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Neo-Tokyo Contact

Summary:

Presque six millénaires se sont écoulés depuis l'installation du dernier bastion des terriens sur la planète Calreon, après la destruction de la Terre suite à la quatrième guerre mondiale de 2067. La grande mégalopole de Neo-Tokyo s'est doucement implantée avant de se développer et de prospérer.

En plein quartier malfamé d'un niveau inférieur de Neo-Tokyo, un jeune hacker du nom de Kei rentre chez lui après une journée de travail. Mais en chemin, il surprend un gang tabassant un jeune homme nommé Joshua. Les vêtements atypiques de ce dernier démontrent qu'il est un primitif : un humain extérieur à Neo-Tokyo. Alors qu'il se demande comment il est parvenu à s'infiltrer en ville, Kei décide de le ramener chez lui pour le soigner. Il ne se doute pas qu'une telle rencontre bouleversera définitivement son quotidien.

Entre vengeance commune envers une société influente employant des criminels dans l'ombre, choc culturel entre deux philosophies de vie, et lien affectueux qui se tisse entre eux, Kei et Joshua formeront un duo aussi rocambolesque que redoutable face à la Kai-Riu qui impose sa puissance, prenant peu à peu le contrôle de la mégalopole et de ses habitants.

Notes:

TW :
- Violence physique et verbale
- Allusions salaces
- Scènes d'abus et mentions d'agressions sexuelles
- Présence de scène de lime

Chapter 1: Le primitif

Notes:

Chers lecteurs, Chères lectrices, je vous salue et vous souhaite la (re)bienvenue dans l'univers de Neo-Tokyo Contact!

Lorsque cette histoire a vu le jour, elle était le fruit d'une soudaine inspiration dans un genre sur lequel j'écrivais pour la première fois. Certains d'entre-vous l'ont déjà lue et ont partagé leurs avis, majoritairement positifs. Merci à vous, d'ailleurs!

Mais récemment, j'ai jugé que cette histoire méritait d'être améliorée et peaufinée sur certains aspects. C'est pourquoi aujourd'hui, je suis ravie de vous présenter une version plus aboutie. Si l'histoire reste globalement la même, certaines scènes et certains dialogues ont été approfondis, voire ajoutés. Le texte en lui même a été rendu plus fluide à la lecture, histoire de rendre l'immersion plus agréable.

Avant de vous plonger dans les districts futuristes de Neo-Tokyo, quelques rappels importants:

- Neo-Tokyo Contact se passe dans un univers de science-fiction cyberpunk, et est un condensé d'action, d'humour, de drame et de romance MxM, le tout contenu dans un seul et unique tome.

- Cette histoire s'adresse à un public adulte et averti. Certes, elle est globalement moins sombre et sanglante que la plupart de mes autres histoires, mais elle contient tout de même un langage cru, des scènes brutales, et aborde des thèmes matures comme le génocide, le traumatisme, le deuil ou le viol. Si vous êtes trop sensibles à ces sujets, je vous déconseille de poursuivre votre lecture.

- Neo-Tokyo Contact est aussi l'histoire «la plus romantique» que j'ai écrite à ce jour. Bien qu'elle ne soit pas l'intrigue centrale, la romance demeure présente et joue un rôle important et complémentaire au récit.

- Par ailleurs, quelques scènes de lime (des scènes sexuelles implicites ou peu détaillées) sont présentes.

J'espère sincèrement que cette nouvelle version vous captivera autant que j'ai pris plaisir à la retravailler. Et comme toujours, je ne tolérerai ni plagiat, ni manque de respect envers moi ou les autres lecteurs.

Je vous souhaite une bonne lecture, ainsi qu'un bon séjour au sein de Neo-Tokyo en compagnie de Kei, de Joshua et d'autres! x)

Chapter Text

Un vrai temps de merde, aujourd'hui...

Kei bravait cette pluie torrentielle depuis une vingtaine de minutes, au moins. La capuche de son manteau noir rabattue sur ses mèches argentées en bataille, il tapotait l'écran holographique projeté par un gadget rectangulaire de la taille d'un smartphone. Cet appareil, connecté aux écouteurs sans fils séjournant dans ses oreilles, diffusait une musique aussi froide et sombre que cette éternelle averse. Le vingtenaire avait sélectionné un son électronique au rythme lent accompagné d'une forte basse, avant de se concentrer sur le trottoir morne qu'il arpentait à travers un bas-quartier de Neo-Tokyo.

Cette grande mégalopole se caractérisait par un océan de gratte-ciel étendu sur une gigantesque superficie. La majorité de ces immeubles s'élevait sur une bonne centaine d'étages, mais certains en comptaient bien plus, parfois le double. Une immense tour, plus haute encore, surplombait toute la cité depuis son centre. N'importe qui parmi le milliard d'habitants vivant en ces lieux se sentait minuscule devant ces mastodontes en béton et en métal.

Mais le plus impressionnant restait la multitude de véhicules volants, à tailles variables, qui circulaient à différentes hauteurs sur les trafics formés entre les buildings. Leurs moteurs et bourdonnements électriques raisonnaient dans un brouhaha urbain qui pouvait relaxer ou énerver chacun, en fonction de son humeur.

Kei s'en montrait indifférent, habitué à circuler dans ce paysage tous les jours. En temps normal, il voyagerait parmi ces vaisseaux planant à plusieurs dizaines de mètres au-dessus de sa tête. Malheureusement, son moyen de locomotion personnel était en réparation dans un garage. Et ne souhaitant pas payer le monorail, un bus ou un taxi, il faisait le trajet entre son lieu de travail du jour et son appartement à pied. La distance à parcourir n'était pas excessivement longue.

Il prenait toutefois des risques en se promenant seul dans les quartiers les moins élevés de Neo-Tokyo. La partie la plus inférieure de la ville s'avérait généralement malfamée et fréquentée par des personnes dangereuses, prêtes à s'attaquer à des innocents malchanceux pour de l'argent, de la drogue ou pour satisfaire leurs violentes pulsions sadiques.

Kei avait visité cette zone à plusieurs reprises par le passé. Sa dernière venue remontait à deux ans. Pourquoi emprunter un tel chemin en ce jour, au lieu de passer par les quartiers des niveaux supérieurs ? Principalement parce que peu de monde osait s'y aventurer, et que cet homme à la peau foncée recherchait un peu de calme. Il n'avait pas spécialement peur du danger omniprésent dans cette partie de la cité.

Ce qu'il ignorait, en revanche, c'était qu'une telle décision allait sauver la vie de quelqu'un.

À une trentaine de mètres, un groupe de cinq voyous baraqués se défoulait sur un homme bien moins costaud. Kei remarqua rapidement leurs grands tatouages en forme de dragon rouge enroulés autour de leurs cous, de leurs torses et parfois de leurs bras.

Des membres du gang Masamune... Vu l'endroit, pas étonnant d'en croiser ! Mais c ’est pas souvent qu’ils viennent dans cette allée-là.

Les sourcils froncés, l'argenté observa la victime de ces malfrats : un jeune adulte aux cheveux mi-longs bruns, portant une tenue singulière qui détonnait sévèrement avec le style vestimentaire des citadins. Kei ne s'attarda pas sur ces détails dans l'immédiat. Même si cet inconnu parvenait à endurer ce calvaire et à rendre quelques coups, il se retrouvait désavantagé à cinq contre un. Il venait d'ailleurs de s'écrouler, épuisé de lutter. Et malgré cet aveu de défaite cuisante et son état critique, ses agresseurs continuaient à le rouer de coups de pied.

Kei se rapprocha silencieusement de la rixe dans un premier temps. Les délinquants stoppèrent leurs frappes en remarquant sa présence.

« T'es qui, toi ? demanda l'un d'eux.

— C'est bizarre, mais j'ai l'impression d'avoir déjà vu sa dégaine, confia un second.

— Casse-toi d’là, gamin ! lui ordonna un troisième. Y a rien à voir ! À moins que tu veuilles qu'on te fasse ta fête, à toi aussi ? »

En guise de réponse, Kei parcourut son gadget pour arrêter sa musique et fit s'afficher un clavier numérique. Il y composa tranquillement un numéro d'appel et attendit qu'on lui réponde.

« Qu'est-ce qu'il fout ? s'étonna l'un des opposants en fronçant des sourcils.

— Hey ! Fais pas comme si t'étais sourd, bouffon ! On t'a dit de dégager d'ici ! »

Mais Kei ne bougea pas tandis qu'il levait ses pupilles marron vers le ciel assombri. Quelqu'un décrocha enfin. Il écouta son interlocuteur via ses écouteurs, avant de répondre :

« Bonjour ! C'est pour signaler un accident dans les bas-quartiers du district Amaterasu. Plus précisément au deuxième niveau de l'allée H48 du secteur Higure. »

Un moment de silence s'ensuivit, pendant lequel il écouta ce qu'on lui demandait à l'autre bout du fil.

« Combien de victimes ? répéta-t-il avant d'observer chaque bandit à tour de rôle. Un, deux, trois, quatre... Ils sont cinq. Tous bien KO ! »

Ses opposants lui jetèrent des regards haineux face à une attitude aussi moqueuse.

« Espèce de gros con ! On va te faire ravaler tes conneries ! »

Deux d'entre eux se précipitèrent sur Kei, qui raccrochait après avoir salué le réceptionniste de son appel. L'homme le plus proche amorça un coup de poing vers son visage alors qu'il rangeait son cellulaire. Mais d'un réflexe inattendu, le garçon aux mèches d’argent se tourna de côté pour esquiver. Profitant de l'effet de surprise, il attrapa le bras de son opposant et effectua avec habileté une prise qui fit craquer les os de ce membre. Son premier adversaire hurla sous la douleur, mais l'encapuchonné lui asséna un coup de pied à l'arrière du crâne pour l'assommer.

Un second gangster adopta une technique plus brutale. Il se jeta vers lui avec l’intention de le plaquer au sol sous son poids. Kei fut suffisamment rapide pour l'éviter d'un pas latéral. Mais avant que le brigand ne touche le sol, il attrapa l'arrière de sa tête et fessa violemment son visage contre le sol, cassant son nez et lui faisant perdre connaissance dans la foulée.

« Ça fait deux ! affirma-t-il en narguant les trois voyous restants d'un rictus provocateur. À qui le tour ? »

Les concernés grimacèrent d’agacement en sortant chacun un manche de poignard. Ils activèrent simultanément un bouton positionné à leurs bases, et des petites lames lumineuses rouges apparurent.

« Ah. Des couteaux lasers. » commenta Kei, pas plus impressionné en apparence. Dans le fond, il aurait tout de même préféré que cette bataille se termine sans utilisation d'arme.

On dirait que je n'ai pas le choix...

Il fixa brièvement les bagues en argent enfilées à chacun de ses doigts. Il embrassa celle positionnée sur son index gauche et la seconde suivante, il sentit ces bijoux vibrer, ainsi qu'un courant électrique se manifester par leur intermédiaire. Cette électricité prit peu à peu forme jusqu'à acquérir l'apparence de poings américains.

« Putain ! Mais d'où il sort ces trucs ? paniqua l'un des hommes.

— Il fait partie du gang Shuriken ou quoi ?! » questionna vivement un autre.

À peine avait-il posé sa question qu'il vit Kei foncer pour lui porter un puissant coup de poing en plein ventre. Il fut si rapide que l'autre ne l'avait pas vu venir et s'était pris l'assaut de plein fouet. Il cracha du sang à cause de la force de l'impact, mais se tordit également de douleur sous le courant que dégageaient ces bagues. Complètement sonné, le malfaiteur s'effondra, sous les yeux impuissants de ses deux confrères encore debout.

« Bordel, mais tu vas crever, oui ?! » cria l'un de ces derniers en attaquant avec son couteau à la lame lumineuse. Kei usa de ses réflexes agiles pour éviter les frappes. Mais il devait rapidement mettre un terme à ce combat avant de se faire blesser. Ou pire.

Lorsque le criminel tenta de lui trancher la gorge, le garçon au manteau noir se baissa, faisant passer la lame au-dessus de son crâne. Il profita de cette esquive et de l’exposition du corps de son opposant pour enchaîner plusieurs coups électrifiés dans son ventre et son torse. Il termina par un croche-pied qui fit tomber le voyou, suivit d'un gros coup de talon dans ses parties génitales pour le clouer au sol.

