Actions

Work Header

La Campagne des Dragoons

Summary:

Cette fiction relate les évènements survenus quelques millénaires avant l'intrigue du jeu Legend of Dragoons.

Chapter 1: Le Réveil

Chapter Text

Partie I

Embusqués dans les buissons d’une forêt jouxtant un village, dix guerriers se préparaient. Ils ajustèrent leurs casques et leurs armures et attendaient nerveusement le signal. Dix épées se dressèrent d’un coup, luisants dans l’obscurité des broussailles. Derrière ses soldats au regard impatient, le chef du groupe, arborant une armure plus massive, plus colorée ainsi qu’un casque recouvrant tout son visage, leva son bras droit vers le ciel en murmurant un mot. Une gigantesque boule de feu déchira le ciel nocturne. Les habitants du village n’eurent même pas le temps d’admirer l’explosion de lumière : en un instant tous les guerriers s’étaient élancés vers le village.

Kanzas, jeune homme d’une vingtaine d’année, n’avait jamais connu la guerre. Son père lui avait pourtant enseigné dès son plus jeune âge des techniques martiales efficaces qui faisaient de son corps une arme redoutable et mortelle. Ce bébé sanglier, à peine sorti du ventre de sa mère n’eut pas le temps de sentir la présence d’un étranger. Sa nuque craqua dans un bruit effrayant et sa vie lui fut enlevée d’un coup de manchette bien placé.

Le jeune homme saisit la bête, la mit sur son épaule et reprit le sentier du village. Sur le chemin du retour, Kanzas contemplait avec émerveillement la grande forêt qui enveloppait son village. En ce jour de printemps, les arbres fleurissaient, dévoilant leurs couleurs. La forêt se montrait sous son meilleur jour, enfin, après des mois d’hiver pluvieux. Des écureuils avalaient les premières baies tombées au sol sans s’alarmer outre mesure de la présence d’un humain. Plus que tout, Kanzas adorait l’odeur douce et fruitée qui accompagnait le printemps dans sa région. Les effluves des feuilles et des animaux heureux de retrouver l'Alumi rendirent agréable sa promenade quotidienne.

Perdu dans sa contemplation, le jeune humain ne put voir dix guerriers voler par-dessus la forêt en direction de la ville Volienne la plus proche, Aglis. Ainsi, après vingt minutes de marche joyeuse, toujours chargé de sa proie inanimée, Kanzas arriva enfin aux portes du village.

Ses yeux violets se redressèrent et aperçurent le portail défoncé, ainsi que la sentinelle empalée sur une des piques le surmontant. De surprise, Kanzas lâcha le sanglier qui heurta le sol avec un bruit sourd. Son cœur s’emballa avant même qu’il ne se mette à courir vers le village, sans se soucier de sa propre sécurité. Il traversa les restes de la barrière sur laquelle était inscrit le nom du village, Fueno, et observa à l’intérieur de l’enceinte les décombres encore enflammés qui jonchaient le sol. Les petites maisons en bois étaient calcinées, leurs toits souvent éparpillés aux quatre coins de l’enceinte. Quelques poutres noires tenaient encore par endroit, remuant avec le vent. Sur la cinquantaine de maisons présente avant son départ, il n’en vit qu’une dizaine encore debout. Il s’enfonça dans le village, tout en pleurant de colère. Il constata alors avec horreur qu’il marchait dans des flaques de sang. Ses amis gisaient par terre, éventrés, décapités ou carbonisés par la puissante magie de leurs bourreaux. Kanzas devina la race des assaillants : seuls les Voliens pouvaient détruire un village en moins d’une heure. Seuls les Voliens étaient, selon lui, assez cruels et puissants pour infliger à un village humain de semblables tortures. Ces réflexions disparurent quand il vit sa maison. Toute raison le quitta, remplacée par une rage sourde. Le toit, contrairement aux autres huttes, tenait encore bon, mais l'ensemble de la maison était brûlé et recouvert d’une fine couche de cendres noires. Il se précipita à l’intérieur. Un hoquet de surprise l’arrêta net : il venait d’apercevoir le cadavre de son père, étendue dans la salle principale, les bras serrés contre le corps dans un mouvement de défense inutile. Ses cheveux avaient disparu tout comme ses yeux et sa peau : comme la plupart des corps à l’extérieur, il était entièrement brûlé. Kanzas ne put le reconnaître qu’en voyant la pierre mauve qu’il portait tout le temps sur lui. Celle-ci n’avait subi aucun dommage et oscillait sur le sol, dernier témoin du massacre. Kanzas se pencha et la saisit, il la mit dans la poche de son pantalon en tremblant. Il n’osa pas monter à l’étage. Il resta figé deux minutes, les yeux perdus dans le vide, sans penser à rien. Enfin, il décida de vérifier s’il n’y avait réellement aucun survivant. Ses larmes tombaient sur le sol pour se mélanger délicatement au sang qui le recouvrait.

Il s’approcha de l’échelle qui reliait les deux étages et la gravit en tremblant, les bras affaiblis par le choc. Quand ses yeux purent voir le plancher en sapin du premier étage, il faillit lâcher les barreaux de l’échelle et se rattrapa de justesse. Sa mère gisait par terre, éventrée par une lance. Son sang coulait le long des cavités du plancher de l’étage, ce qui expliquait les gouttes qui tombaient du plafond. Il réussit néanmoins à monter les échelons et détourna rapidement le regard de sa mère. Arrivée en haut, il vit Kazima, sa sœur. Son corps était allongé sur son lit et un long pieux lui traversait le cœur. Une colère insupportable battait dans sa tête. Il sauta en bas de la hutte et tenta vainement de retrouver un semblant de calme. Il sentit la pierre de son père s’agiter dans sa poche, elle lui chauffait la jambe. Agacé, il la sortit et l’examina : la sphère émettait une lumière mauve et brillante qui illuminait l’intérieure de la petite maison et lui brûla les doigts.

Replaçant la pierre chaude dans sa poche, il essaya de réfléchir, de se concentrer et de repousser la haine le plus loin qu’il pût : après tout, ce genre d’attaque était malheureusement fréquentes désormais. Mais l'esprit de Kanzas s'envola quand même et il s’effondra sur le sol, recroquevillé comme un nouveau-né, en pleurant et implorant l’aide de Soa.

Au dehors du petit village, une laie fut attirée par un bruit de tonnerre et se retourna vers le hameau. En quelques minutes, elle vit des nuages d’un gris lugubre se rassembler autour du village. Elle fuit alors cette tempête d’éclairs violets qui s’abattait violemment sur l’enceinte et pulvérisa les restes du village. Après l’explosion électrique qui emplit le paysage d'une fumée grise et d’une odeur désagréable, elle se remit à la recherche de son petit qu’elle sentait tout proche. 

Partie II

  Je finis aujourd’hui le dernier livre de l’encyclopédie d’Odas Eui. C’est la troisième fois. Sous l’empire, les gens comme moi n’avaient pas le temps d’apprendre à lire. Survivre nous prenait déjà tout notre temps. Pourtant, certain y arrivait, c’était le cas de Balzac. Et quand je le rencontrai, il m’apprit, du mieux qu’il put car je n’étais pas une élève très douée. Je tâtonnai depuis lors, m’améliorant sans cesse, pressé de rattraper mes années d’ignorance. De toutes mes lectures, ma préférée reste cet ouvrage. Peut-être parce qu’il est peu connu, et presque oublié maintenant. Peut-être parce que Balzac l’aimait plus que tout. J’espère pouvoir dire en avoir découvert tous les secrets. Certains feraient sourire mon peuple, d’autres les rendront malheureux ou en colère, laissant un sentiment de tromperie désagréable. Car si l’œuvre est oubliée, ce qu’elle expose et véhicule restera à jamais dans nos rituels, nos légendes et nos mémoires.

  • Voilà ! S’exclama joyeusement le professeur, vous avez terminé vos études de bases. Je vous rappelle que vous avez jusqu’à la prochaine semaine pour vous inscrire dans une des quatre universités, dépêchez-vous ! Je vous souhaite bonne chance.

Contrairement à ses camarades de classe, Albert ne répondit pas au précepteur, un petit être au sourire malicieux. Il rangea ses quelques affaires et sortit de la classe rapidement. Avant de rentrer chez lui, il s’arrêta dans les longs couloirs de son lycée pour écouter distraitement les conversations qui se développaient autour de lui :

  • Tu iras où Jogo ? Demanda Tito, le plus jeune de la classe, à son ami.
  • A Zénébatos ou à Kadessa. Sûrement pas dans des villes de nuls comme Aglis ou Deningrad !

Le jeune Volle avait pris un air dégoûté en prononçant ces deux noms. Seulement, il ignorait que ses parents l’avaient prudemment inscrit à Aglis, cette université qu’il méprisait tant, où il étudierait la magie. Albert tenta de contenir le sourire moqueur que cette pensée apporta.

  • Et toi Al, tu iras où ?
  • Je ne sais pas encore, répondit-il.

Pourtant il savait, depuis presque deux ans, qu’il étudierait à Aglis et ne sut pas vraiment pourquoi il ne l’avait pas précisé. Tito tourna la tête, déçu, et poursuivit son petit tour des élèves. Vite lassé par ses camarades, Albert salua ses amis et quitta son école en marchant, surprenant individu dépassé par ses camarades qui, eux, volaient. Sorti du lycée des savoirs basiques, il se retourna et observa le bâtiment pour lui dire adieu. Il avait passé cinq ans à Kadessa et allait étudier le même nombre d’années à Aglis. Après il pourra se chercher un travail.

Il se rappela son premier jour ici. Il arriva au bras de sa mère, il avait dix ans. Il se souvint de son inquiétude devant la majesté de la capitale. Kadessa, capitale Volienne, était surélevé d’une cinquantaine de mètres au-dessus du sol par de fins piliers. Il n’y avait pas de rues, ce qui constituait une sécurité suffisante contre les peuples qui ne pouvaient voler. Une arène gigantesque, entourée de gradins et de petits commerces, symbolisait le centre-ville. L’empereur Frahma, ses ministres et son chef de guerre travaillaient et vivaient dans les monumentaux édifices en périphérie du cirque. Kadessa englobait également trois écoles basiques, un centre de Régulateurs et deux cliniques.

Cette belle ville flottante surmontait un fleuve dangereux qui slalomait entre les piliers. Son débit important avait fait de lui un égout parfait pour les objets ou cadavres d’êtres vivants abandonnés par les Voliens.     

Albert s’envola pour se promener dans cette ville qu'il aimait, flânant avec plaisir devant les commerces. Il passa rapidement devant le marchand scolaire, jeta un œil distrait devant un vendeur de vêtements et se rapprocha du centre. Au détour d’un petit commerce de nourriture, il stoppa son vol, curieux, devant la vitrine d’un vendeur d’armes. L’échoppe semblait minuscule et si discrète qu’on pouvait s’interroger sur l’intérêt d’y vendre quelque chose. Mais la devanture l’impressionna par la qualité de sa présentation. Il examina avec envie les épées effilées, les armures dorés et les casques aux couleurs effrayantes, plus charmé par leurs teintes que par leur utilisation guerrière. Son regard fut attiré par une sphère vert clair perdue au milieu d’un coffret d’autres bijoux. Il poussa la porte du magasin et marcha vers la gemme. Quand il la prit dans ses mains, elle se mit à briller fortement, comme si elle le reconnaissait. Le camaïeu de vert qu’elle formait attira le marchand. Il arriva discrètement dans le dos d’Albert et s’exclama en le faisant sursauter :

  • Belle pierre, n’est-ce pas ? Je vous la cède pour mille Frahmins, et croyez-moi c’est une affaire !
  • Je n’ai pas cet argent… C’est vraiment dommage ! Elle aurait tant fait plaisir à l’Oncle Melbu, mentit Albert.

Le vendeur avala difficilement sa salive et poursuivit d’une voix plus faible, le teint blanchi :

  • Vous êtes le neveu de l’emper… (Il se tut quand il vit Albert hocher la tête)
  • En effet, dit Albert, ravi de son effet déloyal.
  • Je suis ravi de vous rencontrer.

Sur ces mots, il bondit sur Albert pour lui serrer la main. Immédiatement, conscient de son erreur, il recula en retirant sa main. La surprise éclata sur le visage d’Albert qui resta bouche bée devant le vendeur dont le visage se décomposait sous l’effet de la peur.

  • Je plaisantais, dit-il en bégayant.
  • Vous êtes humain !

Terrorisé, le vendeur se tourna dans tous les sens et continua à gémir, implorant la pitié de son client :

  • Moins fort ! S’il vous plaît M. Frahma, ne dites rien, implora-t-il à genoux, je vais finir au cirque.

Il semblait pleurer.

  • Ne vous inquiétez pas, je n’ai rien contre les Humains. Comment pouvez-vous travailler ici ?

L’homme resta silencieux et ne préféra rien dire.

  • Venez chez moi, il faut que vous voyiez ma mère.

L’homme hésita puis jugea que dans sa position inconfortable il devait accepter tous les ordres de ce Volle au sang impérial.

  • D’accord. Tenez, prenez la pierre, je vous l’offre.
  • Merci, déclara Albert en souriant, content que son petit tour ait fonctionné.

Il prit la pierre et la mit dans la poche de son pantalon. Il empoigna la main du marchand. Ce contact le fit frémir. Malgré sa méfiance naturelle, Balzac décida de suivre son instinct et serra la main de son client. Albert se força à penser à autre chose qu’à ce contact si repoussant et se laissa tomber par la porte de derrière.

Partie III

Si un trait culturel volien restera à jamais marqué dans ma mémoire, il s’agit bien de leur rapport au toucher. Rencontrer un groupe de voliens est toujours déroutant pour l’humain. Un groupe volien ressemble à un banc d’oiseau migrant vers les beaux jours : ils sont proches en distance mais jamais ne se touchent. Ce que les humains prennent pour de la froideur et du mépris est en fait une preuve de respect. Seules les personnes intimes peuvent briser le tabou du toucher, et en privé seulement. Sinon, la bienséance interdit le toucher, sous peine parfois de duel et donc de mort. Voilà sans doute une raison supplémentaire à l’incompréhension éternelle qui régnait entre nos peuples.

L’homme était lourd, Albert peina à le soulever, mais après une demi-heure d’efforts, ils se posèrent devant le manoir familial, perdu au milieu d’une forêt au sud de Kadessa. Charlène arriva pour accueillir son fils. Elle découvrit avec étonnement qu’il était accompagné d’un grand et beau Volle dont elle estima l'âge à cent ans, au maximum. Albert se précipita vers elle et déclara joyeusement qu’il avait enfin fini le lycée et qu’il attendait impatiemment son arrivée à Aglis.

  • Qui est ce Volle ? Demanda-t-elle sans plus de cérémonie.
  • C’est un homme. Il travaille à Kadessa, expliqua Albert avec fierté.
  • Quoi ! Tu es fou, Al. Imagine si ton oncle était là. Ton ami aurait sûrement fini dans le fleuve, ou pire encore…
  • Rentrons, décida Albert, je vais t’expliquer.

Charlène fixa l’homme et le reconsidéra. Elle apprécia son corps musclé sous ses vêtements bruns. Il semblait très pauvre, sa seule richesse étant une sphère en or qui pendait autour de son cou, accroché à une petite ventouse magique. L’homme retira alors ses cheveux devant le regard médusé de Charlène, ses longs cheveux platine laissant la place à de courts cheveux bruns ébouriffés par la perruque.

Elle se retourna et entraîna son fils sur le chemin de la maison. L’homme suivit les deux volles et entra derrière eux. Pendant que l’homme contemplait le gigantesque manoir, sombre et majestueux, perdu au milieu d’une forêt dense, Charlène lui posa une question :

  • Quel est votre nom ?
  • Balzac…J’ai vingt ans, ajouta-t-il, anticipant la question suivante.

Ils entrèrent par une double porte finement décorée en son arche par une grande sculpture en argent. Une Vyrage, monstre redouté et symbolique dans la culture Volienne était en train de vaincre un dragon, symbole lui de la rébellion humaine. Le sculpteur, probablement un tito, avait apporté un regard nouveau à cette banale gravure de propagande qui la rendait magnifique. A l’intérieur, ils traversèrent un petit couloir qui menait à la pièce principale, gigantesque salon aux murs tapissés. Charlène s’assit sur l’un des nombreux fauteuils ouvragés de la salle. Albert se laissa tomber négligemment sur le siège à droite de sa mère, et Balzac en face de celle-ci. Il s’assit avec prudence tant l’endroit l’impressionnait. Il admirait la pièce décorée de sculptures et de dorures. Chaque gravure représentait une scène légendaire. On pouvait distinguer la représentation de l’arbre divin, du combat des Titans et enfin celle de la prise du pouvoir de Frahma.

  • Bel endroit, n’est-ce pas ? Commença Charlène. Toutes ces œuvres ont été réalisées par Titoyika, le tito artiste de mon frère.
  • Pourquoi m’avez-vous recueilli ? Coupa Balzac, soudainement plus intéressé par son sort que par les décorations.
  • Premièrement, je suis radicalement opposé à mon frère, politiquement je veux dire, même s’il n’en est pas conscient. Ensuite, Albert vous a sauvé la vie en vous amenant ici, car Melbu avait l’intention de contrôler les boutiques de Kadessa dans quelques jours, comme tous les cinq ans.

Cette déclaration fit naître en Balzac une reconnaissance absolue envers ses hôtes.

  • Je vous en remercierais toute ma vie. Ma femme m’avait parlé de bons Voliens. Je ne l’ai jamais cru, j’avais tort apparemment.

Balzac se tut après cette nouvelle bourde.

  • Votre femme ? C’est une volienne n’est-ce pas ?

Il hésita et préféra être honnête avec Charlène :

  • Racontez-nous votre périple, demanda Charlène, intéressée.

Balzac se positionna un peu mieux sur son siège en réfléchissant quelques secondes. Toujours sur la défensive, il sélectionna ce qu’il fallait dire.

  • Mon village, comme beaucoup d’autres, a été entièrement brûlé par vos soldats. J’avais dix-huit ans. J’ai erré avec quelques survivants sur les routes du continent de l’Ester, accompagné par ce sentiment de vide qui semble suivre toute attaque volienne. Un matin, je me suis plongé dans une rivière pour me laver, quand tout à coup, j’ai entendu des cris. Une jolie Volienne, très jeune, pas plus de cinquante ans, se noyait. Les Voliens peuvent voler, c’est pourquoi ils ne prennent pas la peine d’apprendre les autres moyens de se déplacer. Cela peut leur coûter la vie.
  • C’est vrai, déclara Charlène tristement.
  • J’ai réussi à la sauver. Seulement deux jours plus tard, nous nous marions en secret grâce à mon ami Jay qui est Serviteur de Soa.
  • Prêtre, traduisit Charlène pour son fils.
  • Elle m’a offert la boutique de son défunt père puis m’a aidé à rentrer dans la ville chaque matin pour vendre ses armes. Mita, ma femme, travaille dans le ministère de la magie avec Savano.
  • Personne n’a jamais rien découvert ? S'étonna Albert.
  • Les Voliens sont trop fiers de leur système de défense pour penser qu’un simple Humain puisse les contourner. De plus, les Régulateurs de Kadessa sont assez stupides et trop arrogants pour s’intéresser à un vulgaire marchand.

Charlène sourit et observa son interlocuteur. Ils restèrent ainsi silencieux pensant chacun à ce qu'il fallait faire ensuite.

Durant la conversation, une petite fille était descendit des chambres de l’étage et avait écouté le monologue de Balzac. Elle l'espionna et constata que hormis ses cheveux d’une couleur brun foncé, il était plutôt semblable aux Voliens, contrairement à ce que disait Melbu. Rassurée, elle s’approcha du trio. Balzac, face à l’escalier, fut le premier à la voir. Il lui donnait huit ans environ. Il savait que les deux races, Humains et Voliens, grandissaient à la même vitesse mais que les Humains vieillissaient beaucoup plus vite, terminant leur courte vie après quatre-vingts ans. Les Voliens atteignaient un demi-millénaire, hormis évidemment ceux qui possédaient un collier d’immortalité, comme toute la famille Frahma. Tout ceci, sa femme lui avait appris lors des longues conversations sous la lune perpétuelle qui avait suivi leur mariage. Ensuite, il avait fallu rentrer, trouver une solution pour le cacher et vivre en clandestin.

  • Salut, comment tu t’appelles, demanda-t-elle en s’approchant des sièges.
  • Maman, c’est pas vrai que les Humains sont moches, déclara-t-elle.
  • Qui t’as dis ça ? Demanda Charlène légèrement inquiète.
  • Siquar, je l’ai vu dans le palais d’Oncle Melbu, expliqua-t-elle fièrement.
  • Il raconte n’importe quoi, ne l’écoute plus, conseilla Charlène en frottant la tête de sa fille.
  • Vous pourriez aller à Vellétoile, annonça Albert, revenant à Balzac.
  • Bonne idée, nous vous y conduirons demain.

Devant l’air interrogatif de l’homme, Charlène s’empressa de donner des explications.

  • Vous verrez, c’est un refuge parfait pour les gens comme vous.
  • Mais mon magasin ? Ma femme ? Demanda-t-il, honteux de cette fuite brutale.
  • Je vais la prévenir, elle s’occupera de tout. Ne vous inquiétez pas, rassura Charlène.

Balzac fut aussitôt soulagé par ces paroles chaleureuses et se détendit dans le fauteuil moelleux. Il avait une confiance aveugle en cette femme qui était pourtant la sœur du plus grand tyran qu’Ultimesse n’ai jamais portée. Elle venait de lui sauver la vie, et par conséquent de se compromettre grandement. De nombreux volles furent exécutés pour moins que cela au cours de l'Histoire. Il la suivit à l’étage et accepta de bon cœur le lit qu’elle lui proposa. Il s’endormit dans la minute où il se laissa aller dans les draps, trop extenué pour s’inquiéter de son futur.

Partie IV

Des gouttes de sueurs glissaient le long du visage confiant d’un homme qui se débattait avec vigueur contre un sanglier. Comme tous les jours, il était parti chasser avec sa femme pour nourrir ceux qui ne pouvaient le faire seuls. La bête bondit sur sa poitrine et le choc contre le sol l’étourdit un moment. La bête terrifiée s’apprêtait à enfoncer ses défenses dans le corps de l’homme quand une lame brillante lui transperça le cœur.

  • Merci, dit-il à sa femme.

Elle attrapa la bête et la jeta sans ménagement par terre, puis elle lui tendit sa main. Il se releva et soupira :

  • On en a assez, je crois.
  • On rentre.

Ils soulevèrent leurs trois prises et repartirent en direction du château.

  • C’était bien plus reposant quand il n’y avait que nous deux à nourrir.

Rose sourit et se souvint de la découverte de Vellétoile, il y a cinq ans.

Ils couraient tous les deux, pourchassés par des voliens. Zieg s’était écroulé sur une racine d’arbre. Rose hurla, espérant avec désespoir que son cri repousse les ennemis. Son poursuivant murmurait déjà quelques paroles magiques pour l’achever, du feu sortait par ses mains et fonçait en direction de Zieg lorsqu’un gigantesque bouclier la détourna. Les visages amusés des guerriers voliens firent place à des rictus d’agacement devant ce phénomène surprenant. Puis leurs yeux se plissèrent de terreur quand ils virent la cause de leur échec. Un Volien à la barbe plus grande qu’un homme était apparu, sans que personne ne sache d’où il venait. Perdu dans les bruits du combat et l’excitation, personne ne l’avait vu franchir la lisière du bois pour se retrouver au milieu de cette bataille inégale. L’effet produit sur les voliens fut saisissant : ils s’enfuirent comme jamais. Rose et Zieg ne l’avait vu. Le volle avait atterri et dit d’une voix étrangement jeune :

  • Il était moins une, n’est-ce pas Zieg ?

Zieg s’était relevé et fut surpris de voir ce volien inconnu prononcer son nom. Mais la gratitude l’emporta sur la méfiance et il le remercia de la façon la plus éloquente que son jeune âge permettait, heureux de sentir la main de Rose dans la sienne.

  • Ce n’est rien. En réalité, je souhaitais vous rencontrer, vous montrer quelque chose qui pourrait aider les gens tels que vous.

Médusés par la situation insolite : un volien sympathique envers les peuples considérés comme inférieurs par tous ses semblables, les deux humains ne dirent rien.

  • Suivez-moi, ce n’est pas loin.

Ils n’hésitèrent pas et marchèrent sans prudence derrière l’impressionnante barbe du volle.

  • Qui êtes-vous ? Demanda Rose, méfiante.
  • Aucune importance, répondit-il gentiment.

Rose ne préféra pas insister et aperçut alors devant elle un magnifique et gigantesque château formé de sept tours coniques qui se finissaient toutes en une pointe d’or brillante. Il paraissait jaillir hors des arbres en plein milieu de cette forêt sombre et dense, parfaitement intégré au paysage de sous-bois. Ses pointes venaient chatouiller les dernières feuilles des arbres les plus hauts. Les deux humains connaissaient la région de ce côté de l’océan mieux que quiconque, et pourtant ils n’avaient jamais croisé tel bâtiment.

  • Ce lieu se nomme Vellétoile. C’est un refuge parfait pour vous. Les Voliens ne peuvent pas le voir, expliqua-t-il sans plus de détails.

Zieg contempla le bâtiment avec stupéfaction et demanda :

  • Comment pouvez-vous le voir dans ce cas ? Demanda-t-il.
  • Je l’ai construit, répondit le Volle.

Rose poussa une exclamation de surprise involontaire et se demanda alors ce qu’il attendait d’eux. Elle décida de lui poser la question avec franchise et la réponse la surprit plus encore que ce palais sorti de nulle part.

  • Je veux que vous occupiez ce château et que vous en fassiez un refuge pour toute personne qui en aurait besoin. Je veux que vous veilliez à en prendre soin comme si s'agissait de votre propre maison. D’ailleurs, cela sera désormais votre maison.

Les deux humains restèrent bouche bée devant la proposition de ce puissant mage et hochèrent la tête en souriant :

  • Bien sûr ! Nous en prendrons grand soin, assura Zieg, qui espérait ainsi combattre, à son niveau, l'injustice du monde.
  • Ne vous inquiétez pas pour ça, continua Rose. Mais comment vous remercier ?

Le volien sourit et disparut dans un éclair de lumière. Depuis lors, ils avaient tenu leur promesse mais n’avaient jamais revu l’étrange volle qui leur sauva la vie ce jour-là, ainsi que celle de centaines d’hommes après eux. Le château de Vellétoile devint le refuge de tous les humains qui fuyaient en cette période difficile. Cinquante personnes y séjournaient alors, dont la plupart s’apprêtaient à partir pour reconstruire leur vie, maintenant que les Voliens s’étaient un peu assagis. Zieg suivit sa femme qui gravissait les larges marches menant au premier étage de Vellétoile tout en songeant aux trois enfants si petits qu’ils ne pouvaient se nourrir seuls. Comme lui, ils devraient vivre sans parents, tués dans la destruction de leur village. Sa colère envers l’empereur et ce sentiment d'injustice, si féroce depuis sa naissance, accélérèrent les battements de son cœur. Il sentit son seul bijou, une sphère rouge qu’il tenait de sa mère décédée, chauffer sous son manteau.

Partie V

Dans le grand manoir des Frahma, Balzac se réveilla en sursaut quand il sentit une présence dans sa chambre. Il se redressa et vit une petite aux cheveux platine le regarder avec curiosité. Elle semblait minuscule devant la porte gigantesque qui barrait l’entrée à sa chambre. Il se leva, vêtu comme la veille de son pantalon et manteau en peau de bête. La petite s’approcha en souriant et dit d’une petite voix :

  • C’est l’heure de se lever M’sieur, dit-elle d’une voix aiguë.
  • D’accord, tu peux me conduire au salon ?

Elle hocha la tête et tourna les talons, le conduisant vivement par un long couloir parsemé de peintures grandiloquentes. Ils descendirent l’escalier principal du manoir et la fillette ralentit enfin. Arrivé au rez-de-chaussée, Balzac put constater que Charlène était bel et bien éveillée. Elle était assise au salon et lisait distraitement un petit livret. Elle le posa délicatement quand il arriva. Elle se leva pour lui proposer un fauteuil en face d’elle.

  • Bonjour, dit-elle, avec un sourire. Albert va vous conduire à Vellétoile dès qu’il sera debout. Vous verrez, c’est un endroit merveilleux.
  • Je n’en doute pas, mais où est-ce ?
  • Vous êtes marié depuis combien de temps ?
  • Deux ans.
  • Vous n’avez jamais entendu parler de Vellétoile ? C’est étrange.

Elle semblait réfléchir un peu mais se reprit devant l’air impatient de Balzac :

  • C’est un refuge pour les humains persécutés. Vous connaissez le Vellis ?

Balzac rougit un peu et s’expliqua :

  • Je ne connais pas bien mon continent, je n’ai vécu que dans mon village ou à Kadessa.
  • Où habitez-vous avec votre femme ?
  • Dans le quartier Nord de Kadessa.
  • Elle est riche ?
  • Plutôt. Elle travaille avec Savano qui la paie royalement. Vous le connaissez ?
  • Un peu, dit Charlène en rosissant.

A ce moment-là et au soulagement apparent de Charlène, Albert apparut en haut de l’escalier, habillé d’une étrange armure en argent. Balzac dissimula son sourire sous une admiration feinte. Trop grande pour le frêle adolescent, Albert était parfaitement ridicule vêtu de la sorte. Il devait s’agir d’un cadeau de son oncle. En vacances pour encore un mois, il put accompagner Balzac à Vellétoile. L'excitation de la mission le transportait. Il était heureux de quitter son continent et ses semblables. Parcourir l'Ester en compagnie d'un humain était une aventure plus amusante que tout ce qu'il avait vécu jusque-là. Il partit de bon cœur, même si cette armure que sa mère l’avait obligé à porter ce jour-là était fort désagréable. La maison de Charlène était proche de l’Océan. Après avoir salué la sœur de l’empereur, Balzac prit le petit bateau et sous un Alumi idéal, ils traversèrent les flots en moins d’une heure grâce aux pouvoirs magiques d’Albert. A peine balloté dans leur petit esquif, ils virent au loin l’île d’Aglis, la cité de la magie où travaillait Mita, qui s’élevait des eaux comme par enchantement. Balzac senti son cœur se resserrer légèrement quand l'île disparut derrière eux. Il se reprit rapidement car, émerveillé par l'environnement, Balzac savourait la traversée. Il n’avait jamais connu l’Océan et savourait les reflets brillants de l’Alumi sur les petites vagues. Il aperçut des poissons étranges, bien différents des spécimens qu’ils pêchaient avec son père dans la minuscule rivière qui longeait son village. Malgré la beauté du trajet, Balzac ne pouvait se débarrasser de l’inquiétude qui le rongeait depuis son départ de Kadessa. Il craignait toujours une éventuelle trahison de la famille Frahma.

Arrivés sur le continent de l’Ester, ils continuèrent à pied. Ils laissèrent le bateau au bord de l’eau et décidèrent de longer le Vellis, joli fleuve tortueux, qui menait directement à Vellétoile. Ils marchaient rapidement et au bout d’une heure, Balzac aperçut au loin les débuts d’une forêt. L’Alumi atteignait son zénith, ainsi les deux voyageurs décidèrent de manger. Albert sortit de son sac en peau de dragon un pain magnifique et du fromage issue de leur réserve pour les grandes occasions. Il sortit une jolie bouteille de bière et quelques fruits ramassés le matin dans le verger du manoir. Trahison ou pas, il était traité comme un roi. Après le déjeuner, Balzac se coucha dans l’herbe haute et contempla le ciel bleu en pensant à sa femme. Albert s’endormit immédiatement, fatigué par le voyage et les nombreux sorts qu’il avait dû mettre en œuvre.

Il fût réveillé une heure plus tard par son nouvel ami humain qui annonça que la route était encore longue et qu’il voulait arriver avant la nuit, les forêts étant dangereuses de nuit. Amusé, Albert déclara que ce n’était possible qu’en volant. Comme pour quitter Kadessa, Albert eût du mal à transporter Balzac et ils durent faire des nombreuses pauses. Cependant, ils allaient beaucoup plus vite qu’à pieds et atteignirent la forêt en deux heures. Ils pénétrèrent dans les bois sombres et humides. Albert avisa Balzac qu’ils arriveraient à Vellétoile dans une demi-heure, si tout se passait bien. Albert était éreinté et l’homme jugea utile de lui rendre la pareille. Il souleva le volle avec facilité et le transporta sur ses épaules en évitant de passer sous les branches basses. Ils traversèrent quelques bosquets clairsemés, croisèrent des animaux hautains et savourèrent avec bonheur une trop rare tranquillité. Soudain, Albert sentit son corps partir en avant et faillit passer par-dessus son porteur pour s'étaler sur le sous-bois. Balzac stoppa net et dit : « 

  • Ecoute !
  • Qu’est ce qui se pass…

Il ne finit pas sa phrase. Le son était lointain et étouffé par les arbres, mais audible. Déséquilibré, il sauta maladroitement des épaules de Balzac et, revigoré par les cris, courut en direction du bruit. Combattant sa peur, Balzac tenta d'accélérer, certain que la source des cris était en danger, certain aussi qu'il ne voulait pas se mettre en danger. Le son s’approchait, devenait plus perceptible et ils reconnurent un mélange de pleurs et de cris. Ils débouchèrent sur une clairière qui englobait les décombres d’une maison. Les cendres étaient encore fumantes. Un homme était allongé sur le sol, couvert de sang. A ses côtés, une petite fille pleurait, tenant dans ses mains la tête de l’homme. Balzac, habitué à ce genre de spectacle, fut le premier à sortir de sa stupeur.

  • Que t’est-t-il arrivé, ma petite ? Murmura-t-il en s'approchant d'un pas rassurant.

La petite sursauta, se retourna et ses yeux d’un bleu magnifique se fixèrent sur Albert.

  • Oh non ! Encore un autre, gémit-elle.
  • Ne t’inquiètes pas, il ne te fera aucun mal, annonça Balzac avec une voix rassurante.
  • C’est pas vrai ! Ils ont tué mon papa et emmené ma maman, hurla-t-elle en pointant du doigt Albert qui recula, horrifié.

Sur ces mots, elle se jeta dans les bras de l’homme en pleurant plus fort. Albert regardait le cadavre avec dégoût : deux dagues traversaient chaque œil, une troisième était plantée dans le cœur. Il avait tenté de se défendre, car ses vêtements étaient brûlés par les sorts des assaillants.

  • Viens avec nous, continua Balzac, nous allons t’emmener dans un lieu sûr. Quel est ton nom ?

La fillette serrait très fort son protecteur dans ses petits bras. Fou de rage, Albert sentit sa pierre verte chauffer et remuer dans sa poche. Il n’y fit pas attention et se mit à marcher pour s’éloigner du massacre. Les deux jeunes humains le suivirent. Balzac remplaça Albert par Damia sur ces épaules. La petite sanglotait dans ses cheveux alors qu’Albert, abattu par la cruauté de ses semblables, ne dit pas un mot durant tout le reste du voyage. L'excitation du voyage retomba du fait de l'attaque de ces voliens, qu'il avait peut-être côtoyé à Kadessa. Il aurait donné sa vie pour retrouver ces volles et les empaler sur des dents de dragons. Perdu dans ses pensées meurtrières, il ne se rendit pas compte qu’ils arrivaient déjà sur les marches de l’entrée du refuge.

  • Voilà, cela doit être par-là, annonça Albert en montrant devant lui.

Balzac leva la tête et vit un superbe édifice devant ses yeux. Albert montrait cependant autre chose : un arbre juste à son coté.

  • Je ne peux pas le voir, expliqua-t-il en voyant l’air étonné de Balzac, je ne peux donc que vous dire de monter et de demander Zieg et Rose.
  • Comment connaissez-vous cet endroit alors ?
  • Rose a rencontré ma mère un jour, et elle lui en a parlé. Elles sont devenues amies. Amie est peut-être un mot fort étant donné leur relation. Vous verrez, Rose est une femme surprenante.

Balzac acquiesça et regarda devant lui. Un escalier en pierre menait au premier étage des tours, très large, chacune des sept tours pouvant probablement abriter une trentaine de réfugiés dans de bonnes conditions. Le deuxième étage permettait de loger sept personnes au maximum. Zieg et Rose y avaient leur chambre, ils étaient les seuls à habiter là-haut selon Albert.

  • Je vous laisse, dit le volle en s'éloignant dans la forêt, sans plus de ceremonie, toujours abattu par l’attaque.
  • Je te remercie infiniment Albert, j’espere que nos chemins se croiseront a nouveau, declara Balzac voyant son compagnon de route perturbé.

Ce dernier sourit et leur fit un signe de la main avant de s’envoler et disparaitre rapidement. Les deux voyageurs gravirent lentement les marches et arrivèrent sur le sol du premier étage, un grand cercle qui permettait d’accéder à chaque tour. Le centre était occupé par le vide. Balzac se dirigea vers la tour la plus proche de l’entrée, à gauche. Son entrée, un rectangle taillé dans la roche était surmonté par un panneau rouge dont le centre était creusé en une demi-sphère. A peine entrée, ils furent accueillis par une jeune femme aux cheveux aussi noirs que ses yeux. Elle les fit sursauter tant elle apparut de nulle part. Puis elle les salua et se présenta avec gentillesse :

  • Bonjour chers amis. Je suis Rose. Je m’occupe de Vellétoile avec mon mari Zieg. Vous cherchez un endroit pour échapper aux Voliens.
  • C’est donc le lieu idéal. Zieg, appela-t-elle, voilà des nouveaux venus.

Un homme, du même âge que Rose, s’approcha du petit groupe. Il semblait fort comme un roc. Il souriait joyeusement :

  • Le jeune homme et sa fille ont besoin de vivre ici quelque temps, annonça Rose de sa voix grave.
  • Ce n’est pas ma fille, rectifia Balzac, c’est une fillette qui était… perdue en forêt.
  • Parfait ! Hé bien, allez-vous installer dans la tour marron, il doit y rester de la place, proposa Zieg de son sourire confiant.
  • Merci beaucoup.

Zieg sortit un carnet de la sacoche accroché à sa ceinture, carnet qui recensait ses hôtes. Il s’apprêtait à demander le nom de ces deux invités lorsqu’il aperçut sur la poitrine de Balzac la petite pierre en or. Il changea alors sa question :

  • Où avez-vous eu cette pierre ?
  • Mon père me l’a offert, deux jours avant sa mort, expliqua Balzac, surpris par cette question.
  • Etrange, dit Zieg pour lui-même.

Il observa la pierre avec curiosité et se tourna vers sa femme. Balzac crut voir un éclair relier le couple. Pourtant, Rose arborait un regard fermé, et Balzac ne put y lire aucun sentiment. Mystérieuse avait dit Albert. Zieg se remit alors à parler, plus fort cette fois :

  • Vous êtes les bienvenus. Sachez qu’ici, on mange le produit de sa chasse ou de sa cueillette, quand on le peut évidemment, précisa-t-il en fixant la petite. Bonne fin de soirée.
  • Je m’occuperais de Damia, ne vous inquiétez pas, rassura Balzac.

Balzac sortit de la tour rouge, la petite au bout de sa main, et emprunta le chemin circulaire pour accéder à sa tour. Les tours étaient belles et propres. Elles semblaient récentes. La route circulaire ne faisait que deux mètres de large, elle était protégée du vide par un muret de la taille de Damia. On pouvait donc se pencher vers le vide sans risque, la vue était impressionnante une fois l’escalier monté. Des réfugiés étaient assis, négligemment adossés à ce muret. Ils jouaient aux cartes en buvant un liquide jaunâtre étrange. Fasciné par le spectacle qu'offrait Vellétoile, Balzac sentit la tension du voyage le relâcher. Il entra dans la tour marron et constata que seuls trois humains y habitaient. Il déposa Damia sur un des matelas disposés au sol et la laissa s'endormir en restant a cote d’elle. Avec une autorité nouvelle, il aborda les trois autres occupants et leur demanda de la surveiller. Il déposa son sac à ses côtés et sortit pour visiter cet endroit étonnant. En entrant dans le donjon, il nota que Vellétoile accueillait toutes sortes de races : il aperçut un Giganto adulte au fond de la pièce, couvert de cicatrice et ayant perdu un bras. Il constata sans surprise que les personnes présentes avaient toutes au fond de leur regard une lueur de désespoir. La même lueur qu’il vit en lui le lendemain de l’attaque sur son village, dans le reflet d’une rivière. La même lueur présente dans les yeux de Damia après qu'il l'ait recueillie. Il marcha, inspectant chaque tour à la recherche d’une connaissance. Il n’eut aucun résultat et décida de retourner s’occuper de sa petite protégée. En arrivant dans la tour, il constata qu’elle dormait toujours aussi profondément et que les trois hommes n’avaient pas bougé depuis son départ. Quand il s’allongea à ses côtés l’un d’eux parla d’une voix rauque :

  • Elle a crié dans son sommeil.

Balzac se redressa et observa l’homme :

  • Merci de m’avoir prévenu.

Sur ces mots, il s’endormit, affaibli par sa journée.

Partie VI

  • J’ai fini !

