouvé l'élixir des Invincibles et qui a sauvé ta sœur qui risquait de mourir en accouchant! Je n’ai pas changé! Il faut que tu continues à y croire toi aussi, si nous voulons sauver notre histoire!

- Mais tout a changé, à présent, répliqua Éomer dans un souffle. Cette…cette révélation, elle change tout. Je ne pourrai pas, tout seul, même avec une couronne sur la tête, le faire accepter aux Rohirrim. C’est impossible.

Un silence, plus lourd encore, la pétrifia. Elle se souvint de ses cauchemars d’autrefois, la sensation d’étouffer, d’être prise au piège. Elle n’en revenait pas qu’il n’ait pas ce courage, pour elle. Elle se trouvait dans cette situation, alors que tout allait si bien, si peu de temps auparavant…

- Alors…chuchota-t-elle dans un souffle, le regardant comme pour le supplier, que va-t-il se passer?

- Je ne sais pas, dit-il en levant les bras, comme impuissant. Je ne sais pas…

Il regarda de nouveau le feu, complètement perdu. Alcara sentait le sol se dérober sous ses pieds. Ils s’aimaient tant, leur passion semblait indestructible la veille encore, et à présent, elle se retrouvait seule. Vraiment seule.

- Tu ne peux pas faire cela, Éomer, chuchota-t-elle, la voix étranglée par un sanglot qui montait dans sa gorge. Ne m’abandonne pas…

Mais Éomer, qui semblait lui aussi lutter contre un sanglot, secouait la tête à la négative, comme pour repousser une pensée qu’il redoutait plus que tout.

- Legolas aurait compris, dit-elle, sentant soudain la colère monter en elle.

Éomer rit brièvement, comme dépité par cet argument.

Bien entendu, les elfes, dit-il amèrement. Eux au moins, ils savent toujours quoi faire, n’est-ce pas?

- Ils m’acceptent telle que je suis! s’exclama-t-elle.

- Tu peux toujours les rejoindre, puisqu’ils ont l’air bien meilleurs que moi, lui répliqua-t-il avec toute l’acidité dont il était capable.

Une véritable haine venait de naître dans son regard. Le monde semblait avoir basculé dans un autre sens, comme si le chaos en avait pris possession. Mais Alcara n’était plus en mesure de l’analyser. 

Elle avait pourtant promis à Gandalf de ne pas se laisser envahir par ses émotions, mais à présent, aucun barrage ne pouvait plus l’en empêcher.

- Est-ce que je dois comprendre que tu me chasses d’Edoras?

- J’ai besoin de réfléchir, tu me places dans une situation inextricable.

Alcara se sentit acculée, ne pouvant plus avoir prise sur la situation. Comme prise de panique, elle ne put réprimer une suite de réactions rapides : son pendentif se mit à luire soudainement, le feu dans la cheminée se réduisit subitement, accentuant l’obscurité de la pièce et mettant en valeur la lueur de son collier. Et sans réfléchir, elle tira l’épée d’Éomer, sans qu’il pût avoir le temps de l’en empêcher.

Mais elle ne l’attaqua pas : elle se mit spontanément à genoux devant lui, et retourna la poignée de son épée vers lui, la lame visant son propre cœur.

- Éomer, dit-elle sans plus sentir les larmes couler sur son visage, si tu me chasses, je n’y survivrai pas. Je préfères que tu me tues, ici et maintenant!

Éomer la regarda comme effrayé, ne sachant que faire, ne pouvant ni lui enlever l’épée des mains, ni pouvoir la rassurer et la prendre dans ses bras.

- Tu m’avais dit que tu ne survivrais pas si je devais partir, s’écria-t-elle en continuant de lui tendre l’épée. Alors tue-moi, et si tu le souhaites, tues-toi ensuite! Mais je ne peux pas supporter cela!

- Arrête, Alcara! dit-il en se prenant la tête entre les mains, comme s’il craignait de devenir fou, ou que cette situation venait d’un cauchemar, ou d’une hallucination.

 

Mais à ce moment, ils entendirent les bruits près de la porte du couloir : les maréchaux et des gardes arrivèrent, ils avaient dû entendre les cris qui surgissaient de la grande salle. Eowyn et Faramir étaient là eux aussi. Ils virent Alcara à genoux devant Éomer, l’épée tournée vers elle, comme si elle allait se transpercer elle-même.

Mais alors qu’ils allaient s’approcher pour l’en empêcher, un nouveau phénomène eut lieu : sans que personne n’eut le temps de voir comment cela était possible, l’épée que tenait Alcara dans la main fila dans les airs et s’enfonça dans un pilier en bois de la grande salle, juste à côté d’eux. Effrayés, ils s'arrêtèrent net. Et Alcara, profitant de ce moment, courut vers la grande porte, l’ouvrit en grand et courut vers l’écurie.

Elle alla si vite que personne ne put l’arrêter : on entendit seulement Eowyn l’appeler, mais elle avait déjà enfourché Remèan et avait filé dans la nuit.

En franchissant la porte d’Edoras, puis dépassant la nécropole, Alcara sentit soudain une vive douleur à l’endroit de son cœur : elle se pencha sur son cheval face à la force de cette souffrance, qui lui coupa le souffle. Mais elle se dissipa peu à peu, et elle partit au galop dans la nuit.

Eowyn et Faramir demandèrent à des gardes de la poursuivre, et ils se tournèrent vers Éomer : Eowyn, surtout, était affolée.

- Éomer, que s’est-il passé?

- Il devait en être ainsi, répondit Éomer, éteint, après avoir laissé Alcara se défendre et s’en aller. Je ne pouvais pas épouser…la fille de Saroumane.

Cette vérité, si simple et si terrible, les cloua tous sur place. Il raconta alors ce qu’il savait et qu’elle venait de lui confier. Faramir comprit pourquoi il avait si peu entendu parler de la famille de sa mère, disparue si jeune, et réalisa qu'Alcara était sa cousine. Mais Eowyn, face à la révélation qu’elle était la fille de Saroumane, ne réagit pas comme son frère :

- Et…tu l’as bannie? s’exclama-t-elle comme si elle ne comprenait pas.

- Elle ne peut pas être fiable, elle ne maîtrise pas ce qu’elle fait. Elle vient d’essayer de nous tuer! Qui sait si son sang ne porte pas encore les traces maléfiques de son père? dit le vieux maréchal.

- Comment pouvez-vous dire cela? cria Eowyn en se tournant vers les maréchaux, comment pouvez-vous être, tous, si injustes envers elle, après tout ce qu’elle a fait pour nous? Elle m’a sauvé la vie, j’aurais pu mourir en donnant naissance à mon fils, si elle n’avait pas été là !!

Un silence suivit ses paroles si justes, mais le mal était fait.

- Éomer, dit-elle plus doucement en se tournant vers lui : tu l’aimes, n’est-ce pas? Je ne t’ai jamais vu si heureux, comment peux-tu la chasser?

- Je croyais être heureux, dit doucement Éomer, comme parlant d’un lointain souvenir, mais ce n’était qu’un mirage.

- Mais…tu l’as abandonnée? Comme sa mère avait été abandonnée par son amant, et par les siens?

- Je n’avais pas le choix, Eowyn, dit Éomer dans un souffle. C’est terminé.

Eowyn secoua la tête, comme pour refuser une décision aussi absurde, aussi illégitime.

- TU…ES…STUPIDE!! lui cria-t-elle dessus, et Faramir dut l'empêcher de le frapper. Comment peux-tu faire une chose pareille? Tu vas tous nous perdre, et tu vas te perdre toi aussi!! Tu nous condamnes au malheur !!

Et ses mots résonnèrent dans la grande salle, comme l’accomplissement d’une future malédiction.

Mais Éomer ressentit alors exactement la même douleur qu'Alcara, au même moment, sans le savoir : au niveau de son cœur, il serra de ses deux mains sa poitrine, le souffle coupé, et sous ce coup violent, Eowyn, Faramir et les maréchaux le forcèrent à s’asseoir, délaissant leur querelle. 

Au bout de quelques minutes, il sentit que la douleur avait aussi disparu.

Mais il se sentit vide, comme si son cœur avait effectivement été arraché.

 

FIN DE LA TROISIÈME PARTIE

Voilà comment se termine cette partie 3, encore désolée 😣 mais c'est loin d'être la fin, et beaucoup de choses peuvent encore se passer ! !! La partie 4 arrive bientôt ! !! 

 

Chapter 37: Partie IV : Vengeance - La Chasse

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Partie IV : Vengeance

La Chasse

Musique à écouter sur ce chapitre :

Alcara chevaucha dans une direction précise, sans s’en apercevoir.

Elle ne se rendit pas compte non plus de la faim, de la soif, de la fatigue, de la colère ou de la peur. Ni du désespoir qui naissait peu à peu en elle.

Elle chevauchait simplement au galop, l’esprit et le cœur vides, n’existant que pour le vent qui lui fouettait le visage et le froid qui engourdissait ses mains. Elle souhaitait que cette apathie de ses membres la prenne toute entière, pour ne plus avoir à penser, à ressentir quoi que ce soit, jamais.

Naturellement, son galop la mena vers le Nord-Ouest, vers un lieu où elle n’était encore jamais allée, qu’elle avait même évité autrefois, mais où il était nécessaire de se rendre à présent, comme une évidence. Et quand elle vit à l’horizon poindre la frontière, elle sut qu’elle était dans la bonne direction.

Cela se traduisit d’abord par une ligne noire, encore peu visible au lever du soleil, dans la brume de la lande. Mais peu à peu, avec le soleil pâle qui se levait, on commença à voir les frondaisons, les traces inégales des cimes qui se dessinaient.

La forêt se dressait peu à peu devant elle, immense, dense et sombre.

Elle ralentit son pas et arriva au trot devant la lisière du bois. La brume ne s’y était pas encore levée : il serait difficile d’y trouver son chemin, même en plein jour. Mais cela ne rebuta pas Alcara. Elle savait où aller. Et à qui demander sa route.

Mais pour cela, elle devait libérer Remèan. Le pauvre cheval avait galopé toute la nuit, il soufflait et se mit à brouter avidement l’herbe grasse alentour. Il s’éloigna spontanément de la forêt mystérieuse et un peu effrayante.

Alcara lui enleva sa selle et ses rênes, et dans un dernier geste d’adieu, l’étreignit. Elle savait qu’elle ne devait pas se laisser aller aux souvenirs, sinon elle ne parviendrait jamais à continuer. Mais pour la première fois depuis plusieurs heures, elle éclata d’un sanglot déchirant, la tête appuyée contre celle de son destrier. Ce dernier sentit son émotion, et ne bougea pas. Et quand elle le poussa vers la lande, il hésita, et tenta de la suivre. Mais elle fit tout pour le décourager, et avec un dernier regard derrière lui, il partit en trottant vers la lande en contrebas.

Maintenant, il n’y avait plus de chemin de retour. Si elle ne voulait pas dépérir sur place, il fallait avancer.

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Eowyn regardait le feu dans la cheminée, sans le voir. Elle n’avait pas dormi de la nuit : comme pour se rassurer, elle avait pris son fils dans ses bras, où il s’était endormi.

Faramir vint la rejoindre au petit matin, et s’assit sur le fauteuil à côté d’elle, en déposant un baiser sur son front et celui de leur enfant. Lui non plus n’avait pas fermé l’œil, et ils restèrent silencieux pendant longtemps.

Il n’avait pas changé d’habits depuis la veille : ses habits de Prince d’Ithilien, à la tête d’une garde de trente cavaliers, qui avaient sillonné les alentours toute la nuit, avec une compagnie de Rohirrim, envoyée sous les ordres d’Eowyn.

- Toujours rien, soupira finalement Faramir. Elle a chevauché beaucoup plus vite que nous...

Après un silence, Eowyn ajouta, en regardant le feu :

- Je ne pense pas que nous la retrouverons à présent. Elle est partie.

Et cette dernière phrase résonna étrangement, de façon définitive, comme une sentence irrévocable. Eowyn, Faramir, et même Éomer, personne dans le palais n’était encore en mesure de réaliser la situation.

Faramir et Eowyn savaient seulement une chose : leur installation en Ithilien, repoussée par la guerre, puis par la grossesse difficile d’Eowyn qui était encore en convalescence, n’était pas pour tout de suite. Eowyn etait incapable de laisser Éomer seul.

- As-tu pu le voir ? demanda Faramir, comme s’il lisait dans les pensées de son épouse.

Lui-même avait parcouru les landes toute la nuit à la lueur des torches, et ne savait pas dans quel état se trouvait son beau-frère.

- Nous avons dû le changer de chambre, soupira-t-elle. Il était tellement secoué, en léthargie complète…je pense que la mémoire lui reviendra peu à peu, il ne vaut mieux pas qu’il demeure dans des lieux qui lui rappellent trop de souvenirs.

- Cela va être difficile pour lui de régner pendant un certain temps, remarqua Faramir, pragmatique. Nous l’aiderons à rebondir, peu à peu…

- Mais il ne s’agit pas d’une simple rupture, objecta Eowyn, en se frottant le front, soucieuse. S’il ne s’agissait que d’un mariage entre un roi et une bergère, nous aurions pu l’aider à dépasser les contraintes. Mais la fille de Saroumane…tout le Rohan sera bientôt informé. Tout le monde va croire à la théorie selon laquelle elle l’avait ensorcelé. Et elle, seule, dans la nuit, le froid, sans nulle part où aller, que doit-elle être en train de penser actuellement?

- Peut-être va-t-elle se diriger vers Aragorn et Arwen?

- J’en doute, répondit Eowyn en fronçant les sourcils. Elle a été chassée, bannie, elle doit se sentir abandonnée, en en même temps, c’est une femme forte et battante…à sa place, je…j’aurais envie de me venger.

Un long silence accueillit sa dernière phrase, comme une menace sourde sur leur avenir à tous.

- Que peut-il se passer à présent? se demanda Faramir à voix haute, dans un souffle, en regardant le feu dans l'âtre.

- J’aimerais beaucoup le savoir…

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Des jours passèrent, sans nouvelles, comme si le temps à Edoras s’était subitement arrêté.

Faramir frappa à la porte et entra sans attendre d’en avoir l’autorisation. Il trouva comme habituellement un Éomer silencieux, regardant par la fenêtre le paysage du Rohan, sans vraiment le voir. Il ne voyait pas que le printemps arrivait peu à peu, que les fleurs commençaient à poindre et que le temps devenait plus doux. Plus rien ne semblait avoir vraiment d’importance pour lui.

Faramir s’assit en face de lui et l’observa. Comme depuis plusieurs jours, des cernes creusaient son visage, il ne mangeait que très peu, et on ne savait que calmer ses nuits avec des remèdes anciens du Rohan. On n’osa pas utiliser les nombreux remèdes confectionnés par Alcara et qui étaient restés dans son laboratoire.

Faramir se dit que comme au combat, lorsque des soldats perdaient leurs compagnons au champ de bataille, il fallait prendre les choses une par une, par des menus détails.

- Prends des forces, Éomer, commença-t-il par lui dire. Mange un peu. Bois au moins un peu d’eau. Nous avons besoin de toi.

Éomer regarda le plateau devant lui, une nouvelle fois sans vraiment le voir, et ne répondit pas.

- Tu ne dois pas t’en vouloir, ajouta Faramir. C’était une décision impossible. Tu as fait ce que tu pouvais.

- Tout était fondé sur un mensonge.

Ce furent les premiers mots d’Éomer depuis le départ d'Alcara. Faramir le regarda et attendit patiemment qu’il continue.

- Est-ce que…tu t’es déjà posé cette question? Est-ce que ce qui te paraît le plus réel, le plus certain, pourrait en réalité être un rêve? Est-ce qu’un jour on se réveille et…tout est faux?

Faramir fronça les sourcils. Il n’avait pas imaginé que les pensées d’Éomer auraient pu prendre cette direction. Au lieu de culpabiliser de sa réaction avec Alcara, il semblait lui en vouloir.

Il choisit d’aller directement à l’essentiel.

- Je sais seulement qu'Alcara est bien réelle, et que votre amour l’était aussi, répondit Faramir.

- Tu le crois vraiment ? insista Éomer. Je n’en suis plus si sûr. Tout semble…s’évanouir dans une brume de souvenirs.

Il ne cherchait pas à savoir où elle se trouvait, comment elle pouvait aller. Simplement si Saroumane avait pu faire son œuvre de sorcellerie à travers le sang de sa descendante.

- On ne peut pas être un jour celle qui donne son temps, son énergie pour les autres, et le lendemain vouloir assouvir des ambitions personnelles, ajouta Faramir un peu plus fermement. Tu ne dois pas croire qu’elle t’a jeté un sort, Éomer. L’amour ne fonctionne pas ainsi.

Il se pencha vers Éomer pour capter son regard. Quand ce dernier le regarda dans les yeux, il insista pour le convaincre.

- La première fois que j’ai vu Eowyn, je n’avais jamais ressenti cela auparavant. Tous mes regards, toutes mes pensées se tournaient vers elle. C’est une force incommensurable, mais ce n’est pas de la magie, tu peux me croire. Arrête de douter de cela, sinon tu vas t’empoisonner l’esprit. Souviens-toi, c’était une technique qu’avaient essayé les ennemis du Sud en Ithilien, ils répandaient des fausses rumeurs parmi nous pour nous déstabiliser. C’est parce que nous y avons résisté que nous avons pu les battre.

Ce dernier argument sembla réussir à intéresser Éomer, le raccrocher à ses précédentes victoires pourraient le ramener à la réalité. Faramir continua :

- Les dieux savent à quel point le Rohan et le Gondor ne se sont pas toujours entendus, que le Gondor n’est pas toujours venu au secours du Rohan. Et pourtant, que s’est-il passé au Gouffre de Helm ? Une armée entière des royaumes elfiques est venue en renfort. Et ensuite, dans les champs du Pelennor, c’est le Rohan qui est venu sauver Minas Tirith, malgré les querelles passées. Si nous étions restés vindicatifs, sans se pardonner et sans se soutenir, jamais nous n’aurions pu vaincre le Mordor.

Faramir gardait l’attention d’Éomer, dont les yeux s’agitaient, comme s’il réfléchissait à vive allure.

- Crois-tu qu’en gardant grief à Alcara d’un père qu’elle n’a pas choisi, pour des guerres auxquelles elle n’a jamais pris part, tu prennes la même direction? Peut-on reprocher à la fille, les crimes du père?

- Le Rohan tout entier me l’aurait reproché, répondit Éomer dans un murmure, comme s’il demandait à Faramir de l’aider à contrer cet argument.

- Je pense que le Rohan vit encore sur des peurs anciennes, mais avec le temps, il l’aurait acceptée telle qu’elle était, continua Faramir. Et plus encore : elle a trouvé une arme qui défie toutes les autres. Te rends-tu compte? Plus de soldats blessés, de morts accidentelles? Le Rohan est invincible pour l’éternité, puisque l’ingrédient principal de son élixir pousse juste sous nos pieds.

Une grande ombre sembla alors passer devant les yeux d’Éomer. En croyant ses souvenirs faux et insincères, il cherchait à se protéger de la douleur. Mais elle avait reflué, et elle revint, en une vague profonde et forte. Faramir savait que c’était le prix à payer pour le faire réagir et se relever à nouveau, mais cette étape serait pleine de souffrances.

- Tout est brisé, à présent, dit Éomer dans un souffle, la voix étranglée, sentant les larmes lui serrer la gorge. L’espoir, l’avenir, la lignée d’Eorl. Tout est parti avec elle.

Faramir ne répondit pas, laissant les larmes d’Éomer sortir enfin, dans un sanglot qui devait s’exprimer. Il le prit simplement dans les bras, en silence, comme un frère consolateur.

- Tout n’est pas perdu, dit finalement Faramir. Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve. Gandalf n’avait pas l’air de s’inquiéter pour nous tous, il avait dû voir un avenir meilleur. Peut-être qu’elle reviendra, et peut-être même qu’elle nous sauvera tous, elle en est capable.

Mais Éomer releva la tête et lui dit, certain de lui :

- Non. Plus rien ne peut me sauver.

Et Faramir le regarda avec inquiétude.

À partir de ce moment, il demanda à ne jamais laisser Éomer seul. Il n’en parla pas à Eowyn pour ne pas l’alarmer davantage, mais désormais, il craignit que son beau-frère ne veuille attenter à sa vie.

Quelques jours plus tard, Faramir prit le commandement d’Edoras en même temps que celui d’Ithilien, avec Eowyn, quand sa santé le lui permettait. Heureusement, il pouvait compter sur des intendants fidèles et fiables pour son propre royaume, qu’il devait délaisser pour le moment.

Il prit seul l’initiative d’écrire à deux personnes : d’abord à Aragorn, car si des Uruk-Hai circulaient à nouveau dans le Rohan ou dans le Gondor, il fallait préparer une défense. Et peut-être qu’Arwen pourrait les aider à retrouver Alcara, puisqu’elle la connaissait depuis leurs années ensemble à Fondcombe. Par ailleurs, Aragorn pourrait prévenir Legolas : Faramir n’ignorait pas son passé avec Alcara, mais il en était trop lointain pour se permettre d’en parler à Legolas si directement. Il valait mieux qu’Aragorn s’en charge.

La seconde personne à qui il écrivit fut son oncle, le prince Imrahil de Dol Amroth. Il était aussi envisageable qu'Alcara veuille le voir tôt ou tard, si des événements plus funestes n’arrivaient pas entre-temps, et il valait mieux qu’il soit prévenu de la situation. Par ailleurs, les pouvoirs magiques d'Alcara pouvaient croître, et ce qu’ils en avaient aperçus le soir de son départ n’étaient pas totalement de bon augure.

Il en était là de ses réflexions, quand une sentinelle vint le chercher de toute urgence. Il descendit alors au porche de Meduseld, et ce qu’il vit l’inquiéta particulièrement :

Remèan, le cheval noir qu’utilisait toujours Alcara, était revenu seul à Edoras. Fatigué, sale, et surtout sans selle et sans rênes.

Alcara était donc sans monture, sans vivre ni eau, perdue quelque part.

Alors qu’il se demandait s’il devait avertir Éomer, la sentinelle lui dit :

- Il venait du Nord-Ouest, Sire.

Alors il comprit.

- Ramenez le cheval à l’écurie, ordonna-t-il. Donnez-lui à manger et à boire, qu’il se repose. Apportez aussi mon armure et mon cheval, et prévenez la compagnie de se préparer à partir maintenant. Et faites prévenir mon épouse :

"Dites-lui que nous partons pour la forêt de Fangorn."

 

Chapter 38: À Travers La Forêt Ancienne

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À Travers La Forêt Ancienne

Musique à lire sur ce chapitre :

La forêt, d’abord sombre et emmêlée, faite de vieux chênes tordus, devint peu à peu, en montant vers de hautes collines, un ensemble de grands sapins, et malgré la pluie qui avait commencé à tomber, le sol restait sec, et les aiguilles craquaient sous les pas.

Elle vit des cascades immenses, des roches gigantesques, des animaux sauvages surpris de sa présence. Jamais aucun homme, elfe ou nain, n'avait arpenté ces lieux avant elle. Elle prit conscience de la longévité de cette nature imposante, qui était là avant elle et serait là bien après, rendant ses propres souffrances minuscules. 

Elle comprit qu’elle devait voir cette nature, la prendre en compte dans son appréciation de son passé et de son avenir. Maintenant qu’elle savait d’où elle venait, il devenait étrangement plus simple d’envisager ses propres pouvoirs magiques. Elle sentit que Gandalf l’avait vu, et avait essayé de le lui dire d’une façon ou d’une autre. 

À présent, aurait-elle comme lui, la même prescience des événements à venir? Et connaître ses propres pouvoirs devait-il dire qu’elle devait sacrifier sa propre vie dans la société des Hommes, renoncer pour toujours à aimer, vivre seule avec son héritage?

Cette journée de marche et de solitude l’apaisa, et lui permit de réfléchir, intensément, profondément à ce qu’elle allait faire.

Une fois que son plan fut organisé, précis dans son esprit, elle redescendit à la tombée du soir, de l’autre côté des hautes collines, rejoignant la forêt de chênes, de hêtres et de saules. Dans les sous-bois, l’humidité de la pluie avait traversé les frondaisons, et il commença à faire plus froid. C’est à ce moment, alors que le soleil se couchait, qu’elle arriva dans une belle clairière où l’herbe était déjà verte, ayant repoussé avec la fin de l’hiver.

Pour la première fois de la journée, elle s’assit sur un tronc d’arbre couché. Elle avait pu boire de l’eau dans les ruisseaux qu’elle avait croisés, mais n’avait rien mangé depuis la veille, elle avait passé une nuit blanche, et ressentit de la fatigue. Mais elle savait qu’elle était au bon endroit, pour attendre quelqu’un de très précis.

Seulement, la faim tiraillait toujours son estomac. 

Alors elle eut une idée.

Comme lorsque Gandalf lui avait appris à endormir les malades à opérer, elle se concentra. Elle ferma les yeux, prit son pendentif dans sa main, et imagina des fruits mûrs dans les arbres et les arbustes, des cèpes au milieu des mousses. Elle imagina les richesses que pouvait lui prodiguer la forêt et dont elle pourrait se nourrir, sans les créer, mais en les révélant, parmi ce qui existait encore à l’état de graine, ou de germe. Elle les imagina pousser, grandir, s’ouvrir pour elle.

Elle rouvrit alors les yeux après quelques minutes de concentration, et sourit : à ses pieds, elle vit des fraises, des framboises, des mûres et des noisettes. Comme elle l’avait imaginé, voulu dans son imagination, tout apparut pour la sustenter.

Elle se nourrit tant qu’elle le put, et alors qu’elle terminait son repas frugal, elle sentit une présence face à elle, de l’autre côté de la clairière.

Un des arbres avait bougé : sa cime, puis des racines se déplacèrent, d’abord doucement, puis de plus en plus clairement et de plus en plus loin. Il faisait de grands pas vers l’avant, balançant ses branchages de gauche et de droite, faisant tomber quelques feuilles au passage. Il se dirigeait droit devant elle.

Alors qu’elle se demandait s’il l’avait vue et s’il ne risquait pas de l’écraser, elle se leva pour se préparer à fuir à tout hasard, mais il s’arrêta avec une remarquable précision juste devant elle.

Il pencha alors son sommet noueux, et lui adressa la parole avec une voix très grave et très lente:

« Par ma barbe, je n’avais pas vu pareil prodige depuis le passage de mon ami Gandalf le Blanc parmi ces bois! »

Il l’avait vue faire apparaître les fruits dans la clairière, et s’exclamait face à la magie qu’il avait vue à l’œuvre.

Alcara comprit qu’elle avait réussi à rencontrer Sylvebarbe, l’Ent berger des arbres de l’antique forêt de Fangorn. Un ami de Merry, Pippin et de Gandalf, mais aussi celui qui était parvenu à défaire Saroumane. 

Il fallait qu’elle reste prudente sur sa véritable identité.

- Je suis une amie de Gandalf le Blanc, répondit-elle simplement d’une voix forte, pour qu’il l’entende distinctement.

- Vous n’êtes pas une ennemie de la forêt, car pareille magie suppose de l’écouter et de la comprendre, déclara Sylvebarbe en signe de paix.

Alcara comprit que son geste lui avait attiré la sympathie de l’Ent, et en profita pour mettre en œuvre le plan qu’elle avait imaginé.

- Vous devez être Sylvebarbe, le gardien de la forêt et celui qui a défait le mauvais Saroumane, déclara-t-elle. Pourriez-vous m’indiquer dans quelle direction se trouve la tour d’Orthanc ?

Sylvebarbe eut un mouvement d’hésitation, difficile à interpréter. Il pouvait tout à la fois se méfier, ou bien mettre simplement beaucoup de temps à formuler une réponse la plus précise possible.

- Nous nous trouvons exactement au Sud d’Orthanc, répondit-il lentement, après avoir regardé longtemps autour de lui, comme pour se situer géographiquement. Mais aujourd’hui, la tour maudite se trouve au milieu d’un grand lac, grâce auquel nous avons pu inonder les fabriques de Saroumane, dont les troupes détruisaient nos arbres et nos amis. On peut y accéder en barque seulement, mais…dit-il d’une voix plus grave, je déconseillerais à une magicienne telle que vous de s’y rendre. Certes, Saroumane n’est plus, mais il y reste une atmosphère étrange et néfaste, et j’ai cru voir quelques Orques y traîner encore.

Alcara avait sa réponse, mais elle avait encore besoin de son aide. Elle lui répondit donc :

- Les Orques ne me font pas peur, et je compte me rendre à la Tour justement pour cette raison. Sylvebarbe, si vous me conduisez là-bas, je vous parlerai de quelque chose en chemin. J’ai une chose à vous proposer, mais pour cela, il me faut votre confiance absolue, sans aucune limite, et sans intervention de votre part ou de vos amis Ents.

Sylvebarbe, interrogatif, sembla réfléchir assez longtemps, et même s’endormir temporairement pendant sa réflexion. Il répéta plusieurs fois les derniers mots qu’elle avait prononcés. Finalement, il lui dit :

- Je vous donne ma confiance, car vous êtes une amie de Gandalf et que vous dites la vérité, car vous avez respecté la forêt. Mais les Ents ne contractent pas de marché avec les autres, ils vivent simplement en protégeant leurs amis arbres.

- Ce que je vous propose n’est pas un marché, précisa Alcara. C’est plutôt…une histoire.

- Alors j’accepte, dit-il simplement en se redressant pour s’apprêter à marcher, car nous autres Ents aimons beaucoup les longues histoires.

Et ils partirent ensemble vers le Nord.

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Loin de la forêt de Fangorn, loin d’Isengard et du Rohan, bien plus au Sud, dans la salle du trône de Minas Tirith, Aragorn lisait la lettre envoyée par Faramir, inquiet et préoccupé. Depuis son départ d’Edoras, il avait pressenti que quelque chose de néfaste serait à l’œuvre autour du Rohan. Ses adieux à Gandalf avaient été difficiles, plus encore en apprenant que Frodon l’accompagnerait dans les Terres de l’Ouest. La Guerre de l’Anneau, pourtant proche dans le temps, appartenait maintenant au passé. Mais d’autres épreuves les attendaient, entre le monde libre et des forces encore obscures, mais aussi entre les Hommes et la magie ; cette dernière les avait sauvés maintes fois, mais ils n’y croyaient déjà plus.

Comme si elle avait deviné ce qu’il pensait, Arwen accourut à sa rencontre. Quand elle lut la tristesse dans le visage de son époux, elle sut que quelque chose de grave était arrivé. Il lui tendit la lettre sans rien dire, et ce qu’elle y apprit la catastropha à son tour. Elle s’assit à côté de lui et lui parla en elfique, comme ils le faisaient habituellement pour évoquer des sujets intimes ou graves :

- Je comprends bien des choses à présent, dit-elle dans un souffle, le regard dans le vide. Autrefois, dans le royaume de mon père, bien des choses ont été tues, et n’auraient pas dû l’être.

- C’est pour cela qu’elle a grandi parmi nous, répondit Aragorn. Gandalf se doutait de quelque chose.

- Mais son pouvoir est bien plus grand que ce que nous aurions pu penser alors, quand elle repoussa les armées d’Orques à Fondcombe. Les magiciens ont interdiction de s’unir à des mortels…

- Et représenter l’héritage de Saroumane, un magicien déjà si terrible, d’autant plus chez Éomer où il a fait tant de mal…il a pris peur et n’a pas pu supporter une telle nouvelle.

- Il a manqué de courage, répliqua Arwen amèrement, ayant en cela une réaction semblable à celle d’Eowyn. Il aurait pu la défendre, et l’aider à surmonter cette épreuve. Elle n’est pas responsable des crimes de son père. A présent, bannie du Rohan, elle va développer de la colère, et de la rancœur.

- Que crois-tu qu’elle pourrait faire, à présent?

Arwen prit un moment avant de répondre, ferma les yeux et se concentra. Aragorn s’aperçut que lui-même avait pris comme acquis et habituel de voir son épouse exercer des pouvoirs qui dépassaient ceux des Hommes. Lui-même, issu de la lignée des Numénor, posséderait une vie bien plus longue que les autres mortels, aux côtés de sa famille. Ils représentaient le lien entre l’ancien monde magique et le nouveau. Éomer et Alcara semblaient destinés à s’unir et à fonder eux aussi l’avenir des Hommes, mais à présent, l’histoire et le sort n’étaient plus aussi clairs.

- Elle va vouloir comprendre son héritage qu’elle vient de découvrir, dit Arwen en rouvrant les yeux. Celui de son père, ou celui de sa mère. Et surtout, elle va développer ses pouvoirs. Mais seule et sans soutien, je crains qu’elle n’en fasse usage sans aucune limite. Gandalf, Saroumane, même Galadriel, les exerçaient avec des mentors, et des hiérarchies. Que se passe-t-il quand une telle magie n’obéit qu’aux émotions d’une seule personne, alors que tous les autres magiciens sont à présent partis pour les Terres de l’Ouest ?

- Lorsque Saroumane n’a obéi qu’à son ambition et à Sauron, nous avons connu une guerre comme aucune autre…

Arwen se tourna vers lui sans rien dire, mais ses yeux en disaient suffisamment.

Aragorn donna l’ordre sur l’heure, de préparer ses troupes à toute éventualité.

Puis il écrivit à Legolas. 

 

Chapter 39: Sur l’Autre Rive

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Sur l’Autre Rive

Musique à écouter sur ce chapitre :

Ils arrivèrent deux jours plus tard en Isengard. En sortant de la forêt, Alcara ressentit une pointe de regret, elle se sentait comme chez elle à présent parmi les arbres, et avait commencé à en ressentir les moindres frémissements. Mais elle devait continuer, ne pas tourner ses pensées en arrière.

Comme l’avait annoncé Sylvebarbe, la tour s’élevait à présent au milieu d’un grand lac. Autrefois, lors de la guerre de l’Anneau, on pouvait encore y accéder à pied, ou à cheval, avec de l’eau au niveau du genou. Mais à présent, l’eau avait creusé son sillon et la profondeur était si importante qu’on ne pouvait le traverser qu’en barque. Dans la brume du soir, la surface de l’eau était déjà noire, et l’atmosphère alentour était étrange, malveillante, hostile.

Sylvebarbe, qui avait posé Alcara sur son épaule durant tout le trajet pour mieux l’entendre raconter son histoire, la posa à terre, et lui dit :

- Nous y voici, comme promis. Nous avons fait sauter le barrage, et les eaux ont recouvert les profondes fabriques de Saroumane. Armes, armures, et répugnants Uruk-Hai, ont disparu dans les ténèbres.

- Pas tous, murmura Alcara en regardant la plaine baignée dans le brouillard, alors que le soleil commençait déjà à se coucher.

Et en se tournant vers Sylvebarbe, elle ajouta :

- Souvenez-vous de votre promesse, Sylvebarbe : est-ce que je peux compter sur vous?

Après une hésitation, l’Ent finit par hocher la tête, confirmant la promesse.

- Alors il me reste à vous remercier de m’avoir montré la route, maintenant je dois continuer seule. Je suis heureuse d’avoir rencontré un ami de Gandalf. J’aurais aimé qu’il soit là pour me guider, aujourd’hui.

- Je suis certain que sa magie vous accompagnera, au moment voulu, répondit simplement Sylvebarbe avec sagesse. Que l’esprit de la forêt continue à vous accompagner, Alcara.

Et il fit demi-tour, retournant dans la pénombre de la forêt ancestrale. 

Alcara descendit la pente menant au lac, prenant une grande inspiration, comme pour se préparer à plonger dans le noir.

Dans la brume, nulle trace d’embarcation. Et pourtant, au bout d’un moment, une forme se dessina sur la surface de l’eau. Peu à peu, elle en distingua les contours: une petite barque, une lanterne pâle, une silhouette qui ramait sans effort, les rides de l’eau laissées après son passage.

Silencieusement, comme prévenue à l’avance, elle se dirigea droit vers Alcara. Elle crut voir la barque qui emmène les morts dans l’autre monde, ou les bateaux qui emportent les Immortels vers les rivages de l’Ouest. Mais elle était bien réelle, ainsi que son nocher. Elle s’en aperçut quand elle put détailler le dos voûté, le nez crochu et les vêtements noirs et en lambeaux d’un Gobelin. Son cœur battait plus fort, mais elle n’en laissa rien paraître.

Quand il accosta devant elle, sans descendre du bateau, elle l’aborda la première, directement et brutalement :

- Comment saviez-vous que j'étais ici ?

Il ne répondit rien, mais désigna son pendentif. En se penchant vers lui, elle s’aperçut qu’il luisait davantage qu’auparavant, offrant ainsi une lumière dans la brume, qu’il n’avait eu qu’à suivre. Elle releva la tête et le regarda droit dans les yeux.

- Je veux me rendre dans la tour d’Orthanc, ajouta-t-elle d’une voix la plus ferme possible. Je crois que vous m’attendez.

- Nous attendons la fille de Saroumane, répondit simplement le Gobelin, dans la même langue commune utilisée par Alcara, d’une voix rauque et sifflante.

- Je suis la fille de Saroumane, affirma-t-elle, en essayant d’oublier la dernière fois qu’elle avait prononcé cette phrase à voix haute, face à Éomer.

- Il faudra nous le prouver, rétorqua le Gobelin de sa voix rauque.

Alcara fut surprise, elle ne s’attendait pas à cette réponse. Elle avait pensé que sa présence suffirait.

- C’est vous qui êtes venus me chercher à Fondcombe, puis à Edoras, répliqua-t-elle. Vous savez que c’est moi, pourquoi dois-je le prouver?

- Nous obéissons aux magiciens, affirma le Gobelin. Si vous savez manier la magie, vous êtes bien la fille de Saroumane, car personne d’autre ne sait en user aujourd’hui sur la Terre du Milieu.

Alcara devait donc lui montrer de la magie pour passer.

- Montez et prouvez-le face aux autres, siffla le Gobelin, en tendant le bras comme pour l’inviter à monter dans la barque.

Elle n’avait plus le choix, à présent, et elle monta sans hésiter dans la petite embarcation, s’enfonçant dans la brume avec son nouveau guide.

La traversée du lac sembla longue à Alcara, qui sentait une tension monter dans l’air. Le Gobelin ne disait rien, mais il se tenait derrière elle pour ramer et la surveillait étroitement, comme si elle allait l’attaquer à tout moment. Il aurait tout aussi bien pu s’imaginer la tuer, voire la dévorer, on disait que les Gobelins, comme les Orques, n’étaient pas contre l’anthropophagie…mais elle se dit que son statut magique la protègerait suffisamment longtemps, et elle ne comptait pas montrer la moindre peur sur son visage.

Par ailleurs, plus ils avançaient vers la haute silhouette noire de la tour, plus elle sentit la présence d’autres ennemis. Des yeux brillaient dans l’obscurité, depuis les balcons de la tour et sur les rives du lac. Elle ignorait combien ils pouvaient être, mais cela lui importa peu sur le moment. Sa priorité était d’aller dans l’antre de Saroumane. « Mon père », se répétait-elle sans vraiment y croire encore.

Ils accostèrent finalement en bas de marches à moitié brisées, dans une odeur fétide d’eau vaseuse. Là, plusieurs silhouettes d'Orques et d’Uruk-Hai l’attendaient. Comment avaient-ils fait pour se retrouver ici, survivre et ne pas se faire remarquer des Hommes, cela restait un mystère. Mais ils avaient profité du fait que personne n’avait envie de venir dans ces ruines dont l’aura néfaste faisait toujours son œuvre.