L'artiste martial leva ensuite ses yeux vers le dernier délinquant. Celui-ci tremblait alors que ses yeux s'écarquillaient de terreur. Il ne prit cependant pas la fuite, tenant fermement son poignard.

« Tu veux vraiment finir dans le même état qu'eux, mon grand ? l'interrogea Kei d'un air blasé.

— Te fous pas de moi, enfoiré ! »

Dans un geste désespéré, l’homme armé accourut jusqu'à lui pour tenter de le planter au thorax. Mais en voyant le coup venir, l'argenté effectua un grand écart pour se baisser et esquiver la frappe. Puis, il distribua un coup de poing chargé en électricité au niveau de son entrejambe. L'autre se tortilla de douleur, mais demeura difficilement debout. Il ne pouvait néanmoins plus se défendre si on l'attaquait à nouveau. Kei se releva avant de l'attraper par le col de son vêtement. Il mesurait une bonne dizaine de centimètres de moins que son adversaire. Mais en cet instant, il paraissait bien plus imposant et intimidant que ce dernier.

« Au moins, tu n'es pas un lâche qui détale au moindre danger. Je respecte ça ! Seulement, il y a une chose dont j'ai vraiment horreur : les salopards comme vous qui se déchaînent à plusieurs sur une pauvre personne sans défense. »

Sans même laisser à l'autre le temps de répliquer, il lui offrit une décharge électrique via sa prise, avant de le laisser tomber au sol, face contre terre. Le jeune homme contempla un instant le gang qu'il venait de vaincre, avant de regarder ses bagues. L'énergie contenue dans ces dernières s'évapora peu à peu.

Heureusement que j'ai eu le temps de me débarrasser d'eux avant qu'elles ne se déchargent. Je ne sais pas comment je me serais débrouillé, sinon !

Il s'approcha de la victime de ce gang, puis s'accroupit auprès d'elle. À vue d'œil, ce garçon semblait du même âge que Kei, voire légèrement plus jeune. Vingt ans peut-être ? Il paraissait cependant plus élancé que son sauveur.

Évanoui, il respirait encore malgré ses nombreuses contusions. Seulement, ses vêtements trempés et sales lui conféraient un air misérable. Lui prodiguer des soins et un endroit chaud devenait urgent.

La tenue qu'il portait intriguait Kei : une tunique bleu marine dotée d'étranges motifs colorés jaunes et violets, et un pantalon noir ressemblant à un sarouel, attaché à la taille par une grosse ceinture en cuir et en peau d'animal. Des mitaines brunes en cuir recouvraient ses mains. Ses bottes, de la même couleur et sûrement de la même matière, lui arrivaient jusqu'aux chevilles. Un tel accoutrement contrastait avec le style vestimentaire à la fois moderne, urbain et parfois extravagant des habitants de Neo-Tokyo. Il n'était pas originaire de cette ville, c'était certain !

Ce serait un primitif ? Mais… comment il est arrivé jusqu'ici sans attirer l'attention plus que ça ?

Des sirènes d'ambulance, résonnant d’abord au loin, se rapprochèrent progressivement du champ de bataille. Pour ne pas avoir de compte à rendre, Kei préféra partir. Mais pour certaines raisons, il ne voulait pas laisser cet inconnu gésir ici. Il enleva son manteau pour recouvrir l'autre homme avec, avant de le soulever par la force de ses bras. Il quitta précipitamment les lieux en l'emportant, juste avant qu'un gros véhicule blanc et rouge ne se pose à proximité.

 

*

 

Kei se lassait de subir cette pluie qui s'intensifiait. Il maudissait presque le bouclier permanent et invisible généré au-dessus de la cité, qui empêchait toute créature étrange de pénétrer en son sein, mais qui ne protégeait pas la population des mauvais temps comme celui-ci. Il accéléra sa marche afin de s'abriter au plus vite, en priant pour ne croiser personne sur sa route. Il préférait ne pas se faire surprendre en portant un primitif dans ses bras. Ce mystérieux garçon n'était d'ailleurs pas léger, et cela se ressentait par les douleurs qui lançaient son sauveur au niveau de ses bras et de son dos.

Le citadin aux mèches blanches arriva enfin à son immeuble, deux allées plus loin. Son appartement se trouvait à plusieurs niveaux au-dessus de sa position actuelle. Habitant au 35e étage, la prise d’ascenseur s'imposait. Elle se fit rapide car personne n'y circulait à cette heure creuse, à son plus grand soulagement. Ce fut dans le calme que Kei arriva devant la porte de sa résidence. Sur un petit clavier tactile positionné à sa droite, il composa un code avant d'y poser sa main à plat qui fut scannée.

« Takahashi Kei, identifié ! Bienvenue chez vous, monsieur ! » s'éleva une voix robotique féminine alors que la porte s'ouvrait automatiquement par le haut pour le laisser entrer. L'intérieur paraissait spacieux pour une personne seule, sans être excessivement grand. La pièce principale, composée d'un salon et d'un coin cuisine, s'éclairait aussitôt que Kei y mettait ses pieds. Bien aménagée et rangée, son aspect coloré et riche en objets technologiques en tous genres lui offrait un charme singulier, mais convivial.

« Bon retour à la maison, Kei ! » l'appela une autre voix synthétique, également féminine, mais bien plus enfantine que la précédente. Un robot humanoïde de taille moyenne, vêtue d'un t-shirt rose et d'un short en jean bleu, aborda son maître. Elle portait une perruque blonde coiffée en deux couettes hautes, et tenait dans ses mains mécaniques un aspirateur sans fil.

« Neeko, tu tombes bien ! lui sourit l’homme. Je vais avoir besoin d'un coup de main.

— Qui est-ce ? demanda ladite Neeko pendant que Kei se dirigeait en direction d'une des trois portes situées sur un côté de la salle.

— C'est justement pour le savoir que je te demande de m'aider. »

L'androïde promit de le rejoindre dans quelques secondes. L'argenté actionna un bouton pour ouvrir la porte menant à sa chambre. À l'instar du salon, elle était vaste pour une personne sans être immense. Plus sombre néanmoins, elle se dotait de murs et de quelques décorations simples à dominance bleus. Un lit à deux places s'étendait à côté d'une vitre ronde offrant une belle vue sur les buildings environnants, et sur la circulation urbaine volante. Un placard, un grand miroir sur pied et un bureau, sur lequel trônaient trois écrans holographiques d’ordinateur, s’y trouvaient également.

Après avoir posé son rescapé sur son matelas, Kei ferma les stores de la fenêtre pour être tranquille. Il déshabilla ensuite l'autre homme et se rendit compte que les bleus et les blessures étaient encore plus nombreux là où on ne les voyait pas.

« Ces enfoirés n'y sont pas allés de main morte avec toi, mon grand... » murmura-t-il tandis qu'un robot-chat au pelage artificiel rose et avec un écran à la place du visage débarquait. Cette machine à quatre pattes sauta sur le lit pour s'approcher des deux humains. Kei s'adressa à elle :

« Je pensais que tu avais gardé ton autre apparence.

— Je suis plus à l'aise avec celle-ci, affirma la voix de Neeko avant de se tourner vers le primitif alité.

— Il a besoin d’une bonne douche. Je vais m'en charger. Trouve-moi de quoi soigner ses blessures pendant ce temps, s'il te plaît.

— Il ne serait pas plus judicieux d'appeler un docteur ? demanda l'automate félin alors qu'un point d'interrogation s'affichait sur son écran.

— Je préfère gérer la chose moi-même. Appelle plutôt une pizzeria. Je meurs de faim et j'ai ni le temps ni l'énergie de préparer à manger ! Commande la pizza habituelle, en taille cosmique. »

Neeko acquiesça avec un pouce en l'air sur son moniteur avant de s'éclipser. Kei, lui, transporta l'autre homme, à présent vêtu d'un boxer noir, jusqu'à la salle de bain.

 

*

 

Deux heures plus tard, l'obscurité nocturne envahit progressivement les cieux de Neo-Tokyo. Le primitif secouru, après avoir été lavé, dormait profondément avec ses plaies pansées. Son aîné, assis sur son siège de bureau qu'il avait rapproché du lit, veillait sur lui, une part de pizza en main. Neeko, toujours sous sa forme de chat rose, monta sur la couche et scanna le corps de l'inconnu à plusieurs reprises.

« Mon analyse corporelle déduit qu'il est de sexe masculin, de type caucasien et qu'il est âgé de vingt-et-un ans. Mais je ne trouve rien au sujet de son identité. Il n'est fiché nulle part dans les fichiers administratifs des districts de Neo-Tokyo.

— Ça confirme ce que je pensais. C'est un primitif venu de l'extérieur.

— Comment il a fait pour se faufiler jusqu'à Amaterasu sans se faire repérer par la sécurité ?

— Je comptais sur toi pour imaginer des hypothèses à ce sujet. »

L'alité poussa un petit gémissement. Son visage se déforma sous une grimace souffrante. Il ouvrit péniblement ses yeux verts qui se posèrent sur le plafond de la pièce. Il parut confus et perdu sur le coup. Ses iris se tournèrent ensuite vers le propriétaire de l'appartement, qui lui faisait un signe peu assuré de la main en affichant un sourire nerveux.

« Euh... Coucou ?

— Coucou ! » répéta plus joyeusement Neeko en se plaçant à côté du brun avec une émoticône joyeuse. Le concerné haussa un sourcil d'étonnement avant de se rendre compte qu'il était quasi nu, allongé dans le lit d'un inconnu.

Sa réaction fut vive : d'un geste brusque, il donna un coup de pied au robot-chat, l'envoyant valser à l'autre bout de la chambre. Heureusement pour l'automate, son agilité lui permit de se réceptionner correctement au sol sans se casser.

« Hé, doucement ! » s'écria Kei devant une telle brutalité. Mais il se leva brusquement en s'écartant sur le côté, afin d'éviter l'oreiller que son homologue venait de lui jeter avec force.

« Non mais ça va pas ?! C'est comme ça que tu remercies... »

L'argenté n'eut pas le temps d'achever sa phrase qu'il esquiva un second coussin volant vers sa figure.

« Il a l'air effrayé et méfiant ! commenta Neeko en se réfugiant dans un coin hors de portée de cet assaut surprise.

— Merci, j'avais pas remarqué ! » répliqua sarcastiquement son maître, esquivant cette fois une peluche de tigre posée sur le lit et que l'autre homme avait trouvé à balancer, faute de manque d'oreiller. Agacé par cette crise de panique disproportionnée, Kei attrapa l'un des polochons gisant par terre.

« Ça suffit ! » s'exclama-t-il en l'envoyant de plein fouet au visage du brun, qui bascula en arrière jusqu'à se retrouver allongé à nouveau. Sans être sonné, il semblait abasourdi par cette contre-attaque.

« Calme-toi, bordel de merde ! Je ne te veux aucun mal ! Je t'ai même sauvé des mecs qui t'ont amoché !

— Des mecs... qui m'ont amoché ? » répéta l'autre tandis que des bribes de souvenirs remontaient en son esprit. Il se redressa en position assise, dévisagea Kei quelques secondes, puis Neeko, avant de se couvrir le torse avec ses avant-bras et de regarder ailleurs, l'air nerveux et les joues légèrement empourprées.

« Je peux savoir pourquoi je suis à poil ? T'es qui exactement ? Et ce truc rose sur pattes, là... Qu'est-ce que c'est ? »

Les deux autres s'échangèrent un regard. Plutôt dépité pour Kei, neutre pour Neeko. Malgré tout, le premier prit le temps de répondre aux questions dans l'ordre.

« Tes vêtements étaient sales alors je les ai mis à laver, et j'en ai profité pour te laver aussi et pour soigner tes blessures. Je m'appelle Kei. Et ce truc rose sur pattes comme tu dis, c'est Neeko. Mon amie et Ai-pet. »

— Ai-pet ?

