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Le miracle du lac

Summary:

Et si Fodlan n'avait pas dit son dernier mot après la victoire d'Edelgard ?

Faerghus a su renverser la conquérante mais beaucoup reste à faire. Veuves de Dimitri et Felix, Gladys et Vigdis mènent le pays vers un avenir meilleur.

La reine du lac et la dame Bouclier rendent visite à Indech qui les a aidées dans leur victoire. L'eau apaisera-t-elle les brûlures de la guerre ?

Notes:

Bonjour à tous :)

Ceci est un texte dérivé de ma fanfiction principale "Quatre guerrières". Il est conseillé, mais pas obligatoire, d'avoir lu cette dernière pour mieux connaître les personnages. Il s'agit ici d'imaginer mes héroïnes dans la continuité de CF.

Ce qui m'emmène tout de suite à une précision importante : il s'agit d'un CF où Edeglard a perdu et a été renversée. Je dépeindrai ici ma vision du personnage : soit une conquérante brutale et une vraie méchante. Si vous aimez Edelgard ou CF en tant que tels, je ne vous recommande donc pas cette lecture. Mes choix ne découlent pas d'une quelconque volonté de "bashing" ou défouloir. Il s'agit simplement de ce que je trouvais le plus logique pour le déroulement de mon histoire.

Quelques références supplémentaires pour que vous ne soyez pas perdus :

-Sichilde est la grand-mère paternelle de Dimitri et a été reine régnante de Faerghus (une espèce en voie de disparition dans Houses et Nopes, enfin même pas parce que pour être en voie de disparition il faut exister). Souveraine particulièrement habile, son règne est considéré comme un âge d’or. Son ombre plane désormais sur tous ses descendants qui devront ainsi se mesurer à elle. Vous pouvez la voir dans mon texte "La lionne et le lionceau".

-Aoife (prononcé en gros “I-fa”) est la fille de l’oncle de Felix.

-L’académie reine Maude n’est autre que l’académie de sorcellerie de Fhirdiad.

-J’ai ajouté une faction d’Agarthais opposés à Thalès. Ismène, mentionnée dans ce texte, en fait partie. Possédant également des ascendants humains, elle est en quelque sorte un lien entre les deux peuples et a prêté son aide aux résistants grâce à ses connaissances en médecine. Et elle est aussi...la fille adoptive d'Anselma von Arundel, que les siens ont recueillie après Duscur.

-La chanson associée à Maeve est toujours Homo Fugit Velut Umbra de Stefano Landi.

Bonne lecture ! Et n'hésitez pas si vous avez une question.

Chapter 1: Gloria Regali

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Gloria regali
Peace and understanding
Forever may you reign

- Gloria Regali, Tommee Profitt feat. Fleurie

 

La camériste attacha le fermail du manteau bleu sombre réhaussé d’hermine. Le surcot ouvert que Gladys portait en dessous reprenait les armoiries faerghiennes et une ceinture sertie de gemmes soulignait ses hanches.

La femme lui tendit ses bijoux. Vigdis l’avait choisie personnellement et elle avait été, comme tous les membres de la suite, formée à défendre sa reine en cas de danger. Gladys se passa la bague-sceau au doigt. Tout monarque se devait d’incarner le prestige et la puissance. Sans cet impératif, la jeune femme se draperait sans doute encore de noir.

Elle ceignit enfin la couronne ornée de saphirs, laquelle avait appartenu à l’illustre Sichilde et survécu au sac de la capitale. Pie avide, Edelgard l’avait ajoutée à son trésor personnel afin de proclamer sa grandeur. Ce trésor était heureusement de retour chez lui.

Gladys s’inspirait de Sichilde, mais ne comptait pas l’imiter en tout. Elle était le capitaine qui mènerait le Royaume vers un nouvel âge d’or. Ses objectifs ne la quittaient jamais : améliorer les infrastructures, moderniser les hôpitaux et les écoles, assister Duscur dans la reconstruction de ses terres, renforcer les accords diplomatiques sans négliger sa défense.

Fin prête, elle traversa le couloir. La porte de la salle du conseil s’ouvrit grand.

— La reine ! clama le héraut, avec la force d’un cor.

Gladys Rusla Blaiddyd, première du nom, reine régnante de Faerghus, prit place sur son trône, puissante et sûre de sa mission.

*

Les sujets importants défilèrent l’un après l’autre. Gladys se redressa et parcourut l’assemblée de ses yeux de rapace.

— Je vais partir en pèlerinage, déclara-t-elle. La fête de saint Indech approche et je la passerai au lac Teutates. Nous devrons en effet lui rendre grâce pour sa bénédiction.

Sa légitimité dérivait fortement de cette association sacrée. Elle était la reine venue du lac, à qui le saint avait confié l’Inépuisable. Tous se souviendraient ainsi de cette prestigieuse cérémonie et sa légende en serait renforcée.

Sa main épousa l’accoudoir.

— Faerghus est stable. Les relations avec nos voisins également, plaise à la Déesse. Le moment est venu de voir l’état de mon Royaume et de rencontrer mon peuple. Je ne peux pas gouverner correctement en restant cloîtrée derrière les murs de Fhirdiad. Nos gens ont tant souffert ! Il est temps que leur reine vienne à eux.

Son ton impérieux et son port de tête hiératique prouvaient sa conviction. Son discours maîtrisé dévoilait une décision mûrement réfléchie.

Le moment était venu que le peuple la voie, mette un visage sur ce nouveau nom, s’attache à ce nouveau régime.

D’un geste de la main, elle incita ses auditeurs à prendre la parole.

— Votre majesté ne devrait pas négliger sa sécurité, commença Jehan. Il est de plus peut-être tôt pour quitter la capitale, avec tous les travaux que nous avons en ce moment.

— Vous avez raison. Je partirai avec une garde conséquente. La dame Bouclier choisira les plus aptes, approuva-t-elle avec un hochement de tête et un léger sourire.

— Rassurez-vous, messire, la reine sera entourée de nos meilleurs guerriers, répondit sereinement Vigdis.

— Quant à l’avancement de nos projets, certains d’entre vous m’accompagneront. Nous continuerons ainsi à travailler en route et sur place, expliqua la souveraine, une vive lueur dans le regard.

Cette idée lui venait de l’ambassadrice Sreng, Goulayim, qui lui avait expliqué que la reine Alaqaï maintenait à ses côtés un véritable gouvernement nomade.

— La capitale sera laissée entre de bonnes mains. Faîtes entrer le duc, ordonna-t-elle aux gardes.

Philippe Léandre Fraldarius les rejoignit. Ayant renoncé à son titre d’évêque pour remplacer son défunt frère, il portait désormais les couleurs de sa maison et un ruban bleuté maintenant sa queue-de-cheval.

Son regard cristallin évoquait toujours Rodrigue à Vigdis. Philippe n’était cependant pas un sosie de son aîné. Plus petit, longiligne, ses traits étaient d’une grande délicatesse. L’on racontait qu’il ressemblait beaucoup à sa défunte mère. Après avoir salué la reine, il prit place à côté de sa nièce. Les deux Fraldarius échangèrent un signe de tête discret.

— Messire Philippe gérera les affaires de Fhirdiad en mon absence, trancha Gladys.

Une étincelle de satisfaction la traversa. En gardant sa venue secrète jusqu’au dernier moment, elle avait pris de vitesse d’éventuels conspirateurs.

Qui était mieux qualifié que l’un des piliers de leur rébellion ? Celui qui avait affronté toutes les difficultés, les avait soutenues inconditionnellement ? Philippe était un redoutable stratège et meneur d’hommes, doublé d’un gouverneur habile. « Je me suis toujours préparé à soutenir Rodrigue s’il avait besoin de moi », lui avait-il expliqué. Sagace, éloquent, il saurait trouver son chemin dans une mer de mensonges.

Gladys ne se reposait pas uniquement sur lui. Elle avait prévu de revenir au plus vite si la situation tournait mal. Un bon réseau était un atout essentiel. Bien qu’il lui coûtât de ne plus avoir sa mère à ses côtés, Amalia gérait à merveille le domaine royal.

 La frontière était toujours défendue par Leopold Henri Gautier et son épouse Orsolya. La santé de cette dernière l’inquiétait néanmoins. Ébranlée par la perte de son fils cadet, la margravine avait courtisé la mort, faisant fi de toute prudence lors des combats. Cependant, elle avait su se ressaisir pour protéger ce qui restait de sa famille. Gladys espérait que cette éclaircie durerait. Recueillie par le couple après la mort de Sylvain, son amant, Ismène prenait son rôle d’héritière de la marche très au sérieux. 

— Si vous n’avez rien à ajouter, la séance est close, conclut la reine.

*

Aoife jouait machinalement avec son collier. La magicienne avait toujours aimé le clinquant mais son goût pour les parures s’était accentué depuis la fin de la guerre. Une tentative de compenser les mois de privations, de revenir à la normale avec une armure étincelante ? Son bureau était en pagaille, son travail pour l’académie reine Maude l’absorbait. Gladys avait accordé une priorité à sa reconstruction et à son amélioration. La dame du vent avait étudié à Morfis et l’un de ses premiers projets en tant que reine avait été de doter Faerghus d’une école de magie. Un tel lieu de savoir était en effet un atout crucial.

— J’ai quelque chose pour Alban, annonça Vigdis.

Elle tendit un tissu brodé d’un superbe oiseau de paradis déployant ses ailes aux nuances ignées sous un soleil généreux. Des fleurs fantasmagoriques offraient leurs corolles à ses rayons.

N’aimant guère se trouver en compagnie d’enfants et sans trop d’expérience en la matière, Vigdis avait longtemps réfléchi. Puis, elle s’était souvenue du type de cadeaux qu’elle aurait aimé recevoir, des légendes dont les membres de la troupe l’avaient bercée.