Au moment de monter les marches, elle mit comme un masque sur son visage, prenant l’allure la plus indifférente possible, comme s’il était normal pour elle d’être attendue comme un hôte par ses ennemis. Elle les regarda de haut, et n’eut pas à faire beaucoup d’efforts pour exprimer du dégoût. Ils lui retournèrent son regard avec curiosité et hostilité, mais avec respect.

Mais alors qu’elle voulait continuer à monter vers la porte, plusieurs d’entre eux s’interposèrent, et l’empêchèrent de continuer, en croisant les bras ou en mettant la main sur leur épée. Elle s’immobilisa, étonnée et commençant à sentir la peur l’envahir. Elle n’avait aucune arme sur elle, il faudrait qu’elle fasse vite si elle devait se défendre.

Mais personne ne l’attaqua. Le Gobelin qui l’avait guidée sur la barque et qui se trouvait toujours près de l’eau, l’interpella, et elle se tourna vers lui :

- Il est temps de prouver qui vous êtes, dit-il de sa voix éraillée.

Alcara ravala sa salive, et réfléchit à toute allure. Que pouvait-elle imaginer pour leur faire une démonstration de magie ?

Alors qu’elle réfléchissait le plus rapidement possible, la pluie commença à tomber. De grosses gouttes tombèrent dans le lac, autour d’elle, sur elle et sur les Orques et Gobelins. Elle y vit une chance unique de tenter quelque chose.

Elle redescendit les marches, pour se tenir près de la rive du lac. Elle ferma les yeux, et se concentra : elle vit les gouttes d’eau, comme si elle pouvait les détailler une par une. Leur forme, leur poids, leur consistance froide, lui apparurent avec netteté dans son esprit. Elle vit aussi leur mouvement, suivant la gravité depuis les nuages. Mais elle en décida autrement : elle les imagina alors non plus tomber sur elle, mais autour d’elle, formant le long de sa silhouette un arche dans lequel elle resterait au sec.

Elle tenta d’ouvrir les yeux tout en restant concentrée : elle vit d’abord que la lueur de son pendentif avait décuplé, puis elle tendit la main. Qui ne reçut aucune goutte, malgré l’averse importante. La pluie tombait bien autour d’elle, mais pas sur elle.

Cela avait marché.

Alors elle persista, continua à rester concentrée, et entra dans l'eau, à côté de la barque, alors que le Gobelin ne la quittait pas des yeux. Et là, l’eau du lac se retira sous ses pas, lui permettant de marcher alors que l’onde s’écartait d’elle. À cette vue, ses spectateurs sursautèrent et poussèrent des cris de surprise.

Elle n’alla pas plus loin, sachant que se trouvait en-dessous des galeries immenses, où elle pourrait tomber à l’infini. Elle choisit d’essayer autre chose pour finir de les convaincre.

Elle imagina la pluie non plus tomber sur l’eau du lac, mais remonter du lac, et repartir dans le ciel. Elle tendit la main sur la surface de l’eau, inspira fort, et la retourna d’un coup en levant le bras vers le haut.

Et alors, en rouvrant les yeux, elle vit les gouttes d’eau l’éviter, mais aussi remonter de la rive tout autour d’elle, et repartir rapidement et massivement vers les nuages, comme si elles faisaient demi-tour.

Les Orques ne purent s’empêcher de pousser un cri de stupeur. Alcara sentait bien qu’elle ne savait pas encore maîtriser parfaitement ce qu’elle faisait, mais sa volonté était puissante, et les anciennes troupes de Saroumane n’avaient pas besoin de plus.

Ces derniers, soudain respectueux, lui laissèrent la voie pour entrer dans la tour, s’alignant de part et d’autre des escaliers, signifiant ainsi qu’ils étaient à présent à ses ordres. 

 

Chapter 40: La Dame De L’Aube

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

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La Dame De L’Aube

Musique à écouter sur ce chapitre :

Elle entra ainsi dans la tour, dont les portes étaient depuis longtemps ouvertes. Des débris de pierre et de branches jonchaient les marches noires, qu’elle gravit lentement et précautionneusement. Tout était à la fois ouvert aux quatre vents, et étonnamment intact : plus elle monta, plus elle put apercevoir des meubles, des documents, des instruments abandonnés sur place soudainement. Elle avait l’impression d’être dans un endroit frappé de malédiction, ou le temps s’était arrêté soudainement.

En haut de la tour, elle entra par de grandes portes ouvertes dans une première salle octogonale, haute et sombre, entièrement en pierre. Un trône était construit dans un angle, et sept portes donnaient sur chaque côté de la tour. En haut de la salle, pas de plafond, mais un immense puits de lumière, qui montait jusqu’au sommet de la tour. C’est ici que Gandalf avait été fait prisonnier, autrefois. On voyait encore le piédestal central où se trouvait auparavant le Palantir, avec lequel Saroumane communiquait avec Sauron. À cet endroit, aussi angoissant qu’une prison, on ressentait encore la présence du magicien qui s’était tourné vers les ténèbres. Tout était dirigé vers le noir et vers les abîmes du Mal.

En pénétrant par une des sept autres portes, elle découvrit un lieu très différent, plus petit et plus intime. C’était son ancien cabinet d’étude et de magie. De nombreux grimoires, des instruments et même des armes attestaient de ses connaissances et de son âge immémorial, ayant amassé des siècles et des siècles d'expérience. Elle espérait avoir l’occasion de les lire un peu, et d’y apprendre son savoir. L’ensemble était en grand désordre. Ce devait être là que Gandalf avait fouillé pour retrouver le ruban bleu brodé de cygnes.

Elle parcourut ainsi plusieurs salles qui communiquaient entre elles, avant de croiser un Uruk-Hai plus grand que les autres, et qui portait la main blanche sur le visage. Il s’inclina respectueusement devant elle, comme si elle était la digne fille de son père. Alcara ne réagit pas, et attendit qu’il prenne la parole. Ce qu’il fit, en mauvais elfique :

- Bienvenue, fille de Saroumane. Nous avons longtemps attendu votre venue.

- Je suis là, répondit-elle brièvement. Comment avez-vous fait pour survivre à la chute de Sauron et à la mort de Saroumane?

- Nous nous sommes cachés partout où l’ombre planait encore, répondit l’Uruk-Hai. Une partie est restée dans le Sud, mais a été défaite en Ithilien. Alors nous nous sommes dispersés. Ici, personne n’ose encore venir, sauf les bêtes sauvages. Nous avons donc attendu dans l’ombre que la descendante des vaincus arrive, et mène avec nous la Guerre de Vengeance.

Alors c'était donc cela, ils se préparaient vraiment à mener une nouvelle guerre ; malgré leur faible nombre, ils étaient encore avides de sang.

- Combien êtes-vous ? demanda Alcara.

- Suffisamment pour partir combattre, répondit l’Uruk-Hai. Environ cinq mille.

Alcara ne montra pas son étonnement, mais son cœur battit plus fort. C’était un nombre colossal. Au plus haut, l’armée de Sauron avait compté dix-huit mille soldats. Comment avaient-ils pu survivre? Cela voulait-il dire qu’ils avaient été bien plus nombreux dans le Mordor, que tout ce qu’ils avaient cru?

- Et combien à l’Est, vers le Mordor? demanda Alcara avec sa voix la plus calme possible.

- Environ le même nombre, l’informa-t-il. Nous pourrons ainsi prendre en tenaille toute la terre des Hommes. Comme au temps heureux de la Guerre des Deux Tours.

Alcara n’avait pas envisagé les choses ainsi, mais forcément, du côté des Orques et des Uruk-Hai, la guerre de l’Anneau avait été une période de puissance et de victoire. Ils avaient pu envahir le Ouestfolde et la Comté, attaquer des villages, tuer des habitants, ramasser leur butin. Malgré sa répulsion, elle fit comme si tout cela l’attirait elle aussi, pour continuer à lui soutirer des informations.

- C’est une belle perspective, déclara-t-elle.

- Mais nous manquons d’armes, ma Dame, continua l’Uruk-Hai. Des catapultes, des béliers, des explosifs, ou même des épées, nous avons besoin de tout et nous n’avons plus la fabrique d’Isengard.

Alcara regardait des instruments à côté d’elle, et repensa brièvement à l’arme qu’elle avait prodiguée au Rohan. L’élixir des Immortels. Mais elle chassa cette vision de son esprit, et lui répondit :

- Cela, je m’en chargerai. Pour commencer, va prévenir tout le monde que je suis arrivée, je vais m’installer ici. Je te donnerai mes instructions petit à petit.

Il s’inclina et partit, mais avant qu’il ait quitté la pièce, elle ajouta, d’une voix claire et ferme :

"Et appelle-moi Dame de l’Aube. C’est à présent mon nom."

Il hocha à nouveau la tête, et partit. Alcara eut ainsi un peu de répit pour explorer les lieux et regarder les affaires personnelles de Saroumane. Son père…

Elle voulait trouver quelque chose de précis, et finalement elle le vit, en bas d’un balcon intérieur qui donnait sur des escaliers. Elle le prit dans ses mains.

La bâton magique de Saroumane, brisé en deux autrefois par Gandalf. Elle le remonta dans le cabinet d’étude.

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Faramir mit plusieurs jours à remonter jusqu’au Nord-Ouest et à trouver son chemin dans la forêt dense de Fangorn. Il ne croisa pas Sylvebarbe, et ignorait qu’il l’observait en silence, grâce aux arbres qui lui racontaient tout ce qu’ils voyaient.

Ayant demandé à ses hommes de faire comme lui et de cacher leurs armes, ils purent voyager discrètement, sans se faire remarquer ni déclencher de réaction hostile.

Quand ils sortirent de la forêt, et qu’ils aperçurent dans le matin la tour d’Orthanc et l’Isengard, les yeux de Faramir s’agrandirent de stupeur.

Ils virent des groupes immenses d’Orques et d’Uruk-Hai camper sur les rives du lac. Ils n’avaient ni monture, ni troll, ni chariots de guerre, mais ils étaient suffisamment nombreux pour affronter tous les soldats du Rohan.

Faramir ordonna à ses hommes de descendre de cheval, et de rester pour le moment dans l’ombre de la forêt. Il fallait qu’il trouve une idée pour pénétrer parmi eux et retrouver Alcara, si elle était là et si elle avait pu leur échapper. Il espérait qu’elle n’avait pas été enlevée… Et il réfléchit à la Guerre de l’Anneau, quand avec ses hommes, il avait guetté l’arrivée des ennemis dans le Gondor.

Et il repensa à une ruse, utilisée par Frodon et Sam naguère.

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Alcara se réveilla en sursaut. Elle avait fini par s’endormir sur une couchette trouvée dans le cabinet d’étude. Mais son sommeil était devenu étrange, entrecoupé de visions et de cauchemars. S’y mêlaient des images d’Éomer, de ses yeux verts qu’elle avait crus inquisiteurs et méfiants, puis qu’elle avait compris être curieux et pleins de désir pour elle. Ses mains, ses cheveux blonds, sa peau dorée, l’odeur de sa peau. Son sourire quand il dansait avec elle. Puis des visions de guerre, mêlant Minas Tirith, les cadavres et les blessés de la Maison de Guérison, les visages spectraux des Orques et des Gobelins, la sensation de brûler sur place, prisonnière dans du métal fondu, puis d’étouffer.

En ouvrant subitement les yeux, reprenant son souffle brutalement comme si elle avait retenu sa respiration trop longtemps, elle s’agrippa à son pendentif, et au bâton magique rompu en deux qui était resté sur elle. Elle vit que ses mains tremblaient un peu, mais elle inspira et expira plusieurs fois pour se calmer.

Elle savait que le temps pressait maintenant, car elle ne pourrait pas supporter encore très longtemps ces insomnies et ces visions de souvenirs et de cauchemars. Elle regarda le bâton magique et se mit à réfléchir longuement, en regardant de temps à autre par la fenêtre.

Elle finit par se lever, et à aller vers l’ancien socle du palantir. Spontanément, elle caressa le socle en pierre noire, et médita sur ses cauchemars anciens.

Gandalf lui avait dit qu’elle voyait des choses que les autres magiciens ne voyaient pas, et qui étaient arrivés dans le Mordor : les flammes des forges, de la Montagne du Destin, l’anneau détruit. Et en repensant au Palantir de Denethor, elle comprit.

Les cauchemars étaient un lien avec son père : quand il communiquait avec Sauron grâce au Palantir, il recevait ces visions, et elle a son tour, comme connectée à lui sans le connaître, elle avait vu comme par ses yeux. C’étaient des souvenirs, peut-être aussi des prédictions du futur, car la guerre allait revenir, fatalement. Et elle choisirait son rôle…

C’est alors qu’un Orque se présenta à elle. Il se tenait dans l’embrasure de l’escalier, comme perdu et hésitant. Alcara le regarda, un peu lasse mais en éveil, à tout hasard.

- Qu’y a-t-il ? demanda-t-elle d’une voix ferme et menaçante.

Mais le garde ne répondit pas, et continua de la fixer sans bouger. Alcara, craignant qu’il n’ait prévu quelque chose, comme l’attaquer ou la tuer, le fixa avec plus d’inquiétude.

- Et bien, parle! ordonna-t-elle plus fort, pour lui montrer son autorité sur lui. 

Comme il ne répondait toujours pas, elle se prépara à se défendre, son pendentif luisant peu à peu. Mais quelque chose d’imprévu se déroula : l’Orque enleva son casque, et elle reconnut…Faramir.

- Alcara, te voilà enfin! chuchota-t-il. Je suis venu te délivrer, viens avec moi !

Alcara, si surprise qu’elle ne trouva rien à dire, s’approcha de lui rapidement. Sans lui laisser le temps de parler, il la prit dans ses bras pour la saluer affectueusement, et continua :

- Je me suis fondu parmi eux, nous pouvons prendre la barque et rejoindre ma compagnie, qui est cachée dans la forêt. Le matin, les Orques ne se rendront pas compte que leur prisonnière n’est plus là. Ensuite…

- Faramir, arrête, le coupa Alcara.

Il se tut soudainement, et la regarda sans comprendre.

- Je ne pars pas avec toi. Je ne rentre pas.

Il fronça les yeux, et elle profita de son silence pour lui expliquer la situation.

- Je ne suis pas prisonnière, ici. Ils m’attendaient. Je suis venue à eux. Ils pensent que je suis leur nouvelle guide.

- Mais…bégaya Faramir…tu ne peux pas rester ici, au milieu d’eux, c’est trop dangereux…

- Je suis la fille de Saroumane, ici, expliqua-t-elle. Je ne risque rien, mais toi, par contre, tu es en danger. Tu dois partir.

- Je ne peux pas te laisser ici, insista Faramir. Je dois te ramener. Éomer…

- N’est pas venu me chercher lui-même, n’est-ce pas ?

Faramir ne confirma pas, mais Alcara avait froncé les sourcils. Et il comprit un peu tard qu’Eowyn avait vu juste.

- Il m’a chassée, Faramir, dit-elle avec une voix étranglée, qui dissimulait mal son ressentiment et sa douleur. Il m’a bannie comme une ennemie, comme une étrangère. Comme s’il ne m’avait jamais connue.

- Mais il t’aime, insista Faramir en lui prenant les bras comme pour appuyer son propos. Il ne dort plus, ne mange plus, il n’est plus que l’ombre de lui-même…tu dois revenir, sinon le Rohan est perdu.

- Le Rohan s’est perdu tout seul, répliqua Alcara avec un ton acide. À présent tout cela m’est égal. Tu ne comprends pas, il n’a même pas essayé…de m’aider. Je n’ai pas à le faire pour lui.

- Mais tu l’aimes, n’est-ce pas ? ajouta Faramir presque comme pour se convaincre lui-même. Tout cet amour si fort entre vous, il n’a pas disparu tout à coup ?

- Non, en effet, dit Alcara, qui sentit qu’elle n’en était plus à pleurer de sa situation, et ses yeux restèrent secs. Il est là, et il fait toujours aussi mal. Mais il aurait fallu pour cela qu’Éomer ne doute pas que c’était de l’amour, et non de la magie noire pour le manipuler.

- Non, il ne croit pas cela, dit Faramir en mentant un peu, car c’était ce que Éomer avait commencé à lui dire : “Et si tout cela n’avait été qu’un mensonge?”

- Il a douté, et ce moment de doute a tout fait basculer. Il n'aurait jamais dû douter.

- Non, il n’a pas douté, insista Faramir avec entêtement. Il a dit cela pour se protéger.

Après un léger silence, se regardant toujours l’un l’autre, Alcara lui demanda :

- Tu m’en crois capable, Faramir ? De séduire un homme, par magie ?

- Je… je n’en sais rien, répondit Faramir avec hésitation, pris au dépourvu.

Alors, Alcara le regarda un peu plus intensément dans les yeux. Il avait toujours ses mains sur ses bras, comme pour la convaincre, et elle prit ses mains dans les siennes, sans le quitter des yeux. Faramir, déstabilisé, ne bougea pas, et Alcara rapprocha son visage du sien, sa bouche presque au contact de la sienne. Mais il ne fit aucun geste pour se dégager, ou pour la repousser. Il est vrai qu’elle était d’une grande beauté, et que ses yeux d’un noir intense étaient à la fois doux et hypnotisants.

Et d’un seul coup, Alcara le repoussa loin d’elle, et il sembla que son esprit s’éclaircit tout à coup. Avec un sourire narquois, elle prit son pendentif dans la main et le lui montra : aucune lueur n’en sortait.

- Et voilà, déclara-t-elle avec une once de mépris dans la voix. Pas de magie du tout. Toi, Éomer, les vauriens de Dol Amroth…vous vous valez tous, et vous accusez les femmes des maux que vous vous créez vous-mêmes. Alors maintenant, prenez vos responsabilités.

- Je ne peux pas te laisser ici, Alcara, assura Faramir un peu plus fermement.

- Mais que crois-tu ? lui dit-elle en se rapprochant de nouveau de lui, avec défi. Que j’ai besoin d’être secourue ? D’être sauvée ? J’ai sauvé bien des Hommes, autrefois. Qui m’a rendu la pareille ? Je n’ai récolté que le bannissement, et la solitude.

- C’est faux, rétorqua Faramir, pense à Eowyn, à Aragorn et Arwen, à tes amis…

- Personne ne peut plus rien pour moi, à présent. Vas t’en. Je vais affronter mon passé, et je le ferai seule.

- Je refuse de repartir en te laissant dans ce guet-apens, s’entêta Faramir.

- Laisse ton honneur de côté, pour une fois. Cela ne te regarde pas.

- Cela nous regarde tous ! s’exclama Faramir, oubliant un moment la menace autour d’eux. Je les ai vus en venant ici, combien sont-ils ? Combien sont prêts à nous envahir ?

Alcara se tut et lui tourna le dos, s’appuyant des deux bras sur le socle du palantir.

- Ils ne le feront pas, je m’en charge. Moi seule peux le faire. Et c’est la dernière chose que je ferai pour les royaumes des Hommes.

- Que veux-tu dire ? murmura Faramir, la peur au ventre.

- Que la magie peut bien servir à cela, même si tout le monde la rejette, et n’y croit plus. Mais je ne reviendrai pas.

Faramir resta silencieux. Il ne savait plus comment la convaincre, et sans Éomer, il se sentait impuissant à agir. Lui seul aurait pu la faire encore fléchir, si elle n’avait pas développé tant de rancœur contre lui et tous les autres.

- J’espère sincèrement que tu changeras d’avis, dit-il simplement. Tu manques à Eowyn, qui t’a défendue face à Éomer et au conseil. Et tu manqueras à notre fils.

Après un silence, il ajouta :

- Tu me manqueras à moi aussi, pour que ce cela vaut. Et à Éomer aussi, un jour ou l’autre. Votre amour est plus fort que toute ce malheur.

Alcara, toujours dos à lui, baissa la tête. Son courage ne pouvait pas fléchir maintenant. Elle lui dit simplement :

- Ton espoir est décidément toujours intact, je me demande bien comment tu fais. Quant au mien, il a trop donné, autrefois, et n’a plus rien à prendre. Vas-t’en, et fais croire que tu ne m’as pas trouvée.

Faramir hésita un instant, et remit finalement son casque pour masquer son identité. Il ajouta, avant de s’en retourner :

- Au revoir, Alcara.

Et longtemps après son départ, elle répondit :

- Adieu.

--------------

Elle passa des heures à fouiller, à lire les grimoires qu’elle trouvait, mais dont la plupart étaient trop anciens pour être encore lisibles, écrits dans des langues antiques qu’elle ne connaissait pas, que plus personne ne connaissait et qui resteraient inconnus pour l’éternité.

Elle trouva des instruments de médecine, d’astronomie, de chimie. Elle trouva d’anciennes armes et instruments de torture qui avaient dû tuer et blesser de nombreux malheureux autrefois. Partout, le Mordor était encore là, et elle se crut dans un lieu de pèlerinage.

Pourtant, elle savait que le Saroumane d’avant tout cela se cachait quelque part, sous ces couches de ténèbres, et qu’il fallait gratter ce vernis pour le trouver. Elle le sentait.

Finalement, elle appela le chef des Uruk-Hai, qui vint à sa rencontre, et elle lui demanda :

- Où est l’épée?

Il hésita un instant, regardant autour de lui, et lui tendit finalement la sienne, une courte épée noire et taillée avec des pointes acérées, et une lame tranchante. Mais Alcara répondit, avec mécontentement :

- Non, ce n’est pas cela que je cherche. Saroumane avait une épée, où est-elle?

Alors il répondit :

- Mais elle est dans le mur !

Alcara fut si surprise qu’elle se tourna vers lui, en fronçant les sourcils.

- Comment cela?

Alors il lui fit signe de le suivre dans la grande salle octogonale. Là, à côté du trône noir, une épée avait été enfoncée dans le mur.

- Avant la victoire des Ents, expliqua l’Uruk-Hai, Saroumane a enfoncé son épée dans le mur. Depuis, personne n’a réussi à l’en sortir. Lorsque Gandalf a brisé son bâton magique, lui-même n’a plus eu le pouvoir de la récupérer.

Alcara s’approcha et observa le manche de l’épée, enfoncée très profondément dans la pierre noire et brillante. Seule la magie était capable d’une telle force.

Mais alors qu’elle réfléchissait à la façon de l’en sortir, elle ne sut pourquoi, son esprit lui envoya plusieurs visions à la fois, rapides, étourdissantes, lui causant une douleur vive dans le crâne. Elle se vit tirer l’épée d’Éomer et la lui tendre pour se l’enfoncer dans le cœur ; elle vit le tournoi de Minas Tirith, et la clameur de la foule ; elle vit Legolas et sentit même son parfum d’herbe fraîche et de forêt, la douceur de ses mains et sa peau parfaite et sans défaut ; elle se vit approcher d’Éomer pour danser au mariage d’Eowyn et de Faramir, le pendentif brillant autour de son cou ; elle vit un enfant qui venait de naître.

Elle dut s’asseoir sur le trône pour ne pas tomber, mais les visions continuèrent, de plus en plus rapides, elles semblaient tournoyer autour d’un point précis, qu’elles atteignirent peu à peu : Legolas qui la prenait dans ses bras pour la saluer, alors qu’il revenait des cavernes étincelantes; le rire de Gandalf et des Hobbits, lors du festin de couronnement d’Éomer ; Éomer qui s’était approché d’elle dans les cuisines ; Éomer qui chevauchait au galop dans les landes, qui lui présentait le cheval Remèan, qui mêlait ses doigts aux siens alors que leurs peaux brûlantes se frottaient l’une à l’autre et qu’elle atteignait le sommet de son plaisir ; Éomer et sa peau veloutée, dorée, criblée de cicatrices, ses bras forts, son odeur de santal ; son éclat de rire, et ses larmes.

Alors la douleur revint dans sa poitrine, soudaine et plus intense encore que la dernière fois, si forte qu’elle lui coupa le souffle. Elle eut si mal qu’elle poussa un gémissement de douleur et empoigna la peau de son sternum avec ses poings, comme pour en extirper son cœur et arrêter la souffrance. Des larmes coulèrent de ses yeux sans qu’elle s’en aperçoive, et ses mains tremblèrent.

Et aussi vite qu’elles étaient venues, ses visions comme sa douleur disparurent.

Elle reprit son souffle et rouvrit les yeux : elle s’était accroupie au pied du trône, recroquevillée et vulnérable. Quand elle leva la tête, elle vit l’Uruk-Hai, qui n’avait pas bougé d'un pouce pour l’aider ou essayer de la soutenir. Il la regardait avec suspicion, comme s’il estimait qu’elle ne montrait pas autant d’autorité et de puissance que son père.

Alcara réfléchit très vite : il fallait qu’elle lui montre son pouvoir, sinon elle était perdue. Par dépit, ils étaient capables de tout. Alors, rassemblant toute sa rancœur, contre Éomer et sa lâcheté, contre Faramir et sa naïveté, contre eux tous, elle leur fit un adieu symbolique, se leva d’un coup, et avec toute sa force, tira l’épée en un seul trait.

L’Uruk-Hai derrière elle sursauta face à ce prodige. Avec rapidité, elle se retourna, et dressa l’épée très précisément sur son cou. Effrayé par cette fulgurance, il leva simplement les bras et ferma les yeux, comme s’il s’attendait à ce qu’elle le décapite. Mais la lame s’arrêta juste avant. Elle était si affûtée qu’elle laissa un très mince filet de sang noir, alors qu’elle n’avait fait que lui effleurer la peau.

Alcara ressentit de la fierté, de la puissance, une nouvelle soif de pouvoir qu’elle n’avait jamais ressentie auparavant. Il était à sa merci, elle pouvait décider de sa vie ou de sa mort, elle pouvait se prendre pour le Destin lui-même. La douleur qu’elle avait ressenti dans son cœur il y a un instant était déjà un lointain souvenir.

Galvanisée, elle baissa l’épée et la garda à bout de bras, et lui dit :

- Je suis peut-être la fille de Saroumane, mais je suis aussi une guerrière. Ne t’avise jamais de l’oublier.

L’Uruk-Hai opina du chef, sans rien dire. Il avait compris la leçon.

- Nous avons besoin de vous comme guide pour la guerre, déclara-t-il. Si vous nous ouvrez la marche, nous serons invincibles.

Mais elle se retourna vers le trône, gardant l’épée dans sa main droite. Son plan était clair : utiliser sa magie pour détruire la dernière armée de Saroumane, de l’intérieur. Mais elle hésitait à présent. Le reflux violent de ses souvenirs l’avait mise en colère. Elle avait espéré, compté sur les autres, gagné avec difficulté la confiance d’Éomer, pour s’apercevoir qu’en réalité, il ne lui avait jamais accordé cette confiance. Elle avait donné son cœur autrefois à Legolas, qui avait préféré la laisser et partir à l’aventure. Et Gandalf…il lui avait jeté la vérité à la figure, et avait fui la Terre du Milieu, la laissant seule régler le problème, avec seulement quelques encouragements sans consistance.

Son existence même rimait à quoi ? Elle n’avait même pas été désirée par ses parents.

Elle sentit alors la rage remonter dans son cœur. Elle avait le choix, finalement.

Elle pouvait sauver encore tout le monde, sans qu’ils ne lui accordent aucune reconnaissance.

Ou alors, elle avait à disposition toute une armée à ses ordres, qui irait où elle voudrait, se battrait jusqu’à la mort pour elle.

Elle pouvait se venger d’eux tous.

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Faramir revint par la forêt avec des hommes, à qui il avait dit qu’il n’était pas parvenu à la retrouver, et qu’ils reviendraient plus nombreux pour terrasser tous les Orques présents. Même si leur nombre l’inquiétait ; il aurait besoin de l’aide d’Aragorn… si Alcara n’agissait pas avant. Pour le meilleur ou pour le pire.

En sortant de la forêt de Fangorn, il fit une rencontre surprenante : deux Hobbits se tenaient dans la lande, sur deux poneys à leur taille. En les voyant, ils galopèrent vers eux en faisant de grands signes avec les bras. Faramir, en souriant, reconnut Merry et Pippin, et cela allégea son cœur.

- Que faites-vous donc ici? leur demanda-t-il après des salutations chaleureuses.

- Nous venons aider notre ami Éomer, déclara Merry. Le roi Aragorn nous a écrit.

- À présent que Frodon est parti, nous sommes devenus les chefs de la Comté, et nous avons la responsabilité de protéger nos terres ! ajouta Pippin avec gravité.

- Mais aussi d’aider à retrouver notre amie Alcara, ajouta Merry comme pour corriger ce qu’il avait dit.

- Oui, en effet, c’est vraiment terrible ! Comment est-ce possible de chasser sa fiancée ainsi ?

- C’est la fille de Saroumane, expliqua Faramir, c’était insoluble pour Éomer…

- Mais elle n’y est pas pour grand-chose ? dit Pippin avec son innocence habituelle. Et cette remarque de bon sens frappa Faramir par sa justesse.

- Je le sais bien, mes amis, répondit-il, mais les arcanes du pouvoir, et celles de l’amour, sont bien inextricables.

- En tous les cas, si nous pouvons faire quoi que ce soit, nous sommes là ! dit fièrement Merry en se redressant sur sa monture.

- Et je vous en suis très reconnaissant, confirma Faramir en souriant.

Mais alors, le son puissant d’un cor, rauque et grave, retentit sur plusieurs lieues à la ronde. Il se répéta trois fois, résonnant en écho dans la forêt, dans la lande, jusque très loin dans le Rohan.

Faramir et les autres se regardèrent, inquiets.

- Que se passe-t-il ? finit par demander Pippin, alors que son poney s’agitait en tous sens.

Mais Faramir n’avait pas besoin de répondre. Ils pouvaient redouter le pire, à présent.

- Vite, à Edoras!

Et à plusieurs kilomètres de là, sur le balcon de la tour d’Orthanc d’où Saroumane, autrefois, avait mené ses troupes depuis l’Isengard, Alcara se tint droite, les yeux plus noirs que jamais, regardant un groupe de corbeaux ensorcelés s‘envoler vers le Mordor, avec un sourire carnassier et effrayant sur le visage.

- La guerre est déclarée, murmura-t-elle. 

 

Notes:

Très bonne année 2025 !

Chapter 41: La Guerre Qui Vient

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La Guerre Qui Vient

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

 

Plusieurs jours plus tard, Aragorn arriva à Edoras avec une armée de deux mille cinq cents hommes. Avec celle du Rohan, ils arrivaient à environ quatre mille soldats. Cela n’était pas suffisant pour affronter tous les ennemis, mais ils avaient toujours de l’élixir des Invincibles en grande quantité.

Cependant, comme personne ne savait quel rôle pourrait jouer Alcara pour faire peser la balance en leur défaveur à l’aide de la magie, tout pouvait basculer dans les ténèbres.

Chacun aurait souhaité que Gandalf soit resté un peu plus longtemps : mais nul ne choisit l’heure de devoir quitter les siens.

En arrivant à Meduseld, Aragorn s’était préparé à trouver une atmosphère particulière, mais ce qu’il vit était encore plus inquiétant que ce qu’il avait appris dans ses lettres.

Éomer, depuis qu’il avait été informé que la guerre était déclarée, s’était lancé à corps perdu dans la préparation de la bataille. Il ne mangeait, ne dormait, ne s’entraînait et ne donnait des ordres que dans ce but. Hormis l’unique discussion qu’il avait eue avec Faramir les premiers jours, jamais il ne prononça à nouveau le nom d'Alcara. Il semblait concentré, pressé, et toujours prêt à éclater de colère si quelqu’un s’avisait de lui répondre quoi que ce soit.

Eowyn et Faramir tentaient de juguler son élan belliqueux et de gérer pour lui les affaires du royaume, mais il était fuyant. Tout dans ce palais et même dans les écuries royales, était à même de lui rappeler son bonheur passé. S’il s’y attardait trop, il risquait à tout moment de sombrer à nouveau dans une lourde et léthargique mélancolie. Mais en évitant sa douleur, il devint tyrannique, colérique et lunatique, tantôt enthousiaste, tantôt soudain silencieux pendant des heures. Il prenait même des décisions inconsidérées, vite repoussées, comme transférer la capitale d’Edoras à Aldburg, la ville de son enfance, à l’Est du royaume.

La présence d’Aragorn eut l’avantage de réfréner un peu ses pulsions contraires, et d’apporter un soutien à Eowyn et Faramir. La présence de Merry et Pippin permettait aussi d'alléger un peu cette atmosphère pesante.

Malheureusement, Legolas et Gimli ne viendraient pas combattre aux côtés d'Aragorn, comme autrefois. Il sentait bien qu’ils se détachaient peu à peu des tourments des Hommes pour se consacrer à établir une dernière colonie d’Elfes des bois en Ithilien. Il les comprenait et ne chercha pas à les faire venir.

Aragorn insista et obtint de la part d’Éomer un conseil pour décider ensemble des batailles à venir, et où placer les troupes. Éomer, voulant d’abord en décider seul, convint finalement qu’il avait besoin de tout le soutien du Gondor, et gardant tout de même du respect pour Aragorn, il accepta.

Autour de la table, Aragorn demanda que les maréchaux du Rohan ne soient pas présents, pour parvenir en plus petit comité, entre amis et compagnons de la Guerre de l’Anneau, à faire un peu plier Éomer. Eowyn, Faramir, les Hobbits et Éomer étaient donc les seuls présents, avec lui.

Aragorn prit le parti de présenter sa stratégie précise de bataille, consistant à ne laisser filtrer aucun ennemi de Fangorn vers le Rohan, afin de ne pas aborder avec Éomer directement les sujets les plus sensibles.

- Nous placerons donc les troupes en étau, termina Aragorn en montrant la carte d’état-major, tout autour de la forêt, empêchant ainsi les ennemis de profiter de la vision d’ensemble de la lande.

Un silence accueillit ses dernières paroles. Tous semblaient approuver, mais Éomer restait silencieux et pensif, le poing fermé sur son menton. Aragorn se tourna vers lui.

- Éomer ? Qu’en penses-tu ?

Mais ce dernier, au lieu de répondre sur la bataille, déclara :

- Alors, c’était une amie pour vous ?

Tout le monde, gêné, resta silencieux, et Aragorn maintint son attention sur lui pour éviter qu’il ne dérive vers un éclat de colère.

- Celle avec qui nous avons partagé les festins et la paix, continua Éomer, la joie et l’amour, que nous avons accueillie, nous déclare à présent la guerre, et veut notre perte. Et vous l’avez tous défendue, vous m’avez tous dit qu’il fallait l’aider. Pourtant elle se révèle à présent sous son véritable jour.

- Elle nous a déclaré la guerre parce que justement, nous l’avons abandonnée, ne put se retenir de répondre Eowyn, qui n’en pouvait plus du caractère exécrable de son frère, sourd à entendre la vérité.

Aragorn aurait aimé qu’elle ne jette pas de l’huile sur le feu à cet instant, mais elle avait un caractère aussi sanguin que son frère.

- Vous êtes donc tous aveugles! s'exclama Éomer en se levant. C'était un serpent niché parmi nous, et à présent elle va tous nous détruire!

- Elle ne le fera pas, répondit fermement Faramir en se levant à son tour.

- Comment peux-tu en être si sûr? lui demande Éomer en se tournant vers lui.

- Parce que… je lui ai parlé.

Un lourd silence abasourdi s’abattit sur toute la salle. Aragorn le regarda avec étonnement. Eowyn, qui était la seule à qui Faramir avait raconté cela, baissa la tête en soupirant. Et Éomer, qui fixait Faramir, resta incrédule.

- Quand son cheval Remèan est réapparu, je savais dans quelle direction elle était allée, expliqua Faramir. Je l’ai donc suivie jusqu’en Isengard, et nous avons discuté. Je lui ai promis de faire croire que je ne l’avais pas trouvée, et elle m’a assuré qu’elle ferait en sorte que les Orques ne viennent pas nous envahir. Et ensuite…je lui ai proposé de revenir, ou de trouver un compromis.

Éomer eut un rire ironique, et répondit :

- Bien joué, Faramir. Cela a bien fonctionné. Non seulement elle n’est pas revenue, mais maintenant, elle nous envoie des milliers d'Orques pour anéantir notre pays.

- Il fallait parlementer, Éomer, rétorqua Faramir. Et cela aurait eu plus de poids si tu avais pu m’accompagner pour lui parler.

- Il a raison, l’appuya Aragorn. Il est encore possible d’aller négocier avec elle.

Éomer était, au fond de lui-même, terrifié à l’idée de la revoir. Il n’avait avoué à personne qu’il faisait des cauchemars terribles, où se mêlaient des souvenirs de sa voix, de ses longs cheveux, de son odeur, de son visage si beau quand elle succombait au plaisir dans ses bras, sur les fourrures de sa chambre, il y avait encore quelques temps. S’y mêlait la vision terrible de ses bras en sang et de son visage en pleurs, quand elle avait porté la tête de Remèan, mort dans la chute du chemin de pierre, et ensuite ressuscité. Il l’imaginait ainsi, sanglante et menaçante, lui reprochant pour l’éternité sa lâcheté et son abandon.

- C’est peine perdue, répondit simplement Éomer. Vous ne comprenez donc pas que plus rien ne peut revenir comme avant, tout est terminé.

- Il y a encore un espoir…commença Aragorn.

- L’espoir m’a quitté depuis longtemps, figure-toi ! s'exclama Éomer en tapant du poing sur la table. Vous ne voyez donc pas ? Nous perdons du temps à nous demander s’il nous faut sa permission pour nous défendre ? C’est la guerre, à présent ! Alors mettez vos armures, et dirigeons-nous vers Fangorn !

Mais au même moment, il poussa un cri de douleur et agrippa sa poitrine avec ses mains, au niveau de son cœur. Il dut s’asseoir, le souffle coupé, et tous accoururent pour le soutenir. Les Hobbits lui servirent de l’eau, et alors qu'on allait appeler pour l’allonger, il alla mieux.

- Ce n’est rien, dit-il essoufflé. Ça va mieux.

- Mais qu’est-ce que c’était? demanda Aragorn, inquiet.

- C’est la troisième fois que cela arrive, répondit Eowyn en épongeant le front de son frère avec son mouchoir. À chaque fois, la douleur repart comme elle est venue.

- Éomer, tu devrais te reposer, peut-être qu’aller au champ de bataille est une mauvaise idée pour toi…

- Je dois y aller, coupa Éomer. Un roi doit combattre avec ses hommes.

Et il se leva et se dirigea vers la porte. Avant de l’ouvrir, il ajouta :

- Et interdiction de partir avec de l’élixir. J’ai donné l’ordre de les détruire tous.

- Comment !? S’exclama Aragorn, Éomer, tu ne peux pas faire cela, c’est notre avantage majeur…

- Notre avantage est de mieux combattre qu’eux, c’est tout, rétorqua Éomer. Qui sait si cet élixir n’est pas un poison lent qui a pour but de nous tuer à petit feu? Je ne veux plus de cette potion dans mon armée.

Et il claqua la porte avec bruit.

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Alcara avait cherché dans toute la Tour, de fond en comble, mais on aurait cru que Saroumane avait décidé de ne laisser de lui qu’un souvenir de sorcier à la solde de Sauron. 

Mais alors pourquoi continuait-elle à sentir qu’il y avait autre chose à trouver?

De dépit, elle retourna dans la salle du trône. Elle s'y assit de côté, le dossier sur sa droite, car le siège était beaucoup plus grand qu'elle. Elle regarda le ciel sans plafond, en haut de la tour, les murs autour d’elle, le trou béant laissé par l’épée, les bas-reliefs sur le dossier du trône.