La voix de la jeune fille jaillit hors de l’atelier et son tuteur fonça à l’intérieur. Il observa avec intérêt l’œuvre présentée.

  • Plutôt joli, dit-il en souriant. Beau travail Shirley.

Ses grands yeux regardaient fixement la peinture que venait de terminer après trois jours de labeur la jeune fille. A dix ans, elle surmontait déjà de sa taille humaine les minitos. Recueillie à l’âge de trois mois par ces petits etres, Shirley n’avait connu aucun autre univers que le leur.

  • Ton dragon est expressif, tout comme le volien qu’il est en train de manger d’ailleurs, ajouta-t-il avec un clin d’œil.

Il se retourna pour lui serrer affectueusement la main :

  • Tu fais de grands progrès.
  • Merci Maître Tikyoka.

Ils sortirent de l’atelier pour se préparer un petit déjeuner traditionnel, qui accompagnait toujours l’achèvement d’une œuvre. Shirley dévora les tranches de pain en salissant la moitié de la cuisine.

  • Je pense te faire travailler sur les sculptures maintenant, expliqua-t-il.
  • Génial, s’exclama-t-elle.

Tikyoka se souvint les premiers jours où il s'occupa de ce bébé. Il faillit devenir fou face aux hurlements incessants du nouveau-né et le manque de sommeil. Heureusement, sa patience l'aida à tenir les premiers mois, puis Shirley était devenue une fillette adorable et s’était facilement intégrée dans le monde Minito, malgré ses différences physiques évidentes. Son frère Quita lui avait confié ce cadeau sans lui révéler quoi que ce soit sur ses origines. L'orpheline était maintenant sa fille adoptive, si bien qu'elle n'avait jamais connu d'autres gens que les minitos depuis sa naissance. Depuis son adoption, Tikyoka lui enseignait l'art des minitos, et la méfiance envers les autres races qui parlent, quel qu’elle soit. En revanche, il lui avait appris à respecter les animaux et les plantes, et en quelques années elle était devenue une experte sur la faune d'Ultimesse. De plus, elle possédait ce que les minitos appelait la connexion, elle pouvait communiquer avec les animaux, recevoir leurs plaintes, leur amour et leurs craintes tout en leur prodiguant des conseils ou des ordres. Tikyoka était fier d'avoir élevé cette jeune humaine. Envahi par ses souvenirs, comme souvent, le minito n’entendit pas les cris de ses concitoyens.

  • Que se passe-t-il ? Demanda Shirley.
  • Quoi ? Dit-il en sortant de sa torpeur.
  • Il y a du bruit dehors.
  • J’y vais.

Il descendit de son tabouret et fonça dehors, craignant le pire. Le pire arriva juste devant lui au moment où il ouvrait la porte. Le majestueux empereur du monde s’éleva de toute sa hauteur devant Tikyoka qui sentit son cœur s’arrêter quelques secondes. Les yeux du tyran brillèrent dans le noir et repérèrent immédiatement l’intrus.

  • Commandant, attrapez la jeune fille, dit-il d’une voix calme.

Un volle vêtu d’une armure légère et brillante entra derrière Melbu Frahma et s’empara d’une main de Shirley qui gémit de douleur devant ces êtres inconnus. Seuls les minitos faisaient partie de son paysage de bipèdes.

  • Qui sont ces gens, demanda-t-elle, désemparée, à son maître.

Celui-ci resta figé, conscient de la catastrophe. Tikyoka regretta d'avoir oublié un enseignement capital pour sa survie dans le monde, mais qu'il souhaitait garder pour plus tard tellement celui-ci pouvait être traumatisant : la façon dont fonctionne Ultimesse sous la joute de Frahma. Shirley pleurait à présent, embarqué violemment par le commandant. Melbu le suivit et salua d’un sourire effrayant Tikyoka.

  • Des sanctions seront prises à votre encontre, dit-il simplement, ce qui glaça le sang du Minito.

Sous les regards de tous ses amis, Shirley fut entraînée dans les rues de Minotis avant que le commandant ne s’envole. Melbu Frahma, lui, disparut dans un panache de fumée. Les rues étaient plongées dans un silence rare, aussi rare que les interventions impériales dans la tranquille cité minito. Dans la minute qui suivit l’arrestation de la jeune fille, deux volles firent irruption dans la maison de Tikyoka. Celui-ci était prostré sur sa table de cuisine et ne dit rien quand il vit les deux lames royales sortirent devant ses yeux de leurs fourreaux. Il connaissait la punition infligée aux minitos qui élevaient une humaine. Un instant plus tard, sa tête roulait sur le sol dans une flaque de sang.

Partie VII

Rahel ne comprenait pas. D’habitude, longer le Fleuve des Forêts était une promenade tranquille, sans risque de voir des Voliens car ces lieux étaient vides de villages : il faisait trop froid. C’est donc avec confiance qu’il était parti pour son habituelle promenade matinale. Il parcourait tranquillement les rives du plus beau fleuve de l’Ester, large et calme, légèrement gelé sur les bords. Il venait de traverser la première forêt de sapins et ressortait sur l’embouchure du fleuve sur la Mer centrale. Il vit des poissons argentés sauter hors de l’eau pour le saluer. Des oiseaux de proie tournoyaient au-dessus de sa tête à la recherche de rongeurs. Il marchait calmement quand tout à coup il entendit des oiseaux s'égosiller derrière lui. Il se retourna et vit ce qu’il avait toujours craint : deux grands volles qui lui fonçaient dessus, un sourire haineux aux lèvres. Le premier lui frôla la tête avec sa lame alors que le second le fit tomber dans l’herbe, comme s’ils jouaient. Les deux atterrirent lestement et s’approchèrent de leur proie. Rahel constata que l’un des deux était en réalité une velle. Soa ne l’avait pas gâté et son visage ressemblait à un champ de bataille. Elle parla la première :

  • Tiens tiens, une sale raclure d’humain. Tu avais raison Bardel, c’est un bon coin ici, ajouta-t-elle à son compagnon.
  • Regarde ma sœur, il tremble déjà comme une feuille.

Ils éclatèrent de rire et s’avancèrent encore jusqu’à pouvoir toucher de leur bras l’homme terrorisé. Lui aussi avait eu une sœur, mais elle était morte à quinze ans, tués par une bête sauvage de la forêt. Rahel avait promis de la venger et s’entraînait depuis ce jour au combat à mains nus. Son unique chance venait de cet entraînement quotidien, et elle était bien maigre. La peur oubliée pour un moment, il lança son pied dans le ventre de la velle et son poing dans le nez de son frère dans un geste parfaitement coordonné. Ils furent si surpris qu’ils ne crièrent même pas et reculèrent sous l’impact. Profitant de leur étourdissement, Rahel se retourna et se mit à courir comme jamais il ne l’avait fait, il crut presque voler au-dessus du sol. Malgré cela, après seulement quelques secondes de fuite, il sentit son talon s’enflammer et s’écroula en hurlant de douleur. La colère apparaissait désormais sur les traits du volle au nez cassé. Il s’approcha et réitéra son sort de feu sur le nez de Rahel, riant comme un fou. Le visage en feu, la souffrance était atroce et il ne put s’empêcher de hurler. La sœur s'esclaffait en toussant devant les prouesses de son frère. Rahel se retourna face contre l’herbe et gémit en sentant la fraicheur du sol lui apporter un léger réconfort. Désespéré, il attendit une nouvelle attaque sous les rires de la velle. Ceux-ci s’arrêtèrent brusquement. L’homme se retourna péniblement, étonné, et vit devant lui un être qu’il n’aurait jamais imaginé. Un homme gracile et musclé, aux cheveux noirs, et dont le corps était recouvert d’une fine armure violette. Deux longues ailes gracieuses lui sortaient du dos et le maintenaient en un délicat balancement à un mètre du sol. Ses jambes étaient protégées par des bottes du même matériau que l’armure et que le casque violet qui lui couvrait la tête. Rahel regarda alors le visage de la sœur et aurait pu rire si la douleur n’avait pas été aussi insupportable. Elle écarquillait les yeux avec horreur et par pur réflexe lança alors une boule de feu impressionnante qui fonça sur l’homme et qui rebondit sur ses mains, placées devant lui comme un bouclier. Stupéfaite, elle ne bougea plus d’un millimètre et regarda l’être volant se déplacer. Il s’approcha d’elle et lança un poing rageur droit sur sa tête ahurie. Le craquement que fit sa colonne vertébrale raisonna dans toute la clairière et elle s’affala sans vie sur la prairie, le visage tordu par la surprise. Le frère réagit enfin et tenta de fuir. Le plus surprenant arriva alors : un éclair brillant et spectaculaire, tout droit venu du corps de l’homme, le frappa de plein fouet et le laissa paralysé sur le sol. Alors l’homme s’approcha et Rahel l’entendit murmurer dans l’oreille de l’agresseur :

  • As-tu quelques prières à formuler, lâche ?

Le volle se mit à supplier, implorer son bourreau qui n’hésita pas un instant et projeta l’autre poing de la même façon que sur la velle. Le frère s’écroula et ne bougea plus. L’homme volant se tourna alors vers Rahel 

:Tu pourras rentrer chez toi ? Demanda-t-il d’une voix ferme.

  • Oui, je pense.

L’être partit alors en volant élégamment sans laisser le temps à Rahel de le remercier. Celui-ci resta immobile un long moment sur l’herbe à contempler les cadavres de voliens avant de se sauver à toutes jambes en remerciant Soa.  

Partie VIII

Jamais le Général Mithu n’avait entendu son chef hurler si fort. Tout son corps en tremblait, lui qui était probablement le troisième volle le plus puissant du monde. Jamais Melbu Frahma n’était entré dans une telle colère.

  • Combien en a-t-il tué ? Vociférait-il.
  • Six maintenant. Dont deux des enfants de Bardel le père.

L’empereur lança rageusement une de ses statues à l’effigie de son propre père qui s’écrasa contre le mur. Le cabinet personnel de l’empereur était gigantesque et magnifiquement décoré, en plein cœur du palais impérial de Kadessa. Il trépignait sur place et sa cicatrice scintillait de plus en plus fort.

  • J’exige que l’on capture ce monstre avant demain soir, ordonna-t-il.
  • Évidemment ! Je m’en charge personnellement, assura Mithu un peu inquiet.

Frahma hocha la tête et dit :

  • Vous pouvez sortir général. Appelez-moi le juge Fanel, il attend dehors.

Le général s’abaissa le plus possible pour sortir et vit en effet le juge Fanel.

  • Il vous attend, expliqua-t-il sans joie.

Le vénérable juge se leva et marcha lentement vers la porte du cabinet. Il entra et salua respectueusement Frahma.

  • Bonjour juge. Je voulais juste préciser quelque chose au sujet de la jeune femme arrivée hier chez vous, annonça-t-il un peu calmé.
  • Shirley Doherty ? Demanda le juge, sachant à quoi s'attendre.
  • Cette humaine ne doit jamais sortir de prison. Accusez-la de conspiration et jetez-la à perpétuité dans les geôles de Zénébatos, ordonna Frahma.
  • A vos ordres Empereur.
  • Ce sera tout, vous pouvez disposer, finit-il d'un ton méprisant.

Fanel sortit en tremblotant un peu, touché lui aussi par la colère de l’empereur. Il prit le transporteur qui le mena directement à Zénébatos. Il marcha lentement vers son bureau pour récupérer un peu et constata en arrivant que la jeune Shirley serait jugée dans seulement dix minutes. Il prépara son simulacre de dossier et se dirigea aussi vite qu’il put vers le tribunal, tout en essayant de calmer les tremblements incontrôlables que provoquait chacune de ses visites chez l'empereur.

Partie IX

Depuis la veille, depuis que son maître minito n’était plus visible, Shirley ne pleurait plus. Elle restait sombre et fermée, incapable de comprendre ce qui lui arrivait. Un volien l’attacha à la chaise réservée à l’accusée et resta juste derrière elle. Elle contemplait avec curiosité cette salle entièrement faite en marbre fin. Jamais elle n’avait vu ce genre de bâtiments. Elle ne comprenait pas pourquoi un vieux volle au costume ridicule entra alors et fut salué respectueusement par d’autres volles assis sur des chaises. Ils semblaient tous l’attendre, elle ne savait pas encore pourquoi ni ce qu’elle faisait là. Son observation de ce lieu inconnu fut interrompue quand ce vieux volle ouvrit la bouche.

  • Mele Doherty, vous êtes accusé de complot en la personne de Melbu Frahma. Vous serez ainsi condamné d’après la loi 703 à la peine de prison à perpétuité, annonça d'une voix froide le juge Fanel.

Shirley ne comprit que le mot prison mais cela suffit à glacer son cœur. Apparemment ces gens avaient le droit de la capturer et de faire ce qu’ils voulaient de sa liberté. Elle ne comprit pas vraiment pourquoi non plus. Pleine d’incompréhension, elle ne dit rien quand le grand volle la saisit pour l’emmener aux prisons souterraines de la cité de la loi. Le transfert fut aussi rapide que le procès et elle fut jetée dans un cachot minuscule et sombre. La porte se referma immédiatement et sans un mot, elle se coucha sur la planche de bois qui servait de lit. Au fond de sa poche, la seule chose qu’il lui avait laissé, sa sphère porte-bonheur, chauffait jusqu’à lui brûler la peau. Elle la sortit et la vit briller si fort qu’elle éclaira sa cellule comme si l’Alumi s’y trouvait. Les gardiens n'étaient pas parvenus à lui arracher, se brûlant à chaque fois qu'ils la touchèrent et ils préfèrent alors lui laisser, un peu intrigués. Dans son corps, quelque chose bouillonnait quand le souvenir de Tikyoka lui revint en mémoire et la rendit plus triste que coléreuse, la lumière s’éteint alors avec l’arrivée de ce sentiment.

Partie X

  • Suis-moi Damia, murmura Balzac, on va l’avoir.

Depuis une demi-heure, ils traquaient un cerf magnifique qui ferait une prise superbe pour le dîner. La fillette obéit et se mit juste derrière son nouveau tuteur. La proie s’était enfin arrêtée et broutait calmement l’herbe grasse de la forêt. Balzac sortit son arc et y plaça sa flèche la plus longue. Il tira le plus fort qu'il pût et décocha la flèche qui fendit l’air droit dans la tête de la bête. Celle-ci chuta sans émettre le moindre cri. Les deux humains s’approchèrent sans se soucier de leurs pas désormais et contemplèrent la prise. La flèche avait transpercé de part en part la boite crânienne. Balzac la retira, un flux de sang se mit aussitôt à couler doucement hors de la blessure, et l’essuya sur la peau du cerf puis la reposa dans son carquois.

  • Bien joué ! S’exclama Damia.

Balzac s’attendait à une réaction de compassion envers la pauvre bête et fut assez surpris de n’en voir aucune apparaître sur le visage de sa jeune protégée. Il saisit les pattes arrière du gibier et le tira en direction de Vellétoile. Après quelques minutes laborieuses dans les branchages et les ronces de la forêt, les deux humains entrèrent enfin sur la prairie qui entourait Vellétoile. Au loin, ils pouvaient voir les gigantesques tours piquer le ciel, un peu grisâtre ce jour-là.

  • Il pourrait bien pleuvoir, dit Balzac. Regarde-moi ces nuages.

En observant le ciel, ils virent tout à coup jaillir d’un des nuages noirs qui inquiétaient Balzac un être étonnant aux ailes fines et à l’armure mauve. Celui-ci fonçait vers la forêt en jetant des regards inquiets derrière lui à intervalles réguliers. La raison de la fuite de cet être à l’apparence d’un homme apparut quelques secondes plus tard, en la personne de quatre voliens dont les armures indiquaient qu’ils appartenaient à la garde spéciale de Melbu Frahma. Tous les quatre volaient bien plus vite que l’humain et le rattrapaient à vue d’œil. Concentrés sur leurs taches, ils ne virent pas les deux humains et leur proie, immobiles devant ce spectacle insolite. Après une minute de course aérienne, l’homme volant reçut dans l’aile un sort de vent qui le fit chuter droit sur un arbre. Il s’écrasa dans la forêt et ses quatre poursuivants le suivirent. Balzac et Damia ne virent alors plus rien de la bataille et décidèrent de fuir cet endroit. Balzac marcha le plus vite possible vers le refuge.

A l’intérieur de la forêt, la bataille était terrifiante. L’homme volant se débattait sans arme face aux quatre meilleurs chasseurs de Melbu Frahma, armés jusqu’aux dents. Son bras gauche était immobile, cassé par les branchages solides de l’arbre sur lequel il était tombé. Il se sentait faiblir à chaque sort ennemi. Quand les gardes s’enfoncèrent dans la forêt et à leur grande surprise, l’homme avait réussi à pulvériser deux des chasseurs dont il ne restait que leurs épées. Ils n’avaient pourtant vu que des éclairs dus à ces gros nuages noirs et ne comprirent pas comment l’homme s’y était pris. Mais à présent sa force le quittait et les deux volles restants parvinrent à l’immobiliser. Il chuta et hurla de douleur quand son bras toucha le sol. Son pouvoir le quitta définitivement et tous ses attributs aussi : ses ailes, son armure, ses bottes, tout avait disparu devant le regard ébahi des volles. Professionnels, ceux-ci se reprirent rapidement et emportèrent leur prisonnier droit sur Zénébatos, la cité de la Loi, ceci le plus rapidement possible.

Au même moment, dans une opération également lancé par le Général Mithu, trois chasseurs arrivèrent sur le sol d’Aglis, la cité de la magie et de la recherche. Immédiatement, Savano le grand chef de cette cité et intime ami de Melbu Frahma apparut devant eux dans une colère noire.

  • Que venez-vous faire ici ! Hurla-t-il.
  • Ordre de l’empereur Frahma. Une certaine Mita serait-elle présente ?
  • Bien sûr, c’est mon assistante.
  • Nous devons la voir, affirma froidement le chef de l’escouade.

Savano leur ouvrit le chemin, tremblant de rage devant cette intrusion. Il ne supportait pas qu'on n'entre sur son île sans son autorisation mais même lui ne pouvait rien contre l’empereur. Il arriva dans son laboratoire et montra aux trois sbires de Frahma une velle magnifique qui se retourna en souriant. Le chef du trio resta un peu absent devant ce sourire mais reprit ses esprits rapidement :

  • Mita, je dois vous emmener avec moi. Vous êtes accusée de mariage avec Humain, dit-il piteusement.

Le sourire séduisant de Mita se figea et se transforma en une grimace de terreur. Comment pouvait-il savoir ? Qui pouvait bien leur avoir dit ?

  • Quoi ! rugi Savano. C’est probablement faux !

Il se tourna vers elle et continua d’une voix plus douce :

  • Je vous accompagne ma chère. Tout accusé a le droit à un défenseur, n’est-ce pas ? Ajouta-t-il à l’intention du chef.
  • Bien sûr. Allons-y maintenant, déclara le chef d'une voix hésitante, troublée par la colère de Savano.

Tous prirent le transporteur du bureau de Savano et arrivèrent instantanément à Zénébatos. Avant de partir, Savano observa Mita et comprit à son regard qu’elle était coupable. Cela ne changea en rien son attitude et il se promit de tout faire pour empêcher la sentence prévue pour l’accusation dont elle était la cible. Melbu entendrait certainement raison, Savano savait qu’au fond de son cœur résidait encore un peu de compassion.

Partie XI

Quand Zieg vit arriver deux de ses réfugiés en courant avec un gros cerf comme prise, il leur sourit en disant :

  • Bravo Damia, je savais que tu étais une grande chasseuse.

Devant le silence de ses interlocuteurs, il s’inquiéta et demanda ce qu’il se passait.

  • Un homme a été capturé dans la forêt, expliqua Balzac en soufflant.
  • C’est très banal mon cher Balzac, attends-toi à voir de nombreuses scènes du même genre dans le futur, déclara tristement Zieg.
  • Ce n’est pas ça le problème. Ce qui est étrange, c’est qu’il volait, annonça Balzac en reprenant un peu son souffle.
  • L’homme ? Tu devrais arrêter l’eau de vie Balzac, s'exclama Zieg, en commençant à rire.
  • Nan, c’est vrai Zieg, dit d’une petite voix Damia, moi aussi je l’ai vu.

Zieg resta interdit devant ces révélations, ne sachant quoi penser. Les deux semblaient très sérieux et il ne pouvait soupçonner un problème d’hallucination chez la petite.

  • Que faisait-il d’autre, cet homme ? Demanda-t-il.
  • On n’a rien vu ensuite, il est tombé dans la forêt et on a préféré se sauver, expliqua fièrement la petite.
  • C’est étrange en effet. Mais ce n’est pas grave, n’est-ce pas ? Laisse-moi te soulager de ce poids si appétissant, continua-t-il en saisissant le cerf.
  • Bien sûr. Si quelqu’un en veut, je lui en donne volontiers, proposa Balzac à la cantonade, il y en a trop pour moi et la petite.

Immédiatement quelques vieillards, trop faibles pour se nourrir de leur propre chasse acceptèrent avec joie, heureux de pouvoir manger un peu de viande. Dans la tumulte, Balzac réussit à sauver une cuisse arrière, ce qui suffisait largement pour deux personnes. Il emporta la viande dans sa tour et la plongea dans le grand bac de sel situé au fond de la pièce. Au moment même où il plongea ses portions, et comme il l’avait prévu, la pluie commença à tomber. Zieg entra comme un éclair avec un visage que Balzac n’avait jamais vu chez son ami :

  • Suis-moi, dit-il simplement.
  • Reste ici Damia, je reviens tout de suite, ordonna Balzac, inquiet.

La petite s’assit et le regarda sortir avec de grands yeux ronds.

  • Je viens de recevoir ceci, dit Zieg une fois qu’ils furent sortis.

Balzac attrapa la lettre qu’il lui tendait et devina instantanément qu’il était arrivé quelque chose à sa femme. Il ouvrit l’enveloppe déjà ouverte, par Zieg probablement, et lut son contenu : Balzac, je viens d’apprendre que votre femme Mita a été arrêté durant son travail pour Mariage avec un Humain. Je dois vous parler le plus vite possible, je viens demain matin, rendez-vous devant Vellétoile.  Ce mot était signé par Charlène. Balzac lâcha la lettre et faillit s’écrouler. Malgré la terreur qui lui enserrait le cœur, il tenta de raisonner. Depuis son départ de Kadessa, il était impossible que quelqu’un ne découvre son mariage avec Mita. Comment pouvait-il avoir su ? Plus que le désespoir que procurait cette nouvelle, c’était cette question qui l’obsédait : Qui ? Personne ne savait, du moins le croyait-il. Hormis évidemment la famille Frahma se dit-il alors en se mordant la main. Il avait parlé librement de son mariage avec la propre sœur de l’empereur, son neveu et sa nièce qui avait probablement entendu. Toutefois, si un Frahma avait divulgué le secret, lui aussi serait attaqué ainsi que Vellétoile tout entier. Il sentit les gouttes de pluies lui entrer dans les cheveux et se mêler à ses larmes sur ses joues. Il ne connaissait pas précisément le droit Volien mais savait que toute relation proche entre une race inférieure et un Volien était passible de mort. Il resta à genoux, sous la pluie. Appelé ailleurs, Zieg était parti. Il resta immobile, seul, jusqu’à ce qu’une petite main prenne la sienne. Il se retourna et vit Damia, un sourire triste aux lèvres. Elle avait compris sans même lire la lettre, elle savait combien Mita comptait pour son ami. Il se leva et rentra au sec avec elle.

Partie XII

 Charlène arriva le lendemain, à l’aube, comme prévu. Balzac était assis sur la première marche de Vellétoile depuis la veille, dès que Damia s’était endormie. Il n’avait pas fermé l’œil de la nuit et ruminait une haine comme jamais il n’en avait éprouvé envers les voliens. Charlène s’approcha de lui et le fit sursauter en signalant sa présence d’une toux légère. Il leva ses yeux et la regarda avec colère :

  • Que va-t-il lui arriver ? Demanda-t-il sèchement.
  • Balzac, je suis tellement désolé. Je vous jure sur ma fille que je n’ai rien révélé sur votre mariage, à qui que ce soit, gémit Charlène.

Balzac grogna et la laissa continuer :

  • J’ai eu une idée : vous pourriez assister au procès, annonça-t-elle, incertaine.
  • Comment ? C’est impossi…
  • Écoutez-moi. Je viens d’apprendre que Savano a décidé de la défendre. Il est très puissant dans notre peuple et pourrait bien peser dans le jugement. Je dois néanmoins vous dire que c’est une chance très peu probable.

Elle s’arrêta devant le visage décomposé de Balzac mais décida de ne rien cacher :

  • Je suis désolé de dire cela si brusquement mais ce procès est probablement votre dernière chance de voir Mita en vie. Personne n’est sorti vivant d’un procès pour Mariage avec Humain.

Balzac recevait ces informations en s’affaissant plus à chaque mot qu’ajoutait Charlène.

  • Taisez-vous ! Hurla-t-il tout à coup en se levant. Dites-moi comment y aller plutôt que de débiter vos encouragements.

Charlène tremblait devant la colère de l’humain et vit sa pierre scintiller subitement tout en projetant une lumière dorée au travers de ses vêtements.

  • Je vous emmènerai. Avec votre perruque, il n’y a aucun moyen de vous reconnaître, d’autant plus que Melbu Frahma ne sera pas présent. C’est étrange, d’ailleurs, il a disparu depuis quelques jours. Je ne sais pas ce qu’il peut bien faire.
  • Je m’en fiche ! Votre frère est le pire fléau qu’Ultimesse n’est jamais porté.

Il s’en voulait un peu d’agresser autant cette velle qui lui avait sauvé la vie il y a quelques semaines. La colère avait cassé toutes ses barrières. Charlène était attristée car elle aimait, malgré tout, sincèrement son frère, sentiment ambigüe étant donné qu’elle menait des activités hautement illégales avec les humains. Se souvenant de leur enfance, elle seule le connaissait vraiment, pensait-elle.

  • Je vous donne rendez-vous demain à onze heures Balzac, je vous y emmènerai comme prévu. Bon courage, dit-elle en tentant un faible sourire.

Elle ne dit rien de plus et s’envola le plus rapidement possible en direction de l’Alumi qui venait de se lever, fuyant la colère de l'homme, et pétrie de honte.

Balzac arriva après une demi-heure de vol devant la belle façade de la résidence de Charlène Frahma. Celle-ci avait revêtu son plus bel habit pour assister au procès, contrairement à Balzac toujours affublé de son long manteau brun. Ils prirent le transporteur dans le salon et arrivèrent directement dans Zénébatos. Malgré sa douleur, Balzac ne put s’empêcher d’admirer la ville. La cité de la loi, contrairement à la capitale, reposait sur le sol. Chaque bâtiment était magnifique, plus beaux encore que ceux de Kadessa, plus beau que Vellétoile. Tout était doré, doux et luxueux. Ville touristique, de nombreux voliens se promenaient dans les rues de la ville, souriant devant les monuments et ils assistaient nombreux aux procès, se rassasiant des histoires sordides. Un tel public avait transformé les juges en comédiens, et chaque magistrat se souciait désormais plus de son apparence et de ses belles paroles que du procès en lui-même. Le procès finissait toujours par une condamnation décidée par l’empereur. Personne n’avait été acquitté à Zénébatos depuis quinze ans. Mita lui avait raconté tout cela le soir de leur rencontre. Elle expliqua tout ce qui faisait marcher ce monde, elle exposa tout ce qu'elle savait sur les voliens, en une sorte de remerciement pour le plongeon de Balzac qui lui avait sauvé la vie. Une maigre consolation vint de cette idée folle mais tenace : personne n'avait jamais été défendu par Savano, le volle le plus influent d'Ultimesse, après l'empereur bien entendu. A peine rassuré, Balzac suivit la sœur de l’empereur le guider à travers le dédale de rues et l’emmener dans la grande salle d’audience réservée aux affaires concernant les humains. Deux grands gardes en tenue d’apparat scintillante surveillaient l’entrée. Quand ils virent Charlène, ils s’écartèrent immédiatement, la laissant rentrer en compagnie de Balzac, négligeant les consignes de sécurité. La salle était immense et disposait d’une centaine de place. Tout au fond, un grand pupitre large où trônaient deux juges souriants faisait face au public. Sur les côtés, un siège réservé à l’accusateur, en face une chaise réservée à l’accusé et un fauteuil pour son avocat. Le juge de droite se leva et tapota sur sa table pour faire taire le public.

  • Bonjour à tous et toutes. Première affaire s’il vous plaît. L’humain Kanzas Moratus, surnommé le « monstre aux ailes ».

Tout le monde se tourna vers la grande porte qui s’ouvrit. Immédiatement des sifflements et des hurlements de haine se déchaînèrent sur l’homme qui entra, entouré de ses deux gardiens. Ceux-ci le jetèrent sur le siège sans ménagement, ce qui arracha un cri à l'homme. Charlène se tourna vers Balzac et le vit ébahi par cette apparition :

  • Qu’est-ce qu’il y a ? Demanda-t-elle, légèrement inquiète.
  • C’est lui, l’homme volant ! murmura-t-il. Celui que j’ai vu avec Damia.

Charlène ne chercha pas à comprendre et laissa se poursuivre le jugement. Le juge de droite fouilla dans ses papiers et commença l’énoncé des charges :

  • Vous êtes accusé des meurtres de six voliens ainsi que de la destruction de nombreux biens voliens. De plus, Melbu Frahma tient à ajouter comme charge la tentative de renversement du régime.
  • Vous n’avez pas de défenseur ? Demanda le deuxième juge.
  • Non, grogna l’humain sous les huées.

Les deux juges se concertèrent quelques secondes et énoncèrent le verdict immédiatement :

  • Vous êtes condamné à mort. Vous serez jeté au Colisée lors de la prochaine représentation, la semaine prochaine.
  • Affaire suivante, conclut le dernier juge.

Les deux gardes s’emparèrent de Kanzas et l’entraînèrent sans résistance dans le couloir qui menait aux prisons.

  • Il s’agit de …, commença le juge en farfouillant dans ses notes. Ah oui, Mita Forando.

Deux autres gardes entrèrent sous les hurlements plus vindicatifs encore que ceux envers l’humain. Des insultes volaient dans toute la salle, si fort que, cas exceptionnel dans l’histoire de la justice volienne, le juge dut faire taire le public. Aucun de ses avertissements ne troubla le public qui continuait à vociférer sur la jeune velle. Une porte s’ouvrit et soudain le silence se fit. Ecœuré, Balzac se retourna et vit entrer un grand volle, plutôt âgé, une longue barbe blanche lui descendant sur la poitrine, mais au corps svelte et vif.

  • C’est Savano, expliqua Charlène le plus discrètement possible.

Balzac ne dit rien et contempla le volien avec une certaine admiration. Voici l'homme qui acceptait de défendre sa femme, sans craindre le danger que cela représente. Voici aussi l'homme qui avait fait taire les horribles insultes qui l'assaillaient de toute part. Il passa devant Charlène et la salua discrètement tout en jetant un regard surpris à Balzac. Celui-ci sentit son cœur s’arrêter et vit les yeux du grand Savano comprendre qui il était. Il traversa la salle d’audience et se planta devant les juges, les bras croisés. Celui de droite souriait d’un air moqueur alors que celui de gauche restait bouche bée devant cette apparition surprenante.

  • Savano ! Quelle surprise ! Vous venez défendre cette jeune traîtresse, n’est-ce pas ? Susurra le juge de droite.
  • Tout à fait, gronda Savano d'une voix grave et puissante.

Le public était maintenant silencieux et le juge de gauche commença la procédure :

  • Mita Forando est accusé de Mariage avec Humain.
  • Qu’avez-vous à dire, Savano ? railla l’autre.

Le volle remua sur son siège et regarda son assistante dans les yeux. Mais celle-ci fixait le fond de la salle les yeux grands ouverts : elle venait de voir Balzac et semblait mortifiée. Des larmes s’écoulèrent immédiatement le long de ses joues.

  • Vous n’avez aucune preuve, dit-il calmement.
  • Nous avons un témoignage, grimaça le juge avec un rictus de joie.

Le fond du procès était là. Qui pouvait bien témoigner ? Balzac se rongeait les ongles tout en fixant avec amour son épouse aux yeux rougis. Lui aussi sentait un picotement le parcourir de part en part.

  • Montrez-moi ce témoin, j’exige de le voir, s'exclama Savano.
  • Vous exigez ? Du calme Savano, du calme. Vous n’êtes pas le maître ici. Ce témoin est très occupé en ce moment, mais il va arriver dans quelques minutes spécialement pour cette affaire. Ceci est remarquable vu la nature de ce témoin, qui aurait tout aussi bien pu nous faire un témoignage écrit. Mais quand il a su que vous veniez défendre l’accusée il a tenu à venir pour vous convaincre.

Dans la salle, tout le monde retint son souffle. La plupart avaient compris, mais Balzac fut sans doute le premier à deviner l’identité de ce témoin. Sa terrible crainte se vérifia l’instant d’après. La même porte qu’avait empruntée Savano grinça une nouvelle fois pour laisser entrer le témoin. Dans sa plus belle toge rouge flamboyante, l’empereur Frahma entra avec majesté devant les yeux déconcertés du public. Celui-ci, venu assister à un banal procès, put voir de près dans la même journée Savano et Melbu Frahma, ce qui n’était pas le cas de beaucoup de volles dans toute une vie. La cicatrice étrange qui parcourait son front comme une marque faite au fer rouge était terne ce jour-là. Cela était dû à son apaisement depuis la capture de l’homme volant.

  • Melbu Frahma, empereur d’Ultimesse, je vous prie respectueusement de vous asseoir, dit le juge de droite avec une infinie politesse.

Frahma s’assit doucement sur le fauteuil du témoin et attendit ainsi.

  • Vous pouvez témoigner, annonça-t-il avec déférence.

De sa place, Balzac ne pouvait voir que le dos de l’empereur et son crâne nu.

  • Il y a quelques semaines, ma nièce préférée, ma seule nièce d'ailleurs...Commença Frahma.

Il rit de cette petite plaisanterie, et le juge de droite l'imita avec déférence. Le public resta silencieux, impressionné.

  • Ma nièce donc, me raconta une histoire bien étrange. Je me permets de témoigner en son nom, je pense que chacun ici n'y verra aucun inconvénient, dit-il d'une façon purement rhétorique, personne n'oserait rien dire.
  • Elle me raconta qu'un certain Balzac, humain, était passé chez ma sœur, ici présente, dit-il en fixant Charlène d'un air méprisant. Il était marchand à Kadessa, et il avait parlé d'une certaine Mita, travaillant à Aglis, et qui serait sa femme.

Dès qu’il entendit son nom prononcé par l’homme le plus puissant d’Ultimesse, Balzac sentit son cœur s’arrêter et comprit que sa femme était condamnée. Il comprit aussi pourquoi Vellétoile était intacte, la petite ne savait pas où ce refuge se situait. Il était probable que Melbu le cherchait activement depuis ce jour si la jeune fille avait vraiment tout répété. Il se demanda quelles représailles la sœur de l’empereur allait devoir subir.

  • J'ai rangé cette histoire dans un coin de mon esprit car j’étais très occupé ces jours-ci. Mais il y a quelques jours, je me suis souvenu de l’affaire et est pris les mesures qui s’imposaient, conclut Frahma d'une voix détendue.

Savano, si impressionnant il y a quelques minutes, était désormais affalé sur son siège et anéanti, pour le plus grand bonheur du juge de droite.

  • Je peux évidemment vous fournir une preuve qui prouverait mes dires, nous avons perquisitionné le magasin de l'homme et trouvé, très bien caché je dois le reconnaître, une gravure du couple en cause.

Balzac croisa à ce moment le visage de sa femme, qui comprit les conséquences d’une telle image. Elle préféra raccourcir le procès et prononça ses premiers mots depuis son arrestation :

  • C’est vrai, je suis mariée avec Balzac, un humain.

Le juge se retourna vers elle et frappa sur sa table avec son marteau.

  • Très bien : vous êtes condamné à mort. Merci infiniment Melbu Frahma, grand maître d’Ultimesse.

Melbu se leva et se tourna légèrement vers le juge de droite.

  • Mon cher juge, le manque de respect dont vous avez fait preuve envers Savano, chef de la cité d’Aglis, mérite une punition. Je vous condamne à mort également, déclara Frahma de toute sa hauteur.

Tout le monde relâcha son souffle dans la salle devant cette phrase inattendue. Le juge condamné s’écroula sans un mot sous la table et resta ainsi évanoui. Savano ne savait que dire devant cet acte à la fois arbitraire et en sa faveur. Il accompagna l’empereur hors de la salle d’audience en le suppliant d’accorder une grâce à son assistante. Melbu ne bronchait pas jusqu’à ce qu’il croise sa sœur.

  • Savano, mon ami, voudriez-vous voir une nouvelle condamnation à mort ? Dit-il avec une fausse gentillesse en faisant un clin d’œil terrifiant à Balzac.

Savano comprit le signe et ne dit plus rien, préférant une exécution plutôt que deux. Heureusement pour Balzac, le public n’avait pas noté le geste de Frahma. Celui-ci ajouta une phrase pour faire comprendre plus clairement à Balzac qu’il savait qui il était :

  • N’oubliez pas que son mari n’a commis aucune infraction. Aucune loi n’interdit aux Humains de se marier avec des Voliens. Il est donc libre.

Sur ce il sortit avec son camarade Savano. Quatre gardes attrapèrent les deux condamnés et les emmenèrent vers les prisons. Balzac fixa sa femme, sachant que c’était la dernière fois qu’il pouvait le faire. Dès qu’elle disparut derrière une porte, Charlène l’attrapa et l’emmena hors de la salle.

  • On rentre, murmura-t-elle, vite !

Partie XIII

Entre les quatre murs sales, Kanzas ruminait sa haine envers les voliens et leurs simulacres de procès. Il tapait sur les murs, sentant sa pierre s’échauffer mais sut la contenir. On ouvrit la porte et un volien entra :

  • Fouille complète. On enlève tout ce que tu possèdes.

Kanzas s’apprêtait à retirer ses habits quand il vit passer dans le couloir, derrière le volle qui venait d’entrer, le juge qui venait de le condamner.

  • Que fait-il là celui-là ? Demanda-t-il surpris.
  • Condamné par Melbu Frahma en personne, répondit sinistrement le gardien.

Kanzas ne put s’empêcher de rire et reçut en contrepartie un violent coup dans le ventre, ce qui ne diminua en rien sa joie.

  • Allez dépêche-toi ! Grimaça le garde.

Une autre ombre passa alors dans le couloir et entra dans la cellule. En un éclair le gardien se retrouva par terre. Le responsable de son étourdissement se glissa dans la cellule et apparut devant les yeux de Kanzas. Sa barbe était gigantesque, plus longue que le volle étalé et elle semblait flotter.

  • Suis-moi, vite ! Dit-il d’une voix juvénile qui contrastait furieusement avec la longue barbe.

Kanzas tenait ici sa seule chance de survie et suivit l’inconnu avec bonheur. Celui-ci lui saisit la main et disparut devant les yeux ahuris des gardes qui venaient à la rescousse de leur collègue. Au même moment dans la maison de Charlène, où sanglotait Balzac depuis son arrivée, quelqu’un frappait à la porte. Intriguée, la velle alla ouvrir et vit deux gardes entrer en la poussant sans ménagements. Elle tomba durement sur le sol et sentit la colère monter en elle.

  • Nous venons sur ordre de votre frère capturer toute personne qui ne serait pas de la famille Frahma dans cette maison, déclara le garde avec hésitation.

Charlène connaissait le pouvoir de son frère ainsi que son étonnante absence de pitié, particulièrement envers les membres de sa famille. Elle préféra laisser faire les deux gardes. Balzac avait entendu la menace et s’était réfugié dans la chambre de la jeune fille de Charlène, qui dormait toujours. Bercé entre la douleur et la peur, il hésita à tordre le cou de la velle responsable de la mort de sa femme. Repoussant ses élans meurtriers, il se coinça dans un coin de la chambre, espérant un miracle. Il semblait pris au piège et entendait les gardes ouvrir chaque porte et fouiller chaque pièce. Soudain, un volle inconnu apparut. Il arborait fièrement une très longue barbe et ses yeux semblaient s’amuser de la situation. Il ne prononça même pas un mot, empoigna l’humain puis s'évapora dans la nuit. Balzac se retrouva alors devant Vellétoile. Il se tourna frénétiquement à la recherche de son sauveur mais ne vit rien. Il décida de rentrer dans son refuge, sa douleur se battant avec la surprise et un léger soulagement.

Shirley se tenait devant sa petite lucarne quand l’évasion avait eu lieu. Les gardes s’agitaient maintenant en tout sens en cherchant des trappes secrètes partout. Ils entrèrent même dans sa cellule pour ne rien trouver, évidemment. Ils ne pouvaient croire à une disparition si soudaine sans l'aide d'un transporteur. La jeune fille souriait en voyant la panique de ces maudits gardes et ressentait une réelle joie pour l’homme qui venait de s’évader. Cependant, très vite, elle repensa à son propre sort et son cœur se serra devant la longue vie qui l’attendait dans cette prison humide. Elle ne comprenait même pas ce qu’on lui reprochait, car cela semblait être une punition infligée par ces êtres aux cheveux argentés. Ce jour-là, elle décida de mettre tout en œuvre pour s’évader quand le moment serait venu. Elle commença un programme rigoureux d’exercices physiques qui, l’espérait-elle, la rendre plus forte qu’un volien, ces créatures surprenantes qui l'avaient envoyée en prison.