La générale s’était sentie au début sentie stupide de broder une telle scène onirique, utopique, avec toutes les horreurs qui rodaient. Mais la jeune femme avait persevéré. L’aigreur s’était dissoute, elle avait retrouvé la joie de créer, de convoquer la beauté, de réinventer le monde selon ses termes.

L’exclamation de surprise d’Aoife et sa manière de le parcourir du doigt avec un émerveillement enfantin la réjouirent.

— Quel bel oiseau, ta broderie raconte une histoire avec les enchanteurs qui l’invoquent ! Merci mille fois, Vigdis ! Je suis sûre qu’Alban va l’adorer….

Sa première impression de sa cousine par alliance avait été celle d’une personne taciturne, uniquement intéressée par les armes. Qui aurait cru que de telles visions dormaient dans son esprit ?

— Je l’espère. Comment ça se passe avec lui, d’ailleurs ? s’inquiéta l’épéiste.

Aoife lui avait en effet fait part d’inquiétudes par rapport à son fils. La magicienne passa la main dans ses mèches acajou et se massa les tempes.

— Ah ! Il reste assez craintif et.. j’ai toujours les mêmes craintes, grimaça-t-elle Quand Marieke le prend dans ses bras, j’ai encore l’impression qu’il est plus à l’aise qu’avec moi, que c’est son refuge et je suis tellement frustrée de ne pas pouvoir passer plus de temps avec lui. Me voit-il simplement comme une étrangère de passage ?

Son doigt bagué heurta le bureau. Alban avait été sa plus grande joie et sa plus terrible douleur. Il était né peu après la chute de Fhirdiad. Aoife et son époux, Pierre, alors en fuite, l’avaient confié  à la famille de Marieke, la gouvernante. La place d’un nouveau né n’était pas dans un camp militaire. Mieux valait le dissimuler dans la masse, le faire élever comme un enfant ordinaire. L’impératrice Edelgard rêvait de neutraliser les grandes familles du Royaume et faisait preuve d’un zèle méthodique. N’avait-elle pas exécuté Rufus simplement pour ce qu’il représentait ?

Les instants suivant sa naissance étaient gravés dans la mémoire d’Aoife. Après avoir bataillé pour lui donner le jour, elle avait enfin tenu son fils tant désiré. Une félicité sans égale, un orgueil de démiurge, l’avait envahie malgré l’épuisement et le sang poisseux sur sa peau.

Elle avait serré Alban contre sa poitrine pour tromper le temps et se mentir. La magicienne avait voulu supplier, une marée s’était massée au coin de ses paupières : « encore un peu, pitié encore un peu ». Mais il était déjà trop tard. On lui avait ouvert la poitrine pour lui retirer le cœur, perforé le ventre pour répandre ses tripes. Aoife s’était trouvée plus bas que terre, boue, poussière. Juste une masse sanglotante dans les bras d’un mari pleurant lui aussi.

Elle était ensuite repartie au combat, mais aucun jour n’était passé sans penser à son fils. Le doute la tenaillait désormais. Gladys avait ensuite appris qu’Edelgard la traquait par crainte qu’elle ne porte l’héritier de Dimitri. L’archère avait rejeté la tête en arrière et eu un rictus méprisant :

Elle mériterait que je lui envoie les linges souillés par mon sang menstruel ! Qu’est-ce qu’elle s’imagine ? Que j’avais envie de ça maintenant ? Moi, mère ? Comment est-ce que je pourrais m’occuper de quelqu’un d’autre alors que je dois déjà lutter pour prendre soin de moi ?

Aoife et Pierre étaient tous les deux revenus blessés, hantés. Ils se retrouvaient face au défi d’être de bons parents en accusant le contrecoup de l’exil, de la traque, de la présence permanente de la mort. Les paroles de la reine prenaient désormais un tout autre sens.

La honte lui fit l’effet d’une gifle. Comment osait-elle se plaindre devant Vigdis ? La magicienne avait encore son mari et son fils. La générale n’avait eu qu’une union trop brève. Avait-elle seulement eu le temps de se poser la question de fonder ou non une famille avec Felix ?

— Tu pourras bientôt lui consacrer plus de temps. Nous avons fait d’énormes progrès. C’est normal de tâtonner en tant que nouveau parent il me semble. Et puis ton père est là.

— Tu as raison, je suis simplement fatiguée et ça me fait broyer du noir. Je n’aurais jamais d’autre enfant, je veux m’occuper correctement de lui et rattraper le temps perdu. Il n’a pas d’emblème ? Et alors ! J’emmerde le monde, martela-t-elle, louve féroce. Je suis dame Fraldarius et j’agis comme il me plait !

Vigdis se contenta de hocher la tête, un sourire complice au coin des lèvres. Les deux cousines partageaient le même état d’esprit.

Aoife riva ses yeux aquatiques sur elle.

— Ne t’en fais pas. La capitale est en sécurité avec nous ici.

— Ne te perds pas trop dans tes équations, taquina la guerrière en retour. Prends soin de toi et de ta famille.

*

— Mon oncle, salua Vigdis avec chaleur. Merci d’être venu.

Sa présence suffisait à la mettre à l’aise. La jeune femme n’oublierait jamais ce qu’elle lui devait. Le duc l’avait arrachée au cadavre de Felix par un sortilège, l’avait traînée hors de la fosse commune qu’était devenue Arianrhod. Malgré sa propre douleur, Philippe avait veillé à ce qu’elle se nourrisse et ne se néglige pas. Le guérisseur avait fait preuve d’une patience de saint pour communiquer alors qu’elle gardait les lèvres cousues, coquille vide dont l’âme était restée dans la forteresse.

— Je peux sereinement confier le duché à Mairin. Tu es parfaitement à l’aise dans ton rôle, dame Bouclier. Moralta te sied bien.

Issue d’une famille de marchands de l’Alliance ayant acheté un titre de noblesse, l’actuelle duchesse était une habile gestionnaire. Ses talents s’étaient révélés cruciaux pour soutenir leur effort de guère.

Emue, Vigdis se contenta simplement d’un « merci » étouffé. Sa main alla chercher le pommeau de son arme. Elle voulait croire que l’amour de Felix et la bienveillance de Rodrigue l’accompagnaient toujours. Qu’ils la protégeraient la soigneraient.

Elle était si heureuse d’avoir pu la conserver ! Son premier réflexe avait été de rendre l’épée à Philippe car elle lui revenait de droit. Mais l’évêque avait posé ses mains sur les siennes, lui intimant gentiment de ne pas la lâcher.

Garde-la. Je suis particulièrement mauvais avec une arme blanche. Tu peux la manier quand même et je suis sûr que c’est ce que Felix aurait souhaité.

La lame faisait désormais partie intégrante de sa légende de bouclier de Faerghus. L’on se souvenait de sa lumière menant les troupes, dansant férocement au cœur de la mêlée. Vigdis l’avait brandie pour vaincre les régiments de la générale Ladislava et piéger l’impératrice lors du siège d’Enbarr. L’image de cette veuve reprenant l’arme de son époux pour le venger émouvait les cœurs Faerghiens.

— Tu me rappelles ma tante Valéria, conclut Philippe.

La mélancolie suintait sous le verni de son sourire. Vigdis savait que son oncle aurait préféré retourner à son évêché. Malgré ses capacités, il n’avait aucune vocation de guerrier ou de politicien. Il accomplissait pourtant son devoir, comme le ferait Aoife lorsque l’heure viendrait.

*

Vigdis termina d’entretenir son équipement et rangea la lame. Elle s’approcha de la fenêtre. L’astre nocturne surplombait une mer d’encre. Ce disque, qui adoucissait l’obscurité, la fascinait. La lune avait-elle froid toute seule là-haut ? Son esprit s’égara.

Felix tenait fermement sa main, affirmant qu’il ne la lâcherait jamais et se battrait pour elle contre le Royaume entier s’il le fallait. Vigdis ne se faisait guère d’illusions quant à la réaction de messire Rodrigue. Artiste devenue guerrière, elle n’avait rien d’un bon parti pour un duc. Elle se prépara donc à la confrontation. L'épéiste n’était certes pas à l’aise pour exprimer ses émotions, mais savait gérer l’opposition. Elle se défendrait sans manquer de respect au seigneur des lieux.

Si sa présence étonna Rodrigue, il n’en laissa rien voir et attendit que son fils lui explique la raison de leur venue.

Père, voici Vigdis Auber. Elle fait partie de nos troupes et sert avec distinction. Cela fait un certain temps que nous nous voyons elle et moi…et nous voulons continuer à lutter côte à côte pour le restant de nos jours. Nous allons nous marier.

Cette certitude, cet absolu : tout Felix résumé une phrase. C’était pour cela qu’elle l’aimait, après tout. L’attitude du jeune homme, avec son regard dur et sa tête relevée, restait empreinte de défi. Lui et son père venaient après tout seulement de se réconcilier. La soldate le soupçonnait d’avoir maintes fois répété ce petit discours.

Une seconde de silence passa, étouffante. La combativité de Felix sembla glisser sur le duc, sans doute trop habitué aux bravades de son fils pour s’en offusquer. Il eut un sourire affable :

Enchanté de faire votre connaissance, Dame Vigdis. Je vous en prie, asseyez-vous et conversons un peu.

Rodrigue les questionna sur les circonstances de leur rencontre sans se montrer trop intrusif. Puis, il demanda à Vigdis de lui parler un peu d’elle. Il lui était toujours aussi difficile de s’ouvrir ainsi à un inconnu, mais elle consenti à cette effort, ayant déjà réfléchi à ses réponses. La conversation dériva ensuite sur ses voyages passés, sur les différences entre le Royaume, l’Alliance et l’Empire, sur ce qu’elle y avait préféré. En terrain connu, elle se détendit peu à peu.