Les bas-reliefs?

Elle se redressa. Elle ne les avait pas aperçus auparavant. Sur la pierre noire et dans cette salle toujours dans la pénombre, elle ne les avait pas remarqués.

Elle alla chercher une chandelle, revint rapidement, et s’agenouilla sur le siège, face au dossier. En détaillant les bas-reliefs, elle reconnut alors la forme : le croissant des Monts Brumeux, les plaines de la Comté…c’était une carte, sommaire et symbolique, de la Terre du Milieu.

Elle en suivit les contours, les courbes et les entailles. En descendant peu à peu, elle vit écrit : Dol Amroth.

Elle s’arrêta un moment pour observer cette inscription, et s’aperçut qu’étrangement, aucune autre ville que celle-ci n’était indiquée, pas même Minas Tirith. Alors elle effleura le nom, repensant soudain à sa mère.

Un cliquetis se fit entendre au même moment. Le nom de Dol Amroth était enfoncé. En appuyant à nouveau dessus, un petit tiroir sortit de son emplacement.

En tirant sur cet emplacement, elle sortit un objet plat :

un carnet relié de cuir noir.

Elle l’ouvrit précautionneusement. Elle avait donné des ordres aux Orques, aux Uruk-Hai et aux Gobelins pour se préparer à combattre tout autour des rives du lac : ils traverseraient la forêt de nuit, à son signal, pour attaquer le Rohan. Tout à leur préparation, ils l’avaient laissée seule, pensant qu’elle mijotait une tactique magique, comme l’avait fait Saroumane avant elle. On était le matin, elle avait donc plusieurs heures devant elle. Elle s’assit en tailleur dans le grand trône en pierre sombre, et ouvrit le carnet.

Il était écrit en elfique, une langue ancienne et la plus haute dans la hiérarchie, pour ceux qui pensaient en termes de classes sociales et de distinctions, et qui disparaîtrait avec le départ du dernier elfe de la Terre du Milieu. Cela n’était donc pas étonnant que Saroumane l’ait choisie.

Alcara soupira de soulagement, elle pourrait le lire. Elle commença les premières lignes :

« Ceci est le carnet commencé en l’an 3019 du Troisième Âge. Je le conserverai à l’abri des regards indiscrets, et je ferai en sorte que même après ma disparition, il ne tombe en aucune main. On pourra bien lire les autres, mais celui-ci, jamais, jamais plus.

J’éprouve en effet le besoin de me confesser quelque part, de crier dans un coffre que je fermerai ensuite à triple tour, pour enfouir ce cri indéfiniment et que personne ne l’entende.

Les cauchemars me poursuivent, je sens venir ma dernière quête, qui pourrait être celle du sacrifice ultime. Cela est une bonne chose. Les cauchemars cesseront enfin, et je serai peut-être en paix grâce à la mort.

Toute mon existence, dédiée aux dieux qui m’ont envoyé sur cette terre, je l’ai consacrée à la magie et à en accroître sa puissance. Peu sont ceux qui l’ont comprise et l’ont acceptée. Pourtant, elle a amélioré la vie de la Terre du Milieu, elle a approfondi les connaissances de la Nature, des éléments et des tréfonds de la Terre, du plus profond des abîmes aux monts les plus élevés. J’en ai compris le vent qui hante les nuits, la pluie et l’eau qui coule, le souffle du cerf dans les forêts, le cri des aigles dans les nuages. J’en ai maîtrisé les tempêtes et les foudres, les avalanches et les inondations, un murmure de ma part pouvait déclencher une tornade à l’autre bout du monde.

Cette connaissance, personne ne l’a portée aussi haut que moi-même, même Galadriel la Puissante, même Sauron a qui j’ai offert mes services, bien que nous ayons partagé, lui et moi, la conviction que le pouvoir permet les plus grandes choses. Personne n’en est capable de façon aussi excellente à part moi, et j’ai voué tout mon temps à en acquérir toutes les subtilités, dans le silence et l’isolement.

Et pourtant, les dieux savent que j’ai eu à fréquenter des êtres petits, vils et superstitieux, qui n’ont pas compris la portée de ce que je pouvais faire pour eux. Ils m’ont rejeté, accusé des pires intentions, exclu de leurs pays et de leurs terres, car ils croyaient que ces terres leur appartenaient, alors qu’il n’en est rien : ils traversent seulement ce monde, et c’est ce monde qui les englobera dans son sein jusqu’à la fin des temps. Moi seul traverse les âges et vois passer ces générations minuscules, dont les petites vies croient avoir du sens et de l’importance, mais qui passent, comme tous les autres.

Seul un magicien peut comprendre l’effet d’être rejeté, de susciter la peur et le doute. Seul un magicien ressent si fortement, si intensément l’abandon. On ne peut compter que sur soi-même.”

Alcara referma un instant le carnet, marquant la page où elle s’était arrêtée avec une main, et elle regarda dans le vide, réfléchissant intensément. 

Elle ressentait à présent exactement la même chose que lui : le rejet, l’abandon, l’incompréhension des autres, même de ceux qu’elle avait crus être des proches. Au fond, ils avaient tous peur d’elle et de sa magie. Ils avaient beau dire que l’Âge des Hommes serait celui de la Raison et du Progrès, ils étaient encore aussi superstitieux que lors des âges obscurs.

Elle sourit. Elle s’était peut-être trouvé des points communs avec son père, finalement.

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A la lisière de la forêt, le long des rives du lac d’Orthanc, les Orques se préparaient à combattre : ils revêtirent leurs armures, aiguisèrent leurs armes, préparèrent leurs montures qu’on appelait des Wargs, des sortes de grands loups féroces et avides de sang, aux immenses mâchoires. Mais parmi eux, une certaine impatience commença à gagner les troupes.

- Nous attendons depuis des semaines, commença à maugréer l’un d’eux à ses camarades. Hormis ce que nous a raconté le nocher, nous n’avons vu aucune preuve qu’elle a des pouvoirs magiques et qu’elle va les utiliser pour nous.

- C’est vrai, renchérit un autre. Et pourquoi attendons-nous si longtemps avant d’attaquer? Les armées des Hommes auront largement le temps de se préparer de l’autre côté de la forêt, s’ils ne nous attaquent pas eux-mêmes par surprise ce soir !

- Silence! Les coupa leur chef Uruk-Hai. Chiens galeux, vous ne comprenez rien à la guerre et vous jouez les stratèges! Laissez la fille de Saroumane décider, elle y a plus réfléchi que vous!

- Cela fait des mois que nous attendons, et que nous errons à l’ombre, comme des cloportes, en attendant de pouvoir nous venger! répliqua le premier Orque. Et il nous faut encore attendre qu’elle se décide…Nous n’aurons plus l’avantage de la surprise !

L’Uruk-Hai sembla commencer à hésiter lui-même, et l’Orque en tira profit pour terminer de le convaincre.

- N’oublie pas qu’il y a de cela encore quelques semaines, elle était de l’autre côté, elle était du parti des Hommes. Et quand bien même elle aurait des pouvoirs, elle a tué les nôtres, lors de l’attaque d’Edoras, dont personne n’est revenu vivant. On dit qu’elle peut nous foudroyer sur place. Pourquoi aurait-elle subitement changé d’avis? Peut-être nous tend-elle un piège?

Le silence de l’Uruk-Hai sembla gagner les autres camarades de l’Orque, qui continua :

- Nous ferions mieux de partir, en contournant la forêt par le Nord. Ainsi, nous prendrons l’ennemi par l’arrière, dans l’obscurité, ce soir. Et si les autres les prennent par l’avant de plein fouet, tant mieux, ils feront diversion. Nous avons encore le temps de partir!

Les autres Orques approuvèrent par des grognements enthousiastes. L’Uruk-Hai regarda autour de lui : ils étaient un peu à l’écart des autres, qui étaient occupés à s’armer. S’ils partaient maintenant, personne ne les verrait.

- Entendu, approuva-t-il, et tous les Orques grincèrent de satisfaction. Mais nous partons le plus discrètement possible, trois par trois. Les autres ne doivent pas s’en apercevoir. Allez!

Et ils s’engouffrèrent dans l’ombre de la forêt, par le chemin qui contournait Fangorn, aussi silencieux que des fantômes. 

 

Chapter 42: Héritage

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Héritage

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Cette musique est tellement…incroyable !! Une de mes préférées pour cette histoire, j’aurais pu la mettre partout 🙂, à la fois glorieuse et magique. S’il vous plaît, écoutez-la en lisant, alors que la tragédie se met en place…

 

Le soleil commençait à décliner en cette douce mais nuageuse journée de printemps. Mais peu s’attardèrent sur le temps qu’il faisait en ce jour sombre pour l’Histoire des Hommes parmi les troupes du Rohan. Alors que tous avaient espéré que les temps de paix les attendraient à l’avenir, ils repartaient déjà au combat, abandonnant femmes et enfants, alors qu’ils avaient commencé à tout reconstruire.

Néanmoins, ils avaient conscience que la menace était là, aux portes du royaume, et qu’il ne servait à rien de faire semblant de l’ignorer. Il fallait éradiquer l’ennemi, une fois pour toutes.

Mais qui était l’Ennemi, avec un E majuscule? Etait-ce les Orques, les Gobelins et les Uruk-Hai, rejetons de races maudites et déformées par le pouvoir de Sauron et de Saroumane, ou leur héritière qui leur avait déclaré la guerre, et qui il n’y a pas si longtemps était leur alliée, et même leur potentielle reine à venir?

Le même débat qui agitait les discussions entre Éomer et Eowyn, avec Faramir, Aragorn, Merry et Pippin, créaient des dissensions parmi les Rohirrim. Certains étaient convaincus, au même titre que les Maréchaux qui l’avaient accusée, qu’elle ne pouvait changer son sang, et que le naturel mauvais dont elle était issue se révélait à présent au grand jour. D’autres refusaient d’y croire, arguant qu’elle avait donné de nombreuses preuves de sa loyauté, et espéraient qu’elle avait une ruse en tête pour terrasser l’ennemi de l’intérieur.

Cette armée indécise, divisée, traversa les landes du Rohan pour se positionner là où Faramir leur indiqua que les troupes seraient le plus susceptibles de sortir de la forêt de Fangorn. Eowyn était là elle aussi : maintenant remise de son accouchement, elle n’aurait raté pour rien au monde ce combat, surtout parce qu’elle était très préoccupée par son frère et qu’elle craignait le pire pour lui. Elle restait néanmoins rassurée par la présence d’Aragorn auprès d’eux. Ce dernier faisait tout pour galvaniser les troupes, leur rappelant combien leur état d’esprit joyeux et redoutable avait permis de terrasser l’ennemi en Ithilien. Cependant, Éomer lui-même décrocha à peine un mot durant tout le voyage. Il semblait toujours perdu dans ses pensées, et sûrement dans ses souvenirs. Aragorn avait conscience que ce combat devait être une grande souffrance pour lui, devant terrasser celle qu’il avait tant aimée il n’y avait pas si longtemps. Il avait dû se convaincre que c’était une ennemie, et qu’elle l’avait trahie jusqu’au plus profond de sa chair. Mais Aragorn voyait bien qu’au fond de lui-même, il n’y croyait pas complètement. Il aurait aimé réussir à convaincre Éomer, qui avait depuis le début du mal à aller au bout de ses propres sentiments, à les comprendre et à les assumer. Il avait mis du temps à comprendre qu’il aimait Alcara, à présent il mettait du temps à vouloir croire le contraire. Il fallait l’aider à retrouver au fond de son être, l’espoir qui avait fait battre son cœur jusqu’à présent, et qu’il apprenne à accepter Alcara malgré ses parents, malgré son passé, malgré sa magie, et qu’il n’y avait là rien à craindre.

Mais les occasions étaient rares de pouvoir parler à ce roi mutique, qui se fermait dès que l’un d’eux tentait de lui parler d’autre chose que des détails logistiques de la bataille.

Une opportunité se dessina néanmoins, lorsque Merry et Pippin ressortirent de la forêt de Fangorn : Aragorn les y avait envoyés, pour retrouver leur vieil ami Sylvebarbe, grâce à qui Saroumane avait été vaincu.

Ils arrivèrent en galopant sur leurs petites montures, comme s’ils étaient impatients d’annoncer une nouvelle. Les troupes, en groupes pour le moment, les laissèrent passer jusqu’au campement, qui se tenait plus loin et en hauteur, sur les collines.

Quand Aragorn les aperçut, il appela Eowyn, Faramir et Éomer, et les fit entrer prestement dans la tente du roi du Rohan. Les Hobbits, un peu essoufflés, ne tardèrent pas à leur raconter leur rencontre :

- Nous avons retrouvé Sylvebarbe! s’exclama d’abord Merry.

- Assez facilement, à vrai dire, compléta Pippin, comme s’il nous attendait!

- C’est un Ent, Pippin, dit Merry en se tournant vers lui : évidemment, il nous a entendu arriver.

- Il semblait avoir suivi avec précision tout ce qu’il s’est passé dans la forêt dernièrement! enchaîna Pippin.

- Oui, confirma Merry, il a rencontré Alcara dans la forêt, il y a quelques semaines, avant qu’elle n’aille à Orthanc!

Un silence concentré accueillit cette nouvelle ; ils laissèrent les Hobbits continuer :

- Elle lui a demandé sa route pour aller en Isengard, et il ne voulait pas au départ, mais elle l’a convaincu.

- Avec de la magie? demanda Éomer, sortant de son mutisme, méfiant.

- En partie, répondit Merry, mais pas de la magie dirigée contre lui : apparemment, comme Gandalf autrefois, elle a fait pousser des fleurs et des fruits dans la clairière.

Un autre silence accueillit ces paroles : Eowyn et Faramir se regardèrent en souriant, Aragorn soupira d’une forme de soulagement. Tout argument pouvant laisser croire qu’elle utilisait la magie pour le bien, était bon à prendre.

- En tous cas, il a tout de suite reconnu le pouvoir des magiciens, enchaîna Merry, c’est cela qui l’a convaincu de l’aider. Et ensuite, elle lui a raconté une histoire.

- Une histoire? demanda Aragorn, quelle histoire?

Merry et Pippin se regardèrent:

- Euh…hésita Pippin, en réalité, nous n’en savons rien. Il n’a pas voulu nous le dire.

- Pourquoi cela? insista Faramir.

- Il nous a juste dit qu’elle lui a fait promettre de ne pas raconter son histoire, et de la guider simplement en Isengard, puis de ne surtout pas intervenir, qu’il fallait qu’il ait confiance en elle et que sa confiance ne serait pas trahie.

Éomer ricana avec ironie à cette dernière remarque. Faramir fit le rapprochement avec le fait qu’elle lui ait fait promettre qu’il ne l’avait pas retrouvée à Orthanc.

- Elle a un plan, déclara Eowyn, comme si elle avait lu dans les pensées de son époux.

- Ou alors, elle vous a tous bien eus, avec ses belles histoires! objecta Éomer, en se détournant du groupe.

- Cela fait beaucoup de coïncidences, tu ne crois pas, Éomer?

Éomer se retourna vers Aragorn, qui avait prononcé ces dernières paroles avec plus d’autorité que précédemment.

- Si elle n’avait rien à perdre, et qu’elle cherchait seulement à se venger, elle n’aurait pas pris autant de précautions, insista Aragorn avec force. Peut-être y a-t-il encore un espoir…

- ASSEZ AVEC CE MOT! l’interrompit Éomer avec feu.

- Je le dis, et je le répéterai autant de fois que nécessaire! s’exclama Aragorn encore plus fort qu’Éomer, et alors on vit dans ses yeux briller la puissance de sa lignée.

Jamais encore ils ne s’étaient querellés ainsi.

- Je l’ai vue grandir à Fondcombe, continua Aragorn. Parmi les elfes, elle a appris à guérir, à tirer à l’arc, à chevaucher comme un cavalier; j’ai vu Arwen lui accorder son amitié, je l’ai vue tout donner pour sauver nos armées à Minas Tirith! Il y a encore un espoir qu’elle ne veuille nous faire aucun mal, et qu’elle ait déclaré la guerre pour détourner l’attention des Orques!

- Ou peut-être qu’elle a complètement paniqué, et qu’elle n’a aucune idée de ce qu’elle fait! répondit Éomer en tendant vers Aragorn un doigt accusateur. Elle ne s’attendait pas à ce qui lui est arrivé, elle est incapable de maitriser ses pouvoirs. Elle se venge sur nous!

Et tous, qui avaient eux-mêmes envisagé cette possibilité, baissèrent les yeux.

- Elle se venge sur moi…ajouta Éomer sur un ton plus bas.

Aragorn seul, ne le quittait pas des yeux. Quelque chose dans son regard avait changé, c’était peut-être là l’opportunité qu’il attendait.

- Que penses-tu réellement, au fond de toi-même, Éomer? lui demanda Aragorn. Peux-tu vraiment croire qu’elle te hait? Est-ce que toi, tu es capable de la haïr?

Éomer sentit ses yeux s’embuer et se détesta lui-même de le montrer ainsi à Aragorn, et que son armure se fende face à lui.

- Quand bien même, cela ne change rien, parvint-il à dire malgré sa gorge qui s’était serrée. Il est trop tard.

- Il n’est pas trop tard…

- Il est trop tard, le coupa Éomer plus fort, car si je ne pars pas ce soir au combat, avec mes Hommes, je ne suis plus roi du Rohan, je ne suis plus rien.

Aragorn et tous les autres le regardèrent avec surprise : que voulait-il dire?

- Je dois protéger le Rohan, vous comprenez? Envers et contre tout. Mon peuple me croit affaibli, berné par une enchanteresse. Mais je mérite d’être leur roi. Je les ai menés à la victoire, pendant la Guerre de l’Anneau, dans la Comté, et en Ithilien. Il n’est plus question d'Alcara, et de ma capacité à lui faire confiance ou non. Il s’agit que mon peuple ait confiance en moi.

- Et si elle nous sauve?

La dernière question d’Aragorn était au fond la plus importante, la plus primordiale pour eux tous. Faramir avait évoqué cet espoir avec Éomer, quand encore sous le choc de son départ, il semblait perdu. Et pourtant, Éomer répondit simplement :

- Personne ne me sauvera, et sûrement pas elle. Je sauverai mon peuple par moi-même.

Et il sortit de la tente. Aragorn, de dépit, donna un violent coup de pied contre la table.

Alors que l’après-midi touchait à sa fin, Alcara était parvenue au dernier tiers du carnet noir. Il était beaucoup question de la façon dont il avait d’abord rallié Galadriel et les magiciens pour combattre Sauron, et comment il avait ensuite changé de camp et gagné sa cause. Il trouvait des raisons pour lesquelles il avait trahi les autres, notamment son incompréhension à n’avoir pas porté un des Anneaux de pouvoir, alors que Gandalf le Gris, moins puissant que lui, en avait reçu un. Il avait donc cherché à gagner la sympathie de Sauron, pour avoir à son tour, la part qu’il estimait lui revenir.

Alcara ressentit beaucoup de frustration : elle était presque à la fin de sa lecture, et ce qu’elle croyait y trouver ne se présentait toujours pas.

Et pourtant, en tournant la page, elle lut :

“J’ai beaucoup évoqué mon ascension, et comment par mon intelligence et ma capacité à voir le progrès, j’ai produit des armes nouvelles, et une armée plus forte, plus redoutable, au service de l’Oeil.

Néanmoins je sais bien pourquoi j’ai commencé à écrire ici, et je dois à présent l’aborder sans détour, pour vaincre mes démons, et justifier mon action passée. Même si personne ne lira jamais ces lignes, je me rends à un procès contre moi-même, car je suis puni par les fantômes d’autrefois, et je ne veux plus qu’ils me poursuivent. Je vais donc tout raconter, depuis les prémices.

La ville de Dol Amroth est splendide. Blanche, fière, riche, au bord de la mer, issue des meilleurs elfes ; elle domine le Gondor depuis longtemps. Ses habitants sont beaux, aisés, raffinés. Je méprise les Hommes, mais j’ai toujours admiré la façon dont ceux-là parvenaient à sublimer leur pauvre existence.

J’avais eu à faire à Dol Amroth il y a quelque temps, avant l’époque de grandeur de Sauron, quand je prétendais encore le combattre et que nous appelions tous les peuples à se préparer contre lui. J’avais mandé Gandalf à l’Ouest, Galadriel s’occupait de l’Est, Elrond du Nord, et j’étais parti au Sud.

En échangeant avec le Prince de Dol Amroth, dans ses jardins de Cocagne remplis de fleurs et de fruits, alors je la vis, riant avec ses frères et sœurs. Elle était si nouvelle, si différente, une telle force animait son regard, je n’avais jamais rien vu de tel. Le Prince me la présenta comme sa fille Lothiriel, et je compris sa fraîcheur, son regard téméraire : elle venait à peine de goûter à la vie. Elle avait toutes les richesses du monde : la jeunesse, l’enthousiasme, la joie, l’audace, la conquête, et une beauté si intrigante, exceptionnelle, une sorte d’intelligence particulière luisait dans ses yeux d’un bleu profond.

Je compris trop tard que tous les sortilèges ne me sortiraient pas de l’état dans lequel je me trouvais alors. Je rentrai en Isengard, pour la première fois perdu, ne sachant quoi faire ni comment la sortir de mon esprit. Je commençai à être sans cesse distrait par son image, revoyant sa jeunesse, sa promesse de bonheur. Moi pourtant si comblé par le fait de réfléchir, je me retrouvai à ressentir.”

Alcara avait l’impression que le monde entier autour d’elle s’était évanoui, pour la laisser lire la suite :

“Mais j’avais toujours mes stupéfiantes capacités, et seule mon intelligence pourrait m’aider à trouver une solution à mon état. Mon but était clair : il me la fallait. Mais elle devait elle aussi me vouloir, et je n’étais pas dupe des regards qu’elle m’avait lancés : chacun se tient en respect devant moi, mais nul ne peut éprouver du désir pour un vieil homme, aussi puissant soit-il. J’eus alors une idée. Je devais me mettre à sa place, dans ses pensées, pour trouver l’homme idéal pour une jeune fille, princesse de Dol Amroth. Un jeune homme à la fois époustouflant de beauté, courageux au combat, mais aussi sensible, romantique, terriblement amoureux, prêt à tout pour elle…j’avais un rôle à composer, une apparence nouvelle à trouver.

Je ne rechignai devant aucun obstacle pour trouver le moyen d’arriver à mes fins, malgré les interdits de ma race, malgré la défense absolue d’utiliser ces sortilèges. Je les connaissais, car aucun ne m’est étranger, mais pour la première fois dans l’histoire des magiciens, j’osai les mettre en œuvre. La douleur, la souffrance physique qu’ils engendrèrent en moi ne me firent pas reculer. J’étais déterminé.

Et quand je me vis dans le miroir, ayant atteint mon but, je ne pus que me réjouir : le temps était venu.

Je revins à Dol Amroth pour les fiançailles d’une des autres filles du Prince avec l’intendant du Gondor, Denethor. Un grand tournoi était organisé, auquel je me portai volontaire. Le mystère de ma tenue sans armoiries, mais surtout ma grande adresse et ma beauté lorsque j’enlevai, victorieux, mon heaume, lançant ma rose précisément à Lothiriel, tout cela me firent gagner le cœur de tout le public, mais aussi de celle que j’avais choisi.

Les célébrations furent grisantes, joyeuses, et sous l’apparence d’un jeune homme, encore plus intéressantes, car tous cherchaient à me plaire et à me satisfaire. Comme je l’avais prévu, Lothiriel d’abord réservée, laissa vite de côté sa timidité et chercha à mieux me connaître. Au mépris des préventions de ses parents et de son frère, elle rechercha ma compagnie à chaque instant, et grâce à ma grande connaissance de l’âme humaine, je sus choisir les mots pour qu’elle ne puisse me résister.

Comme prévu, elle voulut que je reste plus longtemps à Dol Amroth, mais je prétextai des responsabilités dans mon pays. Et au meilleur moment, paraissant en avoir soudain l’idée, je lui proposai de partir ensemble. J’en avais tant l’envie qu’il ne me fut pas difficile de lui témoigner toute la passion la plus ardente. Elle-même, d’abord hésitante, fut rapidement conquise par mes baisers et mes promesses.

Et un soir, dans la nuit, nous partîmes sur mon cheval.

Je ne pus réfréner mon désir durant tout le trajet : et je repérai une auberge sur notre chemin, accueillante et tranquille, bienveillante envers les jeunes amants, où elle et moi, impatients, pûmes assouvir notre passion toute la nuit. Mais il ne fallait aucun témoin de notre fuite, au cas où sa famille nous chercherait : et je parvins, discrètement, à nous débarrasser des aubergistes trop curieux.

Nous rentrâmes ensuite à Isengard, et comme je l’avais pressenti, elle fut intriguée par l’apparence austère d’Orthanc, imaginant plutôt un petit château comme celui de ses parents. Pour tromper sa déception, je ne manquai pas de potions aux pouvoirs enivrants, prolongeant ainsi notre idylle enchantée.

Tout bascula un jour, et je cherche, encore aujourd’hui, à comprendre où j’ai fait une erreur. La potion n’était pas assez puissante pour la maintenir en permanence dans un rêve éveillé? Ou bien possédait-elle des capacités inconnues, issues de ses ancêtres elfiques, pour y résister? Mais ses yeux se dessillèrent un jour, et pour la première fois elle me vit sous mon véritable visage.

Je cherchai d’abord à la convaincre que ce n’était pas une mauvaise nouvelle que d’être aimée et désirée par un mage aussi puissant, et que je pourrai lui apporter tout ce qu’elle voudrait, qu’à deux nous pourrions les gouverner tous. J’étais prêt à tout partager avec elle, à lui offrir le monde, si elle le voulait. Mais l’esprit des Hommes est bien plus étroit, et elle ne pensait qu’au fait d’avoir été dupée, d’avoir succombé à mes désirs pour elle en croyant s’offrir à un autre, et sous l’effet de potions.

Je fus moi-même à la fois déçu de sa réaction et, je dois le dire, blessé, heurté d’être ainsi rejeté par une simple femme. Je l’avais choisie parmi toutes, pourquoi ne comprenait-elle pas sa chance? Mais prise dans la passion et dans le chagrin, elle ne voulut rien entendre.

Pour éviter qu’elle ne m’accuse en public, et incapable de la laisser me quitter, je dus la calmer, la juguler, et je l’enfermai en haut de la tour d’Orthanc pendant quelques semaines. La nuit sous le ciel, le froid, la pluie et la faim pourraient bien refroidir sa réaction offensante.

À nouveau, j’ignore encore comment elle fit pour s’échapper, j’avais pourtant pris toutes les précautions. Mais un jour, elle disparut. Avait-elle trouvé un complice? Je ne saurais le dire. Mais son sort m’importait peu à présent : qui la croirait? J’avais d’autres plans, d’autres objectifs à remplir, et ma passion autrefois ardente pour elle, s’était d’un seul coup effacée comme une bougie sur laquelle on souffle. J’en avais perçu les avantages mais aussi les limites, et j’avais d’autres choses à découvrir bien plus importantes. Je ne la revis jamais, hormis dans des cauchemars étranges qui me poursuivent encore aujourd’hui mais que je n’ai guère le temps d’interpréter.

Plusieurs années plus tard, en réalité il y a quelques semaines, j'ai ressenti une rumeur. Comme un écho, je sentis vibrer la magie, non pas celle de ceux que je connaissais, comme le petit Gandalf ou Galadriel, mais une magie proche de la mienne. Elle venait de Fondcombe, et n’était pas elfique. Pour en avoir le cœur net, j’envoyai des Uruk-Hai à la recherche d’un homme ou d’une femme, pour savoir de quoi il s’agissait. Mais ces imbéciles furent décimés devant les remparts. Ce soir-là, la magie que je sentis était plus forte et plus claire, et je compris en prenant peur : Lothiriel avait forcément donné naissance à un enfant. Il faut aujourd’hui que je le retrouve.

Je manque malheureusement de temps pour mener cette tâche à bien, alors que le grand Sauron me réclame une grande armée. Mais je m’y attellerai quand nous serons victorieux.

J’espère à présent que mes cauchemars cesseront. Je n’ai rien fait de répréhensible, j’ai voulu mener mes projets à leur terme, et j’ai espéré beaucoup de Lothiriel, qui n’était pas à la hauteur de mes attentes. J’aurais dû m’en douter, venant d’une non-elfe. Mais cela est fait à présent, et je ne regrette pas cette expérience, qui m’a permis de connaître un pan de la nature qui m’était inconnu. Je poursuis à présent ma quête, serein et confiant dans l’avenir. »

À la fin de sa lecture, Alcara se leva péniblement du siège. Elle avait la nausée. Son regard courait de gauche à droite, perdu.

Il l’avait trompée, il avait dupé sa mère, l’avait droguée. L’avait forcée.

Elle avait espéré une version différente, un amour vrai, sincère, auquel se raccrocher. Mais la vérité était pire encore que ce qu’elle avait envisagé.

Alors elle jeta le carnet à l’autre bout de la pièce, en poussant un cri de rage. En plus il se disait serein, il ne se sentait pas coupable, il assumait ce qu’il avait fait? Quel genre d’être peut faire cela?

Elle était en colère et ne savait pas où prendre prise pour s’en libérer. Son pendentif se mit à luire très brillamment, et à vibrer sur son cœur. Par instinct, elle tendit sa main d’un seul coup vers le trône en pierre noire, qui explosa d’un seul coup.

Elle eut juste le temps de se protéger des projectiles lourds qui tombèrent autour d’elle, et se redressa, surprise. Une des pierres brisées rebondit sur une des sept portes, la seule encore fermée, qui s’ouvrit d’un seul coup et se balança sur ses gonds. Peut-être qu’autrefois, sa pauvre mère à la destinée tragique avait été enfermée dans cette salle?

Elle s’avança rapidement vers la porte, et avec un autre geste vif du bras, l’ouvrit à la volée. Elle éclata en morceaux à son tour.

En entrant dans la salle, elle découvrit alors quelque chose. Quelque chose de bien utile, qui lui donna une idée afin de décupler les chances pour son plan d’aboutir.

 

Chapter Text

 

La Fin De Toutes Choses

Musique à écouter sur ce chapitre :

La nuit tombait, et le soleil venait de se coucher. L’ensemble des armées du Gondor et du Rohan étaient réunies dans la plaine à présent, prêtes à combattre face à la lisière de la forêt. Éomer, Eowyn et Faramir, Aragorn et les Hobbits se tenaient en hauteur, sur la colline faisant face aux bois, d’où ils apercevraient mieux les arrivées des ennemis. Faramir avait justement prévenu Aragorn que la forêt prenait fin non loin de là, et que des troupes pouvaient tout à fait surgir de l’autre côté pour les encercler. Aragorn avait donc donné l’ordre à ses armées de se tenir prêtes aussi dans cette direction. Si des ennemis arrivaient par là, ils seraient en première ligne pour dévaler la colline et lancer un assaut.

 

Autour du lac d’Orthanc, les troupes d’Orques étaient prêtes. Tournées vers la forêt, elles n’attendaient qu’un signal pour partir au combat. Elles ne virent pas tout de suite que le niveau du lac montait, doucement et discrètement, à leurs pieds. Et quand elles s’en aperçurent, beaucoup étaient déjà dans l’eau jusqu’aux genoux. Les soldats se resserrèrent, mais dans l’effet de fuite, une panique éclata. Ils se poussèrent, crièrent, jouèrent des coudes pour aller vers la forêt. Et lorsqu’ils voulurent pénétrer dans les bois, une sorte de mur végétal les en empêcha. Pris entre les rives montantes du lac et la barrière de la forêt, ils étaient pris au piège.

 

Au milieu de la salle aux sept portes, Alcara avait fermé les yeux. Son pendentif, plus brillant et vibrant que jamais, était de plus en plus chaud autour de son cou. Mais concentrée, elle ne s’en rendit pas compte. Elle tenait dans ses mains le bâton rompu de Saroumane, et le carnet noir.

Et autour d’elle, des barils de poudre innombrables. Qu’elle avait trouvés dans la dernière salle. Des restes de la poudre utilisée pour briser le rempart du gouffre de Helm autrefois.

Dans son esprit, des ennemis vils, dont il ne devait rien rester, et surtout, surtout, la vérité de ce qu’était son père, sans fard. Un magicien méprisant, sans principes, sans respect pour les lois des hommes et des dieux. Le Mal, dont elle devait maintenant anéantir toute trace.

Même si elle devait se sacrifier pour cela.

Elle leva la tête, regarda le ciel et s’écria alors :

“Dieux Valar, créateurs de la Terre, du Ciel et de la Mer, je vous invoque !!

Je suis prête à vous voir, et à vous prouver que je ne suis pas Saroumane.

REGARDEZ-MOI!! Regardez ce que je fais des dons que vous m’avez transmis, ET RÉPONDEZ!!”

 

Sur la colline, Aragorn et les autres entendirent une grande clameur. Ils se préparèrent, croyant les troupes arriver. Mais les cris ressemblaient de plus en plus à de la peur, ou de la panique. Ne voyant rien dans la forêt, ils se regardèrent, intrigués.

Éomer, soudain, fut assailli d'un doute terrible, dévorant : après tout, peut-être aurait-il dû les écouter. Peut-être aurait-il dû partir la voir. Maintenant que la forêt de Fangorn paraissait si proche, malgré la clameur des nombreux ennemis qui leur parvenait, il se disait qu’il aurait encore pu partir la retrouver…

Mais alors, balayant ses hésitations, car il était trop tard, un immense rayon blanc sortit de la tour d’Orthanc et fonça dans le ciel, semblable à la lueur verdâtre qui autrefois, avait percé le ciel du haut de la tour de Minas Morgul. Ils prièrent intérieurement que ce ne fût pas le même type de menace.

 

Dans la tour, Alcara avait rassemblé toute son énergie, tout son cœur, tout son esprit. Le pendentif rayonnait et la lumière irradiait tout son corps à présent, perçant le ciel au-dessus de sa tête. Il fallait qu’elle tienne, qu’elle trouve en elle la force d’aller jusqu’au bout. Concentrer sa rancœur, sa colère, sa rage, son chagrin et sa souffrance. Toutes ses émotions nourrissaient son pouvoir, à présent. Elle savait comment l’augmenter, l’amplifier, sans limites, sans retour possible.

Et au moment où elle sentit qu’elle atteignait le sommet de son énergie, de sa puissance, mais aussi de sa douleur, une grande boule de feu sortit de ses mains et brisa en mille morceaux le bâton magique de son père, son carnet, et embrasa les barils de poudre.

Elle disparut dans une déflagration de lumière.

 

En haut de la colline, Éomer, Aragorn, Eowyn, Faramir et les Hobbits, et tous les guerriers, virent le rayon blanc s’entourer d’une gigantesque boule de feu, et assistèrent à une immense explosion. La tour d’Orthanc se brisa en milliers de morceaux dans un bruit de tonnerre, comme nul n’en avait encore entendu, aussi terrible que lorsque la tour de Sauron s’était effondrée, et le sol trembla jusque loin dans la terre du Milieu. Et la Tour tomba sur elle-même, dans le lac qui se trouvait à ses pieds. La boule de feu engloba tous les Orques pris au piège, embrasés par le feu puis noyés dans l’eau.

Eowyn poussa un cri d’horreur. Éomer eut un sursaut de peur, ne pouvant qu’articuler un mot : “Non!” et il serra si fort les rênes de son cheval, qu’il ne vit pas ses mains se tordre.

Ça y est, tout était perdu.

Alcara venait de se sacrifier sous leurs yeux.

Sans avoir le temps de comprendre ce qui était arrivé, ils aperçurent une colonne d’Orques sortir de la forêt par le côté, comme Faramir l’avait pressenti. Ils dévalèrent alors la colline pour partir les combattre, et Éomer se lança avec eux, sans réfléchir, sans analyser ce qu’il venait d’arriver.

 

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Dans le lac d’Orthanc, le chaos régnait, et dans les eaux se mêlèrent les cadavres des ennemis et les débris de la tour pulvérisée. Plus rien ne restait des réalisations de Saroumane, à présent.

Pourtant, dans les eaux noires, une seule lueur battait encore, comme un phare lointain. C’était le pendentif. Il tira Alcara vers la surface, puis sur la rive, évitant les projectiles. Elle sortit la tête à la surface, aspirant autant d’air qu’elle le pouvait et, tremblante, à bout de souffle, elle rejoignit la rive à genoux, toussant et crachant l’eau de ses poumons. Elle était recouverte de vase, de poudre et de débris. Elle n’avait plus la force de se lever, et rampa sur l’herbe boueuse.

Elle n’eut pas le temps de réfléchir, de s’apercevoir si oui ou non, son plan avait fonctionné. Car alors, une immense douleur lui déchira la poitrine, là où se trouvait son coeur. Plus forte et plus intense que toutes les précédentes, elle lui brûla les entrailles, embrasa ses muscles, l’aveugla. Elle hurla, hurla, empoignant sa peau comme pour s’arracher le cœur et faire cesser sa souffrance.

Mais elle était seule dans la nuit.

Éomer, dans le flot de la bataille, venait à bout de ses ennemis avec ses troupes et ses renforts. Mais au même moment, la douleur intense, fulgurante, lui déchira aussi la poitrine au niveau de son cœur. Il hurla de souffrance et faillit tomber de cheval, mais heureusement, Aragorn était près de lui et put le tenir. Aragorn, qui le crut blessé par les ennemis, appela à l’aide Eowyn et Faramir, qui l’aidèrent à dégager Éomer de la bataille et à l’éloigner sur la colline. Les Rohirrim, autour d’eux, suivirent avec inquiétude l’évacuation de leur roi.

« Vite, couchez-le, il faut lui enlever le haut de son armure! » cria Aragorn, et tous se précipitèrent, et s’agenouillèrent auprès de lui avec des mouvements maladroits, perturbés par Éomer qui continuait d’hurler comme si on le torturait, et ne cessait de vouloir agripper sa poitrine. Des Rohirrim s’approchèrent un peu mais restèrent en retrait, craignant pour la suite.

Lorsque les hurlements d'Alcara et d’Éomer, lointains de plusieurs kilomètres mais exactement synchrones, cessèrent tout à coup, à bout de souffle, ils ouvrirent leurs yeux remplis de larmes sans rien voir autour d’eux et ne fixant que le ciel face à eux. Au même moment, ils tendirent leur bras gauche devant eux, comme pour atteindre la main d’une personne imaginaire dans les nuages. La pluie avait commencé à tomber.

Eowyn balbutiait des paroles rassurantes à son frère, les yeux pleins de larmes. Mais il ne semblait plus rien entendre. La pâleur de son visage, l’immobilité de ses traits ne faisait plus de doute.

Il sembla murmurer quelque chose, même si le souffle lui manquait. Et Eowyn, en se penchant, crut comprendre seulement :

« Pardonne-moi, Dagilin... »

Et de l’autre côté de la forêt, sous la même pluie, mais séparée de plusieurs lieues, Alcara sembla lui répondre, d’une certaine façon :

« Éomer…Éomer…je t’aime. »

Et leurs bras tendus retombèrent en même temps, leurs yeux se fermèrent.

Et ils rendirent leur dernier souffle.

Eowyn cria le nom de son frère, le secoua, en vain. Il ne pouvait pas mourir, c’était impossible.

Faramir sembla perdu, et regarda Aragorn, comme s’il pouvait expliquer, trouver une solution, mais Aragorn lui dit simplement :

« Par les dieux, alors son cœur s’est finalement brisé... »

Merry et Pippin, plus en retrait, avaient des yeux d’enfants perdus, des larmes plein les yeux, encore sous le choc.