Partie XIV

De retour en cours depuis une semaine, Albert n’avait pas eu vent de tous les événements survenus depuis quelques jours. Ainsi, la capture de la femme de Balzac, du monstre aux ailes et l’évasion de celui-ci lui était inconnue. Jusqu’à ce qu’il reçoive la lettre effrayante de sa mère qui résumait d’un trait tremblotant l’ensemble de ces faits. Par ailleurs, Melbu Frahma la punit de la pire des manières : il lui attacha deux volles chargés de sa surveillance, elle ne pouvait pas faire un pas sans les sentir derrière elle. En colère contre son oncle, mais aussi contre lui et son impuissance, emprisonné dans son lycée pour encore cinq ans, Albert ne suivait pas vraiment les cours et le sentit à ses notes en chute libre. En quelques jours, il fut donc convoqué dans le bureau du directeur : Savano. Enfin, il allait connaître l’homme dont on murmurait le nom si souvent dans la cité étonnante d’Aglis, un homme qu’il admirait sans même le connaître du fait des récits enflammés de sa mère. Le jour venu, il était entré avec confiance dans le bureau et constata que le fauteuil était tourné. Ce dernier se retourna lentement et le visage de Savano resta immobile, fixant avec sévérité le jeune volle.

  • Assieds-toi, ordonna Savano de sa voix puissante.

Albert obéit rapidement et attendit la suite :

  • Je suis désolé d’apprendre que tes résultats sont devenus pitoyables, dit-il sans préambule.
  • Mais…
  • Tu as des excuses que nous connaissons tous deux, donc je ne prendrais aucune mesure disciplinaire, pour le moment... Je te demande juste de remonter la barre le plus vite possible. Voilà, tu peux disposer.

« C’est tout ! » voulut hurler Albert à ce volle qu’il soupçonnait d’être son père. Jamais ils ne s’étaient parlé, et pour une fois qu’ils pouvaient le faire, l’entretien ne durait pas plus de deux minutes. Ses espoirs étaient déçus et sa colère ne diminua pas. Il sentit, comme à chaque fois qu’il ressentait cette fureur, sa sphère verte chauffer et tournoyer. Il prit congé avec fureur et constata que Savano n’y prêtait pas attention, déjà concentré sur un manuscrit finement décoré. Mortifié par cet échec, il décida de finir la journée dans son bar préféré, pour oublier cette rage sourde qui l’habitait depuis la lettre de sa mère. Il sortit du centre de recherche magique et parcourut la longue route qui menait à la ville proprement dite. Aglis était une île gigantesque formée de deux parties : le centre de recherche avec ses savants et ses étudiants et la ville où vivaient tout ce monde. Un kilomètre séparait les deux parties de la cité et la route n’était utilisée que par les rares minitos d’Aglis et les charrues transportant des marchandises d’une partie à l’autre. Albert décida de marcher pour se calmer et sentait toutes les dix secondes un soufflement au-dessus de sa tête, provoqué par un Volien en vol. Il repensa à sa mère, à son oncle et à Savano. Celui-ci était bien aussi majestueux qu’on le disait, assis comme un seigneur dans son fauteuil de directeur. Une puissance impressionnante émanait de ce volle. On murmurait qu’il était le seul à pouvoir tenir tête à Frahma quand ce dernier n’avait pas encore le soutien de sa pierre divine. Le kilomètre fut terminé rapidement mais Albert était déjà essoufflé, peu habitué à ce mode de déplacement. Il entra dans la petite ville par les hautes portes en bois, ouvertes la journée. Aglis était la ville qui ressemblait la plus à un village humain. Par ces maisons aux dimensions raisonnables d’abord, par ces rues posées à même le sol et surtout par l’ambiance chaleureuse qu’elle dégageait à l’opposé de la froideur de toutes les autres villes voliennes. Le bar principal d’Aglis se nommait l’Unique. Il entra et la lumière tamisée lui permit d’ouvrir enfin les yeux en grands. Il s’assit sur une chaise autour du comptoir et demanda un alcool quelconque, le moins cher et le plus fort. Il décida de noyer son chagrin dans la boisson amère que lui servait le commerçant. Après dix verres, il s’écroula sur le comptoir, ronflant tristement. Le serveur agita la tête avec mécontentement, ce n’était pas la première fois que ce volle n’était même plus en état de rentrer chez lui.

Partie XV

Shirley oublia rapidement la joie passagère qui suivit la fuite d’un humain. A cause de cette erreur, les gardes étaient devenus plus agressifs, plus violents, plus méprisants que jamais. Chaque soir, Shirley répétait inlassablement ses nombreux exercices, pompes, tractions, flexions et abdominaux qui la transformaient complètement. A chaque humiliation de ses gardes, elle sentait une douleur dans son ventre provoqué par l’échauffement de sa pierre blanche, chaque fois plus important. Ce soir-là elle venait de finir tous ces exercices et s’écroula sur la planche de bois qui lui servait de lit. Le garde entra alors, son dos et ses superbes ailes précédant sa tête hideuse car il transportait à reculons un plateau de nourriture. Il le posa violemment à côté de la jeune fille. Voyant qu’elle ne réagissait pas à son arrivée, il lança un grand coup de pied dans le dos de la jeune fille qui provoqua un craquement sinistre. Celle-ci gémit de douleur et se retourna en grommelant. Le volle réitéra son coup plus fortement et dans le ventre. Shirley sentit sa pierre s’enfoncer dans sa peau et la fit crier. Le garde hurla alors :

  • La prochaine fois tu me remercieras pour ce repas, sale humaine !

Sur ce il sortit en s’esclaffant et fonça raconter l’histoire à ses collègues. Cette fois-ci la pierre de Shirley ne refroidit pas et jaillit hors de son vêtement pour s’élever dans les airs. Oubliant la douleur dans son dos, elle regarda, fascinée un faisceau de lumière blanche entrer en elle lui provoquant des frissons agréables. Elle sentit des picotements le long de tous son corps et ferma les yeux en soupirant de bonheur. Quand elle les rouvrit, ses avant-bras, ses mollets et son torse étaient recouverts d’une fine armure lumineuse qui scintillait dans les ténèbres de la cellule. Elle ne put que sentir une sorte de casque qui lui recouvrait la tête, la pierre se posa sur celui-ci et s’y fixa solidement. Alors sa douleur dorsale se réveilla et la plia en deux. Immédiatement son corps entier vibra à l’unisson de la pierre blanche et l’os fracturé la picota agréablement. Quelques secondes s’écoulèrent avant que la douleur ne disparaisse complètement, ainsi que la brûlure sur son abdomen. Elle se redressa alors, se sentant plus forte que jamais, et ses pieds décolèrent de quelques centimètres. Elle perçut derrières ses oreilles deux grands battements de ce qu’elle devina être des ailes. L’étonnement prit la place de la joie et du plaisir et elle se demanda ce qu’il pouvait bien se passer dans cette cellule sombre de Zénébatos. La haine qu’elle éprouvait contre son bourreau diminua après la disparition miraculeuse de la douleur et se transforma en simple rancœur. Ses pieds touchèrent le sol quelques instants après son décollage et les mêmes sensations la traversèrent de nouveau. La transformation surprenante prit fin et elle s’assoupit immédiatement. Pour la première fois depuis son arrivée, elle s’endormit en souriant.

Balzac décida immédiatement après le procès, malgré les risques évidents, d’assister à l’exécution de sa femme. Charlène, qui avait vécu plusieurs scènes d’exécution, essaya par tous les moyens de le faire renoncer mais rien n’y fit. Balzac se jura d’assister à la cérémonie. Il ne savait toujours rien du miracle qui l’avait sauvé du guet-apens chez Charlène, et peu lui importait en ces jours. Les exécutions étaient ouvertes, contrairement aux procès, à toutes les races et attiraient continuellement de nombreux spectateurs avides de douleur et de sang. Dans le même temps, elles servaient d’exemple pour d’éventuels rebelles. Charlène savait qu’elles étaient terribles et douloureuses, même quand il ne s’agissait pas de quelqu’un que l’on connaissait. Mais elle ne put lui refuser cette dernière faveur.

Balzac arriva seul à Zénébatos cette fois-ci, avec néanmoins l’aide de Charlène pour traverser l’océan, et se dirigea le plus rapidement possible sans sa maudite perruque vers le seul lieu ouvert aux humains dans la cité : la salle des exécutions. Une cinquantaine de personnes, dont la majorité était des Voliens étaient présentes dans cette grande pièce dépouillée. Rien ne venait détourner l’attention de ce qu’il se passait ici. Quelques bancs permettaient aux spectateurs d’observer les sentences. Quelques instruments terrifiants complétaient le reste du décor. Les spectateurs attendaient avec une impatience sinistre l’arrivée des deux futurs cadavres de la matinée. Le juge fut le premier à se présenter sur la scène. Dans un silence qui surprit Balzac, personne ne parlait. Un grand volle au visage déformé par les cicatrices attacha le juge à un poteau gigantesque. Il se retourna vers le public, plus précisément vers un deuxième juge, chargé de la vérification de la bonne marche des exécutions et prononça son discours d’une voix grave sans émotion :

  • Lolel Mirata, condamné par Melbu Frahma à mort. Elle lui sera donnée par décapitation selon les volontés du condamné.

Le deuxième juge acquiesça et attendit la suite dans ce silence de mort. Le bourreau détacha le juge et lui posa la tête sur une table solide en chêne. Il saisit une hache gigantesque dont la lame s’enflamma immédiatement. Il la souleva et l’abattit avec force sur la nuque du juge. La moitié de celle-ci fut arraché par le choc et s’éloigna sous les hurlements du supplicié. Le bourreau recommença avec application son geste et acheva son travail. La tête roula sur le plancher de la scène et tomba dans un récipient. Il saisit le corps sanguinolent et le jeta dans ce même récipient.

  • Affaire suivante, dit le juge d’une voix forte.

Le bourreau sortit de la scène pour revenir tenant par le bras la jeune Mita. Balzac attendit les cris, les hurlements, les vociférations du public mais ceux-ci ne vinrent pas à sa grande surprise. Le silence absolu qui accompagnait traditionnellement les exécutions ne fut pas rompu.

  • Mita Forando, condamné par Lolel Mirata à mort. Elle lui sera donnée par empoisonnement selon les volontés de la condamnée.

Balzac contempla une dernière fois le visage bouffi de larmes de sa femme, et vit avec horreur ses yeux qui l’aperçurent. Le regard qu’elle lança le terrifia, son cœur fit un bond et ne reprit sa course que quelques secondes plus tard. Il devint blanc comme le liquide que tenait le bourreau. Mita détourna ses yeux rougis de la vue de son mari et saisit le flacon que tendait le grand volle. Elle l’ouvrit lentement et avala d’une traite son contenu. Devant le silence du public et le regard désespéré de Balzac, elle s’écroula sur la scène sans un bruit. Le bourreau l’attrapa et la jeta comme le juge dans le grand bac. Il sortit de la scène sans un mot ; sans une expression. Rassasié, le public se leva et sortit silencieusement de la salle. Balzac avait précédé tout le monde et fuyait hors de cette ville maudite le visage rongé par la douleur. Il arriva à la lisière d’un bois et ses nerfs purent enfin lui faire remarquer que sa pierre lui brûlait la peau. Il la prit dans ses mains et la jeta de colère dans le fleuve puissant qui traversait Zénébatos. Il continua alors à courir vers la demeure de Charlène sans se soucier du danger que représentaient les gardes impériaux.

Partie XVI

Kanzas se réveilla après trois jours de sommeil. Il bondit hors de ce lit inconnu et essaya de chercher une sortie. La pièce ne possédait pas de portes ni aucune autre ouverture conventionnelle. Kanzas hurla alors son mécontentement et sentit le pouvoir le gagner. Il sût le contrôler et attendit alors la personne qu’il l’avait sauvé des griffes voliennes. Celui-ci arriva quelques instants plus tard dans un éclair bleu. Kanzas le scruta et admira cette barbe gigantesque qui touchait presque le sol, et ressentit un grand respect pour ce volle, ce qui ne lui était jamais arrivé.

  • Enfin réveillé Kanzas… Attrape ma main, dit la voix du volle avec douceur.

Un peu effrayé par son enfermement, Kanzas n’hésita pas et fut transporté par un moyen qu’il ne connaissait pas dans une pièce qu’il devina être une salle à manger. Un autre homme engloutissait à une vitesse ahurissante une quantité importante de nourriture.

  • Vous voici enfin réunis, dit le volle.

L’homme se leva et sourit à Kanzas :

  • Enfin debout. Parfait. Tu es donc le fameux homme aux pouvoirs étranges.
  • Plus fascinants qu’étranges mon cher Diaz, déclara doucement le volle.

Kanzas s’étonna de ce nom :

  • Diaz ! Le Diaz ? S'exclama-t-il avec respect.

Diaz rit un court moment et s’expliqua :

  • Oui, en effet. LE Diaz comme tu le dit si bien.

Diaz le miracle vivant, le seul humain à tenir tête aux voliens. Il effraya même Melbu Frahma qui ordonna sa capture. Malgré des renseignements précis donnés par des anciens camarades humains de Diaz, les troupes de Frahma ne trouvèrent jamais cet homme, si dangereux, et abandonnèrent quand ils n’entendirent plus parler de lui.

  • Vous étiez là pendant tout ce temps ! Mais au fait, où sommes-nous ? Qui êtes-vous ? Demanda Kanzas avec empressement.

Le volle s’assit et prononça quelques mots de sa voix étonnante :

  • Du calme Kanzas, vous allez savoir. Nous allons vous racontez tous ce que vous voulez savoir, et même plus. Nous avons le temps, ajouta-t-il. Nous avons tout le temps.

 

Chapter 2: Les Dragoons

Summary:

La rencontre des Dragoons, et leurs premiers échanges pour lancer la révolution.

Chapter Text

Partie 1

Une jeune fille se baignait paisiblement dans le fleuve Le Vellis. Elle semblait parfaitement à l’aise dans l’eau, son héritage maternel l'aidant à se fondre dans le fleuve et à s’y sentir comme chez elle. Au bord de l'onde calme, assis sur l’herbe, un homme l’observait avec un regard paternel. Quand elle sortit, lavée et essoufflée, il lui lança un drap sec qu’elle enveloppa autour d’elle. Ses longs cheveux blonds, détrempés, étaient plaqués sur sa nuque, sa pierre bleue, dernier souvenir de ses parents, se balançant sur sa poitrine. Recueillie aux côtés du corps encore chaud de son père, plus de dix ans auparavant, cette pierre scintilla. Ses deux yeux bleu océan fixèrent Balzac et elle dit : «

- Ça fait du bien de se tremper un peu.
- Tu n’as pas pris froid au moins, Damia… S'inquiéta-t-il.
- Mais non. Ne t’inquiète pas, rassura-t-elle amusée.

Elle continua à se sécher avec vigueur. Le jour de l’exécution de sa femme, Balzac perdit l'envie de vivre. Heureusement, Damia était la et occupa son esprit et son cœur : il l’élevait désormais comme sa propre fille. Chacun essayant d’oublier les drames qu’ils subirent. Dix ans avaient passé depuis ces jours sombres, et la douleur s’émoussait un peu plus chaque jour. Pourtant, ils leur arrivaient souvent de se réveiller brusquement en pleine nuit, le visage des proches disparus devant les yeux. Balzac resta immobile, les yeux fixés sur les pointes de Vellétoile pendant que la jeune fille se rhabillait. Lui portait son éternel manteau marron qui recouvrait l'ensemble de son corps, accompagnant un pantalon de la même couleur. Quand elle eut terminé, Damia sauta brusquement devant lui, vêtu d’une longue robe bleue, et déclara qu’elle voulait rentrer à Vellétoile. Il se leva et partit en direction du refuge.
Une autre activité lui occupa la tête, durant cette décennie plutôt tranquille : il étudia une encyclopédie colossale qui contenait toutes les connaissances accumulées par les humains. Écrite par un inconnu qui disparut il y a cent ans, nommé l’Ancêtre, elle était formée de vingt-cinq volumes. Balzac la lut entièrement plusieurs fois et devint ainsi un érudit respecté au sein de la communauté de Vellétoile. Seulement, il ne disposait que des maigres connaissances des humains, ridiculement peu étendues en comparaison de celles des voliens. Il ne trouva rien d’intéressant à propos de ces pierres étranges que lui et Damia portaient, hormis leur nom : Ames de Dragon. Ce mot trouvé au fond du treizième volume n’éveillait aucun souvenir, ni aucune légende. N’ayant jamais vu de dragon, comme la plupart des habitants d’Ultimesse, il ne put savoir ce que signifiait ce terme. Les livres ne l'éclairaient pas plus sur ce point. Sa haine un peu calmée, sa pierre lui manquait, certain que ses mystères étaient porteurs d'espoir. L'espoir était ce qu'il cherchait depuis la mort de sa femme, le jour où il jeta avec rage la sphère dorée dans le puissant fleuve de Zénébatos.

La forêt cachant Vellétoile verdissait, les animaux ressortaient enfin de leurs cachettes. L’un d’eux, un superbe léopard des neiges, remontant vers le Nord pour retrouver le froid auquel il était habitué, rôdait à la recherche de nourriture : il n’avait pas mangé depuis trois jours. Quand il vit arriver la petite Damia, sa salive se mit à couler le long de ses babines. En un instant, il bondit agilement, toutes griffes sorties, sur cette proie alléchante. Ses crocs puissants et ses griffes aiguisées rentrèrent dans la peau en traversant la robe. Damia poussa un cri de surprise puis un gémissement de douleur. Dans un brave élan réflexe, Balzac sauta vers l’animal pour tenter de le neutraliser. Parvenu à portée de l’incident, il fut paralysé par un éclair aveuglant de lumière bleu. Il tourna la tête pour protéger ses yeux tout en continuant à avancer. Il entendit un claquement sec précédé de trois mots incompréhensibles prononcés par Damia. Quelques secondes coururent puis la lumière disparût. Il put se retourner et observer sa protégée. La première chose qu’il vit fut le corps du léopard, gisant sur le sol, une fine couche de glace le recouvrant entièrement : il était gelé. Abasourdi, il chercha Damia et ce qu’il vit le stupéfia.
La jeune fille avait, par un sortilège miraculeux, changé sa robe azur en une armure fine et décorée qui lui enveloppait le torse, laissant ses bras et ses jambes découverts. De petites bottes bleues couvraient ses pieds et ses chevilles. Un bandeau, dont le centre foré accueillait la fameuse sphère de dragon, lui entourait le front. Ses cheveux flottaient librement derrière sa nuque. Mais le plus fascinant était ces ailes bleues, finement striées par de longs canaux qui semblaient irriguer les feuilles transparentes les composants. Attachées dans le dos de la jeune femme, elles la soulevaient de quelques centimètres par d’amples battements. Balzac constata que tout cet équipement était parfaitement ajusté à la taille de Damia.
Il comprit alors que l’âme de dragon, devenu en un instant porteuse véritable d’espoir, était à l’origine de ces multiples mutations. Détournant son regard de l'être volant, il choisit d’examiner le léopard et d’essayer de comprendre ce qui lui était arrivé. Il se pencha vers lui et mit sa main sur la fourrure. Un poil gelé lui piqua la main et son sang goutta sur la glace. Le fauve fut congelé, malgré ses protections naturelles contre le froid et cela pendant les quelques secondes d'aveuglement qu’il avait subi. Seule la magie, et une magie puissante, pouvait expliquer le phénomène. Mais les humains n’étaient pas capables de magie. Il fouilla sa mémoire à la recherche d’une explication et se rappela un chapitre de l’encyclopédie : d’après l’Ancêtre, il existait sept âmes de dragons, autant que d’éléments. Le bleu représentant l’eau, la sphère de Damia contenait l’âme d’un dragon marin. Il apprit également, grâce à l’Ancêtre, que la glace était en réalité de l’eau sous une autre forme. Un bruit de chute interrompit ses pensées. Damia retrouva sa robe bleue et tomba, hébétée, sur le sol. Balzac se précipita vers elle et l’aida à se relever :

- Que s’est-il passé ? Demanda-t-elle en découvrant le léopard.
- Rentrons à Vellétoile, je t’expliquerai, dit-il d'une voix faible.

Elle se leva avec son aide, sans discuter, et passa devant lui pour ouvrir la voie, à peine impatiente de savoir la vérité. Il put constater avec stupeur que les blessures infligées sur sa peau par les griffes avaient disparues complètement. Seules les déchirures de sa robe témoignaient de l’attaque. Complètement abasourdi par cette aventure, Balzac se mit à marcher vers le refuge.
Pendant le trajet du retour, Damia reposa sa question. Balzac essaya de décrire le plus précisément ce qui s’était passé. Damia réagissait à chaque mot avec surprise. Elle palpa son dos et ne sentit aucune trace ou cicatrice. Soucieuse, elle ne dit plus rien quand Balzac eut fini. Après quelques minutes de marche soutenue, ils virent enfin les marches du refuge. Balzac était impatient de rapporter son aventure étonnante tout en craignant de ne pas trouver les mots qui expliqueraient parfaitement ce qu'il vit. Ils montèrent les marches rapidement, sans le moindre effort. Dix ans dans ce refuge leur avaient forgés un corps sportif et endurant. Damia entra sans pudeur dans la tanière de Zieg au deuxième étage, espérant qu’il était réveillé. Elle fut surprise de le voir habillé et bien éveillé aux cotés de Rose et d’un homme massif. Balzac arriva, plus essoufflé, quelques secondes après la jeune femme.

- Bonjour les amis, dit d’une voix assurée l’homme inconnu.
- Balzac, Damia, je vous présente Diaz, déclara Zieg.

Les deux humains demeurèrent stupéfaits par ce nom et oublièrent momentanément l’aventure du léopard polaire. Leurs yeux fixaient avec surprise et joie le héros des peuples opprimés. Il était tel que l’on le murmurait. Imposant, autoritaire, son corps puissant et sa courte barbe noire renforçaient son aura de chef de guerre. Il disparut dix ans auparavant. Les Voliens annoncèrent fièrement sa mort dans le but d’anéantir les quelques faibles mouvements de résistances existants dans Ultimesse. Cet avis de mort sauva certainement la vie de nombreux Volles. Tous les mouvements de résistance s’arrêtèrent en effet avec ce décès supposé, et plus une attaque contre l’autorité volienne n’apparut. Fier de cette victoire, Melbu Frahma créa un commissariat aux questions humaines et plaça rapidement un volien par village qui en devenait le chef. Il inventa aussi les visites de campagnes humaines pour les voliens en vacances. La guerre cessa, mais le calvaire de races inférieures ne se retira pas pour autant. Brimades, moqueries, accidents malencontreux formaient le quotidien des habitants de villages. Vellétoile, invisible, échappait évidemment à ces problèmes.
Balzac, perdu dans son admiration pour Diaz, se vit rappeler par un coup de coude vigoureux de Damia qu’ils étaient venus pour raconter leur histoire et non pour rester bouche bée. Balzac s’exprima alors avec précipitation en balbutiant et bafouillant un mot sur deux. Cependant il n’omit aucun détail et s’arrêta après seulement cinq minutes la gorge sèche. Il eut alors une grande déception : personne n’esquissa le moindre geste de surprise et un sourire apparu sur le visage de Diaz. Balzac s’apprêta à s'impatienter et à les persuader de la véracité de son histoire. Mais Diaz anticipa son énervement et le rassura en montrant Rose et Zieg :

- Vous manquez de chance jeune homme. Je viens à l’instant de raconter une histoire bien similaire à nos deux amis.

Balzac comprit alors la cause de ce calme et se ressaisit, sûr qu’on le croyait. Il s’en voulu d’avoir laissé paraître un soupçon d’énervement.

- Toutefois votre histoire est intéressante car elle prouve qu’il existe bien plusieurs chevaliers dragons, rajouta-t-il, mystérieux.

Sans se soucier de savoir ce que signifiait ce terme, Damia posa une question logique :

- Qui est l’autre ?

Il y eut un court moment de silence avec qu’une voix grave leur parvienne, en provenance d’un coin d’ombre au fond de la pièce :

- C’est moi, annonça l'ombre.

Damia vit alors apparaître, sortant de l'obscurité, un homme d’une trentaine d’année, grand et musclé.

- Je m’appelle Kanzas, dit-il en guise de présentation.

Damia hocha la tête, effrayée et fascinée par les yeux violets de l’homme. Et tout à coup elle se souvint. Elle se tourna précipitamment vers Balzac qui fixait aussi avec stupeur le nouvel arrivant. Ils reconnurent immédiatement le visage de l’étrange créature mi-homme mi-volien qui s’était battu avec plusieurs membres de la garde impériale, dix ans auparavant. L’homme qui avait précédé dans la cour de Zénébatos sa femme déjà condamnée. L’homme qui s’était enfui des prisons les plus protégées d’Ultimesse et rendu Frahma fou de rage.

- Kanzas a perdu sa famille dans des conditions terrifiantes il y a dix ans. Il a trouvé sur le corps encore chaud de son père une âme de dragon, conta Diaz.
- La colère contenue en moi à ce moment a déclenché, comme pour vous jeune fille, continua Kanzas en fixant Damia, l’apparition du pouvoir. J’ai alors senti en moi une puissance effrayante et involontairement j’ai déclenché sur les restes de mon village un tonnerre qui acheva sa destruction.

La voix glacée de Kanzas frappa Balzac qui attendit la suite de ce récit étonnant.

- J’ai alors décidé de me venger, ajouta-t-il simplement.

Alors Balzac comprit. Tout devenait clair, les gros titres des journaux qu’il lisait quand il était encore marchand à Kadessa revinrent en nombre dans l’esprit de Balzac et il ne put s’empêcher de prononcer l'autre nom de Kanzas.

- Le monstre aux ailes… Murmura-t-il.
- C’est cela, s’exclama Diaz avec une émotion étrangement joyeuse. Voilà dix ans que l’on a tiré Kanzas des prisons voliennes, canalisé sa folie meurtrière pour qu’elle profite au peuple humain tout entier.

Diaz se tut, laissant ses paroles infuser, et continua avec plus de joie encore dans la voix :

- Je suis certain que le pouvoir de ces sphères va nous permettre très prochainement de changer le monde.

Il montra alors du doigt les cinq personnes présentes et continua :

- Je suis convaincu que chacun de vous pouvez utiliser vos âmes de dragons et à en contrôler le pouvoir.
- Il manque cependant deux porteurs, annonça Kanzas, nous sommes sept selon les textes.
- Albert Frahma est très probablement l’un des deux derniers porteurs, expliqua Zieg.

Balzac se souvint alors de l'intérêt étrange de Zieg pour sa pierre, quelques années plus tôt, le jour de son arrivée dans le refuge. Lui et sa femme en possédait certainement chacun une, probablement hérités de leurs parents, et ils ne savaient pas s'en servir non plus.
Dans le même temps, Diaz serra les dents en entendant le nom de Frahma et il demanda alors d’une voix forte et curieuse :

- Qui est cet Albert ?
- Le neveu de l’empereur, un solide soutien de notre cause, avec sa mère Charlène, expliqua Zieg avec ferveur.
- Avoir quelques voliens de notre côté serait une très bonne chose, déclara alors Diaz en reprenant sa voix normale.

La pièce s’échauffa et tout le monde sentit une atmosphère orageuse. Kanzas s’avança avec colère.

- Jamais ! Vociféra Kanzas, tout volien doit être exterminé, sinon jamais nous sortirons de l’esclavage !
- Tais-toi, dit alors très froidement Diaz, tu ne dois pas devenir comme eux.

Ses yeux lançaient des éclairs terrifiants et Damia crut sentir la température de la pièce augmenter un peu. Kanzas se tut devant la puissance que dégageait Diaz et ne dit plus un mot jusqu’à la fin de la discussion. Balzac sentit sa gorge se resserrer : que se passerait-il quand Diaz apprendra qu’il avait jeté son âme de dragon des années auparavant …

Le groupe se tut, attendant les ordres de Diaz, chacun sachant sans plus d'explications qu'il était le chef d'une entité qu'ils n'avaient pas encore bien définie. Diaz sortit, seul, après leur avoir dit qui reviendrait demain, accompagné de ses plans. Kanzas se décida alors à retrouver la parole et annonça, catégorique, que les salles du dernier étage étaient réservées aux porteurs et qu’il comptait s’installer dans l’une d’elle. Personne ne songea à le contredire et il occupa la salle surmontée d’une plaque mauve et brillante. Damia décida de l’imiter et choisit évidemment celle surmontée d’une plaque bleue. Balzac l’aida à faire un déménagement rapide où ils transportèrent ses quelques affaires personnelles, essentiellement des souvenirs de chasse et des vieux vêtements.

La journée se déroula tranquillement, sans les incidents qui ponctuaient l'ancien temps, comme souvent depuis l’accalmie que ressentait le monde. Cela ne cessait pas de surprendre les réfugiés, habitués depuis leur naissance à la crainte incessante. Malgré tout, les habitants de Vellétoile dormaient tous quand Diaz revint. Il monta silencieusement au deuxième étage et se dirigea de suite vers la chambre de Balzac, surmontée d’une plaque marron. Il sourit en fouillant dans sa poche, pour en ressortir une pierre sombre. Il frappa à la porte et constata qu’elle était entrouverte. Il entra et vit le jeune humain en train de lire dans son hamac. Il contempla la pièce majestueuse : quelques étagères s’étendaient sur les murs du fond, remplies par de gros livres marqués chacun d’un chiffre. Le mur était suspendu entre les deux murs perpendiculaires de la pièce. Une armure en fer rouillé et un cimeterre gigantesque gisaient sur le sol, dans un angle de la pièce. Les sept salles du dernier étage étaient toutes des pyramides à bases carrées d’environ quatre mètres de côté et deux mètres de haut. Leur sommet était une pointe fine couverte d’or.
Balzac lisait depuis son arrivée dans sa nouvelle chambre. Il relisait encore et encore cette mystérieuse introduction rédigée par l’Ancêtre…

Je suis Odas Eui. Je suis le fruit de l’amour entre un humain et une volienne. J’ai pu ainsi découvrir les deux civilisations et de nombreux secrets sur la création du monde, sur Ultimesse et les créatures qui la peuplent.

Il se demanda quels parents purent engendrer cet homme, sans craindre les représailles de l’empereur. Qui était assez puissant pour empêcher l’épreuve que lui et sa femme subirent quelques années plus tôt ? La page biographique d’un mystérieux volle nommé Faust, aux pouvoirs prétendus immenses était son seul indice. Il finit alors cette rapide préface :

J’ai écrit un livre sur la naissance du monde intitulée « La création ». J’ai rédigé de nombreux livres historiques. Ce livre-ci explique la plupart des mystères du monde Ultimesse. J'ai écrit ce livre bien après la prise d’état. J’ai assisté à la tyrannie de Melbu Frahma. J’ai vu la terreur qu’il a engendré et l’esclavage qu’il inflige aux peuples inférieurs selon ses propres critères. Je prie depuis ma naissance pour que quelqu’un le fasse tomber de son trône.

Balzac poursuivait cette prière depuis. L’ancêtre légua cette encyclopédie deux jours avant sa mort, ceci bien avant la naissance de Balzac lui-même.
Absorbé par la lecture de l'encyclopédie qu'il considérait maintenant comme sienne, Balzac n’entendit pas le grincement de sa porte ouverte. Il sursauta un peu avant que Diaz pose sa main sur son épaule et fut immédiatement rassuré quand il vit le visage bienveillant du grand homme.

- Serait-ce la fameuse encyclopédie, demanda ce dernier en souriant.
- Exactement. Un de ses volumes en fait. Mais asseyez-vous, proposa gentiment Balzac.

Diaz ne s’assit pas et dit alors :

- Pourrais-je vous l’emprunter ?
- Bien sûr, dit Balzac sans hésiter sachant qu’il ne pouvait rien refuser à cet homme. Regardez, elle est composée de vingt-cinq volumes plus un qui sert d’index au reste de la Bibliothèque.
- Les livres de l’ancêtre, murmura Diaz pour lui-même.
- Exactement, il ne pouvait tout recopier dans l’encyclopédie et a donc préféré laisser des liens avec ses livres pour des suppléments d’information.
- Intelligent, commenta Diaz. Saviez-vous qu’il était le fils du célèbre Magicien Faust ?

Tout s’éclaira en un clin d’œil, et les soupçons de Balzac se confirmèrent.

- En fait, je m’en doutais, avoua Balzac. Il a toujours écrit sur lui avec fierté.
- Un fils hybride, mi-volien mi-humain. Sa vie a été prolongée magiquement par son père jusqu’à ce qu’il ait fini son œuvre, raconta Diaz.

Balzac se tut, surpris par ces révélations, et préféra laisser Diaz poursuivre son explication.

- C’est lui qui m’a sorti de prison, Faust. Puis il m’a accueilli chez lui, dans son château, où j’ai rencontré Kanzas. Il l'a tiré de prison aussi.
- Qui est-il ? Demanda Balzac.
- Kanzas ? Un homme qui a subi ce qu’ont subi beaucoup d’autres humains. Son village s’appelait Fueno. Comme beaucoup durant la dure décennie que nous avons vécue et qui s’est heureusement arrêté il y a dix ans, il a perdu toute sa famille.
- Seulement il n’était pas comme tous les autres, murmura Balzac.
- En effet. Son père trouva sa pierre dans la forêt aux côtés de son village. Il ne l’utilisait que comme bijou et ne pouvait en faire sortir le pouvoir. Son fils le pouvait.
- Combien de voliens a-t-il tué ? Demanda timidement Balzac.
- Quinze. Dont deux enfants de moins de dix ans, annonça tristement Diaz.

Balzac ne dit rien, il eut un peu honte de n’éprouver aucune pitié, ni compassion pour les victimes de Kanzas. Une honte qui disparut quand le visage en larme de sa femme lui revint en mémoire.

- Je le comprends, déclara soudain Balzac en fixant Diaz.

Diaz ne répondit rien et ne laissa rien paraître dans son regard mais Balzac fut sûr qu’il était un peu déçu par ses dernières paroles.

- Je suis désolé pour votre femme, dit-il simplement. J'espère que la justice reviendra sur Ultimesse, un jour.
- Vous parlez comme Zieg, s'amusa Balzac. Lui et l'injustice.
- En réalité, j'ai trouvé en Zieg un compagnon de pensée, annonça en souriant Diaz. Nous espérons tout deux rétablir la justice sur ce monde.

Balzac ne dit rien et se demanda si lui le voulait réellement, sa motivation était peut-être moins noble que celle de Diaz. Il continua à interroger Diaz, cherchant à comprendre d'où venaient le savoir étonnant de Diaz.

- Faust vous a donc sauvé, lança-t-il.
- Oui, ce volle est extraordinaire… Saviez-vous qu’il a découvert le secret de l’immortalité ? Il sait tout sur tout dans ce monde et connaît bien plus de secret que tous les peuples réunis. Il est bien plus vieux que Melbu Frahma, dit Diaz en balbutiant d'excitation.
- Frahma aussi est immortelle, déclara Balzac avec douceur.
- Je sais, mais il ne l’est pas de la même façon. Je vous expliquerai peut-être un jour. Cela n’a pas d’importance. Je voulais juste vous dire que Faust est prêt à rejoindre notre cause.

Balzac ne put s’empêcher de grogner un cri de joie :

- Le plus puissant mage du monde accepte de nous aider !
- N'allons pas trop vite. Faust ne peut pas tout faire à lui seul. Mais cela n’est en fait pas le vrai problème, dit mystérieusement Diaz.
- Quel est-il alors ?
- Faust peut se décupler à l’infini, ce qui est sa plus grande force. Malheureusement, Melbu Frahma le sait et compte bien tout faire pour annuler ce pouvoir, déclara Diaz, abattu.
- Il en est capable ? S'enquit Balzac.
- Il est capable de tout. Il a la puissance de la quasi-totalité des voliens derrière lui. Leur science magique est infinie, Faust craint le pire et je le comprends. Voilà pourquoi nous devons agir vite.

Diaz se tut et décida apparemment de ne rien dire de plus. Il se leva, saisit uniquement les volumes de l’encyclopédie.

- Je dois consulter ceci. Tout ce que contient cette encyclopédie est primordial. Dites aux autres que je reviendrais demain matin. Bonne nuit Balzac.

Sur ces mots il se tourna et laissa apparaître une cape noire marquée par un dragon rouge impressionnant. Il sortit en refermant délicatement la porte et Balzac se coucha sur son hamac en soupirant. Une lumière dorée éclaira sa pièce, le réveillant au milieu d'un cauchemar. Sa femme se noyait dans un fleuve inconnu et il ne pouvait l'atteindre, bloqué par les bras de l'empereur. Il ouvrit difficilement les yeux et chercha la source de cette lumière. Il vit l'espoir, posé sur l'étagère où Diaz prit les livres quelques heures plus tôt. Il s'approcha et attrapa sa pierre, sentant son cœur repousser une des couches de glace qui l'entourait.

Partie 2

Le lendemain, Balzac n’eut pas à se réveiller. Il se leva rapidement, revigoré par le retour miraculeux de sa pierre, et décida de faire plus ample connaissance avec Kanzas. Il se dirigea vers la chambre de son nouveau compagnon et vit la porte légèrement ouverte. Il glissa sa tête à l’intérieur et aperçu Kanzas allongé sur son lit, ses yeux fermés fixant le plafond. Il discerna alors au fond la pièce une étagère semblable à la sienne sur laquelle étaient posées une vingtaine de poupées transpercées d’un long pique de cuivre.

- Bonjour.

Balzac sursauta quand la voix glacée du « Monstre aux ailes » le salua :

- Salut Kanzas. A quoi peuvent bien servir ces poupées ? Demanda-t-il surpris.
- Cela ne te regarde pas, répondit Kanzas froidement.

Balzac sursauta légèrement et tenta de garder son calme.

- En effet. Tu te plais ici ?
- C’est calme.

Il chercha furieusement un sujet de conversation et fut surpris d’entendre Kanzas parler le premier :

- Toi aussi tu leur en veux ?

Balzac répondit très vite :

- Oui, bien sûr.
- Je l’ai senti. Sache que cela est nécessaire, dit-il sans un mot de plus.

Un frisson remonta le long de la colonne vertébrale de Balzac, cette voix le terrifiait. Pourtant, il était devenu fort, très fort, le seul humain de Vellétoile capable de porter ce cimeterre gigantesque placé dans sa chambre, mais ce que dégageait Kanzas était plus fort encore : une haine effrayante et par-dessus tout l’intime conviction pour tout interlocuteur que cet homme mutant était capable de le détruire si cette haine se dirigeait contre lui. Kanzas changea alors radicalement de sujet de conversation. Il questionna précisément Balzac sur son encyclopédie. Il voulait savoir le maximum de choses. Balzac promit alors de lui répondre. Sa première question le surprit :

- Raconte-moi la création, demanda-t-il calmement.

Balzac le fixa avec curiosité et vit des yeux réellement intéressés. Il avait là une occasion d’exposer sa culture sur le monde de Soa : il n’hésita pas.

A l’intérieur de son château privé, lieu divin et secret, Melbu Frahma écoutait le rapport de son lieutenant avec attention :

- Nous avons essayé de les assaillir mais les Gigantos ont construit des grottes et à chaque attaque, ils fuyaient dans ces cavernes…
- Des Gigantos ont fui !
- Cela nous a surpris et frustrés, mais après, Faust a surgi quand nous partions et nous a agressés. Trois de mes hommes sont morts.

Le dictateur cherchait une solution pour limiter les dangers de ce mage tout en pensant à l’attitude étrange des Gigantos, créatures inférieures certes mais fières et courageuses. Cherchant une solution, Melbu eut soudain une idée. Il disparut dans un éclat de lumière, il eut le temps de dire, avant de s'éclipser : « Je vais à Aglis, je dois voir Savano. »

Depuis qu’il était empereur d’Ultimesse, Melbu Frahma ne demandait plus une faveur, il ordonnait :

- Je veux une pierre qui détruira les apparitions de Faust.
- Apparitions de Faust !? Tu me prends de court Melbu là… J’ai besoin de plus d’informations à ce sujet, répondit Savano sans discuter, mais avec un léger sourire devant l’opacité de cette question.
- J’allais te les donner, s’énerva le tyran. (Savano saisit un carnet vierge et un crayon, il ne nota pas le ton agressif de son ami)
- Je t’écoute, annonça-t-il.
- Faust est plus vieux que moi, et immortel. Comme tu le sais certainement, il est le Volien le plus puissant d’Ultimesse. Même moi, qui possède la sphère de cristal, je ne pourrais le vaincre seul.

Savano leva la tête, étonné : il considérait Melbu comme l’être le plus puissant au monde. Ayant lui-même créée la sphère de cristal, il savait qu’elle recelait un pouvoir immense, un pouvoir divin. En outre, il estimait que le dictateur était arrogant. Sa surprise fut grande quand ce dernier avoua son infériorité.