Vigdis pressa gentiment la main de Felix : « je crois que tout ira bien. »

Rodrigue prit l’habitude de les convier fréquemment à des discussions stratégiques, de leur présenter des problèmes de gouvernance. La soldate écoutait et apprenait. Elle n’avait jamais envisagé de devenir duchesse, mais l’envisagea comme une sorte de très haut gradée ou de générale. Un chemin qui lui convenait. Le duc notait et appréciait ses progrès, la guidait sur ce chemin escarpé.

Elle le croisa un soir sur les remparts, tandis que le soleil disparaissait derrière une tenture de nuages cramoisis. Il ne faisait ni jour, ni nuit. C’était l’heure entre deux mondes.

Je suis heureux que Felix t’ai rencontrée,confia son aîné. Qu’il accepte de s’engager ainsi montre qu’il a beaucoup évolué. Tu as une influence positive sur lui.

Il a aussi fait beaucoup de progrès par lui-même, objecta Vigdis. Mais… je suis aussi heureuse d’être à ses côtés.

Rodrigue sourit, mais un voile de tristesse passa devant son regard. Il paraissait contempler une lointaine mer de souvenirs.

Marcia et moi…étions partenaires en toutes choses. J’en sais qu’il en sera de même pour lui et toi, je suis rassuré, déclara-t-il, solennel.

Vigdis vit la blessure sous le calme et la maîtrise, l’ombre qui planait au-dessus de lui. Elle la reconnut car elle était identique à la sienne. Les mots lui manquèrent. Ils s’échappaient toujours dans ces situations, avalés par un abîme béant.

Je me montrerai à la hauteur, affirma-t-elle néanmoins d’une manière presque militaire.

Rodrigue les ramena vers un autre sujet :

En entrant dans une famille noble, tu recevras un second prénom. Celui-ci est normalement choisi à la naissance par les parents. Compte-tenu de ton âge, je n’oserai pas t’en imposer un. Y as-tu réfléchi ? Je peux t’aider à chercher si tu le souhaites.

Un peu, mais un nom ne se choisit pas à la légère. Que me suggéreriez-vous ? 

Ses responsabilités avaient occupé tout son temps et elle s’évadait dès qu’elle le pouvait avec Felix. Aussi la question était-elle passée au second plan. « Vigdis » était  le prénom de son choix, qui résumait son nouvel état et tous les aspects de son existence. Qu’ajouter à celui-ci ?

Vigdis Estelle, offrit  Rodrigue. Vigdis Estelle Fraldarius. Je trouve que cela sonnerait bien.

Elle se figea, laissa le prénom glisser sur elle, envahie d’une impression de certitude. Une évidence presque inexplicable s’imposa. Les sonorités lui plaisaient et la signification était des plus flatteuses, une référence à l’ancien nom de sa troupe, un symbole de lumière et d’espoir ! La jeune femme retrouvait dans le regard, dans la voix de Rodrigue, la tendresse d’un père. Elle venait, après une longue errance, de trouver sa maison.

Je vous en remercie, je serai désormais Vigdis Estelle.

Revenue au présent, elle s’arracha à sa contemplation :

— Messire Rodrigue, je veux être aussi forte que vous, pour le Royaume…et pour continuer à vivre, souffla-t-elle avec l’obscurité pour seul témoin.

*

Les armoiries du Royaume et celles de Gladys, deux ailes d’argent sur champ d’azur, surmontées d’une couronne d’étoiles, claquaient sous le vent. Chevauchant à ses côtés, drapée dans une cape ornée de l’emblème des Fraldarius, Vigdis reliait l’ancien monde au nouveau.

Armée d’une épée et de l’Inépuisable, la souveraine était prête à entreprendre son voyage. Son amie avait fait des merveilles. La garde royale se déployait en une habile formation. Gladys observa ses conseillers qui prenaient place avec leur suite. Elle n’avait sélectionné que les plus fiables d’entre eux. Certains lui devaient tout, comme cette femme issue d’une famille mineure qu’elle avait élevée en vertu de ses compétence, ou ce véteran blessé dont les stratégies n’avaient jamais fait défaut. Il y avait aussi cette illustre dame, à l’ascendance irréprochable et à la loyauté éprouvée.

Le convoi se mit en marche. La vue de cette nouvelle capitale était un élixir de guérison. Les rues avaient retrouvé leur dynamisme, la place du marché débordait de couleurs, les cloches des églises sonnaient  gaiement…Ce n’était que le début. Gladys avait encore de nombreux projets en tête. Dimitri n’était plus là, mais elle allait réaliser leur rêve d’un Royaume prospère où chacun pourrait un jour faire entendre sa voix.

Son corps s’affola soudain, ses poignets étaient gourds et sa poitrine comprimée. Un puissant vertige la saisit. Ils approchaient de Tailteann. Et Gladys, qui avait fait face sans ciller aux bêtes démoniaques, fut saisie par la peur. Les secondes ralentirent, devenant une torture. Elle se tourna vers Vigdis, devinant que son amie partageait le même tourment. Traits semblables à ceux d’une statue, la posture rigide, l’épéiste passa une sa main devant ses poumons : « respire ».

Gladys se ressaisit. La reine connaissait la peur, allait l’affronterait et traverserait malgré tout. Ce ne serait pas la première fois qu’elle la vaincrait. La souveraine se dressa sur ses étriers. Un vaste espace désolé, parcouru par un vent plaintif, leur faisait face. Difficile d’imaginer qu’une sanglante bataille s’y était déroulée. Mais les morts dormaient sous leurs sabots, ce lieu n’était qu’une vaste sépulture. Il se murmurait que les combats reprenaient la nuit, que des fantômes erraient en se lamentant sur leur sort, leur apparence reproduisant les blessures qui leur avaient été infligées.

Les spectres hantaient déjà le cœur de la souveraine. Elle revivait l’agonie d’avant la bataille à l’écoute récit de la fin de Claude von Riegan et Mencia Ordelaffi. De nombreuses variantes y avaient été ajoutées avec le temps, mais la trame principale restait toujours la même.

Les combats furent si violents qu’ils rougirent  les canaux de la capitale aquatique. Des cadavres y flottaient partout où l’on passait. Le grand-Duc résista tant qu’il le put mais il fut acculé avec ses derniers fidèles. Pendant le combat, l’impératrice fit prisonnière la fiancée de Claude, Mencia Ordelaffi. Et tandis que Claude tentait de parlementer, elle la fit amener. Aussitôt, la captive la supplia d’épargner la vie du grand-Duc. Celui-ci pria en retour la vainqueure de laisser partir sa dame. Mais Edelgard ne les écouta pas car elle savait qu’ils étaient trop dangereux vivants. Faisant tournoyer Aymr aux mâchoires affamées, elle décapita Mencia avant d’envoyer Claude la rejoindre.

Dans ses cauchemars, Dimitri et elle étaient devenus les protagonistes de cette macabre scène. Gladys s’était juré, malgré l’angoisse qui lui dévorait les tripes, de ne pas laisser cela arriver, de se battre de toutes ses forces jusqu’au dernier souffle.

Elle avait échoué. La tête de son bien aimé avait à son tour roulé dans la boue. Lui qui était promis à un si brillant avenir avait connu une mort des plus ignobles. La vraie sépulture de son amant était ici, son corps avait été laissé sur place, sa tête avait rejoint les charniers après avoir été exposée. Gladys se sentait amputée d’une partie d’elle-même, un morceau de son cœur s’était nécrosé.

La reine ne refoula ses larmes qu’en interposant une autre image. Justice avait été rendue. Elle revit Edelgard courir vers eux, son épée enflammée étincelant à travers le rideau aquatique, son visage un masque de fureur pure. Mais l’orgueil de la conquérante venait de la perdre, elle était tombée dans un piège où sa force ne suffisait plus. Gladys sentit de nouveau le poids de la lame dans sa main, prête à mettre fin à ce cauchemar.

Edelgard était à terre, blessée, pantelante, un flot de sang sous elle. Bouche tordue en un rictus, Gladys l’agrippa par les cheveux afin de l’immobiliser. Sa rage étouffait toute autre pensée. La conquérante n’insulta ni ne supplia. Elle fit face, goguenarde. L’archère allait peut-être l’occire mais ne lui enlèverait jamais sa dignité. Ses yeux étaient des poignards, deux astres maléfiques irradiant de haine pure. Seule la mort pourrait éteindre cette flamme. Gladys agrippa l’arme à deux mains, y mit tout le poids de son corps, de sa rancœur, et d’un coup féroce, envoya rouler la tête de son adversaire, mettant ainsi un terme à cette macabre moisson. Une seconde passa avant qu’elle ne prenne pleinement conscience de ce qu’il venait de se produire. Une jubilation féroce, sauvage, l’envahit.

Edelgard était morte ! Enfin ! Elle avait fait face en impératrice, sans trembler, et ses paupières ouvertes la fixaient toujours, comme pour la narguer encore :  « tu m’as tuée, mais cela ne te rendra jamais ce que je t’ai pris » . Peut-être bien. Mais le soulagement demeurait. C’était fini ! Elle l’avait fait, pour Dimitri, pour Maeve, pour Felix, pour Dedue, pour Sylvain, pour Claude et Mencia…pour tout Fodlan. Cette femme ne pourrait jamais plus détruire. Victoire ! Victoire !

L’ambition de l’impératrice avait enflammé le continent. Elle tué son ancienne professeure et lui avait dérobé l’épée du Créateur. La mort d’Hubert von Vestra lors de la prise de Fhirdiad ne l’avait pas empêchée de continuer seule. Elle avait manipulé les Serpents des ténèbres avant de se débarrasser d’eux. Quelle adversaire terrifiante !

Fodlan s’était heureusement relevé. Gladys et ses alliés, Ferdinand von Aegir, la table ronde de l’Alliance et la reine Alaqaï empêcheraient que cela se reproduise. Et ce fut sur cette résolution qu’elle pressa sa monture vers l’avant en une promesse à Dimitri, si proche, mais si loin d’elle.