Soudain, Faramir se tourna vivement vers Eowyn, lui prit les deux bras pour la dégager de son frère et qu’elle le regarde, mais elle était affolée et paniquée.

« Eowyn, Eowyn! lui cria-t-il. Est-ce que tu as l’élixir? Est-ce que tu en as sur toi? »

Eowyn se calma un peu, le regarda finalement en réfléchissant, et fouilla sur elle. Et soudain, elle tira une petite fiole, pleine d’un liquide blanc qui luisait légèrement dans l’obscurité.

Éomer avait donné l’ordre de tous les détruire, mais heureusement, Eowyn ne lui avait pas obéi.

Faramir lui prit l’élixir des mains et versa quelques gouttes dans la bouche d’Éomer. Et ils attendirent, dans un silence absolu, concentrés, priant pour un miracle.

Au bout de quelques minutes, il inspira d’un seul coup tout l’air autour de lui. Cela avait marché.

 

FIN DE LA QUATRIÈME PARTIE

 

Je sais, je sais, je suis vraiment, vraiment désolée... 🫣 ! !!

J'espère que vous avez aimé cette partie 4, où se joue LA tragédie… j'ai moi-même ressenti beaucoup d'émotion en l'écrivant, et encore maintenant en la relisant 😢.

MAIS...ce n'est pas la fin !! Et je publierai la suite dès que possible !

En attendant, vous pouvez deviner ce qui pourrait se passer ensuite, dans les commentaires 😉

(Je vous avais dit que les prochains chapitres seraient pleins de surprises, et c'est loin d'être la fin...)

MERCI de participer à cette aventure ! 😍

 

Chapter 44: Partie V : Nouveau Jour - Chapitre 43 : L’Aube du Passé

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Partie V : Nouveau Jour

 L’Aube du Passé

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Elle ouvrit les yeux, et vit qu’elle se trouvait dans un lieu indistinct, impossible à décrire. Autour d’elle, des étoiles puis le soleil défilèrent rapidement dans le ciel, dans une course effrénée, comme si des jours et des mois se déroulaient devant ses yeux.

Elle ne pouvait pas bouger. En tendant ses yeux le plus possible sur les côtés, elle crut apercevoir une étendue d’herbe, mais aucun arbre, aucune montagne qui aurait pu lui rappeler des souvenirs.

Elle chercha à réfléchir à la raison pour laquelle elle ouvrait les yeux maintenant, ce qui avait pu arriver juste avant, juste après. Son esprit était complètement vide, elle ne savait ni son nom, ni si elle avait besoin de dormir, d’avoir des souvenirs, de rêver ou même de respirer.

Et soudain elle entendit plusieurs voix dans son esprit, aussi fortes que le tonnerre, qui parlaient en même temps, dans toutes les langues jamais connues des Hommes, des Elfes, des Nains ou même des Dieux. Elles les comprit toutes simultanément, comme une seule voix. 

Elles lui disaient que les dieux lui donnaient l’occasion de laver les crimes de son père. Elle était parvenue à détruire sa trace sur la Terre du Milieu. Il fallait à présent planter là où il avait déraciné, faire croître là où il avait réduit en cendres, respecter là où il avait détruit et méprisé. Dans un bref rayon de lumière, elle reçut dans son esprit toute l’histoire de la Terre du Milieu, depuis les Valar qui arrivèrent sur la Terre, jusqu’à l’existence de son père au service du Mal et les fautes de Sauron. 

Mais ils ne parlèrent ni de son propre passé en tant qu'Alcara, ni des Hommes, et elle ne connut pas leur existence, qu’elle avait oubliée. Sacrifiée, meurtrie, abandonnée dans le passé, mais sans plus s’en souvenir, elle pourrait revenir sous le nouveau nom de Lothiriel la Blanche.

Les flashs de visions se multiplièrent, et les Valar lui révélèrent les secrets inconnus de la magie et les merveilles les plus méconnues de la Nature. Elle comprit l’être le plus microscopique comme le dragon le plus immense, les causes du Ciel et de la pluie, le mouvement du temps. On lui donna une nouvelle chance, dans une nouvelle peau.

D’un seul coup, les visions s’arrêtèrent. Elle jeta un dernier regard sur le ciel qui continuait de défiler à vive allure devant ses yeux, et les ferma.

En les rouvrant, elle prit une grande inspiration, qui lui fit mal, comme si ses poumons se développaient d’un seul coup dans sa poitrine. Elle respira ensuite rapidement, et regarda autour d’elle.

Elle était couchée dans une prairie marécageuse et boueuse, aussi chaotique qu’un champ de bataille, et l’aube naissait à la lisière d’une grande et antique forêt, dont les vieux arbres se tordaient avec l’âge. Un grand lac s’étendait, tranquille et serein, non loin d’elle.

Elle se releva doucement, et observa son apparence. Malgré le fait d’être restée allongée dans la boue, la grande robe qu’elle portait resta blanche, immaculée. Et quand elle regarda ses longs cheveux détachés, qui lui tombaient aux hanches, elle vit qu’eux aussi étaient devenus d’un blanc pur.

Un pendentif brillait autour de son cou, qu’elle prit dans sa main. Et alors elle sut quoi faire. Au sol, des débris de bois avaient été balayés par l’eau sur la rive, comme après une grande inondation. Elle les regarda, les fouilla longuement, et y trouva enfin ce qu’elle recherchait. Un grand bâton comme poli par l’eau, au bois doux et d’un blanc délavé, dont l’extrémité formait un cercle ovale. Elle brisa la chaîne de son pendentif d’un seul coup, l’enleva de la pierre en la jetant au sol, et plaça le diamant en plein milieu de l’ovale, où il tint tout seul, en équilibre, luisant d’abord fortement puis plus doucement.

Alors elle regarda plus attentivement autour d’elle, et murmura :

« De nombreux êtres sont morts, ici. »

Et d’un coup de son bâton sur le sol, créant un souffle semblable à la brise sur les collines, toute la rive d’Isengard boueuse et pleine de débris se couvrit d’une herbe tendre et de fleurs des prés multicolores et riantes. À présent, plus personne n’aurait pu dire que la tour d’Orthanc s’était dressée ici autrefois, et gisait maintenant au fond du lac profond, avec les corps de milliers d’Orques vaincus.

Elle sentit une présence, et se retourna : un Ent lui faisait face, qui sortait de la lisière de la forêt. Il la regardait sans étonnement, comme s’il savait que les choses devaient revenir à leur paix initiale.

Pourtant en son for intérieur, Sylvebarbe avait craint d’avoir fait une erreur, en voyant tous les Orques se préparer au combat. Mais il avait donné sa parole, et il avait eu raison de faire confiance.

Il s’avança vers elle, et vit qu’elle n’était plus exactement comme avant : dans sa tenue immaculée, avec ses cheveux blancs et brillants comme de la soie, et ses yeux non plus noirs, mais d’un bleu profond, à la fois clairvoyant et chaleureux.

« Gandalf aurait été fier! » dit-il avec un sourire.

Et la jeune femme s’inclina simplement devant lui, en signe de respect.

« Je te restitue l’Isengard tel qu’il était, il y a de cela plus de deux mille ans, avant l’arrivée de Saroumane, lui dit-elle de sa voix inchangée, toujours volontaire mais douce. À présent, tous devront respecter ce lieu comme un sanctuaire de la nature, et j’y veillerai. »

Sylvebarbe inclina légèrement la tête à son tour, pour la remercier.

Et alors, dans un grand souffle de vent, ils virent arriver dans l’aube un groupe d’aigles immenses, qui se posèrent sur la belle herbe tendre, au bord du lac. Lothiriel, puisque c’était à présent son nom, s’approcha de l’un d’eux, qui lui tendit sa serre comme pour tendre la main. C’était Gwaihir, le grand Aigle qui autrefois avait conduit et sauvé Gandalf à maintes reprises.

Elle monta immédiatement sur le dos de l’aigle, et avec un dernier signe à Sylvebarbe, s’envola dans la lueur du soleil levant.

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Aragorn ne parvenait pas à dormir. Eowyn et Faramir, ainsi que Merry et Pippin, épuisés par l’attente, la bataille et les émotions suscitées par la mort et le retour à la vie d’Éomer, s’étaient couchés dans la tente de campement du roi, à son chevet.

Mais lui ne pouvait pas fermer l’œil. La bataille avait été gagnée aisément, ils étaient bien plus nombreux que leurs ennemis. Mais il voulait savoir ce qu’était devenue Alcara : comment avait-elle fait pour déclencher une explosion si grande, avait-elle subi la même attaque qu’Éomer au cœur, avait-elle pu survivre alors qu’elle était seule et sûrement sans l’élixir?

Devant sa tente, il observait, assis sur l’herbe, la lisière de la forêt, alors que l’aube commençait à naître. Et il prit une décision.

Emportant ses armes et son cheval, il descendit de la colline, confia une lettre à son messager, puis se dirigea droit vers Fangorn, saluant au passage les Rohirrim qui montaient la garde. Mais une fois presque sous les frondaisons, il entendit des soldats pousser une exclamation en désignant quelque chose dans le ciel du matin. Quand il leva la tête à son tour, il vit les grands aigles de Gwaihir se diriger vers l’Ouest.

Il se retourna, et pénétra avec détermination dans la forêt.

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Quelque part bien loin de l’Isengard, une autre forêt, magnifique et luxuriante, aux collines grandes comme des montagnes et aux cours d’eau riants, s’étendait au Sud du Gondor et bénéficiait d’un soleil généreux tout au long de l’année. Malgré une plus forte présence humaine à Minas Tirith, à Dol Amroth ou à Belfalas, elle avait été épargnée et respectée et demeurait, pour sa majeure partie, inconnue, hormis des bêtes sauvages qui y vivaient paisiblement.

C’est pourtant dans cette forêt, à la lisière d’une clairière, qu’un elfe à la tête couverte d’un capuchon attendait les bras croisés, à l'ombre d’un arbre. Mais l’identité de son voisin permettait de le reconnaître, car Gimli, fils de Gloïn, se tenait à ses côtés.

- Legolas, ronchonna-t-il, nous avons dû nous réveiller avant l’aube pour attendre ici on ne sait quoi. Et nous ne sommes même pas allés combattre aux côtés de nos alliés face à l’Isengard, alors que je ne refuse jamais une bonne bataille !

- Notre rôle était d’être ici, Gimli, lui répondit tranquillement Legolas patiemment, pour la centième fois car Gimli ne comprenait toujours pas la raison de leur retraite en Ithilien. Je sens que nous aurons la réponse ce matin.

- Il y a intérêt, car j’ai les pieds engourdis, râla Gimli une nouvelle fois, encore agacé quelquefois par les pressentiments mystérieux de son ami elfe.

Mais il n’eut plus à attendre, car les grands aigles de Gwaihir arrivèrent à cet instant et se posèrent dans la clairière. Gimli, impressionné par leur taille, car il ne les avait jamais vus d’aussi près, fut également surpris que Legolas ait su aussi précisément où ils se poseraient.

Ce dernier enleva sa capuche et s’avança dans la clairière en souriant. Et Gimli, en le suivant, aperçut une silhouette blanche descendre sans effort du dos de l’aigle le plus grand. Il crut qu’il s’agissait de Gandalf ou de Galadriel, ne s’étant pas complètement consolé de leur départ.

Mais c’était Alcara, transformée : sa tenue blanche immaculée, ses cheveux blancs qui semblaient doux et brillants et flotter autour d’elle, son bâton d’un genre nouveau où luisait la pierre que Legolas avait trouvée dans les cavernes étincelantes.

Ils la virent se retourner vers l’aigle, et le remercier en posant doucement sa main près de son bec, qu’il avait baissé pour s’approcher d’elle. Ils semblèrent communiquer ensemble dans une langue silencieuse, et solennelle. C’était des adieux : car l’Aigle repartit, cette fois-ci directement vers l’Ouest : et Legolas sentit qu’il ne le reverrait jamais plus.

Les deux amis s’approchèrent doucement, et en se retournant, ils aperçurent ses yeux d’un bleu sombre, à la fois paisibles et souriants, mais interrogatifs, quand elle aperçut l’elfe et le nain venir vers elle.

Legolas s’avança le premier, lui aussi impressionné, et il lui dit en elfique :

- Petite Aube, bienvenue en Ithilien. J’ai ici installé mon peuple dans une forêt encore plus belle que la Forêt Noire de mes ancêtres. Je vois que tu es devenue une grande magicienne à présent.

Legolas, comme à son habitude, pressentait des choses et ne demandait aucune explication à la magicienne, ce qui agaça encore Gimli qui attendait depuis longtemps et se posait mille questions. Aussi, quand Alcara rendit son sourire à Legolas, il les interrompit, impatient :

- Alcara, il faut tout nous raconter depuis le début ! La bataille, les Orques décimés, comment es-tu devenue une magicienne?

Mais elle fronça les sourcils et les regarda l’un et l’autre avec circonspection, et répondit en elfique, d’une voix paisible, proche de celle de Galadriel autrefois :

- Je vous remercie de votre accueil, mais je suis désolée, je ne sais pas de quoi vous voulez parler.

Legolas et Gimli se regardèrent, étonnés. Et Legolas lui dit :

- Te souviens-tu de nous?

Elle le regarda dans les yeux, semblant réfléchir intensément, et répondit :

- Vos visages me sont familiers : tu es un elfe, dit-elle en elfique à Legolas, et tu es un nain, dit-elle dans sa langue à Gimli, passant d’un langage à l’autre avec grande facilité, ce qui surprit Gimli car Alcara ne connaissait pas sa langue autrefois, et peu l’utilisaient encore.

Legolas et Gimli se regardèrent de nouveau : ils ne s’attendaient pas à cela, et se demandaient comment réagir.

- Voici Gimli, fils de Gloïn, présenta Legolas, le dernier descendant des grands Nains sous la montagne. Et je m’appelle Legolas, fils de Thranduil, prince des elfes de la Forêt Noire.

- Legolas…murmura-t-elle en plissant les yeux et en l’observant, comme si elle entrevoyait dans la brume de ses pensées un souvenir encore trop lointain.

- Mais jusqu’où vont tes souvenirs, Alcara? insista Gimli dans la langue de son peuple.

Elle le regarda interrogative, et lui répondit dans la même langue :

- Je ne comprends pas, mon nom n’est pas Alcara, mais Lothiriel. Lothiriel la Blanche.

Alors les deux amis se regardèrent et prirent conscience qu’elle avait oublié une grande partie de sa propre vie. Mais ils n’eurent pas le temps d’y penser davantage, car elle ferma les yeux d’un coup et s’évanouit. Legolas eut juste le temps de la prendre dans ses bras, et ils la portèrent jusque dans sa cité elfique.

 

Chapter 45: La Forêt d'Ithilien

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La Forêt d'Ithilien

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Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait dans un beau lit confortable, placé au milieu d'une chambre construite dans le bois des murs, aux grandes fenêtres lumineuses et ensoleillées. Cet endroit était elfique, elle le sentait, mais tourné vers la nature.

En se levant et en allant à la fenêtre, elle vit qu'elle se trouvait dans un grand arbre, en hauteur, face à d'autres passages, chambres, salles et habitations construites dans les arbres, comme de grandes cabanes suspendues. Des passerelles, des ponts délicats permettaient d'aller d'un arbre à l'autre, ou de redescendre vers le sol. L'ensemble était baigné dans la lumière de l'été, et ici plus tôt qu'ailleurs, les feuilles étaient déjà épanouies sur les branches.

Elle se retourna vers la chambre, et vit un plateau plein de nourriture délicate et fraîche. Elle s'en reput, se demandant pourquoi elle se sentait si faible. Elle chercha dans sa mémoire, mais aucun souvenir ne lui revenait, et aucun indice, aucun pressentiment ne lui permettait de se situer dans la grande histoire de la Terre du Milieu, seule information reçue des dieux Valar.

Une fois qu'elle eut fini son repas, elle prit son bâton magique et sortit de sa chambre. Les autres elfes, comme à leur habitude, se promenaient tranquillement entre les habitations. D'un blond presque blanc comme Legolas, ou au contraire très bruns, ils portaient tous comme lui une tenue de chasse ou de cavalerie, et portaient sur eux des arcs, des petits couteaux ou encore des petites proies qu'ils avaient attrapées dans la forêt, des lièvres principalement. Mais la nourriture elfique étant principalement végétarienne, ils tuaient peu d'animaux. 

Certains la regardèrent du coin de l'œil ou se retournèrent à son passage, mais elle ne les remarqua pas. À présent confiante et paisible, elle semblait glisser sur l'eau et rester indifférente au regard des autres, contrairement à autrefois où elle avait besoin de plaire ou de s'assurer qu'elle était à la hauteur.

Elle arriva dans un des arbres, creusé de telle sorte que le soleil perce les branches pour venir éclairer une belle fontaine, représentant un cerf majestueux. En passant la main dans l'eau fraîche et claire, elle soupira d'aise. Elle avait l'impression de découvrir pour la première fois des sensations simples, comme le soleil chaud sur sa peau ou la fraîcheur de l'eau.

Elle n'eut pas besoin de se retourner pour deviner que l'elfe Legolas se tenait derrière elle et l'observait. En regardant toujours sa main dans l'eau qui reflétait les rayons du soleil, elle sourit et lui dit :

- Merci de m'accueillir dans ton royaume, prince Legolas, fils de Thranduil. Tout ici est magnifique.

- Je savais que tu viendrais, lui répondit-il. Et tu peux m'appeler seulement Legolas.

Et en s'approchant de la fontaine, il passa sa propre main sous un jet d'eau. Il hésitait à lui raconter trop vite leur passé, et ne voulait pas la brusquer. Elle leva la tête et leurs regards se croisèrent, l'un d'un bleu ciel, l'autre d'un bleu profond.

- J'ai reçu la mission d'utiliser la Nature pour la protéger, dit-elle, et je vois qu'ici tu as déjà commencé cette œuvre.

- Peut-être que nous ne sommes pas si différents, lui murmura Legolas.

Ils sourirent, et eurent du mal à quitter le regard de l'autre, et elle se souvint par bribes d'avoir déjà vécu une telle situation. C'était un sentiment agréable, de pouvoir admirer cet elfe beau et élégant, mais un peu sauvage et qui semblait avoir beaucoup combattu. Legolas finit par baisser les yeux, et lui dit :

- Tu auras sûrement besoin de mieux connaître tes pouvoirs et de les essayer, dit-il en regardant la surface de l'eau et les jeux de lumière du soleil. Tu pourras aller dans la forêt autant que tu le voudras pour les mettre en œuvre.

- J'ignore combien de temps je vais rester, répondit-elle.

Et alors que Legolas levait les yeux vers elle, comme si une telle nouvelle l'inquiétait, elle ajouta : 

- J'ai besoin de retrouver mes souvenirs.

- Tu peux rester ici autant de temps que nécessaire, lui assura-t-il. Nous serons parmi les derniers elfes à rester, et cela peut être long sur l'échelle de nos vies.

Ils sourirent en même temps.

- C'est drôle, lui dit-elle, je connais l'histoire de toute la Terre du Milieu, mais j'ignore où j'étais encore hier.

- Nous t'aiderons à retrouver ton passé, lui promit Legolas. Et tu nous raconteras ce que tu as appris. Si les dieux ne t'ont pas laissé toute ta mémoire, c'est qu'il y a une raison, ils ne font jamais rien par hasard. Nous saurons bientôt pourquoi.

- Je sais maintenant que je peux me fier au destin, et qu'il envoie des signes pour nous dire quand attendre, et quand ne pas attendre.

Legolas la regarda avec curiosité. Elle parlait comme un elfe, à présent. Est-ce qu'il était possible...mais il préféra balayer les idées qui germaient dans son esprit, et lui fit visiter son royaume.

Au cours de leurs promenades dans la forêt et dans sa cité, Legolas lui raconta par petits morceaux des éléments de son passé, sans annoncer de nouvelles trop importantes, car il ne savait pas si elles pouvaient influencer son pouvoir ou avoir des conséquences particulières. Gandalf disait bien assez souvent que les émotions déforment la magie, et peuvent conduire à de funestes répercussions. Malgré sa curiosité, car il aurait aimé savoir comment elle en était arrivée à devenir une magicienne blanche, Legolas fut patient et méticuleux.

Il lui parla de Fondcombe en particulier, de son enfance dans la cité d'Elrond, de son apprentissage des talents de guérisseuse, où elle excellait ; il parla de l'importance de Gandalf dans son éducation, mais n'oublia pas d'évoquer Aragorn et Arwen.

Et soudain, par flashs courts et clairs, elle se souvint d'épisodes de sa vie : les leçons de guérisseuse, la vie paisible à Fondcombe... Au fur et à mesure de ces récits, elle eut l'impression que le voile recouvrant ces images du passé était arraché brutalement, causant parfois des migraines désagréables, quelquefois de simples sensations nouvelles.

Un soir, après l'un de ses récits, elle se retourna vers lui, le regarda intensément et lui dit :

- Nous nous sommes rencontrés à Fondcombe, n'est-ce pas?

Legolas hésitait encore, et évitant son regard, lui répondit :

- En effet, nous nous sommes rencontrés à Fondcombe. Gandalf nous a présentés.

Elle le regardait toujours, et il sentit ses yeux sur lui, mais il tint bon. Elle se concentra, et ajouta :

- Comment étais-je, alors?

Legolas sourit et la regarda enfin :

- Tu étais un peu plus jeune, guère plus, car cela ne fait pas si longtemps que nous nous connaissons. Mais c'était avant la Guerre de l'Anneau, et cela me paraît avoir eu lieu il y a des siècles. A l'époque, nous étions encore insouciants : tu apprenais les potions et la vie de cour, à Fondcombe et à Minas Tirith, et je voulais courir le monde. Aujourd'hui tu es à la fois la même qu'avant, et légèrement différente.

- Comment cela? insista-t-elle avec candeur, comme souvent depuis son arrivée.

- Je l'ignore, avoua-t-il en observant son visage. Tu as changé d'apparence bien sûr, tu es une magicienne sans aucun doute. Mais je revois aussi la jeune femme douée et qui avait tant de force en elle, autrefois, quand nous nous sommes rencontrés à Fondcombe. Sauf que tu as un côté moins...moins humain, peut-être plus elfique. Plus détachée, au-dessus des contingences, à te poser des questions fondamentales sur le monde.

- C'est la mission qui m'a été donnée, expliqua-t-elle simplement.

Et elle ne s'aperçut pas tout de suite que le qualificatif « d'elfique » de la part de Legolas voulait déjà dire qu'il avait l'impression qu'elle avait toujours été là, chez lui, et avec lui, et qu'il aurait aimé qu'elle reste indéfiniment.

Quand elle se sentit fatiguée de sa journée, elle prit congé de lui, et se retira dans sa chambre. Legolas la regarda s'éloigner, pensif. Et il sentit la présence de Gimli, qui s'était approché de lui.

- Est-ce qu'elle retrouve peu à peu ses souvenirs? lui demanda le Nain.

- Cela revient très doucement, répondit Legolas, en observant toujours la magicienne qui s'éloignait.

Après un silence, Gimli, aux méthodes d'habitude plus cavalières, prit des précautions pour lui dire avec gravité :

- Legolas, nous devons prévenir Aragorn qu'elle est toujours en vie.

Legolas resta silencieux, comme réticent. Il finit par lui répondre :

- Je le sais. Mais je n'arrive pas à m'y résoudre.

Gimli s'approcha patiemment de lui, et s'assit à ses côtés. Quand il vit son visage, pensif et triste, il sortit de sa poche une lettre, qu'il lui tendit. Legolas l'ouvrit, et la parcourut rapidement du regard, avec inquiétude. Gimli expliqua alors :

- C'est une lettre d'Aragorn. D'autres Orques se préparent à combattre dans le Mordor. Nous le sentions, et quelques indices nous laissent penser qu'ils seront nombreux. Très nombreux. Nous avons besoin d'elle pour combattre, car Aragorn nous dit qu'elle a décimé tous les ennemis en Isengard avec ses pouvoirs. Si nous ajoutons nos forces dans la bataille, nous pouvons éradiquer le Mal avant de laisser la Terre du Milieu aux Hommes.

- Mais à quel prix les a-t-elle décimés? répliqua Legolas en regardant Gimli. Elle a en elle une immense souffrance, une douleur si forte que je me demande comment elle a pu en revenir. Elle a subi...un traumatisme incommensurable. Je pense que les dieux lui ont ôté la mémoire pour qu'elle puisse supporter cette souffrance sans dépérir. Si elle retourne au combat et retrouve les Hommes...ne va-t-elle pas se sacrifier à nouveau pour eux ?

Gimli soupira : la question était en effet délicate. Mais avec le temps, il avait pris du recul lui aussi, et il lui répondit :

- Nous tous, en partant pour le combat, nous prenons le risque d'aller vers la mort. Frodon lui-même le savait et a tout de même continué jusqu'au bout. Le passé d'Alcara lui est occulté pour le moment, mais cela ne durera pas : il faudra un jour qu'elle s'en souvienne, même si le prix à payer pour cela sera difficile. Elle est une chance de survie pour la Terre du Milieu. Vous ne pourrez pas la protéger pour toujours du monde extérieur.

- J'en ai conscience, et pourtant, avoua Legolas, je retrouve maintenant le monde du passé, insouciant et joyeux, quand, avec elle, j'étais devenu jeune à nouveau. Je ne m'en étais pas aperçu alors, car je savais que la guerre arrivait, et qu'il faudrait partir. Quand je m'en suis rendu compte, il était trop tard, elle avait avancé dans le monde des Hommes, loin du mien. Et à présent, c'est comme si...nous avions une seconde chance.

Gimli ressentit la confiance que son ami plaçait en lui, car Legolas faisait très rarement de telles confidences.

- Legolas, je vois bien que vous avez encore des sentiments pour elle. Vous voulez l'aider, la protéger et profiter encore de sa présence à vos côtés. Elle guérira ici, et développera ses pouvoirs. Mais le moment venu, si vous en êtes d'accord, nous préviendrons Aragorn.

Legolas baissa la tête et confirma silencieusement. Il savait bien qu'il n'avait qu'un répit de courte durée, de quelques semaines, peut-être quelques mois avec de la chance. Une fois qu'elle se souviendrait de son passé, mais surtout d'Éomer, plus rien ne serait comme avant.

 

Chapter 46: Des Liens Anciens

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Des Liens Anciens

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Lorsqu'il revint à Edoras après plusieurs jours, poussant les grandes portes de Meduseld, Aragorn retrouva Eowyn, Faramir et les Hobbits dans la grande salle. Éomer, toujours alité, était resté dans sa chambre.

En voyant tous les regards tournés vers lui, interrogatifs, le roi du Gondor détourna les yeux, et s'assit en soupirant devant le feu, soudain très las.

"Avez-vous des nouvelles d'Alcara?" parvint à murmurer Eowyn, la gorge serrée par l'inquiétude.

En regardant toujours le feu dans la cheminée, Aragorn raconta peu à peu :

"Après trois jours de marche, j'ai retrouvé le lieu où, naguère, la tour d'Orthanc se dressait et dominait l'Isengard. Mais je n'y ai trouvé qu'une clairière, magnifique, herbeuse et fleurie, et un grand lac noir, paisible et lisse comme le métal.

"C'est alors que, surgissant de la clairière, Sylvebarbe est venu vers moi : je lui ai posé mille questions, car je sais que rien de ce qui arrive à Fangorn ne lui est inconnu, et que les arbres lui racontent tout ce qui arrive.

"Il m'a dit que les Orques avaient été pris dans une souricière, ne pouvant s'échapper vers la forêt d'un côté, et par les eaux du lac de l'autre, qui ont monté d'un seul coup et les ont noyés. Au même moment, lorsque la tour a explosé, ils ont été emportés dans les flammes, jusque dans les profondeurs. Il a ensuite vu une silhouette sortir des eaux, illuminée par un pendentif, et il a reconnu Alcara. Elle s'est allongée sur la rive, et il n'en revenait pas qu'elle ait survécu à une explosion si importante. Mais cela a été de courte durée. Car l'instant d'après, elle a hurlé de douleur, en agrippant son cœur, et a expiré là, sur la rive."

Un lourd silence suivit ses mots.

"Ainsi donc, elle a subi la même mort qu'Éomer?" parvint à murmurer Merry, avec effroi.

"Que s'est-il passé ensuite?" insista Eowyn. "A-t-elle pu survivre?"

Aragorn la regarda et, avec réticence, continua son récit :

"Malgré mes questions pressantes, Sylvebarbe m'a répondu par énigmes. Il m'a simplement dit qu'elle avait tenu sa promesse, et que l'histoire qu'elle lui avait racontée était vraie. Elle a rendu aux Ents une forêt qui n'est plus entachée des crimes de Saroumane. Le reste, je le tiens de ma seule observation : je n'ai trouvé aucun corps, aucune trace de ruine ou de bataille, ou même d'explosion. Seulement une prairie fleurie, et le vol des aigles de Gwaihir vers l'Ouest."

"Pourquoi vers l'Ouest ?" demanda Faramir, intrigué.

Après un nouveau silence, Aragorn ajouta :

"Vers les Terres de l'Ouest, sans doute."

Et Eowyn tomba en sanglots dans les bras de Faramir, qui lui-même avait le regard perdu. Les yeux des Hobbits s'embuèrent de larmes, et Aragorn retrouva sa mine sombre en fixant le feu dans la cheminée.

Chacun savait ce que les Terres de l'Ouest impliquaient : l'immortalité pour les elfes ou les porteurs de l'Anneau, mais pour les autres, les rivages de la Mort.

Après un moment douloureux, où chacun pleura jusqu'au fond de son coeur la perte d'Alcara, Pippin demanda candidement :

"Qui va l'annoncer à Éomer?"

Mais en se retournant vers le fond de la salle, Aragorn avait déjà la réponse, car il l'avait sentie : en suivant son regard, les Hobbits, Eowyn et Faramir aperçurent, dans l'ombre, la silhouette d'Éomer, dont le regard était perdu dans le vide. Il avait tout entendu.

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Lothiriel passa plusieurs journées hors de la cité elfique, dans la forêt, développant ses relations avec les oiseaux, les arbres et les fleurs. Elle en connaissait toutes les propriétés, et les forces cachées. Elle sut qu'elle ne pouvait pas inventer le vent, la pluie ou les tempêtes, mais les utiliser quand la Nature les pourvoyait pour elle. Elle profita donc des orages de l'automne pour observer les éclairs, les pluies pour comprendre l'eau, la nuit pour lire les étoiles.

Un jour, Legolas lui proposa de chevaucher à nouveau : il lui offrit un cheval blanc, identique à celui qu'elle chevauchait à Fondcombe autrefois. Tous les deux, ils allèrent dans les bois, au galop, entre les arbres, dévalant les collines herbeuses de l'Ithilien. Ce cadre enchanteur ajoutait de la magie à leurs promenades, et elle sentit son coeur battre à nouveau pour lui peu à peu.

Ils s'arrêtèrent devant une belle étendue d'herbe en haut d'une colline, où il prit mille précautions avec elle, l'aidant à descendre de cheval bien qu'elle n'en ait pas besoin, lui demandant si elle avait faim ou soif, lui proposant une place pour s'asseoir à son aise. Elle sourit intérieurement de ces égards, et interpréta facilement sa sollicitude.

Ils observèrent sous le doux soleil la forêt à perte de vue, encore verdoyante, les cascades et les groupes d'oiseaux dans le ciel.

"J'ai quelquefois l'impression d'être au paradis", confia Legolas en observant ce paysage à couper le souffle.

Lothiriel sourit, et le regarda discrètement : au soleil, sa peau s'était un peu dorée, et faisait ressortir ses yeux d'un bleu très clair et ses cheveux blonds, presque blancs. Il semblait être un oiseau créé par la forêt, ou un cerf au regard et à l'ouïe fine. Elle repensa alors à la chevauchée, et à la facilité avec laquelle elle avait retrouvé ses réflexes de cavalière.

"Nous partions souvent ensemble à cheval autrefois, n'est-ce pas?"

Legolas baissa la tête en souriant, et se tourna vers elle.

"En effet, nous participions aux chasses de la princesse Arwen."

Après un silence, le regardant toujours dans les yeux, elle insista :

"Mais ce n'est pas tout?"

Legolas, gêné, ne répondit pas mais continua à la regarder. Lothiriel, débarrassée des timidités de sa jeunesse, ajouta :

"J'avais une attirance pour toi, autrefois. Je le ressens, car aujourd'hui j'apprécie ta présence, et je la recherche."

Elle avança sa main et la posa sur la sienne. Legolas crut à un rêve éveillé. Il allait lui répondre, mais elle détourna la tête en fronçant les sourcils, et en fermant les yeux.

"Que se passe-t-il?" demanda-t-il en se redressant.

Mais elle avait toujours les yeux fermés, et se prit le front dans les mains en soupirant. Il ne sut que faire, et s'il devait lui porter secours d'une façon ou d'une autre. Mais au bout de quelques instants, elle rouvrit les yeux et le regarda en souriant, avec toujours un air soucieux.

- Ce n'est rien, le rassura-t-elle. C'est la chevauchée, je me suis souvenue...des tournois.

- Des tournois? insista Legolas, pour qu'elle lui raconte précisément ses souvenirs.

- Je t'ai vu dans un tournoi, et tu m'offrais une rose à la porte de ma chambre, sourit-elle. Mais ensuite, je me suis vue combattre moi-même dans un tournoi, contre un homme de Dol Amroth, et ce nom, cela m'a rappelé ensuite...l'histoire de ma mère.

Elle se souvenait enfin de sa mère, en plus de l'histoire de son père, que les dieux lui avaient laissée. Mais elle ne se souvenait toujours pas d'Éomer, qui lui aussi avait participé à des tournois. Le souvenir douloureux de sa mère avait dû prendre le pas sur tous les autres.

- Je suis désolé que tu aies à repenser à tout cela, la consola Legolas. Ta mère a été très courageuse, ce n'était pas sa faute. Et elle a donné naissance à une magicienne, c'est tout de même une belle réussite.

Elle le regarda et le remercia silencieusement de son soutien. 

Et une idée germa dans l'esprit de Legolas.

Comme tous les soirs d'automne, le crépuscule était splendide, encore dans les teintes douces et indécises de la mi-saison, sans la flamboyance de l'été. Mais le soleil, pris dans les nuages, prenait peu à peu des couleurs pastels, froides puis de plus en plus chaudes, en plongeant peu à peu dans la mer.

Le prince Imrahil aimait les admirer depuis le balcon fleuri de son palais : autrefois, il les observait avec son épouse, qui n'était malheureusement plus de ce monde. Mais aujourd'hui entouré de nombreux enfants et petits-enfants, il ne se sentait pas seul au quotidien et appréciait ce moment de tranquillité, où il pouvait laisser son esprit dériver vers ses souvenirs.

Une fois le soleil couché, et alors qu'il se levait de son banc de pierre pour demander à son fidèle domestique sa boisson du soir avant de dormir, il se retourna et fit face à une silhouette cachée dans l'ombre d'une colonne, encapuchonnée. Sursautant d'abord, et reprenant ses réflexes de guerrier, il porta spontanément la main à sa poche intérieure, où se trouvait toujours un petit poignard. Mais la silhouette le devança en lui déclarant d'une voix douce :

"Vous n'avez pas à avoir peur, Prince Imrahil."

Et lorsque la silhouette sortit de l'ombre et enleva sa capuche, il le reconnut.

- Legolas! s'exclama Imrahil, en se pressant vers lui pour lui faire une accolade amicale. Que de temps semble avoir passé depuis nos combats dans les champs du Pelennor, et vous n'avez pas changé!

- J'ai beaucoup voyagé, répondit Legolas en souriant et en lui rendant son accolade, et j'aurais bien des aventures à vous raconter. Mais je ne suis pas venu vous voir pour cette raison.

- Asseyez-vous, et racontez-moi, l'invita-t-il.

- Je ne resterai pas longtemps, déclina Legolas. J'aimerais vous présenter quelqu'un. Je pense que vous avez beaucoup plus à vous dire.

- Mais qui donc? demanda le vieux prince, intrigué.

- Vous saurez de qui il s'agit, quand je vous dirai que vous vous rencontrerez seuls, demain avant l'aube, à la Rotonde.

Imrahil ne dit rien, mais son visage s'allongea et ses yeux s'agrandirent, à la fois de crainte et de tristesse. Il avait compris.

- Pourquoi pas maintenant? insista Imrahil, je serai incapable de dormir cette nuit si je dois attendre demain matin.

- Cela ne peut avoir lieu qu'à l'aube, et seuls, répondit Legolas sur un ton sans réplique. Puis-je compter sur votre présence?

Et après un silence d'hésitation, Imrahil répondit dans un murmure : "Je serai là."

Lorsque l'aube apparut le lendemain, à gauche de l'horizon, une brume légère et bleutée recouvrait la colline qui dominait la mer. Tout autour, pas d'habitations ni de présence humaine, pas un bruit. Le prince Imrahil s'était rendu au point de rendez-vous bien avant l'heure prévue, n'ayant pas pu trouver le sommeil, comme il l'avait redouté. Il était à la fois impatient et plein d'appréhension. Recouvert d'une cape avec une capuche, il était sorti de sa chambre sans que nul ne s'en aperçoive. Et à présent, perdu dans ses pensées, il vit à peine la lumière pâle de l'aube qui commençait à poindre.

Il entendit, derrière lui, plusieurs chevaux s'arrêter. En se retournant et en se levant, il sortit de la Rotonde où il se trouvait, un bâtiment modeste, élégant et rond, de marbre blanc, entouré d'une petite colonnade. Il vit des silhouettes, vêtues aussi de capes, descendre de cheval et venir vers lui, tels des spectres dans la brume.

La personne qui devançait le petit groupe s'arrêta devant lui, hésitante, et finit par enlever son capuchon, imitée par les autres personnes qui l'accompagnaient.

Imrahil crut voir un spectre de l'au-delà : devant lui se tenait sa petite sœur adorée, mais vêtue d'une robe blanche et dont les cheveux étaient non plus bruns, mais blancs comme la neige. Elle le regardait avec la même appréhension que lui, mais aussi avec le même sourire triste.

- Lothiriel? parvint-il à articuler, sentant sa gorge se serrer.

- Je suis Lothiriel la Blanche, répondit-elle, les yeux embués également. Je suis la fille de votre sœur.

Et alors qu'il sentait les sanglots monter dans sa poitrine, il ne put s'empêcher de la prendre dans ses bras. Elle s'y lova, laissant à son tour les larmes couler. Au bout de quelques minutes, il lui prit le visage dans ses mains pour la regarder. Ils avaient les mêmes yeux d'un bleu sombre, en forme d'amandes, et la même silhouette fine et grande, ils appartenaient sans aucun doute possible à la même famille. Mais au lieu d'avoir la peau mat et hâlée, elle avait une peau très pâle.

"J'ai vraiment cru revoir ma petite sœur, lui avoua Imrahil. Viens t'asseoir, je veux te montrer quelque chose."

Ils s'avancèrent en se tenant le bras, sous la rotonde, où un banc était construit face à la mer. Et là, face au banc où ils s'assirent, il lui désigna une plaque de marbre, posée dans la rotonde.

C'était la tombe de sa mère, dont il avait pu rapatrier le corps dans son pays, face à la mer, pour l'éternité.