- Pourquoi me diras-tu, continua Melbu sans remarquer le mouvement de Savano, moi qui possède le pouvoir suprême ne puis-je pas le terrasser : C’est très simple, et complètement fascinant de mon point de vue : Faust peut se multiplier à volonté, il a découvert le secret de la démultiplication. Nous devons trouver un moyen de stopper ce pouvoir.
- Pourquoi, demanda Savano, tu veux être le Volien le plus fort du monde ?
- Non, mentit son interlocuteur, je veux protéger mes hommes. Depuis ma prise de pouvoir, il a assassiné cinquante de mes serviteurs.

Savano savait que la vie de ses sbires importait peu à l’empereur mais il ne releva pas le mensonge. Il se concentra et demanda, pour revenir au sujet :

- Comment réussit-il ce miracle ?
- Je vais t’exposer ma théorie…

Partie 3

- Alors Soa créa l’arbre divin et l’arbre ensemença le monde de ses fruits merveilleux. Depuis ce jour, ces fruits ont enfanté le monde d’Ultimesse. Le premier humain se nommait Wil Europe et le premier Volien s’appelait Mortal Frahma. Le premier humain est mort de vieillesse à quatre-vingt ans et le premier Volien est mort au combat cinquante ans après avoir donné naissance à son fils, le fameux empereur Melbu Frahma. On appelle temps zéro, le jour où l’on présume la naissance de l’arbre divin. Je résume évidemment. Je pourrais te citer les 109 races que cet arbre a enfantées, par exemple mais…
- Pas la peine, dit l’autre. Parle-moi juste de la 105ième…

Balzac le regarda sans surprise cette fois, il attendait en réalité cette question depuis le début, la création n’étant qu’une sorte de prélude.

- Évidemment, après ce que l’on vient tous de découvrir, ou plutôt ce que je viens de découvrir, il faut s’intéresser à cette race…Commença-t-il.
- Exact, d’où ma question…Donc ? S'impatienta Kanzas.

Balzac commença presque à s’énerver devant l’empressement et le mépris que dégageait Kanzas devant l’histoire d’Ultimesse. Mais immédiatement la pièce se réchauffa, il crût même voir des éclairs dans les yeux du Dragoon. Sans se poser plus de questions, il récita d’un ton monotone tout ce qu’il savait :

- Ultimesse est peuplée de dragons, la cent-cinquième race de l’arbre divin. Les dragons possèdent de forts pouvoirs magiques, d’attaques et de défenses. Ce sont certainement les êtres les plus puissants d’Ultimesse… Ils n’ont pourtant pas colonisé le monde du fait de leur désir de solitude et de leur faible intelligence. Ils portent une haine démesurée envers les Vyrages, la cent-sixième race, mais ils se conduisent avec une faible hostilité avec toutes les autres créatures d’Ultimesse. Ils sont solitaires mais solidaires. Ces bêtes sont toujours associées à un élément issu de leurs parents et qu’ils transmettront à la génération suivante. Un seul dragon possède en lui les sept éléments : le mythique Dragon Divin.

Il reprit son souffle après cette longue tirade et vit Kanzas réagir devant l’évocation du Dragon Divin.

- Il n’est pas mythique Balzac, je le sais vivant, déclara-t-il, sûr de lui.
- J’allais y venir : Il serait le premier dragon mâle à avoir vécu. Il aurait donné vit avec sa femelle aux sept Dragons Vassaux qui transmettent depuis ce temps leur élément de génération en génération. On raconte que le Dragon Divin et ses sept fils sont toujours en vie et le resteront encore de nombreuses années. On dit aussi que ces huit dragons légendaires sont cachés aux quatre coins du monde, et qu'ils se présentent quand ils le désirent. Le dragon divin ne peut être commandé par les âmes de dragons que si les sept âmes sont rassemblées et qu’il estime les porteurs dignes. Même si les Dragoons parviennent à le contrôler, il restera indépendant et pourra à tout moment casser le contrôle des Dragoons.

Balzac fut surpris de n’avoir jamais relevé le terme, pourtant ici explicite, d’âme de Dragons et du nom de leur porteur : Dragoon. Les maigres explications de Diaz avaient suffi à révéler les passages les plus obscures de l’encyclopédie.

- Comment ne pas comprendre ? S’exclama-t-il.
- Parce que c’est inconcevable pour nous humains, répondit Kanzas saisissant parfaitement le problème, parce que depuis notre naissance nous sommes certains de notre infériorité. Tout ce que tu lisais n’était dans ton esprit que légende. La création du monde par exemple : y crois-tu vraiment ?
- En réalité non. Si Soa existe, pourquoi cette situation ? Quel père laisserait un de ces fils exploiter les autres ? Déclara avec conviction Balzac.
- Voilà la question qui m’oppose à Diaz, et tu es de mon avis. En effet, cet argument est pour moi irréfutable, lui prétend écouter son cœur plus que son esprit, exposa Kanzas sans émotion.

Balzac le regarda quelques secondes, il ne fut pas surpris d’apprendre ce trait de caractère de Diaz. Sa force et sa conviction provenaient sûrement de cette croyance. D’ailleurs, il avait peut-être raison… Peut-être qu’eux, les humains, commirent un jour une erreur qui avait déçu leur créateur, un créateur laissant alors libre cours aux puissances naturelles des Voliens. Cela ne paraissait pas stupide, car d’après les écrits, Soa avait déjà voulu, dans un passé lointain, supprimer ses enfants. Ce jour plaça d’ailleurs Melbu Frahma au pouvoir.

Soa avait prévu un animal suprême, croisement entre espèces, qui devait purger le monde quand il le désirerait. Cette espèce, du nom de dieu de la destruction, était en fait un métissage contre nature entre un Vyrage et un Dragon femelle. Comme le dragon divin, ce monstre est immortel. Il est si puissant qu’il peut raser le monde et tous ses habitants tout en fortifiant l’arbre divin, qui pourra alors engendrer un nouveau monde, débarrassé des espèces précédentes. En réalité, avant qu’il apparaisse pour la dernière fois, personne ne savait si cette épuration était la première. Il se pourrait que le dieu de la destruction ait déjà frappé, peut-être même plusieurs fois. Cette fois-ci, ce fut à coup sûr la dernière. Soa voulu purifier le monde quelques siècles après la naissance du supposé premier Volien de cette ère : Mortal Frahma. La bataille qui eut lieu fut terrible et personne ne sait vraiment ce qu’il se passa, hormis peut-être Melbu, son descendant. La seule chose que savait l’ancêtre était à peine croyable : quatre créatures s’étaient opposées au dieu, elles étaient toutes les quatre mortes et chacune était d’une race différente, Mortal étant le représentant des Voliens.
Avant l’arrivée de cette apocalypse, les peuples n’étaient pas en opposition et cette alliance était naturelle. Les quatre héros morts, le dieu de la destruction pouvait détruire le monde sans craindre la moindre opposition. Seulement, le fils de Mortal, Melbu Frahma, fabriqua avec l’aide de son ami de toujours, Savano, la sphère en cristal. L’ancêtre ne savait évidemment rien de sa constitution. Puissants et entraînés, quatre Voliens, Melbu Frahma, Frol Frahma, Savano et Xulti, se lancèrent dans le combat contre le dieu, prenant la suite des quatre héros. Ils l’attaquèrent de tout cotés et réussirent à séparer le corps du dieu de son âme à l’aide de la sphère. Dans le combat, Frol Frahma et Xulti furent tués. On raconte que c’est l’âme du dieu de la destruction qui est maintenant enfermée dans la sphère de cristal et qui confère à Melbu Frahma un pouvoir absolu. Le corps du Vyrage Dragon serait, quant à lui, enfermé dans ce qu’on appelle la lune perpétuelle, cet astre mystérieux qui flotte sans cesse dans le ciel.

A chaque fois qu’il se remémorait ce récit, Balzac ne pouvait s’empêcher de regretter que le sauveur d’un monde condamné était maintenant devenu le pire tyran d’Ultimesse. Il se rappelait alors la suite de l’histoire, qui marquait la limite des connaissances de l’ancêtre :
Tous les cent huit ans, la lune perpétuelle devient rouge sang et la sphère de cristal s’agite : le dieu de la destruction tente de retrouver son autre portion de lui-même. Cette agitation donne à l’empereur une force encore supérieure. Cependant, maintenant qu’il est enfermé et séparé de son corps, le dieu ne pourra jamais retrouver sa puissance.
Néanmoins, même cette histoire n’était pas totalement satisfaisante. S’il ne faisait aucun doute que l’ancêtre croyait en Soa, il n’avait évidemment aucune preuve de son existence. Ce dieu de la destruction pouvait être simplement l’objet d’un métissage hasardeux de la nature, aussi invraisemblable que paraisse l’accouplement entre deux races animales ennemies. Le dernier point surprenant était le plus évident : pourquoi Soa voulait-t-il détruire son monde à une époque où tout allait pour le mieux ? Soit l’ancêtre ne connaissait pas exactement la situation de l’époque, soit Soa n'était qu'un mythe de plus, raconté aux jeunes humains pour les rassurer sur leur sort abominable.
L’Alumni s’était couché depuis longtemps, les deux humains avaient passé la journée à discuter du monde. Balzac quitta Kansas puis s’endormit sur ces questions sans réponses qui le torturaient depuis des années. Comme chaque nuit, il rêva de Mita.

A Aglis, Les deux Voliens travaillaient depuis des heures sur la pierre magique. Pour une fois, ce fut le dictateur qui eut une idée, ou plutôt une intuition, sur la formule du bijou extraordinaire. Depuis de nombreuses heures, peut-être quatre, ils façonnaient la pierre qui devait détruire les représentations de Faust. Savano ferma une éprouvette, souffla et informa son compagnon :

- C’est prêt.
- Je peux l’essayer, demanda impatiemment Melbu Frahma.
- Attends deux jours avant de t’en servir, conseilla Savano.
- D’accord, bougonna le tyran.

Il disparut en marmonnant merci et au revoir. Savano retourna à ses recherches avec soulagement. Il ne supportait plus d’être dans la même pièce que son ancien ami plus d’une journée. Habitué à passer outre ce qu’était vraiment Melbu, il arriva à oublier que cette pierre servirait à tuer un volle.

Au fond de son lit, Albert pensa à Balzac. Cela le surprit, car depuis son entrée dans Aglis, il n’avait quasiment jamais pensé à lui. De longues années de travail l’occupèrent trop. Son intelligence et son talent héréditaire pour la magie firent de lui le meilleur élève d’Aglis. Si bien qu’il était maintenant l’assistant principal de Savano à Aglis. Au cours de la deuxième année de cours, Savano confirma enfin qu’il était bien son père. Cela ne changea en rien son attitude à son égard. Ils restèrent distants et gardèrent des relations professeur à élève. Tel était le comportement Volien, et Albert ne s’en offusqua plus assez rapidement. Charlène non plus n’évoqua rien, bien qu’Albert sache que ses parents se parlaient, parfois.
Bizarrement, sa sortie de lycée coïncida avec l’accalmie de Melbu. Les gardiens qui suivaient sa mère partirent tout à coup. Cinq ans après la capture de Diaz et la disparition de Faust, Melbu Frahma se sentait suffisamment en sécurité pour retirer ses hommes. Il rentra chez lui et fut directement recruté par Savano. Pendant ces cinq ans de travail acharné, ils découvrirent de nombreux sorts, de nombreuses potions et améliorèrent la qualité de vie de tous les Voliens. Occupant le poste de Mita, Albert repensait parfois à son ami humain Balzac, comme ce soir. De plus en plus rarement pourtant, ce qui le rendait profondément triste. Car il sentait cette part de lui le quitter au fur et à mesure qu’il s’enfonçait dans le système de son oncle. Albert n’était pas heureux et ne savait pas comment y remédier. Le monde se félicitait de cette accalmie temporaire. Il savait mieux que personne qu’elle allait bientôt se terminer. La tension de Savano était palpable depuis quelques semaines. Son oncle avait peur, et il ne savait pas pourquoi, mais la conséquence de la peur de l’empereur était toujours la même : la destruction. Sans savoir pourquoi ce jour en particulier le décida, Albert se mit en tête de retrouver ses amis humains. Il se leva le plus discrètement possible et partit immédiatement vers Vellétoile.

Partie 4

Charlène se réveilla quand elle entendit son fils partir. La mort de Mita coupa net ses relations avec Vellétoile, peut-être que Rose lui en voulait. Depuis, elle occupait ses journées dans différents ministères, réalisant des choses inutiles à ses yeux pour passer le temps. Perdu dans ses pensées alors qu’elle classait avec passivité des archives, elle eut soudain le même sentiment que son fils. Il était temps que les choses changent, pensa-t-elle. Elle voulait savoir ce qu’il se passait là-bas, comment allait Balzac à qui elle pensait trop souvent. Elle voulait des explications pour ces dix ans de silence. Mais surtout, elle voulait voir des amis. Elle ne pouvait plus supporter sa vie de solitude. Albert était absent la plupart du temps, sa fille étudiait à Kadessa quasiment toute la journée et s'éloignait d'elle pour rester la majeure partie de son temps avec son oncle. Son propre frère ne lui parlait plus beaucoup, méfiant depuis l’affaire Mita, et Savano gardait toujours cette distance qui les rongeait tout deux. Une larme tomba sur le plancher quand elle s’envola pour Vellétoile. Elle voulait revivre après dix ans de dépression.

Un fracas de métal réveilla en sursaut Shirley. Le grand garde bouchait l’entrée de la cellule et venait de frapper le plateau repas contre les barreaux.

- A la bouffe, dit-il

Shirley ne répondit pas et se redressa, alerte. Il ferma alors la cellule et partit sans dire un mot, pour une fois. En dix ans de calvaire dans cette prison, Shirley rencontra de nombreux gardes, violents, pervers ou simplement perdus. Elle constata avec soulagement que le nouveau était du type perdu. Malgré dix années de coups et différentes tortures, aucune cicatrice ne resta bien longtemps sur sa peau. La rage que provoquaient les gardes entraînait à chaque fois l’apparition de ses étranges pouvoirs curatifs. Depuis dix ans, elle n’avait jamais dérogé à son programme physique et était depuis lors dans une forme étonnante pour quelqu’un vivant dans une minuscule geôle volienne. Elle avala rapidement la nourriture infâme apportée par le garde et regarda le plafond, comme souvent. La question qui la hantait depuis des années tapait encore au fond de sa tête : pourquoi l’autre humain avait-il été sauvé et pas elle ? Elle élaborait chaque jour des nouveaux plans pour s’évader, pour renverser le régime de Frahma, pour retrouver son tuteur, pour revivre tout simplement. Son tuteur lui manquait terriblement chaque jour, et plus que ça, la présence de gens amicaux lui manquait. Mais ce sentiment se mêlait à une méfiance toute neuve qui la tenaillait depuis sa capture. Elle aurait du mal à faire confiance à d’autres êtres, tant la trahison fut inattendue. La seule présence qu’elle ressentait était cette sphère blanche, étrange et chaude. Cette sphère d’où elle tirait tout le réconfort qui suivait les humiliations. Elle devint une amie dès la deuxième année de prison. Elle lui parlait chaque soir, décrivant sa journée, ses sentiments, ses espoirs. La nuit venue, dans ses rêves, une femme lui répondait, une femme qu’elle n’avait jamais vue auparavant. Une femme au regard doux et à la peau très blanche. Elle se souvint d’un jour passé, quand un garde la surprit à parler à la sphère. Amusé, il tenta de lui arracher pour ajouter un peu de souffrance à cette humaine qu’il haïssait pour ce qu’elle était. Shirley eut juste le temps de voir la main de l’homme se poser sur la sphère avant d’être aveuglée par un éclair blanc. Elle n’entendit aucun cri, elle attendit que sa vision revienne et contempla le garde. Celui-ci regardait droit devant lui, il se retourna en gémissant et heurta les barreaux fermés. Il hurla alors car la brûlure qui lui détruisit ses yeux atteint le cerveau. Shirley ne le revit jamais. C’était le pire d’entre tous et le premier à l’avoir touché. La veille de l’incident, accablé par les coups, elle avait prié avant son sommeil pour qu’il meure. La femme lui avait répondu de ne pas s’inquiéter pour ça. Elle ne sut jamais ce qu’il subit ce jour-là. Un jour qui marqua la fin des pires sévices, le début d’une méfiance envers la jeune humaine. Plus personne ne tenta jamais de lui arracher sa pierre. Malgré tout, elle n’avait jamais pu s’en servir pour s’évader de ce donjon sinistre de Zénébatos. Elle sentait que la libération arrivait pourtant. C’est ce que la femme lui avait expliqué la nuit dernière. « Attends, et tu sortiras, plus forte que tous, et tu participeras à la plus grande conquête qu’Ultimesse ait connu. Fais-moi confiance. »

Ce fut une nuit agitée à Vellétoile. Albert et Charlene arrivèrent ensemble dans la forêt qui entourait le bâtiment. Ils cherchèrent un moyen de repérer l’endroit mais n’y parvinrent pas. Albert n’eut pas le temps d’esquisser un geste avant de sentir un bras lui serrer la gorge et un poing lui pousser le bas du dos. Il sentit ses forces s’évanouir de suite et s’écroula au sol. Il entendit un bruit sourd à sa gauche avant de perdre connaissance : sa mère jonchait elle aussi le sol.

Le lendemain matin, ils se réveillèrent ensemble dans une sorte de chambre en forme de cône, le crâne douloureux. Devant eux se tenait un homme au sourire affable, avec une courte barbe et une cape rouge majestueuse.

- Bonjour parmi nous, déclara Diaz de sa voix forte. Excusez Kanzas, il a toujours été un peu brusque avec les voliens, ajouta-t-il d’une voix moins joyeuse.
- Où sommes-nous ? Murmura Albert faiblement.
- Dans la tour verte de Vellétoile. Je pourrais même ajouter qu’il s’agit de votre tour Albert, précisa Diaz.
- Sa tour ? Demanda Charlène.
- En effet Madame Frahma ! Albert est le sixième porteur !

Diaz ri devant le regard ahuri des deux voliens, mais constata qu’Albert sortit rapidement de sa poche son bijou vert.

- Porteur de ceci, exactement Albert ! Je suis heureux de voir à quelle vitesse tu as compris. Nous t’attendions avec impatience. Suivez-nous.

Ils sortirent de la chambre. Dehors, réunis autour de Diaz, quatre des cinq porteurs humains fixaient les deux voliens en souriant chaleureusement. Charlène sentit son ventre se dénouer quand elle vit le sourire mystérieux de Rose, le même qu’elle affichait dix ans plus tôt quand elles se parlaient chaque semaine dans la nuit de Vellétoile. Cependant, la présence de cet homme en violet qui la dévisageait avec une haine visible gâchait le plaisir des retrouvailles.

- Kanzas, votre assaillant involontaire, est le seul que vous ne connaissez pas je crois, annonça Diaz.
- En effet, dit Charlène en fixant Kanzas avec dureté.

Un silence gêné s’éternisa quelques secondes, avant que Balzac sorte du rang et serre dans ses bras, les larmes aux yeux, Charlène et Albert.

- Vous m’aviez manqué les amis, dit-il simplement.
- Vous aussi Balzac, déclara Albert avec un sourire triste.

Charlène ne répondit que par un sourire, préférant garder le plus longtemps possible ce frisson que l’étreinte de Balzac déclencha. Puis ce fut Rose qui brisa un autre mur.

- C’était trop dur de vous voir après l’affaire de Mita, vous comprenez j’en suis sûr, expliqua-t-elle avec une maladresse inattendue.
- Je crois que oui, je comprends, répondit Charlène, heureuse comme jamais depuis dix ans.

Elle retrouvait enfin ses véritables amis, qui étaient d’ailleurs tous d’une autre race. L’explication donnée par Rose était simple et incomplète mais la satisfaisait parfaitement. Elle avait toujours su, depuis ce dernier regard lancé par Balzac quand ils s’étaient quittés après l’exécution, qu’il faudrait du temps pour retrouver Vellétoile. Bien qu’elle sache que Balzac ne pourrait jamais oublier qu’elle était la sœur de celui qui avait tué sa femme, elle sentait qu’elle n’était plus indésirable dans ce refuge. Elle contempla la belle Damia, l’amour étincelant que lançaient les yeux de Zieg et le visage de Balzac. Puis elle observa les sept magnifiques tours qui l’entouraient, impressionné par la finesse de l’ouvrage perdu au milieu d’une forêt humide.

- Comment pouvons-nous voir ce château maintenant ? Demanda Albert, toujours intéressé par les mystères qui touchaient à la magie.
- Un de nos amis vous a transféré ce pouvoir pendant la nuit, expliqua simplement Diaz.
- Où est-il cet ami ? S'enquit Albert, conscient du pouvoir de ce dernier.

Albert n’eut pas vraiment eu le temps de finir sa phrase car un grand claquement se fit sentir en même temps qu’apparaissait le grand Faust et sa barbe millénaire. Balzac reconnut immédiatement l’homme qui l’avait sauvé il y a dix ans, quand Frahma perquisitionna la maison de sa sœur.

- C’est moi ! Dit-il d’une voix grave.
- Quelle arrivée surprenante mon ami, s’exclama Diaz. Je ne m’y fais pas.
- Tous tes chasseurs sont maintenant réunis, déclara Faust avec douceur.
- Il en manque un en fait, celui associé au dragon de lumière, expliqua Diaz avec un brin de déception.
- Je sais où cette personne se trouve. Je vous la ramène sous peu. Je viens de la détecter d’ailleurs. Amusant, elle se situait pourtant à quelques mètres de toi, Kanzas, quand je suis venu te chercher !
- La jeune fille, murmura Kanzas se souvenant aussitôt des couloirs sales de la prison de Zénébatos, je me suis toujours dit qu’elle avait un regard étrange… Elle y est donc restée dix ans…

Diaz nota l’information distraitement, le regard de Faust le préoccupait bien davantage. Il resta silencieux mais se demandait pourquoi ce mage si puissant semblait si inquiet, alors que le commandement de l’armée qu’il avait mis tant d’années à former était presque prêt.

- Fort Magdar est abandonné depuis des siècles, comme je le pensais, ajouta le grand volien, il n’est pas invisible comme Vellétoile, mais personne ne connaît son emplacement.
- Parfait : je pensais installer notre quartier général là-bas, déclara Diaz.
- Pourquoi pas Vellétoile ? S’enquit Rose.
- Trop de gens connaissent son emplacement…Pour l’instant personne n’a révélé aux ennemis la position du refuge. Rien ne dit que cela durera, expliqua Diaz.
- Mais les voliens ne peuvent pas le voir !!! S'exclama Damia.
- Ils peuvent néanmoins attaquer une zone complète sans se poser de questions. Et Vellétoile ne possède pas de bouclier, expliqua calmement Faust.
- Ainsi Fort Magdar sera la base pour notre révolution. Seuls les sept chevaliers Dragoon seront informés de l’emplacement de ce fort, dans un premier temps. Et moi bien entendu, déclara Diaz en souriant.

Personne ne s’opposa à la prise de pouvoir implicite de Diaz. La puissance des Dragoons était peut-être supérieure à la sienne, mais personne ne possédait une telle aura dans le groupe, pas même Charlène. Il était le seul à avoir réellement tenu tête à Frahma, et faillit en mourir. Faust exprimait clairement le souhait de rester en dehors de la révolution à partir du moment où celle-ci commencerait. Ses raisons étaient obscures pensa Balzac. Peut-être était-il simplement pour la paix se dit-il un peu optimiste, ou soucieux de justice.

Faust contempla ce qu’il considérait comme son armée. Il était fier d’avoir pu réunir ceux qu’il cherchait depuis des siècles, sans succès. L’ingrédient qui lui manquait à chaque fois était un chef. Les révolutions étaient étouffées dans l’œuf, les dragoons se battaient entre eux et il avait dû les faire taire à chaque fois. Cette fois, les persécutions étaient trop fraiches pour que la haine qu’inspirait l’empereur ne surpasse pas les querelles du quotidien. Diaz sera un bon chef, sans aucun doute, et il serait efficace. Heureux, il disparut sans même saluer le groupe, sa dernière mission était de ramener Shirley. Il apparut dans une cave sombre où quelques ossements jonchaient le sol. Une grande grille séparait les deux parties de la cave. Faust était évidemment du bon côté et sortit du cachot par un escalier étroit. Il faisait noir dans Zénébatos, la ville était faiblement éclairée, tous les habitants dormaient depuis longtemps. Les voliens n’étaient pas des créatures de la nuit. La notion de soirée n’avait pas de sens chez eux. Faust le savait et en profita pour s’approcher discrètement de l’entrée d’une des quatre prisons de Zénébatos, la plus sécurisée. Il apercevait les deux gardes de l’entrée. Ils discutaient. Faust s’arrêta et se concentra. Il frémit en gémissant, ce sort demandait toujours un effort intense et apportait la même douleur que d’habitude. Cependant, deux autres Faust apparurent aux cotés de l’original. Ils s’approchèrent discrètement des gardes et levèrent leurs mains en même temps. Les gardes n’eurent même pas le temps de hurler : des flammes les enveloppèrent immédiatement et il ne resta que leurs casques, noircis par la chaleur. Les Faust s’avancèrent vers la porte avec prudence. Le mage était né des milliers d’années plus tôt et amassa une expérience respectable sur son monde. Il sentit tout de suite le danger, il le sentait d’ailleurs depuis quelques semaines. Une douleur éclata dans son cœur, et ses doubles disparurent immédiatement. Quand il se redressa en grimaçant, il vit les quatre volles les plus dangereux au monde. L’empereur, et trois de ses gardes les plus proches, l’entouraient. Melbu tenait dans sa main une pierre qui rougeoyait, certainement responsable de cette douleur. Faust se prépara à un combat qu’il savait perdu mais sa seule pensée était de protéger l’identité de Shirley.

- Que faites-vous là cher ami, minauda Frahma.
- Rien qui te concerne fiston, dit Faust avec tout le mépris qu'il put trouver au fond de lui.

Cette phrase eut un effet immédiat sur l’empereur, qui ne supportait pas le manque de respect. La cicatrice de l'empereur scintilla avec fureur puis Faust se plia de douleur tout en sentant son cœur palpiter un peu trop fort. Frahma le fixait du regard le plus terrifiant qu’Ultimesse n’ait jamais porté et l’empereur n’eut pas besoin de ses fidèles gardes pour tuer le plus grand magicien d’Ultimesse. Il dégaina une longue épée rougeoyante et l’enfonça avec délectation dans son adversaire affaiblie. Faust se félicita dans sa douleur de cette dernière attaque verbale dirigée contre l’empereur, qui sauverait probablement la vie de Shirley. La colère et l'arrogance étaient les sentiments qui perdraient Melbu Frahma. Faust s’écroula sans bruit, sûr de cette ultime prédiction. Frahma le fixait toujours et resta ainsi quelques minutes, attendant que sa cicatrice se calme et que la sphère de cristal cesse de remuer. Les gardes, obéissants, ne dirent rien. Puis il disparut sans bruit et la nuit reprit ses droits sur Zénébatos. Le corps ne fut retrouvé que le lendemain matin.

Partie 5

- Mon projet est le suivant, commença Diaz.

Les six porteurs étaient assis autour d’une grande table, Diaz parlait à une de ses extrémités. Cette table était située dans la grande tour du dragon de feu, celle de Zieg. Diaz était trop excité pour attendre le lendemain et exposer son plan. Il y réfléchissait depuis que Faust l’avait recueilli, avait déjà prévu les grandes lignes, tous les détails de ce qu’il souhaitait mettre en place : tout simplement le plus gigantesque coup d’état de tous les temps. Il ne révélait qu’étape par étape son idée. Il expliqua d’abord que le premier pas fut de les rassembler. Cette étape étant pratiquement terminée, il avança un peu :

- Nous avons besoin d’entraînement, dit-il. Parmi vous, seul Kanzas maîtrise son pouvoir. Il est indispensable que vous deveniez des maîtres en combat ainsi qu’en contrôle de votre âme de Dragoon. Vous partirez avec lui, chacun apprendra une technique de combat différente avec une arme particulière. Choisissez la bien car elle sera votre meilleure amie pour les années qui viennent. Choisissez aussi le lieu de votre entraînement ainsi que leurs modalités. Sachez que vous êtes les piliers de notre révolution, et votre responsabilité dans sa réussite est évidente. Chacun de vous est un chef, donc je vous laisse choisir et je ne veux pas que l’un de vous se considère comme supérieur aux autres, jamais.

Diaz se tut sur ce dernier message qu’il estimait capital. Contenir Kanzas serait selon lui sa plus difficile mission.

- Que ferez-vous, Diaz, pendant ce temps, demanda Charlène.
- J’ai une tâche tout aussi fondamentale, bien que moins guerrière. Je dois rassembler le maximum de force pour l’attaque. Je vais donc rencontrer les chefs de nombreux villages humains, le chef des Gigantos ainsi que celui des Minitos. Toute aide est bonne à prendre.
- Pourrais-je vous aider dans cette tâche ? Continua-t-elle.
- J’allais justement vous le demander respectueusement. Votre personnalité ainsi que votre rang ne pourra que nous aider. Cependant n’oubliez jamais que vous êtes la sœur de l’homme que nous combattons. Je me servirai de vous qu’en cas de dernier recours, dit-il sans ménagement.

Charlène le regarda avec insistance mais il ne broncha pas. Il ne lui faisait pas confiance, et c’était son rôle. Il menait à bien l’opération qui devait abattre le frère de cette volienne. Elle pouvait à tout moment se retourner contre eux. Rose lui donna suffisamment d’informations pour qu’il puisse se permettre de l’impliquer un peu, et l’utiliser au mieux. Il n’avait aucune crainte à propos d’Albert. Le pouvoir du dragon l’envahirait suffisamment pour qu’il leur reste fidèle.

- Le temps est contre nous mes amis. La lune perpétuelle est rouge dans deux ans, et si ce que les livres racontent est vrai, Melbu en sera renforcée. Nous devrons agir vite.

- C’est pour cela que votre entraînement commence dès lors. Zieg et Rose, tâchez de nommer vos successeurs ici. Préparez vos affaires, choisissez un lieu secret et partez le plus tôt possible. Je ne vous reverrai que dans un an. Rendez-vous à Fort Magrad.

Il sortit un vieux et petit livre de sa cape et le posa sur la table.

- Voici le plan pour s’y rendre et tout ce dont vous aurez besoin pour cette année. Bonne chance, conclut-il.

Diaz sortit alors de la salle sans un mot de plus, laissant son auditoire digérer sa mission. Il coupait ainsi court à toute question pouvant ralentir la mise en marche de la révolution. Les six porteurs se regardèrent. Ensuite, Charlène sortit et attendit dehors, regardant avec délice le ciel et la lune perpétuelle. Laissant les six porteurs mettre en place la suite de leur prochaine année. Elle se sentait mise à l’écart mais ne pouvait en vouloir à Diaz. Elle-même ne se faisait pas confiance. Elle sourit à la lune, et marcha vers la tour de son fils, pour attendre de le voir partir une nouvelle fois, et pour longtemps.

A l’intérieur, les Dragoons étaient pétrifiés. Même Kanzas, souvent sûr de lui, ne disait rien. Balzac observa ses amis et n’arrivait pas à réfléchir. Il admira la volonté et la brièveté de Diaz, tout en le maudissant de ne leur donner que ce livre comme information.

- Essayons de voir ce qu’il faut qu’on fasse, pour réfléchir de manière plus ordonnée, déclara-t-il enfin, sortant de sa torpeur.

Tous le regardèrent et hochèrent la tête. La mission commençait vraiment, et personne ne s'y attendait.

Toute une nuit fut nécessaire pour préparer cette année d’entraînement. Les six Dragoons s’endormirent alors en plein jour. Balzac resta éveillé un petit moment, il essaya de se rappeler ce qui avait été dit. Rose et Zieg commencèrent par nommer leurs successeurs, un autre couple de Vellétoile, en qui ils avaient une confiance absolue. Elle était sirène, il était humain et ils s’étaient rencontrés dans Vellétoile. Cela lui rappelait le calvaire des sirènes comme l’était la mère de Damia.
Ces êtres étaient des mutantes issues de la race humaine. Il ne s’agissait que de femmes, elles ne pouvaient se reproduire qu’avec un humain. Leur progéniture peut alors rester sirène ou redevenir humain. Du fait de leur différence supplémentaire, les sirènes étaient pourchassées d’une manière plus violente encore que les autres humains. Elles survivaient en peuplant les fleuves et les grands fonds marins. En effet, les sirènes possèdent un appareil respiratoire différent qui leur permet de respirer sous l’eau comme à l’air libre. Elles ont des pieds légèrement palmés. Parfois, elles sortaient pour rencontrer celui qui deviendrait le père de leurs enfants, et très peu survivaient à cette sortie : les voliens étaient féroces dès qu’ils apercevaient une sirène. Celle-ci s’en était sorti grâce à Rose qui la sauva des griffes d’un vieux et trop faible volien.
Ensuite, ils choisirent aussi un lieu pour passer leur année. Une clairière cachée au milieu d’une forêt sombre dans le Nord de leur continent. Pas trop loin se trouvait la mer où ils pourraient se reposer agréablement. Les environs étaient désertiques et personne n’aurait l’idée de les chercher là-bas. Balzac se demanda si un an de vie commune dans un espace aussi réduit serait chose aisée. Il espéra que la noblesse de leur quête vaincrait les petites vexations du quotidien. Pour la première fois depuis dix ans, il s’endormit en rêvant de cette jolie clairière et non de sa femme.

Partie 6

Un feu puissant éclairait les visages des réfugiés, tous assemblés autour du foyer. Certains mangeaient, arrachant des morceaux de viandes fraîchement cuites, d'autres buvaient la mixture jaune, boisson attitrée de Vellétoile. On l'appelait « la boisson » parmi les réfugiés, qui ne cherchaient même pas à l'honorer d'un nom noble. Elle était acide et faisait tourner la tête, permettant d’oublier pour quelques instants les souvenirs les plus douloureux. Un large sourire était partagé par les convives, ils profitaient de leur dernière soirée ensemble. Les six porteurs et l'ensemble des réfugiés fêtaient le départ de quatre amis. Albert, peu habitué à ce genre de fête, trop chaleureuse pour les voliens, profitait de chaque moment, de chaque anecdote plus ou moins inventé par les plus anciens. Ce bonheur qui rayonnait, traversant les années de douleur et de souffrance vécues par ces réfugiés, le réchauffait. Malgré leur toute puissance, peu de voliens pouvaient prétendre à tant de convivialité et tant d'amitié.
Quelques lapins grésillaient au-dessus du feu, tournant au-dessus des flammes grâce à la main habile de l'ancien maître des lieux, Zieg. Rose discutait avec le doyen du refuge, un giganto au bras unique. Ils évoquaient avec tristesse leurs souvenirs communs, leur jeunesse respective et leur amour pour la nuit et la lune perpétuelle, qu'ils avaient toujours partagés. Balzac interpellait vigoureusement un des derniers refugiés recueillis, et l’assommait avec connaissances impressionnantes. Ce dernier semblait s'endormir et tentait désespérément de ramener Balzac à une conversation plus intéressante, sous les yeux moqueurs de Zieg. Damia fixait la nourriture en buvant doucement la Boisson, perdue dans ses pensées éternelles. Kanzas écoutait patiemment un homme aux muscles impressionnants, réagissait parfois aux paroles maladroites de l'homme, exprimant sa haine pour les Voliens. Celui-ci perdit sa fille lors d'une bataille, morte dans ses bras après qu'une lance rouillée l'est transpercée de part en part. Il perdit la faculté de parler clairement ce jour-là, quand les yeux de sa fille se fermèrent doucement et que sa petite main relâcha la grosse main puissante de son père.
Damia sortit de sa torpeur, écouta les conversations de ses voisins et sourit. Ce dernier dîner était une parfaite synthèse de ce qu'était la vie des races dites inférieures. Chaleur, amitié, rires et des passés tragiques se côtoyaient sans surprendre personne, l'histoire la plus horrible étant suivie d'une aventure amusante qui détendait les esprits de chacun. Tous savaient que ce départ n’était pas que le départ de quatre membres aimés de Vellétoile, il s'agissait du début de quelque chose de grand, le départ d'un nouvel espoir. Détruits par la vie, tous essayaient de conjurer leur crainte la plus tenace : que ce départ ne reste qu'un début et n'aboutisse à rien. L'homme le plus âgé remua son visage ridé en agitant ses yeux brillants de jeunesse :

-Vous n'êtes pas les premiers, vous savez, à souhaiter remodeler ce monde, dit-il mystérieusement.

Damia vit tout le monde se tourner vers l'homme qui, le premier, exprimait la crainte de tous.

- Dans mon village, j'étais jeune homme à l'époque, un groupe de jeunes gens tel que le vôtre essaya aussi, continua-t-il tristement.

Il but une gorgée, toussota quelques secondes, plongeant les réfugiés dans une attente difficile.

- Mon père en faisait partie. Il fut tué lors de leur marche vers Zénébatos, accompagné par tous les combattants valides de mon village. Ils furent tous massacrés.
- Chez moi aussi, nous avons essayés, nous nous sommes battus contre le volle qui contrôle le village, s'exclama un autre, celui que Balzac ennuyait quelques minutes plus tôt. Le complot a mal tourné, le village a été détruit, j'ai dû fuir, venir ici.

Sa voix se cassa sur ces derniers mots. Zieg décida d'intervenir, souhaitant que ce départ reste ce qu'il voulait qu'il soit : le plus formidable espoir depuis la création de Vellétoile.

- Mes amis, commença-t-il en se levant. Diaz nous rassemble pour former la plus grande révolution de l'histoire. Nous ne parlons pas ici d'une révolte isolée mais d'une tentative générale.

Il hésita un instant et continua son discours, quitte à feindre un peu la confiance qu'il semblait dégager.

- Je fais confiance à Diaz pour monter quelque chose de grandiose et d'efficace. Si nous ne réussissons pas, personne ne réussira : cela doit donc cela va réussir. Soa ne peut nous laisser dans l'injustice plus longtemps. Faites-nous confiance, croyez en nous et en vous : je souhaite vivement que Vellétoile reste comme il est ce soir, un lieu de joie, de chaleur et d'amitié.

Il se rassit, fixant les yeux de ses amis. Tous retrouvèrent une faible lueur au fond de leur regard. Tous souriaient inconsciemment devant ce discours rassurant. Zieg se remit à surveiller la cuisson des lapins, les retira du feu et les tendit à ses amis.

Diaz apprit la nouvelle par Charlène, le lendemain du lancement de la révolution. La mort de Faust lui occupait le cerveau depuis des heures, et le rendit apathique. La perte de son mentor lui enleva toute capacité à se concentrer. Heureusement, Charlène resta présente. Et elle l’aida à se focaliser sur la suite des opérations. La mort de Faust changeait beaucoup de choses : le septième porteur lui était inconnu, et fouiller les prisons de Zénébatos était irréalisable. Il devait aussi rallier toutes les tribus seuls, ainsi que chercher le dragon divin sans l’aide du magicien. La mission paraissait beaucoup plus difficile. Mais il ne pouvait abandonner. De plus, il était le dernier à connaître l’emplacement des archives secrètes de Faust. Son seul espoir était de compter un peu plus sur Charlène. Ce qu’il fit immédiatement en lui confiant ce qu’ils devaient réaliser tous les deux, en seulement un an. Il n’évoqua évidemment pas ces fameuses archives. Melbu ne pouvait pas mettre la main dessus, l’ignorance était une de ses faiblesses.
Enfin, il ne pouvait qu’espérer que la septième porteuse s’évade de sa prison par elle-même. L’espoir était la chose qui le maintenant en vie depuis de nombreuses années, ce qui lui donnait du courage. Il se redressa fièrement et décida de commencer dès maintenant sa gigantesque entreprise.

Chapter 3: Le Livre de Balzac

Summary:

Ce chapitre suit l'évolution de Balzac et Damia, leur rencontre avec leurs dragons et leur apprentissage de leur rôle de Dragoons.

Chapter Text

Il fut celui qui donna l'idée. Il sentit s'immiscer la discorde dans le groupe de Dragoons dès la troisième semaine d'entraînement. Trop difficile pour certains, trop facile pour d'autres : les rancœurs et les haines s'élevaient trop vite, et détruiraient la révolution dans l'œuf. Balzac décida de couper court à ces discordes et quitta le groupe après trois mois. Il expliqua clairement les raisons de son départ et fut compris par tous à son grand soulagement. Ils l'imitèrent d'ailleurs dès le lendemain. Le grand groupe se partagea en une multitude de binômes, trahissant les affinités naturelles. Balzac quitta la grande et belle clairière du Nord avec Damia, pour naviguer vers le continent des Voliens. Ni l'un ni l'autre n'avait encore réussi à enclencher le pouvoir du dragon. Involontairement, Damia réussit contre ce léopard des neiges, et cela faisait quelques mois maintenant. Depuis, plus rien ne se passait à l'intérieur de ces belles pierres colorées. Frustrés, ils apprirent à manier leurs armes respectives mieux que quiconque. Balzac choisit une lourde hache, difficile à contrôler mais extrêmement puissante. Damia maniait maintenant avec aisance un long bâton en bois aux extrémités métalliques et pointues. En trois mois d'entraînement intense, ils étaient devenus plus fort que tous, Kanzas compris, en combat naturel. En effet, les autres réussissaient parfois à se transformer et se concentrait ainsi un peu moins sur leurs armes. Tout deux espéraient trouver la colère nécessaire à la transformation sur ce continent honni. Après un grand repas signifiant officiellement la fin de leur groupe, du moins pour l'entraînement, Damia et Balzac naviguèrent sur un petit bateau de pêche offert par un humain qui fuyait son village. Ils ne savaient même pas où étaient partis les autres mais avaient tous le plan menant à Fort Magrad.