Une nouvelle épreuve les attendait en dépassant le monument aux défenseurs, recouvert de fleurs et de guirlandes votives. La brise chantonnait en les agitant et elles entendirent presque la voix de Maeve. Gladys était persuadée que son amie avait eu un pressentiment. Son humeur s’était assombrie au fil des jours, elle paraissait porter un secret trop lourd, un poison qui l’émaciait, l’affaiblissait.

Le jour de l’assaut, Maeve avait soigneusement attaché ses cheveux, noirci ses paupières, rougi ses lèvres et mit sa plus belle tunique sous son gambison. Elle avait voulu faire sa sortie avec dignité. Que disait cette chanson qu’elle fredonnait parfois ? Ah oui :

On meurt en chantant,

on meurt en jouant

de la cithare, ou de la musette,

Il faut bien mourir.

On meurt en dansant,

en buvant, en mangeant ;

avec cette charogne

Il faut bien mourir.

La musicienne s’était rendue sans trembler au combat, avait consommé son union avec ses flammes. Imaginer ses derniers instants emplissait Gladys de détresse et d’angoisse. Son amie avait vu Dedue se changer en bête démoniaque, être bombardé de sortilèges par les mages noirs, criblé flèches et de javelines puis abattu en une véritable boucherie. Les soldats impériaux avaient continué leur avancée et Maeve s’était trouvée sur leur chemin.

Gladys était en train de se démener pour repousser ses adversaires lorsqu’elle avait vu la lumière, brève et intense. Le jour s’était soudain levé. Une colonne de flammes était apparue, une fleur meurtrière avait éclos anéantissant tout un bataillon avant de disparaître. Le dernier sortilège de Maeve. Leur amie était morte comme elle avait vécu : en défiant l’empire.

Il se disait que son corps avait tout simplement disparu, qu’elle s’était dissoute. Gladys sentit son estomac se contracter. Impossible de l’accepter même après tout ce temps. Maeve avait été si vivante, colorée et lumineuse. Comment le néant avait-il pu la prendre ? Avait-elle souffert ? Quels sentiments avaient occupé son esprit ? Horreur, détresse, colère, résolution ? Tout cela à la fois ? Impossible à dire, le luth muet avait brûlé avec Fhirdiad.

Gladys avait maintes fois consolé Maeve et l’avait fait rire. Vigdis avait toujours posé sur son épaule et l’avait sauvée lors de leurs premières missions missions. Leur petite sœur les avait protégées à son tour et était partie en héroïne.

« Nous ne t’oublierons jamais. Je te le promets en tant que reine, je ferai vivre ta mémoire » se jura l’archère.

Devant un tel spectacle, Vigdis voulait retrouver la foi de son enfance, lorsqu’elle croyait que la beauté de ce monde, du soleil sur la mer, l’arrangement du firmament étaient la preuve formelle de l’existence de la Déesse. Hélas, la guerre et les révélations d’Indech y avaient porté un coup sévère. Sothis était morte.

Une graine d’espoir demeurait. La créatrice était un être au-delà du temps, des conceptions et limites humaines. Pouvait-on de plus vraiment tuer une divinité ? Son esprit vivait peut-être encore. Il était donc possible que le ciel ne soit pas vide.

Elle l’espérait de tout son cœur, en un cri, un appel désespéré. Qu’importait le nom de ceux qui les regardaient, qu’ils soient de Duscur, Sreng, Almyra, de Dagda ou encore la déesse souterraine aux trois visages d’Ismène. Maeve pourrait ainsi trouver une forme de consolation, être réunie avec Dedue dans l’après ou dans une autre vie. Le contraire aurait été trop horrible.

« Et que je puisse revoir Felix, lui parler…juste une dernière fois…» se lamenta-t-elle face au vide de son âme.

Mais c’était aussi cela croire : garder la foi sans preuves en attendant la dernière heure où tout serait révélé.

Notes:

J'espère que ce début vous a plu ! Cela fait plus d'un an que j'ai écrit ce texte, mais j'ai eu grand plaisir à le revisiter pour le poster ici. C'était la première fois que je faisais apparaître certains personnages que l'on voit dans la trame principale. Et puis, j'ai adoré dépeindre Gladys et Vigdis dans leur rôle de reine et générale !

Certaines attitudes des personnages concernant le fait d’avoir ou non des enfants ou de perpétuer ou pas la lignée auront peut-être semblé quelque peu “”modernes”” ou bien en contradiction avec ce qui est présenté dans le jeu. C’est totalement assumé de ma part. La pression, l’obligation de faire des enfants est un sujet particulièrement anxiogène à écrire pour moi.

La seconde partie arrive demain ! D'ici-là, n'hésitez pas à me laisser un commentaire ou un kudo si vous avez apprécié !

Chapter 2: La paix du lac

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

In your heart, in your soul, did you find peace there?

-Full Circle, Loreena Mckennitt 

Le reste du voyage se déroula sans encombre. Les Fhaerghiens étaient heureux de les voir. La paix et la prospérité étaient les bienvenues après des années de chaos. Peu importait finalement que la nouvelle reine ne soit une Blaiddyd qu’en nom : l’ancien monde était mort.

Gladys avait veillé à ce que des conteurs et des artistes disséminent son histoire. Il lui fallait se créer un mythe, tout comme le fondateur de leur Royaume. 

La reine était heureuse de se retrouver au contact des gens ordinaires, ceux qui construisaient, labouraient, faisaient vivre ses terres. Elle avait vécu à leur manière, partagé leurs peurs, leurs rêves. Elle gouvernait pour eux et les écouta attentivement.

Ces rencontres ramenaient des souvenirs d’une époque plus simple. La jeune femme se revit au bord de l’eau avec Owain, à faire des ricochets et eut une esquisse de sourire.  « Eh bien papa, si on nous avait dit j’allais finir par régner…je crois qu’on se serait mis à rire ». « Je suis fier de toi, ma grande », l’entendait-elle presque dire en réponse.

Un jour, elles se déguisèrent en simples fantassins et se mêlèrent afin d’écouter des avis honnêtes. Leurs interlocuteurs n’y virent que du feu et la promenade revêtit presque des allures de jeu.

La vue des champs, même en plein jour, réveillait sa mélancolie. Elle et Dimitri s’étaient promis de s’y promener. Ils auraient dû courir vers l’horizon, gouttant le vent de la liberté sur leurs visages. Tout cela leur avait été dérobé. La nature poursuivait malgré tout son rythme, indépendamment de toutes ces horreurs. Cette évidence, cette puissance tranquille bouleversa Gladys et Vigdis.

*

Un souffle sur sa joue éveilla Gladys.

Ma dame bien-aimée…

Elle tressaillit devant cette voix reconnaissable entre mille. Comment…?

Ces mèches d’or, ce regard aimant, cette stature puissante mais rassurante…Dimitri ! Une grande main calleuse enveloppa sa joue. Retrouver ces doigts si doux, attentifs au moindre frisson, l’écartela entre joie et agonie. Elle se précipita pour l’étreindre, oublier la mort ici et maintenant…

Ses mains ne saisirent que de la fumée.

La reine s’éveilla pour de bon, yeux grands ouverts dans le noir. Sa couche était froide…et vide. Des larmes brûlantes roulèrent sur ses joues. Elle s’assit, lâcha une bordée de jurons pour évacuer sa rage et agrippa le drap de toutes ses forces.

Gladys avait tant entendu d’histoires de soldats morts qui revenaient faire un dernier adieu à leur famille. C’était le genre de récits que l’on racontait pour se faire frissonner à la caserne, même si certains affirmaient avoir vécu ce genre de rencontres.

« Ce n’était qu’un rêve » se répéta-t-elle. Le souvenir de ses nuits avec Dimitri était un trésor. Ils y échangeaient longuement sur leurs projets, sur leurs rêves d’avenir, puis laissaient parler leurs corps et oubliaient tous leurs soucis. Si l’un cauchemardait, l’autre avait toujours été prêt à le consoler.

La solitude était une lame froide contre sa nuque. Son âme affamée réclamait la présence de Dimitri. La chambre devint une geôle. Il y avait une masse grondante à l’intérieur d’elle. Gladys voulait fuir. Mais où ? Elle décocha un coup de poings furieux à son oreiller puis bondit et ouvrit la fenêtre. Mieux valait encore rêver de l’étoile, de cette chaleur et cette lumière inaccessibles. L’astre avait hélas disparu de ses songes.

La souveraine ne sut combien de temps passa, mais l’air frais sécha ses joues. Elle referma la fenêtre avec brusquerie puis alluma les chandelles et se dirigea vers son bureau. Il ne restait plus qu’à tuer le temps en attendant de pouvoir se rendormir.

*

Le convoi fit halte à la fin de la journée. Les deux amies se retrouvèrent un peu à l’écart, sous un dais. Pourtant, fatiguées toutes deux, elles gardèrent le silence.

— C’est le moment où je suis censée dire quelque chose pour détendre l’atmosphère, plaisanta Gladys.

Vigdis était heureuse de la voir conserver ce trait, même si c’était aussi une manière de se défendre.

La générale s’étira avec nonchalance.

— Et moi je suis supposée te proposer un combat à l’épée.

— J’ai rêvé de Dimitri cette nuit, avoua la reine. Il était dans ma chambre et c’était…dérangeant. Comme s’il était vraiment là. J’ai entendu tellement d’histoires de ce genre mais…il vivait déjà avec ses morts, elle se tordit les mains, alors jamais il ne serait venu me hanter. Il n’aimerait d’ailleurs pas que je vive avec son fantôme.

Toutes deux avaient cessé de garder leurs fardeaux pour elle ou de craindre de gêner l’autre. Leurs peines étaient si lourdes qu’il fallait bien s’entraider. Aussi les deux sœurs d’armes se réjouissaient d’avoir quelqu’un à qui se confier.

— Tu as raison. Aussi difficile que cela puisse paraître, il faut qu’on se souvienne qu’on a une vie à vivre. Mais je sais ce que tu ressens, glissa Vigdis avec sollicitude.