— Un animal de compagnie fonctionnant avec une intelligence artificielle, si tu préfères ! Dans le cas de ma Neeko, je l'ai reprogrammée pour lui offrir une personnalité plus intéressante et autonome. Enfin bref ! C'est quoi ton nom, mon grand ? »

Le brun observa l'Ai-pet en haussant un sourcil, avant de tourner sa tête vers son hébergeur. D'abord méfiant, il finit par se détendre en comprenant que ce dernier ne lui voulait aucun mal et qu'il l'avait simplement aidé.

« Joshua. » répondit-il simplement en déviant son regard vers le bureau. Il y remarqua la grande boîte à pizza déposée là. Au même instant, son ventre grogna fortement. Kei afficha un petit sourire avant de saisir le carton.

« Eh bien, enchanté de faire ta connaissance, Joshua. T'as une sacrée dalle, on dirait ! Tiens, sers-toi. »

Joshua observa sous tous les angles la pizza découpée en plusieurs parts. Il hésita à en saisir une.

« Ce n'est ni empoisonné ni avarié, si c'est ce qui t'inquiète ! assura Kei d'un rictus gêné.

— Qu'est-ce que c'est, exactement ? » demanda son cadet en le regardant, ce qui provoqua la stupéfaction chez les deux autres.

« Tu... ne sais pas ce qu'est une pizza ? questionna son hôte.

— Sachant que c'est un primitif, ce n'est pas vraiment étonnant ! supposa Neeko.

— Primitif... répéta Joshua en grognant presque. C'est donc vraiment comme ça que vous appelez les personnes extérieures à votre luxueuse cité, hein... »

Un point d'interrogation s'afficha sur l'écran du robot-chat. Kei, lui, se gratta l'arrière de la tête sans savoir quoi répliquer.

« Ces sales types qui m'ont attaqué... Ils m'ont appelé de la même manière. Ils ont voulu m'emmener de force quelque part pour me faire subir je-ne-sais-quoi. Je me souviens avoir tenté de me défendre pour m'échapper. Après... c'est le flou total.

— Ces mecs sont des membres du gang Masamune, expliqua son défenseur. J'ai remarqué leur emblème de dragon rouge tatoué sur leurs corps. Aux yeux de tous, ce ne sont que de vulgaires voyous, mais ils travaillent secrètement pour la Kai-Riu, une société contribuant soi-disant au développement et à l'expansion de Neo-Tokyo. »

Il remarqua les poings de Joshua se serrer à la mention du nom de l'entreprise. Ses épais sourcils bruns s'étaient froncés.

« Il n'a pas l'air d'apprécier la Kai-Riu... affirma Neeko à Kei en constatant aussi ces détails.

— Les salopards de cette société ont bombardé mon village et tué tous ses habitants. Je serais également mort si je ne m'étais pas absenté pour partir chasser, quand c'est arrivé. »

Kei comprenait mieux sa réaction. Même, il saisissait peut-être la raison de la présence de Joshua dans cette ville.

« Tu veux confronter ceux qui ont réduit ton village et ta famille en cendres, pas vrai ? »

Joshua ne répondit rien et évita les regards des deux autres. Malgré son silence, sa réaction parlait d'elle-même. Il était motivé par un désir de vengeance envers la Kai-Riu qui l'avait privé de son foyer et de ses proches.

« Je t'avoue ne pas spécialement apprécier cette entreprise, moi non plus, expliqua l'argenté d'un petit sourire amer. Donc, si tu as envie de te défouler sur ses fondateurs ou ses employés, je ne t'en empêcherai pas. Mais foncer tête baissée tout seul alors que tu connais que dalle de Neo-Tokyo, crois-moi, c'est pas une bonne idée !

— Et tu veux que je fasse quoi d'autre ? C'est pas comme si j'avais quelque chose à perdre, vu que j'ai déjà tout perdu. »

À l'entente de ces mots durs, Neeko afficha un triste smiley pendant que Kei soupirait légèrement. Ce dernier compatissait à la souffrance de Joshua et maudissait intérieurement la Kai-Riu pour les horreurs commises à l'encontre du village de ce garçon. Mais il ne pouvait pas laisser celui-ci courir à une mort certaine. Il lui tendit donc la boîte à pizza.

« Commence déjà par manger un bout et te reposer. Après la raclée que tu t'es prise tout à l'heure, t’en as grand besoin. En plus, elle est délicieuse ! Sauce tomate, fromage, oignon, poivrons, champignons, olives, viande hachée ! Meilleur mélange de tous les temps, malgré sa simplicité ! »

Devant son grand sourire, Joshua lui offrit un air las avant de poser ses yeux sur la pizza encore fumante. Il devait l'admettre : cette nourriture sentait bon malgré son apparence qu'il jugeait étrange. Perplexe, il demanda.

« Où avez-vous trouvé les ingrédients pour la faire ? Vous ne cultivez aucun champ et n'élevez aucun bétail dans cette ville.

— Clonage génétique alimentaire et culture en laboratoire ! Cherche pas à comprendre, ça va te griller les neurones. Juste, mange ! Ça ne te fera aucun mal, je te promets. »

Joshua préféra ne pas poser plus de questions et se risqua à goûter un morceau. Sa stupéfaction fut immense en découvrant son goût et sa texture agréables. Une véritable fête gustative dans sa bouche ! Si bien, qu'il engloutit rapidement la portion.

« Che confirme, ché délichieux ! » avoua-t-il, la bouche encore pleine. Kei pouffa de rire face à un tel spectacle, mais fut ravi de le voir se régaler.

« Bon appétit alors ! lui souhaita-t-il en se levant. Je vais nous chercher à boire, ainsi que quelques serviettes, histoire que tu ne salisses pas trop mon lit. C'est d'ailleurs là qu'on dormira plus tard, alors j'espère que ça ne te dérangera pas. »

Joshua avait déjà saisi une deuxième part de pizza, en lui faisant signe qu'une telle chose ne l'embêtait pas si son hôte n'était pas mal intentionné. Retenant un petit rire, Kei sortit de la chambre avec Neeko pour se diriger vers son coin cuisine. Seulement, un air grave s'accapara de ses traits en repensant à sa précédente conversation.

La Kai-Riu.

« Peut-être serait-il mieux d'être honnête en lui révélant que tu travaillais pour cette société ? conseilla Neeko en bondissant sur le plan de travail en bois artificiel.

— Ce n'est pas le bon moment. Il m'a l'air de lui vouer une haine encore plus intense que la mienne. » rétorqua l'humain en préparant deux verres et des serviettes de table, avant de se diriger vers un distributeur d'eau sous lequel il plaça les récipients.

« Oui mais aujourd'hui, tu ne fais plus partie de cet organisme ! Même, tu fais tout pour lui nuire. Peut-être que vous pourriez faire équipe dans ce but, Joshua et toi ?

— Je préfère laisser passer cette nuit et y réfléchir. Ce gars mérite du repos après tout ce qui lui est tombé sur la gueule. Et puis, je souhaite parler à Ryo et récupérer ma caisse avant de faire quoi que ce soit.

— Tu veux que je prévienne Ryo pour lui expliquer la situation ?

— Non. J'irai directement la voir demain. J'ai besoin de repos moi aussi, je crois. »

Face à son distributeur, il pouvait choisir entre de l'eau plate ou gazeuse, nature ou aromatisée aux agrumes. Après réflexion, il sélectionna l'eau plate aromatisée pour les deux verres et attendit leur remplissage avant de les saisir.

« Ah Neeko ! Préviens mon travail que je ne serai pas disponible demain. Prétexte-leur que j'ai chopé un gros rhume à cause de toute cette pluie. »

L'Ai-pet félin acquiesça avant de se diriger vers un coin du salon pour s'exécuter. Kei en profita pour retourner dans la chambre rejoindre Joshua. Il ignorait à quel point la nuit serait longue. Mais avec la présence de ce primitif et son programme prévu du lendemain, le citadin n'avait pas la tête à enchaîner des petits boulots dans l'immédiat.

Chapter 2: Un temps d'adaptation

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Joshua émergea de son sommeil en sentant les rayons de soleil matinaux chatouiller sa peau. À cause des coups reçus la veille, des courbatures tiraillaient encore ses membres. Ses blessures soignées le faisaient également souffrir, bien que la douleur s'atténuait au fil des heures.

Le primitif se redressa sur le matelas étonnamment chaud et balaya la chambre de Kei du regard. La luminosité accrue offerte par la vitre laissait supposer qu'un temps radieux régnait à l'extérieur. À travers elle, Joshua apercevait le trafic urbain circuler entre les buildings voisins. Le panorama avait beau être impressionnant, le garçon ne l'appréciait pas pour autant. Tout cela manquait de verdure et d'éléments naturels, selon lui.

En pensant pouvoir ouvrir cette fenêtre, il la toucha, avant d’avoir un brusque mouvement de recul. Des écritures lumineuses s’affichèrent sur le verre : la date et l’heure du jour, la météo du jour, la température en extérieur, et un conseil de sortie proposé en tenant compte de ces informations. Joshua, surpris par cette technologie, cligna des yeux à plusieurs reprises, avant de finalement s’éloigner, préférant ne pas interagir avec une seconde fois.

« Bonjour Joshua ! salua Neeko sous sa forme d'Ai-pet en bondissant sur le lit. Bien dormi ? »

Le concerné ne répondit pas tout de suite. Il examina le robot-chat sous tous ses angles, perplexe et curieux.

« Tu me trouves jolie ? questionna la machine en affichant un joyeux smiley.

— Je... ne sais pas si jolie est le premier adjectif qui me vient à l'esprit en te voyant. Étrange serait un mot plus approprié.

— Et c'est toi qui dis ça ? retourna Neeko avec une émoticône vexé à son écran.

— Bref ! Où est Kei ? »

Il se disait que son aîné s'occupait dans une autre pièce de l'appartement. Mais la réponse donnée par son interlocutrice fut différente.

« Il s'est absenté, il y a un peu moins d'une heure. Il est parti récupérer son vaisseau, qui avait besoin de réparations, dans un garage.

— Euh... D'accord ? »

C'est quoi un garage ?

Joshua n'était pas sûr de le savoir. Mais en considérant le contexte de la phrase, il supposa qu'un tel mot désignait un lieu où on réparait les véhicules volants de cette ville.

« Il en a pour longtemps ? Je t'avoue que l'idée de rester seul ici avec une machine comme seule compagnie ne m'enchante pas vraiment.

— Il a dit qu'il ne tarderait pas trop. Il t'a conseillé d'aller te rafraîchir et de manger un peu, une fois réveillé. Et il m'a confié la mission de répondre à toutes tes questions concernant le fonctionnement de cette ville ou des objets t'entourant. Par contre, il te déconseille fortement de sortir de l'appartement parce que tu risques de te mettre en danger.

— Je vois. »

En vérité, le primitif était aussi confus que la veille. N'étant pas habitué à toutes ces technologies autour de lui, il se sentait mal à l'aise. Il fixa les ordinateurs de Kei sur le bureau mais abandonna l'idée de les manipuler. Déjà parce qu'il ignorait tout de leur fonctionnement, mais aussi car il craignait de faire n'importe quoi. Le plus sage était d'écouter les conseils de son hôte, et ce fut la raison pour laquelle il se leva du lit.

« Où sont mes vêtements ?

— Dans la salle de bain. Kei les a fait laver et sécher. Ils sont prêts à être portés, une fois ta douche prise.

— Et elle est où, cette salle de bain ? »

L'automate animal l'invita à le suivre jusqu'à la porte de la pièce en question. Il demanda à Joshua d'activer son ouverture automatique en appuyant sur un bouton situé à sa droite.

« La porte se fermera, puis se verrouillera automatiquement lorsque tu seras entré. Tu pourras la rouvrir en appuyant sur le bouton de l'autre côté. »

L’IA lui expliqua également comment s'utilisaient la douche et les toilettes. Plein de boutons aux fonctionnalités différentes figuraient sur les deux. Il suffisait juste d'appuyer sur les programmes qu'on désirait. Joshua trouvait leur utilisation simple en théorie. En serait-il de même pour la pratique ?