L'empereur Frahma s'était calmé depuis la mort de Faust. Ses soldats en profitaient donc pour s'amuser, de temps en temps, sur le continent opposé. Les humains, minitos et gigantos furent massacrés par centaines depuis la disparition de Faust, rompant l'accalmie de ces dix dernières années. Amèrement, Balzac espéra que cela ne pouvait qu'attiser la haine envers les Voliens et ainsi remplir les rangs de leur armée. Les quelques nouvelles qu'ils reçurent lors de leur entraînement autarcique leur minèrent tous le moral, et fut l'une des raisons de leur séparation, certains étant plus touchés que d'autres. Cependant, Damia semblait plus affaiblie que tous par ces nouvelles : chaque jour, elle se renfermait un peu plus sur elle-même. Chaque jour, ses coups étaient plus rapides, plus puissants. Cette rage ne suffisait pas pour relâcher la puissance de sa pierre pourtant, et ceci ne la calmait pas davantage. Parfois, Damia et Balzac se battaient l'un contre l'autre, pour se tester. Souvent, Balzac perdait et finissait le combat apeuré par la puissance de sa fille adoptive.
Damia ne parlait plus beaucoup, et gardait les yeux fermés la majeure partie du temps. Pour méditer expliqua-t-elle de sa voix douce. Si bien que ses autres sens étaient plus affûtés que ceux de tous les autres Dragoons. Elle devint en trois mois une machine à tuer, et ceci sans l'aide de sa pierre magique. Il ne parvint pas à l'imaginer une fois transformée en Dragoon. Sa puissance ainsi transformée pouvait certainement dépasser celle des Voliens, et cette faible pensée demeurait sa dernière motivation au fil des jours. La révolte réussirait.

La mer et l'Alumi les aidaient à faire de cette traversée un bon moment. Quelques poissons sautaient autour de leur embarcation. Ils étaient peu nombreux à oser s'approcher du petit bateau. Le voyage devait durer trois jours. Le premier jour se déroula sans problèmes, et fut d'un ennui rassurant. Le deuxième fut bien différent.
Ils venaient de remonter leur petite ancre quand il arriva. Monstrueux, grandiose et affreux, la chose sortit de l'eau et traversa le ciel pendant quelques secondes, avant de replonger. Le bateau faillit chavirer sous le choc des vagues. Damia se cogna la tête contre le mât et hurla de rage. Balzac réussit à se stabiliser et posa sa main sur la jeune fille. Il la retira brusquement, ayant une sensation de brûlure, une brûlure froide. Il comprit ce qu'il se passait avant même de voir la nuance bleutée de la pierre de Damia. Comme la dernière fois, la lumière éclata dans l'espace et masqua la transition entre la Damia humaine et la Damia dragoon. Il se frotta les yeux et vit sa fille flotter quelques centimètres au-dessus des flots, vêtu de son armure fine et transportée par ses ailes gracieuses. La bête jaillit une deuxième fois de l'eau. Cette fois, elle rencontra violemment le bâton du dragoon associé à l'eau. Le monstre hideux retomba mollement dans les vagues en gémissant. Ces ailes, ces dents, cette carcasse : Balzac reconnut la description d'un dragon des mers, lue dans l'Encyclopédie. Cependant, Balzac estima que celui-ci était bien plus grand que le plus grand jamais vu dans l'histoire. Les livres évoquaient des monstres de cinq mètres environ : celui-ci en faisait une dizaine. Le dragon et son ombre sous-marine remontèrent alors à la surface et Balzac s'agrippa au bateau, se préparant au pire. Mais le dragon sortit doucement la tête de l'eau, comme un enfant qui ne veut pas recevoir une deuxième fessée. Damia quitta le bateau et alla planer à ses côtés. Il sortit la tête un peu plus, et Balzac crut entendre une sorte de ronronnement. Abasourdi, il vit sa fille caresser la tête de l'immonde animal. Ils ne produisaient aucun son, ni l'un ni l'autre, mais Balzac fut certain qu'ils communiquaient, et qu'ils se comprenaient. Le calme revint dans son cœur. Dans celui de Damia aussi car elle perdit ses ailes et son équipement dans un éclair bleu aveuglant et tomba à l'eau. Balzac se jeta à la proue du bateau pour sauter la récupérer. Stupéfait, il la vit ressortir des flots et chevaucher son dragon.

- Viens, dit-elle à son père. Il nous emmènera, il me l'a dit.

Balzac obéit sans poser de questions et constata que contrairement à sa bataille contre le léopard, Damia se souvenait de son intermède magique. Rassuré, bien que légèrement jaloux du succès de la jeune fille, Balzac sauta sur le dos écailleux du dragon. Contrairement à ce qu'il redoutait après avoir considéré les écailles pointues, ce dos était doux et confortable. Le dragon s'ébroua et ils fendirent tout trois l'océan qui séparait deux mondes en une journée.

- Je commence à comprendre comment contrôler ce pouvoir. Je...Je suis sûr que nous allons tous y arriver. Oh Balzac ! Si tu savais comme c'est agréable de se sentir si puissante.

Balzac baissa la tête et ne dit rien. Un sentiment de honte le gagna à ce moment précis : il était désormais le seul à ne s'être jamais transformé. Des milliers de pensées lui traversèrent l'esprit, chacune plus déprimante que l'autre. Et s'il était tout simplement un humain ordinaire, ayant hérité de cette pierre par un pur hasard alors qu'elle ne lui était pas destinée ?

Ils accostèrent à la tombée de la nuit. Balzac sauta lestement du dragon et s'éloigna rapidement du bord de mer. Il se retourna après quelques pas, n'entendant pas Damia le suivre. Il se retourna pour la voir converser avec son dragon. Ce dernier sembla hocher la tête puis replongea dans les profondeurs, laissant les humains marcher en silence. Une fois dissimulés dans une forêt, Damia tenta d'expliquer le phénomène.

- Je pense...Je crois qu'il faut que tu trouves ton déclencheur. Il faut que tu emmagasines assez de colère pour que ton cœur nourrisse cette pierre.

Damia parlait maintenant comme une adulte, ceci depuis le début de l'entraînement. Malgré ses efforts désespérés, il ne trouvait pas de déclencheur. Déprimé par ses questions sans réponses de la veille, il essaya de se rappeler Mita, le procès, l'exécution. Son cœur battait fort, son cerveau transpirait la haine mais rien ne chauffait la pierre. Il laissa tomber en soupirant, gémissant quand il vit Damia se transformer instantanément juste devant lui.

- Mon déclencheur est l'attaque qu'ont subie mes parents, expliqua-t-elle.

Sa voix était casuelle, comme si elle décrivait le ciel du jour. Son corps flottait élégamment un bon mètre au-dessus du sol. Soudain, elle agita ses ailes violemment et disparut en un éclair. Il leva les yeux et vit un point traverser le ciel. l'Alumi l'aveugla et il dut baisser les yeux. Il entendit alors un grand craquement sourd et comprit avec un sourire que Damia n'avait pas encore assimilé la science de l'atterrissage. Il se précipita pour la relever, mais constata que l'arbre qu'elle rencontra lors de la chute était plus mal en point que la dragoon. Puis, comme s'il s'agissait d'un exercice simple, elle écarta ses bras fins et atterrit lestement sur l'herbe, tout en perdant son armure et ses ailes dans ce grand éclair bleu, devenu familier.

- Ce qui me calme et me permet de redevenir normale, c'est de penser à toi, dit-elle d'une voix douce, et redevenue enfantine sur l'instant.

Il sourit, la prit dans ses bras et lui passa doucement la main dans les cheveux, en sentant ses larmes le long de son bras. Ce souvenir de l'attaque ne déclenchait pas qu'une transformation, il ramenait en même temps de mauvais souvenirs. Ils restèrent ainsi de longues minutes, écoutant le murmure de la forêt et les vibrations de la mer toute proche.

Ils marchaient depuis une heure quand ils entendirent un bruissement quelques mètres devant eux, puis des voix. Ils se tapirent derrière un gigantesque tronc. Au loin, installée sur une minuscule clairière éclairée, une famille de voliens dînait joyeusement. Le fils unique, âgé d'une dizaine d'année, n'arrêtait pas de parler, abreuvant ses pauvres parents d'un flot de paroles brouillonnes. Ceux-ci le regardaient avec amour et n'osaient pas l'arrêter, se regardant par moments avec un air complice. Balzac reconnut dans l'instant le visage du père. La cicatrice qui traversait son front était la plus mémorable, elle formait une sorte de V hideux. Plus de dix ans après, il se souvint de cette cicatrice, plus que du visage du volle, car celui-ci ne souriait pas il y a dix ans. Le bourreau embrassa sa femme en frottant la tête de son enfant. Balzac sentit alors un flux de chaleur remonter le long de sa poitrine directement dans sa pierre. Son torse le brûlait, mais il ne ressentait aucune douleur. Au contraire, une vague de plaisir l'inondait et lui ferma les yeux. Il étira sa nuque vers l'arrière et quand il rouvrit ses yeux, il ne sentait plus le sol. Ses ailes étaient immenses, parcourus de grosses artères marrons. Elles étaient beaucoup moins élégantes que celle de Damia, mais beaucoup plus impressionnantes. Son armure était lourde mais il la portait sans effort. Sa hache se balançait sur sa ceinture et son poids semblait négligeable maintenant. Il eut un rictus effrayant et Damia recula un peu devant l'imposant dragoon qu'était devenu Balzac. Elle ne comprit pas qui ou quoi avait déclenché cette transformation, n'ayant pas assisté à l'exécution de Mita. Elle ne comprit pas tout de suite que cette famille allait bientôt cesser de sourire. En un battement d'ailes, Balzac se trouvait devant eux, grognant de rage, toujours affublé du même sourire repoussant. Le volle, grand et musclé, se leva et se prépara au combat. Cependant, Damia lut facilement de la crainte dans ses yeux, jamais préparés à voir un tel monstre face à lui. La mère tenta de s'enfuir en attrapant son enfant mais Balzac se planta devant elle et lui bloqua le passage. Elle se retourna et courut dans l'autre sens, en vain : le dragoon était déjà devant elle. Elle tenta de s'envoler en transportant le petit, mais Balzac la gifla si violemment qu'elle tomba inconsciente au sol. Le bruit du coup résonna quelques secondes dans les oreilles sensibles de Damia. Le fils hurla le nom de sa mère en pleurant et se jeta sur elle, en fixant des yeux pleins de haine sur le monstre. Le père se jeta sur Balzac, arborant les mêmes yeux que son enfant. Il lança son poing dans la figure de Balzac tout en accompagnant le geste d'une colonne impressionnante de feu qui tomba droit sur l'homme. Celui-ci esquiva les deux attaques et grimaça à peine.

- Souviens-toi de Mita, dit Balzac d'une voix étrangement calme. Souviens-toi d'elle jusqu'au bout, ordure.

Il continua à esquiver les attaques vaines du père tout en hurlant sa rage.

- Maman, gémit le petit. Elle est...

Le père se retourna vers son fils, cessant toute attaque, puis bondit sur sa velle allongée. Du sang coulait par ses oreilles, ses yeux, son nez. Un mince filet traversait sa joue. Le père gémit et Damia apprit ce jour-ci que les volles, aussi, pouvait ressentir le chagrin, l'amour, la peur. Elle faillit remercier Balzac pour cela. Mais l'horreur l'emporta sur la sollicitude et elle resta figée en regardant Balzac éviter lestement les attaques, devenues furieuses, du père. Le volle semblait puissant mais trop lent pour le dragoon. Soudain, une flamme atteint Balzac de plein fouet et il fut projeté quelques mètres plus loin. Le volle bondit sur lui comme l'éclair et projeta son poing en avant. Le bras entier rencontra la hache massive de Balzac et disparut dans les fourrés. Les hurlements du volle horrifièrent Damia qui se sentit toute petite face à cette violence. Même la mort de ses parents fût moins sanglante. Le visage de Balzac était déformé par la colère due à cette dernière attaque réussie. Il avança doucement vers le volle gémissant, qui s'agrippait aux restes de son bras, et lui saisit le cou violemment, le transportant sans difficulté dans l'air frais du matin. Il le tenait fermement, écoutant le bourreau murmurer des excuses tardives. Ce dernier comprit rapidement la vanité de son geste et supplia pour que son fils reste en vie. Les murmures devinrent inaudibles et la tête retomba lourdement sur le bras tendu de Balzac. Ce dernier lâcha le cadavre comme un sac de sable et atterrit lestement. Damia vit avec horreur son père se rapprocher à grand pas du petit volle. Elle sortit de sa torpeur et courut à la poursuite du dragoon, rendu fou par son pouvoir. Elle le dépassa, se posa devant lui en lui criant de se calmer. Balzac ne la vit même pas et s'approcha du jeune garçon en grommelant des paroles haineuses. Le jeune volle fixait son adversaire avec horreur et lança sans succès des sortilèges trop faibles. Brusquement, Balzac remarqua la présence de sa fille. Il stoppa net, la contempla en souriant et perdit sa puissance, son armure, ses ailes. Il s'écroula en gémissant sur le sol et tendit la main vers le garçon affolé.

- Il vaudrait mieux que tu partes, dit-il au jeune volle.

Ce dernier embrassa sa mère, ne bougea pas d'un centimètre et sanglota discrètement. Damia avait toujours haï les voliens et les considérait comme des êtres sans cœur, sans pitié. Ce jour-là, elle corrigea l'une de ses plus grandes erreurs, et comprit aussi pourquoi, peut-être, les volles détestaient tant les autres races : depuis toujours, on les éduquait à les haïr, comme elle avait été éduquée à haïr les voliens. Sans trouver d'excuses aux actes impardonnables de la plupart d'entre eux, particulièrement les meurtriers de ses parents, elle fut quelque peu apaisée par cette découverte. Ce jour-là, elle comprit surtout que les humains pouvaient aussi être sans cœur, sans pitié. Elle attrapa un Balzac recroquevillé sur le sol et l'entraîna loin du massacre, laissant le jeune volle pleurer ses parents. Même la marche, qui habituellement l'aidait à réfléchir, ne le calmait pas. Ils marchaient depuis deux heures maintenant, parcourant la forêt en tout sens, cherchant un endroit pour passer quelques jours. Un sentiment de dégoût envahissait Balzac depuis sa transformation. Il avait toujours rêvé ce moment comme un instant de libération, de relâchement et de bonheur. Ce fut un massacre répugnant. En quelques secondes, il acquit la personnalité des gens qu'il était censé combattre. Honteux, il n'osait pas parler, le silence de Damia n'améliorant pas ses sentiments. Celle-ci semblait encore muette d'horreur suite la scène. Il fallut une heure de plus pour que le silence gêné cesse enfin.

- Ici, dit-elle, cela me semble agréable.

En effet, une rivière calme traversait un sous-bois accueillant et légèrement éclairé par l'Alumi, qui traversait faiblement le feuillage touffu.

- J'ai honte, tu sais. Je me sens vraiment mal maintenant, reconnut-il enfin.
- Je comprends, dit-elle en hochant la tête.

Fataliste, elle ajouta :

- Il faudra nous habituer à ce genre de spectacle, s'habituer à nous voir agir ainsi. Nous nous préparons à la plus terrible guerre de l'histoire. Nous serons probablement aussi haïssables que nos ennemis. Espérons seulement que nos intentions seront meilleures que les leurs. Balzac baissa la tête et envisagea pour la première fois depuis leur départ, pour la première fois de sa vie, l'idée d'une guerre. Souvent rêvé comme une bataille où les bons renversaient les mauvais, il devait maintenant imaginer un lieu de bataille confus où chacun luttait pour sa survie et celle de son espèce, un lieu où chaque mort pouvait laisser une famille.

- Je pense qu'elles le sont pour le moment, dit-il tristement. J'espère simplement qu'elles le resteront si nous gagnons. Prendre la place des voliens pour devenir comme eux n'est pas une cause qui mérite notre sang.
- Nous veillerons Balzac, nous veillerons jusqu'au bout.

Il fixa la jeune fille et comprit que l'enfant avait disparu avec ces derniers mois. Il avait toujours cru être le protecteur de cette fille qu'il recueillit il y a dix ans maintenant. Ces jours-ci, il devint un allié, un compagnon d'arme et non plus un protecteur, pour la bonne raison qu'elle était peut-être devenue la plus forte.

Pendant la nuit, Balzac ne put dormir et ne réussit qu'à tourner et retourner la terrible bataille qu'il avait provoqué quelques heures plus tôt. Le regard terrible du jeune garçon le hantait plus que le sang et la barbarie de ses actes. Il s'agissait d'un regard qu'il connaissait trop bien, le regard de tous les jeunes humains de Vellétoile, celui de Damia quand elle vit Albert il y a dix ans. C’étaient surtout ses propres yeux qu'il vit dans celui de l'enfant, les yeux révulsés de haine que son visage révélait dans sa jeunesse, quand il perdit ses parents par exemple. Devenir ce qu'il avait toujours chassé lui retourna l’estomac. Son esprit se calma après quelques heures, son corps réchauffé par la pierre qui l'irradiait doucement. Ces heures d'insomnie lui permirent de transformer la bataille en une expérience utile pour son futur de guerrier. Lors du combat il trouva enfin son déclencheur, son calmant, sa faculté de transformation. Il était bien un porteur, et un guerrier capable et puissant. Le fait qu'il soit novice expliquait certainement cette perte de contrôle, l'expérience lui donnerait le contrôle, il en était sûr. La honte se dissimula derrière cette nouvelle interprétation et l'aida à s'endormir, bercé par la respiration douce de Damia.

Traversant la partie Nord du continent des voliens d'est en ouest, Balzac et Damia atteignirent la moitié de leur année d'entraînement. Le froid s'était durablement installé dans ces contrées montagneuses. Tant mieux, se disaient-ils, car eux préféraient le froid, contrairement aux voliens qui le fuyaient. Ce n'était qu'un gage de sécurité de plus.

- Nous ne pouvons pas continuer à nous cacher jusqu'à l'affrontement final, déclara-t-elle un matin, au réveil.
- Avant la fin de l'entraînement, nous descendrons vers une ville volle, voir si quelques voliens veulent bien se battre avec nous, répondit-il simplement.
- Oui. Si nous mourrons là-bas, nous ne méritions pas d'aller au combat avec les autres, expliqua-t-elle sans émotion.

Balzac n'arrivait pas à comprendre pourquoi ils devenaient si insensibles à la mort et à la douleur avec les mois qui passaient. Leur corps devenait plus dur, mais leur esprit aussi. Diaz avait peut-être prévu que ce voyage autonome aurait pour conséquence un changement radical dans l'état d'esprit des dragoons. Devenus des machines de guerre, ils seraient d’autant plus forts et sans d’âme. Dans l'esprit de Balzac, le temps effaça la honte da la première transformation, même s’il se réveillait parfois en pleine nuit, couvert da sueur, revivant cette bataille injuste. ( Dapqiq cdtte aventurd, ahaatl sa prajpfkriait safs ebfjrt, qtivajt leur vndonté, ep ilr pesrentaidjt tgtbmurs catpa chaheur enitp-npa au mjmelt `e ha pransfgreatikl dt pab`ant »a trop cjurta pápio`e `h tanp qud `pagjon( Le daht da pklar c`uqaat cdptaanelalt une parta` de ceppe ivrdqse, hls vkxageaiehp sourant an tidaft désgrma`s& Cepef`ant, ils ne néglac`aient pas lep autres mmyehq `e sa déplacer( aglscianp de la fracilité de deur plqvohp, chdpenu dans cetpe frêld piarpe colnrée qqa sa balanå`it dans la apeux `e ldup cbt, Hls qe battaidnp l%ub ckntrd l&attra la plupart `q tamps, et jd se bhessaianp jamahs* Las `iups étaieht parfaiteeebt iaêprisés& Pmur qe paster df cmldatiodq péelles( hhs atpaquèrent p`rflis `es `nil`ux ppiqsants. @dux)ai le rèqiqtèpant jamais à la vitasse ap à la p¬assalce deq cheralherq drafikns* Ihp chaqsaient potr se jiurrhr, bomma à l'épkqua de Rallèplila, mais ihr át`ielt depdnuq ddr préd`taurs suprèees, ne cpaiglant au`tle créatupe `e la fipèt( Lep duitds mad`drgit`s dev`bt l#arrhvèe d&ph sahfliep trnp eros étaaenp mu`liés, cllma les cmthéds da qudur quand ilq arkyaient enteldre `t loin le froisqad`lt d%tne aile volianne, Eaintdbalt, ilq atte
dahant les Vnlhenq, pp`pque impatients de sd idsqper à dds advdrraipes à leur masura,

Ce latih là( ils re deraienp acime ahaque eapih au lavap du qoldil. Ils sortirejt de la phus grande forèp qu&hhs n$av`iant hamahr praverséa, ayaft p`ssé tb eniq à la paraourip. Ihq ddr`idjp tratarser ul mont à la pejta `otaa pnqr aonp`nuar ddur cheihd inapiatiqua et rejoibdpd l%icéan kcci`entahd `u cjltanelt. Une bois en haut, Balzac resr`ltip uja vibrapikn `ajq le sil,
- Atpentann, muplpra-t%il à qa filde*
- Qtoi ? Dehajda-p%alld qd bigealt aqsshpôp.

Damia n'entendait, ne sentait, ne ressentait rien. Surpris, Balzac, au contraire, était ébranlé par les vibrations du sol. Reliant les informations de son Encyclopédie, il comprit aussitôt que son élément était la terre. Il comprit surtout que chaque pierre associait son porteur à un élément comme ils étaient traditionnellement décrits dans Ultimesse : Feu, Foudre, Terre, Vent, Eau, Lumière, Ténèbres. Damia était fortement lié à l'eau par sa mère. Cette pierre héritée de ces parents la liait à l'eau et à ce dragon marin impressionnant de puissance. Lui seul pouvait ressentir cette vibration si faible. Lui seul entendit cette vibration comme un cri du sol qui semblait déchiré par un corps étranger. Il s'arrêta brusquement, et se pencha pour toucher le sol de sa main. Sans savoir comment, il comprit ce que la terre lui disait.

- Recule, hurla-t-il à Damia.

Celle-ci obéit d'un bond, sans poser de questions. Ils avaient compris il y a quelques semaines que les questions étaient une perte de temps mortelle sur un champ de bataille. Balzac, toujours accroupi sur cette terre hurlante, posant sa main sur la poussière du sol fermaient maintenant les yeux pour ne plus ressentir que cette vibration dont l’intensité augmentait rapidement. Soudain, il se leva et sauta en arrière, se transformant instantanément. Damia ne l'imita pas. Elle dût comprendre que ce qu'il se passait à ce moment-là ne la concernait pas.
Le sol s'ouvrit juste devant Balzac et une énorme bête jaillit hors du sol, comme de la lave en fusion. Rougeoyant, le monstre fit un demi-tour plus haut dans les airs et se retourna pour fondre sur Balzac. Trapu, ce dragon se déplaçait pourtant élégamment, se servant parfaitement de ces quatre longues ailes. Balzac vit cette masse de lave hurlante foncer sur lui et l'évita d'un coup d'aile. Il crut que le dragon allait s'écraser dans le sol, ne pouvant s'arrêter une fois lancé à si grande vitesse. En effet, il ne s'arrêta pas, mais ne s'écrasa pas non plus. Il fusionna avec la terre pour ressortir quelques mètres plus loin, quelques secondes plus tard. La fille était plus rapide, plus difficile à attraper. Ils adoptèrent la formation carrée et elle fut encerclée rapidement. Ils resserraient le cercle en riant, excités par le combat.
Damia gémit quand elle vit le piège se refermer sur elle. Les volles, sûrs de leur victoire, s'approchaient lentement. Elle vit Balzac se relever, redresser la tête, elle vit ses yeux lançant des éclairs de rage sur ses assaillants. Il planta son bras dans le sol et s'agenouilla, faisant corps avec la terre. Maintenant terrifiée, Damia se demandait pourquoi Balzac ne volait pas l'aider. Les volles s'apprêtaient à se jeter sur elle quand celui à sa gauche disparut avec un choc mat. Écrasé au sol par un rocher monstrueux, le volle restait allongé, mort. Les volles sentirent le danger et rompirent le cercle, évitant trois autres rochers volants. Balzac arracha son bras de la terre et bondit vers l'un d'entre eux. Le manche de sa hache lui arracha la moitié de la joue. Le volle s'écroula au sol en hurlant de rage et de douleur. Les deux autres, plus jeunes, semblaient effrayés par ce soudain retournement de situation. L'un d'eux décida de fuir. Damia sentit au fond d'elle un frisson remonter sa colonne vertébrale et elle entendit la pierre lui murmurer quelques mots. Elle les répéta en fixant haineusement le fuyard. Un claquement terrifiant déchira la forêt et le lâche ne put éviter les couteaux de glaces qui le transpercèrent de part en part. Plusieurs morceaux de son corps tombèrent au sol dans une flaque de sang. Le dernier debout fixait l'humaine avec horreur. Il comprit que la bataille était sa seule issue face à cette humaine aux pouvoirs magiques. Pour la première fois de sa vie, il ne sentait pas à la hauteur face à une race inférieure.
Au sol, le volien le plus âgé s'était relevé avec rage et lança son poing sur le visage de Balzac. Celui-ci se souleva légèrement et le poing s'écrasa sur l'armure fine. Balzac ne ressentit rien d'autre qu'une légère vibration, mais le volien gémit en baissant les yeux vers son poing déformé. Balzac vit Damia fondre sur le dernier volien et fit tourner sa hache dans sa main.

- Amusante votre promenade les amis ? Dit-il, moqueur, au volien le plus âgé.
- Très ! Répondit celui-ci en reculant et murmurant quelques paroles.

Un éclair violet s'abattit sur le dragoon qui s'écroula sans bruit sur le sol, foudroyé. Le volle essaya de sourire, fier de ce sort si puissant, mais la douleur l'en empêcha : sa joue droite était grande ouverte, faisant de son sourire un trou ensanglanté. Son jeune frère atterrit violemment sur le sol, projeté par un coup de marteau de la jeune humaine. La douleur que provoqua le corps sans vie de son frère surpassa son mal physique et il bondit vers la jeune fille. A sa grande surprise, celle-ci ne tenta pas de fuir, certaine de sa supériorité. Ses yeux meurtriers le fixaient et il crut défaillir. Il tenta le même sort que contre l'homme. Il n'eut pas le temps de finir ses paroles magiques car un rocher s'écrasa contre sa jambe. Entraîné par le roc, il tomba au sol devant le regard carnassier de l'homme, qu'il croyait avoir tué.

- Quelle sorte de monstres êtes-vous ? Murmura-t-il en crachant des caillots de sang

Il sentit le froid l'envahir, au fur et à mesure que la jeune fille remuait ses lèvres. Son corps gela, son visage restant figé dans cette expression d'horreur. Les dragoons redevinrent humain après cette bataille enragée, contemplèrent les quatre cadavres et s'assirent.

- Voilà un bon test, déclara Damia, simplement.
- Après seulement six mois d'entraînement, nous nous débrouillons plutôt pas mal.
- Je commence à y croire, dit-elle.

Il la regarda, surpris : lui y avait toujours cru. Il détourna son regard et fixa les arbres, spectateurs passifs de la bataille. Celui sur lequel il s'était fracassé était tombé, victime supplémentaire du massacre. Ils n'évoquèrent pas les pouvoirs magiques qu'ils venaient de se découvrir. Trop excités, trop effrayés par ces derniers, ils savaient tout deux qu'il leur faudrait un peu plus de maturité pour comprendre et maîtriser les sorts.
Fort Magrad était constitué des vestiges d'une ville morte avant la prise de pouvoir de Melbu Frahma. Tout ce qui n'était pas fait de pierres avait disparu depuis des siècles. Au Nord et au centre de l'Ester, cette ville fantôme était cachée derrière des barrières montagneuses. Inconnue, difficile à atteindre, surtout pour les voliens qui détestent la marche à pied, cette ville était en effet le lieu parfait pour rassembler les futurs combattants de la révolution. Balzac et Damia arrivèrent accompagnés d'une dizaine d'autres combattants. Ceux-ci ignorant le caractère particulier des deux dragoons, ils s'étonnaient de la présence de la jeune fille frêle aux cotés de Balzac.

- Ne vous inquiétez pas pour moi, expliqua-t-elle à un Giganto surpris, j'ai beaucoup de ressources.

Le clin d'œil malicieux finit de le convaincre et il ne posa plus de questions jusqu’à la fin de l'ascension. Trois gigantos et sept humains puissants formaient ce groupe impressionnant. Leur présence réchauffa Balzac. Retrouver sa société, discuter de choses futiles, admirer à plusieurs la Lune Perpétuelle lui avait manqué. Les humains venaient du Sud, ils étaient des chasseurs des forêts du Sud Ouest. Les voliens n'attaquaient que rarement ces contrées quasiment inhabitées. Pourtant, ils étaient venus pour combattre ces agresseurs inconnus. Fiers de sa race, Balzac prit la tête du groupe et encouragea tout le monde à finir le chemin d'une traite.
Ils mirent deux heures avant d'atteindre enfin les anciennes portes de la ville. Les ruines étaient bondées, des humains, gigantos, minitos de tout le continent discutaient ou se reposaient sous l'Alumi brillant. Devant cette armée impressionnante, Balzac se sentit rassuré et il salua intérieurement le travail de Diaz. Les dragoons abandonnèrent leurs compagnons de voyage et se dirigèrent vers un cadavre de tour, dont deux murs tenaient encore debout, se balançant dangereusement au-dessus des combattants. Leur démarche était puissante, déterminée. Damia et Balzac sortait d'un an de solitude et d'apprentissage. Ils se sentaient à l'apogée de leur puissance, ils se sentaient soutenus l'un par l'autre, et accompagnés où qu'ils aillent par leurs dragons respectifs. Derrière les deux murs remuants avec le vent, Diaz trônait sur une pierre majestueuse. A ses côtés se tenaient Kanzas, Zieg, Rose, Albert et une jeune fille qu'ils ne connaissaient pas.

- Bienvenue les amis, dit Diaz de sa voix forte.

Sa voix rassura les deux Dragoons, et ils furent remplis de cette confiance qu'elle exprimait.

- Tout va bien, nous sommes en bonne voie, s'exclama-t-il, son visage exprimant une rage joyeuse surprenante.

Les deux arrivants s'assirent en regardant la nouvelle. Vêtue simplement d'une légère robe blanche, flottant comme les murs, son corps était d'une finesse extraordinaire. Une pierre familière planait dans le creux de sa gorge. Ses yeux renvoyaient leur regard interrogateur avec défi.

- Je suis Shirley, la septième porteuse, dit-elle simplement. Je suis la maîtresse du Dragon Divin...
- S'il peut être maîtrisé, ajouta Diaz avec malice.
- En effet, disons que je suis sa guide, tempéra Shirley en souriant pour la première fois depuis l'arrivée des nouveaux.

Balzac se rappela ses lectures sur cette bête mythique. La septième porteuse était là, accompagnée par le monstre le plus puissant d'Ultimesse, et elle disait pouvoir le contrôler. Tout allait pour le mieux à la veille de la révolution la plus importante de l'histoire. Il se détendit enfin pour la première fois de l'année, écoutant les récits de ses camarades Dragoons, narrant leurs voyages initiatiques.

Chapter 4: Le Livre de Shirley

Chapter Text

Shirley cessa de compter ses jours en prisons dès que le compte dépassa un mois. Elle perdit la notion traditionnelle du temps, découpé en jours et nuits, pour se concentrer sur sa sortie. Entre ses entraînements réguliers et ses repas abominables, elle tournait et répétait ses plans d'évasion. Les plus simples consistaient à attaquer de manière frontale les gardes de Zénébatos. Sans même connaître la nature de ses gardiens, ni leur nombre exact, elle était sûre que ce plan était voué à l'échec. Ces gens sont trop puissants, se disait-elle : ils avaient trouvé sa cachette et attaqués les Minitos.
Le soir, elle discutait le plus discrètement possible de ses idées avec sa pierre. Cette belle femme habillée de blanc qui lui souriait tout le temps la conseillait et la rassurait. Devenue sa meilleure amie, la pierre connaissait tous les plans d'évasions de Shirley. Aucun n'était raisonnablement applicable, trop compliqués, trop dangereux, ou trop stupides parfois. Les jours passaient, les gardes désagréables distribuaient avec haine leurs repas, regrettant sûrement de nourrir des parias. Mais les violences n’avaient pas repris depuis qu’une sentinelle perdit la vue dans cette même cellule. Un jour particulier arriva alors. Un garde singulier lui servit son repas du matin.

- Tenez Mademoiselle, dit-il d'une voix agréablement calme. Je vous ai mis quelques fruits et plus de pain, car j'ai entendu que vous faisiez bon nombre d'exercices !

Shirley resta muette devant le volle. Petit et hideux, il dégageait une gentillesse qu’elle n’avais jamais connu. Il était probablement le garde à l'allure la plus repoussante qu’elle n’ait jamais vu et certainement le seul à s’être montré aussi gentil avec elle. Il sortit sans un mot de plus, ayant senti la présence d'autres gardes, qui ne lui pardonneraient peut-être pas cet excès d'attention. Shirley se jeta sur les fruits, dégustant goulûment des goûts qu'elle avait oubliés. Une fois le frugal festin terminé, elle en savoura le souvenir avec délectation. Ce jour-ci, elle regretta de ne pas avoir compté les jours, elle regretta de ne pas pouvoir marquer celui-ci comme une journée exceptionnelle.

La femme en blanc parlait depuis quelques minutes. Comme chaque nuit, elle apaisait les douleurs de la jeune fille, utilisant comme un baume ses mots doux et rassurants. Les images de son simulacre de procès revenaient souvent dans les rêves de Shirley, chassant grossièrement la femme en blanc. Celle-ci réapparaissait toujours, après quelques minutes, après quelques souvenirs douloureux. Cette nuit-là pourtant, elle se tut. Ce fut la première fois depuis l'arrivée de Shirley que la femme se taisait sans attendre de réponse. Shirley atteint le calme avant son réveil. L'effet des fruits évidemment, et puis l'effet du sourire surprenant du garde. Shirley ne pouvait s'empêcher de penser à ce sourire, si beau au milieu d’un visage à la peau détruite. Allongée dans sa cellule, fixant le plafond, Shirley souriait sans arrières-pensées amères pour la première fois depuis longtemps, son souffle régulier la berçait, rassurant, et le rêve s'éteint avec le réveil de la prisonnière.
Shirley se redressa sans se presser, et ce fut la première fois de son long séjour dans la geôle volienne. Prenant le temps de savourer l'odeur humide de sa cellule, captant au mieux les derniers effluves de son festin de la veille, elle s’éveilla toute entière. Elle attendit avec impatience l'arrivée du petit-déjeuner, précédent l'arrivée probable de son ange gardien. L'heure arriva, mais l'ange gardien n'apparut à aucun moment. Un garde grognant, qui lui fit l'effet d'être plus abominable que tous, pauvre victime du contraste, lui servit sans un mot le même plateau fade que chaque matin. La porte claqua devant les yeux mouillés de la jeune femme. Elle découvrit ce matin-là que la pierre ne pouvait pas toujours la consoler. Sa couchette en bois lui parut plus dure jamais, et elle pleura en silence le gardien aux fruits.
Au dehors de la petite cellule, un garde remarqua par les minuscules ouvertures qui séparaient les couloirs des cachots d'étranges noyaux sur le sol de la prisonnière humaine. Ses lèvres se tordirent en un sourire raté et il fonça vers son chef, jubilant intérieurement de sa future révélation qui conduirait le nouveau, cet avorton hideux, dans le fleuve de la capitale, ou pire.

Shirley resta vautrée dans son lit toute la journée, dérogeant à son entraînement quotidien. Le repas du midi lui fut servi au milieu de son indifférence la plus apparente et elle se concentra sur la faible lueur de sa pierre, cherchant le réconfort habituel qu'elle ne semblait pas pouvoir délivrer ce jour ci. Au beau milieu de l'après-midi, elle sanglota, provoquant les rires grossiers des gardes les plus curieux. Une haine sourde infusait dans son cœur, battant à ses tempes, contrastant violemment avec l’apaisement de la dernière nuit. Le dîner arriva. Le garde qui entra était plus imposant que la plupart des geôliers ordinaires. Il était en réalité le chef de cet étage de la prison. Heureux de pouvoir déverser son trop faible pouvoir sur de minables humains, il sourit en entrant dans la cellule. Shirley frissonna de rage en voyant entrer le volle. Son beau visage était déformé par un rictus de joie déplacée. Il tenait entre ses mains un sac informe, d'où gouttait un liquide rougeâtre. Shirley reconnut du sang, et craint le pire avant même que le chef haineux n'ouvre le sac. La tête du gentil garde, encore enlaidi par la mort, tomba lourdement sur le sol, éclaboussant les pieds nus de la jeune fille qui sentit sa pierre s'enfoncer dans sa poitrine. Le garde beugla, aveuglé par une brusque lumière qui emplit la cellule et se déversa dans le couloir, attirant les quelques gardes présents. Shirley se sentit tirée en tout sens par des mains irréelles. Elle fermait les yeux depuis la chute de la tête sanglante. Un brouhaha terrifiant l'empêcha de ressentir pleinement ce qu'il se passait. Les gardes grognaient de rage, cherchant désespérément leur prisonnière derrière ce mur de lumière. Le chef aboyait avec mépris des ordres idiots à ses sous-fifres. Ses ordres s'effacèrent, accompagnés par le brouhaha. Alors, les mains la lâchèrent, le silence reprit sa place, la lumière disparût. Seule une légère lueur blanche brillait au creux de la poitrine tremblante de Shirley. Les froissements délicieux de la forêt éclatèrent dans ses oreilles, dépassant le plaisir qu’avait procuré les quelques fruits de la veille. Le son de la liberté l'envahit complètement, évacuant au mieux l'horreur qu'était cette tête tranchée, cette tête qui ne souriait plus. Elle se retourna en tout sens, guettant des poursuivants éventuels. La nature seule provoquait les mouvements doux de la forêt, personne ne semblait savoir où elle se trouvait. Elle-même ne savait pas où elle se trouvait. Shirley s'allongea à même le sol, goûtant avec délectation l'air frais et une couche plus meuble que la planche de bois. Elle s'endormit immédiatement, éreinté par l'épreuve, et ne rêva pas cette nuit-là.

Le directeur de la prison de Zénébatos réservée aux humains ne se déplaçait qu'en de rares occasions. Véritable homme de pouvoir, il ne supportait pas les vagues lieutenants qui lui servaient de subalternes. Le sergent tremblotant qui lui rapporta l'incident ne méritait que son mépris le plus total et il ne prit même pas la peine de l'écouter. Il ne fut pas impressionné par le coté absurde de cette justification, le lieutenant ne cherchait qu’à cacher son incompétence :

- La fille a tout simplement disparue chef, disparue !

Il fit face au chef, se planta devant lui avec toute la puissance qu'il pouvait consacrer à une telle larve et lui dit le plus calmement du monde :

- C'est inadmissible cher ami. Heureusement, les ordres de Melbu sont très clairs. Quel qu'en soit la raison, une disparition impromptue par exemple, toute évasion réussie, dans cette prison en particulier, doit être sévèrement punie.
- Mais chef, demandez aux gardiens, nous n'avons rien pu faire ! Se justifia maladroitement l'autre.

Le grand chef se retourna, souriant presque, et sortit son couteau le plus rouillé. En se retournant gracieusement, il l'enfonça le plus doucement possible dans le cœur terrifié de son lieutenant, contemplant avec plaisir les yeux du volle devenir vitreux. L'homme s'écroula et il appela son serviteur pour qu'il retire le détritus de son tapis. Il préféra oublier cette évasion spectaculaire, craignant les représailles musclées de l'empereur en personne.

Le réveil fut le plus agréable de sa vie. Elle ne put apprécier le nombre exact de jours de prisons qu'elle venait, sans savoir comment, de figer. La fraîcheur retrouvée de cette forêt lui rappela le sourire étrange de son garde. En deux jours, elle retrouva deux sensations perdues, sensations qui lui manquaient terriblement. La femme apparût alors et lui conseilla de sortir de cette torpeur heureuse pour tenter de rejoindre une quelconque civilisation. Shirley réfléchit quelques instants et préféra ne pas suivre ce conseil. La compagnie des espèces « intelligentes » ne lui valut que des ennuis terribles. Sans plus réfléchir, elle décida de fuir ces espèces meurtrières, de tenter de survivre seule, d'en apprendre plus sur les autres espèces qui peuplaient ce monde. La femme ne contesta pas ce nouveau schéma, mais lui précisa mystérieusement qu'un jour ou l'autre, il lui faudrait retrouver la compagnie des hommes.

- Si tu veux réaliser ce qui est juste, précisa la femme en blanc, s'effaçant sur ces paroles.