Elle passa sa main sur le relief des lettres gravées avec des doigts tremblants, comme pour lui tendre la main par-delà les ténèbres. Et elle demanda à Imrahil :

"Quelles fleurs poussent ici habituellement?"

Surpris, il eut un temps d'arrêt, et lui répondit :

"Eh bien...les pivoines, sans aucun doute."

Alors elle tendit le bras devant la plaque de marbre, et des buissons de pivoine poussèrent comme au bout de ses mains, tout autour de la rotonde. D'immenses fleurs au parfum enivrant s'ouvrirent, blanches, roses et rouges, unies et tigrées. Le Prince Imrahil n'en crut pas ses yeux : elle révélait par la magie des éléments qui existaient dans son environnement, mais qu'il ne regardait plus, les embellissant par son passage. 

Il se tourna vers elle, émerveillé, et lui dit :

"Alors c'est bien vrai : tu es magicienne, toi aussi."

Mais elle le regarda sans sourire, et précisa :

"J'ai hérité de la magie de mon père, mais mon usage en sera bien différent."

Et il hocha la tête, montrant qu'il avait compris. Car il avait reçu la lettre de Faramir, peu de temps auparavant, qui le prévenait qu'elle avait pris conscience de l'identité de ses parents, et qu'elle était partie d'Edoras. Mais il ignorait encore les conséquences de la guerre en Isengard.

Ils scellèrent ainsi leurs retrouvailles, et côte à côte sur le banc de pierre, commencèrent à converser.

Et c'est là, dans les larmes et les rires, face au soleil qui se levait, que Legolas et les membres de sa cité les virent de loin se recueillir, partager des souvenirs ensemble, et se découvrir après tant d'années de haine et de pardon.

Une fois le soleil levé et la brume dissipée, Imrahil sentit qu'il était temps de prendre congé. Avec regret, ils se levèrent et il lui dit :

"Je dois malheureusement te quitter, ma famille va s'apercevoir de mon absence. Je ne leur révélerai pas que nous nous sommes revus, tu as ma parole. Mais j'ai une question : as-tu bien reçu la reconnaissance de lignée que j'ai donnée à Gandalf ? Car tu es comme ma fille, à présent."

Elle sourit, mais elle ne put lui dire qu'elle ignorait où se trouvait le document, et qu'elle l'avait égaré. Cela avait peu d'importance à présent : en tant que magicienne, elle n'avait pas l'intention d'hériter de son oncle.

- Oui. Ne t'inquiète pas de cela. Je reviendrai te rendre visite, et j'aimerais connaitre tes enfants et tes petits-enfants, le moment venu.

- Tu as surtout laissé un souvenir cuisant à l'un d'eux, s'amusa Imrahil.

Mais devant son air interloqué, il lui expliqua :

"Te souviens-tu? Nous nous étions présentés lors du banquet pour le mariage du roi Aragorn et de la reine Arwen. Je m'étais excusé pour le comportement outrancier du jeune homme de Dol Amroth à qui tu avais donné une bonne leçon."

Elle vit alors, dans un flash, le prince Imrahil, les étincelles de la fête, sa robe blanche et bleu foncé, sa dernière danse avec Legolas car ils allaient se quitter définitivement. Les provocations du "vaurien de Dol Amroth".

"Le jeune homme que tu as défait, c'est mon fils !" s'exclama Imrahil en riant.

Et elle rougit d'embarras : elle avait humilié son demi-frère?

"Ne t'en fais pas pour cela, la rassura tout de suite son oncle. Il avait vingt ans à l'époque, et peu de cervelle. Cela lui a permis de comprendre comment se comporter en gentilhomme. Il a eu tant de honte qu'il s'est excusé pendant des mois, et il a bien mûri aujourd'hui !"

Ils sourirent ensemble, et se prirent dans les bras pour se dire au revoir.

- Je suis si heureux de t'avoir rencontrée, dit Imrahil avec affection. Tu es la bienvenue quand bon te semblera.

- J'ai une dernière question à te poser, déclara-t-elle.

- Je t'écoute?

- Est-ce que...comment dire...est-ce que ma mère aimait particulièrement l'aube et le matin, plus que le soir ?

Depuis leurs retrouvailles, il avait remarqué qu'elle posait des questions qui semblaient à la fois surprenantes mais auxquelles elle attachait une valeur fondamentale. Il n'eut pas l'air surpris de sa question, et il réfléchit un moment, avant de répondre :

"Elle avait un fort caractère, et je crois que tu en as hérité, car tu as combattu avec courage lors du tournoi, et tu as soigné bien des soldats à la Maison de Guérison. Elle a toujours voulu chevaucher comme un homme et apprendre à se battre, mais nos parents considéraient que ce n'était pas digne d'une princesse. Alors, en secret, elle partait à l'aube chevaucher sur cette colline. Un jour, je l'ai surprise en train de partir pour une de ses escapades, mais je ne l'ai jamais dit à nos parents. C'était un grand moment de liberté pour elle."

Lothiriel la Blanche lui sourit et le reprit dans ses bras, en lui disant :

"Je te remercie. Du fond du cœur. A bientôt."

En rentrant vers la cité de Legolas en Ithilien, elle ne dit pas un mot, perdue dans ses pensées. Il tenta, comme autrefois, de l'observer pour essayer de deviner ses sentiments, mais elle n'était plus aussi transparente qu'autrefois, et plus réservée. Il respecta donc son silence et pensa qu'elle retrouvait des souvenirs anciens, de sa mère ou d'elle-même. Il espérait surtout que cette incursion dans le monde des Hommes ne lui donnerait pas envie de le quitter trop tôt et de les rejoindre, elle leur ressemblait si peu à présent...

Ils arrivèrent à la nuit tombée. Legolas donna encore quelques instructions aux elfes de son royaume, les remercia et se retira pour l'accompagner jusque devant sa chambre. 

Devant la porte, elle se retourna vers lui, et lui dit :

" Legolas, pourrais-tu entrer un instant? J'aimerais te parler de quelque chose."

Curieux, il accepta, et entra. Elle referma la porte derrière eux, encore perdue dans ses pensées. Pris par la timidité, Legolas sentit son pouls s'accélérer. Il lui déclara :

"C'était une journée particulière pour toi. J'espère qu'elle n'était pas trop éprouvante."

Mais elle se retourna vers lui en souriant, et lui dit, en levant ses yeux d'un bleu sombre et doux vers lui :

"C'était difficile, mais nécessaire. Je te remercie d'avoir eu cette idée. Cela m'a beaucoup aidée. Je me sens...réconciliée."

Il lui sourit à son tour, et laissa son regard se perdre dans le sien. Leurs visages étaient très proches à présent, et comme s'ils étaient tous deux pris par un enchantement, ils laissèrent peu à peu leurs lèvres se rejoindre, doucement, naturellement, comme une évidence.

Legolas se rapprocha d'elle en continuant de l'embrasser, et caressa ses longs cheveux, tout aussi doux que par le passé. Il semblait retrouver ses marques, en sentant qu'elle entourait sa taille de ses bras et caressait doucement son dos avec la même délicatesse qu'autrefois. Lothiriel, quant à elle, retrouva dans son parfum d'herbe coupée et la douceur de ses lèvres, quelque chose de familier, mais qui n'était pas complètement ce à quoi elle avait pensé. Pourquoi était-ce différent de ses souvenirs ?

Perturbée, elle mit fin à leur baiser, et se détourna de lui. Legolas, ne comprenant pas, lui demanda : "Qu'y a-t-il?", mais elle ne pouvait lui dire la vérité, qu'elle avait ressenti quelque chose d'autre, et ne s'y attendait pas.

"Legolas, lui dit-elle en se retournant vers lui, inquiète. Nous avons été amants, n'est-ce pas? Dans le passé?"

Il soupira et baissa la tête. Elle se rapprocha de lui et répéta :

"Legolas, tu dois me dire la vérité : que s'est-il passé?"

Il regarda ailleurs, mais finit par lui répondre :

- Oui, nous l'avons été. Et nous ne l'étions plus.

- Pourquoi? insista-t-elle sans comprendre.

- Parce que...je suis parti à la guerre, et lorsque nous nous sommes retrouvés à Minas Tirith, après la destruction de Sauron, les choses avaient changé.

- Mais Aragorn et Arwen ont pu se retrouver après la guerre, sans encombre, ils se sont épousés! s'exclama-t-elle. Pourquoi n'avons-nous pas suivi le même chemin?

- Je l'ignore, avoua Legolas, mais quelquefois, je le regrette.

Elle le regarda sans répondre, et il s'avança vers elle et lui prit les mains, en continuant :

- Je pense que...j'étais un guerrier, autrefois, et je ne laissais pas de place pour autre chose. A présent, j'ai l'impression de ne plus vouloir laisser aucune place pour la guerre, et en laisser pour le reste.

Elle ferma les yeux en fronçant les sourcils, et il comprit qu'elle avait un nouveau souvenir qui refaisait surface. Il attendit patiemment, et quand elle rouvrit les yeux, ils étaient embués, et comme pleins de reproches. Il crut revoir son visage, autrefois à Minas Tirith, quand elle avait éclaté en sanglots en voyant Aragorn et Arwen se retrouver aux yeux de tous.

- Je t'en ai voulu autrefois, dit-elle dans un souffle. Je m'en voulais à moi aussi, de ne pas avoir su comment te retenir.

- Ce n'était pas ta faute, répondit Legolas dans un murmure. Je suis désolé.

- Mais nous sommes restés amis tout de même, n'est-ce pas ? demanda-t-elle en souriant.

- Oui, nous nous sommes revus à plusieurs reprises, et je t'ai offert ceci.

Et il lui désigna le diamant qui flottait au bout de son bâton magique, posé contre le mur. Elle se tourna à nouveau vers lui et serra ses mains, comme pour lui dire qu'elle lui pardonnait le passé.

- Je ne sais comment te remercier, Legolas, ajouta-t-elle. Tu m'accueilles ici, tu me racontes avec patience mes souvenirs, et tu me laisses le temps d'en comprendre toutes les facettes. Pourquoi fais-tu tout cela pour moi?

Legolas se sentit un peu gêné, d'abord parce qu'il avait conscience de l'avoir placée dans une bulle protectrice, et qu'il sélectionnait les souvenirs dont il lui parlait ; ensuite, parce qu'il retrouvait les mêmes réticences qu'autrefois à lui témoigner toute l'affection qu'il ressentait pour elle, n'en ayant pas l'habitude.

- Je sais seulement que les elfes comprennent mieux la magie que les Hommes, et qu'ici tu peux t'épanouir en toute sécurité.

- Est-ce seulement pour cette raison? insista-t-elle en souriant.

Et il ne put lui cacher ses sentiments plus longtemps : au lieu de lui dire ce qu'il ressentait, il le lui montra.

Il lui prit les mains et les posa autour de son cou pour l'approcher de lui, et l'embrassa à nouveau, en la serrant de plus en plus fort dans ses bras, lui caressant la taille, le dos et les cheveux. Elle sentit des sensations à la fois nouvelles et familières, le battement de son cœur qui s'accélérait et une douce chaleur qui se répandait dans son corps et dans son ventre, en parcourant à son tour ses cheveux clairs, et son visage parfait, sans aspérité.

Leurs baisers s'intensifièrent peu à peu, et leurs souffles s'accélérèrent. Leur désir montait et leurs gestes, d'abord doux, devinrent plus impatients. Ils ôtèrent leurs vêtements de façon précipitée, et Legolas la coucha sur le lit, lui embrassant le cou, la poitrine, les jambes, parcourant son corps nu et retrouvant avec joie celle qu'il avait quittée. Elle rouvrit les yeux, regarda le plafond et eut un moment d'hésitation. Elle éloigna son visage de son corps, et lui demanda :

"Legolas, est-ce que...nous devons...?"

Mais Legolas comprit ce qu'elle voulait dire. Il la regarda et la redressa, assise au bord du lit, et s'agenouilla devant elle. Elle tenait toujours son visage dans ses mains.

"Je dois te dire quelque chose de nouveau, que je ne t'avais pas dit autrefois", lui déclara-t-il.

Elle attendit en le regardant, et il baissa les yeux en lui avouant :

- Je ne peux pas avoir d'héritier. Le destin veut que les derniers elfes rejoignent les Terres de l'Ouest, et je suis désigné comme la dernière génération. Il n'y en aura pas d'autre après moi.

- Mais...commença-t-elle, mais il la coupa en ajoutant :

- Arwen peut avoir des enfants car elle ne leur transmet ni de nom, ni de royaume. C'est la loi des elfes. Moi, je ne pourrai pas transmettre mon nom et mes terres. Alors, la nature a fait en sorte qu'aucun fils ni aucune fille ne puisse naître après moi.

- Alors, un jour, tu rejoindras les Terres de l'Ouest ? lui dit-elle, sentant le poids d'une telle nouvelle sur leurs vies à venir.

Il hocha simplement la tête. Et elle comprit mieux alors leur précédente séparation, et le fossé abyssal des années et des siècles qui les séparaient. Par l'intermédiaire des dieux, elle savait que malgré ses dons de magicienne, elle ne vivrait pas aussi longtemps que Gandalf ou Saroumane, ou qu'un elfe. Son existence était purement humaine, avec la limite de temps que cela impliquait.

"Alors je profiterai de ta présence tant que j'en aurai la chance", lui déclara-t-elle.

Legolas se sentit prendre par l'émotion, comme cela lui arrivait rarement, et il ressentit à quel point sa phrase lui réchauffa le cœur. Il lui sourit et ses yeux s'embuèrent. Il l'embrassa à nouveau avec plus de passion, et la coucha sur le lit.

Dans le soir, sur un arbre éloigné, Gimli avait vu Legolas entrer chez Lothiriel, et leur bougie s'éteindre peu à peu. Il était préoccupé, car il savait que les sentiments de Legolas retarderaient leur message pour Aragorn et augmentaient la menace qu'une armée ennemie se prépare à les attaquer.

Il pensa alors à un autre moyen d'en informer leur ami, roi du Gondor.

Dans le palais de Minas Tirith, Arwen était endormie auprès de son époux, qui était rentré du Rohan. Aragorn lui avait tout raconté de vive voix, ne voulant pas donner de telles nouvelles dans une lettre. Elle fut effondrée d'apprendre la mort de son amie, qu'elle avait pressentie à travers le retentissement de la tour d'Orthanc, qui avait fait trembler toute la Terre du Milieu. Elle n'acceptait pas sa mort, et Aragorn tenta de lui faire comprendre la réalité, aussi dure soit-elle. Aussi, au cœur de la nuit, elle se tourna dans le lit sans parvenir à s'endormir, tout en étant épuisée par ses larmes et son chagrin.

N'en pouvant plus, elle se leva et alla à la fenêtre. Dehors, une pluie continue tombait, à l'image de son deuil. Autrefois, elle s'en serait remise à son père pour être certaine des signes : mais à présent, plus rien ne restait de Fondcombe, et son amie qui avait grandi chez elle, dont les promesses magiques étaient si grandes, n'était plus.

Perdue dans ses pensées, elle alla dans la chambre d'à côté et regarda son fils endormi paisiblement. Cela la rassura, et lui fit penser au fils d'Eowyn. D'autres générations ne vivraient pas la guerre, espéra-t-elle. Ne vivraient pas tant de douleurs.

Mais alors qu'elle se laissait bercer par ses pensées, elle entendit un bruit diffus, minuscule, à peine audible. En se retournant, elle vit que le bruit venait de sa coiffeuse, où elle rangeait ses bijoux.

En s'approchant, elle regarda les différents coffrets, et aperçut une lueur percer dans l'ouverture de l'un d'entre eux. Elle l'ouvrit, et resta étonnée devant ce spectacle.

Un de ses diadèmes scintillait dans une lueur argentée. C'était un diadème en or blanc, serti de rubis qui formaient des roses.

Elle réfléchit : pourquoi ce bijou se mettait-il à scintiller? Et qui en était la cause?

Elle repensa d'abord à l'origine de ce diadème : offert il y a deux mille cinq cents ans, par les Nains de la Moria, pour remercier Elrond d'avoir protégé leur porte d'une attaque de Gobelins.

Elle repensa ensuite aux occasions pendant lesquelles elle l'avait porté : les plus récentes étaient encore à Fondcombe, lors du tournoi du solstice d'été, quand Aragorn lui avait offert une rose...Alcara était encore là elle aussi, et elle et Legolas avaient dansé ensemble...

Non, ce n'était pas la dernière fois. La dernière fois avait eu lieu ici, à Minas Tirith.

Après le tournoi où Alcara l'avait emporté contre un prince de Dol Amroth. Elle lui avait prêté le diadème pour symboliser toutes les roses du tournoi qui lui étaient offertes pour la féliciter. La veille de son mariage.

Alors elle comprit. Elle courut vers Aragorn, et lui pressa le bras pour le réveiller.

"Mon Amour, Meleth Nin, réveille-toi : Gimli m'envoie un message. Alcara est vivante !" 

 

Chapter 47: De Vieilles Connaissances

Chapter Text

De Vieilles Connaissances

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Éomer observait le feu dans la cheminée de sa chambre. Dehors, la pluie tombait si fort qu’il ne pouvait partir chevaucher dans les landes, comme il le faisait de plus en plus souvent, pour ne plus avoir à penser ou à réfléchir. Il exécutait les affaires courantes du royaume par habitude, mais plus aucune activité ne pouvait lui rendre l’enthousiasme d’autrefois.

Eowyn et Faramir étaient finalement repartis en Ithilien avec leur enfant. Éomer avait pris la meilleure figure pour rassurer sa sœur et la laisser s’en aller, mais depuis qu’il était à nouveau seul, son chagrin reprenait le dessus. Il avait été si en colère avant la bataille de Fangorn, il avait laissé son courroux prendre toute la place, pour que ses autres émotions n’affleurent pas et ne le découragent pas de combattre celle qu’il avait aimée. Il s’était convaincu qu’elle l’avait trahi, qu’elle ne lui avait apporté que des tourments, il n’écoutait plus les paroles de raison d’Eowyn, de Faramir ou d’Aragorn. S’il l’avait fait, il n’aurait jamais pu avancer.

Mais était-ce alors la bonne solution? Il n’avait pas pu revoir Alcara avant sa mort, et à présent, il était trop tard, et il était tombé dans un chagrin taciturne et solitaire. Il était seulement convaincu d’une chose : ils étaient morts ensemble, ils avaient même pu se parler une dernière fois, et elle lui avait pardonné. Mais il aurait préféré partir avec elle, et que personne ne lui administre l’élixir qui l’avait ramené à la vie.

Il pensait encore à elle par intermittences, nuit et jour, mais comme un souvenir de plus en plus lointain, tant et si bien qu’il se demandait si elle avait vraiment existé. Il ne pouvait même pas se recueillir sur sa tombe. Aussi souvent qu’il le pouvait, il allait voir les Simbelmynë sur les tertres. Il était finalement entouré par les morts.

Un jour, il avait entendu la nourrice de son neveu lui chanter une berceuse, qu'Alcara chantait autrefois : celle d’une jeune fille d’Avril qui disparaissait à l’automne. Aujourd’hui, alors que l’été devait s’épanouir, il pleuvait chaque jour et elle était partie. Il avait alors demandé à son ménestrel de l’apprendre et de la lui chanter tous les soirs. Seule cette musique l’aidait à s’endormir.

Merry et Pippin étaient restés plus longtemps auprès de lui, et même s’il ne leur montrait pas, il leur était reconnaissant de leur présence.

Alors qu’il observait toujours le feu dans la cheminée, on frappa à sa porte. Mécaniquement, il répondit d’entrer. Mais la personne qui pénétra dans la salle et referma la porte ne se présenta pas et ne dit rien. Éomer se retourna, intrigué, et ce qu’il vit le surprit.

C’était Sam, Sam Gamegie, qui venait lui rendre visite.

Étonné, Éomer se leva, comme face à un hôte de prestige qu’il fallait respecter. Sam, quant à lui, semblait plus intimidé que lui, et hésitait, à côté de la porte. Il portait un habit de la Comté, et semblait avoir retiré depuis peu de temps sa cape de voyage, car ses cheveux et ses pieds étaient encore un peu mouillés par la pluie.

Éomer l’invita à entrer et à s’asseoir près du feu, et Sam s’exécuta, en montant dans le fauteuil trop grand pour lui.

- Je devrais faire construire des sièges à la bonne taille, remarqua Éomer en s’asseyant, car j’ai souvent l’honneur que mes amis Hobbits viennent me rendre visite.

- Merci de me recevoir, répondit poliment Sam, en souriant, posant ses mains l’une sur l’autre comme un enfant sage.

- C’est moi qui vous remercie, répondit Éomer, sincèrement touché de sa présence. Qu’est-ce qui vous amène si loin de la Comté et de votre famille?

- Mon épouse Rosie et mes enfants vous saluent, répondit Sam en éludant la question, et il pensa en souriant à ses deux enfants - deux pour le moment, mais il espérait en avoir encore bien plus. Je leur raconte souvent les aventures des rois et des créatures de la Terre du Milieu, et vous figurez en bonne place !

- C’est trop d’honneur, affirma Éomer modestement. J’ai aussi fait beaucoup d’erreurs.

Et son visage s’assombrit, ce que ne manqua pas de remarquer Sam.

- Aujourd’hui, reprit Sam, nous pouvons traverser la forêt de Fangorn sans encombre. Nous n’avons plus aucune menace, et il est beaucoup plus rapide de passer par là pour venir à Edoras. Je suis donc venu aussi vite que j’ai pu, quand j’ai appris…

Éomer le regarda, et hocha la tête. Il n’était pas nécessaire d’en dire plus, il n’aurait pu d’ailleurs le supporter.

- J’ai aussi appris par une lettre d’Aragorn, de Merry et de Pippin, qu’une menace nouvelle se répand à l’Est, et que d’autres armées d’Orques cherchent à se venger.

- En effet, soupira Éomer. La guerre n’en finit donc jamais.

- Et j’apporterai mon aide, à vos côtés, si vous m’y autorisez.

Éomer se tourna vers lui, surpris, et lui rétorqua :

- Je suis touché par votre soutien, Sam Gamegie, mais je pense que ce n’est pas nécessaire, pour deux raisons : nous serons suffisamment nombreux, et vous avez une femme et des enfants. N’en faites pas une veuve et des orphelins.

- Et bien, je renouvelle ma demande, pour deux raisons, renchérit Sam sur un ton de défi : parce que vous n’avez aucune idée du nombre d’ennemis, et donc du nombre de guerriers dont vous aurez besoin, et parce que je suis le seul encore vivant sur la Terre du Milieu, à connaître le Mordor de près.

Sa parole était sans réplique, et Éomer ne sut que lui répondre. Sam en profita pour continuer :

- Quand j’ai suivi Frodon autrefois, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait, et cela valait mieux d’une certaine façon, car sinon, j’aurais fait demi-tour immédiatement. Ce que j’ai vu là-bas restera gravé dans ma mémoire jusqu’à la fin de mes jours. Je ne veux pas combattre pour le plaisir, mais parce que j’ai appris une chose lors de ce voyage : il y a du bon dans ce monde, et cela vaut la peine de se battre pour cela.

Éomer regarda le feu, et répondit :

- Bien des raisons nous poussent à combattre, Sam Gamegie, et défendre notre liberté est la plus noble. Mais pour ma part, j’irai combattre parce que je n’ai rien à perdre.

- Vraiment ?

Éomer leva les yeux vers lui, et Sam ôta de son cou un pendentif rond. Il l’ouvrit, et le tendit à Éomer. Ce dernier y vit un portrait de l’épouse de Sam, Rosie, et de ses enfants.

- Vous avez un neveu, n’est-ce pas, roi Éomer? Ne pensez-vous pas qu’il mérite de vivre, plus encore que nous-mêmes, pour grandir dans un pays libéré du Mal?

Et Éomer repensa à la berceuse de la Fille d’Avril, et à l’enfant sauvé autrefois par Alcara, avec sa mère.

- Nous avons perdu bien des choses autrefois : vous avez perdu celle que vous aimiez, et j’ai perdu Frodon, mon plus proche ami. Mais nous avons aussi gagné bien des choses, et cet espoir nous guidera vers la victoire. Nous devons vaincre, pour eux.

Éomer sentit sa gorge se nouer. Il comprit mieux comment un être aussi petit, aussi fragile qu’un Hobbit, avait eu la force d’aller jusqu’à détruire l’Anneau que même les plus puissants n’avaient pas réussi à faire disparaître. Ils avaient des ressources incroyables dans leurs cœurs.

- Décidément, vous autres Hobbits êtes bien surprenants, dit-il simplement à Sam. Vous combattrez dans mon armée, avec Merry et Pippin, si vous le voulez bien.

Et Sam lui répondit par un simple sourire.

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Couchée sur le côté, Lothiriel se réveilla avec le soleil, dont les rayons pénétraient doucement par la fenêtre. Elle repensa immédiatement aux événements de la veille, quand Legolas et elle s’étaient unis. Il était ensuite reparti, comme pour préserver une discrétion parfaite, et elle se souvint qu’il était ainsi, autrefois.

Elle se souvint aussi qu’elle avait été préoccupée : il était attentionné et doux, mais pudique, cherchant à faire le moins de bruit possible. Pourtant elle attendait quelque chose de plus passionné, qu’ils mêlent leurs souffles, qu’il veuille la regarder dans les yeux de bout en bout, ou qu’il ne l’empêche pas d’exprimer son plaisir en lui fermant la bouche par des baisers.

Ces pensées intempestives refroidirent son affection pour lui involontairement, alors qu’elle aurait aimé le revoir, profiter de nouveaux instants avec lui. Mais quelque chose le lui interdisait dans son coeur. Elle était certaine qu’elle n’avait pas toujours partagé une passion discrète. Ou alors, se dit-elle avec inquiétude, ce n’était pas avec lui ? Mais avec qui, dans ce cas ?

Plus tard dans la journée, Lothiriel remarqua que Legolas n’aborda jamais le sujet de leur nouvelle idylle ouvertement, comme si le fait d’être redevenus amants était normal, ou parce qu’il ne comptait pas aborder ce sujet devant quiconque. Elle se rappela alors que tel était le cas autrefois aussi. Elle crut revivre dans le même ordre, les mêmes étapes. Mais avec le recul, elle se dit que cela n’avait pas d’importance : il avait eu la générosité et la bienveillance de l’accueillir chez lui, et dans cet univers apaisé, elle pouvait retrouver ses souvenirs peu à peu, et cela suffirait.

Ils revirent Gimli ce jour-là, qui demanda à Lothiriel de lui raconter sa rencontre avec Imrahil. Elle le fit avec plaisir, et à son tour, Gimli lui raconta à nouveau les aventures vécues avec Legolas dans les cavernes étincelantes ou dans la forêt de Fangorn.

Mais ce dernier nom intrigua Lothiriel, qui lui demanda des détails sur cette forêt, et Gimli lui répondit immédiatement :

- Oui, nous y sommes allés après les cavernes, quand nous sommes allés à Edoras, où vous séjourniez.

Elle ne répondit rien mais le regarda en fronçant les sourcils, et Legolas sursauta au nom de la capitale du Rohan. Gimli, comprenant qu’il avait abordé un peu abruptement le royaume d’Éomer, et savait bien que Legolas retarderait le moment d’en parler le plus possible, les regarda, embarrassé.

- Edoras? demanda Lothiriel en les regardant. Pourquoi étais-je là-bas?

Un silence gêné suivit sa question. Legolas baissa la tête en fronçant les sourcils, reprochant à Gimli sa maladresse. Gimli n’osait plus rien dire et regardait à droite et à gauche comme pour trouver une échappatoire. Mais Legolas enchaîna en disant :

- Tu avais suivi la princesse Eowyn du Rohan, car tu l’avais soignée dans la Maison de Guérison. C’est elle qui a vaincu le roi-sorcier d’Angmar.

- Vraiment? s’intéressa-t-elle, mais comment a-t-elle fait?

Et Legolas développa très longuement tous les détails de la bataille du Pelennor, occultant ainsi sa question. Gimli soupira : combien de temps durerait cette situation ridicule?

Legolas ne chercha pas à la revoir dans sa chambre, et elle n’insista pas pour l’y accueillir, sentant le besoin de savoir où elle en était. Au cours des nuits suivantes, elle se réveilla souvent et péniblement : ses souvenirs la suivaient à présent jusque dans ses rêves. Le sommeil l’aidait peu à peu à retrouver la mémoire, mais des flashs soudains et décousus se multipliaient dans son inconscient.

Certains avaient du sens, à présent : des blessés dans une grande salle à colonnes, des batailles dans des plaines immenses, les personnalités des cours royales rencontrées dans des bals. Mais d’autres lui étaient encore mystérieux : elle s’était vue tourner en rond dans une chambre modeste mais confortable, avec un feu dans la cheminée, et elle était inquiète, elle attendait un événement important où elle devait danser, et elle ne comprenait pas pourquoi une activité qu’elle semblait avoir aimée autrefois, l’inquiétait autant. Elle voyait aussi de la neige sur des montagnes, des plaines de bruyère, et de nombreux chevaux, dont un noir, qui revenait souvent dans son esprit.

Mais surtout, elle vit à plusieurs reprises un grand et magnifique arbre millénaire, sur lequel il semblait neiger. Il était seul au milieu d’une clairière, et ce lieu l’attirait et lui faisait peur en même temps. Mais il n’était pas en Ithilien, et elle ne l’avait pas revu récemment.

Elle avait bien conscience que Legolas ne lui avait pas tout dévoilé de son passé. Elle ne parvenait pas à lui en vouloir, car comme les dieux, il devait avoir une raison de le faire. Il voulait tant la protéger, ne pas hâter ses émotions et ses souvenirs…mais elle était magicienne, et se sentait capable de les affronter. Après tout, l’identité de ses parents avait dû être difficile à lui avouer pour Gandalf, et finalement, elle avait pu surmonter sa douleur avec le temps. La sollicitude de Legolas, qui la touchait et avait réveillé son amour pour lui, créait en même temps un début de réticence à son égard. Elle bataillait intérieurement entre sa reconnaissance profonde envers lui et une volonté, encore embryonnaire, de prendre son envol.

Les jours suivants, elle s’isola plus fréquemment, partant seule dans la forêt, où elle médita longuement sur ses pouvoirs et sur l’étendue de leur usage. Elle sentait que l’affection de Legolas la soutenait, mais la détournait aussi de sa mission première de magicienne. Et surtout, elle voulait expérimenter des sorts dont elle n’avait pas envie de lui parler, car elle savait que l’elfe ne les verrait pas d’un bon œil.

C’est ainsi que, seule dans une clairière, elle vérifia autour d’elle qu’il n’y avait aucune présence humaine, et elle décida de tenter quelque chose. Elle empila plusieurs pierres l’une sur l’autre, et elle recula de plus en plus loin, tentant tous les cent pas, de faire exploser une pierre avec la force de son bâton magique. Cela fonctionna parfaitement, mais la faisait à chaque fois sursauter, comme si un souvenir d’une autre explosion se superposait dans son esprit. Elle tenta ensuite d’empiler des bûches de bois, et avec un arc qu’elle s’était procuré auprès d’un elfe compréhensif, elle tenta, de plus en plus loin, de les viser avec ses flèches. Les tirs n’étaient pas tous réussis, mais elle fut particulièrement fière d’avoir parfaitement visé la bûche la plus haute, à plus de cinq cent pas.

Satisfaite, elle ne laissa aucune trace de son entraînement, cacha l’arc et les flèches et revint à la tombée du jour dans la cité elfique.

Au crépuscule, alors qu’elle arrivait vers les premières habitations dans les arbres, elle entendit une conversation animée non loin d’elle. S’approchant discrètement en suivant les sons, elle se cacha derrière des bosquets et tendit l’oreille. Elle reconnut les voix de Legolas et de Gimli, mais ils parlaient à deux personnes qu’elle ne reconnaissait pas. Elle ferma les yeux et se concentra, pour entendre très distinctement leur dialogue :

- Je suis heureux de vous revoir, disait Legolas, mais je suis désolé, nous ne pouvons pas vous aider.

- Legolas, mon ami, dit la voix grave d’un homme qui semblait proche de lui, nous avons combattu ensemble et je sais pouvoir compter sur votre confiance. Il faut nous dire la vérité.

- Comment pensez-vous que nous saurions une chose pareille? demanda Legolas froidement.

Un silence rompit leur échange, et Lothiriel tenta de regarder à travers les branches les différents protagonistes : elle aperçut un homme magnifiquement vêtu, aux yeux bleus, aux cheveux noirs et à la barbe brune, qui portait une couronne et des armoiries composées d’un grand arbre blanc sur un fond bleu nuit. La dame à côté de lui était elle aussi magnifique, elle était brune avec de grands yeux bleus, et avait une longue robe bleu nuit avec des liserés d’argent et une coiffure sophistiquée. Ils se regardèrent en hésitant à la suite de la question de Legolas, et la dame regarda en face d’elle, vers le bas, vraisemblablement vers Gimli. Elle entendit alors ce dernier s’exclamer :

- Je suis désolé, Legolas ! J’ai simplement utilisé un vieux sortilège de Nain : nous pouvons communiquer via les bijoux que nous avons forgés. Mais il fallait que je les prévienne!

- Alors elle est bien en vie! s’écria l’homme à la couronne en regardant Legolas. Nous avons vu les aigles de Gwaihir partir vers l’Ouest! Pourquoi ne nous as-tu pas prévenus ? Sais-tu que nous sommes partis à sa recherche ?

- Les aigles ont dû utiliser une ruse pour ne pas éveiller les soupçons, et contourner le Rohan pour venir par la mer, expliqua Legolas, en éludant la question de son interlocuteur.

- Legolas, ils ont le droit de savoir qu’elle est toujours en vie, insista la belle dame en elfique. Nous aussi, nous sommes ses amis, et nous avons le droit de savoir.

- La guerre approche, ajouta l’homme brun avec véhémence. Dans l’Est, les troupes s’organisent. Nous avons besoin de vous, et si sa magie pouvait nous aider, elle nous sauverait tous !

- Vraiment ? répondit Legolas avec colère. Tout le monde la recherche ? Tout le monde a le droit de savoir ? C’est une belle machine de guerre qu’une magicienne, n’est-ce pas ? Elle s’est sacrifiée pour les Hommes, elle les a sauvés, en effet. Et qu’a-t-elle eu en retour ? Qui était avec elle, quand elle a découvert l’identité de son père, et qu’elle n’avait besoin que de soutien, et n’a rencontré que de la peur et de la superstition ? Qui était avec elle, quand elle a été chassée, abandonnée par tous, comme une sorcière qui porte malheur ? Qui était avec elle, quand elle a expiré, seule dans la nuit, sans personne pour la secourir ?

- Tu es injuste, Legolas, répondit la belle dame avec émotion. Si nous avions pu la retrouver, à l’instant nous serions partis la chercher.

- Et personne ne l’a fait pourtant ! s’exclama Legolas avec un geste accusateur, le doigt pointé vers le sol. Je suis le seul à l’avoir retrouvée, à l’avoir accueillie et guérie ici, loin du monde égoïste et intéressé des Hommes. Ils ne la voient que comme une arme à utiliser contre l’ennemi, comme ils voulaient autrefois utiliser l’Anneau pour s’approprier la victoire. Ils ne tirent aucune leçon ! Ici, je la protège de toute la douleur qu’ils lui ont fait subir autrefois, comme sa mère l’avait subie avant elle.

Un lourd silence accompagna ses derniers mots. Lothiriel, bouleversée, regardait le sol. Elle ne savait que penser, et se sentit perdue : le monde des Hommes, qu’elle n’avait revu qu’à travers son oncle plein d’affection pour elle, était donc si cruel ? Elle aussi avait subi des souffrances incommensurables à cause d’eux ?

- Legolas, lui dit l’homme brun avec fermeté. Nous avons un ennemi qui approche à grands pas, et qui ne fera pas beaucoup de cas de nos états d’âme. En face, ils utilisent la magie noire pour se multiplier, s'entraîner, créer de nouvelles armes. Nous ne sommes pas à égalité face à eux. Sans elle, c’est tout l’équilibre de la Terre du Milieu qui est en péril.

- Tu dois nous laisser lui parler, abonda la belle dame en elfique. Elle se souviendra de nous, et elle décidera si elle peut nous faire confiance et si elle désire nous rejoindre. Je t’en prie, laisse-nous la voir.

- Entendu, accorda finalement Legolas après hésitation. Mais à une condition : ne lui parlez pas de lui. Il lui a fait assez de mal.

Lothiriel fronça les sourcils : de qui parlait-il ? Un autre homme avait donc été là dans son passé ? Il lui avait fait du mal ? Pourquoi Legolas ne lui en parlait-il jamais ?

Impatiente d’en savoir plus, elle contourna les bosquets et fit mine d’arriver de plus loin, et de les découvrir sur sa route. En l’apercevant, l’homme et la dame accoururent vers elle et observèrent ses cheveux blancs et sa tenue immaculée. Elle fronça les sourcils, mais elle laissa la dame la prendre dans ses bras avec affection. Elle dégageait une grande douceur, et une certaine forme de magie. En l’observant plus attentivement, elle comprit qu’elle était une elfe. L’homme la prit ensuite à son tour dans ses bras avec un soupir de soulagement, en lui disant :

“Alcara, tu es vivante, les dieux soient loués!”

Comme Gimli, il lui avait donné un nom étrange, qui voulait dire “Aube” en elfique. Mais elle le rectifia immédiatement :

“Mon nom n’est pas Alcara. Je suis Lothiriel la Blanche. Et qui êtes-vous?”

Ils se regardèrent, peinés de voir les informations de Legolas se confirmer sur sa perte totale de mémoire.

- Je suis Aragorn, fils d’Arathorn, et roi du Gondor, se présenta l’homme brun avec une voix douce. J’ai grandi moi aussi à Fondcombe.

- Et je suis son épouse Arwen, fille du roi Elrond de Fondcombe, enchaîna la belle dame elfe. Nous étions proches, autrefois. Tu as été ma dame d’honneur à mon mariage. Nous avons un fils, Eldarion, que tu as déjà rencontré.

Lothiriel fronça les sourcils et baissa les yeux. Si elle était une elfe, elle n’avait pas eu besoin d’aide pour donner naissance. Ce n’était donc pas l’enfant qu’elle avait vu en rêve, et qu’elle avait aidé à naître en opérant sa mère par césarienne.

Elle releva les yeux vers eux, et contrairement à ce qu’avait dit Legolas, elle ne vit ni cruauté, ni égoïsme dans leurs cœurs. Seulement de l’amitié pour elle, comme sûrement autrefois.

Mais ils semblaient pressés par le temps, et Aragorn lui dit :

- Lothiriel, nous voulons te proposer de nous accompagner. Auparavant, tu as utilisé ta magie pour nous protéger de nos ennemis de l’Isengard. Nous avons de nouveau besoin de toi pour nous soutenir face aux ennemis qui arrivent du Mordor.

- Qui sont ces ennemis? demanda-t-elle avec candeur.

- Ce sont des Orques, répondit factuellement Aragorn, mais aussi des Uruk-Hai, des Gobelins, et nous pensons que des Trolls sont aussi parmi eux. Ils avaient rejoint Sauron autrefois, et depuis, ils se cachent dans les montagnes de l’Est et se préparent à la vengeance. Nous craignons qu’ils ne soient très nombreux. Si nous voulons sauver notre liberté, nous devons les détruire.

- Les dieux ne m’ont pas dit cela, se défendit-elle avec effroi. Ils m’ont dit…d’utiliser ma magie pour construire et faire fructifier la nature, non pour détruire.