« Si tu as besoin d'aide, n'hésite pas à m'appeler ! Je te parlerai depuis l'autre côté pour ne pas te déranger ! »

— C'est... drôlement sympa de la part d'une machine. Merci pour tes explications. Je pense m'en sortir. »

Le jeune homme lui adressa un léger sourire, qui fut aussitôt rendu par Neeko. Il pénétra ensuite dans la salle d'eau qui, contrairement aux autres pièces de l'appartement, paraissait assez petite, bien que suffisamment spacieuse pour une personne.

Après avoir regardé la porte se refermer, il s'avança un peu plus. Une odeur fleurie régnait dans cette partie de la résidence. Les toilettes se trouvaient au fond, dans un coin à gauche de la pièce. La cabine de douche se situait de l’autre côté. Joshua se tenait debout entre le lavabo, et une machine remplissant à la fois la fonction de lave-linge et de sèche-linge. Mais cela, il l'ignorait encore. Il remarqua néanmoins ses vêtements posés sur la laveuse avec un papier plié dessus. Un message écrit à la main y figurait.

« Salut Joshua ! Je pense que Neeko t'aura déjà débriefé sur ce que tu peux faire pendant mon absence, lorsque tu liras cette lettre. Je vais juste t'apporter quelques précisions : il y a une barquette de tsume-pan dans le frigo. Si tu as faim, tu peux les prendre. Neeko te montrera comment les réchauffer. Il y a aussi du lait et de l'eau si tu veux. Pareil, Neeko t'aidera si tu as du mal à les trouver. Je suis parti chercher mon véhicule. Sur le chemin du retour, je passerai t'acheter quelques vêtements, histoire que tu te fondes dans la masse et que tu n'attires pas les regards, si on sort. J'essaierai de ne pas trop tarder. D'ici là, patiente un peu. Demande à Neeko de t'allumer la télé, de diffuser de la musique, ou de te prêter mes books-glasses pour passer le temps. Ne sors pas de l'appartement et surtout, n'ouvre la porte à personne ! À très vite ! Kei aka ton humble et brave sauveur ! »

Joshua souffla du nez alors qu'il levait les yeux en secouant la tête. Humble et brave sauveur ? Vraiment ? Il ne pouvait nier que son hôte l'avait effectivement sauvé du gang Masamune, mais tout de même !

Au moins, il est sympa. Alors je ne vais pas me plaindre.

Il reposa la feuille là où il l'avait trouvée, puis s'approcha de la douche. Mais il remarqua quelques étagères encadrant un petit miroir rond au-dessus du lavabo. Une boite violette et brillante sur l'une des planches attira son attention. Il la saisit et lut les inscriptions dorées dessus.

« Charnex. Préservatifs à nanotechnologie vibromassante. Taille automatiquement ajustable. Plaisir mutuel ou en solo garanti ! »

Pardon ?

Tel fut le premier mot venu à l'esprit de Joshua, alors qu'il retournait la boîte en se demandant ce qu'était un charnex ou un préservatif à nanotechnologie vibromassante. Un mode d'emploi était indiqué.

Ça sert à quoi, exactement ?

Il ouvrit la boîte pour saisir l'un des quelques préservatifs emballés qu'elle renfermait. Il hésita à faire appel à Neeko pour lui demander des explications. Mais en se rendant compte de la partie de son anatomie sollicitée par un tel dispositif, il s'abstint.

« C'est peut-être un truc à utiliser au moment de la toilette ? » supposa-t-il en déchirant l'emballage. Il ne pouvait être sûr qu'en vérifiant lui-même.

Au même moment, Neeko s'était placée devant le robot à l'apparence de jeune fille à couettes blondes pour s'y connecter. Elle changea ainsi de corps, délaissant celui de l'Ai-pet. Elle jugea bon de profiter du séjour de Joshua dans la salle de bain pour lui préparer son déjeuner. Elle se dirigea donc vers le coin cuisine, ouvrit le frigo et en sortit une barquette de petits pains. Certains, de couleur rose, étaient fourrés au chocolat ruby. D'autres, plus orangés, contenaient une garniture à la mangue.

« Je me demande s'il va apprécier les tsume-pan, parla-t-elle en se dirigeant vers un four à proximité. Ce n'est pas tout le monde à Neo-Tokyo qui en raffole. »

Soudain, elle entendit un gros boucan provenant de la salle d'eau, suivi de quelques gémissements à la fois surpris et paniqués :

« Ah ! Ngh ! Aaah ! ~

— Joshua ? » l'appela-t-elle en tournant sa tête en direction de la porte derrière laquelle il se trouvait. Elle se rapprocha en penchant sa tête sur le côté.

« Tout va bien ? »

Dans la pièce voisine, le brun, dont les joues s’empourpraient progressivement, avait le souffle court.

« C'est quoi ces conner... Aaah ! ~ » gémit-il à nouveau alors qu'il sentait une vive vibration sur son membre le plus sensible. Il mit sa main devant sa bouche pour atténuer ses plaintes de plus en plus fortes.

« Joshua ? Qu'est-ce qui se passe ? »

Le jeune homme ôta brusquement cette étrange chose plastifiée luminescente de son sexe et la jeta le plus loin possible, haletant. Malgré son déboussolement, il trouva la force de répondre.

« Ce… C'est rien ! J'ai juste... trébuché....

— Fais attention à ne pas te casser quelque chose ! Ni à casser quoi que ce soit ! » conseilla l'androïde avant de repartir à la cuisine. Le brun haleta encore et fit un effort surhumain pour calmer sa soudaine montée d'hormones excitantes. C'était donc à ça que servaient ces trucs de charnex ? Joshua était certain d'une chose : plus jamais il n’y toucherait ! L'expérience, bien que pas désagréable, était carrément bizarre ! Kei s'adonnait vraiment à ce genre de pratique solitaire ?

« Ils ont vraiment des gadgets louches dans cette ville... » murmura-t-il en se relevant et en titubant presque jusqu'à la cabine de douche. Lorsqu’il y entra, il découvrit un petit écran tactile sur lequel figuraient deux rangées de boutons. On pouvait paramétrer le débit de l’eau, régler sa température, ou même sélectionner une ambiance visuelle et sonore pour rendre l'instant plus agréable.

Joshua parcourut la multitude de choix proposés, avant de composer un programme correspondant à ses envies. Le résultat s'avéra vraiment satisfaisant. Jamais le jeune homme n’avait pris autant de plaisir durant sa toilette ! De là où il venait, il devait utiliser manuellement un seau pour se rafraîchir à coups d’eau froide ou tiède. Pour la première fois de sa vie, il expérimentait l’eau chaude coulant automatiquement sur lui sous une musique de fond relaxante. Il ferma ses paupières pour en profiter pleinement, alors qu’un léger sourire se dessinait sur ses lèvres.

J’admets que cette douche est bien pensée !

 

*

 

Debout devant une vitre de son train, Kei observait le paysage défiler. Les monorails de Neo-Tokyo circulaient à grande vitesse et à de grandes hauteurs. Leurs positions offraient des panoramas privilégiés aux voyageurs. Surtout la nuit, lorsque une multitude de néons ornant les nombreux immeubles éclairaient les districts. Or, à cette heure matinale, tout ce qu'il y avait à voir était ces mêmes buildings en béton et en métal froid, le trafic urbain et le ciel partiellement nuageux du jour. Ni plus, ni moins. Aucune verdure, aucun animal, aucun lac ou océan, rien de naturel.

Le jeune homme soupira en augmentant légèrement l'opacité des verres de ses lunettes de soleil. Plus les années passaient, plus il se lassait de cette mégalopole. Pourtant, elle était suffisamment immense et bien organisée pour y vivre une vie entière remplie de loisirs. Mais l'argenté rêvait de s'aventurer en dehors de Neo-Tokyo et de découvrir le paysage extérieur. Il savait qu'une nature luxuriante y régnait et qu'elle offrait des paysages surclassant les plus beaux coins de la cité. Malheureusement, une loi interdisait aux citoyens de sortir de la ville, sous prétexte de dangerosité due à une faune et une flore hostiles. À cette pensée, il croisa les bras en s'adossant à sa vitre.

Hostiles, mon cul ! Si c'était vraiment le cas, les primitifs ne seraient pas restés vivre là-bas. Et Joshua ne serait pas parvenu jusqu'ici seul.

L'occasion d'interroger son invité fortuit sur son ancien lieu de vie ne s'était pas encore présentée. Il ne souhaitait pas brusquer le brun après ce qu'il avait vécu, mais se montrait véritablement curieux sur ses origines.

« Prochain arrêt : Allée D20, Secteur Kyo, District Inazagi. » retentit la voix synthétique masculine du long véhicule. Kei descendait là. À l'ouverture des portes, il sortit du train et passa le contrôle d'identité. Il s'engagea ensuite sur l'un des nombreux trottoirs devant lui. Certains étaient construits en béton, d'autres, comme celui sur lequel il marchait, était fait d'une matière solide bleue, lumineuse et transparente. Ce sol particulier laissait entrevoir le vide sous ses pieds. Il ne fallait pas avoir le vertige pour emprunter un tel chemin. Mais les habitants de Neo-Tokyo, habitués aux grandes hauteurs, n'avaient pas ce problème.

L'homme au manteau noir longea ce passage pendant une dizaine de minutes, avant d'arriver à la devanture d'une portion de bâtiment décorée avec des bouts de fer et des carcasses de voitures retapées. « Cyber Ladies » était inscrit sur une enseigne en métal exposée au-dessus de son entrée.

En franchissant cette dernière, l'argenté découvrit une ambiance assez festive. Les mécaniciens, majoritairement des femmes, bricolaient, nettoyaient ou peignaient les quelques véhicules garés en ce lieu. Mais quelques-uns se servaient de leurs outils ou tapaient en rythme sur les capots pour créer une mélodie de percussions. Certains employés masculins s'improvisaient même en beatboxing, utilisant uniquement leur bouche pour imiter des instruments. L'ensemble créait un son hip-hop bien cadencé.

Une femme, à la carnation légèrement moins foncée que celle de Kei et coiffées de longs dreadlocks ondulés noirs aux pointes violettes, monta en haut du véhicule dont elle s'occupait, et se mit à danser tout en rappant.

« Cyber Ladies, toujours présentes pour vos caisses,

Confiez-les nous un jour ou deux, on les traitera comme des princesses,

Vous posez pas d'questions, et faites donc parler votre fric,

Soyez trop radin et vous volerez à bord d'une brique !

Faites confiance à notre talent, patientez un peu,

Grâce à notre travail d'équipe, votre bagnole pétera le feu !

Aucun autre garage n'atteindra notre niveau

Grâce à notre chef qui déchire, la sublime Ryo ! »

Elle pointa ses deux index en direction d'une autre femme adossée à un poteau non loin d'elle. Tandis que des applaudissements et des joyeuses exclamations s'élevèrent, la dénommée Ryo se décolla du mur cylindrique en croisant les bras, un sourire amusé aux lèvres :

« Pas mal du tout, Natsu ! Tu devrais faire carrière dans la musique ! »

Alors que ladite Natsu s'inclinait gracieusement devant ce compliment, les yeux roses de la propriétaire de l'établissement se tournèrent vers Kei.

« Tiens, t'es déjà là, toi ! Salut !

— Yo ! » salua le concerné en se rapprochant et en détaillant le physique de son aînée. Malgré une prothèse bionique rose métallique à la place de sa jambe gauche, Ryo paraissait aussi jeune que lui avec sa peau claire et lisse, ses cheveux longs roux coiffés en une tresse, et sa corpulence légèrement athlétique mais moins imposante que celle de Kei. Pourtant, elle avait quasiment dix années de plus. L'argenté la considérait comme une amie, un mentor et une figure à la fois sororale et maternelle.

« Je vois que vous vous amusez bien, ici ! commenta-t-il en observant les employés acclamer Natsu pour sa performance tout en reprenant leur activité mécanique.

— Tu connais Nat’ ! Elle adore égayer l'ambiance du garage à sa façon.