Shirley retint ces mots, sans trop les comprendre. La femme en blanc se trompait trop rarement pour qu'elle n'oublie ses avis. Choisissant au hasard une direction, elle commença à marcher.

Elle ne croisa rien d'animal pendant quelques heures, et son ventre commença à gémir sérieusement. Par chance, elle aperçut deux lapins qui courraient innocemment dans une clairière fleurie alors que l’alumi descendait dans ciel. Ils mangeaient les pétales goulûment, puis se remettaient à courir sans but. Shirley s'approcha de ces deux jeunes lapins, le plus silencieusement qu'elle le pût. Elle n’avait jamais chassé, mais connaissait bien l’anatomie des animaux, les meilleurs morceaux de viandes, les plantes comestibles ou les champignons qui ne tuaient pas. Trop jeunes, le gibier ne ressentit pas le danger et malgré l’inexpérience totale de la jeune femme, ils moururent sans douleur, s'écroulant doucement sur les fleurs qu'ils s'apprêtaient à manger. Shirley contempla avec dégoût ses mains rougies par le massacre de ces proies. Elle se rappela les quelques cours élémentaires et malheureusement théoriques que son maître minito lui enseigna et alluma, après une longue bataille et quelques hurlements de rage furieux, un petit feu. Celui-ci menaça de s'éteindre plusieurs fois avant de se redresser et enflamma joyeusement les quelques bouts de bois rassemblés. Shirley dégusta la viande, fière malgré elle de cette bataille aussi injuste que vitale. Profitant de sa liberté retrouvée, elle resta assise, rassasiée, à contempler les mouvements reposants des feuilles. Elle s'endormit sans s’en rendre compte, au beau milieu de la clairière, protégée par ce feu chétif se perdant dans de vagues rêves où un volle au visage balafré lui souriait avec tendresse.
Le réveil fut aussi doux que le précédent. Profitant du lever de l'Alumi sur la clairière, elle se redressa avec lenteur, profitant de chaque moment. Elle sentit sa pierre la réchauffer et crut qu'il s'agissait d'un signe de réveil. Elle entendit alors un bruit sourd, une chute peut-être, juste derrière elle. Elle bondit, se retourna et tomba nez-à-nez avec un volien d'une vingtaine d'année. Celui-ci avait chuté en s'approchant discrètement de la jeune femme. Il se releva avec peine et le vit non seulement éveillée, mais en position de combat.

- Ne t’inquiète-pas ! Commença-t-il. Je voulais juste vérifier que tu étais vivante.

Shirley ne bougeait pas et tentait de percevoir un quelconque mensonge. Manquant d'expérience, elle ne put savoir s'il était réellement sincère. Elle décida de ne pas lui faire confiance, mais baissa un peu sa garde, attendant plus d'explications.

- Je m'appelle Manti ! Je suis du village, là-bas, juste à côté, déclara-t-il fièrement en montrant du doigt un arbre plus grand que les autres.
- Tu vis dans la forêt ? Demanda-t-elle, surprise.

Manti se rassura et sourit. Ses muscles se détendirent un peu, et il épousseta la terre récoltée lors de sa chute.

- Mon village fait partie de la forêt. Nous sommes installés ici, cachés, pour éviter la tyrannie de Melbu Frahma. Nous vivons seuls depuis des générations.

Shirley se demanda si la pierre avait prévu de la faire atterrir dans le meilleur endroit possible, contre son avis de fuir les « parlants », comme disait son maître. Elle se détendit complètement et sourit alors au jeune garçon, oubliant momentanément sa promesse d'autarcie. Quelque chose remua dans son ventre quand il s'approcha d'elle, une sensation de peur étrange, mais il ne s'agissait pas de la peur qu'elle connaissait le mieux, la peur de mourir. C'était une peur qu'elle ne maîtrisait pas et qui la laissa muette.

- Suis-moi, dit-il, je vais te présenter mes amis, au village.

Shirley lui emboîta le pas sans réfléchir, bercée par cette voix. Ils marchèrent quelques minutes, suivant le plus grand arbre de la forêt, évitant des branchages étrangement disposés. Malgré sa torpeur, elle comprit qu'il s'agissait de pièges empêchant toute personne étrangère au village d'approcher de cet îlot. Soudain, elle entendit des feuilles se froisser. L'animal responsable apparut quelques secondes plus tard et se planta devant eux, menaçant. Il s'agissait d'un énorme sanglier, aux défenses acérées, qui décida d'attaquer les intrus qui piétinait son territoire. Manti se plaça devant Shirley, l'écartant doucement d'un bras faible et se dressa courageusement devant la bête.

- Laisse-moi faire, je vais le faire fuir ! Dit-il avec assurance.

Le sanglier se lança à l'assaut du jeune homme qui prépara sa riposte. Une flamme ridicule s'écrasa sur la cuirasse de la bête. Manti se mit à trépigner de peur dès qu’il constata que son attaque était vaine puis il plongea pour éviter le monstre furieux. Shirley faillit éclater de rire tout en s'écartant de la menace. Elle prit la place de Manti devant la bête, ne prenant pas la peine de l'écarter du combat et fonça sur le sanglier. Elle lança son pied droit dans le museau qui craqua. La bête grogna férocement avant de s'enfuir au galop. Elle se retourna, sourire aux lèvres, prête à se moquer de son cavalier. Le sourire disparut quand elle vit le jeune volle, allongé sur le sol et gémissant. Une branche acérée lui traversait la jambe. Elle accourut, se jeta à ses côtés et examina la blessure. Il perdait du sang et des couleurs, sa voix était déjà faible.

- Merci, réussit-il à dire en toussotant. Mais je l’aurais eu au deuxième coup, ajouta-t-il avec un sourire piteux.

Elle ressentit alors cette même sensation, découverte lors de leur rencontre, quand elle s'approcha de lui, une sorte de chaleur bizarre au fond de son estomac. Elle gémissait d'impuissance devant son nouvel ami qui perdait la vie à vue d’œil quand sa pierre commença à chauffer vigoureusement. Elle la sortit de son habit de prisonnière et la laissa briller dans l'obscurité de la forêt. La lumière emplit l'espace entier et la femme en blanc lui ordonna gentiment d'apposer sa main sur la blessure du volle.

- Retire le bâton, dit-elle calmement.

Un peu dégoûtée, Shirley tira le plus soigneusement possible le bâton hors de la plaie qui se mit à saigner plus fort.

- Pose ta main, puis respire, respire, continua la femme.

Elle posa sa main sur la plaie sanglante, plus étonnée qu’effrayée. Elle entendit alors le volle grogner tandis que la plaie se refermait lentement. Progressivement, la plainte devint joyeuse et quand la lumière disparut, engloutie par la pierre, Manti fixait Shirley, les yeux emplis de surprise et de reconnaissance. Elle crut percevoir un sentiment plus complexe dans ces beaux yeux, mais ne réussit pas à le comprendre. Gênée par cette curieuse chaleur, elle détourna le regard et se releva sans un mot. Le volle se redressa aussi, contemplant sa jambe guérie, puis la tâta pour en vérifier l'intégrité. Il marcha un peu, tremblant de joie.

- Merci ! Merci beaucoup ! Tu as sauvé ma jambe ! S'exclama-t-il d'une voix enfantine

Il se remit à la fixer, mêlant toujours la surprise à cette expression inconnue, et sembla tout à coup se rappeler quelque chose :

- Quel est-t-on nom, au fait ?
- Shirley, répondit-elle sans plus de précisions.
- Poursuivons donc notre chemin Shirley l'humaine aux pouvoirs étonnants ! Mes amis seront contents de te voir, j'en suis certain.

Effrayée par l'idée d'une telle rencontre, elle laissa ses émotions se mélanger et décider pour elle. Le sourire du volle l'entraîna plus profondément dans la forêt. Ils atteignirent le village après une demi-heure de marche.
Ce dernier faisait littéralement partie de la forêt. Les maisons étaient construites autour des arbres, et consistaient en une sorte de cube de bois entourant un tronc d'arbre. Ce cube était surmonté de feuilles et parfois d'une végétation développée sur les plus anciennes demeures. Aucune barricade ne venait empêcher l'entrée de visiteurs, les habitants croyaient fidèlement en leur labyrinthe d'arbres comme seule protection. Le village paraissait plutôt étendu aux yeux de la jeune femme qui n'avait vue dans sa vie que la capitale Minito, forcément plus dense. Manti lui expliqua qu'une centaine de personnes vivait en ces lieux. Elle pensa alors qu'on pouvait entasser dix fois plus de minitos dans un espace à peine plus grand. La première chose qui la surprit fut l'impression de vide que donnait ce village. Enfin, après quelques minutes de contemplation, tout en contemplant une nouvelle fois ces toits fascinants, peuplés de végétaux envahissants, garnis d'animaux inconnus, elle aperçut le premier habitant. La barbe noire taillée en un triangle menaçant de ce volle impressionna Shirley, qui se figea. Manti s'avança vers le volle, joyeux, tout en lui annonçant la venue de la jeune femme. Cette dernière crut reconnaître les yeux méprisants des gardes de Zénébatos sur le visage de ce grand homme.

- Tu connais les règles du village, Manti. Ne ramène pas de gens de l'extérieur. Jamais ! Qu'ils soient humains, voliens ou je ne sais quoi ! Hurla-t-il au jeune volle qui trembla de peur.
- Mais...Elle m'a sauvé la vie, papa ! Elle a repoussé un énorme sanglier qui m'attaquait lâchement par derrière !

Malgré sa surprise, Shirley sourit quand elle entendit ces derniers mots, amusée par la tournure que prenait l'aventure dans la bouche du jeune volle, tout en le remerciant secrètement de ne pas évoquer sa guérison mystérieuse. Le regard du père s'adoucit un peu, et cette impression de déjà-vu désagréable disparut.

- Bon. J'imagine que je dois vous remercier, alors ! Grogna-t-il à Shirley, un faible sourire aux lèvres tout de même.
- Je vous en prie. Ne vous inquiétez-pas, je ne révélerai rien à propos de votre village, rassura-t-elle.
- Je n'en doute pas, répondit-il trop vite.

Shirley ne réussit pas à interpréter sa voix qui sema un léger doute dans son esprit. Manti s'approcha d'elle en écartant les bras, rassurant.

- Te voilà la bienvenue parmi nous ! Dit-il joyeusement.

Elle s'avança vers lui, craintive, repoussant au mieux la sensation qui l'habite depuis leur rencontre. Elle avait survécu à quelques années de prisons infernales, et résistait à peine à la douce chaleur que lui procurait ce volle. Elle eut presque envie de fuir. Elle le suivit dans un dédale de troncs, de cubes et de petits animaux. Il l'emmena dans sa maison, une des plus imposantes. Elle était surmontée de rosiers resplendissants. C’était une hutte comportant deux étages, une échelle menant du séjour en bas vers les chambres du haut. Shirley sentit son malaise s'accentuer quand il lui présenta une velle au regard bleu et inquisiteur. Sa mère fixa l'intruse, révélant la même crainte que son mari. Un regard entendu du fils effaça instantanément l’attitude impolie de la velle qui se transforma en une hôte attentionnée. Shirley fut accueillie par la famille entière, le soir venu, comme une princesse. Elle fut surprise par ce changement d'attitude brutale. Une petite sœur complétait la famille. Âgée de neuf ans, elle paraissait faible, toussait beaucoup, et n'étais pas très grande. Ses ailes étaient plus brumeuses encore que celle du reste de sa famille. Elle subissait la maladie, tout en transpirant la joie de vivre. Harassant Shirley de questions, Tima monopolisait la parole depuis le début du repas. Shirley répondait avec amusement à ce flot incessant, plus ou moins indiscret, savourant le plaisir perdu de parler.
La nuit tomba rapidement sur la forêt, les feuilles des arbres aspirant la lumière très tôt. Manti conduisit la jeune femme à l'étage, lui présentant les trois chambres de sa maison. Le malaise présent lors de la rencontre disparu avec le repas. Il revint brusquement quand Manti lui montra le grand lit où ils allaient dormir tout deux. Mystérieusement, les parents poussèrent les deux jeunes gens à prendre ce lit, prétextant que celui de la petite était trop étroit. Shirley ne savait rien des codes qui régnaient dans le monde des voliens, ayant toujours vécu dans le monde froid et cloisonné des minitos. Ainsi, elle accepta cette proposition, la peur au ventre, mais sans oser protester. Manti se blottit dans son lit, se collant le plus possible au mur, évitant ainsi tout contact avec Shirley qui s'allongea, les jambes molles, à ses côtes. Ils s'endormirent sans un mot, fatigués par leur journée.
Le matin arriva tard, ayant du mal à se frayer un passage dans les arbres hauts. La lumière réveilla Shirley, habituée à l'obscurité de sa prison. Manti dormait encore, étalé sur son lit, repoussant de son bras la jeune femme hors du lit. Elle essaya d'éloigner ce bras menaçant le plus loin possible, tout en évitant de réveiller son hôte. Elle échoua.

- Bonjour, marmonna-t-il en souriant.

Son visage, son sourire surtout, s'éveilla plus vite que son corps et inonda l'esprit de Shirley, qui bredouilla un salut vif. Il se redressa lentement, se cogna à l'étagère située juste au-dessus du lit, où trônaient quelques livres, incongrus dans un décor vide par ailleurs. Tout en se frottant la tête, il lui annonça ce qu'il avait prévu pour la journée. Shirley fut heureuse de constater qu'il ne comptait pas se débarrasser d'elle tout de suite. Elle se rendit compte qu'elle n'avait nulle part où aller. Retourner au village Minito lui était impossible, d'abord parce qu'elle ne savait pas où il se situait, ensuite parce qu'elle devait y être attendue. Elle remercia intérieurement ses hôtes. Devant son visage rayonnant, Manti sourit et l'emmena visiter le village entier.
Les maisons étaient toutes identiques, seules leurs tailles changeaient légèrement, suivant la taille de la famille. Des protubérances en bois bourgeonnaient quand un nouveau-né complétait une fratrie. Les regards des villageois étaient amicaux, tout le monde savait qui était cette jeune humaine élancée. Tout le monde savait aussi qui était le père de son hôte, et n'osa pas avancer la moindre réserve sur une protégée du chef. Manti racontait joyeusement l'histoire de son village, mêlant celle-ci d'anecdotes liées aux familles qu'ils croisaient.
Le grand-père de son père créa ce village, qui fut au départ une cabane en bois unique, quand il fuit le régime de Frahma, il y a plusieurs centaines d'années. Des amis, puis des sympathisants, ou tout simplement des âmes perdues en forêt, firent croître la population. Aujourd'hui, une centaine de personnes, réparties en une vingtaine de familles, peuplaient le village. Celui-ci n'avait d'ailleurs pas de nom, ses habitants vivaient coupés du reste d'Ultimesse et n'avait donc pas besoin de le nommer. Shirley remarqua rapidement que la proportion d'enfants malades et chétifs était importante, bien plus grande que dans la capitale Minito. Elle préféra garder cela pour elle, la passion de son ami ne méritait pas d'être gâchée par ce genre de remarques. Le tour du village, commenté exhaustivement, dura une matinée entière, puis ils rentrèrent pour le déjeuner.
Une semaine s'évanouit discrètement. Shirley retrouvait une vie libre, du moins en apparence. La gêne de la première nuit s'évanouit dès la deuxième. La visite du village rapprocha les deux amis, Shirley ne ressentait plus cette chaleur viscérale comme une ennemie, au contraire. Elle retrouvait son sourire perdue le jour de son arrestation, elle retrouvait le rire, les odeurs, le goût et tous ces sentiments disparus dans la planche de bois qui lui servait de lit en prison. Manti et elle partaient en forêt chaque jour, courant après les animaux et se courant après, même si le volle évitait soigneusement les sangliers, désormais.
Une semaine passa, sans rêves douloureux. La femme en blanc, si présente en prison, s'effaça avec l'arrivée de Manti, déléguant avec humilité sa fonction au jeune volle. Cependant, la huitième nuit, Shirley eut du mal à s'endormir. Sa pierre la gênait, elle chauffait et vibrait. Épuisée, elle parvint à s'endormir après quelques heures, redoutant pour la première fois de sa vie, le retour de la femme en blanc. Celle-ci arriva, au bout milieu de cette courte nuit, marchant lentement vers Shirley, aussi fantomatique que d'habitude. Elle s'assit à côté de la jeune femme et la regarda avec douceur. Shirley sentit une crainte animale la saisir.

- Shirley, commença la femme en blanc. Tu as quitté une prison pour une autre. Tu te voulais libre, tu n'es qu'enfermée dans un endroit plus agréable. Fuis ce village, fuis ces voliens. Pars, et suis ton cœur, tu retrouveras alors tes vrais compagnons.

Shirley ne répondit rien, baissant la tête. La femme se releva et disparut dans une petite maison, cachée dans un coin de son cerveau. Shirley resta ainsi assise quelques minutes avant de s'évanouir dans la brume.
Le réveil fut le plus difficile depuis son évasion. Fatiguée par sa mauvaise nuit, effrayée par la révélation mystérieuse de sa guide, Shirley se réveilla triste. Manti la contempla en plein réveil, et remarqua son état. Il ne dit rien, attendant patiemment une explication éventuelle.

- Je dois partir Manti, je dois retourner sur mon continent, dit-elle faiblement.

Elle vit le volle sursauter. Il ne dit rien pendant quelques secondes, se leva d'un coup et explosa :

- Tu ne peux pas ! Tu ne peux pas ! Je t'ai amené ici ! Tu dois rester avec moi !

Il fulminait devant le regard abasourdi de Shirley. Répétant qu'elle ne pouvait pas lui faire ça, il quitta la pièce rageusement. Shirley tenta de le suivre mais ne le trouva pas en bas, elle ne trouva pas non plus le reste de la famille. Elle s'apprêtait à sortir quand une petite voix la retint.

- Mes parents sont partis à la chasse, dit la sœur. Tu ne peux pas partir, tu ne passeras jamais les pièges.
- Nous ne pouvons pas te laisser partir, ajouta la voix de Manti, qui sortit de la chambre de sa sœur, les joues rouges. Tu connais notre village.

Shirley resta coïte devant leur attitude surprenante. Elle comprit alors les mots de la femme en blanc, comprit les remarques étranges des parents, comprit les regards attendris des villageois. Sans un mot, elle quitta la cahute de Manti et s'enfuit dans un coin inhabité du village. De grosses larmes perlaient sous ses yeux puis s'écrasaient sur le sol feuillu. Elle passa une partie de l'après-midi recroquevillée dans sa cachette. Sa crainte d'emprisonnement fut vite submergée par la peur de perdre son nouvel ami. Manti ne lui pardonnerait jamais une évasion, et elle l'aimait beaucoup, même si ce mot n'avait pas de définition très claire pour la jeune femme. Les minitos n'aimaient pas au sens des humains. Elle maudit sa pierre et la femme en blanc, grimaçant de désespoir. Mais elle ne put se résoudre à désobéir à celle qui l’avait soutenue pendant dix ans de prison.
La nuit arriva sans prévenir, plongeant Shirley dans une obscurité rassurante. Elle se leva et se dirigea vers les limites du village. Elle tenta de se repérer, cherchant des yeux le chemin emprunté à l'aller. Elle s'apprêtait à se lancer sur une piste hasardeuse quand une voix l'arrêta :

- Shirley ! Non...Tu ne vas pas y arriver !

La jeune femme se retourna, heureuse d'entendre sa voix, une voix calmée, redevenue la mélodie douce qui l'enchantait.

- Je t'aiderai à partir, dit-il tristement. Nous partirons demain, la forêt est trop dangereuse la nuit. Reste une dernière nuit avec moi, au moins ?

Shirley ne répondit rien et saisit la main tendue. Manti frissonna au contact de leurs peaux, peu habitué aux contacts. Shirley se retint alors de serrer plus fort et le suivit dans sa maison. Son cœur ne se contrôlait plus et un fluide intangible et inconnu la parcourait de part en part, transmettant un bonheur bien réel. Inconsciemment, elle pressa un peu la main du volle.

Elle ouvrit les yeux brusquement. La nuit embaumait la chambre, et Manti la fixait de ses beaux yeux gris. Aucun temps de latence ne fut nécessaire, elle fut consciente dès son réveil. Elle sourit à son ami et se leva alors, se répétant le plan sommaire concocté la veille. Elle s'habilla rapidement. Manti contemplait son village, observant chaque recoin par sa plus haute fenêtre, surveillant un éventuel marcheur nocturne. Quand il se retourna, pour l'inciter à descendre, et à le suivre hors de la petite maison, il ne put contenir cette minuscule larme qui battait sous sa paupière depuis son réveil. Elle se dirigea vers le sol avec lassitude, s'écrasant aux pieds du jeune volle, suivie par le regard surpris de Shirley. Elle le regarda la dépasser, lui saisir la main, sans frissonner cette fois, et le suivit le plus discrètement possible. Sa peau douce lui rappela la courte nuit qu'ils venaient de passer. Elle serra les dents de plaisir en traversant la porte. Il l'emmena sans un mot hors du village, sans même se tourner vers elle. Elle le suivait silencieusement, aussi, craignant plus que les pièges le moment de leur séparation. Ils traversèrent de nombreux puits, évitèrent des amas de feuilles étranges, quelques fosses terrifiantes, et Shirley comprit qu'une fuite solitaire l'aurait tuée. Manti s'enfonça ainsi plus profondément dans son cœur. Après une petite demi-heure de parcours, le volle s'arrêta brusquement et se retourna en la saisissant par les hanches. Il l'embrassa délicatement, sans un mot. Elle se laissa envahir par cette dernière sensation, l'écarta après quelques secondes et lâcha sa main. Elle sentit son cœur s'effondrer au fond de sa poitrine et serra les lèvres. Elle vit le visage crispé du jeune volle qui resta silencieux jusqu'à ce qu'elle se retourne.

- Adieu Shirley, dit-il simplement.
- Au revoir Manti, répondit-elle, sans se retourner.

Elle arrêta sa fuite quelques instants, sentant un regard sur ses épaules et les sensations de la nuit lui revinrent, lui hurlant de revenir vers lui, de courir dans ses bras. Sa pierre blanche la brûla violemment et effaça cruellement ce sentiment. Elle se remit à marcher, doucement, perdant avec les pas le poids rassurant du regard de Manti.
Celui-ci resta une demi-heure sans bouger, espérant le retour improbable de cette jeune femme qui le sortit, pour un temps, de son enclavement involontaire.

Après une heure de marche hasardeuse, Shirley s'assit, reposant son cœur autant que ses jambes. Elle souffla bruyamment, attirant la curiosité de quelques lapins téméraires. Vingt minutes passèrent, et Shirley n'eut aucune idée de sa prochaine destination. Pestant contre cette pierre qui l'avait fait quitter Manti, et qui désormais l'avait abandonné, Shirley tremblait de rage. La pierre chauffa enfin, semblait flotter sous la robe de la jeune femme et sortit par le col. Elle éclaira alors un coin de forêt, indiquant la marche à suivre. Shirley se réveilla, faiblement rassurée, et suivit cette lumière faible qui la mena en quelques pas hors de la forêt. Shirley retrouva l'Alumi, puissant et réveillé, et dut plisser ses yeux habitués au village sombre. Une immense plaine s'étendait devant elle. Une plaine qui se poursuivait en un océan terriblement calme. La pierre se logea au creux de sa poitrine et Shirley décida alors de traverser cette mer accueillante, sans vraiment savoir pourquoi.
Chaque pas l'éloignait du village secret, dernier endroit sur Ultimesse à ne pas subir la loi violente de l'empereur Frahma, chaque pas la rendait plus amère. Elle haïssait ses semblables, tous ces êtres prétendus intelligents, trop puissants pour être altruistes dans le cas des voliens, trop lâches pour se soulever dans le cas des autres races. Semblables qui obligeaient Manti et son village à se cacher dans une triste prison verte, aussi obscure que sa prison de Zénébatos. Elle gémit de rage, tout en marchant de plus en plus vite, éloignant avec difficulté ses souvenirs les plus récents. Sa promesse trahie, énoncée dès sa libération à son amie en blanc, cette promesse de ne plus fréquenter ces êtres qui dominent les autres, lui revint en tête, battant contre ses tempes. Elle marcha encore et encore, serrant fort sa pierre, caressant son amie blanche, dernière âme proche d'elle. La plaine disparût soudain sous ses pieds, laissant place à un sable étonnamment fin par rapport aux gros grains tranchants des plages Minitos. Elle marcha avec plaisir sur sol moelleux, s'approchant naïvement de la mer calme. Elle comprit en touchant enfin l'eau salée que rien ne lui permettait de traverser raisonnablement cet océan gigantesque. Dépitée par son manque de réalisme, elle s'assit sur le sable doux, cherchant un moyen simple de traverser l'océan. Cet échec lui donna plus envie encore de le traverser, toujours sans en connaître la raison profonde. Elle songea à son évasion et se demanda s'il lui serait possible de disparaître de la même manière pour rejoindre la plage d'en face, invisible d'où elle se trouvait. Elle se concentra, essaya de retrouver l'état qu'elle occupait pendant son enfermement mais ne put rien faire, cette prison était trop loin, seul le visage de Manti revenait, remplaçant tout, anéantissant ses espoirs de disparition. Elle leva les yeux vers l'Alumi, attirée par la lumière. Elle crut avoir une hallucination étrange quand elle le vit se déplacer un peu, comme s'il fonçait vers elle. Elle s'aperçut qu'il se dirigeait en effet droit sur elle, et la lumière l'envahit soudainement, la réchauffant, elle se délecta de cet effet surprenant. Elle rouvrit les yeux, aveuglés par cet éclat puissant, frissonnant de plaisir, et vit l'Alumi, immobile, à sa place habituelle. Elle baissa les yeux, cherchant avec espoir la cause de cette chaleur. Elle vit, gracieusement assis sur le sable aussi clair que lui, un minuscule dragon aux yeux brillants de lumière. Elle se leva et s'approcha de lui, il ne bougea pas, attendant avec impatience le contact feutré de sa maîtresse. Plus petit que la jeune femme, il était finement sculpté, ne transpirait pas la puissance comme les dragons normaux, mais la grâce. Il écarta ses ailes quand elle posa sa main sur sa tête recouverte d'écailles soyeuses. La pierre blanche se mit à chauffer violemment, explosant dans le cœur de la jeune femme et elle s'affaissa, touchée par cette douleur agréable. La femme en blanc apparut au travers des yeux fermés de Shirley, marchant calmement tout en lui expliquant qu'elle venait de rencontrer son dragon. Shirley frissonna d'impatience, rouvrit les yeux, chassant la femme en blanc, et contempla cette bête étonnante. Il s'agissait sans conteste de l'être vivant le plus extraordinaire jamais vue de ses yeux de prisonnière. Se détachant de sa main, le dragon se décolla du sol, calmement, battant avec délicatesse des ailes peu étendues. Il se mit à sa hauteur, la fixant avec ses yeux incandescents. Ils restèrent ainsi immobiles quelques secondes, avant que Shirley ne sente au fond d'elle l'ardeur ressentie lors de son enfermement, quand la lumière envahit la cellule et la guérit. Elle sentit ses pieds se détacher du sol, puis des ailes battre derrière son dos, faisant glisser l'air sur sa peau. Elle sentit une armure légère la recouvrir entièrement, ne laissant que son visage découvert. Elle sourit de joie, s'écartant d'un battement d'aile agile de son dragon. Elle réussit à comprendre ce qu'il dit alors, communiquant d'une manière qu'elle ne put définir, et s'écarta davantage. Comme promis, il s'enflamma brusquement et disparût dans un amas de lumière aveuglant. Cette fois-ci, ainsi transformée, Shirley put discerner son corps cachée derrière cette bulle de lumière, et ne le confondait plus avec l'Alumi. Il se jeta vers le ciel, fonçant en direction d'une verticale invisible, suivi de près par sa Dragoon, qui criait maintenant d'excitation, suivant son étoile lumineuse et se délectant de son premier vol. Ils volèrent ainsi une heure, Shirley cachée dans la sphère lumineuse de son protecteur, formant un deuxième Alumi, uniquement visible de cette plaine inconnue. A son zénith, elle put apercevoir au loin l'arbre le plus grand de la forêt qu'elle venait de quitter. Sans savoir comment, elle sentit le regard de Manti au travers des feuilles, cette pensée insensée la réchauffant davantage, elle prit la tête de leur duo et s'élança sur la mer, frôlant les vagues plates tout en se jurant de revenir au village sans nom. La lumière l'entourait toujours, signe que son dragon la suivait fidèlement. Arrivés à ce qu'elle estimait être le milieu de son trajet, elle piqua vers le ciel, s'arrêta en plein milieu de l'azur et fixa son nouvel ami. Celui-ci la regardait aussi, de ses yeux aveugles, s'approchant lentement d'elle. Il regarda tout à coup derrière elle, bondit, et la dépassa dans un éclat d'ailes surprenant. Elle rit, et se lança à la poursuite du dragon farceur. Ils arrivèrent si rapidement sur l'autre rive que le vrai Alumi n'avait toujours pas bougé. Sur ce continent, cependant, il était filtré par de gros nuages blancs. Ils se posèrent sur le sable gluant de la rive humaine, et se dépêchèrent d'atteindre une herbe plus agréable à fouler. Ils marchaient joyeusement, côte à côte et abandonnés par la sphère quand une flèche acérée transperça la solide armure de la Dragoon, entra légèrement dans le dos de celle-ci et la projeta violemment sur le sol. Elle s'écroula sur l’herbe sans même voir son agresseur. Elle fut rapidement envahie de la lumière protectrice de son compagnon, et retira rageusement la pointe qui lui faisait si mal. Elle gémit de douleur, se retournant pour essayer d'apercevoir le chasseur. Elle vit un grand homme, au regard effrayé, fixer la boule de lumière, cherchant vainement sa victime. Elle sentit la plaie se refermer doucement sous l'effet délicat du dragon de lumière. Se relevant lestement, elle caressa le front du dragon, le remerciant secrètement et reçut un nouveau message.

Le grand homme se promenait en forêt, à la recherche de nourriture pour sa famille récemment élargie par un bébé, quand il vit cette créature aux ailes terrifiantes, accompagnée par une bête jaune clair. Normalement, les voliens ne passaient jamais dans ce coin désertique de l'Ester, et laissaient tranquille les quelques humains qui y vivaient solitairement. Il prit peur pour cette tranquillité, et celle de sa famille, craignant l'arrivée d'autres créatures ailées, ces terribles ennemis dont tout le monde parlait et qu'il n'avait jamais vu de sa vie. Il dégaina son grand arc, saisit la flèche la plus mortelle et l'envoya droit dans le dos de la volienne. Celle-ci fut heurtée de plein fouet par son trait. Elle s'écroula lourdement aux côtés de la bête, et disparut dans un éclat de lumière qui l'aveugla. Les yeux brûlés, il s'accroupit en se lamentant. Il retrouva la vue quelques secondes plus tard, et fixa du mieux qu'il put la sphère de lumière intense qui entourait sa victime et la bête. Il dégaina une autre flèche et la décocha au hasard dans la sphère. Celle-ci transperça la lumière et ressortit de l'autre côté pour plonger dans le sable. Brusquement, la sphère s'envola, pour s'arrêter quelques mètres au-dessus de lui. Il fixait avec horreur cette proie intouchable et commença à courir vers la petite forêt qui lui servait de maison. Suivie par la boule, il décida de ne pas menacer sa famille et changea de trajectoire, fonçant vers une grotte inconnue, abandonnant tout poids superflu, son arc, son carquois et ses nombreuses flèches. Il plongea dans la grotte, espérant que l'obscurité effraierait cet être lumineux. Il sentit ses terribles yeux au travers de la roche mais ne bougea pas. Il resta ainsi immobile quelques heures, attendant que l'Alumi se couche, tremblant de peur. La nuit tombée, il sortit de sa cachette et constata que ses armes avaient disparu. Il courut alors vers sa forêt, brûlant de serrer contre son cœur sa femme et son bébé.

Shirley marchait sereinement sur un grand plateau qui donnait une belle vue sur le nord du continent humain, ses immenses forêts et ses montagnes enneigées plus au nord encore. Appréciant la nuit, elle marchait depuis quelques heures, redevenue humaine juste après sa bataille contre le pauvre humain. Depuis lors, elle transportait les armes de ce dernier, et s'exerçait en chemin, décochant quelques flèches sur des animaux qu'elle rata à chaque fois. Son dragon trottinait joyeusement à ses côtés, sans émettre la moindre lumière désormais, par souci de discrétion. Elle ne ressentait aucune fatigue, soutenue par la douce puissance de son compagnon. Ils marchèrent ainsi la nuit entière, sans communiquer, sans un regard, simplement en sachant qu'ils se suivaient, sans même savoir pourquoi, ni où ils se rendaient. Shirley suivait son instinct, elle suivait la femme en blanc et ses sages conseils, elle suivait son cœur irrésistiblement attiré par un endroit inconnu situé au nord de ce continent si calme. L'Alumi réapparut alors, berçant les voyageurs, et les encourageant à continuer. Ils étaient descendus du grand plateau dans la nuit, par un sentier naturel creusé par une rivière retirée. Ils dépassaient maintenant une immense fosse sans fond, surprenante géologie au milieu d'une banale plaine. Shirley se rappela le village de Manti et son arbre gigantesque, une autre anomalie qui fit revenir le jeune volle dans son esprit. Ils s'approchaient de la plus grande forêt jamais vue par Shirley, et ne firent pas attention à cette fosse effrayante et délicieusement attirante. Elle s’apprêtait à pénétrer dans la forêt humide quand Shirley entendit un froissement terrible venant de cette même forêt. Une superbe biche en sortit, fuyant un ennemi pour l'instant invisible. Elle courait pour sa vie et ses yeux respiraient la terreur. Son poursuivant apparut alors derrière elle, ahurissant. Shirley resta bouche bée devant le monstre qui jaillit hors des arbres touffus. De la taille d'un arbre haut, massif comme une montagne, et pourtant gracieux comme son compagnon de route, un dragon immense volait à la poursuite de la biche effrayée. Fonçant au travers des feuilles, la bête gigantesque prit le temps d'apercevoir les deux voyageurs avant de continuer sa poursuite. Shirley ne put déterminer si la peur ou bien l'admiration la maintenait si solidement immobile, alors que la fuite semblait une solution. Elle vit la bête donner malicieusement un coup d'une de ses terribles pattes dans le dos de la biche qui trébucha dans la gigantesque fosse, son terrier. Il plongea derrière elle et Shirley entendit un hurlement terrible déchirer le silence de la nature. Des battements d'ailes se mêlaient curieusement aux gémissements de la proie. Les cris cessèrent avec un craquement sourd qui éclata hors du gouffre. En un instant, Shirley vit avec horreur le monstre gracieux sortir de sa tanière et s'envoler pour les rejoindre. Elle gémit de peur et s'en voulut de ne pas avoir fui, bloquée par son admiration morbide. La bête s'avançait doucement, sûr de sa puissance infinie mais hésitant sur le sort de la jeune femme. Shirley n'hésita pas et saisit sa pierre dans sa main gauche, déversant toute sa peur dans sa transformation. Le dragon recula légèrement face à cet éclat de lumière. Cachée derrière la sphère de son dragon, le couple s'éleva doucement et s'apprêta à combattre, au moins dans un premier temps. Elle était quasiment sûre que la fuite serait inutile face à cet animal aux ailes si impressionnantes, il les rattraperait aisément. Elle constata avec surprise que contrairement à l'humain attaqué auparavant, le dragon ne cillait pas face à l'éclatante clarté que dégageaient les deux voyageurs. Pire, il semblait fixer Shirley elle-même, la discernant parfaitement dans cet éclat de lumière. Sa gueule s'ouvrit comme pour sourire et cela terrifia plus encore la jeune femme qui décocha sans réfléchir un trait droit sur la cuirasse de la bête. La flèche s'écrasa sur le torse du dragon, ne causant aucun dommage. Le dragon ferma sa gueule, agita son aile pour écarter les débris et s'élança sur la jeune femme, hurlant une colère curieuse. Shirley sortit enfin de sa torpeur et l'évita aisément, frôlée par son dragon de lumière. Le monstre pivota dans l'attaque et se relança en prenant appui sur un tronc qui s'écrasa derrière lui, emportant deux autres arbres dans un craquement sinistre. Titubant entre rêve et réalité, Shirley crut voir la bête sourire quand elle réussit à l'éviter une nouvelle fois, volant d'un bout à l'autre du ciel, comme une étoile libre. Le dragon suivait la lumière sans effort malgré la rapidité du mouvement. Il écarta d'une aile une nouvelle volée de flèches et continua sa poursuite nonchalamment. Dans un virage, Shirley distingua une portion de peau rose entre les solides écailles. Elle évita lestement une nouvelle attaque du dragon et visa cette partie vraisemblablement sensible. Évidemment elle manqua sa cible et ne put éviter le coup que lui infligea la bête. Elle s'écrasa sur le sol lourdement, séparée de la lumière protectrice du dragon qui réussit à éviter l’attaque. Celui-ci était maintenant la proie du monstre ailé. Shirley se releva difficilement, hurla de rage, et serra son poing sur sa pierre qui lui transmit un fluide chaud et réconfortant. Elle se releva sans peine, essuya le sang qui coulait devant ses yeux et s'envola à la poursuite de son assaillant, la haine aux lèvres. Le dragon sentit sa présence se rapprocher et stoppa brusquement sa course. Lancée trop vite, Shirley comprit qu'elle ne pouvait plus éviter les épines acérées qui parsemaient son dos et gémit d'impuissance en attrapant une dernière fois sa pierre lumineuse. Quand elle rouvrit les yeux, elle se trouvait à nouveau dans la belle sphère de lumière de son dragon, bien loin du monstre qui cherchait, hébété, la jeune femme disparue. Elle le fixa avec respect, saisit son arc, une flèche au hasard et la pria d'atteindre la cible souhaitée. Elle banda l'arc quand la bête l'attrapa du regard, surpris de la voir revenue dans la sphère. La flèche fendit la lumière, la sphère blanche puis la peau tendre du dragon qui s'écroula en hurlant de douleur. Shirley s'élança vers lui, espérant l'achever et atterrit aux côtés du dragon blessé. Elle contemplait avec dégoût le sang sombre du dragon gicler hors de la plaie. Celui-ci tremblait de douleur, ne pouvant même pas ôter cette flèche traîtreusement plantée. Le sourire imaginé par Shirley avait disparu et seule une plainte douce emplissait l'air frais. La femme en blanc apparut alors, tournant autour de la bête affaiblie en lui caressant la peau. Elle fixa Shirley de ses yeux gentils.

- Soigne-le Shirley, soigne-le vite, il va mourir, et il ne faut pas qu'il meure, expliqua-t-elle.

Shirley ne dérogea pas à sa loi tacite : écouter les sages mots de la femme en blanc. Elle saisit sa sphère lumineuse et un flux blanc sortit de sa main pour s'étaler sur la plaie. Elle retira doucement la flèche, se rappelant la blessure de son amour Manti, et ne put contenir une larme de dégoût mêlé à de la nostalgie. Débarrassé de la pointe, le dragon se releva d'un coup, et écarta ses ailes bruyamment. Il gronda et enveloppa de sa plus grande aile le corps de la jeune femme, en une sorte de remerciement. Il grogna autre chose au dragon de lumière qui répondit.

- Merci beaucoup humaine, entendit alors Shirley en elle-même.

Elle fixa la bête respectueusement, impressionnée par le monstre le plus puissant qu'elle n'ait jamais vue, et le regarda plonger dans sa fosse.

Plusieurs jours se succédèrent sans incidents notables pour la jeune femme et son compagnon. Ils franchirent des collines quelque peu escarpées, traversèrent le gué d'un fleuve placide et traversèrent de grandes forêts enivrantes. Shirley devint en quelques heures une chasseuse redoutée dans la province. Elle tuait sa nourriture et la dévorait sans pitié, savourant chaque bouchée d'une viande qu'elle pensait ne plus jamais goûter quelques semaines plus tôt. Ce qui la surprit le plus fut qu'elle ne croisa ni humains ni voliens pendant ce court voyage.
Elle poursuivait sans lassitude son voyage vers le Nord, à la recherche d'un endroit qu'elle ne connaissait pas, ne suivant que son instinct et son sens de l'orientation. A la tombée de la nuit, quelques jours après la rencontre de l'énorme dragon, Shirley aperçut une faible lumière provenant d’un minuscule campement une centaine de mètres plus loin. Elle marcha discrètement, déployant au mieux ses quelques talents de chasseuse, restant la plus furtive possible tout en s'approchant du rassemblement. Quatre gigantesques individus, à l'apparence humaine mais aux corps démesurés encerclaient un maigre feu de bois. En s'approchant encore, elle discerna de surprenantes cicatrices traversant les joues de ces géants. De longs éclairs leurs fendaient la joue, descendant de leurs yeux comme des larmes rougeoyantes se déplaçant avec leurs visages. Arrivée à portée de leur conversation silencieuse, elle constata la présence de deux êtres à la taille humaine. Un homme imposant, pourvue d'une barbe pointue et noire qui lui rappela le père de Manti et une velle magnifique à l'élégance royale, vêtue d'une somptueuse robe, intacte malgré la boue environnante, étaient cachés par les corps imposants de leurs compagnons.