- Nous détruisons ceux qui veulent nous détruire, répondit Arwen. C’est justement pour construire une Terre du Milieu de paix et de respect, que nous avons besoin de toi.

Mais Lothiriel sentit un sentiment nouveau et étrange naître en elle : la crainte. Dans son esprit, des images se succédèrent, et elle sut qu’elles étaient réellement arrivées : des cadavres, du sang noir sur un sol de neige, des gorges tranchées, des fracas de boucliers et d’épées, des journées aussi noires que la nuit. Elle se prit la tête dans les mains dans un gémissement de douleur, et Arwen et Aragorn la soutinrent pour l’aider à s’asseoir. Mais penchée vers le sol, les yeux fermées, elle ne pouvait que regarder des flashs successifs de violences, de morts, et enfin, une immense explosion qui fit couler le métal en fusion comme de l’eau et qui la tira vers le bas, toujours plus bas, jusque dans des profondeurs abyssales, la faisant suffoquer. Parmi ces images, elle vit aussi furtivement une guerrière en armure qu’elle ne reconnut pas, aux cheveux d’un blond vénitien, aussi pâle que la mort ; et un homme aux cheveux blonds, en armure également et sali par le combat, à son chevet, qui pleurait doucement. Mais elle ne put s’y attarder, car elle vit alors un œil, immense, sans paupière, dans les flammes, qui semblait s’amuser à la tirer vers la violence et vers la guerre.

- NON ! cria-t-elle en rouvrant les yeux et en les regardant. Assez, assez ! Laissez-moi !

Et elle courut dans la forêt, n’entendant pas les appels d’Arwen et d’Aragorn.

Elle courut longtemps entre les arbres, et en reprenant son souffle, s’assit sur le tronc d’un arbre couché. Les images avaient peu à peu cessé, mais elle avait ressenti la douleur des blessés jusque dans sa chair, elle avait vécu le deuil, les plaies, la peur de mourir. Alors, comme épuisée par ses sensations, elle pleura doucement. Elle sentit qu’elle avait fait de la peine à Arwen et Aragorn, mais elle était incapable d’aller à la guerre, c’était impossible. Ou trop tôt : elle pouvait pour l’instant s'entraîner à tirer des flèches dans les bois, mais tuer quelqu’un lui semblait inconcevable. Ce n’est pas ainsi qu’elle devait utiliser ses pouvoirs, et elle avait l’impression de trahir les dieux.

Elle prit son bâton magique dans ses deux mains, comme pour chercher un soutien supplémentaire. Cela l’aida à retrouver une respiration normale. Elle entendit alors des pas derrière elle, et en se retournant, elle vit Legolas s’approcher doucement et s’asseoir à côté d’elle. Il semblait partager sa tristesse.

- Je suis désolée, dit-elle en essuyant ses yeux. Je ne voulais pas les décevoir ainsi…

- Ce n’est rien, lui dit-il en se penchant vers elle et en entourant son épaule de son bras. Tu as suivi ton instinct.

- Je suis encore si perturbée par certains souvenirs, avoua-t-elle. Je pensais que je serai plus forte…

- Tu as aussi vécu des choses plus terribles que tu ne l’imagines, expliqua Legolas. Si je devais moi-même revoir d’un coup toutes les batailles auxquelles j’ai participé, je deviendrais fou. Heureusement, le temps aide à panser les blessures.

Elle lui raconta les images qu’elle avait vues, l'œil sans paupière, les images de guerre, et Legolas put l’aider à en comprendre certaines qu’il connaissait lui aussi.

- J’aurais aimé revoir Aragorn et Arwen autrement, ajouta-t-elle. Nous avons l’air d’avoir partagé aussi des moments heureux à Fondcombe.

- C’était il y a longtemps, répondit Legolas, et ce sont tes amis, ils ne t’en veulent pas. Vous aurez d’autres occasions de vous revoir et de les évoquer.

- Mais si Aragorn part à la guerre, remarqua Lothiriel, cela n’aura pas lieu avant bien longtemps…

Legolas ne répondit pas tout de suite. ll semblait hésiter à lui dire quelque chose, mais sentit que ce n’était pas le bon moment. A la place, il pressa son épaule avec affection, et laissa un baiser sur son front.

- Je suis là si tu as besoin de parler, lui dit-il.

Et en relevant la tête pour le regarder dans les yeux, elle lui sourit en lui disant : “Merci.” Ils échangèrent alors un baiser, aussi rempli de douceur que les souvenirs de Lothiriel avaient été pleins de souffrances.

Quand ils cessèrent de s’embrasser, ils remarquèrent qu’un tapis de fleurs avait poussé autour d’eux, et Legolas sourit. “Viens, murmura-t-il, rentrons.”

Et ils repartirent, laissant derrière eux cet incident pénible, mais laissant aussi Aragorn et Arwen repartir vers la guerre avec leurs questions, et laissant des non-dits et des lacunes dans la mémoire de la magicienne.

--------

Plusieurs jours après, Arwen tenait son époux dans ses bras avec amour, et avec tristesse. Une nouvelle fois, après la guerre de l’Anneau, après les batailles dans la Comté et en Ithilien, elle le voyait partir combattre. Elle avait conscience que cela était nécessaire, mais chaque fois le départ était douloureux et difficile, craignant qu’il ne revienne jamais.

Elle lui avait replacé autour du cou le pendentif qu’elle lui avait offert autrefois à Fondcombe, l’Etoile de la Nuit, et il l’embrassa longuement, avec affection.

- Je t’attendrai et je te verrai dans mes songes, mon Amour, lui dit-elle en elfique.

- Je combattrai deux fois plus vite, pour te retrouver dans mes rêves, et dans la réalité, lui répondit-il en souriant.

- Quand tu reviendras, nous ferons un nouveau fils ensemble, lui déclara-t-elle, comme si elle avait vu dans l’avenir des prémices d’un nouvel enfant.

Aragorn rit, et lui caressa la joue : cette perspective l’enchanta, et lui donna du courage.

- Amour, ajouta-t-elle, que vas-tu dire à Éomer, et à Eowyn et Faramir ?

Il savait de quoi elle voulait parler, car après la réaction d'Alcara, qui se nommait maintenant Lothiriel, ils avaient dû rebrousser chemin.

- C’est une question difficile, avoua Aragorn. Je ne peux le laisser faire son deuil alors qu’elle est toujours en vie. Mais elle n’a plus aucun souvenir de lui ou de nous tous, et elle a bien changé. De plus, je ne peux lui dire qu’elle se trouve chez Legolas…Si elle ne participe pas à la guerre, et qu’il trouve en lui assez de courage pour combattre, je le lui dirai peut-être plus tard.

- Mais s’il était désespéré ? demanda Arwen avec crainte, s’il ne combattait que pour noyer son chagrin, en voulant la rejoindre dans la mort ?

Aragorn ne sut que répondre : si cela lui était arrivé, il savait qu’il aurait eu cet état d’esprit.

- C’est en le voyant que je saurai quoi faire, décida Aragorn. J’espère que les dieux guideront nos destins. 

 

Chapter 48: La Mémoire Contre l’Oubli

Chapter Text

La Mémoire Contre l’Oubli

 

Ce chapitre a été difficile à écrire, j'espère qu'il vous apportera autant d'émotion qu'à moi...

Le point culminant approche, et l'une des scènes les plus importantes de l'histoire est sur le point de se dérouler. Bonne lecture ! 

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Une nouvelle fois, Lothiriel avait peu dormi. Elle ne cessait de repenser à ses retrouvailles avec Aragorn et Arwen, et malgré sa peur et les paroles rassurantes de Legolas, elle ne pouvait s’empêcher d’éprouver de la culpabilité. La veille, elle avait de nouveau invité Legolas à la rejoindre, et l’avait étreint avec plus de passion encore que d’habitude, comme pour chasser une crainte qui naissait en elle. Lui aussi avait montré encore plus d’ardeur et de force qu’auparavant, comme s’il avait partagé les mêmes sentiments, sans en parler.

Elle était à la fenêtre, observant l’aube claire et ensoleillée du mois de mai qui brillait déjà. Legolas se leva et se posta derrière elle, l’entourant de ses bras nus et posant un baiser dans ses cheveux immaculés. Elle posa ses mains sur les siennes, et lui murmura :

- J’ai déjà ressenti cela autrefois : le sentiment de devoir profiter en urgence de ta présence, de ton corps, de ton odeur, avant de te laisser partir à la guerre.

- C’est vrai, avoua Legolas. C’était à Fondcombe, avant que je ne parte avec la Communauté de l’Anneau.

- Et tu vas retourner combattre, n’est-ce pas ?

Legolas ne répondit rien, mais cela suffisait pour confirmer l’intuition qu’elle avait eue. Elle se retourna vers lui, et lui dit :

- Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ?

Il regarda ailleurs, et lui répondit finalement :

- Parce que je dois partir, et que je n’en ai pas envie, mais c’est mon devoir.

- Et quel est mon devoir ?

Legolas la regarda sans comprendre, et elle ajouta :

- J’ai des pouvoirs sur la Nature, et j’ai encore peur de les utiliser pour combattre. Mais j’étais une guerrière aussi, autrefois, et j’ai tué des ennemis en Isengard. C’est Aragorn qui l’a dit. Pourquoi ne pas aller me battre avec vous ?

- C’est trop tôt, rétorqua Legolas. Regarde l’effet de leurs discours sur toi…

- Tu ne veux pas que je vienne avec toi ?

- Il ne s’agit pas de cela, réfuta Legolas en lui caressant la joue. Je veux t’épargner de nouvelles souffrances…

- Et tu ne veux pas que je retrouve des personnes en particulier non plus, n’est-ce pas ?

Legolas arrêta son geste, et reposa sa main loin de sa joue. Son visage prit une tout autre expression, plus énigmatique pour elle.

- Legolas, lui dit-elle en sentant sa gorge se nouer, si je veux retrouver toute ma mémoire, tu dois me dire la vérité. Mais je sens, depuis que nous nous sommes retrouvés, et en me souvenant de notre passé commun, que tu as souvent éludé des choses à me dire, consciemment.

- C’est faux, démentit Legolas d’une voix douce, et je suis peiné que tu croies cela. Je ne t’ai jamais menti, mais j’avais des intuitions, et tant qu’elles ne se vérifient pas, il est difficile de les évoquer.

- Je sais que tu ne m’as jamais menti, approuva-t-elle, mais n’as-tu pas fait certaines omissions récemment ?

Il semblait avoir réellement de la peine, et baissa la tête.

- Ne sois pas triste, dit-elle en levant son visage à nouveau vers elle. Je ne t’en veux pas.

- Ce sont les dieux qui ne t’ont pas restitué ta mémoire, ajouta Legolas. Ils voulaient te préserver, te donner un lieu de sécurité, et de paix. C’est pour cela que les aigles t’ont menée ici.

- Je le sais, et je leur en suis reconnaissante. De cela, et de t’avoir retrouvé.

Elle savait qu’il ne lui dirait pas toute la vérité, ni aujourd’hui, ni demain. Il semblait avoir trop à perdre, et c'était comme mettre fin à une parenthèse enchantée pour eux deux. Elle non plus n’avait pas hâte de savoir. Mais elle sentait qu’avec l’approche de la guerre, ils n’auraient plus le choix de repousser les révélations à plus tard.

Dans la journée, elle dit au revoir à Gimli, qui partait combattre ; Legolas resterait quelques jours de plus, tant qu’il le pourrait, avant le début des hostilités. Lothiriel ne sut quand elle reverrait Gimli, mais une atmosphère de tristesse flottait autour d’eux, comme lorsqu’elle avait parlé avec Gandalf pour la dernière fois.

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Partout dans la Terre du Milieu, on vit une mère saluer son nouveau-né avant de partir au combat pour le pays de ses ancêtres, avec son mari de l’Ithilien ; un père dire au revoir à sa femme et à ses enfants, au loin dans la Comté, avant de suivre ses deux amis Hobbits ; un homme terriblement seul, aiguiser son épée, le regard perdu dans les flammes de sa cheminée sculptée de têtes de chevaux.

Les armées arrivèrent peu à peu depuis tous les royaumes, et se rejoignirent en Ithilien du Sud, face aux montagnes du Mordor. Des sentinelles parlaient de plus de dix mille ennemis qui surgiraient des montagnes, et avec les pertes de la guerre de l’Anneau, les peuples libres n’étaient guère plus nombreux que le camp d’en face. Leur principale crainte venait des armes supplémentaires dont ils disposaient, les catapultes, les trolls ou même les géants, et on ignorait si les Hommes du Sud leur apporteraient un soutien avec leurs oliphants.

Une étrange réunion eut ainsi lieu entre les chefs des différentes armées, une partie sachant qu'Alcara était toujours en vie, comme le prince Imrahil, Gimli ou Aragorn, et l’autre partie l’ignorant toujours. Mais ils se concentrèrent tous sur le combat à venir et la stratégie à adopter.

Il fut ainsi décidé qu’Éomer et Aragorn combattent ensemble en première ligne, soutenus par les autres armées du Gondor comme celle du prince Imrahil, et Gimli et Faramir en soutien sur le flanc Sud. Eowyn et les Hobbits seraient en soutien à l’arrière, pour le second assaut.

Un long débat opposa Aragorn et Éomer : ce dernier tenait à être en première ligne, mais Aragorn, comme les autres, avait remarqué son regard un peu perdu, qui les inquiéta. Finalement, Aragorn accepta, en se jurant de garder en permanence un œil sur lui, partageant ainsi le projet d’Eowyn.

Quant à Gimli, il avait senti les regards insistants d’Éomer vers lui, et avait évité de les croiser. Il fut un des premiers à sortir de la tente d’Aragorn après leur rassemblement, mais Éomer le rattrapa vite.

- Votre ami elfe ne vous a pas accompagné ? demanda immédiatement Éomer.

- Il nous rejoint, répondit vaguement Gimli. Il combattra en soutien, avec Eowyn et les Hobbits.

- Il sait ?

Gimli le regarda sans comprendre, et Éomer, en prenant une grande inspiration, précisa :

- Pour la mort d'Alcara.

Gimli ne put que hocher la tête. Éomer prit cela pour une marque de respect, et détourna les yeux. Gimli ne savait quoi faire ni quoi dire, mais Éomer reprit la parole et lui avoua :

- J’irai jusqu’au bout, vous savez.

Gimli fut de nouveau interrogatif : entre les elfes qui disaient à demi-mot leurs visions, et les Hommes qui avaient trop de pudeur, il avait souvent du mal à comprendre où ils voulaient en venir.

- Je suis venu combattre pour mon peuple, présent et à venir. Et si je dois aller jusque…jusqu’au bout, pour cela, je le ferai.

- Ne pensez pas ainsi ! s’exclama Gimli, soudain affolé à l’idée qu’il puisse courir à sa perte. Ne prenez pas le risque de mourir, il reste de l’espoir !

- L’espoir n’est plus dans mon camp à présent, répondit Éomer avec un sourire amer. Et pour la mort, je l’ai déjà côtoyée de suffisamment près pour qu’elle me soit familière.

Et il repartit vers son campement pour donner les ordres à ses troupes. Gimli, paniqué et ne sachant que faire, maudit intérieurement Legolas et ses sentiments, qui perturbaient le cours des choses. Il croisa alors Eowyn, et l’arrêta :

- Dame Eowyn !

- Gimli, comment allez-vous? lui dit-elle avec douceur.

Et revoyant la belle dame du Rohan, il n’eut pas le cœur de lui ajouter des préoccupations. Pourtant il lui demanda :

- Dame Eowyn, j’ai une question à vous poser. L’élixir des Invincibles, il a fonctionné pour Éomer?

- En effet, confirma-t-elle, mais comme vous le savez, nous n’en avons plus beaucoup. Éomer a interdit d’en produire davantage.

Elle croyait qu’il voulait en récupérer un pour lui, mais il balaya d’un revers de main cette hypothèse :

- Je voulais simplement savoir une chose : peut-il marcher deux fois?

Elle fronça les yeux, et il s’expliqua :

- Si quelqu’un a pu revivre avec l’élixir une première fois, peut-il à nouveau revivre grâce à lui, une seconde fois ?

- Pourquoi souhaitez-vous savoir cela ? demanda-t-elle, soudain inquiète.

- Avez-vous la réponse ? insista-t-il en la regardant comme devant une urgence.

- J’avoue que…je l’ignore.

Gimli soupira et baissa les bras. Alors qu’il envisageait de plus en plus sérieusement de tenter l’expérience sur lui-même, elle ajouta :

- Malgré les épreuves qu’il a subies, Éomer ne se laissera pas mourir. J’en suis persuadée. Il soutiendra son peuple jusqu’au dernier soldat.

Gimli la regarda à nouveau, et vit dans son regard toute la détermination qui l’avait caractérisée, quand elle s’était déguisée en chevalier pour combattre dans les plaines du Pelennor. Aujourd’hui, elle combattait comme princesse officielle, et serait prête à défendre son frère jusqu’au bout. Gimli lui sourit et hocha la tête, pour lui montrer qu’il la croyait, et qu’il la soutiendrait.

- Je suis heureux de combattre aux côtés de Faramir, ajouta-t-il en souriant. S’il est d’accord, nous jouerons ensemble à qui tue le plus grand nombre d’Orques, c’est un jeu que j’apprécie particulièrement.

Et elle rit en le voyant dresser sa grande hache, retrouvant un peu de baume au cœur avant les hostilités.

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Lothiriel était retournée dans la forêt après le départ de Gimli : malgré sa volonté de savourer encore chaque instant avec Legolas, elle sentait qu’elle devait s’y rendre, sans savoir encore pourquoi.

Elle marcha dans une partie des bois qu’elle connaissait mal, plus encaissée, où coulait une petite cascade qui devenait ensuite un ruisseau bondissant sur les rochers. Elle s’y pencha, et observa les fleurs qui y poussaient et les libellules qui flottaient au-dessus de la surface. Elle ferma les yeux, et profita du clapotis de l’eau. Ce bruit pourtant doux et apaisant, lui rappela alors un vieux souvenir, celui d’Orques emportés par les flots tumultueux des douves de Fondcombe, qui les emportait au loin. Elle fronça les sourcils et rouvrit péniblement les yeux. Sa mémoire des guerres était de plus en plus forte. Pourrait-elle réellement rester sans rien faire ?

Mais alors qu’elle rouvrait les yeux, une apparition extraordinaire eut lieu devant elle : une magnifique biche, au pelage blanc, buvait dans l’eau du ruisseau depuis la rive d’en face, à quelques pas seulement de là où elle se trouvait. Elle n’osa pas bouger, de peur de l’effrayer : mais l’animal, en se redressant, la regarda en face, sans crainte. Elles échangèrent un regard long et intense, comme pour deviner les pensées de l’autre, même si Lothiriel ne pouvait connaître l’esprit de la biche à cet instant. Elle fixait simplement ses grands yeux noirs et brillants, et l’élégance de sa silhouette élancée.

Tout aussi rapidement qu’elle était apparue, la biche bondit soudain à travers le ruisseau, derrière Lothiriel. Elle la suivit du regard, mais la biche s’arrêta simplement un peu plus loin et se retourna vers elle, comme pour l’inviter à la suivre. D’instinct, Lothiriel se leva et courut derrière elle, et la biche bondit à nouveau à travers la forêt.

L’animal allait très vite, mais Lothiriel, aidée de son bâton magique, ne la quitta pas des yeux et courut à sa poursuite aussi rapidement qu’elle le put, ne se laissant pas distancer. Elles gravirent de hautes collines, dévalèrent des pentes rocheuses, traversèrent de nouvelles rivières plus hautes et au courant plus fort. Chaque fois qu’elle prenait trop de distance, la biche se retournait et l’attendait, puis repartait de plus belle. Son pelage brillait sous le soleil qui transperçait les frondaisons, et ses sabots brillants luisaient comme de l’or en cette journée de printemps.

Finalement, après une longue distance parcourue vers le Nord de la forêt, la biche s’arrêta à l’entrée d’une clairière, dans un rayon de soleil. En s’arrêtant à son tour, essoufflée, Lothiriel remarqua que le soleil lui donnait comme une couronne pour orner sa tête gracieuse. Elle se souvint alors qu'elle l’avait vue autrefois, il y a bien longtemps, dans la forêt de Fondcombe, et qu’elle avait demandé à Legolas de ne pas lui tirer de flèche au cœur. Aujourd’hui, comme si la biche lui répondait, elle l’avait guidée à un endroit précis.

Dans un dernier bond, la biche disparut alors définitivement, s’engouffrant dans les branches. Lothiriel suivit sa route et pénétra dans la clairière.

Là, elle découvrit un spectacle étonnant : une herbe verte et épaisse recouvrait le sol, et du lierre avait poussé sur les arbres alentour. Un rocher unique se trouvait au centre, où une plaque très ancienne semblait avoir été apposée, recouverte de mousse.

Mais surtout, des milliers de petites fleurs blanches parsemaient le sol herbeux, ne laissant aucune place pour d’autres. Intriguée, Lothiriel avança parmi les sortes de perce-neige, et se pencha pour en cueillir un : jamais elle n’avait vu cette forme de fleur dans la forêt auparavant, et ses connaissances pourtant vastes ne lui permirent pas de l’identifier.

La fleur toujours à la main, elle marcha jusqu’à la pierre. Elle ôta avec un sortilège de son bâton la mousse collée à la plaque, et déchiffra la description ancienne, écrite en elfique :

Ici reposent Beren et Lùthien

Unis dans l’amour et dans la mort malgré tous les obstacles

La mémoire contre l’oubli.

Grâce aux anciens dieux, elle se souvint de l’histoire de Beren, un Homme qui était tombé amoureux de Lùthien, princesse elfique, dans les temps anciens. Pour elle, il avait vaincu les pires dangers, et pour lui, elle avait parcouru toute la Terre du Milieu pour le sauver et l’aider dans sa quête. Malgré toutes les résistances, ils s’étaient mariés, Lùthien était même allée chercher Beren dans le royaume des Morts, et comme Arwen, elle avait choisi de devenir mortelle pour rester auprès de lui.

Quelle histoire magnifique et triste à la fois, se dit Lothiriel, que de partager un amour si fort quel qu’en soit le prix, quitte à revenir de la mort ou à la choisir plutôt qu’une immortalité solitaire…

La dernière phrase la frappa particulièrement : “La mémoire contre l’oubli”. En effet, elle aurait donné cher pour retrouver tous ses souvenirs et notamment les plus difficiles à retrouver, et ceux que d’autres, comme Legolas, lui cachaient encore.

Elle regarda à nouveau la fleur mystérieuse qu’elle tenait dans la main : on disait que certaines fleurs poussaient sur les lieux où reposent les morts, n’est-ce pas? Comment savait-elle cela? Ce n’était pourtant pas les dieux qui le lui avaient dit.

Et soudain, elle se retourna vivement : ces fleurs, ces innombrables fleurs blanches, avaient poussé là où reposent Beren et Lùthien, pour ne pas les oublier…et leur nom, leur nom revenait à sa mémoire, affleurait à la surface, tout doucement…

Simbelmynë.

Elle avait prononcé ce nom à voix haute, et comme une formule magique, ce nom fonctionna comme un verrou qui ouvrit la porte de ses souvenirs avec fracas.

Et dans un mélange étourdissant, qui lui coupa le souffle, elle se souvint de tout : du Rohan, de la quête de l’élixir des Invincibles, d’avoir assisté Eowyn enceinte et d’avoir donné naissance à son fils.

Elle se souvint de son laboratoire, de Lafindal qui l’assistait, et même de la vieille Erindal, si à cheval sur le protocole.

Elle se souvint des Rohirrim, des maréchaux, des troupes de guerriers partis vers la guerre en Ithilien.

Elle se souvint de Remèan, le cheval noir le plus beau et le plus doux qu’elle ait monté, grâce à qui elle avait deviné les propriétés miraculeuses de la fleur du Rohan.

Elle se souvint des tertres anciens, des tombes des rois, de ceux destinés à régner et ceux qui le devaient sans que cela n’ait été prévu.

Elle se souvint enfin, enfin, de ses yeux verts étincelants, de son habit de roi du Nord, de ses cheveux aussi dorés que sa couronne, de lui dansant aussi léger qu’une plume, de lui chevauchant plus rapidement que le vent dans les landes, de son rire éclatant, de son sourire attendri, de ses colères aussi et de ses larmes, de sa force lorsqu’il sortait son épée et avançait vers ses adversaires au combat ou dont la lance fendait l’air. De son corps, grand et musclé, doré par le soleil, quand il la dominait de toute sa hauteur, la portait et lui caressait la joue avec délicatesse, dansait avec elle et tournait comme dans un songe, de sa chaleur contre la sienne alors que la neige tombait dehors, de son désir parfois bestial qui la rendait folle, de lui à genoux devant elle, lui demandant de l’épouser…

De lui enfin, couché sur l’herbe et la boue, tendant sa main vers elle, lui demandant pardon dans un dernier soupir, occultant la douleur, le chagrin, l’abandon, le ressentiment et la colère.

Elle n’avait pas vu qu’elle était tombée à genoux dans l’herbe, les mains au sol, soutenant son corps avec difficulté. Son bâton, près d’elle, tombé aussi au milieu des fleurs. Son souffle coupé et saccadé, les larmes abondantes et insensibles le long de ses joues. Elle ne put que dire un mot, le répéter, car grâce aux fleurs blanches, enfin, elle se souvenait :

“Éomer!”

Et elle éclata en un sanglot déchirant, gémissante, les poings serrés sur les fleurs du Rohan. Elle se sentit si coupable, si inutile…comment avait-elle pu l’oublier ?

Leur passion avait été aussi belle que douloureuse, dévorante, dans l’amour comme dans la haine. Ils s’étaient mentis mais ils avaient tout avoué, ils avaient soif du corps de l’autre mais s’étaient trahis, ils s’étaient détestés mais s’étaient pardonnés, ils étaient en colère et heureux en même temps.

“Éomer…répétait-elle dans ses larmes, Éomer, je suis désolée…”

De longues heures s’écoulèrent, et le soleil descendit dans le ciel, baignant doucement les frondaisons de ses rayons roses.

Legolas courait entre les arbres, et soudain vit l’entrée d’une clairière, où il s’engouffra. Là, au milieu d’une herbe bleutée au coucher du soleil, il la vit, au milieu des fleurs blanches, à genoux au sol et prostrée, la tête baissée sur sa poitrine, pleurer en silence.

Il s’approcha lentement, comme n’osant pas la déranger, mais inquiet. En arrivant à elle, il prononça son nom avec douceur : “Lothiriel, qu’y a-t-il?”

Mais elle ne réagit pas tout de suite à son nom, et leva doucement la tête, semblant avoir vécu quelque chose de très douloureux. Il s’accroupit devant elle, et ne remarqua qu’à ce moment un phénomène étonnant : ses cheveux n’étaient plus blancs comme les magiciens, ils étaient redevenus bruns, comme avant. Et ses yeux, auparavant d’un bleu profond, avaient retrouvé leur couleur noire naturelle.

Il remit une de ses mèches en arrière, et essuya ses yeux rougis par les larmes.

“Parle-moi, s’il te plaît”, lui demanda Legolas, la gorge serrée.

Mais au lieu de parler, elle lui tendit une fleur blanche : en la prenant, il lui répondit :

“Je me souviens de l’avoir déjà vue, sur les tombes des anciens rois, à Edoras.”

Elle hocha simplement la tête en le regardant, mais aucune autre émotion que de la tristesse émanait de son visage.

En ravalant sa salive, Legolas parvint à demander : 

“Tu t’en souviens à présent, n’est-ce pas ?”

Elle hocha à nouveau la tête avec la même expression.

“Et tu…tu te souviens aussi d’Éomer”, ajouta Legolas, mais ce n’était plus une question.

Elle baissa les yeux, et confirma silencieusement.

Un long silence s’abattit entre eux, un silence qui disait tout, que leur brève idylle ne pouvait continuer avec la légèreté de l’oubli, que rien ne serait plus comme avant.

“Il est mort à présent, disait-elle. Il est trop tard. Je l’ai vu expirer, le cœur brisé, au même moment que moi, avant que les dieux ne m’accordent une seconde chance.”

Alors, Legolas sentit qu’il aurait besoin de courage, lorsqu’il dut lui répondre, car il savait le poids de ce qu’il dirait, le poids de devoir la laisser partir.

“Il n’est pas mort.”

Comme il s’y attendait, elle releva la tête et le regarda avec étonnement :

- Mais…

- Il est mort avec toi, en effet, continua Legolas, sentant sa gorge se serrer à nouveau, mais il a pu revivre. Ils lui ont donné de l’élixir des Invincibles.

Elle regarda dans le vide, semblant réfléchir.

- Tu lui as permis de revenir à la vie, d’une certaine façon, ajouta Legolas avec un sourire mélancolique.

Elle ne répondit pas, mais sembla continuer à réfléchir, de plus en plus vite. La peur de la guerre et du sang qu’elle avait éprouvée en revoyant Aragorn et Arwen lui parut bien lointaine, et bien anodine, face à tout ce qu’elle avait traversé.

Rassemblant de nouveau son courage, Legolas inspira, et dit :

“Va le rejoindre.”

Elle leva les yeux vers lui, et avec des yeux embués, il regarda au loin, évitant son regard, et ajouta :

- Va le rejoindre, va les sauver tous. Tu en es capable.

- Legolas…

- J’irai moi aussi au combat de toute façon, la coupa Legolas, comme pour trouver des échappatoires au chagrin qui naissait en lui. Et ensuite…ensuite je partirai.

- Tu partiras? articula-t-elle dans un souffle, une nouvelle larme naissant au creux de son œil.

- J’irai vers les Terres de l’Ouest.

- Il n’y a plus de bateaux vers l’Ouest, déclara-t-elle en pleurant doucement.

- J’en construirai un moi-même, répondit-il en laissant une larme lui échapper à son tour.

- Ne pars pas trop vite, s’il te plaît…

Il la regarda enfin, et ne put retenir ses pleurs lui non plus. Il ne trouvait plus de raisons de rester sur la Terre du Milieu : il avait vécu tant d’aventures, et sans elle, le monde lui paraissait vide et insipide.

- J’ai encore besoin de toi, Legolas ! ajouta-t-elle en cherchant son regard.

- Éomer a davantage besoin de toi, répondit Legolas avec conviction, la regardant à nouveau dans les yeux. Il croit encore que tu n’as pas survécu. Le monde des Hommes a besoin de toi.

- Je ne suis pas capable de les sauver tous, dit-elle.

- Si, tu le peux, affirma Legolas. Tu connais le moyen de le faire. Tu l’as déjà fait.

- Mais je me suis sacrifiée, la dernière fois…

- Parce que tu croyais que tout était perdu, mais c’est faux. Éomer t’attend.

- Mais je…je ne sais pas comment faire.

- Tu vas trouver, je te fais confiance.

Il se leva alors avec énergie, l’aidant à se relever elle aussi, et lui dit :

- Tu es l’Aube, Alcara.

Il avait utilisé son ancien nom, comme pour la restaurer tout entière, et elle lui sourit entre ses larmes.

Il baissa la tête, et ajouta :

- Je suis désolé de ne pas t’avoir parlé de lui. C’était égoïste de ma part. Je vais partir au combat, retrouver avec Gimli et Aragorn la ferveur de nos anciennes batailles. Mais le moment venu, quand tu auras trouvé le moyen, tu vas nous rejoindre, et les terrasser tous. Je le sais.

Elle hocha la tête. Elle savait que le destin se déroulerait ainsi, elle en avait eu l’intuition comme lui.

- Je suis désolée que les choses se soient passées ainsi, lui dit-elle en caressant sa joue. Autrefois, les choses paraissaient plus simples…

- Tu aurais fini par rencontrer Éomer, lui répondit Legolas avec bienveillance et tristesse, vos destins étaient liés quoi qu’il arrive. Merci d’avoir bien voulu revivre le passé avec moi.

- Je ne regrette rien de tout cela.

Et comme pour lui dire adieu, elle déposa un dernier baiser sur ses lèvres. Il lui sourit et lui caressa ses cheveux redevenus bruns, et s’éloigna en lui disant :

- Adieu, Alcara.

Et il disparut dans le soir.

 

Chapter 49: La Dernière Bataille

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La Dernière Bataille

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Cette musique, ugh! Si elle ne vous donne pas la larme à l’oeil, je ne sais pas ce qu’il vous faut…

Et cette chanson, aussi, car j’imagine complètement Eowyn la chanter avant de se lancer dans la bataille !

Enjoy !
La scène majeure de l’histoire arrive !

 

L’aube naissait à l’Est, par-delà les montagnes du Mordor, et on commençait à apercevoir la première ligne des ennemis se positionner sur le col, entre les monts, prête à se déverser sur eux. Ils étaient alignés, prêts à combattre, dans le froid du matin.

Éomer portait son armure, son heaume au crin blanc, et sans l’avoir dit à personne, le mouchoir d'Alcara, qu’il ne quittait plus depuis sa disparition, comme la relique d’un être chéri autrefois. Il inspira une grande quantité d’air, et se tourna vers ses troupes, dont les lances étaient dressées vers l’ennemi.

Rohirrim!!" leur cria-t-il dans sa langue du Rohan, avec une voix puissante, que toute l’armée entendit de loin. "Vous, les plus grands cavaliers du monde, ceux qui n’ont peur de rien ni de personne, êtes-vous avec moi?”

Et tous ses soldats approuvèrent comme d’une seule voix, dans une grande clameur.

“Vous m’avez suivi au fond du Gouffre de Helm, et encore dans les champs du Pelennor! continua Éomer. Vous m’avez suivi non loin d’ici en Ithilien, et encore, face à l’Isengard, et chaque fois, vous avez permis la victoire!”

Une nouvelle clameur confirma ses paroles, et quelques épées tambourinèrent sur les boucliers, comme pour en augmenter le bruit.

“Nous avons cru être débarrassés de la vermine du Mordor, mais elle a repoussé comme de la mauvaise herbe! ajouta-t-il, et ses soldats rirent et huèrent en réaction à ses mots. Cette fois, nous allons les détruire pour de bon!”

Une nouvelle clameur l’accompagna, plus forte et plus retentissante encore.

Je suis revenu d’entre les morts pour rester votre roi!! cria-t-il encore plus fort avec toute la force de son souffle, y mettant toute son énergie, et ses mots pesèrent lourd pour tous les Rohirrim, qui le respectaient et admiraient son courage. Et aujourd’hui, je suis près à aller jusqu’aux enfers s’il le faut, et même au-delà, pour la victoire, et pour la liberté!!”

Cette fois, l’acclamation fut telle, que les hommes du Gondor se retournèrent vers eux. Leurs cris vibraient jusque dans les poitrines et firent trembler le sol. Le vacarme des boucliers frappés s’ajouta à leur clameur.

ÊTES-VOUS AVEC MOI??” cria Éomer à nouveau.

Et un “POUR LE ROI!!!”’ immense et tonitruant lui répondit.

Plus loin, les Rohirrim menés par Eowyn en soutien, situés plus haut sur la colline au Sud du champ de bataille, avaient entendu le même discours. Et après ces derniers mots, comme s’ils l’avaient prévu en avance, ils firent peu à peu résonner leurs boucliers en rythme en les frappant contre leur poitrine recouverte d’armures. Eowyn, en première ligne, se retourna vers eux et entendit une mélodie grave sortir de leurs cœurs, qu’elle reconnut immédiatement avec émotion. Les Hobbits ne la reconnurent pas tout de suite, mais peu à peu, en entendant les chants, reconnurent à leur tour La Chanson des Amis, celle qui accueillait à leur table les compagnons de fête.

“Oui, accueillons-les comme il faut, mes amis!” s’exclama alors Pippin d’une voix forte en levant son épée au ciel.

Sa déclaration fut accueillie par les rires et les acclamations des Rohirrim, et les Hobbits, rassérénés, furent prêts à se battre.

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Bien loin d’ici, dans une forêt mystérieuse, une magicienne était assise en tailleur sur l’herbe couverte de fleurs blanches. Alcara n’avait pas bougé depuis la veille au soir, et le départ de Legolas. Ils se rendraient à la même bataille, mais ils savaient qu’ils n’allaient pas s’y croiser.

Elle cherchait toujours le meilleur moyen de vaincre, comme autrefois en Isengard. Et comme la fois précédente, c’était dans une forêt qu’elle mettrait au point son plan et rassemblerait toute son énergie.

Mais au petit matin, alors que la bataille commençait, elle n’avait toujours pas la solution. La plaine de l’Ithilien, aux portes du Mordor, était un lieu désert, fait de pierres grises à perte de vue. Là-bas, nul pouvoir sur l’eau ou sur les plantes, ou même sur le ciel, ne pourrait apporter de quoi les terrasser.

Elle soupira, et s’entendit dire à voix haute : “Gandalf, je vous en supplie, aidez-moi!”

Alors elle perçut un bruit derrière elle : elle se retourna, et eut une réaction de grande surprise, et de joie. C’était exactement ce dont elle avait besoin, et elle remercia en pensée le magicien gris.

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Le premier assaut de l’armée des Hommes créa un immense fracas d’armes, d’armures, et de chevaux. On entendit les craquements des os, le sifflement des lames, les cris de douleur. Aragorn, à côté d’Éomer, s’engouffra avec son cheval dans la mêlée. Éomer terrassa deux Orques, et se retourna vivement pour en tuer un troisième qui voulait l’attaquer par l’arrière. Lorsqu’un autre tenta de blesser son cheval, Aragorn accourut et le transperça avant qu’il ait pu porter son coup.

Sur le côté de la bataille, au flanc nord, Faramir et Gimli combattaient déjà à pied. Gimli avait formé autour de lui un cercle en tournoyant avec sa hache, qui avait déjà emporté les membres de quelques Orques. Il les compta comme morts, mais Faramir lui répliqua : “Cela ne compte pas!” en décapitant un cinquième Orque devant lui, faisant jaillir un flot de sang noir.

“Par pitié, laissez un champ de bataille un peu propre!” s’exclama Gimli, vexé que les blessures ne comptent pas, et il lança sa hache au travers de la tête d’un Orque dont il avait déjà coupé le bras droit, pour le compter tout de même.

Mais alors, l’Homme et le Nain virent arriver des Uruk-Hai, plus rapides et plus grands que les Orques, dont le visage était recouvert d’une main rouge. Sanguinaires, ils ne laissaient aucun quartier et se plaisaient à faire souffrir leurs victimes. Faramir se prépara à attaquer l’un d’eux, qui lança sa masse d’armes sur lui, faisant résonner son bouclier. Devant la force de son coup, Faramir mit un genou à terre, et se redressa à temps pour éviter une nouvelle attaque. Il lança son épée devant lui, mais le rata de peu : et alors que l’Uruk-Hai, enragé, avait pris son épée à pleine main, l’immobilisant sans sembler ressentir que sa main se coupait au contact de la lame…une flèche le transperça en plein milieu du front.

Surpris, Faramir releva son épée, et se retourna : à côté de lui, l’Uruk-Hai que combattait Gimli reçut à son tour une flèche au milieu de son œil. Mais Gimli, au lieu de paraître étonné, éclata de rire, redoublant l’étonnement de Faramir.

“Cela compte quand même pour moi!” s’exclama Gimli, en continuant de rire.

Et alors Faramir comprit, en apercevant un groupe important d’elfes de la forêt, surgir sur leurs chevaux et tirer des flèches de toutes parts avec leurs grands arcs. Au milieu d’eux, Legolas sauta de son cheval et leur fit une accolade rapide, en souriant.