— Hé, Kei ! »

Natsu l'avait interpellé pour le saluer :

« Ta bagnole n'a jamais été aussi en forme qu'aujourd'hui ! J'y ai ajouté une petite touche personnelle dans son intérieur. Tu m'en diras des nouvelles ! Et tu trouveras aussi un cadeau de la part d'Hayate dans ton coffre. Il a dit que ça vous ferait plaisir à toi et à ta prochaine conquête ! »

Elle lui offrit un clin d'œil complice avant de vaquer à ses occupations, sous l'air stupéfait mais souriant de l'argenté. Il aimait venir au Cyber Ladies. Une bonne entente générale y régnait et tous les employés se montraient sympas à son égard. Il savait cependant que leur fonction de mécaniciens n'était qu'une façade, et que cet établissement était bien plus qu'un endroit où on réparait les voitures de la ville.

« Ramène-toi ! l'invita Ryo en se dirigeant vers le fond de la structure. Ton vaisseau est à l'arrière du garage. Tu pourras décoller directement depuis là-bas. »

Le jeune homme la suivit jusqu'à une grande salle isolée du reste de l'établissement. L'argenté et la rousse étaient seuls devant un véhicule à quatre places, ni trop grand ni trop petit. Sa peinture noire brillait, et les quelques motifs en forme de flammes sur les côtés lui donnaient un air rock'n'roll.

« Heureusement, la panne n'était pas trop grave. On a pu la réparer sans problème et lui donner un coup de boost. On en a profité aussi pour la nettoyer. Et comme l'a précisé Natsu, Hayate t'a laissé quelque chose à l'arrière.

— En parlant de lui, comment il va ? demanda Kei en se dirigeant vers le coffre pour l'ouvrir.

— Ses journées sont si chargées qu'il n'a plus beaucoup de temps, ne serait-ce que pour passer un moment avec Nat’. Mais il se débrouille comme il peut tout en se faisant discret.

— Est-ce que c'est vraiment une bonne idée de le laisser continuer à bosser pour la Kai-Riu ?

— Pour monter des coups contre une société pareille, le meilleur atout qu'on puisse avoir est un employé travaillant pour elle.

— Certes. Mais si quelqu'un découvre ses véritables intentions, il risque de gros problèmes. Et vous aussi, d'ailleurs !

— Et c'est toi qui dis ça, Monsieur J'ai-déserté-les-Masamune-et-changé-d'apparence-pour-échapper-aux-répercussions ?

— Tu sais aussi bien que moi que je ne pouvais pas rester à travailler pour eux et pour la Kai-Riu après les génocides qu'ils ont perpétrés. »

Tout en parlant, il découvrit dans son coffre deux casques gris possédant une grosse visière noire au niveau des yeux.

« Des casques à réalité virtuelle augmentée ?

— Je sais que tu as toujours souhaité en avoir un, alors avec Natsu, on s'est débrouillés auprès d'Hayate pour t'en procurer. Il a jugé bon de t'en offrir deux, au cas où tu fréquenterais quelqu'un. Après tout, ce genre d'expérience est meilleur à deux. Et j'en sais quelque chose ! Ou plutôt savait... »

L'air jovial de Ryo s'assombrit et Kei sut pourquoi : elle repensait à son petit ami, Shion, mort depuis bientôt trois ans, tué par des membres du gang Masamune car on le soupçonnait de divulguer des informations sensibles à l'encontre de la Kai-Riu. Depuis ce jour, Ryo s'était jurée de faire tomber cette entreprise d'une manière ou d'une autre. Et tous ses amis du Cyber Ladies la soutenaient et l'aidaient dans cette démarche personnelle, aussi dangereuse était-elle.

Kei compatissait et l'aidait également. Mettre le désordre au sein de la Kai-Riu était quelque chose qui le réjouissait autant qu'elle l'effrayait. Cette société corrompue était très importante pour le développement de Neo-Tokyo, mais n'hésitait pas à écraser ses rivales et à piétiner des innocents comme le défunt fiancé de Ryo, si cela lui permettait de prospérer et de maintenir sa cote de popularité.

Rien qu'en y repensant, l'argenté afficha un air dégoûté. Les gens à la tête de cette entreprise s'en prenaient même aux primitifs extérieurs à la ville, qui n'avaient rien demandé à personne.

« J'ai quelque chose à t'avouer, Ryo. Je ne suis pas sûr qu'une telle nouvelle te fera plaisir, mais je souhaite qu'au moins toi sois au courant de ce que j'ai trouvé.

— Uh oh ! Quand tu commences à parler comme ça, ça sent pas bon du tout. » avoua la rousse en positionnant ses mains sur ses hanches. Mais elle écouta tout de même ce que son cadet avait à dire.

Après quelques instants d'explications concernant sa rencontre avec Joshua...

« Tu me fais marcher, hein ?

— Si seulement, Ryo. Si seulement...

— Mais t'es pas bien de t'en prendre au gang Masamune ?! L'un d'entre eux aurait pu te reconnaître ! Et puis pourquoi ne pas avoir laissé l'ambulance embarquer ce Joshua ? Pourquoi l'avoir ramené chez toi ? Si les autorités du Bushi découvrent que tu caches un primitif dans ton appart'...

— Hé, du calme ! la coupa Kei en levant ses mains. Je connais les dangers auxquels je m'expose, alors pas la peine de me les énumérer ! J'étais juste curieux à son sujet et je voulais savoir comment il a réussi à infiltrer Neo-Tokyo sans se faire repérer. Et puis d'après ce qu'il m'a dit, la Kai-Riu a détruit son village et son entourage. Il est l'unique survivant de cette attaque. Qu'est-ce que tu crois qu'on lui aurait fait, si les autorités lui avaient mis la main dessus ? »

Ryo ne répondit rien. C'était effectivement le genre d'affaire qu'on aimait étouffer à Neo-Tokyo. Sachant le Bushi sous l'influence de la Kai-Riu, si ses agents interrogeaient Joshua et qu'ils découvraient la vérité à son sujet, ce pauvre garçon se ferait exécuter sans ménagement et sans que personne ne le sache. Vu sous cet angle, Kei avait bien fait de le sauver. Seulement, il ne pouvait pas définitivement cacher ce primitif. Tôt ou tard, on le remarquerait et il allait indirectement attirer des ennuis à l'homme qui l'hébergeait.

« À vrai dire, j'ai déjà un plan en tête qui lui permettrait de se fondre dans la masse sans qu'on ne le soupçonne d'être un primitif. Je ne sais pas s'il sera d'accord car il m'a l'air d'avoir un tempérament assez buté et méfiant. Mais sa profonde haine envers notre ennemi commun pourrait faire de lui un allié potentiellement précieux.

— Je n'ai pas spécialement envie de mêler un inconnu à nos affaires, même s'il n'aurait aucun problème à nous aider. Il m'a l'air d'avoir déjà pas mal souffert en voyant ses proches mourir. Je ne suis pas sûre de vouloir me servir de lui pour atteindre nos objectifs.

— Il en a gros sur le cœur, n’empêche ! Et sachant qu'il n'a plus rien à perdre, il n'hésitera pas à faire tout ce qu'il faut pour faire tomber la Kai-Riu. Mais rassure-toi : je n'ai pas l'intention de le forcer à faire quoi que ce soit. J'expose juste les faits et pose le pour et le contre. La décision de nous aider ou non n'appartient qu'à lui seul.

— Et s'il refuse, tu feras quoi de lui ? Tu le jetteras dehors ?

— Tu me penses méchant et égoïste à ce point, Ryo ? » questionna Kei en haussant les sourcils d'étonnement. La rousse pouffa légèrement devant cette réaction.

« T'inquiètes, je sais très bien que tu ne lui feras aucun mal. T’as toujours été du genre généreux envers ton prochain, limite altruiste malgré toi ! Seulement, n'oublie pas qu'être trop bon peut apporter le malheur. Ce Joshua peut vraiment te mettre dans une grosse merde si vous ne faites pas attention ! »

Kei lui adressa un tendre sourire. C'était du Ryo tout craché ! Elle ne pouvait pas s'empêcher de se soucier de lui malgré ses paroles rassurantes. Cette femme tenait à lui, et le plus jeune s'estimait chanceux d'avoir des personnes qui l'aimaient et l'aidaient au quotidien. Toutes ces petites attentions comblaient le manque ressenti depuis la perte de sa mère durant son adolescence. En y repensant, une certaine nostalgie l'envahit. Mais il repensa aux courses à faire et écourta la conversation.

« Je te tiendrai au courant de notre situation, assura-t-il en embarquant dans son véhicule. D'ici-là, portez-vous bien !

— Et toi, essaye de ne pas faire trop de bêtises ! Tu ne m'as pas expliqué ton plan pour cacher le côté primitif de ton invité surprise, mais j'ose espérer que tu ne feras rien de trop illégal ! »

Après l'avoir salué, Kei démarra son véhicule qui s'envola à travers une grande trappe qui s'ouvrait au plafond. Ce fut ainsi qu'il quitta le Cyber Laidies et qu'il se mêla au trafic urbain. Une agréable odeur fruitée se dégageait du diffuseur de parfum accroché sous son rétroviseur intérieur. Ce désodorisant avait l'apparence d'une Natsu en mini-short et en débardeur, adoptant une pose sensuelle. Le jeune homme ne put s'empêcher de rire légèrement en découvrant cette touche personnelle dont la jeune femme lui avait parlé.

T'es bête, Nat' !

Sur un écran positionné à la droite de son tableau de bord, il programma sa prochaine destination, avant de mettre une musique électronique synthwave, modérément rythmée mais dégageant quelque chose de serein. Le genre de son qu'il aimait écouter en se promenant en ville.

J'espère que tout se passe bien chez moi ! Je ferai mieux de faire vite pour rentrer le plus tôt possible.

 

*

 

Quelques heures plus tard, après avoir effectué ses achats dans différentes boutiques, puis garé son véhicule dans un parking intérieur situé à quelques étages au-dessus de son appartement, Kei ouvrit la porte de celui-ci. Divers colis fluorescents de tailles variables, jaunes ou roses, flottaient de part et d'autre de lui.

« Bon retour à la maison, Kei ! » souhaita Neeko sous sa forme de robot humanoïde. Son propriétaire sourit en lui confiant ses emplettes afin qu'elle puisse les déposer quelque part. Il se tourna ensuite vers Joshua. Le brun était debout devant le grand écran holographique qui servait de téléviseur. Il semblait plus fasciné par la technologie en elle-même que par l'émission qu'elle diffusait.

« Tu ne t'es pas trop ennuyé ? demanda Kei en le rejoignant après avoir déposé son manteau sur un crochet placé à côté de la porte d'entrée.

— Je n'en ai pas eu le temps. À chaque fois, je passais une demi-heure à comprendre comment fonctionne certains appareils !

— Malgré l'aide de Neeko ?

— Ses explications ne sont pas toujours claires, confia Joshua en se tournant vers lui, les bras croisés.

— Je dirais plutôt que c'est Joshua qui possède un quotient intellectuel plus bas que la moyenne ! » s'éleva la voix de l'androïde à l'autre bout de la pièce. Tandis que Kei se montrait surpris de la franchise d'une telle affirmation, le primitif fusilla le robot d’un regard agacé.

« Dis tout de suite que je suis un gros con sans cervelle, tant qu'à faire !

— Tu t'es enfilé un préservatif vibromassant sans même savoir à quoi il servait. Ce qui confirme mes dires !

— Attendez, quoi ?! » fit Kei qui n'était pas sûr d'avoir entendu. Les joues de Joshua s'empourprèrent violemment alors qu'il criait à l'adresse de Neeko.

« Traîtresse ! Tu m'avais promis de ne pas lui parler de ça !

— Il faut bien que je donne un exemple pour démontrer en quoi tu es un gros con sans cervelle, comme tu l'as dit. »

Leurs chamailleries furent interrompues par un fou rire de Kei. En s'imaginant la réaction de Joshua face au préservatif qu'il s'était essayé, il ne put s'empêcher de s'esclaffer.

« C'est pas spécialement marrant, grogna l'autre homme, partagé entre dépit et gêne.

— Désolé, mais c'est complètement hilarant à visualiser ! »

Il fallut une bonne minute à l'argenté pour se calmer alors que Joshua lui tournait le dos en boudant.

« C'est à se demander qui est le plus gros con, ici...