Le temps lui avait en effet appris à tempérer la dureté de ses injonctions. Certaines scènes restaient encore bien trop réelles dans sa mémoire. La générale enserra avec son alliance, nichée au bout d’une chaîne dans le col de sa chemise. Vigdis sentait encore le fantôme des lèvres de Felix sur les siennes, de sa main sur sa peau. Comme cette escapade au bord de la mer, au petit matin, alors que la mer était un miroir et que le soleil y jetait des pépites d’or..

Felix s’était débarrassé de sa chemise et avait plongé. En l’observant, Vigdis avait pris conscience de combien elle était heureuse et chanceuse. Rien n’était supposé venir à bout d’une félicité pareille. Elle se rappelait de la fraîcheur de l’eau, du tracé de ses muscles sous ses doigts quand l’avait attirée à lui, de lorsqu’ils avaient joué à s’asperger, seuls au monde, insouciants, ensauvagés. Ivres d’amour et d’air marin.

S’en souvenir aujourd’hui équivalait à agripper une lame à mains nues.

« L’aube est grise. Le vent froid. Rien n’est pareil, car tu n’es plus là. Mais malgré tout, nous l’avons bien vécu…ce bonheur a existé. »

Il lui sembla qu’elle était sur le point de comprendre quelque chose.

— Demande une tisane à Hersend si tu as du mal à dormir, conclut la générale. Il n’y a pas de honte à ça.

— Tu as raison et puis, il ne faudrait pas que je somnole pendant notre visite au saint homme, chuchota Gladys.

Vigdis approuva en silence.

— Il faudra que je réponde à la lettre d’Alaqaï, reprit l’archère. Cet accord est une première et je suis fière que nous ayons pu le conclure.

— Mais il ne faut pas non plus négliger notre défense, rappela son amie.

— Bien entendu. J’espère sincèrement que les échanges entre nos deux peuples les rapprocheront encore plus, que le commerce et la diplomatie s’imposeront. Mais on ne sait pas de quoi sera fait le successeur d’Alaqaï et les clans pourraient se diviser de nouveau.

Cette guerre avait paradoxalement forgé des liens durables. Les Srengs s’étaient rangés à leur côté car leur souveraine avait bien compris qu’ils étaient les prochains sur la liste d’Edelgard. Voir déferler toute la cavalerie nomade avait été le cauchemar de bien des Faerghiens. Qu’il était bon de les avoir eu à leurs côtés !

Combattre ainsi côte à côte avait engendré une estime mutuelle. La reine des steppes souhaitait changer d’approche. Aussi avait-elle conclu un traité de paix avec un échange de marchandises, permettant à Sreng d’accéder aux ressources nécessaires mais aussi de commercer avec tout Fodlan.

Le continent était sorti plus uni de cette crise. Faerghus, Adrestia, représentée par son dirigeant, Ferdinand von Aegir, et l’Alliance, sous la houlette du margrave von Edmund et de sa fille Marianne, avaient signé un accord d’assistance mutuelle face aux menaces extérieures.

Les puissances extérieures n’étaient pas en reste. Nata no Hotoké, souveraine céleste d’Albinéa, leur avait prêté assiustance pendant la guerre. C’était aussi le cas d’une aide plus surprenante :  la reine almyroise, Shirin. D’abord alliée de circonstances face à Edelgard, la féroce guerrière avait semblait-il changé ses vues sur Fodlan. Pour l’instant, aucun mouvement suspect n’était à déclarer du côté d’Almyra et Shirin avait prouvé sa bonne volonté. 

-Mais enfin, nous allons peut-être assister à un autre genre de diplomatie, reprit Gladys sur un ton plus léger. Vu que Goulayim a l’air de beaucoup apprécier Ferdinand…

— Cousine ! Vigdis adopta sans prévenir une diction solennelle. Tu ne peux pas faire la guerre ! Comment vais-je pouvoir prendre le thé avec le chancelier adrestien ?

Prise au dépourvu, la reine fut prise d’un rire incontrôlable, chaque éclat était presque douloureux.

— C’est de ta faute. Tu réussis à me faire oublier que tu peux être si drôle !

Un rictus narquois éclaira le visage de Vigdis. L’hilarité de Gladys était une petite victoire.

— En parlant de Goulayim, elle est passée à l’académie reine Maude dernièrement a rencontré Aoife et a prétendu avoir résolu une certaine conjecture, commença l’épeiste. Aoife n’était pas d’accord avec sa méthode. Résultat, elles se sont enfermées et quand on les a retrouvées, les tableaux et le sol étaient couverts d’équations à la craie. Le pire c’est qu’elles n’ont même pas résolu le problème, elles en ont découvert un autre en même temps et se sont plongées dedans.

Gladys secoua la tête, amusée. Goulayim reprenait elle aussi pied, son petit-frère ayant péri face à l’Empire.

Parler ainsi comme au bon vieux temps était le meilleur des remèdes. Elle sentit le poids rassurant de la dague offerte par Dimitri, à jamais là pour la protéger.

*

Les deux femmes descendirent les escaliers humides avec précaution. Pas un souffle de vent ne dérangeait la surface du lac, l’eau s’étendait à perte de vue. La reine avait demandé à ce qu’on les laisse seules afin de méditer et prier. Si un danger survenait, sa garde avait pour ordre de l’avertir en sonnant le cor. Vigdis jeta un coup d'œil et arrière tandis que son amie tirait de son habit une cloche ornée de vagues, tortues et poissons  Un chant cristallin résonna dans le silence matinal.

Elles attendirent un peu. L’onde se rida soudain et une carapace parcourue de pics en émergea. Toutes deux prirent place sur cette nef fantastique et regardèrent la rive s’éloigner.

Gladys goutta la caresse de l’air frais sur son visage, dans ses cheveux. Il lui parlait de douceur et d’espoir. La souveraine se crut dans l’un des récits de son enfance où des sources aux propriétés miraculeuses menaient vers d’autres mondes.

Vigdis regarda distraitement le rivage s’éloigner et eut un sourire en coin. Le saint les enlevait pour les porter en son royaume. L’épéiste plongea sa main dans l’eau claire et la laissa rêveusement filer entre ses doigts.

La brume vint, les dissimulant aux yeux du monde.

*

Le voile se leva et les ruines apparurent, à demi-immergées. Des rayons de soleil semaient leurs reflets dans les bassins. Toutes deux prirent pied dans ce sanctuaire qui leur avait servi de refuge dans leur fuite.

D’innombrables petites tortues occupaient toujours l’endroit. Certaines, droites comme des statues, profitaient de la lumière. D’autres nageaient en groupe. Un signe de bonne fortune ? Une consolation plutôt. Il y avait dans cet instant une magie unique, supposée n’appartenir qu’au monde de l’enfance : le merveilleux en toute simplicité.

Elles s’éloignèrent un peu tandis qu’Indech sortait la tête de l’eau et prenait pied à son tour.

— Nous sommes si heureuses de vous revoir ! s’exclamèrent-elles avec la tendresse due à un proche.

Le saint baissa la tête pour qu’elles puissent y poser leurs mains. Une scène onirique se joua : deux humaines et un Nabatéen, sans crainte ni hostilité.

— Vos blessures ont guéri, j’en suis soulagée ! commenta Gladys.

Indech avait joué un rôle décisif dans le siège d’Enbarr en projetant un tourbillon déchaîné sur ses remparts. Gladys avait fait courir le bruit que la Déesse allait châtier l’Empire pour avoir occis l’Immaculée. Bientôt, une nouvelle bête viendrait pour punir les pêcheurs. La popularité souterraine de la religion de Seiros, l’opposition croissante envers Edelgard et la superstition avaient nourri les graines du doute. Aussi, un vent de panique avait-il soufflé lorsque la prophétie s’était réalisée. Furieuse de voir un Nabatéen en vie, l’impératrice avait oublié la prudence et s’était élancée.

Indech avait disparu après la victoire, retournant à sa tranquillité et laissant ainsi croire qu’un miracle avait bien eu lieu.

— Et je le suis de vous voir en meilleure santé, répondit le dragon-tortue. Vous semblez vous être faîtes à vos nouvelles responsabilités.

Il se rappelait des deux veuves blessées, sales, amaigries, yeux cernés, brillants de haine. Leur douleur était rivée à leurs corps, cousue dans leur peau. La peine flottait certes toujours autour d’elles, mais le temps avait lavé leur plaies.

— Je commence à peine à me sentir à l’aise, s’amusa Gladys. Régner est un défi mais je suis prête à le relever. Par chance, je ne suis pas seule.

— Avoir un objectif nous donne la force d’avancer. Merci encore de m’avoir laissé conserver l’épée, compléta Gladys en inclinant la tête.

La colère avait transpercé Indech lorsqu’il l’avait vue pour la première fois étreindre cette arme. Il s’était souvenue de cette abjecte cheffe, cette femme monstrueuse qui s’était abreuvée sur le cadavre de sa soeur. La vaincre avait été une longue et terrible épreuve. La fille du monstre était ensuite sortie en tremblant et avait confessé que sa mère l’avait contrainte à boire un bouillon au goût de sang lorsqu’elle était enceinte et que son et elle possédaient depuis un emblème majeur.

Cependant, la manière dont Vigdis serrait l’épée contre elle, la tristesse perpétuelle qui figeait ses traits, avaient éveillé sa compassion. Indech s’était apaisé lorsqu’elle lui avait expliqué qu’il s’agissait d’un des derniers souvenirs de son mari. Sa douleur n’était pas différente de la sienne en vérité. Elle ignorait tout de l’histoire de la lame et n’avait rien à voir avec tout cela.

— La paix a encore besoin d’être protégée. Tu te bas pour la défendre et au service des faibles, Muirisc aurait approuvé.