- Nous acceptons ta proposition Diaz, annonça d'une voix caverneuse l'un des géants.
- J'en suis ravi, déclara plus bruyamment l'humain, se levant pour serrer vigoureusement la grosse main de son interlocuteur.
- Nous vous apporterons notre soutien le plus total. Les voliens sont aussi les ennemis des Gigantos, déclara le deuxième géant.

Ils se levèrent tous au même moment, et sans un mot de plus se dispersèrent, les quatre Gigantos s'enfoncèrent dans la forêt la plus proche alors que la femme s'envolait, emportant par la main cet homme si imposant que fixait Shirley depuis son arrivée secrète. Elle admira quelques instants l'envol des deux êtres avant de se replonger dans sa réalité périlleuse. Elle chercha la lune perpétuelle, qui indiquait le Nord aux voyageurs, comme lui apprit son maître, et poursuivit son chemin. Elle croisa un malheureux sanglier qui s'écroula sans un son, embroché froidement par une longue flèche et put se nourrir avant d'aborder une nouvelle nuit fraîche sous le ciel étoilé.

Le lendemain, quatre voliens fendaient l'air depuis de trop longues minutes, et leur chef s'impatientait.

- Dépêchons-nous, Melbu nous tuera si nous n'arrivons pas à les attraper cette fois encore ! Grogna-t-il.

Ils avaient déjà raté quatre fois celui qui se faisait appeler Diaz et qui titillait tant l'empereur, sans que ce dernier ne dise pourquoi. Seulement, on ne discutait pas les ordres de Frahma, on ne mettait pas en doute ses intuitions. Quatre fois ils retrouvèrent un tas de cendre chaud, preuve du passage récent du dissident, preuve de ces réunions clandestines que craignait tant l'empereur. Cette fois-ci, ils comptaient bien éviter une énième colère de leur maître. Ils fondirent sur la plaine humaine, effleurant les arbres, puis le sol, à la recherche de l'ivresse que leur procurait toujours ce type de vol dangereux. Le plus jeune aperçut le reste de feu en premier et l'annonça craintivement à son chef qui se mit à vociférer.

- Ce n'est pas possible, ils savent que nous arrivons ou bien la chance est avec eux ?! Si nous ne ramenons rien à l'empereur, je vous le dis, nous allons tous finir au fond du fleuve de Kadessa, ou au Colisée !

Ses subordonnées frémirent mais ne dirent rien, ils étaient trop respectueux de leurs supérieurs. Soudain, le plus jeune ressuscita l'espoir chez ses camarades :

- Là-bas, murmura-t-il, une lumière !

Le groupe fonça sur la lueur jaune, avide de combats et de captures. Ils arrivèrent sur un spectacle qui les prit au dépourvu. Une jeune femme dormait, allongée aux côtés d'une bête terrifiante.

- C'est un dragon, expliqua le plus silencieusement possible le chef.
- Chef, je crois reconnaître la description de la fuyarde, vous savez, la femme qui a disparue de la prison où je travaillais avant.
- L'empereur serait ravi de la revoir celle-ci à mon avis, il a même fait exécuter le directeur de la prison dès qu'il a su. Quel dommage, c'était un homme d'exception. Peut-être n'aurait-il pas dû cacher cette évasion...
- Attrapons-la chef, c'est une consolation qui ravira l'empereur !

Les voliens se sourirent, ravis de leur trouvaille. Le chef tendit sa main vers la jeune femme, prêt à lui attraper les bras. Un brusque éclat de lumière le projeta en arrière avant même qu'il ne puisse finir son geste. En un instant, les voliens se mirent en formation, volant autour du danger avec élégance, prêt à fondre sur l'ennemi. Leur assurance naturelle disparut quand ils tentèrent de trouver l'ennemi en question. Une gigantesque sphère de lumière les éblouissait, leur cachant la jeune femme qui, ils en étaient sûrs, se trouvait à l'intérieur.

- Qu'est-ce que ce miracle ? Hurla le chef.
- Cette humaine n'est pas normale chef, elle a réussi à fuir de la prison la plus sûre d'Ultimesse, lui répondit un autre.

Le chef grogna une nouvelle fois, mais s'apprêta à se battre sérieusement.

Shirley entendit les intrus s'approcher dès qu'ils atterrirent. Elle se tendit instantanément, préparant sa fuite, attrapant son arc, et mimant le sommeil. Ils ne remarquèrent rien. Au moment où la main répugnante du volien lui toucha le bras, elle se transforma et entraîna son dragon avec elle dans cet éclat de lumière devenu habituel. Elle les observa former une sorte de carré hideux. Ils écarquillèrent leurs yeux éblouis pour tenter de l'apercevoir. Elle resta ainsi immobile, sûre de sa puissance. Les quatre soldats levèrent une main au ciel en même temps et hurlèrent simultanément le même mot. Une flamme terrible s'écrasa sur la sphère de lumière en entier et envahit celle-ci, projetant la jeune femme sur le sol. Elle gémit, toussota et pesta contre sa trop grande confiance. Déjà, les quatre volles surentraînés préparaient une nouvelle attaque. Elle regarda avec désespoir leurs ailes se déployer, leurs corps se diriger vers le sien. Elle sentit au fond d'elle sa pierre la tapoter et elle la saisit en se rappelant ces disparitions étonnantes qui l'avaient sauvée à plusieurs reprises.

Le chef souriait quand il fondit sur la sphère de lumière et lança son épée droit dans le corps abattu de la jeune femme. La lame traversa une volute de fumée blanche et s'enfonça violemment dans le sol. Il bascula sur sa lame, reprenant avec aisance son équilibre mais hurla de dépit. Au même moment, son meilleur ami s'affaissa, le crâne fendu par une flèche sanglante. Il sentit une colère terrible lui remplir le cœur, et il fonça droit sur la boule de lumière qui se trouvait maintenant quelques mètres plus haut. Il ne manqua pas son coup de poing cette fois-ci, car son adversaire visait un autre de ses lieutenants. Il l'envoya droit sur le sol où elle s'écrasa, s'éteignant avec le choc. Son dragon gisait sur l'herbe, sombre désormais. Elle se relevait péniblement, une flèche à son arc, et tua sans qu'il n'ait le temps de le voir un deuxième volien. Le chef entendit le corps rebondir mollement quelques mètres plus loin et s'approcha lentement de son adversaire diminué qui cherchait péniblement une nouvelle flèche, terrifié par le regard meurtrier du volien.

Shirley fouillait désespérément dans son carquois mais ne parvint pas à attraper de pointes. Elle s'aperçut que l'ennemi était de toute façon trop proche pour un tir et saisit en gémissant sa pierre. Celle-ci ne chauffait plus, ternie par la chute de son dragon. Elle comprit que le lien entre sa pierre et ce dragon était primordial. Cette découverte tardive ne lui sauverait pas la vie. Soudain sa pierre s'éclaira un peu, se réveillant. Elle releva la tête, et vit le regard terrifié du volien qui allait la tuer. Il fixait derrière elle une chose qui semblait le paralyser de terreur. Shirley se retourna et aperçut le monstre magnifique qu'elle avait sauvé quelques jours plus tôt. Le dragon fondit sur le chef volien et lui arracha la tête d'un coup de griffe vigoureux. Le malheureux restant tenta alors de résister, enchaînant vainement les formations apprises à l'entraînement. Manquant d'expérience, il ne savait pas comment aborder une bête si terrible. Personne ne l’aurait pu. Il se lançait des ordres contradictoires, reculant chaque fois un peu plus. Cependant, il comprit qu'il ne pourrait jamais fuir devant ce monstre, comme l'avait compris Shirley lors de sa rencontre avec le dragon. Il se lança sur la bête et fut arrêté en plein vol par la patte terrible du dragon qui lui ouvrit la poitrine, déchirant ses entrailles. Il mourut sans même s'en rendre compte.

Le dragon atterrit aux côtés de la jeune femme et de son compagnon redevenu flamboyant. Il la fixa quelques instants et elle tenta de le remercier par la pensée, espérant que le message serait compris. Tout à coup, le dragon se pencha en avant, comme pour une révérence, et s'envola vers le Sud.

- De rien Shirley, dit-il en partant. Moi, dragon divin, serai toujours là pour te servir, je te dois la vie.

Elle tourna les talons immédiatement, surprise par cette voix. Son long voyage reprit sur le même rythme, et chaque pas la rendait plus confiante. Elle savait que la femme en blanc avait raison, que son futur serait dans cette région nordique et mystérieuse, au-delà de petites montagnes aux sommets enneigés. Elle savait aussi qu’elle pourrait compter sur son compagnon lumineux ainsi que sur le majestueux dragon divin pour la soutenir. Shirley fixa alors son but, cette lune perpétuelle si brillante ce soir-là, et s’engagea dans la dernière partie de son périple.

Chapter 5: La Révolution

Chapter Text

Une semaine se révéla nécessaire pour rassembler l’armée qu’espérait Diaz. Balzac contemplait chaque matin avec une admiration grandissante la foule s’élargir doucement, les combattants se réunirent et sympathiser. Tous étaient présents, des humains et des gigantos bien sûrs, mais aussi des minitos qui s’affairaient autour de gigantesques machines de guerre. Les Dragoons réunis oublièrent rapidement leurs différents, maintenant qu’ils avaient tous atteint une connaissance égale et une aptitude au combat similaire. Une semaine s’écoula donc depuis l’arrivée de Balzac à Fort Magrad, et la foule commençait à gronder légèrement, impatiente d’obtenir de nouvelles orientations par leur chef, Diaz. Le Dragoon traversait calmement la foule, sans attirer le moindre regard particulier, car personne ne savait vraiment qui était qui dans cette armée naissante. Il pouvait sentir au fond de lui les vibrations rassurantes de la terre, les déplacements invisibles de son compagnon, ses émotions et ses encouragements. Les combattants se mirent soudainement à se lever, à baisser leur voix et à se tourner vers une même direction. Balzac suivit le mouvement et vit Diaz monter sur la plateforme vacillante que formait une tour détruite. Le silence se répandit comme une onde dans la foule qui se concentra sur le discours de son chef.

- Gigantos, minitos, humain, dragoons et même dragons, bienvenue ici à Fort Magrad.

Il fut acclamé quelques secondes par une population soulagée par cette apparition.

- Vous êtes là car, comme moi, vous ne supportez plus la situation actuelle.

Il se tut pour recueillir les cris approbateurs de la foule.

- Nous avons mis plus d’une année à nous réunir pour créer cette armée, la plus imposante de tous les temps. Cette armée qui n’aura qu’un objectif : renverser le régime volien, par tous les moyens, expulser Frahma du trône et reprendre le contrôle d’Ultimesse. Voici notre but !

Le peuple vociféra sa rage, soutenant avec ferveur le grand Diaz. Tous avaient subis, directement ou non, les infamies commises par certains voliens. Tous avaient perdu espoir à cause de cette race qui se prétendait supérieure, tous l’avaient retrouvé grâce à l’homme qui se tenait maintenant devant eux et qui les avaient rassemblés ici même.

- Nous marcherons sur leurs villes, sur leur capitale, sur leurs institutions, nous détruirons tout jusqu’à leur reddition. Nous serons sans pitié, nous serons invincibles.

Le silence ne fut pas troublé cette fois ci, car Diaz s’apprêtait à continuer, à divulguer quelques informations plus factuelles.

- Nous traverserons la mer par ces grands navires que nos frères minitos ont construits. Nous marcherons du Nord vers le Sud, nous raserons Zénébatos, puis Deningrad, puis Aglis pour finir sur Kadessa, nous les exterminerons.

Une clameur s’éleva alors, confirmant la volonté meurtrière de cette armée enragée. Une voix s’éleva hors de la foule, éclatant sèchement dans la vallée.

- Qui sont ces dragoons dont vous parlez tant ? Jamais ils ne seront aussi forts que les voliens ! Comment allons-nous gagner ?

Diaz se tourna vers l’homme qui venait de parler, une montagne de chair et de muscles, et le fixa intensément. L’homme se figea, comme pour attendre une sentence.

- Dragoons, venez à moi, et aidez-moi à convaincre les sceptiques.

Sept formes volantes se jetèrent sur la tour. Balzac atterrit en dernier, et se retrouva au-dessus de cette foule qu’il traversait quelques secondes plus tôt. Personne n’osa prononcer le moindre mot face à ces étranges humains aux ailes élégantes.

- Nous vaincrons tous, je vous l’assure, et ces sept porteurs seront les piliers de notre armée. Je vous demande de leur obéir à tout prix, de les suivre et de leur faire appel à tout moment. Notre sort repose sur leurs épaules, mais le leur repose sur les vôtres ! Soyons solidaires, et nous vaincrons ces voliens qui nous paraissent si puissants. Leur ignorance et leur arrogance les perdront. Croyez en cette bataille, car elle est juste et réalisable.

La foule se remit à beugler divers cris d’impatience, de haine envers leurs ennemis puis se tût devant la main levée de leur chef.

- Libre à vous d’occuper votre prochaine nuit, ce sera la dernière ici. Demain nous partirons à l’aube pour le continent honni. Vous vous rassemblerez autour de vos chefs de sections. A demain, bonne nuit à tous et bienvenue encore dans la plus grande bataille de notre histoire.

La foule éclata une nouvelle fois, les combattants s’enlaçant vigoureusement pour essayer de repousser cette terreur glacée qui les envahissait peu à peu depuis leur arrivée.

 

Un rocher enflammé s’écrasa majestueusement sur une maison. Des voliens couraient de façon désordonnée, trop effrayés, trop surpris pour prendre le temps de voler. Des enfants, des vieillards, tous tentaient de s’envoler pour fuir cette bataille inattendue.
Tranquillement perchée dans une montagne du Nord du continent Volien, ce village peu peuplé ne connaissait Frahma que de nom. Ils n’avaient jamais vu d’autres gens que les membres du village et vivaient dans la quiétude, haïssant les autres races par habitude plus que par conviction. Ils ne comprirent donc pas l’ampleur de l’attaque qu’ils subirent. Plusieurs rochers s’étaient écrasés sur leurs maisons, décimant des familles tranquillement alitées. Les volles les plus jeunes et les plus forts se rassemblèrent et cherchèrent les responsables de ces lancers meurtriers. Ils virent au loin un énorme foyer qui éclairait d’effrayantes machines. Une douzaine de jeunes gens s’envola en direction de ces machines, espérant arrêter ce massacre injuste. En chemin, ils croisèrent une gigantesque armée qui chargeait sur leur village, piétinant leurs récoltes et égorgeant leurs animaux, détruisant le travail de toute une vie. Un profond désespoir saisit alors ce groupe de volien qui savait qu’ici, loin de tout, la famine tuerait plus sûrement encore que cette armée les habitants du village. Fou de rage, ils oublièrent les machines et fondirent naïvement sur la masse hurlante. Ils réussirent à toucher de leurs sorts puissants quelques groupes de combattants, fauchant un certain nombre de guerriers qui s’écroulèrent puis furent piétinés par leurs camarades surpris. Un volle fut attrapé par un Giganto plus habile que les autres puis plaqué au sol. Il disparut sous une marée guerrière. Les volles restants reprirent lentement leurs esprits et de la hauteur, terrifiés par les hurlements de peur et de douleur de leur ami. Trois d’entre eux s’écroulèrent alors, transpercés par une vague de flèches acérées. Les survivants se séparèrent sans un mot : un groupe fonçait sur les machines infernales, l’autre tentait de protéger le village. Il fallut moins d’une minute pour que l’armée engloutisse cette escouade téméraire, déchiquetant les jeunes volles dès qu’ils s’approchaient du sol. La deuxième équipe parvint à atteindre l’aire de lancement, où des petits bonhommes s’affairaient avec une agilité impressionnante autour des machines menaçantes. Les volles s’apprêtaient à attaquer ces lutins mortels quand une masse brune fit exploser leur groupe, projetant chaque volle loin de l’aire de lancement. Les minitos qui s’étaient arrêtés en voyant arriver l’ennemi, reprirent leur manège et laissèrent le dragon de Balzac et la masse liquide du dragon de Damia s’occuper des pauvres voliens qui ne surent jamais ce qui les avait tués.

- Arrêtez mes amis, hurla Diaz, notre armée entre dans le village.

Les minitos stoppèrent tout mouvement à l’unisson, et se mirent sans la moindre trêve à entretenir leurs armes, à préparer de nouveaux rochers, se préparant à gérer tout imprévu.

Dans le village, l’armée enragée assassina tout ce qu’elle croisa, bébés comme vieillards, volle comme velle. Après dix minutes d’un combat acharné, le village fut complètement rasé. Disciplinée, l’armée se tut et attendit ses chefs, fière de cette conquête aisée. Quelques humains crachaient avec mépris sur les cadavres de leurs adversaires puis les piétinait.

Diaz s’empressa de rejoindre les combattants, escorté par les sept Dragoons. Il prit place sur un rocher, maintenant éteint, et harangua la foule victorieuse :

- Ceci n’était qu’un prologue, mes amis. Ce village ne représente en rien les défis qui nous attendent à l’avenir. Il permet cependant de vous faire comprendre notre tactique qui, bien que sommaire, semble efficace. Soyez toujours aussi forts, impitoyables et efficaces. Nous vaincrons à ce prix.

Damia contemplait la scène de la victoire, écœurée. Des cadavres jonchaient le sol, les visages révulsés par la surprise et la douleur. Ce spectacle l’attrista, elle se demanda si un tel massacre était nécessaire pour la conquête de leur liberté. Elle observa ses amis aux expressions variées. Kanzas rayonnait, il n’avait pas perdu une miette du massacre, volant au-dessus du village, espérant n’importe quel prétexte pour se jeter dans la bataille. A l’opposé, Zieg semblait légèrement préoccupé par ce bain de sang, son idéal de justice n’y trouvait certainement pas son compte, particulièrement quand son regard flamboyant se posait sur les minuscules corps des enfants. Rose resta fermée sur elle-même, comme à son habitude, absorbant les émotions sans ne rien laisser paraître. Balzac ne dit rien, les lèvres légèrement serrées. Cette hécatombe lui rappelait trop fidèlement la jeune famille du bourreau qu’il avait lui-même massacré lors de son voyage initiatique. La jeune femme en blanc, Shirley, semblait songeuse, tenant sa pierre dans sa main et remuant les lèvres discrètement, comme si elle parlait à quelqu’un d’invisible. Albert était caché derrière Diaz et Damia ne le vit pas, mais devina ses sentiments à la vue d’un tel massacre de ses semblables. L’idée de trahison devait certainement lui traverser l’esprit. Mais elle comprit aussi que malgré ces émotions contradictoires, aucun n’abandonnerait ses amis. Ils étaient tous poussés par une envie de vaincre et une soif de justice qu’ils n’avaient jamais ressentie aussi pleinement.

- Nous marchons maintenant sur Zénébatos, prochaine bataille, et première véritable bataille. Nous perdrons des combattants là-bas, mais nous ne perdrons pas la bataille. Nous ne pouvons pas la perdre. Reposez-vous où vous le souhaitez cette nuit, nous repartons demain matin, le plus vite possible pour éviter d’attirer l’attention. Bonne nuit à tous !

L’armée hurla son admiration pour son chef et se dispersa instantanément, s’éloignant du massacre pour camper dans la prairie environnante.

Kolti attendit la nuit pour sortir de sa cachette. Le monstre ailé qui égorgea ses deux frères était parti, négligeant le troisième et dernier volle. Kolti se releva alors, tituba un peu puis s’envola. Il prit le risque de jeter un dernier coup d’œil à son village. Tremblant de rage et de tristesse, il survola les cadavres, il survola ses parents, étalés sur le sol dans une mare de sang. Il faillit défaillir quand il aperçut sa jeune compagne, délicatement allongée sur le sol, les yeux ouverts. Il atterrit à ses côtés, seul au milieu des morts, les humains n’ayant pas osés dormir sur leur champ de bataille, trop honteux. Il caressa une dernière fois les cheveux de sa femme, qui avaient perdu toute douceur, referma ses yeux vitreux et s’envola le plus silencieusement possible en direction de Kadessa, le cœur serré.

- Empereur, un villageois du Nord aimerait vous parler, dit l’intendant qui précédait Kolti.
- Faites entrer, dit Frahma, de bonne humeur.

Kolti entra en frissonnant, impressionné par le bureau et la prestance de Frahma. Il ne cilla pas en racontant son histoire, qu’il déclama d’une seule traite. Melbu l’observa, cherchant des traces visibles de mensonges ou de toute autre traitrise. Son talent dans ce domaine avait déjà sauvé son trône plusieurs fois. Ne décelant rien de menaçant dans l’attitude du jeune villageois, il décida de convoquer ses plus proches généraux. L’intendant ressortit du bureau chargé de cette mission. Il devait rassembler les six personnes les plus importantes d’Ultimesse en moins d’une heure. Pendant ce temps, Kolti fut accueilli par l’empereur, qui se révéla attentif et convivial. Impressionné par son maître, il se demanda pourquoi ces espèces inférieures osaient s’attaquer à leur empereur, parangon de justice et de puissance.

Réuni en moins d’une heure, le Concile des Généraux écouta poliment Kolti répéter son histoire incroyable. Le général Mitu siégeait à gauche de Frahma, en tant que commandant en chef des armées, son lourd casque posé devant lui, une main sur son épée. Clara Frahma, sœur d’Albert, siégeait à sa droite en tant que nièce de l’empereur et meilleure élève de l’école militaire de Kadessa. Sa beauté naturelle était renforcée par son sourire resplendissant, où l’on pouvait déceler le grain de folie propre aux Frahma. Le général du Nord, placé en face de Melbu, s’exprima en premier :

- Cher ami, ce n’est pas la première fois que j’entends ce genre d’histoire. Vous savez sans doute que je reçois chaque jour des gens comme vous qui viennent se plaindre d’une destruction quasiment divine de leur village, ceci pour réclamer de l’argent et autres provisions. Empereur, puis-je vous demander en quoi celui-ci serait-il différent ?
- Il n’a rien demandé de plus qu’on ne l’écoute, déclara sèchement Frahma, agacé par le ton de son général, qui sembla alors s’enfoncer dans sa chaise.
- Melbu, commença Mitu, cet homme semble sincère. Malgré tout son histoire me semble trop farfelue pour ne pas être inventée. Peut-être s’agit-il d’une hallucination, cela est fréquent dans cette région froide de notre continent. Pensez-vous, une armée d’humains ? Des machines de guerre ? Vous vous doutez bien, empereur, qu’une telle armée aurait dû être détectée par nos espions depuis des lustres. Or ce n’est pas le cas, nos espions ne nous ont rien dit.

Frahma contempla ses généraux pensivement, pesant le pour et le contre avec application. Il lut dans le regard de sa nièce qu’elle prenait cette menace au sérieux, ce qui le conforta dans sa position. Jusqu’à ce que le général du Sud s’exprime.

- Empereur, je ne mets pas en doute l’histoire de notre camarade ici présent. Cependant, je trouverais incongru de déplacer nos troupes et nos espions uniquement en se basant sur les dires de ce volle. Quoiqu’il en soit, même si cette armée d’humain existe, elle ne peut pas être si dangereuse que ça, cela reste un rassemblement d’humains, empereur, des humains…

Quelques généraux pouffèrent avec mépris, puis fixèrent leur chef. Celui-ci fixait le plafond de son bureau, pensif, souriant légèrement. Il baissa la tête, fixant avec intensité le dernier à avoir parlé.

- Tu as raison. Nous n’allons pas chambouler notre organisation pour quelques moustiques humains. Je te remercie, Kolti, de nous avoir prévenu, nous garderons ton histoire à l’esprit mon ami.

Kolti fixa avec incrédulité l’empereur mais n’osa rien dire tant ses yeux étaient autoritaires. Ils ne le croyaient pas, ils ne croyaient pas en la puissance phénoménale du groupe qui avait ravagé son petit village, en la force brutale des bêtes qui égorgèrent ses frères sans aucune pitié. Il s’affaissa sur son siège et fut raccompagné par quelques gardes aux portes de Kadessa.

- Qu’en penses-tu, ma nièce ? Demanda Frahma, seul dans son bureau avec Clara.
- Que le risque est trop grand pour être négligé. N’écoutez-pas vos généraux, encroutés dans leur paresse, je pense qu’il faut au moins prendre la peine de vérifier les dires de ce volle.
- Je suis d’accord. Je te charge d’enquêter sur cette affaire. Mais avant tout, il serait dommageable que ce Kolti trouve à qui parler, raconte son histoire à quiconque, surtout si celle-ci se révèle véritable à posteriori. Je ne veux pas d’émeute.

Clara acquiesça et prit congé de son oncle, impatiente de commencer cette mission, sa première véritable mission. Elle bondit hors du palais impérial, croisa les gardes qui avaient raccompagnés le jeune volle et descendit vers le fleuve où ils avaient déposé le villageois pour qu’il retrouve son chemin vers des villages environnants qu’ils l’accueilleraient. Perdu dans ses pensées tourbillonnantes, Kolti n’entendit pas la jeune velle se poser derrière lui. Brusquement, il sentit une main étonnamment puissante plonger sa tête dans le fleuve rugissant. Quelques instants plus tard, il fut projeté dans l’eau, et se noya rapidement. Souriante, Clara s’essuya les mains, légèrement dégoutée par cette eau brunâtre, et partit en direction du Nord.

Elle arriva au village en trois jours d’un intense voyage. Elle n’avait croisé personne depuis son départ de la capitale ce qui n’était pas pour la déranger. Solitaire, Clara préférait chasser que parler, agir que discourir. Voilà pourquoi elle méprisait tant les généraux provinciaux de son oncle. Voilà pourquoi elle tenait à vérifier les propos étranges de son concitoyen. Ce qu’elle vit l’impressionna. Elle s’était pourtant battue sauvagement contre ses camarades de classe depuis son entrée dans l’armée, en avait blessé plus d’un. Elle avait vu du sang et des blessures qui pourraient terrifier un paisible fermier. Mais le spectacle offert par ce village la laissa horrifiée. Une odeur pestilentielle renforçait la nausée qui l’avait rattrapé depuis son arrivée. Elle comprit rapidement que malgré l’inexpérience et le manque de préparation des villageois, de tels dégâts n’étaient possible que par le fait d’une grande armée. Elle constata que le sol était parsemé de rochers gigantesques enfoncés dans la terre. Ils recouvraient parfois des cadavres désarticulés. Clara se retourna en frissonnant, fuyant des yeux le massacre et se demanda si un excès de confiance n’avait pas condamné son peuple. Elle se reprit et son visage se tordit en un sourire suffisant. Les humains étaient incapables d’entrer profondément dans le territoire volien. La prochaine grosse étape était Zénébatos et ils seraient renvoyés chez eux plus vite qu’ils ne le pouvaient le croire. Une des meilleures garnisons de soldats voliens protégeait férocement la cité de la justice. Et même si tous les humains du monde s’y mettaient, jamais ils ne passeraient ce rempart. Elle s’éleva alors dans les airs et partit tranquillement en direction de Zénébatos, le cœur rassuré.

Cette fois-ci, ce qu’elle vit en arrivant ne la dégouta pas. Cela la terrifia. Contrairement à ce qu’elle avait cru, la belle cité de la justice formait maintenant un grand tas de ruines. Des cadavres de toute race jonchaient les débris et une fine couche de sang s’étalait sur la quasi-totalité de la ville. Elle se rassura en constatant la présence de nombreux cadavres humains. Mais une nouvelle fois, aucune pitié n’avait traversé les assaillants. Tout être vivant qui n’avait pu fuir était mort ici, quel qu’il soit, enfant ou adulte. Elle comprit enfin l’étendu du danger qui planait sur Kadessa et fonça informer son oncle du type d’armée qui marchait vers lui.

Diaz aperçut le premier les immenses tours de Kadessa, qui grandissaient au loin. Il se retourna et, du haut d’un char improvisé dans les ruines de Zénébatos, contempla son armée. Fortement réduite par cette terrible attaque sur la ville justice, elle paraissait pourtant aussi terrifiante qu’avant. La sueur et le sang qui barbouillaient ses combattants accroissaient même cette impression. Mais par-dessus tout, Diaz n’avait perdu aucune de ses pièces maîtresses, les dragoons et leurs alliés. Par ailleurs, son atout secret, qu'il partageait avec Shirley, ne s’était pas encore montré, réservant une grosse surprise pour le dernier combat. Il put voir des sourires, des visages pleins de détermination mais ne vit pas de douleur ni de craintes dans les yeux de ses combattants. Ceci était dû aux bons soins de la puissante lumière de Shirley, qui guidait les plus faibles vers une mort la plus utile possible tout en ranimant les plus forts. Il se mit à observer la jeune femme, dont le corps scintillait de grâce et les cheveux brillants flottaient doucement dans l’air moite. Un sentiment brûlant ne le quittait plus depuis sa rencontre avec Shirley. Plus que voir ses alliés, ses semblables, en paix avec le monde, survivre à ce combat représentait quelques années de plus avec la jeune femme, et il en mourrait d’envie.

Diaz reprit ses esprits quand la foule armée se mit à grogner de haine. Ils apercevaient aussi les tours maintenant. Il prit alors une grande bouffée d’air, chercha ses mots et lança son dernier discours, le plus court :
« Nous voilà au bout du chemin, mes amis. L’histoire se rappellera notre bataille. Nous sommes déjà immortels, quoiqu’il arrive alors battez-vous jusqu’au dernier souffle pour sauver Ultimesse. J’ai confiance en vous. »
L’armée tout entière vibra d’impatience en hurlant son approbation. Elle se prépara à l’attaque, qui suivrait un plan différent des précédentes. Tous savaient cependant que dans quelques minutes, les plans ne seront plus un problème au milieu du carnage. Une fois à portée, Diaz leva le bras, en silence. Tout le monde se tut. Cette belle capitale flottante, réputée intouchable, resplendissait sous l’Alumi descendant. Diaz baissa son bras et une pluie flamboyante de pierres s’abattît sur Kadessa.

L’empereur entendit un craquement sourd, qui fut suivi par un vrombissement sinistre du palais entier. Celui-ci s’écroulait de part en part, subissant les ravages des roches humaines. Il se leva en souriant, impressionné par la vitesse de cette grande armée, qui comptait détruire l’empire le plus puissant de tous les temps en quelques jours. Jusqu’à lors, ils respectaient leurs délais. « Qu’importe, se dit-il, ils n’ont aucune chance. »
Clara entra, les joues rougies d’excitations. Son ton était pourtant aussi froid et calme que d’habitude : « Ils sont arrivés »
Frahma considéra sa nièce quelques secondes et faillit se perdre dans ses souvenirs de jeunesse. Il ne pouvait s’empêcher de se voir plus jeune, quand il dit à son père encore vivant « Il arrive ». Cette fois-là, son père avait perdu le combat. Il chassa vivement de son esprit ses souvenirs centenaires. La bataille s’annonçait relativement rude, et toute déconcentration ne pouvait que jouer en leur défaveur.
« Allons-y. »
Ils sortirent.

Après quelques minutes d’un bombardement terrifiant et ininterrompu, Diaz vit enfin les troupes ennemies sortirent de leurs casernes et s’approcher avec circonspection de cette armée gigantesque. La plupart des volles n’avaient jamais connu de véritables guerres. Ils étaient partagés entre l’excitation du combat et la crainte de la mort. Son armée, elle, avait déjà vécu ces moments. Ce fut donc sans surprise qu’il sentit ses archers le dépasser en courant, vifs, efficaces. Ils se placèrent à distance et créèrent un mur de flèche. Le ciel se teint de rouge, et une pluie de volles s’abattît sombrement sur le sol boueux de Kadessa. Diaz plissa les yeux et il comprit que l’armée adverse n’était pas composée que de guerriers. Parmi les cadavres juchant le sol, des velles, des vieillards et même quelques adolescents gémissaient de douleur, transpercés par une flèche. Il cracha son dégoût pour les méthodes barbares de son ennemi, tout en sachant que cela n’arrêterait pas son armée. Il sentit un frisson lui parcourir l’échine et vit ses dragoons bondir vers cette armée bigarrée. Il comprit que la vraie bataille se trouvait derrière cette première rangée.
Damia flottait au milieu d’ennemis, se déplaçant trop rapidement pour ses adversaires inexpérimentés, assommant avec appréhension ceux qu’elles croisaient en chemin. Ce premier rideau se clairsema rapidement, laissant présager une seconde bataille bien plus difficile. Sur le sol, quelques volles plus solides que les autres réussirent à attaquer le front de l’armée humaine, brûlant avec colère ces ennemis méprisés. Damia était au sol, défendant ses amis avec fougue, quand un très jeune volle s’écroula devant elle. Elle ne trouva pas la force et l’envie d’achever ce misérable petit corps, allongé devant elle, dégoûté par son rôle dans ce simulacre de bataille. Elle n’entendit pas le petit frère du blessé se rapprocher derrière elle. Il leva son petit couteau et visa entre les couches fines de l’armure de la jeune femme. Il lança son poing qui s’écrasa sur une plaque dure. Ses yeux se levèrent sur un visage terrifiant.
Kanzas écrasa la nuque du petit garçon, jeta son corps au loin et se retourna vers son amie : « Réveille-toi Damia, la prochaine fois ça sera toi » Damia décela cette fois un léger mouvement dans son dos et écrasa son marteau sur le visage surpris du grand frère qui s’écroula sans un bruit. Elle reprit son avancée.

Frahma contempla avec admiration et mépris ces concitoyens se sacrifier pour la tâche la plus ingrate de cette bataille : fatiguer l’ennemi. Rapidement, trop rapidement, la poussière retomba sur le champ de bataille, recouvrant des milliers de cadavres. Il ne restait plus une trace de l’armée volienne citoyenne. Il constata avec sourire que des humains rampaient péniblement vers l’arrière du convoi, et vit même un dragoon penché sur sa cuisse, transpercé par une lance volienne. Il vit surtout une fatigue intense et un dégoût terrible traverser les yeux de chaque membre de cette armée. Il comprit qu'il avait gagné la première phase de sa bataille. Il s’apprêta à lancer sa véritable armée quand il vit une jolie dragoon s’élever au-dessus de la foule exsangue. Elle leva son bras avec une telle grâce que l’empereur arrêta ses troupes un instant, curieux. Le bras se baissa avec douceur et une lumière emplit le champ de bataille, recouvrant l’armée entière. Frahma n’en crut pas ses yeux.
« Comment-as-tu pu rater ça, Clara, hurla-t-il »
Il vit sans y croire les humains les plus mal en point se relever. Il aperçut des guerriers fatigués se remettre à sourire et à trottiner, il vit la joie et la confiance remplir à nouveau les cœurs de ces hommes et femmes. Furieux, Frahma baissa son doigt et entendit son armée se ruer vers ce bain de lumière. Celui-ci s’éteint et la bataille put commencer. L’empereur fixa Diaz, au loin, avec une certaine inquiétude.
« Que me prépares-tu d’autre ? »
Vexée par les réprimandes de son oncle, Clara remarqua que l’on bombardait toujours vigoureusement sa ville. Folle de rage et de frustration, elle s’élança seule vers les armes de destruction minitos.

Les voliens, inférieurs en nombre, pouvaient éliminer jusqu’à dix hommes avant de s’écrouler, criblés de flèches. Les dragoons ne suffisaient plus à contenir le massacre, et les pertes humaines et Gigantos commencèrent à croître de façon déraisonnable. Diaz lui-même fut apeuré par la disparition trop rapide de son armée sous les mains puissantes de leurs adversaires. Le premier à prendre la mesure du massacre fut Albert. Il s’éloigna un peu de la bataille, laissant un volien chuter mollement sur le sol jonché de corps. Son dragon, d’un vert mat, sortit sans bruit de la forêt environnante et étendit ses ailes autour de son maître. Sous leurs battements, un souffle rafraichissant se répandit sur le sol, infiltrant les corps et les esprits des hommes en plein combat. Ils sentirent une nouvelle puissance les envahir, et la force des coups voliens leur parut maintenant plus ténue. La douleur était moins grande, les chocs moins durs. Un bouclier intangible les protégeait du mieux possible des sorts les plus mortels.
Leurs adversaires ne se rendirent pas compte de ce frémissement au sein des humains qui râlaient de plaisir quand ils sentirent leur volonté retrouvée. Par contre, ils entendirent clairement de violents éclairs violets traverser le ciel avec fracas. Ceux-ci tombaient exclusivement sur les hommes. Surpris, ceux-ci s'inquiétèrent d’abord devant cette attaque imprévue, un vent de panique dispersa le champ de bataille. Mais ils sentirent une grande force les envahir à chaque décharge traversant leur corps. Au lieu de les foudroyer, les éclairs bienveillants les renforçaient. Ils tendirent le poing vers le ciel, remerciant leurs deux protecteurs, et poussèrent un cri qui résonna dans toute la vallée. L'armée humaine se releva alors, prête à reprendre un combat plus équilibré. Les deux dragons flottant côté à côte dans les airs s’éclipsèrent. Diaz comprit, au vu de la quantité d’hommes présents, que cette bataille était gagnée. Il espéra que les suivantes seraient moins meurtrières. Il perdit son sourire quand quelques terribles cris jaillirent derrière lui. Une jeune velle au regard haineux empalait avec rage les quelques minitos qui s'occupaient du bombardement. Diaz appela à l'aide en se jetant furieusement sur la velle. Celle-ci eut le temps d'achever le dernier minito avant de se retourner vers le grand chef humain, arborant son éternel sourire.

- Voilà donc le grand responsable de cette débâcle, railla-t-elle avant de fondre sur lui.

Diaz évita un poignard et réussit à projeter toute sa force dans son poing qui s'enfonça dans le ventre dur de la jeune velle. Elle recula sous le choc, plus surprise par le coup qu'atteinte par la douleur. Ils savaient tous deux que l'homme ne faisait que gagner du temps. Il n'avait aucune chance contre une velle entraînée comme Clara Frahma. La deuxième attaque de la nièce de l'empereur atteint de plein fouet Diaz. Sa jambe perdit toute force sous l'impact et il s'écroula comme mort sur le sol, tremblant de douleur. Jubilant, la velle leva une dernière fois sa dague, et chercha le cœur de sa proie. Diaz regarda une dernière fois le ciel grisâtre, théâtre malheureux d'une bataille meurtrière.

Le bras de la jeune velle n'eut pas le temps de bouger : un long bâton s'abattit sur elle, éjectant l'arme, cassant le bras. Clara virevolta, hurlant de rage contre le lâche assaillant qui l'avait empêché de tuer l'avorton qui se prétendait Empereur des humains. Affaiblie par l'attaque, elle reçut sans réagir une volée de coups, tous plus violents que les précédents. A aucun moment elle ne vit autre chose qu'une ombre verte s'abattre sur elle. Après quelques secondes, elle s'affaissa en gémissant, et reconnût avec horreur au travers de ses yeux brouillés par les larmes le visage ahuri de son frère. Elle faillit rire à la vue de ses yeux écarquillés.

Albert ne put comprendre comment sa sœur, si douce pendant l'enfance, était devenue la machine à tuer qui avait ravagé toute l'arrière garde minito, et faillit tuer leur chef. Il perdit ainsi quelques précieuses secondes, hésitant à achever sa propre sœur. Il perdit aussi la vie quand elle se redressa et lui planta un poignard dans la poitrine, sans la moindre hésitation. Il vit le sourire malsain de sa sœur l'accompagner dans la mort, alors qu'elle enfonçait avec plaisir son couteau dans le cœur de son frère. Elle accompagna doucement le corps lourd sur le sol. Elle trépignait de douleur, de folie et de joie, cherchant avidement sa première proie. Cette dernière avait disparue, préférant la fuite au combat. Elle tenta de se relever, trébucha lourdement et gémit en sentant les os brisés par les coups de son frère remuer sous sa peau rougie. Elle essaya même de s'envoler mais la douleur la cloua au sol. Elle dut rester prostrée, au milieu des cadavres de son frère et de minitos, rendue impuissante par les coups d'Albert. Dans son délire de haine et de souffrance, elle ne sentit même pas une fine dague s'enfoncer au travers de son dos, sectionnant tout ce qu'elle trouvait sur son passage. Elle retrouva une certaine paix dans la mort, admirant avec une naïveté retrouvée la beauté de l'homme qui la couchait doucement sur le sol, malgré un visage tordu par la haine. Il avait l'air impérial se dit-elle en sombrant dans les ténèbres.

Diaz observa quelques minutes le carnage, espérant que la démoniaque sœur d'Albert ne se réveille pas par un quelconque sortilège inconnu. Il grimaça en déplaçant sa jambe blessée, faillit perdre connaissance quand il regarda sa blessure d’où il pouvait contempler l’intérieur de son corps. Il tenta de retrouver ses esprits, son instinct de stratège. La perte d'un dragoon était terrible. Chacun d'entre eux était essentiel au combat final qui n'allait pas tarder à commencer. Sans une équipe complète, la bataille devenait de moins en moins équilibrée. Il se retourna et essaya d'observer le champ de bataille, se sentant impuissant pour la première fois depuis onze ans.