— Allons, allons ! Sois pas fâché pour si peu ! tenta de le réconforter Kei. D'ailleurs, je t'ai acheté pas mal de vêtements que tu devrais essayer. Il y a aussi certaines choses dont j'aimerais te parler. Et ça concerne en partie la Kai-Riu. »

À l'entente de ce nom, Joshua oublia son embarras et regarda son hébergeur d'un air sérieux. Sa curiosité fut vivement piquée : qu'est-ce que Kei voulait lui raconter au sujet de cette société ? Peut-être que ces informations l'aideraient à atteindre l'objectif qu'il s'était fixé depuis son infiltration à Neo-Tokyo.

Chapter 3: Se fondre dans la masse

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Le soleil commençait à se coucher, baignant Neo-Tokyo sous ses rayons de lumière tamisée s’assombrissant au fil du temps. Mais en cette fin d’après-midi, Kei avait choisi de clore les stores de sa chambre, et donc de se priver d’un tel spectacle.

Il avait passé une bonne heure à faire essayer diverses tenues achetées pour Joshua dans sa chambre. Des pantalons en jean ou en cuir, des t-shirts tantôt moulants, tantôt amples, divers vestes ou manteaux, parfois décorés de petits néons qui s'illuminaient le soir... L'argenté s'était montré généreux dans ses achats, et rassuré d'avoir deviné juste concernant la taille du brun. Tous ces vêtements lui seyaient à merveille ! Même le miroir dans lequel ce dernier se regardait, et qui jugeait les habits portés, affichait d’excellentes notes. La veste et le pantalon en jean noirs qu’il portait avec un t-shirt blanc décoré d’une inscription japonaise rouge en son centre, récoltaient ensemble la belle note de dix-huit sur vingt.

« T'as vraiment payé tout ça pour moi ? demanda Joshua en se contemplant sous tous les angles.

— Non ! Je les ai volés sans que les vendeurs ne s'en rendent compte. »

Le plus jeune se retourna vivement vers Kei, les sourcils haussés d'étonnement et d'indignation. En voyant qu'il le prenait au sérieux, l'argenté retint un rire moqueur et répliqua :

« Relaxe, Joshua ! Je te fais marcher, je n'ai rien volé ! J'ai dépensé mon propre argent pour t'offrir ces vêtements, histoire qu'on ne devine pas que tu viens de l'extérieur de la ville. J'ai négocié pour les avoir à moitié prix pour la plupart. Deux-cent-et-quelques euyens pour tout au lieu de quatre cents environ ! Autant dire que j’ai fait une très belle affaire. Par contre, est-ce que ça te plaît ? 

— Euh... »

Joshua ne cacha pas son hésitation. Il trouvait tous ces vêtements plutôt pas mal. Seulement, il ne se sentait pas à l'aise dedans. Il avait l'impression d'être une autre personne. De ne pas être lui-même.

« C'est justement le but de la manœuvre, mon grand ! informa Kei en s'installant à son bureau devant ses ordinateurs à écrans virtuels. Si tu souhaites te rapprocher de la Kai-Riu ou même simplement te promener en ville, tu dois mettre de côté ton style et tes manières de primit... »

Il bloqua dans sa phrase en remarquant le froncement de sourcils chez l'autre. Il semblait détester le terme « primitif » pour le désigner. Ce qui pouvait se comprendre car une telle appellation conservait un aspect assez péjoratif et réducteur.

« Bref ! En gros, tu vas devoir t'adapter à la vie de Neo-Tokyo. Ce qui signifie te faire passer pour un banal citoyen d'ici. C'est la seule façon de ne pas attirer l'attention sur toi.

— Ça ne devrait pas être trop compliqué, je suppose, affirma Joshua en commençant à se déshabiller.

— Pour l'apparence, effectivement, c'est simple. Niveau administratif par contre, ça se corse.

— Admini quoi ? »

Kei afficha un air légèrement dépité devant une telle question. Joshua avait beaucoup de choses à apprendre sur le style de vie à Neo-Tokyo, visiblement !

« Chaque habitant possède un nom, un prénom, une adresse et un numéro de matricule, pour ne citer que ça. Toutes ces informations sont conservées dans les archives administratives et permettent de vérifier l'identité de chacun lors d'un contrôle effectué par des autorités, ou par certains autres services comme les transports en commun. Si t'es pas en règle de ce côté-là, tu risques d'avoir d'énormes problèmes.

— Et comment je peux éviter ce genre de problème ? » demanda le plus jeune qui, uniquement vêtu de son pantalon, s'approcha de lui pour l'observer tapoter sur son clavier tactile lumineux. Plusieurs choses incompréhensibles à ses yeux défilaient sur les trois écrans affichés.

« C'est là que j'entre en action, répondit son hôte d'un rictus confiant. En accédant discrètement aux archives administratives, je peux glisser des informations sur un habitant supplémentaire. Toi, en l'occurrence !

— Tu peux faire ça ?

— Pas de manière légale, mais ouais ! En tant que prodigieux hacker, ça ne me posera pas trop de problèmes. Normalement. »

Joshua voulut lui poser une question, mais Kei lui coupa l'herbe sous le pied.

« Cherche pas à savoir ce qu'est un hacker, c'est un peu long à t'expliquer et j'ai besoin de concentration pour faire ça bien ! Si je me loupe et qu'on parvient à me détecter, c'est moi qui risque de me retrouver dans la mouise. »

Ainsi, le brun laissa le hacker effectuer ses opérations informatiques. Il n'osa pas bouger de sa position, souhaitant ne rien manquer si quelque chose d'intéressant survenait sur l'un des écrans. Un silence s'installa entre les deux hommes. Seul le pianotage sur le clavier se fit entendre. Joshua balaya rapidement la chambre du regard, pensant y trouver Neeko. Mais celle-ci était probablement dans le salon en train de s'occuper autrement.

Il se concentra alors sur un Kei pleinement absorbé par sa manœuvre. L'air sérieux et imperturbable, l'informaticien s'attelait à sa tâche avec un calme olympien, sans sourciller. Joshua avait presque l'impression de voir une autre personne. L'argenté l'avait habitué à une facette décontractée, joviale et assez taquine. Mais en cet instant, son expression reflétait l'exact opposé. C'était assez perturbant, mais Joshua trouvait un tel aspect chez lui... fascinant ? Inspirant ?

« T’aimes ce que tes yeux regardent ? » questionna l'artiste martial en sentant son regard posé sur lui depuis quelques secondes. Pris au dépourvu, son rescapé dévia sa tête.

« J'observe juste ce que tu fais.

— À quoi bon observer vu que t'y comprends que dalle ? taquina-t-il d’un petit sourire.

— Sachant que ce que tu es en train de faire me concerne, je pense être légitime pour regarder, même si je ne capte rien.

— Pas faux, vu sous cet angle ! »

Quelques secondes plus tard, le sourire de Kei s'agrandit de satisfaction : il était parvenu à accéder aux archives de la mégalopole sans se faire repérer par la cyber-sécurité. Il ne lui manquait plus qu’à y glisser un formulaire contenant les informations identitaires au sujet de Joshua et le tour était joué.

« C'est quoi ton nom de famille ?

— Mon nom de famille ? demanda le primitif d'un air circonspect.

— Le nom qui accompagne ton prénom ! Par exemple, je m'appelle Takahashi Kei. Kei étant mon prénom et Takahashi mon nom de famille.

— Je... n'ai pas ça. De là où je viens, le nom accompagnant notre prénom ne dépend pas de notre famille mais de notre lieu de naissance. Je suis né dans un village situé en montagne. Alors on m'a nommé Joshua de la Montagne. »

Face à une telle explication qu'il jugeait plutôt étrange, un air blasé s'empara du hacker.

« Tu m'aides pas beaucoup, mec ! Joshua de la Montagne... Tu penses sincèrement pouvoir passer inaperçu avec un nom pareil ? Ça fait pas du tout Neo-Tokyoïte, ça !

— Hey, c'est pas moi qui l'ai choisi, ok ? Je réponds simplement à ta question ! Désolé de ne pas avoir un nom sonnant Neo-Tokyo-machin-chose ! »

Il croisa les bras d'un air boudeur en regardant ailleurs. Kei soupira devant cette réaction. Il s'en voulait d'avoir dit les choses de cette manière, mais restait concentré dans sa tâche. Il ne devait pas s'éterniser dans le système qu'il avait piraté. Ainsi, il compléta le formulaire lui-même, en imposant certains trucs.

« Puisque tu es hébergé sous mon toit, autant t'appeler Takahashi Joshua.

— Tu me laisserais porter ton nom de famille ?

— Ayant la flemme de réfléchir à un autre nom, ouais. Considère-toi dorénavant comme... mon petit frère ?

— On ne se ressemble même pas ! Me faire passer pour ton frère n'est pas crédible.

— Tu préfères passer pour mon époux, peut-être ? » questionna le plus âgé en levant les yeux au ciel, l'ombre d'un sourire aux lèvres. Joshua cligna plusieurs fois des yeux, stupéfait d'une pareille proposition.

« Ton... époux ?! Mais... on est deux hommes !

— Et alors ?

— Le mariage n'est pas censé concerner un homme et une femme ? »

L'ignorance de son invité exaspérait Kei autant qu'elle l'attendrissait. L'homme aux mèches blanches hésita entre exploser de rire et se taper la figure devant une telle bêtise.

« Considère-toi comme tu veux : mon frère, mon mari, mon cousin, mon neveu, on s'en fout ! Ce qui nous intéresse, c'est que tu aies un nom de famille et tout le reste que je suis en train de générer ! »

Joshua ne répondit pas, troublé de se faire passer pour un membre de la famille d'une personne qu'il connaissait à peine. Mais il comprenait cette nécessité pour dissimuler sa véritable identité et faire profil bas. Ainsi, il laissa Kei finir son piratage et préféra partir déambuler dans le salon après s’être rhabillé.

 

*

 

Deux heures passèrent pendant lesquelles le voile nocturne envahissait le firmament. Kei et Joshua s'étaient rafraîchis, pendant que Neeko, dans son corps d’automate félin rose, se mettait en veille, couchée sur un coussin dans le salon.

Le duo masculin soupait à présent devant le téléviseur qui présentait les informations du jour. Parmi elles, la Kai-Riu ayant mis au point une technologie destinée aux agents du Bushi. Une sorte de pistolet givrant qui congelait instantanément tout individu tentant de fuir son contrôle ou son arrestation. L'utilisation d'une telle arme n'était pas dangereuse pour les cibles touchées, à en croire les dires de la journaliste. Mais Kei y croyait moyen :

« Des armes qui ne font physiquement pas mal... On aura tout vu avec cette société à la con !

— Pourquoi vouloir créer des armes pour les utiliser contre ses semblables, à la base ? Voilà un truc que je ne comprendrai jamais. »

Agacé, Joshua détourna son regard de l'écran projeté. Il préférait river ses yeux vers la vitre la plus proche et observer le paysage urbain dehors. Toutes ces lumières lui donnaient mal aux yeux. Et ces voitures volantes qui circulaient à grande vitesse... Le jeune brun peinait à s'habituer à une telle ambiance, qui changeait drastiquement de celle de son village où tout était plus calme et naturel.

« Ça a toujours été dans la nature humaine, de confectionner des armes et de se battre avec, répliqua Kei sans délaisser l'émission. Et ce qui est con, c'est que les gens n'apprennent pas de leurs erreurs. Nos ancêtres ont détruit notre planète d'origine à coup d'armes nucléaires et de guerres à répétition, et ont eu la chance de pouvoir élire domicile sur Calreon afin d'y bâtir Neo-Tokyo. Malgré ça, leurs descendants continuent à perpétrer leurs conneries en voulant faire des armes de plus en plus puissantes, et en pourrissant lentement cette planète qui leur sert de refuge depuis plusieurs millénaires. »

Joshua observa son interlocuteur en haussant un sourcil étonné. Il ne s'était pas attendu à ce que l'autre se montre aussi amer à ce sujet. N'était-il pas content de vivre dans le confort que lui offrait le commerce de la Kai-Riu et des autres entreprises faisant tourner Neo-Tokyo ?

« Tu as... étrangement le même genre de raisonnement que les gens de mon village, ou des villages voisins. C'est assez bizarre d'entendre de tels mots de la bouche d'un sophistiqué.