La solution n’était pas idéale, mais mieux valait que l’épée serve, surtout en l’absence d’alternatives. C’était pour cette même raison qu’il avait confié l’Inépuisable à Gladys

— Je suis heureuse que nous ayons pu enterrer certaines des reliques.Même s’il est évident que j’aurais préféré que cela se fasse autrement que par la mort de leur porteurs…, confia la guerrière.

Gladys hocha vivement la tête. Ismène était venue, expliquant que les actions de ses ancêtres étaient au-delà de toute réparation, mais qu’elle demandait humblement à aider. L’Agarthaise avait enroulé les os dans des suaires brodés, les couchant au milieu des bougies et des fleurs, avant de se prostrer à genoux sur le sol froid. Les rites avaient ensuite été menés selon les indications d’Indech.

Et dire que Goulayim avait tout deviné ! Ses paroles lui revinrent en mémoire :

Tu veux que je te dise ce que j’en pense ? J’espère que tu es prête car ça ne va pas te plaire. Pour moi c’est la nécromancie la vile. Ces armes sont des abominations : des morceaux de cadavres qui ne sont ni vivants ni morts. Je serais incapable de le reproduire, mais je comprends le chemin qui y a mené. Le sang et les membres sont de puissants ingrédients en magie. Là-bas dans le désert, il y a des grottes ornées de superbes peintures. Seuls ceux qui en sont jugés dignes peuvent y entrer. J’y ai été autorisée après m’être distinguée dans mes études. Voilà ce que j’ai lu dans les anciennes annales : que vos Braves avaient dévoré leurs dieux .

La stupeur avait foudroyé Gladys. Celle que certains qualifiaient de barbare s’était montrée plus savante. N’étant pas aveuglée par les préceptes de Seiros, elle avait vu toute la vérité. En tant que souveraine, la jeune femme comprenait bien entendu Rhéa, tout en éprouvant du ressentiment à son égard pour l’incendie de la capitale. Être au sommet impliquait de prendre des décisions difficiles, tenir tant de vies dans ses mains lui donnait parfois le vertige. 

Gladys était bien incapable de dire ce qu’elle aurait fait à sa place. La victoire parfaite n’existait pas et cette situation n’aurait pu être résolue sans mensonges. Comment ramener la paix tout en protégeant ce qui restait de son peuple ? Comment rétablir l’ordre sans punir les descendants des Braves ? Rhéa avait pensé faire au mieux et Gladys se trouvait incapable de la juger. Les principaux coupables étaient la cupidité humaine et les Agarthais. Fodlan se relevait à peine, impossible de révéler la vérité sans nouveaux conflits. La reine emporterait sans doute le secret dans sa tombe.

— Et bientôt, de nouvelles reliques les rejoindront peut-être, lança rêveusement Vigdis en posant sa main sur la carapace fraîche d’Indech.

Ces armes avaient toujours exercé un mélange de répulsion et de fascination sur elle. Elle avait demandé à Felix s’il avait une idée de quoi son écu était fait. Son mari avait répondu par la négative. Ces choses étaient supposées être des dons divins après tout, pouvait-on vraiment les expliquer ? Que l’on y croie ou non, il était en tout cas clair qu’elles n’appartenaient pas à ce monde. La vérité lui retournait l’estomac. La générale avait vu bien des horreurs, mais celle-ci les éclipsait toutes. 

Le récit d’Indech lui avait inspiré une colère grondante. Elle aurait traité les Braves de tous les noms si elle les avait eu en face d’elle. Tomyris la preuse, l’élue de la Déesse au pégase immaculé ! Mais bien sûr ! Maeve aurait partagé son indignation, tout comme elle aurait adoré faire la connaissance d’Indech. La jeune femme laissa la brise emporter sa pensée émue.

— C’est l’une des seules choses qui adoucissent ma peine, avec le fait d’avoir pu venger Rhéa, Cichol et Cethleann, avoua Indech.

Sa voix tremblait, sous le coup de la tristesse et de la fureur. Comment pouvait-on oser dire qu’il s’agissait d’une bête inhumaine ? Peut-être valait mieux qu’il ignore tout de l’attitude d’Edelgard qui, peu après sa victoire, avait ordonné qu’on lui serve un plat de viande devant les ruines fumantes de Garreg Mach. La conquérante avait bu son vin rouge et mangé à pleines dents, se vantant d’avoir pourfendu deux de ces bêtes, dénigrant Enid qui avait lutté pour les protéger.

Pour le distraire un peu, elles marchèrent près de lui et lui donnèrent des nouvelles du monde extérieur, comme pour changer les idées à un aïeul. Gladys lui raconta la reconstruction de Fhirdiad, les jardins qui fleurissaient dans la ville comme autant de joyaux, des échanges diplomatiques, de la paix qui se renforçait chaque jour un peu plus. La guerrière raconta à son tour l’ambassade Sreng, les découvertes faites en compagnie de Goulayim. L’académie se rapprochait plus que jamais du rêve de sa fondatrice et les savants y esquissaient maints nouveaux projets.

Indech glissa sur l’onde de leur récit, retrouvant ainsi un monde où la beauté existait encore. Mille lueurs s’allumaient dans l’obscurité et formaient ensemble un parterre d’étoiles. Il pourrait au moins y songer en se couchant seul dans son temple, parcourant les rues prospères de Zanado derrière ses paupières.

Cette puissante évocation rassérénait également les deux humaines, dissipait les ombres rapaces. Nombre de joies, encore fragiles certes, jalonnaient leur existence. Cet exercice leur permettait de réinventer le monde.

L’équipage s’assit au bord de l’eau, Gladys et Vigdis blotties à l’abri près de la carapace d’Indech. Le vent fit gentiment clapoter les flots. Les petites tortues barbotaient un peu plus loin, se laissant bercer. Gladys avait apporté un peu de carotte et le leur tendit. Certaines les entourèrent très vite pour y goûter.

Depuis combien de temps n’avaient-elles pas goûté une semblable tranquillité ? Leurs corps se délassaient, une quiétude étrangère les gagnait. Le passage du temps se rappela à elles.

— Ne vous en faîtes pas, Indech, nous reviendrons vous voir dès que possible. Après tout, ne suis-je pas la reine du lac ? Macuil peut voler, n’est-ce pas ? Il pourra peut-être venir un jour vous voir. Et qu’en est-il des apôtres ? le rassura Gladys avec tendresse.

L’inquiétude leur rongeait le cœur. Il était certes habitué à la solitude, mais avait tant souffert ! Vivre en sachant qu’il ne restait presque plus rien de son peuple devait être une terrible agonie. Elles espéraient, de manière presque illusoire, le garder encore un peu près d’elles.

— Jeunes filles, si vous désirez me faire une faveur, vivez avant tout pour vous même et ne vous en faîtes pas pour moi. Un bel âge se dessine devant vous, profitez-en pleinement. Vous avoir rencontrées est déjà un bonheur en soi. Vous m’avez prouvé qu’il était malgré tout possible de nous entendre, soupira le saint.

Tout comme l’avait fait l’épouse de Cichol, cette Enid qu’il n’avait pas connue. Elle avait lutté jusqu’au dernier souffle aux côtés de son frère, laissant d’innombrables cadavres dans son sillage jusqu’à ce qu’une flèche dans l'œil n’éteigne sa flamme.

Dans un ou plusieurs siècles, qui passeraient comme des battements de cœur, Indech se sentirait peut-être las et s’endormirait, devenant un roc immobile. Il se laisserait partir en toute quiétude, sachant que les astres poursuivraient leur cours, que la joie et la tristesse marcheraient main dans la main.

L’heure n’était pas encore venue et la mémoire de l’ancienne Nabatéa vivait encore en lui. Il fut satisfait en voyant l’éclat dans les yeux de ses protégées lorsqu’elles lui promirent aussitôt de prendre soin d’elles.

Vigdis l’avait bien dit, elles avaient toutes les deux une vie à vivre, des jours qui s’étendaient devant elles en autant de promesses. Un inestimable trésor. Et même si les ombres et le vide les guettaient, toutes deux continueraient à se battre. Chaque lever de soleil contemplé était une victoire en soi. Parce qu’elles avaient des convictions, des objectifs et la force de leur amitié. Leur essence n’était-elle pas de lutter ? N’y avait-il pas là une forme de gloire dans le fait de tenir encore debout ?

Elles avaient contemplé le néant, la putréfaction  et survécu. L’ampleur de leur force s’imposa à elles. Ce fut une révélation transcendante, un rayon d’or perçant la nuée. L’évidence gonfla leur cœur d’émotion, noua leur gorge de soulagement. Peut-être leurs blessures se refermaient-elles en vérité, même si la cicatrice demeurerait.

Il leur faudrait bientôt retrouver le monde profane et leurs activités. Mais pour l’instant, elles étaient en sécurité, enveloppées dans la sérénité du lac. Un vol d’oiseaux traversa le ciel, chantant leurs prochains voyages, la lumière leur caressa le visage.

— Et voilà, le soleil brille encore malgré tout, murmura Vigdis.

 

Notes:

J'espère que vous avez apprécié la conclusion de cette histoire ! N'hésitez pas à laisser un kudo ou un commentaire si c'est le cas, vous rendrez cette autrice heureuse (et j'en profite pour remercier Lilias42 et KetchupandMayo !).

La partie 3 contient des bonus si vous avez envie de prolonger le voyage !

J'ai beaucoup aimé écrire le passage au lac avec Indech et le côté paisible, onirique qui en ressort. Il y avait un côté très cathartique à se dire "voilà, on a vu la fin d'un monde mais on est toujours là".

Indech est un personnage qui a un potentiel très attachant (bon déjà c'est une tortue !). Et ensuite les Nabatéens méritent d'être plus développés ! Je tenais reprendre une thématique allant dans le sens des anciens FE : le problème n'est pas les dragons mais la cupidité humaine. D'autant plus qu'une minorité dans le fandom aime nier le génocide des Nabatéens...

Si vous avez envie de voir l'autre pendant de cette histoire, n'hésitez pas à jeter un coup d'oeil à "Omnia Vincit Amor" qui nous entraîne cette fois le cadre de VW.