- Legolas! s’exclama Faramir, joyeux. Nous vous retrouvons enfin, les dieux soient loués!

- Legolas, lui demanda Gimli, soudain plus sérieux, est-ce que…

- Oui, le coupa Legolas, lui-même tout à coup plus triste. C’est réglé. Je vous raconterai tout…une fois que j’aurai gagné le pari !

- C’est ce qu’on va voir ! sourit Gimli, soulagé de voir son ami retrouver la ferveur du champ de bataille avec lui, comme autrefois.

Face à cette discussion mystérieuse, Faramir n’insista pas et se prépara à combattre à nouveau. A côté de lui, Gimli releva sa hache, et Legolas visa avec son arc. La bataille pouvait continuer.

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Depuis la colline au Sud, Eowyn et les Hobbits suivaient l’ensemble des combats. La pluie tombait à présent et il devint plus difficile de distinguer les alliés des ennemis. Grâce à son casque de crin blanc, elle repérait facilement Éomer, mais ne voyait plus Aragorn. Elle comprenait seulement que l’avancée obtenue en début de journée s’était immobilisée à présent au milieu du champ de bataille, et malheureusement, le flot d’ennemis ne cessait de se déverser depuis le Mordor. Combien pouvaient-ils être?

Elle sentait que les maréchaux allaient bientôt sonner du cor pour demander leur renfort. Alors, sous la pluie, elle se tourna vers les Rohirrim, et leur cria :

“Eorlingas!! Préparez-vous à combattre!!”

Et une fois qu’ils furent de nouveau bien en ligne, les lances dressées, elle ajouta :

“Pour la liberté, pour la mort, et jusqu’aux enfers!!”

Une grande clameur lui répondit, car les prouesses d’Eowyn étaient admirées de tous et créaient l’enthousiasme. Pourtant, un maréchal cria à sa suite :

Pour la vie!!

Étonnée, Eowyn et les Hobbits le regardèrent. Et comme pour étayer ses dires, il brandit au bout de son bras tendu vers le ciel, un petit flacon qui luisait dans le ciel gris. Et Eowyn reconnut l’élixir des Invincibles.

Ils savaient tous qu’ils étaient interdits par le roi, et qu’ils auraient dû être détruits. Et ils savaient tous qu’elle avait désobéi à Éomer et qu’elle avait pu le sauver, la dernière fois, devant la forêt de Fangorn.

Alors en silence, elle vit un deuxième, un troisième, un quatrième bras se lever et brandir une fiole qui luisait à son tour. Peu à peu, des centaines, des milliers de bras, comme autant de points lumineux, scintillèrent malgré la pluie.

Elle ne sut dire quelle était son émotion de les voir si fidèles à elle, et si reconnaissants envers Alcara. Elle ne put empêcher un grand sourire de s’étendre sur son visage et des pleurs de joie de couler de ses yeux.

Pour la vie!!” répéta-t-elle dans un grand cri, répété en chœur par ses guerriers.

Ils dévalèrent la colline pour rejoindre le tumulte de la bataille, sans voir que l’ennemi préparait encore des mauvaises surprises. Le flot d’Orques avait cessé, mais la nuit qui arrivait prédisait encore des heures bien sombres. 

 

Chapter 50: Partie VI : Le Retour - Je Te Retrouverai

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Partie IV - Le Retour

Je Te Retrouverai

Musique à écouter sur ce chapitre :

Éomer ne pouvait dire depuis combien de temps il chevauchait. Il vit passer des jours et des nuits, des cieux pleins de pluie qui lavèrent son armure boueuse, et pleins de soleil pour le sécher. Il était si déterminé, si focalisé, qu’il ne vit pas les lieues et les distances.

Mais peu à peu, son allure devint moins rapide, à la fois en raison de la fatigue de son destrier, mais aussi parce qu’il commença à douter de la route à suivre. Il aurait cru retrouver plus vite sa trace, mais il poursuivait le plus grand et le plus rapide de tous les chevaux, et même Pied-de-Feu ne pourrait le rattraper.

Il sentit alors toute la fatigue l’envahir, non pas seulement celle de la bataille, mais aussi celle des dernières semaines, et des derniers mois. Il avait si peu dormi…

Et au moment où il passait devant une grande ferme, et qu’un couple de vieux paysans curieux se rassemblaient pour le saluer, il tomba de son cheval, évanoui.

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Il ouvrit les yeux et mit du temps à comprendre où il se trouvait. En se redressant, il aperçut son armure, nettoyée et posée sur un fauteuil en osier. On était à la fin de l’été, mais un feu bienvenu flambait dans la cheminée, le réchauffant dans cette ferme de montagne. En rassemblant ses esprits, il sursauta et eut le réflexe de fouiller sur lui, où il retrouva avec soulagement, dans sa poche, le mouchoir qui appartenait autrefois à Alcara. Il en respira l’odeur, et il s’aperçut qu’il sentait toujours la lavande qu’elle portait autrefois.

Perdu dans ses pensées, il eut juste le temps de le cacher quand on frappa à la porte. Il le plaça à l’intérieur de sa tunique, près de son cœur, où se trouvait encore une petite tache rouge sur sa peau, seul témoignage qu’il était déjà mort une fois, le cœur brisé.

Un vieil homme entra et lui apporta une chope pleine de vin chaud pour le remettre sur pied. Il le remercia et but avec plaisir le breuvage. Le vieil homme s’assit au bord du lit, et après quelques instants d’hésitation, lui dit :

- Je suis heureux que vous soyiez réveillé : vous êtes tombé de votre cheval en vous évanouissant, nous avons eu peur que vous vous soyez blessé. Et après quelques efforts, nous avons pu vous porter jusqu’ici : vous êtes tout de même resté deux jours endormi!

- Je ne sais comment vous remercier, répondit Éomer, réconforté par la boisson chaude qu’il buvait.

- L’aide aux blessés et l’hospitalité sont aussi importantes que les grandes lois des princes, déclara le vieil homme avec un petit sourire.

Éomer lui rendit son sourire, et dit en regardant sa chope :

- Je ne savais pas que vous m’aviez reconnu.

- Nous étions venus vous voir traverser ces terres, lorsque vous étiez rentré de la guerre de l’Anneau, expliqua le vieil homme. Et vos armoiries, sur vous et votre cheval, nous ont permis de vous reconnaître.

- J’ai malheureusement bien épuisé mon cheval, regretta Éomer.

- Il va bien, le rassura l’homme. Il se repose dans l’écurie, bien nourri et bien réchauffé.

Éomer hocha la tête en lui souriant à nouveau, se disant qu’il avait eu de la chance de tomber sur un paysan aussi généreux. Il regarda de nouveau la chope dans ses mains, hésitant à expliquer à un fermier comment il s’était retrouvé seul, après la bataille qu’ils venaient de mener, et il ne voulait pas laisser croire qu’il avait abandonné ses Rohirrim.

- Vous n’avez pas d’explications à nous donner, lui dit l’homme, comme s’il avait deviné ses pensées. Les rois ont des préoccupations qui nous dépassent, et c’est très bien ainsi.

- Je vous assure que vous vous évitez bien des tourments, lui répondit Éomer en souriant.

Après un silence, Éomer lui demanda :

- Pourriez-vous me dire dans quel pays nous nous trouvons?

- Vous êtes en Gondor, expliqua le vieil homme, sur le piémont des Montagnes blanches. Nous sommes donc au Sud d’Edoras, non loin de chez vous.

Le vieil homme se leva, en ajoutant :

- Nous allons bientôt dîner : nous serions honorés de vous avoir à notre table, si vous vous sentez suffisamment reposé.

- Avec plaisir, répondit Éomer.

Avant de refermer la porte, le vieil homme se retourna, et lui demanda :

- Majesté, pourriez-vous répondre à une question ?

- Bien sûr, affirma Éomer.

- Avons-nous gagné?

Et Éomer, en souriant, lui répondit : “Oui. Nous avons gagné. Et je pense que vous êtes le premier à en être informé, en-dehors du champ de bataille.”

Et le vieil homme lui rendit un sourire si grand qu’Éomer ressentit tout le soulagement qui le rendait soudain plus léger, et plus jeune.

Quelques minutes plus tard, Éomer descendit et rejoignit l’ensemble des membres de la famille qui s’étaient levés pour le saluer, autour d’une grande table en bois, entourée de deux bancs. Le vieil homme lui présenta sa famille. L’assemblée était surtout composée de femmes et de jeunes enfants, tous les hommes étant partis à la guerre, en particulier ses fils et son gendre. Éomer espéra qu’ils reviendraient sains et saufs…

Il s’assit au milieu de la table : beaucoup plus grand qu’eux tous, et blond aux yeux verts alors qu’ils étaient tous bruns aux yeux noisette, il attirait des regards curieux et furtifs, notamment des femmes, qui l’avaient vu lors de son retour de la guerre de l’Anneau avec tout son apparat, mais découvrirent de plus près un homme grand, musclé et élégant, avec l’attitude d’un véritable roi. Intimidées et fascinées en même temps, elles s’occupèrent de servir à manger, sans un mot.

Autour d’une belle soupe de légumes et de lard fumante, qui lui fit du bien, Éomer profita de ce moment simple. Reposé et dispos, il répondit patiemment aux questions des nombreux enfants présents, concernant la vie de roi : “Avez-vous une grande couronne? Des montagnes d’or gardées par des dragons? Une grande collection d’épées? Combien de chevaux?” et leurs mères, gênées, tentèrent de les faire taire, mais Éomer leur fit signe de n’en rien faire et de les rejoindre pour le repas, et leur raconta les histoires de ses batailles.

Une petite fille, plus jeune que les autres, osa vaincre sa timidité en lui disant : “Vous êtes un très, TRÈS beau roi!”

Et l’assemblée rit de sa candeur. Encouragée par leur réaction, la petite fille ajouta : “Avez-vous une reine ?”

Les adultes connaissaient tous l’histoire d’Alcara, qui avait fait grand bruit dans tout le Rohan et au-delà. Ils baissèrent les yeux et la mère de la petite fille la réprimanda doucement en chuchotant, mais Éomer leva la main pour l’arrêter et se pencha vers la petite fille pour lui répondre, même si son sourire avait disparu.

“J’ai connu une reine autrefois, je l’aimais beaucoup. Mais elle a dû partir, malheureusement.”

L’enfant eut alors un regard immédiatement plus triste, et elle baissa la tête. Mais comme si elle avait eu une idée, elle la redressa tout de suite et répondit :

“Mais alors, tu pourrais épouser la princesse-fée!”

Des rires de surprise et de moquerie de ses grands frères fusèrent, mais elle ne se laissa pas démonter et s’obstina :

- Parfaitement, celle qui vit dans la forêt de la montagne! Si un prince ou un roi suffisamment valeureux parvient à la retrouver et à surmonter toutes les épreuves, elle a dit qu’elle l’épouserait !

- N’embête pas Sa Majesté avec des contes pour enfants, Izaëlle, répondit sa mère.

Mais Éomer avait tendu l’oreille.

- Non, cela m’intéresse, insista-t-il. Raconte-moi cette histoire.

-  Il y a dans la forêt, une princesse qui fait de la magie, commença immédiatement la petite fille. Nous en sommes sûrs, car avec Othiel, dit-elle en se tournant vers son petit frère à peine plus grand qu’elle, des fleurs ont poussé un beau jour, et nous sommes CERTAINS qu’elles n’étaient pas là le jour d’avant.

Éomer se concentra de plus en plus sur ses propos, en faisant mine de ne pas y faire attention.

- Et on dit qu’elle a caché sa maison au cœur de la forêt, au fin fond de la montagne. Seuls les plus courageux la trouveront. Mais elle a mis des épreuves spéciales sur leur route, et ceux qui recherchent le gain ou la célébrité, n’en reviendront pas vivants !

Le vieil homme rit en voyant l’expression d’importance de sa petite-fille, qui avait vaincu sa timidité pour raconter son histoire.

- Et où peut-on trouver cette princesse-magicienne? demanda Éomer, comme s’il entrait dans son jeu, ce qui était en effet le cas.

- Il y a une grande cascade entre les sapins, expliqua la petite fille. On l’appelle la Chute des Aigles. Il faut y pénétrer, puis elle aura laissé des indices et des énigmes à résoudre, avec des épreuves, pour retrouver sa trace.

-   Eh bien demain matin, si tu es d’accord, répondit Éomer d’une voix douce, toi et tes frères vous me montrerez le chemin de la cascade des Aigles.

Cette nouvelle illumina le visage de la petite-fille qui hocha vivement de la tête, et qui semblait ravie d’aider un véritable roi, comme elle en avait entendu parler dans les histoires.

- Si tu la retrouves, tu l’épouseras ? demanda-t-elle à Éomer, et son petit frère aussi le regardait avec beaucoup d’admiration.

- Je l’épouserai, répondit Éomer en souriant, et je vous inviterai tous à mon mariage !

La grande tablée rit et applaudit même  cette nouvelle, et ils resservirent à manger pour discuter d’autres sujets.

Après le repas, la mère de la petite Izaëlle la mit au lit, et lui demanda où elle avait entendu une histoire pareille. Et l’enfant répondit très sérieusement :

- Mais c’est la princesse-fée qui me l’a dit elle-même ! Et j’ai répété e-xac-te-ment ce qu’elle m’a dit de dire.

- Très bien, soupira sa mère en tirant ses couvertures, je pense que nous allons raconter un peu moins d’histoires de princesses et de dragons pour un moment, car tu y crois un peu trop, ma chérie!

Elle ne sut pas que dans ses rêves, la petite fille vit à nouveau la belle fée, qui la remercia d’avoir passé le message au roi-chevalier.

Le lendemain, Éomer fut finalement accompagné par toute la famille, avec Pied-de-Feu, au pied de la cascade. En effet, de très nombreuses fleurs magnifiques, de toutes les couleurs, avaient poussé le long de la rivière, malgré l'approche de l'hiver. Éomer les remercia à nouveau chaleureusement, et se promit de vérifier que tous les hommes de cette famille seraient bien revenus indemnes de la guerre. Il salua particulièrement la petite Izaëlle, en lui annonçant qu’elle aurait sûrement une belle carrière de ménestrelle, car elle racontait très bien les histoires.

Quand il quitta les Gondoriens, il se demanda ce qu’ils devaient penser du roi du Rohan, seul avec son cheval, qui suivait les indications d’une petite fille de ferme. Mais il chassa rapidement cette idée, car il était sûr au fond de lui qu’elle lui avait indiqué une piste précieuse. Il le savait, car il avait regardé plus précisément les fleurs qui avaient soi-disant poussé du jour au lendemain et qui formaient un chemin précis de la route à la cascade. Aucune fleur naturelle qui poussait dans les bois ne faisait cela…

Il observa longuement les alentours, cherchant une crevasse ou une faille entre les rochers, sans succès. Finalement, il observa plus attentivement la cascade elle-même, et réfléchit. S’il avait dû trouver une cachette, ne l’aurait-il pas cherchée derrière une chute d’eau? Mais la trombe d’eau était si intense qu’il ne pourrait jamais la traverser sans être assommé sur le coup.

Il ferma alors les yeux pour se concentrer : il s’agissait forcément d’Alcara, il en était certain, il le savait profondément, intuitivement, malgré l’absurdité de cette théorie, puisqu’elle était morte. Ou alors, c’était un symbole, un héritage qui les avait sauvés, en son souvenir. Quoi qu’il en soit, elle représentait le monde de la magie, celui des anciens temps, qui n’avait pas disparu. Pour la retrouver, il devait accepter ce monde, l’intégrer dans le sien, et participer à la magie à sa façon.

Il regarda de plus près la chute d’eau : sa couleur, sa transparence étaient irréelles, peut-être magiques aussi. Il pensa alors complètement différemment, et se dit :

“Cela a l’air d’une cascade, sans en être une. C’est un passage.”

Et sans hésiter, il avança directement sous la chute d’eau avec Pied-de-Feu, comme s’il ne faisait que passer sous un arche.

Alors, comme il l’avait pressenti, rien ne se passa : il ne fut pas assommé par le poids de l’eau, et ne fut même pas mouillé. La cascade était bien une illusion.

Par contre, il avait perdu son armure, son épée et son casque. Il était sans arme ni défense, et comme lavé, purifié du monde réel, pour entrer dans un autre monde. 

 

Chapter 51: La Dernière Épreuve

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La Dernière Épreuve

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Éomer avait conscience d’être dans une caverne humide, mais une fois sorti de l’autre côté, par une petite cavité rocheuse, il ne reconnut plus les lieux. 

Il se trouvait dans un espace indéterminé. Il était entouré d’une brume grise et épaisse, et il voyait à peine le sol herbeux sous ses pieds. Incapable de se situer ou de savoir dans quelle direction avancer, il ne pouvait compter que sur la présence de Pied-de-Feu près de lui. 

Mais c’est alors que son fidèle cheval, comme pris de panique, se cabra d’un seul coup et courut dans la brume et l’obscurité. “Pied-de-Feu!!” cria Éomer autant qu’il put, et il le siffla autant que possible pour le rappeler, mais le son fut étouffé dans la brume, et il ne put pas poursuivre longtemps son destrier, car il fut lui-même désorienté et chuta sur le sol qu’il voyait à peine.

A présent seul et sans armes, il commençait à s’inquiéter de ce qui pouvait arriver. Il se savait dans un autre monde, loin du monde réel, mais il savait aussi que des épreuves pouvaient l’attendre, peut-être bénéfiques, peut-être maléfiques.

Il vit alors une silhouette basse rôder autour de lui au loin. Le temps de l’apercevoir, elle avait disparu. 

Il se releva pour se tenir aux aguets. Il en aperçut alors une deuxième, puis une troisième : peu à peu, se tournant vers les unes ou les autres, il crut pouvoir les identifier. 

Au bout de quelques minutes, il n’eut plus de doute quand il vit les quatre silhouettes s’approcher.

Des loups.

Éomer ne fit plus un geste, les laissant venir à lui, quitte à se battre à mains nues s’il le fallait. Il redoutait qu’ils l’encerclent et veuillent l’attaquer à tour de rôle.

Mais au lieu de cela, ils restèrent calmes et silencieux, comme s’ils le jaugeaient de loin. Et finalement, ils se regroupèrent devant lui, comme pour se mettre d’accord et partir ensemble, et ils se retournèrent vers lui à plusieurs reprises, l’invitant à les suivre.

Éomer était perplexe, mais au milieu de cette brume épaisse, perdu et solitaire, il n’avait pas d’autre choix que d'emboîter leurs pas.

Il les suivit lentement, prudemment, à travers la brume qui n’en finissait pas et recouvrait tout. Finalement, les quatre loups ralentirent et se divisèrent en deux groupes : ils arrivèrent autour d’un cinquième loup allongé au sol, et regardèrent à nouveau Éomer, comme s’ils attendaient une action de sa part.

Éomer s’approcha lentement du loup allongé : en le regardant de plus près, il put distinguer alors qu’il avait la patte prise dans un piège à loups. Sa patte semblait saigner abondamment.

Il comprit alors une chose : les loups ne lui voulaient aucun mal mais avaient simplement besoin de son aide. Il se rappela alors une autre situation : Alcara, la première fois qu’il l’avait rencontrée. Entourée de l’éored, qui l’avait arrêtée et sommée de les suivre. Prisonnière.

Pourtant, elle avait tout de même guéri Pied-de-Feu de sa blessure. Pour gagner la confiance des loups, Éomer devait, d’une certaine façon, les aider à son tour.

Il décida alors de déchirer sa manche et se pencha vers le loup, craintif et qui cherchait à s’échapper, alors que ses compagnons l’observaient avec curiosité. Éomer s’accroupit près de sa patte, et avec sa manche, parvint à enrouler la patte blessée, tout en appuyant avec un pied pour ouvrir le piège. Le loup, vite libéré, s’enfuit alors dans la brume avec ses compagnons, la patte enroulée dans son pansement, laissant de nouveau Éomer seul.

Ce dernier soupira: il espérait avoir correctement rempli sa première épreuve, qui n’était pas si difficile. C’est alors que la brume se dissipa complètement, et laissa voir une forêt de pins, dense et obscure, dont le sol était recouvert de mousse, où poussaient un chemin précis de petites fleurs blanches, qu’il reconnut immédiatement. Rassuré, il suivit la voie tracée par les Simbelmynë et s’engouffra à travers les arbres.

Il ne sut combien de temps il marcha, sur une pente plus ou moins raide, qu’il gravit patiemment.

Pendant cette marche silencieuse, il réfléchit : la dernière fois qu’il avait vu Alcara, elle était à genoux devant lui, en pleurs, son épée dirigée vers elle…leur dispute avait été si violente. Comment allaient-ils se retrouver ? Était-ce possible de se revoir, de se parler, en se pardonnant le passé et en allant de l’avant ? 

Comment pourrait-il se faire pardonner son attitude envers elle?

Et alors qu’il se disait que réaliser des épreuves pouvait être l’occasion, après tout, de lui prouver sa valeur, soudain, il entendit une musique très douce, qui venait de nulle part. Il continua de suivre son chemin, et la musique devint de plus en plus proche. 

C’était une mélodie magnifique, à la fois douce et dansante, qui lui rappelait un peu les danses de son pays. Peu à peu, entre les arbres, il aperçut de nouvelles silhouettes : c’étaient des femmes qui dansaient dans la forêt, au rythme de la musique. Elles portaient des robes de soie bleue, des robes blanches, des robes traditionnelles de plusieurs royaumes. Blondes, brunes, rousses, elles faisaient voler les rubans de leurs cheveux et de leurs robes, en souriant, se mettaient tantôt en rondes, tantôt dansaient seules. Elles souriaient, emportées par la mélodie, et ne semblaient pas l’avoir vu.

Éomer, conscient que cela pouvait être une nouvelle épreuve, resta prudent et un peu en retrait. Mais une des femmes le vit, et s’approcha de lui avec grâce, suivie des autres. Elle avait un beau visage, une peau hâlée mise en valeur par sa tenue blanche aux liserés bleus, des yeux d’un bleu profond et des cheveux bruns qui lui tombaient à la taille. Son visage disait vaguement quelque chose à Éomer, mais il ne la reconnut pas immédiatement.

Éomer était déstabilisé, il se demandait ce qu’on attendait de lui dans cette nouvelle épreuve. Ou plus précisément ce qu'Alcara attendait de lui, car il était persuadé qu’elle créait toutes ces hallucinations pour l’éprouver d’une façon ou d’une autre.

- Les dieux nous ont créées, répondit la femme aux yeux bleus avec une voix douce, comme si elle avait lu dans ses pensées et voulait rétablir la vérité, ce qui inquiéta d’autant plus Éomer.

- Où est-elle? demanda Éomer à la femme, sous-entendant que son seul but était de retrouver Alcara, et il s’aperçut alors que son interlocutrice avait les oreilles pointues des elfes, comme les ancêtres des habitants de Belfalas.

- Danse d’abord avec nous, répondit une autre femme, rousse et aux yeux d’un vert flamboyant.

Éomer comprit qu’il devrait d’abord les affronter d’une façon ou d’une autre pour continuer.

En s’approchant d’elles, il comprit alors ce qui le perturbait dans leurs visages : elles avaient toutes le même. Blondes, brunes, rousses, elles avaient toutes les mêmes traits, qui étaient ceux d'Alcara. La même forme de visage, de nez, les mêmes yeux en amande…

Éomer était encore sous le coup de l’étonnement, quand les femmes l’entourèrent et commencèrent à danser avec lui à tour de rôle, ce qui continua de l’étourdir. Il comprit alors ce qu’il devait faire : reconnaître la “vraie” parmi elles. Il sentait bien qu’il ne suffirait pas d’identifier une femme brune aux yeux noirs, et d’ailleurs aucune d’entre elles ne l’était. Il faudrait autre chose…

Il chercha discrètement à observer leurs éventuels pendentifs, ou un autre signe distinctif sur elles. Mais elles l’entrainèrent dans des danses tourbillonnantes pour lui faire perdre ses repères.

Au bout d’un moment, sentant qu’il devait d’une façon ou d’une autre agir sur cette épreuve, il choisit de guider lui-même la danse, et s’arrêta d’un seul coup. Déstabilisées, elles s’arrêtèrent, et il décida de danser…la première danse qu’il avait dansée avec Alcara, celle du mariage de sa sœur Eowyn. Il alla même jusqu’à chercher s’il apercevait du gui dans les arbres.

Alors, certaines des femmes renoncèrent à danser avec lui peu à peu : une seule tint le rythme à ses côtés, et il s’approcha d’elle pour l’observer. Elle avait les yeux noirs d'Alcara, mais étrangement, elle avait des cheveux complètement blancs, et brillants à la lumière. Il retrouvait dans son regard à la fois gracieux et interrogateur, timide et attiré par lui, quelque chose de l’Alcara qui l’avait séduit. En lui prenant la taille pour une des rondes, il décida alors de la surprendre, et de s’approcher d’elle d’un coup pour observer derrière son oreille droite, là où elle avait été blessée par la flèche d’un Orque, autrefois à Fondcombe. Mais il ne trouva pas la cicatrice.

C’est alors que toutes les femmes disparurent comme de la fumée, comme des ombres, et il se retrouva de nouveau seul dans la forêt, ne sachant s’il avait eu la bonne réaction. Encore perdu, il commençait à se lasser de ces épreuves qui n’avaient pas de sens pour lui, mais il avait aussi conscience qu’il devait, au contraire, montrer sa détermination et sa ténacité pour continuer, car on l’observait, il en était certain. Il désirait plus que tout la retrouver, et si les dieux le mettaient à l’épreuve, il devait en être digne.

La forêt devint de plus en plus sombre, jusqu’à devenir plus noire que la nuit. Éomer respira lentement, patiemment, attendant un signe. Mais c’est une voix qu’il entendit, une voix grave, inquiétante, qu’il n’avait entendue qu’une fois :

“Je serai toujours là.”

Il se retourna vivement et fit face à Saroumane. 

Debout sous une lumière blanche et crue, tel un spectre, il portait sa grande robe blanche et prenait appui de ses deux mains sur son bâton magique, qu’il tenait devant lui. 

Par réflexe, Éomer voulut s’approcher de lui pour le saisir, pris de colère. Mais ses mains ne s’accrochèrent qu’à du vide : le magicien n’était d’une apparition.

Lorsqu’Éomer eut tenté de l’attraper, Saroumane poussa un rire grave et rauque : “Tu ne peux pas me battre”, déclara-t-il. Et Éomer répondit, en colère :

- Vous êtes mort ! Nous vous avons vu périr dans la Comté, et Gandalf a brisé votre bâton !

- Oui, je suis mort, confirma l’apparition de Saroumane. Et pourtant, j’exerce toujours mon influence et mon pouvoir.

Éomer resta silencieux, et réfléchit. L’apparition en profita pour continuer :

- Tu sais que j’ai raison. Tu l’as prouvé, quand tu as découvert...ma fille.

Après un nouveau silence d’Éomer, il ajouta :

- Rien ne pouvait faire obstacle à votre amour, n'est-ce-pas ? Sauf moi apparemment, malgré ma mort…car tu t’es souvenu de Grima, qui était à mon service, tu t’es souvenu de Théoden que j’avais réussi à ensorceler…et qui sait les autres méfaits dont je suis capable à l’avenir, à travers elle…

- Non ! rétorqua Éomer. Elle vous a détruit définitivement, elle a détruit la tour d’Orthanc, et tous vos anciens serviteurs ! Elle a…

Sous l’émotion, sa gorge se serra, mais il insista :

- Elle s’est sacrifiée pour nous. Et les dieux seuls savent comment elle a pu faire, mais…elle est revenue, et nous a encore sauvés face au Mordor.

- Comme c’est touchant, répondit ironiquement l’ombre de Saroumane. Et comme c’est pratique, d’avoir une magicienne à portée de main pour vous sauver la mise. Mais surtout, quel dommage que tu ne l’aies pas compris plus tôt, au lieu de la chasser de ton royaume, comme une vulgaire sorcière.

- Je regrette chaque jour de l’avoir fait, répondit Éomer, la gorge toujours nouée.

- Et pourtant, tu le referais si cela arrivait à nouveau, répondit Saroumane et son visage devint soudain plus menaçant encore envers lui.

- C’est faux ! se défendit Éomer avec force.

- C’est vrai ! cria Saroumane d’une voix tellement forte qu’elle en était irréelle. Tu as pris peur, et toutes tes certitudes se sont envolées quand tu as su qu’elle était la fille de Saroumane. Même de l’avoir aimée t’a paru suspect, tu as cru à un sortilège de sa part. Même de l’aimer ne te suffisait pas à dépasser tes craintes. Au fond, elle te fait peur, car elle représente un monde que tu ignores!

- J’ai manqué de courage, je le reconnais volontiers, répondit Éomer avec tout le calme dont il était capable. Et je sais diriger des Hommes, mais le monde de la magie m’est inconnu. Je n’ai pas vu tout ce que cela pourrait nous apporter. Mais je sais aussi que je suis là, aujourd’hui, et je compte bien traverser toutes les épreuves que les dieux voudront m’infliger, je m’y soumets. Si cela me permet de la retrouver.

- Qui te dit que tu la retrouveras ? demanda Saroumane d’une voix plus basse mais toujours aussi menaçante. Qui te dit qu’elle est vraiment celle qui vous a sauvés face au Mordor ? Qui te dit qu’elle n’est pas morte depuis longtemps ?

- Rien ne me le dit, ni personne, reconnut Éomer. Mais je le sais, j’en suis convaincu, au plus profond de mon être. Dès la première fois, quand je l’ai rencontrée et qu’elle s’est échappée, j’ai voulu la retrouver, et aller jusqu’au bout du monde, s’il le fallait. C’est encore le cas aujourd’hui. J’ai confiance. Et même s’il fallait aller la chercher aux enfers et la ramener avec moi, je le ferai.

- Ainsi soit-il, dit simplement Saroumane avec un sourire.

Et il disparut dans l’obscurité, laissant de nouveau Éomer seul face à lui-même.

Dans le noir, il médita sur ce que lui avait dit l’ombre de Saroumane, et il sentit que depuis le début, il ne se confrontait pas réellement à des épreuves contre des ennemis, mais finalement contre lui-même. 

Contre les dangers qu’il croyait voir, mais qui n’existaient pas ; contre ses propres peurs ; contre ses obstacles intérieurs.

Spontanément, il voulut voir son propre cœur dans l’obscurité, et voir s’il avait toujours la petite marque rouge sur sa poitrine. 

Depuis qu’il était revenu à la vie, il s’interrogeait sur le mal qui l’avait emporté alors. Avait-il vraiment succombé à son cœur brisé? Pourquoi avait-il vu Alcara en mourir elle aussi, au même moment, au point de pouvoir lui parler malgré la distance?

Et alors qu’il se posait ces questions, il vit effectivement une lueur chaude illuminer l’intérieur de sa poitrine, au point qu’il put voir avec effarement son propre coeur battre à travers sa peau, en voir les vaisseaux, les os de ses côtes, et les muscles adjacents. La lueur augmenta en intensité, et soudain il fut aveuglé et dut fermer les yeux.

Quand il les ralluma, la lueur avait disparu, mais il se trouvait de nouveau dans la forêt de sapins, tapissée de fleurs de Simbelmynë. Cette fois, une lueur pâle et triste, comme une aube pluvieuse, nimbait l'atmosphère.

Et en regardant autour de lui, il aperçut la silhouette d’un vieil homme, assis dos à lui sur un banc de pierre. Il s’approcha, et crut peu à peu le reconnaître : son allure, ses cheveux blancs, sa tenue de brocart…nul doute…

- Roi Théoden? demanda Éomer dans un souffle.

Le vieil homme se retourna, et confirma l’impression d’Éomer. Il avait devant lui Théoden, son oncle, ancien roi du Rohan, qui était mort dans les champs du Pelennor face au roi-sorcier d’Angmar, et lui avait cédé le trône. Éomer se tint devant lui, ému et ne sachant que faire. Théoden lui sourit doucement, avec mélancolie, et posa sa main sur le banc, pour inviter Éomer à s’asseoir à côté de lui. Ce dernier le fit immédiatement, ne pouvant lâcher son regard de son oncle, comme effrayé à l’idée qu’il disparaisse soudainement, comme une fumée.

- Oncle Théoden, lui dit Éomer, j’ai tant de questions à vous poser…

- Pose-les-moi, Éomer, lui répondit Théoden avec une voix paisible et le même sourire mélancolique, car les dieux m’ont accordé de te voir une dernière fois avant de retourner dans les ténèbres.

- À quoi cela ressemble-t-il? demanda Éomer, et Théoden comprit sa question.

- Tu le sais déjà, répondit simplement Théoden. Mais tu l’as oublié, et c’est bien ainsi. C’est un lieu où il n’y a rien : ni joie, ni douleur ; ni puissants, ni moins que rien ; ni Hommes, ni magie. Nous sommes tous égaux, et en paix, réunis dans la Grande Nuit.

Après un silence, où Éomer ressentit un frisson lui traverser l’échine un instant, il lui dit :

- Il est si difficile d’être roi…

Théoden le regarda à nouveau dans les yeux, sans changer d’expression, mais en l’écoutant toujours avec attention.

- Il faut toujours veiller sur les autres, continua Éomer, ne pas montrer la moindre faiblesse, les mener avec énergie et espoir… même lorsqu’on n’a plus en soi ni énergie, ni espoir. Et j’ai déjà fait tant d’erreurs, j’ai montré mes faiblesses, et mes égarements, et je ne sais pas comment les Rohirrim vont continuer à me soutenir…

- Éomer, lui répondit Théoden d’une voix douce, aimer n’est pas une faiblesse. Céder au doute, au désespoir parfois, par amour, n’a pas fait de toi un mauvais roi. Tu as conduit ton peuple à des batailles que tu as toujours gagnées, et même si tu les avais perdues, tu l’aurais fait avec honneur. Plus encore, celle que tu aimes a découvert un élixir si puissant que ton armée l’a caché même quand tu avais donné l’ordre de le détruire (Éomer sourit à cette remarque, car il se doutait que les Rohirrim préserveraient une potion si précieuse). Tu as toujours tout fait avec sincérité, et avec cœur, en pensant toujours au bien de ton peuple. C’est ce qui fait de toi un bon roi, et un bon Eorlingas.

- Mais se laisser aller à ses passions, à ses pulsions, n’a pas été une erreur ? se demanda Éomer.

- Tout dépend de ce que l’on défend avec passion, répondit paisiblement Théoden. Tu as une chance exceptionnelle : tu n’as jamais cherché le pouvoir. C’est mon fils, Théodred, qui devait régner. Le destin en a voulu autrement, et je suis heureux d’avoir pu te confier le Rohan. Tu aimes avec passion, Éomer, et c’est une bonne chose : tu aimes passionnément le Rohan, et tu aimes Alcara avec passion.

- Mais c’est si…fatigant, parfois, soupira Éomer. Il y a des moments heureux, très heureux, et des moments si douloureux, que cela en est insupportable.

- Mais ils valent la peine d’être vécus, tu ne crois pas ? répondit Théoden du même sourire tranquille. Aurais-tu préféré une vie de calme absolu, sans douleur, mais sans joie ? La vie est ainsi, Éomer : il te faut saisir à la fois le paradis et l’enfer qu’elle propose. Et ne laisse aucun regret sur ta route. Tu as une seconde chance, profites-en.

Éomer le regarda avec un sourire triste à son tour, sentant des larmes monter à ses yeux. Spontanément, il voulut prendre son oncle dans ses bras, mais il ne put saisir qu’une ombre indistincte, et il laissa ses larmes couler. Théoden, sans montrer d’autre émotion, répondit à son geste incomplet en tendant sa main fantômatique vers lui.

- Vous me manquez tant, mon oncle…dit Éomer entre ses larmes.

- Ne pleure pas, Éomer, répondit doucement Théoden. Il n’est plus temps de verser des larmes. Le destin ne te réserve plus de raisons de te lamenter. Va, et cours vers l’avenir. Je serai toujours là dans tes pensées, et un jour, le plus lointain possible, nous nous retrouverons.

Et à son tour, il disparut dans une fumée blanche, laissant Éomer seul sur le banc en pierre, verser encore quelques larmes. 

 

Chapter 52: Sous L’Arbre d’Eorl

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Sous L’Arbre d’Eorl

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

Enfin, le grand moment est arrivé 🙂 J'ai eu beaucoup de mal à trouver la bonne musique, c'est tellement émouvant pour moi 😭, mais vous pouvez écouter la chanson « Urd » dans ce magnifique album !

 

Les yeux baissés, il ne vit pas que devant lui, un nouveau chemin de Simbelmynë venait d’apparaître, s’enfonçant dans la forêt. Mais il entendit un hennissement, et releva la tête : pensant qu’il devait s’agir de Pied-de-Feu, il se leva et suivit la route de fleurs.

Elle dura assez longtemps, mais le sentier, au lieu de continuer à monter, était devenu plane et de plus en plus étroit. Finalement, Éomer n’eut plus qu’un petit arche de verdure à passer, puis une cavité entre deux grands rochers.

En la traversant, il vit devant lui une grande clairière parsemée d’innombrables Simbelmynë, et un arbre immense, majestueux, en son centre. En s’approchant, il toucha le tronc de l’arbre séculaire, et y repéra une plaque ancienne en bronze, tordue par le bois. Il reconnut alors les lieux, mais ignorait qu’il existait un autre chemin pour s’y rendre. Il prit le temps de lire la plaque à nouveau, celle qui parlait d’un roi et de sa femme, et de leurs destins liés dans l’éternité.

« Ils sont aussi enterrés là, tu sais? »

Il se retourna vivement en entendant une voix claire et douce, un peu tremblante sous le coup de l’émotion. Le cœur tambourinant dans sa poitrine, enfin, il la vit.

Elle était là, unique, vivante et réelle, ses cheveux bruns flottant au vent, ses grands yeux noirs teintés de douceur et de tristesse, le regard embué, la main tenant fermement le sceptre blanc surmonté d’un ovale, où flottait le diamant de son ancien pendentif, qui luisait doucement. 

Elle portait une grande robe blanche immaculée, et derrière elle se tenaient deux chevaux : Pied-de-Feu, et près de lui comme pour le protéger, le roi des Mearas, le grand cheval blanc des premiers temps du roi Eorl : Gripoil. 

D’apparence, elle avait à peine changé, semblant assumer toute la magie en elle. Elle était vraiment une magicienne, à présent. Et pourtant, ses yeux un peu craintifs, presque timides, révélaient encore ses failles d’autrefois, qui le touchaient tant depuis leur première rencontre.

C’est à Eorl qu’ils pensaient tous les deux, lui qui avait épousé l’amour de sa vie sous cet arbre, et s’y était fait enterrer aussi, faisant ainsi pousser des Simbelmynë partout autour d’eux. À Eorl, qui avait dompté le plus grand des chevaux, et dont l’arbre avait été le témoin de la première confession commune et cahotée de leur amour.

Éomer comprit tout cela, et resta silencieux en contemplant Alcara : peu de temps était passé, pourtant il était arrivé tant de choses pour les séparer…

Ils auraient pu parler sans s’arrêter, mais pour le moment, dans cet instant suspendu, où ils se revoyaient pour la première fois comme après des siècles, il ne put que répondre à ce qu’elle venait de lui dire.

“C’est pour cela qu’ont poussé des Simbelmynë, dit-il d’une même voix douce. Pour rappeler que des personnes sont enterrées ici, et qu’il ne faut pas les oublier.”