— Un sophistiqué ?

— De la même manière que vous nous surnommez les primitifs, pour nous, vous êtes des sophistiqués. N'ayant aucune harmonie avec la nature, vous vous complaisez dans votre luxe superficiel et vous nourrissez votre ego et votre soif de pouvoir en vous en fichant du monde qui vous entoure.

— Doucement, l'ami ! tempéra Kei d'un air blasé. Évite de mettre tout le monde dans le même panier, s'il te plaît. Tous les habitants de Neo-Tokyo n'approuvent pas spécialement le mal que cette mégalopole fait à ce monde, tu sais ?

— Pourtant, personne ne m'a l'air de se bouger pour changer les choses !

— Parce que ce n'est pas aussi simple que tu le crois. T'as bien entendu les infos, non ? Les autorités du Bushi sont de mieux en mieux armées chaque jour. Surtout depuis que la Kai-Riu impose son influence dans cette ville ! Qu'est-ce que tu crois qu'il arrivera si certains osent se rebeller contre cette société ? Ce genre de soulèvement implique beaucoup de sacrifices. Et ce n'est pas tout le monde qui se sent capable de s'y risquer.

— Malgré tout, tu as pris des risques en effectuant une action illégale pour me couvrir. Tu aurais très bien pu me dénoncer au Bushi lorsque tu m'as trouvé.

— C'est vrai, j'aurais pu. Mais je ne l'ai pas fait.

— Pourquoi ?

— C'est ma façon de dire à la Kai-Riu et au Bushi d'aller se faire foutre. »

Un petit sourire étira ses lèvres pendant que Joshua entrouvait inconsciemment sa bouche, stupéfait. Tout comme lui, Kei ne portait pas cette société influente dans son cœur. Même, il la méprisait. Voilà une chose qui le rendait curieux. Il souhaitait lui poser des questions à ce sujet, mais son hôte ne lui en laissa pas le temps.

« Demain, je dois reprendre mon boulot. Je serai donc de sortie pour toute la journée. J'ai envie de t'emmener avec moi, mais j'hésite. D'un côté, je ne suis pas rassuré à l'idée de te laisser seul même si Neeko est là, et d'un autre, j'ignore s'il est prudent de te laisser sortir, sachant que tu n'es pas habitué au train de vie de Neo-Tokyo.

— Je n'ai pas spécialement envie de me tourner les pouces ici sans rien faire. Et de toute façon, je sortirai tôt ou tard. Je ne suis quand même pas ton prisonnier, après tout ! Et j'ai besoin de me dégourdir les jambes et de respirer l'air extérieur, même si celui de cette ville pue la pollution. »

Cela sonnait légitime aux oreilles de l'informaticien. De toute façon, Joshua serait confronté tôt ou tard à l'extérieur des murs de cette résidence. Autant le laisser prendre rapidement ses marques. Peut-être que cela l'aiderait à concocter un plan d'approche contre la Kai-Riu ?

 

*

 

La journée suivante, Kei avait reçu les coordonnés de son lieu de travail du jour : sixième niveau de l'allée P14, secteur Nao, district Fujin.

Ce n'était pas excessivement loin de chez lui, mais ce n'était pas non plus la porte d'à côté. Heureusement qu'il avait récupéré son véhicule la veille ! Ainsi, il embarqua dans ce dernier et fit monter Joshua du côté passager. Le primitif se sentit perdu au milieu de la multitude de boutons ornant l'intérieur du vaisseau. Il s'était attendu à une machine volante simple à piloter, mais toutes ces commandes ajoutaient de la complexité à son maniement. Pourtant, Kei s'y sentait à son aise alors qu'il appuyait sur plusieurs interrupteurs pour démarrer le moteur et décoller. Un volant fusionné à un manche directionnel et deux pédales, se situaient respectivement devant et aux pieds du conducteur.

Après s'être assuré de leurs ceintures bien attachées, le vaisseau du hacker s'envola jusqu'à se mêler parmi la dense circulation, formée de véhicules à tailles variables et aux couleurs personnalisées.

Joshua fut impressionné et un brin effrayé par la hauteur de leur position. Il ne pouvait même pas voir le point le plus profond de Neo-Tokyo, recouvert d'un épais brouillard permanent. Sa plus grande surprise se révéla cependant être la taille démesurée de la mégalopole. Il avait eu vent de l'immensité de cette cité, mais ne s'était jamais rendu compte à quel point jusqu'en cet instant. En le voyant admirer une telle vue, Kei sourit en restant concentré sur sa conduite.

« Pas de vertige ?

— Pas vraiment. Mais j'espère que les portes de ta machine volante sont bien fermées ! J'ai pas envie de tomber en bas.

— T'inquiètes pas ! rit l'argenté devant sa crainte. Les portières des vaisseaux de ce genre sont programmées pour se verrouiller dès le démarrage. Tant que le moteur tourne, elles restent verrouillées. En cas de problème nécessitant un atterrissage forcé, un bouclier technologique s'active automatiquement pour protéger la bagnole et les personnes à bord. Un signal est ensuite envoyé aux organismes d'urgence qui se rendront sur les lieux du crash.

— Je vois. Ils ont l'air d'avoir pensé aux pires scénarios possibles, dans cette ville. »

Un petit moment de silence s'installa. Joshua continuait de contempler les buildings environnants d'un air ébahi. Kei, qui n'aimait pas spécialement le calme complet lorsqu'il conduisait, s'apprêta à activer le lecteur de musique. Mais le brun lui posa une question qui le freina dans son geste.

« Comment vous arrivez à vous repérer dans une ville aussi gigantesque ? Il y a tellement de bâtiments qui se ressemblent qu'on a de quoi se perdre facilement !

— Neo-Tokyo se divise en douze districts, chacun réparti autour de la grande tour centrale qui est la résidence de notre président. En partant du nord, et en tournant dans le sens des aiguilles d'une horloge, on a Tsukuyomi, Suijin, Susanoo, Hachiman, Izanami, Izanagi, Amaterasu, Kojin, Hotei, Fujin, Ebisu, Kannon. J'habite dans le district Amaterasu. Fujin, là où nous allons, se trouve deux districts plus loin.

— Et niveau adresse ? Tu m'as parlé de sixième niveau de je-ne-sais-plus-quoi...

— Les districts sont séparés à la verticale par les allées, et à l'horizontale par les niveaux. Le niveau 0 part du bas des bâtiments, et plus on monte, plus le niveau s'élève. Il y a généralement cinq à huit étages entre deux niveaux. Les allées sont nommées par des lettres suivies de chiffres en fonction de leur emplacement. Quant aux secteurs, ce sont simplement les quartiers des districts. »

Une certaine confusion s'empara de Joshua. Il avait à peu près compris les explications du conducteur, mais tout ce système pour se déplacer au sein de la ville lui paraissait compliqué. Déjà qu'il y avait douze districts, probablement tous aussi vastes les uns que les autres, et que chacun était divisé en secteurs, si en plus on rajoutait les allées et les niveaux...

« Je vois ton cerveau fumer d'ici ! l'embêta Kei d'un rictus farceur.

— Oh ça va ! Pas la peine de te ficher de moi ! s'exclama un Joshua légèrement boudeur. Je ne suis pas un citoyen de cette ville ! »

Sa réaction fit sourire son homologue, d'humeur enjouée. Mais il préféra arrêter sa taquinerie et se focaliser sur le travail qui l'attendait à destination.

 

*

 

Une demi-heure plus tard...

Après avoir garé son véhicule dans un parking d'immeuble, le duo masculin se rendit jusqu'à l'intérieur des locaux de la société du jour : Netlust. Une start-up informatique fraîchement créée, mais en proie à quelques problèmes techniques. Kei et Joshua furent accueillis dans un bureau par le patron et unique personne présente : Yori Gaku. Celui-ci était presque aussi jeune qu'eux. Mais son costume cravate aux couleurs sobres, ses mèches courtes blondes coiffées vers l'arrière et sa paire de lunettes rectangulaires donnaient l'illusion d'un homme trentenaire.

« Pardonnez cette question, mais pouvez-vous me confirmer votre identité ? demanda-t-il à Kei. Je souhaite vérifier si les coordonnées fournies par votre firme employeuse concordent, et je veux également tester mes lunettes scanner. »

Joshua était complètement largué par ce langage trop technologique qui le fatiguait déjà. Il laissa donc la parole à son compagnon.

« Takahashi Kei, je suis un programmeur informatique avec de grandes connaissances en hacking et en cybercriminalité.

— Exactement comme vous ont décrit votre firme. »

Yori activa ensuite ses lunettes à l'aide d'un bouton microscopique situé l'avant de la branche gauche. Kei et Joshua virent quelques écritures lumineuses apparaître sur ses verres. Mais seul le propriétaire de celles-ci pouvait les lire convenablement.

« Mes lunettes vous reconnaissent effectivement comme étant Takahashi Kei. »

Il se tourna ensuite vers Joshua, et l'observa longuement avant de lui demander :

« Takahashi Joshua ?

— C'est mon jeune frère, expliqua l'informaticien en voyant le primitif légèrement se crisper. Il souhaite devenir programmeur comme moi, alors je l'emmène de temps en temps sur le terrain. Et il m'aide souvent dans mes tâches.

— Votre... frère ? Il ne vous ressemble pas. Sans ne vouloir offenser personne, bien sûr ! »

Kei sentit le regard blasé de Joshua se poser sur lui façon « je te l'avais bien dit ! ». Mais le hacker trouva instantanément une parade.

« C'est mon frère adoptif. Nous partageons les mêmes parents mais pas le même sang. »

Joshua dut faire un effort colossal pour ne pas laisser échapper un « ah bon ? » de sa bouche. Surtout qu'une telle justification semblait satisfaire Yori qui se montrait compréhensif.

Les présentations étant faites, le fondateur de Netlust confia vouloir réparer son système informatique récemment infecté par un puissant virus. Il avait tenté de l'endiguer lui-même mais malgré ses connaissances en la matière, il n'était pas parvenu à s'en défaire et ignorait d'où cette infection provenait.

« Si je ne parviens pas à éliminer ce satané virus, quatre années de ma vie partiront en fumée. Et mon rêve d'une superbe entreprise avec !

— Si ce n'est pas trop indiscret... se risqua Joshua. À quoi aspire votre entreprise ?

— Avec un nom comme Netlust, je suis prêt à parier cinquante euyens qu'il s'agit de la mise en place d'une plate-forme pour visionner du porno.

— Une quoi ? » questionna le brun qui ne comprenait rien au charabia de l'argenté. Yori se contenta de racler sa gorge d'un air gêné en déviant son regard.

« Il s'agit d'un centre indépendant pour former des programmeurs informatiques comme vous.

— Oh. » fit simplement Kei qui se sentait idiot de s'être laissé induire en erreur par une telle appellation. Ce désagréable sentiment s'accentua lorsqu'il vit Yori lui tendre un petit appareil possédant un scanner de la taille d'une carte, avec un petit écran au-dessus qui affichait cinquante euyens. Kei poussa un soupir avant de payer cette somme avec une carte électronique qu'il passa sur le scanner, avant de poser son doigt sur celui-ci pour une vérification d'empreinte digitale.

Ça m'apprendra à être trop confiant en pariant sur tout et n'importe quoi...

Il sentit la main de Yori lui tapoter l'épaule en guise de compassion suite à cela, pendant que Joshua s'interrogeait encore sur la signification d'un porno.

Après cet échange, le patron de Netlust confia son ordinateur à Kei et à Joshua, avant de quitter son bureau pour passer quelques appels. Le hacker s'installa devant l'appareil en faisant craquer ses phalanges. Le brun rapprocha un siège pour prendre place à ses côtés et observa son compagnon à l'œuvre. Avec un calme toujours aussi déconcertant lorsqu'il pratiquait cette activité, Kei navigua à travers les fichiers, dossiers et logiciels de Yori. Il fut surpris de voir que ce dernier était tout de même parvenu à limiter la casse en stoppant la propagation du virus, l'empêchant d'envahir tout son système. Malheureusement, certains documents et programmes étaient plus ou moins endommagés. L’infection visait en particulier ceux en rapport avec Netlust. Comme s'il cherchait à ce que cette start-up ne voit jamais le jour.