Chapter 3: Bonus

Notes:

(See the end of the chapter for notes.)

Chapter Text

Bonus 1 : Sœur lune et sœur soleil 

 

La tête d’Edelgard roula au sol et tout prit fin. 

Gladys venait à peine de mesurer pleinement sa victoire qu’Ismène surgit en silence, ses yeux comme deux puits de ténèbres. Elle la mettait au défi de tenir sa promesse.

*

Quand tu l’auras tuée, laisse-moi  au moins  prendre sa tête et l’enterrer. Je dois te le demander en mémoire de notre mère. 

La guérisseuse formula sa requête sans trembler. Gladys leva la tête de ses plans tactiques. La fureur s’éveilla, décuplée par les assauts de la migraine. Edelgard avait exposé la tête de Dimitri et jeté son corps dans un charnier. Pourquoi ne pas la laisser aux charognards, comme elle en avait menacé Ismène en apprenant son existence ? Anselma était une traîtresse et l’archère se fichait éperdument de lui accorder une faveur posthume.

Ne deviens pas comme elle, pressa Ismène, le visage grave. 

Les vapeurs écarlates, bouillantes, se dissipèrent. Gladys se souvint de la promesse formulée longtemps auparavant. La colère était légitime mais elle ne devait pas la dévorer. Et elle se refusait à céder à ses pires instincts comme l’avait fait son ennemie. Que représentait une tête après tout ? Pourquoi s’en soucier ?

Tu pourras la prendre, fais-en ce que tu veux, enfouis-la, jette-la, brûle-la je m’en moque. Aucun signe distinctif ne doit subsister. Je refuse de créer un lieu de pèlerinage pour ses partisans, ordonna-t-elle calmement.

*

Le ciel au-dessus était embrasé, les masses de nuages écarlates et le noir de la fumée s’affrontaient en une fresque cauchemardesque. 

Un tonnerre d’acclamations retentit. Ses soldats scandaient le nom de Gladys comme on l’avait fait autrefois pour Maude, Gwendolen ou Sichilde. Silhouette sombre à ses côtés, Ismène rappelait à la souveraine qu’elle n’était que mortelle. Et cette dernière ne l’aurait pas vue autrement. Gladys rêvait du lac et de la paix, d’oublier enfin tout cela. 

Le corps de l’ancienne impératrice fut livré aux flammes. Edelgard avait désiré puissance, gloire et immortalité, refaire le monde à son image. Son prestige fondait comme neige au soleil en même temps que le feu dévorait ses muscles et noircissait ses os. 

Des gouttes de sang perlaient de sa tête, pétales écarlates d’une fleur fannée. 

— Tiens, prends-la maintenant, autorisa Gladys. Emmène-la loin.

Son amie la prit aussitôt contre elle et l’entoura de ses bras. Qu’elle était légère ! Une douceur onirique, incongrue se dégageait de cette scène macabre. Envoyée de la mort, la nuit penchait son visage impartial sur la défunte pour l’emporter. L’archère se sentit aussitôt plus légère, libérée d’une influence corruptrice. L’impératrice trouvait le repos et un peu de dignité dans l’étreinte de cette sœur qu’elle avait pourtant rejetée de son vivant.

Ismène ferma les yeux d’Edelgard et éteignit la rage qui en était encore prisonnière. Elle déposa la tête sur sa cape et l’en enveloppa. Ses gestes étaient si attentifs,  précautionneux que Gladys s’en trouva apaisée. Le noir recouvrit le visage de son adversaire et elle ne la vit plus. La dernière image qu’elle en eut fut sa peau grisâtre, vidée de tout son sang. 

Ismène fit un nœud à son paquetage et noua les pans restant autour de sa taille, l’attachant dans son dos. Armée de sa pelle et de son épée, elle murmura un remerciement à Gladys, enfourcha son cheval et disparut. Cette dernière la regarda partir, le cœur serré, reconnaissante de la voir emporter au loin ses démons.

*

Ismène chevaucha longtemps, jusqu’à s’habituer à la froideur du paquet et l’odeur douceâtre de la mort. 

Elle découvrit au plus profond de la forêt, un arbre beau et fort et se dit que la terre aurait bien besoin de cette nourriture. Nul ne trouverait jamais cet endroit. Son fardeau toujours bien arrimé, elle creusa la première pelletée, avec une énergie jaillie des tréfonds de son être. Un odeur fraîche, humide, sauvage de terre et de feuilles en décomposition l’accueillit. Elle allait enterrer toute sa douleur, toute sa rage et son désespoir. Tout ce que la conquérante leur avait infligé. Si elle faisait cela, c’était seulement par égard pour la chair d’Anselma. 

Haletante, elle retourna le sol avec violence, ses bras agitant l’outil comme une lame. Quand l’espace fut dégagé, sa gorge la brûlait, ses épaules demandaient grâce et ses mains étaient abîmées. 

Ismène déroula le suaire et déposa la tête d’Edelgard sur son nouveau lit. Le bas de ses cheveux était rougi, un rictus furieux dévoilait encore ses dents. Elle ressemblait déjà à un fantôme vengeur, une chose sans substance vouée à disparaître.

Et ce fut sur cette pensée que la guérisseuse la recouvrit. Voir la terre la masquer l’emplit d’une nouvelle vigueur. Dans le silence de la forêt, les nécrophages dissoudraient bientôt cette charogne. Il ne resterait ensuite qu’un crâne anonyme, fixant à jamais le néant, voué à devenir de la poudre d’os. Pas de cortège ou de glorieuse sépulture pour elle. L’impératrice n’avait pas gagné, bientôt, elle ne serait qu’un mauvais souvenir et tous allaient conspuer son nom. 

La dernière pelletée ferma le sépulcre. Ismène remua encore un peu la terre pour ne pas que l’on voie qu’elle avait été fraîchement retournée. Ceci fait, elle chut , s’assit dos à l’arbre, rattrapée par toute la lassitude du monde.

— Voilà maman, j’ai enterré ta fille, murmura-t-elle. 

C’était ce qu’Anselma aurait voulu, même si elle avait su la mort de son enfant inévitable. Elle avait tant compromis pour protéger Edelgard qu’Ismène ne voulait pas lui faire cette injure.

— Tu vois, Sylvain, j’ai gagné…C’est fini maintenant, ajouta-t-elle tendrement tandis qu’un long sanglot montait dans sa gorge.

Elle revit la veille de la bataille. Son amant et elle entrelacés tous les deux, haletants, venant de connaître la petite mort et s’apprêtant à affronter la grande. Et la promesse vide de Sylvain : « je reviendrai ». 

Elle pouvait presque sentir les morts à ses côtés, leurs ombres diffuses se tenant devant elle, silhouettes grises si proches mais inaccessibles. Ismène pleura longuement, comme une enfant perdue, ravagée par la douleur de la déchirure, broyée par l’étau de la solitude. Se lamentant pour ce qui lui était refusé. 

Elle se redressa enfin, titubant comme un navire à la dérive. 

« J’ai été aussi brave que Pan…non j’ai été brave tout court » se reprit-elle. Et ce fut ce qui lui donna la force de rentrer.

Arrivée à destination, elle trouva Orsolya et Léopold qui l’attendaient. 

— Où étais-tu ? Je me suis inquiétée ! l’interpella vivement la margravine.

— Je suis désolée. J’avais quelque chose à faire, c’est terminé, éluda Ismène, contrite. 

— Nous rentrons à la maison maintenant, affirma le margrave, la mine grave, une main venant chercher celle de sa femme et posant l’autre sur l’épaule d’Ismène, pour leur dire qu’il veillerait sur elles malgré tout et préserverait leur demeure en ruines.

La maison aurait de nombreuses pièces vides et l’absence du défunt s’y ferait toujours sentir. Mais c’était au moins une destination. La famille meurtrie s’étreignit en silence avec Ismène entre ses beaux-parents qui ne l’avaient jamais été. Ils n’étaient pas seuls, leurs chaleurs respectives le leur rappelaient. Ils sauraient s’empêcher de sombrer. C’était un début.

*

Bonus 2 : Deux reines 

 

Au moins une année plus tard. Imaginez une grande rencontre entre dirigeants de Fodlan et d’ailleurs, façon Camp du Drap d’Or.

Leurs gardes respectifs veillaint depuis la colline, les deux femmes déambulaient tranquillement dans la plaine. La première était grande, sa silhouette puissante, taillée par l’exercice. Son teint était hâlé et des perles constellaient la nuit de sa chevelure. La seconde était petite et agile, ses cheveux ramenés en deux tresses. Des tatouages d’élans et de félins ornaient ses bras et seule une discrète tiare ceignait son front. L’une était un roc, l’autre le vent des plaines. Shirin d’Almyra et Alaqaï de Sreng.

— N’est-ce pas étrange pour vous de converser et de festoyer ainsi avec vos anciens envahisseurs ? commença l’Almyroise, pensive.

Surprise, la nomade s’arrêta et la fixa sans trembler :

— Pas le moins du monde, rétorqua-t-elle, tête haute. Nos anciennes attaques n’ont rien changé à notre situation. Maintenant que les clans sont unis pour la première fois depuis bien longtemps, il était temps de tenter autre chose. Je suis une fille de la steppe. J’ai grandi avec les caprices des éléments. Si l’on n’est pas capable de changer et de s’adapter, on meurt.

Shirin la dévisagea avec intérêt, la force de son interlocutrice la poussait à l’écouter. Une vague de doute revint de nouveau. Comment pouvait-on renoncer ainsi à son identité ?

-Nous autres Almyrois sommes des guerriers, contra-t-elle avec férocité pour ne pas perdre la face. Les gorges de Fodlan étaient autrefois les nôtres. Si nous avons toujours attaqué, c’était pour ne pas oublier les combats, les humiliations subies par nos ancêtres. Je me suis longtemps demandé comment nos aïeux pourraient trouver la paix si nous n’honorions pas leur bravoure et leur mort avec une victoire définitive ? Que dire à tous les captifs qui ont été réduits en esclavage ? J’y pense encore mais j’ai décidé que nous avions assez combattu. C’est pour cela que je suis ici.