Devant, les six dragoons restants faisaient front, plus efficacement que les quelques humains qui survivaient courageusement. Personne ne perdait espoir, tous se battaient jusqu'à une mort certaine, essayant d'emporter avec eux le maximum d'adversaires, toute logique de survie ayant été oubliée par l'aveuglement que procurait cette bataille. Un sentiment de justice et de bien portait les humains, qui espéraient se battre pour un futur meilleur. La douce magie qui les enveloppait n’était certainement pas étrangère à cet oubli de soi. Face à eux, les voliens se battaient contre leurs inférieurs, et ne supportaient pas voir les leurs aller au tapis face à de tels créatures. Chaque éclair de lumière bienfaiteur, venant de la divine Shirley, redonnait quelques forces aux plus affaiblis et plongeait les voliens dans une rage et une imprécision plus grande. Les dragoons savaient que le vrai combat, celui où tout se déciderait, n'était pas encore arrivé. Pourtant, une lourde fatigue commençait à se faire ressentir, une fatigue que l'aide bienfaiteur de Shirley ne pouvait faire disparaître.

- Où est-Albert ? hurla celle-ci.

Personne ne répondit. Le dragon humide de Damia la frôla pour aller enfoncer ses pieux glacés dans le corps moelleux d'un volien inattentif. Il s'écroula sans un bruit. Au loin, un giganto hurla, réveillant la plaine. Il écrasa de son pied monstrueux une tête ennemie, avant de lancer sa hache sur une autre. La bataille était presque silencieuse, chacun tentant d'économiser au mieux son énergie. Les dragons prêtaient main forte à leurs maîtres, à l'exception notable de celui de Zieg, toujours absent.
En l’absence de réponse, Shirley, inquiète, se précipita à l'arrière du cortège, espérant trouver Albert en train de protéger Diaz. D'abord, elle découvrit avec horreur l'empereur des hommes au sol, baignant dans son propre sang. Son cœur reprit sa course quand elle vit un léger mouvement dans la sinistre flaque rouge et comprit que Diaz était vivant. Elle se jeta à ses pieds et rassembla toute l'énergie qui lui restait pour le soigner au mieux. L'homme se réveilla rapidement, puis se releva péniblement, la suppliant d'une voix faible de s'économiser pour les autres combattants. Elle le regarda avec une certaine admiration. Si elle était aujourd'hui, c'était plus pour être avec lui que pour une quelconque quête de liberté. Aucun peuple, volien ou non, ne méritait qu'elle périsse, tous lui semblait plus pourris par le pouvoir que les autres, tous sauf Diaz. Elle l'aida à se relever et se retourna vers le champ de bataille le cœur gonflé par le courage de son chef. A ce moment, elle vit Albert allongé sur le sol. Lui était bien mort et elle sentit son cœur se nouer à nouveau.

- Tu ne peux plus rien pour lui, dit doucement Diaz, viens.

Diaz partit en piétinant avec mépris le corps de Clara, les yeux rouges de colère. Shirley frissonna en entendant les craquements sinistres que fit le cadavre. En se rapprochant, elle constata que le combat avait soudainement cessé. Un grand silence anxieux parcourait la plaine. Les dragoons attendaient la suite. Les rares survivants humains ou gigantos battaient en retraite, respectant le plan jusqu'au bout, même si celui-ci ne prévoyait pas qu'ils seraient si peu à s'enfuir. Au loin, les tours de Kadessa s'écroulaient par morceaux, lentement, en ponctuant le silence de la plaine par quelques bruits mats. Le dragon de Rose, une bête minuscule et plus noire que le ciel, volait en tout sens, dans le sillage du magnifique compagnon de Damia. Shirley vit une vague de terre tourner autour des combattants et comprit que le dragon de Balzac était là lui aussi. Enfin, elle sentit la lumière rassurante du sien sur sa joue. Alors, elle se sentit bien.

Perché sur une des rares tours rescapées de Kadessa, Frahma contemplait la plaine avec curiosité. Il se sentait plus fort que jamais, mais cette femme entourée par un halo brillant lui semblait plus dangereuse que tous ses amis réunis.

- Mitu, grogna-t-il, as-tu déjà vu cette humaine ?
- Jamais. Mais on m'a déjà parlé d'une humaine disparue d'un de nos prisons, il y a longtemps maintenant. Le chef n'a jamais voulu reconnaître sa faute. C'est peut-être elle. C'était une orpheline humaine, et on parlait de pouvoir de la sorte.

Frahma hoche la tête avec un sourire. Il se souvenait. Il s'agissait de la fille de ce stupide minito.

- Envoie les vyrages, je m'occupe d'elle.
- Et si les vyrages ne suffisent pas ?
- Ils suffiront, fais-moi confiance.

Mitu acquiesça et partit chercher les monstres.

Balzac sentit la terre trembler avant tous les autres humains. Son dragon la sentit avant lui.

- Quelque chose arrive les amis, quelque chose de gros, prévint-il d'une voix lugubre.

Tous se mirent sur leurs gardes, craignant une arme inconnue. Shirley s'éleva au-dessus de ses compagnons pour pouvoir les soigner à tout moment. Elle vit trois horreurs sans nom sortir en galopant des décombres de Kadessa. Pourvu de deux pattes monstrueuses et de bras gigantesques, ces animaux de dix mètres de haut possédaient trois yeux et semblaient invulnérable.

- Des vyrages, marmonna Balzac. Je n'avais jamais entendu parler de spécimens aussi gros : on va avoir besoin d'aide !

L'inquiétude de Balzac amusa Kanzas. Ce n'étaient pas ces trois pantins ridicules qui allaient l'arrêter. Il appela son dragon, sentit ses forces décupler sous l’effet des éclairs brillants, serra les dents et attendit l'ennemi.

Shirley contemplait les monstres avec une horreur croissante quand elle reçut un violent coup dans la nuque qui la fit chuter. Elle s'écrasa sur le sol et se dépêtra des cadavres qui avaient amorti sa chute. Ce qu'elle vit en se relevant lui glaça le sang.

- Surprise, Shirley ?

Elle tremblait de terreur face à l'empereur ennemi. Pourtant, loin d’afficher la puissance qu’elle redoutait, celui-ci paraissait faible, flou. Resté en arrière, Diaz aperçut l'ombre de Frahma et profita du fait que ce dernier était concentré sur Shirley pour s'éloigner chercher une arme. Il sut qu’il devait être celui qui tuerait le tyran.

- Je t'ai vu te battre avec tes amis. Tu es impressionnante tu sais, la plus brillante !

Il éclata d'un rire terrifiant. Shirley ne dit rien.

- Il est dommage que tu te battes dans le mauvais camp. Tu perdras. Aussi certain que cette pierre me donne ma force, vous perdrez, dit-il en caressant son bijou. A moins que...

Jamais, depuis son séjour en prison, Shirley ne s'était sentit aussi vulnérable. Elle hurla dans sa propre tête, appelant la femme en blanc, espérant qu'elle la prenne dans ses bras. Mais celle-ci ne vint pas. Son dragon aussi avait disparu. Diaz était invisible. Elle se sentit plus seul que jamais.

- A moins que tu nous rejoignes. Du côté des gagnants. Tu sais, je ne suis pas aussi méchant que tes amis veulent te le faire croire. Je ne t'ai pas tué le jour où je t'ai trouvé parmi ces hideux minitos.
- Tu aurais dû, murmura-t-elle dans un sanglot.
- J'ai compris votre message. Un message clair, un peu sanglant peut-être. Et je serai dans l'obligation d'adoucir mes positions dans le futur. Mes concitoyens ne me pardonneront pas un deuxième massacre...

Elle n'en crut pas un mot, mais attendait la suite.

- Par ailleurs, je sais où sont tes parents.

Elle se redressa vivement et parla avec force pour la première fois depuis l'arrivée de Frahma.

- Ils sont en vie !

Elle comprit qu'elle avait dévoilé sa faiblesse trop vite, trop tôt. Frahma sourit avec une chaleur qu’elle n’aurait jamais cru possible.

- Bien sûr, ils ne t'ont pas abandonné. Ils ont été attrapés par mes soldats alors qu'ils fricotaient avec des rebelles. Ils sont en prison à Kadessa. Je peux les faire libérer pour toi.

Sans vraiment savoir pourquoi, elle crût en lui. Ce sourire, cette faiblesse étrange. Il paraissait gentil, attentionné. Elle se releva en esquissant un semblant de sourire. Frahma serra les dents, sûr de sa victoire.

Kanzas avait clairement sous-estimé ces bêtes de malheur. Projeté par un coup terrible, il ne dût son salut qu'à Damia qui le sauva au dernier instant d'un jet de feu terrifiant sortant des yeux de cet animal. Le dragon de Balzac aida Zieg à attaquer une jambe de l'un des vyrages, qui se tortillait rageusement sur le sol. Les deux autres combattaient sans cesse, sans fatigue ni douleur. Les dragoons sentirent une vague de désespoir les envahir face à ces murs. Balzac reçut un coup surpuissant et s'écrasa dix mètres plus loin, une partie de son armure, qu'il croyait indestructible, salement amochée. Il se releva difficilement.
Seul Zieg semblait à la hauteur de son adversaire aidé par une Damia plus enragée que jamais. Les deux compères s'acharnaient sur le vyrage au sol qui menaçait de ses yeux brulants les autres dragoons. Après une avalanche de coups terribles, Zieg parvint à franchir la peau épaisse de la bête. Il sentit un claquement sourd, des battements furieux puis le monstre s'éteint. Les yeux redevinrent blancs et le corps s'affaissa définitivement.

Frahma vit avec ravissement la jeune femme s'approcher de lui, innocente.

- Une alliée de poids, songea-t-il.

Il sentit alors une violente douleur lui remonter par la jambe, son corps s'affaissa.

- Ne l'écoute jamais Shirley, jamais ! Hurla Diaz dans un dernier souffle.

Le poignard de Clara avait traversé la jambe brumeuse de l'empereur. Frahma hurla de rage, et Shirley vit l'homme le plus important de sa vie s'enflammer, se recroqueviller et mourir sans un bruit. Elle fixa l'empereur avec horreur, retrouvant ses esprits, se décrochant de l'emprise envoutante de sa voix. Elle bondit sur lui et réussit à le faire chuter. Cela la surprit. Une telle faiblesse chez l'être le plus puissant d'Ultimesse, l’être qui d’un cri de colère avait fait disparaître le symbole de la révolte humaine. Elle tenta de repousser la main de l’empereur qui voulait l'agripper et qui réussit, puis elle attendit avec désespoir une mort proche. Elle sentit une force ahurissante décrocher de son dos l'empereur fantomatique. Shirley aperçut alors son dragon piloter avec douceur le monstre le plus beau qu'elle n'ait jamais vu. Le fantôme étrange de Frahma s'évapora sans un bruit et le dragon divin, enfin arrivé, se jeta sur les deux vyrages restants. Shirley sauta à sa poursuite, espérant pouvoir aider ses compagnons.

 

- Je n'ai pas encore toute la maîtrise de mon aîné Faust, reconnut avec une humilité surprenante Frahma à ses généraux.

Il se tut, reprit son souffle et dit ces quelques mots :

- Mes amis, l'heure est arrivée. Allons-y.

Les quatre volles s'élancèrent. Frahma regrettait la perte de sa nièce, une combattante farouche, se félicitant néanmoins qu'elle ait causé la mort d'une de ces saletés de dragoons.

Perdu dans la bataille la plus importante de sa vie, Kanzas sentit un fluide chaud emplir son nez, puis couler le long de sa joue. Il marmonna quelques injures, se redressa et fixa la bête qui l'avait mise au tapis.

- Écartez-vous tous, hurla-t-il aux autres.

Ceux-ci s'exécutèrent, déjà occupés par le dernier monstre. Kanzas fixa sa proie avec détachement.

- Cette bête horrible m'a terrassé, moi, Kanzas...

Dépité et humilié, il appela son dragon et monta péniblement sur son dos. La bête s'éleva avec grâce, puis alla se poser sur la tête enragée du vyrage. Tout deux s'agrippèrent au crâne hurlant et gluant de sueur. Ils semblaient tout deux plus calme que jamais, enfin débarrassés de cette terrible guerre. Kanzas serra sa pierre, quelques larmes dans les yeux. Sa dernière pensée fut pour sa sœur. Il serra encore plus fort la minuscule pierre. Elle vibra de plus en plus et il la sentit entrer en phase avec son propre cœur. Alors elle explosa avec plus de force qu'Ultimesse n'en eut jamais vue. Les trois corps liés pour toujours se volatilisèrent dans un éclat qui paralysa tous les combattants. Même Frahma fut ralentit dans sa course vers le combat final par l'onde de choc de l'explosion. Le silence revint lentement, laissant la poussière voleter à son rythme et les cœurs effrayés des combattants se calmer. Personne ne comprit vraiment ce qu'il se passa quelques secondes plus tôt. Kanzas avait simplement disparu, accompagné par son dragon et l'horrible ennemi.
Seul le dragon divin réussit à s'extraire du nuage, guère gêné par le désordre. Il arriva à pleine vitesse sur le denier vyrage qui semblait légèrement abasourdi. Il se jeta sur lui et lui arracha la tête d'un simple coup de griffe. Cela semblait facile. Il virevolta quelques secondes au dessus du champ de bataille, montrant à tous qu'il restait l'être le plus puissant de ce monde, avant de laisser ceux qui se prétendaient intelligents régler seuls leurs problèmes de voisinage.

Shirley se posa aux côtés de ses amis. Ils n'étaient plus que cinq humains. Cinq pour affronter les plus dangereux combattants n’ayant jamais existé. Zieg, à peine fatigué, trépignait d'impatience, souhaitant mettre un terme à la plus longue journée de sa vie. Balzac et Damia étaient collés l'un à l'autre, tentant de reprendre leur souffle. Rose semblait la plus fatiguée, harassée par les vyrages, et dont le front blessé par une attaque cicatrisait dans une croute noirâtre qui la rendait plus terrifiante encore. Shirley admira ses compagnons, tous portés par leur foi en un futur meilleur auquel elle ne croyait plus vraiment. Elle venait de quitter le corps encore chaud de l'homme qu'elle avait aimé sans vraiment le savoir. Il avait tenté de résister jusqu'au bout, mais ses yeux s'étaient finalement fermés, lentement, comme s'il essayait de capter le maximum d'information avant de partir, essayer d'avoir le plus à raconter à Soa. Il paraissait heureux dans la douleur, fier de son armée. Shirley sut alors qu'il fallait gagner cette bataille, même si l'unique motivation était de venger Diaz. Comme tous, elle avait été projetée en arrière par l'explosion sur le chemin du retour vers ses amis. Elle fut la seule à comprendre qu'il s'agissait de la technique ultime de Kanzas, sentant l’âme de sa propre pierre se secouer de tristesse.

Les voliens arrivèrent dans leur formation traditionnelle, un à chaque sommet d'un carré menaçant. Ils se posèrent face aux dragoons, arborant tous un visage neutre et concentré. L'arrogance habituelle avait disparu avec la destruction des vyrages. Les voliens savaient que la bataille serait rude. Ils savaient aussi qu'ils devaient la gagner. Les deux camps s'observèrent quelques instants, puis la bataille commença. Damia fut la première à bouger. Elle se jeta férocement sur le volien le plus proche.

Plus jeune recrue de cette dernière garde, Slavi était l'un des combattants les plus impressionnants de l'armée. Depuis sa naissance, son père, un ex-militaire, l'entraînait au combat. Slavi était devenu un beau jeune volle nourri au sang de ses adversaires. Il parvenait pourtant, dans ce monde d'arrogance, à rester humble, travailleur et respectueux. Clara n'avait d'yeux que pour lui, Frahma le voyait prendre la succession du vénérable général Mitu. Tout ceci serait bien entendu reporté, au vu des pertes considérables de la journée. Slavi avait tué son premier homme à dix ans, puis l'avait dépecé pour s’en faire une veste. Cela lui avait paru naturel. Calme dans la vie, calme à l'entraînement, il perdait tout sens commun au combat, il devenait inarrêtable, imbattable. L'empereur lui-même craignait ses colères. Enfin au combat, le jeune volle serra les dents quand il vit un marteau se diriger droit sur sa mâchoire, il se baissa vivement et lança son pied en avant. Damia reçut le coup de plein fouet et perdit tout souffle sous la violence du choc. Elle ne l'avait même pas vu bouger.

- Slavi ! Attention ! Hurla le général Mitu.

L'avertissement n'empêcha pas la lourde hache de Balzac de s'écraser sur l'armure de Slavi. Celle-ci résista au tranchant mais le choc projeta son adversaire sur le sol. Il se releva rapidement en gémissant et s'envola, prenant une légère distance. Il aperçut la jeune femme se relever en pleine forme et n'en crut pas ses yeux. Son coup aurait dû la détruire, la laisser au sol pour la fin du combat. Il leva les yeux et vit une lumière rassurante émanant d'une autre combattante. Les quatre volles savaient que le principal danger prenait forme dans ce frêle corps brillant. Cependant, les quatre dragoons le savaient aussi, et le protégeait avec attention. Il était clair que le minuscule dragon était tout aussi puissant que la femme et complètement invisible sous sa coque de lumière aveuglante. Le général Mitu, ayant toujours vécu sous les ordres de son maître Frahma, un combattant d'exception et d'expérience, se sentit investi d'une mission noble : éliminer la guérisseuse flamboyante. Une mission que son empereur, ou plutôt son double, n'avait pas réussi à accomplir. Il fonça vers la lumière pour en terminer avec Shirley.

Frahma reçut un coup par derrière. Trop faible pour l'inquiéter, ce coup réussit quand même à le réveiller. Il s'agissait du premier coup qu'il recevait depuis sa prise de pouvoir. Il vit le dragon de Rose briller dans son dos, se retourna et agrippa le poignet de l'humaine. Celui-ci craqua sous la puissance de l'empereur et la dague tendue pendait maintenant mollement au bout de doigts tordus par la main de Frahma. Rose gémit de douleur mais sentit immédiatement une douce lumière lui redonner quelques forces et sut qu’elle se trouvait sous le regard bienveillant de Shirley.

Le quatrième volle n'avait pas encore bougé. Frêle, petit, il n'avait pas attiré l'attention des humains. Pourtant, il était l'arme la plus puissante de l'empereur. Il était un élève brillant de Savano à Aglis. Detah était en fait hors norme. Personne ne savait d'où il venait. Orphelin, il fut recueilli par Savano qui l’avait trouvé abandonné au bord d’un fleuve lors de ses voyages. Il lui apprit avidement les bases de la magie volienne, heureux de pouvoir aider un malheureux. Mais Savano comprit rapidement que le petit n'était pas normal. A six ans, il maîtrisait plus de sorts que la majorité des adultes de l'armée impériale. A quinze ans, sa puissance magique dépassa celle du respecté Savano qui en avait fait l’amère expérience un jour où il avait gourmandé son jeune apprenti. Il ne parlait jamais, n'avait jamais parlé. Une nuit, Savano le vit se brûler sur le chaudron d'une mixture étrange. Il ne gémit même pas, fixa sa peau rouge avec curiosité et appliqua soigneusement un sort d'eau pour limiter les effets de la brûlure. Cette nuit-là, Savano parla du jeune volle à l'empereur qui décida de lui accorder un entretien. Quand il arriva, Frahma faillit se tordre de rire devant l'avorton que lui présentait son ami.

- Ma garde rapprochée n'a pas besoin de tes rebuts Savano, dit-il moqueusement.

L'empereur se retourna alors, il avait senti la pièce entière se réchauffer. Puis il fut entouré de feu. La chaleur était insupportable mais les flammes ne le touchaient pas, elles se jouaient de lui. Il refit demi-tour et vit Detah, le poing serré, qui le fixait avec des yeux noir brillant dans les flammes. Pour la première fois de sa vie d'empereur, Frahma eut peur de quelqu'un. Il essaya de ne rien laisser paraître et sentit l'air se refroidir rapidement. Il épongea son visage humide de sueur, fixa l'adolescent et s'en fut.

- Il commence demain, dit-il en partant

Detah observait les combats avec intérêt. Slavi semblait mal en point face aux deux humains. Ceux-ci agissaient comme un duo parfaitement coordonné. Même le meilleur combattant ne parvenait pas en mesure de leur résister. Il décida de laisser faire ce combat déséquilibré : il n'aimait pas Slavi. Il vit Mitu poursuivre la lumière sans réel résultat. L'empereur quant à lui résistait sans efforts aux assauts du couple rouge et noir. L'homme semblait pourtant réellement puissant. Son étude attentive du combat fut dérangée par un cri terrible. Slavi s'écrasa au sol en se tordant de douleur, une longue hache enfoncée dans la jambe. Les cris terribles de Slavi provoquèrent une courte trêve parmi les autres qui virent tous le marteau mortel de Damia s'abattre sans cesse sur le visage affolé du volle. En quelques secondes, les cris cessèrent dans un gargouillis de sang et le duo se prépara à assaillir le suivant.

- Detah ! Réveille-toi ! Hurla l'empereur.

Les deux humains s'écartèrent de leur proie, laissant sur le sol un corps sans visage identifiable. Le cadavre disparut dans un mouvement de sol et fut englouti par la terre. Detah se leva de mauvaise grâce et pointa ses mains fines vers les deux humains.

Damia ne comprit pas d'où venait le feu. Elle sut seulement qu'elle brûlait. Elle hurla de surprise, puis de douleur quand la chaleur atteint sa peau. Son dragon parvint à affaiblir le brasier et elle put reprendre ses esprits, protégée par un jet d’eau gelé. Le combat avait rapproché les combattants de Kadessa, certaines tours aux balancements lents menaçaient tout le monde. Une d'entre elle se détacha et s'écrasa mollement aux côtés du petit volle. Il fixa la roche d'un air pensif et poursuivit son petit jeu. La fille semblait déjà hors combat, après un minuscule feu de bois. Il se retint de rire. Son protecteur haletait à ses côtés, il paraissait encore en forme.

Balzac vit les mains de cette horreur volienne s'élever au ciel. Effaré, il les suivit et vit deux colonnes branlantes. Elles se décrochèrent et tombèrent droit sur Damia. Balzac bondit vers elle, tendit les bras au ciel et invoqua son fidèle ami. Celui-ci arriva silencieusement et renforça son emprise sur le sol. Les colonnes s'abattirent sur les mains de l’homme qui put les retenir.

- Dégage d'ici Damia, cria-t-il à sa fille.

Bien entraînée, Damia ne réfléchit pas et bondit hors du danger. Balzac tentait de repousser ce poids gigantesque avec difficulté. Alors qu'il luttait avec quelques tonnes de roches, Detah serra deux fois le poing et lança sa main vers l'homme vulnérable. Deux pics de glace acérés lui transpercèrent le torse, traversant la plus solide armure jamais construite comme une feuille. Balzac perdit toute force et l'amas de roches l'enterra dans un fracas épouvantable.

 

Quelques mètres plus haut, personne ne nota les disparitions et chacun se concentrait sur son combat. Mitu sentait la cible de plus en proche. Frahma trouvait cette mascarade presque amusante. Le ballet de ce couple d'humain était ridicule. L'homme au visage sage semblait effectivement puissant, bien que beaucoup moins que lui, mais la femme le déçut au plus haut point. Il se demandait pourquoi elle combattait au milieu de ses valeureux amis. Son accoutrement noir pouvait peut-être effrayer les jeunes enfants, mais pas lui. Las, il se décida à montrer ce qu'il était capable d'accomplir. Il sauta en arrière lestement et concentra toute son énergie dans ses mains qui blanchirent. Une boule de feu explosa sur Zieg qui tomba au sol. La chaleur fit hurler l’homme à l’armure rouge et les flammes s'emparèrent de son corps dans un tourbillon mortel. Zieg sentit une peur nouvelle l'envahir. Il sentit la mort.

Plus près des colonnes, Damia hurlait sur son adversaire, essayant en vain de l'assommer, et détruisant sans lassitude les murs de roches qu'il faisait apparaître entre elle et lui. Detah admira cette rage pure qu’il ne pouvait ressentir et se protégea du mieux qu'il put, car il n'avait pas la moindre force physique. La fille était cependant trop lente pour l'inquiéter. Il entendit un hurlement plus haut et la vue d'un humain en feu plongeant sur le sol lui fit comprendre que la partie jouait en leur faveur. Damia éclata un nouveau mur et se retrouva face au volle. Celui-ci lui sourit avec une douceur non feinte et posa sa main sur elle. Elle faillit en mourir de douleur, son cœur s'arrêtant quelques instants de battre. Tout son être fut comme transpercé par des milliers d'épines invisibles, elle s’écroula. Detah se mit à rire, pour la première fois de sa vie, et décida de prolonger son plaisir quelques secondes de plus.

Mitu vit enfin l'ombre derrière la lumière. Il s'approcha et sentit que ses poings heurtaient quelque chose de dur sous l'amas intangible de lumière. La lumière s'éteint, et il vit le petit corps tomber. Au dernier moment, le dragon rattrapa sa chute, évitant tout dommage. Mais la femme n'eut pas le temps d'armer son arc, Mitu fonçait sur elle pour l'étrangler, son attaque préférée. Il sentit ses cheveux au bout de ses doigts quand il resserra ses mains sur son cou. Il poussa un grand cri de satisfaction et serra plus fort. Ses mains se refermèrent sur le vide.

Damia sentit son cœur battre de plus en plus fort, lui ordonnant qu'on arrête de lui infliger ce calvaire. La prochaine minute serait fatale pour son cœur qui battait furieusement. Detah se réjouissait de la souffrance de cette pauvre petite humaine et faillit en perdre la tête. Son sérieux revint et il s'apprêta à en finir pour pouvoir aider son empereur. Au sol, Damia entendit d'abord un bruit de succion qui l’intrigua, la douleur s’éteint et elle sentit le maigre corps du volle s'écrouler sur elle. Elle se sentit revivre. Elle l'écarta, jetant son tortionnaire le plus loin possible. Elle entendit une flèche se casser et fixa avec une gratitude silencieuse celle qui lui avait sauvé la vie. Puis elle sombra dans les ténèbres, bercée par le beau visage de Shirley.

Frahma regarda avec plaisir l'étrange humain brûler à ses pieds. Il ressentait toujours la même joie quand il tuait un être vivant. Un sentiment de pouvoir absolu. Il fut pourtant impressionné par le courage de son adversaire qui se débattait toujours mais ne criait plus, perdu dans un brasier terrifiant. Peut-être était-il mort de peur, se dit l'empereur en souriant. Mais son sourire se figea assez rapidement.

Zieg avait cru sentir la mort le rejoindre, submergé par une chaleur inconnue. Il comprit rapidement qu'au lieu de le terrasser, le feu le rendait plus fort. Aucune douleur n'accompagnait les brûlures. Il sentit son corps se nourrir avidement du feu. Il le fit même disparaître, l’absorbant complètement. Il se releva vigoureusement et fixa derrière l'air chaud le visage tordu par la surprise de son adversaire.

Pour la première fois de sa vie Melbu eut envie de reculer. Il avait mis toute sa rage contre les humains dans cette attaque, toute la haine accumulée depuis deux mille ans de pouvoir, toute la colère contenue dans les milliers de cadavres voliens qui jonchaient le sol. Au lieu de mourir, dispersé par ce jet de feu, l'humain semblait s'en nourrir, tout sourire en plus. Perdu dans une peur nouvelle, il vit émerger de l'horizon un énorme dragon vermillon. Le monstre se posa aux côtés de l'homme braise avec une certaine élégance. Abattu, Frahma serra les poings et les attendit.

Mitu regardait ses mains avec effarement. Il était le plus expérimenté des combattants sur le front, il n'avait pourtant jamais vu ça. Même Faust ne semblait pas capable de ce genre de disparition. Même Frahma n'aurait pu se libérer de ses mains puissantes. Il perdit tout courage devant la supériorité inattendue de ses adversaires. Slavi et Detah, les jeunes recrues étaient toutes deux au sol, mortes. Lui n'avait pu qu'affleurer l'un des cinq dragons restants et avait perdu ses proies. Il se retourna vers l'empereur, au loin, et vit une légère peur dans ses yeux. Cela suffit à le décourager définitivement. Quand il entendit des bruissements dans son dos, il ne bougea même pas. Le combat était perdu, il le savait. Jamais il ne l'aurait cru. Sa famille entière avait péri dans le combat, tuée par les humains. Le système volien entier s'effondre sous les coups de l'armée la plus impressionnante qu'il n'eut jamais vue.

- Sacré Diaz, pensa-t-il avec un réel respect.

Mitu s'éteint sans bruit, la gorge transpercée par la dague effilée de Rose. Il était probablement le seul volien du haut commandement à avoir voulu éviter la guerre. Il était également le seul volien du haut commandement à avoir jamais aimé une femme. Celle-ci le tua et n'en sut jamais rien. Elle laissa le corps en rejoindre des centaines sur le sol et partit aider ses amis une dernière fois.

Damia au sol, il ne restait que Shirley, Rose et Zieg pour affronter l'empereur. Virevoltant sans cesse autour du volle, Zieg et Shirley poursuivait le combat avec application, conscient de l'importance de ce dernier combat. Rose s'approcha doucement et préféra ne pas intervenir pour le moment. Elle se réservait le dernier moment, confiante. Elle vit Shirley protéger d'un halo de lumière son mari, et celui-ci semblait réellement plus fort que jamais. Nullement impressionné par l'empereur, Zieg frappait sans relâche et sans fatigue. Melbu ne semblait pas plier, mais seulement agacé par cette lumière incessante. Rose souriait presque, sûre de la victoire de son mari. Son sourire disparut quand un halo rouge sang enveloppa la vallée. La lune prenait le pouvoir. Une teinte rouge entourait l'astre. L'âme de dieu piégé dans la pierre de Melbu Frahma s'agitait pour reprendre son corps. Elle se souvint de quelques enseignements de Balzac, son ami maintenant englouti par la terre. Selon la légende du combat fondateur, celui qui avait mis Frahma au pouvoir, cette lune rouge sang ne pouvait signifier que de mauvaises choses pour les humains. Un picotement inattendu lui pris le cœur.

Frahma sentit sa sphère de cristal s'échauffer, s'agiter et le réchauffer légèrement. Il vit la plaine rougir et comprit immédiatement. Il rit de bonheur en sentant toute la puissance du dieu de la destruction secouer sa pierre, secouer sa cicatrice, secouer son esprit. Le volle le plus puissant d'Ultimesse devint plus puissant encore, comme tous les cent sept ans. Zieg s'arrêta, conscient lui-aussi de ce regain de force. Il n'en tint pas rigueur à son adversaire, et continua à combattre avec fierté. Melbu se sentit revivre, il vit son pouvoir sur Ultimesse reprendre le dessus, à peine dérangé par les moustiques humains. Il voyait déjà Kadessa reprendre ses droits sur le monde, de belles tours s’élever sur des esclaves humains. Jamais il ne pardonnerait à cette race de parasites. Il sourit tout en enserrant avec cruauté le cou fragile de Shirley qui se sentit mourir dans une vapeur de lumière. Elle ne l'avait pas vu fondre sur elle, elle n'avait pu disparaître, elle n'avait pu se guérir, rien ne fonctionna comme elle le voulait cette fois ci. Elle sentit la brume l'envahir et perdit Zieg des yeux. Ce dernier bondit sur l’empereur et d’un coup terrible parvint à lui faire lâcher prise. Shirley s’écrasa dans les bras tendus de Rose, dix mètres plus bas. Redevenue humaine et inconsciente, la jeune femme n’inquiétait plus l’empereur.
Zieg sentit une légère colère s'élever en lui devant l'injustice qui s'abattait sur les hommes. Il aurait dû terminer ce combat plus tôt, éviter l'éveil de la lune et marcher sur Frahma quand il le pouvait. Il reprit confiance, comme son tempérament l'y obligeait, mais la détresse l’affaiblissait. Il subit quelques coups lourds de l'empereur revigoré. Son dragon l'aida au mieux, brûlant tout ce qu'il pouvait brûler, mais personne ne pouvait prétendre rivaliser avec le dieu de la destruction. Dans un dernier souffle, sentant son corps le laisser tomber et son dragon fléchir, il lança son épée vers le plastron de l'empereur qui à sa grande surprise ne bougea pas et reçut le coup de plein fouet. Malgré la force providentielle, Frahma était fatigué et ne put éviter ce coup désespéré. Zieg s'écroula sur une des colonnes de Kadessa, heureux de son dernier coup.

- Comment oses-tu, hurla l'empereur, un simple humain !

Frahma parvint dans sa chute à atteindre d'un sort rarement utilisé l'humain qui l'avait presque tué. Zieg sentit son corps durcir, se tendre. Toute force le quittait. Il se sentit fondre avec la roche de Kadessa, il perdit conscience et ne put ressentir les quelques instants qui suivirent.

Au loin, Rose vit le corps de Zieg devenir pierre. Elle ne put retenir sa douleur. Pire que la mort, Elle comprit que Zieg resterai figé sur cette colonne, fier souvenir d'une guerre injuste. Il ne bougeait déjà plus, les yeux fermés par la fatigue, et ses yeux de roche paraissaient la fixer une dernière fois. Elle n’osa pas quitter ce regard implorant son aide mais se résolut à terminer cette sinistre guerre. Elle descendit sur le corps tremblant de l'empereur Frahma. Une simple larme sur la joue, elle s'approcha de l'être le plus haï d'Ultimesse. Frahma la regarda en pouffant douloureusement de rire.

- Que vas-tu faire ? Railla-t-il. Me tuer ? Tu n'as aucun pouvoir sur ce qui me protège. Attaque-toi à la Lune plutôt.

Il rit de plaisir devant sa victoire, difficile certes, mais conquise de main de maître. Son rire s'arrêta car la femme ne semblait pas comprendre. Il savait que sa sphère lui donnait un pouvoir quasiment infini, qu'aucune lame, qu'aucun sort ne pourrait jamais l'achever en ce jour de lune rouge. Il sentait déjà ses forces revenir. Dans quelques secondes, il pourrait écraser le détestable visage de cet être inférieur qui le fixait sans respect. Puis il comprit enfin pourquoi Rose faisait partie des dragoons et pour la première fois de sa vie, Frahma regretta son ignorance. Le corps de la jeune femme prit feu. Des flammes noires remplaçaient sa peau. Seuls ses yeux, plus noirs encore, ressortaient derrière la silhouette brûlante. Un autre être en flamme se posa à ses côtés et agita ses ailes. Le duo se pencha sur l'empereur qui ressentit une véritable peur. Une ultime peur. Il vit la mort dans les yeux de cette femme, il comprit que le pouvoir de sa pierre ne pourrait arrêter le couple de l’ombre, Rose et son dragon noir car c’était justement leur rôle de l’achever. Il regretta de ne pas avoir compris plus tôt quel dragoon était le plus terrifiant, le plus puissant, le seul qui pourrait le terrasser puisque tous deux puisaient leur force dans la même source, la lune perpétuelle. Il avait négligé l’aspect étriqué, faible du dragoon. Detah avait été sa première erreur. Son arrogance le tuait aujourd'hui, malgré la lune rouge, malgré sa force, malgré sa pierre. Rose saisit le cou palpitant de l'empereur et le serra sans colère. Frahma s'éteint doucement, ressentant chaque seconde de son déclin, terrassé par les faibles mains du dragoon de l’ombre. Il mourut sans bruit, discrètement, à l’opposé de son règne. Rose relâcha son emprise, sure de son fait. Les flammes noires disparurent. Elle s'écarta du corps de l'empereur. En se retournant pour s'éloigner, elle frissonna. Surprise par ce léger courant d'air au milieu d'une plaine à jamais inerte, elle tourna la tête vers Frahma et vit la cicatrice de l'empereur ternir puis noircir. La pierre s'éteint. La lune redevint blanche.

Chapter 6: Epilogue : Mémoires de Damia

Summary:

Epilogue de l'histoire quelques années après la révolution

Chapter Text

Notre victoire fut célébrée pendant de longues semaines. Partout dans Ultimesse les survivants se retrouvaient pour rebâtir leurs villages, pillant tout ce qu'il pouvait dans les ruines voliennes. Les fêtes se succédèrent et la lune redevenue grise nous observait avec bienveillance pour la première fois de notre histoire. En quelques mois, le paysage d'Ultimesse changea entièrement et les zones auparavant réservées aux voliens étaient maintenant recouvertes d'habitats giganto, humains ou minito. Comme si reconstruire par dessus les ruines plutôt qu'à leurs côtés mettait un point final à l'empire de Frahma.

Aglis resta un bastion volien où les rares survivants de la guerre se regroupaient sous la direction bienveillante de Savano et Charlène. Nous avions décidé avec le groupe des Dragoons de ne pas attaquer l'île bien avant la bataille finale et il semblait logique de laisser cet anonymat aux quelques voliens qui survirent à ces dernières semaines. Leur punition était déjà lourde.
Dans les jours qui suivirent la défaite de l'empereur Frahma, un nouveau conseil suprême fut constitué pour diriger de façon collégiale notre monde. Je fus désignée, malgré mon jeune âge à l'époque, chef des humains. L'autre prétendante éventuelle, Rose, était partie mystérieusement la nuit qui suivit la bataille : je ne la revis jamais. Elle seule était présente lors des dernières secondes de l’empereur et elle seule connaît l’histoire de sa mort. Quand je m’étais éveillé ce jour là, je l’avais trouvée une main sur la statue de pierre qu’était devenu son mari. A ses pieds gisait l’empereur Frahma, un empereur bien terne une fois mort. Charlène s'enterra avec ses semblables à Aglis mais eut le privilège de siéger au conseil, de façon anecdotique cependant tant les voliens ne pesaient plus dans les décisions. Le chef des gigantos, qui se remit rapidement de ses graves blessures, et le président de l'assemblée des minitos complétaient notre maigre conseil. Nous désignâmes rapidement toute une population d'êtres issus des différentes races pour gérer les villes et contrées d'Ultimesse. Le système se mit en place lentement mais l'euphorie de la victoire facilita les démarches. L'optimisme ambiant aidait les reconstructions, les échanges et la repopulation d'Ultimesse plus vite que nous l'espérâmes. La vie reprit, d'une façon que le peuple n'aurait jamais imaginé, enfin débarrassé de la présence terrifiante des voliens et de leur violente domination.
Shirley resta à mes côtés plusieurs années, m'aidant dans mon rôle pesant. Nous nous sommes soutenus au mieux les premiers mois, quand la douleur de nos pertes respectives refluaient et nous plongeaient dans une tristesse infinie. Il a dix ans, fatiguée par la politique, elle me laissa seule à mon poste, et disparut dans les profondeurs inconnues de notre continent. Elle m'annonça qu'elle devait retrouver deux de ses plus vieux amis (le jeune volle du village sans nom et le dragon divin). Je la laissai partir et ne la revit plus non plus. Notre groupe, si soudé pendant le combat, avait éclaté morceau par morceau, brisé par la mort et les souvenirs. Quelques semaines plus tard, je décidai de laisser mon poste à un jeune homme ambitieux, né après la guerre, qui me parut le candidat idéal pour perpétuer le renouveau d’un monde sans Melbu Frahma. Le chef Giganto aussi avait été remplacé à sa mort par son propre fils, alors que les représentants minitos se succédaient fréquemment, soumis à la loi démocratique minito. Je laissais à ce jeune humain un monde en reconstruction, un monde que je croyais fraternel et aussi optimiste qu'au lendemain de la guerre.

Dix ans se sont donc écoulés depuis cette succession et ma retraite de la vie politique d'Ultimesse. Pas un jour ne passe sans que j'ai une pensée pour mes amis dragoons, Zieg, Rose, Kanzas, Shirley, Albert, notre chef Diaz et bien entendu mon deuxième père Balzac. Pas un jour sans que je sente au fond de mon estomac la flèche de glace transpercer brusquement la vie de celui qui m'en avait rendu le goût. Pas un jour sans que je pleure notre chef Diaz qui ne vit même pas sa plus belle victoire se réaliser.
Malheureusement, les années passent et les survivants de la guerre disparaissent un à un, négligeant pour certains de rappeler à leurs progénitures l'importance de notre histoire. Étant parmi les plus jeunes pendant la guerre, et sentant ma longue vie s'essouffler peu à peu, je crains que les survivants ne soient plus très nombreux, tout comme je crains que les nouveau-nés oublient vite les leçons de notre passé.

Après dix ans à la tête du conseil, mon protégé fit la première erreur de sa carrière. Promis à d'autres occupations, il souhaitait se rapprocher de sa famille, il nomma à sa place un de ses fidèles lieutenant, qu'il croyait de confiance. Quelques jours plus tard, le conseil se sépara de ses quelques conseillers voliens. En deux semaines, la race humaine fut proclamée supérieure et les gigantos et minitos se virent expulsés des toutes les administrations. La chasse au volien, autrefois abandonnée dans les heures qui suivirent la chute de Frahma, reprit avec ferveur.
Aujourd'hui, de nouvelles lois sont mises en place, renforçant chaque jour un peu plus la domination insupportable des humains sur Ultimesse. Les massacres de notre passé reprennent, si ce n'est que les massacrés ont changé de race. L'arbitraire reprend ses droits, la haine retrouve les cœurs, l'optimisme a disparu.
Je quitte ce monde sans remords. Je serai pour toujours fière d'avoir combattu aux côtés de ceux qui ont permis la chute du pire fléau que notre monde ait compté. J'espère seulement que nous autres humains ne devenions pas pire fléau que Melbu Frahma, car cette fois-ci il n'y aura personne pour nous en empêcher.