Alcara ne put que hocher la tête et approuver silencieusement. Il voyait bien qu’elle luttait comme lui face à tout ce qu’elle avait envie de lui avouer, mais craignait aussi l’afflux immense d’émotions que cela pourrait susciter. Il le sut, car elle se mordit la lèvre, comme avant, quand elle hésitait à parler.

Lentement, il s’approcha d’elle : il ne pouvait pas la quitter des yeux. Continuant en apparence à parler d’Eorl et de sa femme Lafelin, il ajouta : 

“Rien ne pouvait les séparer, et le destin n’a cessé de les lier l’un à l’autre.”

Elle non plus ne détachait pas ses yeux de lui, et ajouta comme pour compléter ce qu’il disait, ne parlant déjà plus d’Eorl et de Lafelin : “Même la mort ne les a pas séparés.”

Et Éomer, spontanément, tira le col de sa tunique pour montrer à Alcara la petite tache rouge sur sa poitrine, là où son cœur l’avait fait périr : Alcara, à son tour, tira son col, et fit apparaître exactement la même marque sur elle.

Éomer retint une exclamation et sentit des larmes monter à sa gorge, qu’il repoussa en retroussant ses lèvres, comme pour retenir son soupir. Il avait trop pleuré, aujourd’hui. Et pourtant…

“Ce n’est donc pas un rêve… Tu es là”, put-il simplement dire avec une voix étranglée.

Et Alcara, par ces mots, entendit tout : leur douleur, leur crainte de ne jamais se revoir, la perception encore irréelle de se retrouver enfin, comme après des siècles d’épreuves et de recherches. Elle-même sentit les larmes couler une à une de ses yeux, comme pour répondre en silence, lui dire combien elle était désolée, combien elle l’aimait, et lui raconter absolument tout.

"Tu...Tu m'as tant manqué...", fut tout ce qu'elmer put murmurer, avant que des larmes ne coulent sur ses joues. 

Et dans un geste rapide, précipité, désespéré, elle jeta son bâton au sol et ils se prirent dans les bras, se serrant aussi fort qu’ils le pouvaient, comme deux naufragés flottant sur les eaux, qui n’auraient que l’autre auprès d’eux pour se sauver des profondeurs ténébreuses du destin.

Éomer la serra le plus fort possible, comme autrefois avant de partir à la guerre, comme quand elle était comme un oiseau prêt à s’envoler. Il avait encore peur de se réveiller au matin, et de s’apercevoir qu’il était encore dans un rêve, lui qui avait été tant entouré par les ombres.

Ils respirèrent l’odeur, la peau, la chaleur de l’autre, comme s’il s’agissait du seul air disponible sur la terre, comme un besoin nécessaire de se sentir vivants. Au milieu de ce lieu sacré, d’histoire, d’amour et de mort, enfin, ils avaient surmonté tous les obstacles.

Malgré l'imminence de l'hiver, une nuit douce tomba peu à peu sur eux. Une lune pleine et laiteuse se leva doucement, éclairant l’arbre d’une lumière tamisée, et les Simbelmynë semblaient autant de lucioles sur l’herbe abondante. 

Comme des amants secrets qui n’auraient que quelques instants avant de se dire adieu à tout jamais, leurs gestes étaient rapides, impatients, encore maladroits, mais remplis de toute la sincérité et de toute la passion qui les avaient toujours habités. Le temps des explications, des récits viendrait après : pour le moment, il fallait saisir, toucher la présence de l’autre, pour s’en persuader, pour se rassurer.

Leurs baisers retrouvèrent leurs repères, et Alcara comprit qu’elle renouait réellement avec tous ses souvenirs, au contact des lèvres chaudes d’Éomer, de ses baisers passionnés où leurs langues se mêlèrent spontanément, sentant la douceur de sa peau, de sa barbe, la puissance de ses bras, sa respiration rapide, le goût salé de ses larmes. 

Ils s’allongèrent doucement sur le sol, entourés de l’herbe bleuie par la nuit. Éomer voulait retrouver la réalité de son corps, comme pour abolir les malheurs passés et revenir à cette journée de neige, il n’y avait pas si longtemps, à Edoras. Alcara semblait partager le même désir, sa respiration était plus rapide également, ses gestes plus intenses et plus précis. Ils parcoururent le corps de l’autre à travers les tissus, et n’attendant plus que de partager la chaleur de leurs peaux, ils ôtèrent peu à peu leurs vêtements, à la fois avec impatience et en profitant de chaque étape avec lenteur, comme pour retrouver des souvenirs et éprouver concrètement leurs retrouvailles.

Ils furent bientôt nus l’un à côté de l’autre sur l’herbe tendre et tiède, et Alcara, sans hésiter, se positionna sur lui, grande et fière dans la nuit, sa peau encore plus blanche dans la clarté pâle de la lune. 

Éomer ne pouvait cesser de la caresser, oscillant encore entre le rêve et la réalité, mais quand il l’entendit, il fut enfin persuadé que ce n’était pas un rêve : “Dis mon nom, mon amour, dit-elle avec fermeté, je veux t’entendre. Et regarde-moi.”

Il ne put s’empêcher de sourire, retrouvant leurs échanges amoureux, et il répondit : “Ma Dagilin, je vais dire ton nom, et tu diras le mien.”

Elle sourit à son tour et l’embrassa à nouveau, avant de saisir elle-même son membre à présent dur et prêt, et le faire pénétrer en elle dans un soupir de plaisir. Les yeux dans les yeux, dans les contours indéfinis de la nuit, elle ondula sur lui de plus en plus rapidement, et de nouveau, il exprimèrent en toute liberté, dans la force de leur passion, leur désir pour l’autre, entretenant leur plaisir commun, jusqu’à atteindre ensemble le sommet de leur volupté. 

A chaque mouvement, à chaque soupir, des vagues de fleurs multicolores, innombrables, naissaient en vagues successives autour d’eux, et bientôt il furent entourés d’une haute végétation fleurie, mêlant les saisons et les espèces. Enfin, à l’unisson, leurs cris partirent jusqu’au ciel étoilé, partageant leurs deux noms dans la nuit.

Alcara s’allongea alors sur lui, mais Éomer la garda contre lui, dans ses bras et en elle, dans la douceur de l’air d’été, et l’embrassa longuement, lui caressant les cheveux et le dos. Il se retourna et s’allongea sur elle, et recommença très doucement des mouvements d’avant en arrière, en lui embrassant le visage, le cou, les lèvres, en parcourant de ses mains les courbes de son corps. Alcara, les jambes toujours serrées autour de lui, répondait tout aussi fort, comme si leur passion remplaçait le langage et qu’ils pouvaient se comprendre en pensée. 

De nouveau, ils unirent leur plaisir peu à peu, trouvant ensemble un rythme commun, encouragés par les soupirs, les gémissements, les cris de plaisir de l’autre. Aucune fatigue ne les atteignit, encore moins de lassitude. Ils avaient si soif de l’autre, de sa peau, de son corps retrouvé, de l’inimaginable enfin réalisé, qu’ils étaient prêts à rester ainsi, unis l’un à l’autre, indéfiniment.

Quelques heures plus tard, Éomer ouvrit un œil, en sentant la douce lumière de l’aube qui commençait à naître à travers les grandes tiges des fleurs qui étaient apparues par magie et qui entouraient leur lit, comme un nid naturel. Après quelques heures, ils s’étaient endormis l’un contre l’autre, ayant remis leurs vêtements pour ne pas avoir froid. Il se disait qu’il avait connu peu de nuits d'hiver aussi peu froides dans le Rohan. 

Alcara, qui s’était réveillée un peu avant lui, lui chuchota comme pour lui répondre, faisant allusion à sa nouvelle maîtrise de ses pouvoirs magiques : “J’ai fait en sorte que nous n’ayons pas froid cette nuit.”

Il lui sourit, et lui dit en lui caressant le dos :

- Je ne savais pas que tu lisais dans les pensées, à présent.

- Ce n’est pas le cas, répondit-elle en souriant, mais je voulais te recevoir comme il se doit.

- Et c’est parfaitement réussi, remarqua-t-il en se penchant vers elle, pour déposer un léger baiser sur ses lèvres.

Ils s’assirent en s’appuyant sur le tronc de l’arbre d’Eorl, Éomer prenant Alcara dans ses bras. Elle s’y blottit et leva la tête pour l’observer. Ils se regardèrent en silence, et Éomer ajouta, en lui caressant la joue :

- Je suis heureux de me réveiller, et de te voir toujours à mes côtés.

- Nous ferons en sorte que cela arrive tous les matins, à présent, assura-t-elle en lui rendant sa caresse sur sa barbe douce et blonde.

Et fronçant un peu les sourcils, réfléchissant à présent à tous les événements passés, Éomer commença à demander :

- Comment…?

Et Alcara lui raconta, le plus exactement possible, tout ce qui était arrivé depuis son départ d’Edoras : son arrivée à Orthanc, son plan pour acquérir la confiance des Orques, l’explosion de la tour, et son retour à la vie miraculeux, sous réserve qu’elle remplisse la mission confiée par les dieux de construire et non plus de détruire. 

Son arrivée en Ithilien, sans mémoire et sans souvenirs… mais elle tut ses retrouvailles avec Legolas : c’était sa propre histoire, et non celle d’Éomer, et elle ne voulait pas le faire souffrir inutilement avec des détails qui dataient déjà d’un autre temps. Elle avait dit adieu à Legolas, définitivement, et il partirait bientôt vers les Terres de l’Ouest. 

Éomer, en entendant cette partie, comprit assez facilement ce qu’il en avait été : il avait toujours soupçonné qu’ils avaient été amoureux jadis, et la Lothiriel qui était revenue à la vie était en quelque sorte une version d’autrefois d'Alcara. 

Elle lui raconta ensuite la biche envoyée pour la guider vers lui, et le reflux soudain de tous ses souvenirs le concernant.

- Quand je me suis souvenue de toi, expliqua Alcara avec un serrement dans sa gorge, je me suis rappelée à quel point je t’aimais encore. Il n’y avait plus de raison pour moi de rester en Ithilien. Je devais te retrouver, coûte que coûte, le plus vite possible. Je suis désolée…

Mais Éomer mit sa main sur sa bouche, et lui dit :

- Ne t’excuse pas. Ne me demande pas pardon. Nous avons dépassé le pardon, et les promesses. Tout ce qui compte à présent, est que nous soyons ici tous les deux, maintenant.

- Mais je t’ai causé bien des tourments…continua Alcara.

- C’est vrai, dit en riant Éomer, mais j’en ai moi aussi toute ma part. Je te propose de laisser tout cela derrière nous, Dagilin.

Alcara hocha la tête, et déposa un baiser sur sa main, faisant sourire Éomer, qui la retira de sa bouche.

- Il y a une chose que je ne comprends pas, demanda Éomer. Si les dieux t’avaient confié de construire et de ne pas détruire, pourquoi es-tu venue nous sauver ?

- En réalité, je leur ai désobéi, avoua Alcara. Ils n’ont pas apprécié, mais je n’avais pas le choix. Je ne pouvais pas rester sans rien faire, et te laisser combattre, voire prendre le risque de mourir, en ignorant que j’étais revenue. Gandalf était d’accord, puisque c’est lui, à travers Gripoil, qui m’a conduite auprès de toi.

- Je croyais que Gripoil avait suivi Gandalf vers les Terres de l’Ouest? demanda Éomer.

- Je le croyais aussi, confirma Alcara, mais je pense qu’il a finalement trouvé que Gripoil serait encore très utile parmi nous.

- Le temps où l’on enterrait les chevaux avec leurs maîtres est révolu, déclara Éomer. Comment as-tu fait pour que les dieux acceptent que tu viennes nous sauver ?

- Nous avons trouvé un compromis, dit seulement Alcara. C’est pour cela qu’ils t’ont imposé toutes ces étapes avant de me retrouver. Ils avaient besoin de mieux te connaître pour accepter qu’une magicienne puisse aimer un Homme. Je ne pouvais pas intervenir, j’ai simplement pu semer des indices sur ta route.

- Alors, tu as vu les épreuves qu’ils m’ont fait passer ? demanda Éomer.

- Non, avoua Alcara, c’est entre toi et les dieux. Tu m’en parleras seulement si tu penses que c’est nécessaire.

- Je pense que ce n’était pas une si mauvaise idée de leur part, observa Éomer. J’ai compris plus de choses sur moi-même. Gandalf, à plusieurs reprises, avait évoqué tous ces sujets avec moi, quand il venait dans le Rohan. Mais je n’avais pas réalisé les limites que je m’imposais à moi-même, et dont je peux me libérer aujourd’hui.

- Alors j’en suis heureuse moi aussi, répondit Alcara en souriant.

Elle se releva, et Éomer l’imita. Il se dirigea vers Gripoil pour le caresser, et l’animal le regarda dans les yeux comme un Homme qui aurait tout compris de ses gestes et de ses paroles, et Éomer en fut impressionné. Alcara sourit, et lui dit :

- Je pense qu’il a reconnu le descendant d’Eorl.

- Tu crois? dit en souriant Éomer. Il semble si…

- Royal ? compléta Alcara en riant. En effet, vous êtes plutôt assortis. Il est temps que le roi des Mearas rejoigne à nouveau les rois du Rohan.

Éomer se tourna vers elle, étonné.

- Tu veux dire que…?

- Qu’il sera mon cadeau de mariage pour toi, si tu l’acceptes.

Et Éomer, la regardant empli de joie, lui prit le visage entre les mains pour l’embrasser tendrement.

- Cependant, j’en aurai encore un peu besoin, je pourrai te l’offrir le jour venu, ajouta Alcara.

- Cela me convient tout à fait, je ne veux pas que Pied-de-Feu soit jaloux, plaisanta Éomer.

Alors qu’il se dirigeait vers Pied-de-Feu, il vit au sol son armure et son épée, intactes et immaculées, comme si elles n’avaient jamais servi. Il se tourna vers Alcara qui lui sourit, sous-entendant que les dieux avaient aussi des surprises à leur réserver. 

Il s’approcha d’elle et lui dit :

- Nous rentrons?

Elle le regarda, et son sourire s’effaça un peu. Éomer s’inquiéta, et lui demanda :

- Ne me dis pas que tu ne rentres pas à Edoras avec moi…

- Je ne peux pas rentrer tout de suite, je dois régler certaines choses dans le Sud.

Il ne répondit rien, s’empêchant intérieurement d’avoir les mêmes réflexes sanguins qu’autrefois. Il se retint notamment de demander si elle allait revoir Legolas…mais il savait qu’il pouvait lui faire confiance.

- Ne t’inquiète pas, ajouta-t-elle en déposant un baiser sur ses lèvres. Attends-moi le matin de l’équinoxe de printemps. Je serai là. Et nous pourrons nous unir, enfin, face au monde entier.

Éomer sourit et l’embrassa longuement, passionnément. L'équinoxe avait lieu dans une saison, et il comprit qu’ils pourraient enfin se marier et tourner la page.

 

Chapter 53: Le Retour

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Le Retour

 

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Nul ne sait exactement ce qu’Alcara était partie organiser pendant plusieurs mois. 

Mais pour sa part, Éomer eut beaucoup à faire. Il rentra le plus vite possible à Edoras, où il retrouva ses maréchaux et sa cour, qui avaient de très nombreuses questions. Il s’y était préparé, et leur répondit le plus clairement et succinctement possible. Lui-même découvrit la joie et l’enthousiasme qui avaient suivi l’étonnement collectif, après une victoire aussi incroyable et aussi totale face aux ennemis du Mordor.

Il envoya immédiatement des messagers partout sur la Terre du Milieu, pour prévenir les autres royaumes et toute la Communauté de l’Anneau restante. Puis il missionna tout Edoras, pour préparer le plus beau mariage que la Terre ait jamais vu. Tout le royaume, et même les royaumes voisins, préparèrent l’événement : des fêtes de villes et de villages furent organisées partout, des chemins de fleurs, des festins étaient prévus, de Belfalas à la Comté. On n’avait pas vu d'événement aussi festif depuis le couronnement d’Aragorn.

Un mois après, l’équinoxe de printemps était là. Éomer sentit son arrivée, il fut sûr qu’Alcara allait revenir, car il y eut des signes avant-coureurs.

Le premier fut le plus subtil : alors que la neige avait à peine fini de fondre, les landes se couvrirent de fleurs, roses et bleues. De mémoire d’homme, jamais encore elles n’avaient poussé si tôt dans l’année.

D'autres signes surgirent dans les paysages du Rohan : d’abord au Sud, puis au Nord du royaume, de nouveaux arbres apparurent le long des rivières et des chemins qui menaient autrefois les soldats à la guerre. Ils poussèrent un beau matin, déjà grands et adultes, les feuilles déjà vertes, et les habitants assurèrent qu’ils n’étaient pas là la veille au soir.

Enfin, la veille de l’équinoxe, il n’y eut plus aucun doute : partout dans Edoras, entourée d’herbes vertes et tendres, des oiseaux apparurent, les hirondelles les premières, chantant tous les matins sur les toits des maisons et dans les arbres des places et des rues. La ville semblait s’être rendue à la nature, apportant une atmosphère paisible et joyeuse aux Rohirrim.

Ce fut le soir de la veille de l’équinoxe que la pluie de fleurs blanches apparut : ceux qui avaient vécu la bataille du Mordor assurèrent que c’était ainsi que la victoire avait commencé. Pour fêter celle qui les avait sauvés, les habitants cueillirent les petits Symbelmynë et en firent de grandes guirlandes, qu’ils accrochèrent d’une fenêtre à l’autre pour créer un chemin de bienvenue à leur future reine.

Le jour venu, Éomer, déjà prêt avant l’aube, avait revêtu une tenue entièrement blanche et dorée, y compris les armes du Rohan qu’il arborait sur sa poitrine. Ainsi vêtu, il ressemblait à un lion blanc, imposant mais calme et heureux.

Il observait, par la fenêtre de sa chambre, le soleil poindre à l’horizon et se lever peu à peu dans le ciel, attendant impatiemment depuis des mois. Il espérait et redoutait à la fois ce moment, il y avait eu tant de mauvaises surprises sur leur route…

A ce moment, Eowyn toqua à sa porte et entra. Elle avait été parmi les premières, avec Faramir et leur fils, à accourir pour retrouver son frère, qui leur avait annoncé qu’Alcara était vivante, et cette bonne nouvelle les avait tous bouleversés de joie et d’espoir. Depuis, la soeur d'Éomer avait été très présente pour que tout soit prêt et parfait pour son retour. En croisant son regard, les yeux pétillants, elle lui dit :

“Éomer, les invités arrivent !”

Ils montèrent les marches aussi vite que possible, se tenant la main, comme autrefois quand, enfants, ils couraient et jouaient dans les couloirs de Meduseld.

En arrivant devant la grande porte du palais, Éomer remarqua d’abord, en contrebas de la ville, le chemin de guirlandes de fleurs blanches, et les habitants, tous vêtus de blanc, qui avaient préparé spécialement leurs tenues pendant les mois d’hiver, et attendaient impatiemment l’arrivée des convives prestigieux.

Il salua Faramir et son jeune fils, qui sautillait déjà de joie et d'impatience, et il vit arriver les cortèges de ses amis Hobbits, Merry et Pippin, mais aussi Sam et son épouse Rosie et leurs enfants ; puis derrière eux, Aragorn, Arwen et leur fils arrivèrent dans un grand cortège majestueux avec une cour nombreuse, où Éomer reconnut et salua chaleureusement la famille de paysans qui l’avait secouru, et à qui il avait fait envoyer des habits de fête. Même la petite Izaelle avait fait le déplacement, impressionnée et heureuse.

Les invitèrent traversèrent les rues magnifiquement décorées, comme jamais elles ne l’avaient été : les Hommes, les chevaux étaient tout autant parés, coiffés et heureux, comme pour le plus grand événement de leur vie, celui d’une paix définitive et retrouvée, et semblaient vouloir tous être à la hauteur pour accueillir celle qui les avait sauvés. Les arbres eux-mêmes étaient couverts de guirlandes de fleurs, et la foule des Rohirrim, à cheval et à pied, portaient tous des fleurs à la main et acclamèrent les invités.

Ces derniers furent accueillis avec chaleur par Éomer, à la fois heureux de la fin de la guerre, du retour d’Alcara et du mariage à venir, même si la mariée se faisait encore attendre.

- Éomer, commença à dire Aragorn après qu’ils se soient salués comme de vieux amis, je dois te dire que…

- Legolas et Gimli ne viendront pas, je le sais, le coupa Éomer avec gravité.

- Oui, confirma Aragorn avec un air mélancolique, sans entrer dans les détails, car ils savaient tous deux qu’ils perdaient de valeureux guerriers, et des amis chers, avec leur départ. Je ne t’ai pas dit non plus…

- Que tu savais qu’Alcara était vivante, continua Éomer en souriant, mais qu’elle avait perdu la mémoire.

Aragorn, surpris, le regarda avec curiosité, et Éomer ajouta :

- Tu n’as pas à m’expliquer tout cela. Je comprends pourquoi tu n’avais pas pu me le dire. Et je te remercie, car tu as tout fait pour m’aider, pour me faire voir ce que je ne voyais pas. Je suis désolé de mon attitude…

- C’est oublié depuis longtemps, répondit Aragorn en souriant, comme soulagé, et en partageant avec lui une nouvelle accolade. Nous regardons vers l’avenir, aujourd’hui.

Et en se retournant, Aragorn et Éomer virent arriver un dernier cortège, bien après les autres : le groupe qui montait les marches était composé du prince Imrahil et de tous ses enfants et petits-enfants. A la fois curieux et un peu intimidés, car ils n’avaient jamais vu le Rohan auparavant, ils se présentèrent avec respect face à Éomer, qui les accueillit avec plaisir, retrouvant en eux des traits familiers qui lui rappelaient Alcara.

- Dame Lothiriel…Alcara, rectifia Imrahil, nous a conviés, roi Éomer.

- Et je suis très heureux de vous recevoir, confirma Éomer en serrant sa main avec force. Vous faites déjà partie de la famille, à présent.

Imrahil fut très heureux de sa réponse, et très honoré. Il présenta à Éomer tous ses enfants et petits-enfants, y compris sa fille qu’il avait envisagée de lui proposer pour épouse, mais qui s’était mariée depuis à un aristocrate de Belfalas ; et y compris son fils, qui s’était fait tristement remarquer lors du tournoi de Minas Tirith face à Alcara, et qu’Éomer reconnut, mais le jeune homme baissa la tête modestement, et Éomer en parut amusé. 

Ce dernier se souvint alors qu'il avait conservé dans son bureau la reconnaissance officielle d’Alcara par Imrahil, même si ce document paraissait dans l’instant bien dérisoire, mais serait l’une des archives qu’il resterait dans les siècles suivants, quand ils auraient tous disparu et que tout cela serait enfoui dans les profondeurs du passé.

Alors que tous étaient présents, on entendit alors sonner le cor de la sentinelle, en bas d’Edoras. Tous les invités, surpris, se tournèrent vers l’entrée de la ville, et la foule se tut, dans l'attente.

Le cœur d’Éomer s’accéléra…pourvu que tout se déroule bien…

Mais alors qu’on atteignait bientôt midi, un phénomène étonna tous les convives, et fit sourire Éomer d’une oreille à l’autre : des pétales blancs, venus de nulle part dans le ciel bleu et sans nuage, se mirent à pleuvoir partout sur la ville.

Imrahil et ses enfants n’avaient jamais vu ce prodige, écarquillant les yeux, et toute la foule applaudit et acclama spontanément vers le ciel, en riant. Les amis d’Alcara et ceux qui avaient vécu la bataille contre le Mordor se rappelèrent avec joie que cela avait été le premier signe de leur libération à tous.

Pendant que les pétales laissaient sur la ville un magnifique tapis blanc, sur lequel les enfants du Rohan jouèrent avec plaisir, une petite mélodie commença à se faire entendre, qui elle aussi, ne venait d’aucun musicien ni d’aucun instrument.

Éomer et tous les autres virent alors monter des rues d’Edoras la plus incroyable des processions. 

C’étaient des animaux sauvages qui ouvraient la voie : des cerfs et des biches principalement, mais on vit même des loups et des lions, des oiseaux et des rongeurs, qui suivaient calmement et dignement le cortège, comme les monarques d’un royaume plus grand encore que celui des Hommes. Des spectateurs s’exclamèrent alors en montrant le ciel, et ils virent de grands rapaces fendre le ciel et tournoyer à plusieurs reprises, faisant tomber des milliers de pétales de rose rouges sur la ville.

Après les animaux sauvages, on vit d’immenses boucs et boeufs, aux cornes dorées et à la toison abondante, tirer des chariots remplis jusqu’au bord de fleurs, de fruits et de céréales, des milliers de denrées magnifiques, comme autant de cornes d’abondance, annonçant les années fertiles que connaîtrait le Rohan pour longtemps encore. Tous les spectateurs étaient ébahis, et Éomer ne savait que dire devant ces prodiges, sinon qu’ils ressemblaient bien à une idée d’Alcara, qu’il était de plus en plus impatient de retrouver.

Et soudain, alors que tous les animaux s’alignaient tranquillement de part et d’autre des marches, on vit arriver un immense et magnifique cheval blanc, et tous s’émerveillèrent de voir, en personne, revenir le plus grand de tous les chevaux, le chef des Mearas : Gripoil.

Aragorn et Faramir eurent la même exclamation au même moment : “Impossible!”, et le roi des chevaux, sans hésiter, monta toutes les marches jusqu’à l’esplanade du palais, où il s’inclina spontanément face à Éomer et resta près de lui. Éomer, heureux de le retrouver, lui fit une révérence, lui caressa l’encolure et le remercia de sa présence. Montrant qu’il avait compris, Gripoil inclina à nouveau la tête, car il savait la langue des Hommes.

Et lorsque Gripoil se retourna, invitant les convives à regarder les marches, Éomer la vit enfin : recouverte d’un voile blanc en dentelle, infini, aux motifs elfiques identiques à ceux d'Arwen pour son mariage, et dont la traîne la suivit longtemps dans les rues d’Edoras, sur les pétales blancs des pavés, Alcara, connue aussi sous le nom de Lothiriel la Blanche, arriva.

À son passage, tous les Rohirrim, sans exception, l’applaudirent, l’acclamèrent, lancèrent des fleurs sur son passage, certains mêmes brandirent des élixirs des Invincibles. La foule, qui peu de temps auparavant aurait encore montré des doutes face à la fille de Saroumane, célébrait à présent sans hésitation celle qui avait sauvé la Terre du Milieu, et qui apportait la prospérité à leur royaume.

Elle portait son bâton magique à la main, et de l’autre se tenait au cheval sur lequel elle se trouvait : non pas Gripoil, mais Remèan, et Éomer se dit qu’il n’avait pas remarqué son absence dans les écuries. Le destrier portrait un poitrail brillant, recouvert de Simbelmynë, et des rênes et une selle en or.

Éomer le vit monter avec facilité les marches jusqu’au palais, et il s’avança, nerveux et empressé, pour aider Alcara à descendre de cheval.

Il la prit par la taille et la descendit de Remèan, sa tête toujours recouverte du grand voile de dentelle qui flottait au vent. Là, devant Meduseld, et face à tout le Rohan, Éomer, subjugué, mit un genou à terre pour l’accueillir, pour lui faire honneur, pour lui promettre de se soumettre à son amour.

Mais à la surprise de tous, Alcara découvrit son visage épanoui avec sa main libre, rappelant à Éomer son geste de découvrir son capuchon, lors de leur première rencontre, et elle mit elle aussi un genou à terre, face à lui. Éomer sourit, et ne fut pas étonné, car ils avaient toujours été à égalité dans leur passion, et faisaient ensemble le même serment.

Il prit alors délicatement son visage dans ses mains, et l’embrassa tendrement, déclenchant une nouvelle clameur immense autour d’eux, alors que les pétales de fleurs tombaient toujours du ciel avec abondance. Au milieu de cette pluie blanche et magique, seul lui put la voir sourire, et en le regardant, poser sa main sur son ventre. Il comprit, et crut que son cœur allait exploser de joie.

FIN

 

Musique de fin :

Voilà, cette histoire est maintenant terminée, et j'espère que vous avez apprécié ce voyage avec moi. C'était ma première fanfiction, et j'ai beaucoup d'autres idées que je partagerai bientôt avec vous 😭.

MAIS, si vous êtes désolés de quitter cette histoire, ne vous inquiétez pas, un épilogue arrive... 😉 

 

Chapter 54: Epilogue

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Epilogue

 

Musique à écouter sur ce chapitre :

 

Le désert s'étendait à perte de vue au Sud de la Terre du Milieu. Ici, point de salut pour ceux qui ignoraient les directions et les cartes, et ne connaissaient pas les oasis et les vallons rocheux, protégés de la chaleur écrasante et des vents qui fouettaient le visage avec violence.

Dans le campement, sous les tentes, Éomer et Alcara étaient assis en tailleur, côte à côte : Éomer en habit de cavalier, mais avec son épée posée à côté de lui, et Alcara, avec sa robe blanche de magicienne au-dessus de sa tenue de cavalière, et son bâton magique couché à côté d'elle. 

Ils buvaient un thé qui leur était offert, mais ne se leurraient pas sur la froideur de l'accueil qui leur était réservé. En effet, les Hommes du Sud avaient accepté de les recevoir et semblaient apprécier leur effort pour venir les voir, mais leur chef, un homme imposant, musclé et avec une longue barbe noire, n'avait pas oublié leurs heurts d'autrefois dans les champs du Pelennor, qui leur avaient coûté de nombreux oliphants valeureux.

Voulant étendre la paix le plus loin possible, Alcara avait insisté auprès d'Éomer pour mener cette délégation au Sud, pendant qu'Aragorn, qui était d'accord sur ce projet indispensable, faisait le même trajet avec Arwen à l'Est. Éomer avait accepté du bout des lèvres, mais avait rappelé à chaque étape pénible du voyage, de la traversée en mer au long périple dans les dunes désertiques, que cela n'était pas son idée et qu'il détestait devoir faire cela, loin du climat familier des landes du Rohan.

À présent, il se sentait aux aguets, et ne voulait pas se retrouver piégé par d'anciens ennemis, ou abandonné sans eau ni nourriture au milieu de rien. Mais Alcara, qui ne cessait de l'exhorter à lui faire confiance, restait impassible, et souriante.

Pour rompre le silence, elle s'adressa au chef des Hommes du Sud, et lui dit :

- Nous apprécions votre accueil, digne des plus grands rois, Alandmir.

Elle avait prononcé son titre sans accent, dans sa langue, car les dieux lui avaient donné de pouvoir parler tous les langages du monde. Le chef, impressionné sans le montrer, inclina légèrement la tête, et lui répondit :

- L'hospitalité est un devoir sacré pour nous, Reine Lothiriel du Rohan. Nous vivons sur des terres difficiles et arides, mais nous tenions à vous accueillir comme il se doit. Néanmoins...

Et il se tourna vers Éomer, qui commençait à se tenir difficilement en tailleur, ayant l'habitude de s'asseoir sur une chaise. Alcara le regarda comme pour lui dire d'arrêter de s'agiter, mais elle le savait têtu et peu enclin à vouloir s'adapter à d'anciens ennemis.

Le chef le regarda de la tête aux pieds, et ajouta :

- Je ne comprends pas ce que nous apporterait un traité de paix avec vous, roi Éomer du Rohan, continua-t-il dans la langue commune. Nous n'avons jamais reçu réparation pour la perte de nos oliphants, qui sont notre bien le plus précieux.

- En tant qu'envahisseurs, vous connaissez les règles de la guerre, répondit Éomer avec un soupçon d'impatience dans la voix, sentant ses jambes s'engourdir sérieusement. Cela fait partie des risques, et votre commanditaire, Sauron, a été détruit, cela rend les réparations difficiles à envisager...

Alcara s'éclaircit la gorge bruyamment, comme pour le couper, et le chef face à eux le regarda de haut en bas, visiblement agacé. Ils marchaient sur des charbons ardents, à présent...

- Je veux bien négocier la paix, rétorqua-t-il, mais nous n'aurons pas de contrepartie, si je comprends bien ?

- Nous pouvons trouver des accords commerciaux, enchaîna Alcara. Nous pouvons échanger les vivres qui vous feraient défaut, par exemple, et vous...

Mais elle hésita un instant, faisant soupirer le chef face à elle : décidément, elle aurait dû mieux préparer sa négociation. Éomer la regarda du coin de l'œil, comme pour dire : "Je te l'avais dit!"

- Et nous vous donnerons du sable du désert en échange ? ironisa le chef, faisant rire ses soldats postés derrière lui, avec leurs sabres et leurs poignards à la ceinture. Nous avons nous aussi des richesses, figurez-vous : nous ne sommes pas des voleurs.

- Loin de nous l'idée de le croire, confirma Éomer un peu trop fort. Mais nous avons tous intérêt à rester dans la paix : nous avons trop à perdre à faire la guerre. Vous avez perdu des Hommes, et nous aussi. Il est peut-être temps de passer tous ensemble à une nouvelle ère, ne pensez-vous pas ?

- Je partage votre opinion, répondit prudemment le chef. Mais rien ne m'assure que vous tiendrez vos promesses...

- Ni vous les vôtres, rétorqua Éomer un peu trop vite, et Alcara aurait voulu le faire taire, mais le coup était parti.

Un lourd silence s'installa alors. Plus personne ne semblait prêt à faire un pas.

- Mais on dit d'autres choses sur vos richesses, reprit le chef avec lenteur, en caressant sa barbe. On dit...que vous possédez un élixir miraculeux, qui rend vos hommes invincibles. Sitôt tombés, ils se relèvent...

Éomer et Alcara échangèrent un regard rapide. Il n'était pas envisageable de révéler un tel secret, même si les ennemis n'avaient pas été aveugles, et avaient bien vu qu'aucune perte n'était à déplorer aux dernières batailles de la Terre du Milieu.

- Je n'ai pas eu vent de cette rumeur, répondit Éomer pour fermer la discussion.

- Quel dommage, répondit le chef avec un ton plus menaçant. Si nous avions pu ressusciter des oliphants, nous n'aurions plus rien à vous reprocher.

Les oliphants semblaient plus importants que la vie des ses hommes, et Alcara se sentit frémir à l'idée de leur potentielle cruauté.

- Nous vous proposerons l'hospitalité, déclara le chef, si vous nous en dites plus. Sinon, vous n'avez plus qu'à partir.

Mais la nuit n'allait pas tarder à tomber au-dehors, il n'était pas envisageable de repartir dans le vent et la tempête, quitte à mourir de froid et de soif.

- Alandmir, répondit Alcara, je ne pense pas...

- Je m'adresse au roi Éomer, la coupa le chef, retrouvant son ton méfiant habituel. Ici, les femmes se taisent, et ne sont pas présentes pour ce genre de discussion.

Éomer, contre toute attente, se mit à rire, ce qui étonna le chef, qui se tourna vers lui.

- Ah, mon ami, répondit Éomer en riant encore un peu, je pense que c'était une mauvaise idée de dire cela...

Et en effet, Éomer se tourna vers son épouse, qui avait complètement changé d'attitude. Ses cheveux, auparavant bruns, blanchissaient à vue d'oeil, et son regard devint soudain noir et effrayant. Elle fixait le chef avec une colère immense, et avait attrapé de ses deux mains son bâton magique, qui luisait à présent très fortement.

Autour d'eux, la tempête sembla encore plus forte, et des coups de tonnerre se firent entendre. Un mugissement menaçant les entoura, et les hommes de l'Alandmir commencèrent à paniquer autour de lui. Lui-même, stupéfait de la transformation d'Alcara, avait pris son sabre en main, mais il ne savait vers quoi le diriger, entendant tout autour de la tente des bruits de plus en plus proches et sinistres.

- Ne t'adresse pas à une magicienne en la sous-estimant, Alandmir, dit-elle avec une voix complètement différente, qui résonnait en écho autour d'eux et avait décuplé de volume.

Elle parlait de nouveau dans sa langue, l'intimidant d'autant plus, et sa voix résonna comme l'apparition d'un dieu.

Mais alors que les mugissements semblaient encercler la tente, et faire venir soudain la nuit au milieu du jour, tout s'arrêta d'un seul coup, au moment où un petit garçon blond entra en courant dans la tente, comme s'il n'avait pas entendu le sort magique, et comme s'il voulait venir jouer.

L'enfant accourut joyeusement et se dirigea vers Éomer et Alcara, suivi d'un autre petit garçon très brun, à la peau matte, qui semblait avoir le même âge, et plusieurs autres garçons et filles plus jeunes derrière eux, qui les suivaient en riant.

- Mère, Père ! s'écria l'enfant blond en rohirrique, venez voir, c'est incroyable !

- Elfwine! s'exclama Éomer, en prenant le ton ferme d'un père. Tu avais interdiction de t'éloigner des Rohirrim !

- Je sais, Père, répondit l'enfant, qui sembla un peu honteux, mais enlaça le cou de son père comme pour se faire pardonner. Mais ils ont un laboratoire de guérisseur, ici aussi !

- Vraiment ? demanda Alcara, qui d'un seul coup, retrouva ses cheveux bruns, et dont le bâton perdit soudain sa lueur puissante.

Les mugissements s'arrêtèrent au même moment, et les enfants ne semblaient pas les avoir remarqués, comme si le sortilège n'avait été qu'une hallucination collective.

Un homme, très brun, avec une fine barbichette et une longue robe d'un violet sombre, entra précipitamment dans la tente, et s'inclina devant le chef, qui lui dit rapidement quelque chose. L'homme à la barbichette déclara alors à Éomer et Alcara, en s'inclinant de nouveau :

- Mille excuses, Majestés, dit l'homme en langue commune, sans aucun accent. Ces enfants risquaient de toucher des produits dangereux dans mon laboratoire...

- Vous faites de la chimie, dans un laboratoire ? demanda Alcara, soudain très intéressée.

- Ce n'est pas exactement de la chimie, Majesté, répondit modestement l'homme. Plutôt de l'alchimie.

Après un silence, où Éomer eut l'air perplexe, mais Alcara de plus en plus curieuse, cette dernière se tourna vers le chef, en lui disant :

- Dans ce cas, nous avons beaucoup plus de choses à nous dire que nous ne le pensions.

Le chef, en regardant son guérisseur alchimiste, puis la famille du Rohan qui se trouvait devant lui, à côté de ses propres enfants, réfléchit rapidement à plusieurs choses : tout d'abord, qu'il ne valait mieux pas fâcher la reine, qui se révélait être une magicienne puissante ; qu'ils avaient plus de points communs que prévu, étant en présence de leurs descendants qui devraient construire une paix durable ; et enfin, que leurs savoirs mis ensemble, pourraient en effet s'avérer très utiles...

- Je le pense aussi, approuva le chef. D'autant plus...que nous avons un sujet dont nous devons vous parler, et votre aide...scientifique et magique, serait la bienvenue.

- Voilà une bonne nouvelle, répondit Éomer, en souriant pour la première fois, en posant son fils sur son genou. Et quel est ce sujet pour lequel nous pouvons vous aider ?

L'Alandmir hésita un instant, et déclara simplement :

- Un dragon.

Éomer et Alcara se regardèrent, stupéfaits, alors que leur fils s'exclamait, joyeux :

"Fantastique !!!"

 

FIN

 

 

Et voilà : cette histoire est terminée! J'espère que vous avez aimée ce morceau d'imagination ! 

J'espère publier bientôt d'autres histoires, dans d'autres univers. 

Merci encore mille fois d'avoir pris part à ce voyage avec moi  ! 

xoxoxo

Panthaonis