Shirin était plus que consciente de son impuissance. Elle n’était pas une idiote qui se ruait dans le premier piège venu. La situation n’était pas à son avantage avec trois pays contre un seul. Elle avait été vaincue sans combat. Ses troupes méritaient de de se reposer. Ses vieilles inquiétudes s’agitèrent. Ses généraux n’allaient-ils pas protester ? N’allait-on pas douter de nouveau d’elle ?

Alaqaï se garda bien de commenter au sujet des Gorges, ce type de conflits territoriaux ayant toujours une histoire particulièrement complexe. Nullement inquiétée par cette bravade, elle poursuivit avec nonchalance :

— Vous êtes la reine, maintenant. Vous avez gagné. Vous pouvez être tout ce que vous voulez.

Shirin se figea, interdite, ravala sa répartie bien sentie tandis que les mots faisaient leur chemin. « Vous êtes la reine, vous avez gagné ». C’était vrai. Elle le comprenait enfin après des années à faire oublier les origines modestes et le statut de maîtresse délaissée de sa mère. Tant de temps à lutter pour gagner sa place, à convaincre, à se déjouer des couteaux et des poisons de ses adversaires, à jouer la fille aimante auprès d’un roi qu’elle haïssait.

C’était fini, elle pouvait désormais se présenter sans rougir devant la tombe de sa mère lui dire  : « Vois, tu peux sécher tes larmes désormais. J’ordonnerai à présent que l’on te rende le culte dû à une reine ». Shirin avait combattu l’Empire, repoussé l’adversaire. Les poètes chantaient ses exploits, la disaient égale des lions et des léopards, les enlumineurs la représentaient combattant sur sa wyverne. Ses villes étaient propres et prospères, ses gouverneurs en majorité fidèles.

« J’ai gagné », une vague de sérénité l’envahit, la libérant d’un immense poids. Combien de ces beaux discours sur l’honneur guerrier étaient vraiment les siens ? Elle en avait tant fait pour incarner une alternative face à son demi-frère et à  rallier ses opposants derrière elle qu’elle l’ignorait. Le masque avait-il fini par lui coller à la peau ? La vérité était là : Shirin n’avait plus rien à prouver.

— Ah ! je vais y songer, laissa-t-elle échapper avec un rire joyeux. Et puis, il faut dire, je pensais que les gens de Fodlan étaient des lâches, mais je reconnais leur valeur. Il n’y a rien de déshonorant à s’entendre avec eux. 

Shirin reconnaissait leur habileté et la force de leur diplomatie. Ils avaient su se relever et se protéger. Elle ne pouvait plus les qualifier d’ennemis après avoir lutté à leur côté. C’était aussi cela être une guerrière Almyroise : veiller sur ses frères d’armes. Le chemin avait été tracé depuis le moment où elle avait planté cette lance entre elle et Edelgard lorsque l’impératrice était venue lui offrir une alliance.

« Tu rirais sans doute si tu m’entendais dire cela, n’est-ce pas Khalid ? » une pensée amusée et affectueuse traversa son esprit.

— Maintenant que vous êtes dans de meilleures dispositions d’esprit, nous devrions revenir. J’ai entendu que la reine de Faerghus allait jouer une partie de polo. Cela ne saurait se faire sans nous, décida Alaqaï.

— En effet, surtout que nous Almyrois avons inventé cette discipline, taquina Shirin en anticipant la réaction de son interlocutrice.

Alaqaï plissa les lèvres.

— Je dois objecter, mais nous y reviendrons ensuite.

Elles se hâtèrent toutes les deux vers leur destination. Des éclats de voix leur parvenaient déjà : la mélodie d’un monde en train de guérir.

 

Bonus 3 : Un étrange rêve

 

Là c’est du pur délire. J’avais vu cette vidéo et le passage à 6′05 m’avait inspiré un petit quelque chose. Histoire de se consoler un peu par rapport au devenir de certains personnages dans cette branche...

Les gouttes roulèrent sur le visage de Dedue. Une pluie de flèches et de sortilèges s’abattrait bientôt sur les troupes.

Malgré la brume et les nuages, il reconnut la plaine devant Firdhiad. Le royaume était assiégé. Il devait le défendre.

— D’après nos éclaireurs, les troupes seront commandées par Hubert von Vestra. J’ai entendu dire qu’il était un magicien redoutable.

Le regard dur, elle raffermit sa prise sur son bâton. Des étincelles crépitèrent à la surface de l’objet.

Dedue enveloppa son épaule d’une main protectrice. Ils échangèrent un signe de tête et un regard qui valait mille mots.

Ils n’avaient guère le temps pour plus. Les troupes impériales approchaient. Chacun rejoignit sa position.

Leurs ennemis déferlèrent sur eux en une vague furieuse. Une lance dérapa sur le bouclier de Dedue. Il repoussa ses adversaires d’un large mouvement de balancier, les balayant comme de fétus de paille. Le chevalier se devait de rester vigilant. Hubert attendait sans doute le meilleur moment pour surgir et pulvériser ses adversaires.

Un bruit d’explosion suivi d’un éclat coloré retentit à la périphérie de son champ de vision. Les soldats qui avaient tenté d’approcher Maeve hurlèrent. La magicienne armait déjà un nouveau sortilège.

Et soudain il fut là, apparu devant lui comme un spectre vengeur : Hubert. Le mage noir n’avait pas changé depuis l’époque de l’académie : sa peau conservait la même pâleur mortuaire, un éclat mauvais dansait dans ses yeux jaunes. Un sourire sadique relevait le coin de ses lèvres. Dedue était sa prochaine proie.

Ce dernier leva son bouclier, se préparant pour l’impact tandis qu’il levait son arme dans l’espoir de porter un coup avant que le stratège impérial ne puisse frapper.

Hubert pirouetta comme pour une représentation et abattit son poing nu sur le bouclier de Dedue. Ses os cédèrent sous l’impact en un craquement sinistre.

« Inutile » pensa le Duscurien malgré lui, avec le détachement qu’offrait la sidération.

Dedue ne s’accorda pas le temps de réfléchir à ce geste absurde. Un réflexe lui fit abattre sa hache. Le tranchant s’enfonça sans mal dans l’épaule non protégée d’Hubert, entailla largement sa poitrine. Le terrifiant mage noir s’écroula comme un tronc d’arbre détaché de sa souche.

Ce fut alors que Dedue réalisa que son adversaire portait la courte tunique et les ornements clinquants d’un danseur.

Il n’eut pas le temps de s’attarder dessus que Maeve courait déjà vers lui. Dedue l’étreignit aussitôt. Ils avaient gagné et rien ne pourrait jamais plus les séparer.

*

Dedue ouvrit les yeux sur le calme de sa chambre. Maeve dormait tranquillement à ses côtés. Il revint lentement à la réalité.

*

Dedue s’empara de son plat. Quelle histoire absurde ! Premièrement par ses implications déplaisantes, Firdhiad avait été libérée et leur armée marchait désormais en territoire impérial. Pourtant, les rôles semblaient avoir été inversés dans son rêve.

Dedue ne cessait de revivre en boucle l’instant où Hubert frappait son bouclier, la stupidité de ce geste et l’échec cuisant qui s’en était suivi. Il devait admettre que s’en était..cocasse. Oui, l’amusement pointait, égayait son regard.

— J’ai fait un rêve étrange cette nuit, commença-t-il avec détachement, on se battait contre l’armée d’Hubert. Il était habillé comme certains danseurs, avec la tunique courte et il frappait mon bouclier à mains nues. Sans succès.

Le visage de Maeve s’éclaira et elle laissa échapper un rire franc. Et Dedue songea que cet instant donnait à lui seul du sens à ce rêve

— J’y penserai la prochaine fois que nous l’affronterons, conclut-elle, il me semblera bien moins effrayant.


Anecdotes 

La rubrique où je présente mes inspirations historiques et autres.

-Alaqai/Alakhai Bekhi (vers 1191 – après 1230) était la fille de Gegnis Khan et de son épouse principale, Börte. Son père l’a mariée pour former une alliance avec la tribu des Ongut. Néanmoins, le mari d’Alaqai fut assassiné mais elle parvint à s’échapper et à revenir avec des troupes envoyées par son père. Alaqai a convaincu Gengis de faire preuve de clémence envers les Ongud et de n’exercer de représailles qu’envers les meurtriers. Elle dirigea ensuite les territoires en question et soutint son père en lui envoyant des troupes. Alaqai était lettrée et s’intéressait à la médecine. D’après un chroniqueur chinois, les femmes à son service l’accompagnaient et se battaient à ses côtés lorsqu’elle partait en campagne. Si vous souhaitez en lire plus sur le rôle des femmes dans l’expansion de l’empire Mongol, vous pouvez commencer par ces deux articles.

-Goulayim, dont le nom turcique signifie « lune rosée » et désigne le mois de juin, est l’héroïne du récit épique Quarante filles , du peuple des Karakalpak (Ouzbékistan actuel). Cette histoire raconte comment la jeune Goulayim rejette le mariage et rassemble autour d’elle quarante guerrières. Goulayim affronte ses ennemis Kalmouks, défie leur chef en combat singulier et le tue. Elle fait également la rencontre du cavalier Aryslan, qu’elle épouse et qui combattra à ses côtés, avec qui elle finit par créer une confédération de quatre groupes ethniques de la région. Pour en savoir plus à ce sujet, je vous recommande la lecture de Les Amazones d’Adrienne Mayor

 

Notes:

Et voilà, c'est tout ce que j'avais à dire pour cet univers ! Quant à moi, je vous retrouve très bientôt avec une nouvelle histoire !

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