« Ça, c'est carrément suspect... murmura-t-il en réfléchissant à un moyen de remédier à un tel problème.

— Désolé de ne pas pouvoir t'aider, je ne comprends même pas ce que signifie tout ce que tu es en train de faire.

— Je pense pouvoir m'en sortir tout seul. Pour tout te dire, ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à ce genre de cyberattaque. D'ailleurs, j'ai ma petite idée sur les personnes qui en sont responsables. »

Kei fouilla dans la poche de son pantalon pour en sortir une clé USB de la taille d'un auriculaire, et le connecta à l'une des prises de l'ordinateur pourvu à cet effet.

« Ça risque de me prendre un peu de temps pour arranger ce bordel. J'espère que tu ne t'ennuieras pas trop !

— Juste, fais ce que tu as à faire, répliqua Joshua en regardant à travers une vitre proche. Yori semble tenir à son projet. Alors qu'est-ce qu'on s'en fiche que je m'ennuie, si ça permet de l'aider ? »

Son interlocuteur ne put s'empêcher de le fixer un instant, tandis que son cadet n'avait d'yeux que pour la fenêtre. Puis il se concentra à nouveau dans son opération.

« Tu m'as l'air d'être un mec bien, malgré ton ignorance sur certaines choses. Beaucoup disent des primitifs qu'ils ont un tempérament sauvage et violent en plus d'être égoïste et stupides. Tu as peut-être des réactions un peu sauvages et on ne peut pas dire que tu sois très malin. Mais tu sembles loin d'être égoïste et violent. »

Le concerné ignorait s'il devait se sentir vexé ou ravi. Le fait que les habitants de Neo-Tokyo aient une aussi mauvaise image des personnes vivant en dehors l'énervait au plus haut point. Mais savoir qu'il existait des gens comme Kei, suffisamment ouverts d'esprit pour comprendre qu'une telle vision était erronée, lui donnait un soupçon d'espoir. Si d'autres Neo-Tokyoïtes raisonnaient comme lui, alors peut-être que cette mégalopole n'était pas totalement corrompue par son luxe et sa technologie.

 

*

 

Quelques heures passèrent avant que Kei n'étire enfin ses bras. Il venait de terminer son travail : plus l'ombre d'un virus et plusieurs logiciels discrets et complémentaires installés, pour prévenir d'une potentielle autre cyberattaque. En remarquant que Joshua s'était endormi sur sa chaise, il lui donna un petit coup de coude au bras pour le réveiller. Le brun prit quelques secondes pour émerger complètement.

« T'as fini ?

— À l'instant. Ça s'est révélé plus compliqué que prévu parce qu'une nouvelle vague de virus a tenté d'infecter d'autres fichiers entre temps. Mais j'ai réussi à la bloquer. Par contre, cette méthode d'enflure, c'est clairement signé la Kai-Riu.

— Sérieux ? s'étonna Joshua, un sourcil haussé. Mais pourquoi la Kai-Riu s'attaquerait-elle à une autre entreprise qui n'a même pas encore vu le jour ?

— Elle a voulu tuer Netlust dans l'œuf, probablement par crainte qu'elle gagne en popularité ou qu'elle lui porte préjudice. Après tout, une start-up informatique indépendante pour former des programmeurs peut représenter un danger pour la Kai-Riu, si les programmeurs en question souhaitent s'en prendre à elle. Et ce, même si ce n'est pas spécialement l'objectif de Yori.

— Si la Kai-Riu est capable de faire détruire des villages entiers en dehors de Neo-Tokyo, ce genre de coup bas ne me surprend pas d'elle. »

Le brun dévia son regard, envahi d’une profonde rage. Plus les jours passaient, moins il supportait l'existence de cette firme affluente. Il rêvait du jour où il rencontrerait ses fondateurs pour les rouer de coups, comme le gang Masamune l'avait fait avec lui, et leur faire payer tout le mal qu'ils avaient fait.

Kei remarqua son tourment et réfléchit à une parole réconfortante pour calmer sa haine. Mais ils entendirent tout à coup du grabuge dans l'une des salles adjacentes, suivi de plaintes souffrantes de Yori. Ni une ni deux, les deux hommes se précipitèrent en dehors du bureau. Mais leurs yeux s'écarquillèrent en découvrant quatre voyous, membres du gang Masamune, en train de martyriser le créateur de Netlust. Ils étaient entrés dans les locaux en défonçant la porte et n'avaient pas hésité à briser certaines vitres et à mettre l'intérieur sens dessus dessous.

Yori finit recroquevillé dans un coin alors que les délinquants se tournaient vers les deux nouveaux venus.

« On dirait que cette tapette de Yori a des employés ! se moqua l'un des intrus avant de cracher sur le sol carrelé.

— Autant leur faire leur fête, avant de jeter leur cadavre par la fenêtre pour qu'ils s'écrasent au niveau 0 ! » proposa un autre pendant que les autres approuvaient. Face au danger imminent, Kei passa devant Joshua pour faire face à la bande.

« Occupe-toi de Yori ! Je me charge de ces enfoirés. »

Mais contre toute attente, Joshua se plaça à ses côtés, prêt à en découdre également.

« On est deux, ils sont quatre. On aura plus de chances de s'en débarrasser en faisant équipe. Et puis j'ai une revanche personnelle à prendre sur les Masamune. »

Une telle justification pouvait s'entendre, mais ferait-il le poids face à des hommes aussi vicieux qui, en plus, pouvaient être armés ? Kei n'eut pas le temps de dissuader Joshua que les quatre voyous fonçaient déjà en leur direction, sous l'air effrayé de Yori.

Chapter 4: Soupçons et vérités dissimulées

Chapter Text

Kei usa de ses bagues électrifiées pour faire face aux Masamune. Ces derniers n'avaient pas hésité à sortir leurs couteaux lasers ou leurs pistolets paralysants peu après le début de la rixe. Malgré le danger, l'argenté tint tête à la moitié de la bande sans se faire blesser. Joshua, de son côté, se contenta d'esquiver les coups de lames ou les projectiles lumineux portés par les deux autres voyous. N'étant pas armé comme son compagnon, il se défendit à mains nues. Ce désavantage ne l'empêcha pas de désarmer l'homme à la dague fonçant vers lui, avant de le faire tomber à l'aide d'une prise de judo.

Rapidement, le brun ramassa l'arme tombée. Mais il la leva par réflexe pour bloquer de justesse un tir de l'autre délinquant au pistolet. La puissance du rayon le força à lâcher le couteau.

« Merde... » grogna-t-il, vulnérable à une attaque directe. Tout à coup, pendant que son adversaire le visait, Kei accourut jusqu'à ce dernier pour lui mettre un uppercut électrifié au menton. L'homme fut sonné et se tortilla de douleur sous le choc d'une telle frappe, tout comme les deux autres mis à terre par le hacker quelques secondes plus tôt.

Les quatre gangsters demeuraient conscients, mais incapables de riposter. Après avoir retrouvé leurs esprits et lancé des jurons à l'adresse du duo, ils se précipitèrent vers l'extérieur pour prendre la fuite. Ils n'avaient même pas pris la peine de récupérer l'arme dérobée par Joshua. Kei se tourna vers celui-ci.

« Pas de casse ?

— J'ai connu pire ! »

Les deux s'approchèrent ensuite de Yori, qui s'était relevé après s'être assuré que tout risque était écarté. Il soupira de soulagement avant de s'incliner en guise de gratitude.

« Je vous dois vraiment une fière chandelle !

— Ne nous remerciez pas trop vite, freina Kei d'un air sérieux. Je ne pense pas que vous et votre start-up soyez tirés d'affaire. Rien n'empêche ces types de revenir vous attaquer, et on ne sera sans doute pas là pour vous défendre à nouveau. Si je peux me permettre un conseil : changez d'emplacement et faites-vous discret pendant quelque temps. »

Joshua fixa son compagnon. À en juger par la mine austère de ce dernier, il comprit que l'affaire était grave. D'autant plus que cette histoire impliquait la Kai-Riu et les Masamune. Yori risquait bien plus que l'échec de son projet s'il ne prenait pas en considération les recommandations de Kei.

« Je verrais ce que je ferai, répondit le patron. Une chose est certaine : je ne resterai pas ici après ce qu'il vient de se passer. Je tiens à ma vie ! Mais je n'ai pas l'intention de laisser tomber Netlust pour autant. Quoi qu'il en soit, merci encore pour votre aide à tous les deux. Je m'arrangerai pour que vous ayez une paye élevée après les fiers services rendus !

— Mon frère n’est pas officiellement un intérimaire de Data Knights. Vous ne pourrez donc pas le payer directement. Mais une telle augmentation à mon égard est appréciable, je ne vais pas vous mentir ! »

Il remercia Yori pour ce geste généreux. Joshua ne comprenait pas vraiment de quoi il parlait, mais par la réaction de son aîné, il savait que cette fameuse augmentation leur serait bénéfique. Ainsi, il sourit également à l'adresse de leur employeur du jour.

 

*

 

Malgré le travail achevé et les quelques heures écoulées, la journée était loin d'être terminée. Kei s'accorda une ballade en ville. Il y voyait l'occasion de faire visiter celle-ci à Joshua. Le brun, d'abord hésitant à cette idée, accepta en se disant que Neo-Tokyo avait peut-être des choses intéressantes à montrer. Le duo embarqua donc dans le véhicule de Kei, qui décolla pour se mêler au trafic.

Afin de rendre la ballade plus agréable, le conducteur mit un peu de musique synthwave. Pas trop fort pour ne pas déranger Joshua, mais suffisamment pour en profiter.

« Je ne sais pas quel genre de musique tu écoutais dans ton village, alors j'espère que celle-ci ne te déplaira pas.

— On n'écoutait pas de musique, confia le brun en contemplant les énormes hologrammes publicitaires de certains bâtiments environnants. On en jouait. On était plutôt adeptes des instruments de musique traditionnels. Pas de sons créés artificiellement par des machines. »

Kei s'en était douté. Après tout, les primitifs n'utilisaient aucune technologie dont Neo-Tokyo aimait se targuer.

« Cela étant dit, reprit Joshua en le regardant, ton style de musique n'est pas mal malgré tout ! Le rythme n'est pas trop effréné, la mélodie est agréable et l'ensemble est plutôt relaxant au final. Franchement, je m'attendais à entendre des musiques bien plus assourdissantes et brutales que ça.

— Oh, les musiques dont tu parles existent et il m'arrive d'en écouter. Mais lorsque je conduis, je préfère les musiques plus tranquilles. »

Un léger sourire étira les lèvres de Joshua, qui observait de nouveau l'extérieur pour contempler la ville. La majorité des immeubles se ressemblaient, mais certains sortaient du lot de par leurs architectures plus travaillées et atypiques, les écrans publicitaires qui rajoutaient des animations colorées, ou encore les statues holographiques de personnalités ou de monuments trônaient en leurs sommets. En détaillant toutes ces petites choses, il fit bouger sa tête au rythme de la musique de Kei. Ce dernier ne s'attendait pas à ce que cette mélodie lui plairait à ce point, mais il s'en montra ravi.

« Je n'ai pas pensé à te le dire tout à l'heure parce qu'on était devant Yori, mais tu te démerdes plutôt bien, quand il s'agit de te défendre !

— Voilà un compliment que je peux te retourner. Où est-ce que tu as appris à te battre comme ça ? Et ces espèces de bagues que tu portes ?

— Ce sont des bagues de combat qu'un ami m'a offert. Elles fonctionnent sur batteries. Normalement, ce ne sont pas des armes qu'on trouve sur le marché, donc on ne peut pas dire que leur détention soit légale. Mais pour se défendre contre une bande de sales types comme le gang Masamune, c'est top ! Et pour répondre à ta première question, c'est une autre amie qui m'a introduit à l'art de la bagarre. Elle s'appelle Ryo.

— C'est une femme qui t'a enseigné ça ? demanda Joshua en haussant les sourcils de stupéfaction.

— Elle m'a enseigné les bases. Et je les ai perfectionnées avec deux autres amis à nous : Natsu, qui est également une femme, et son copain Hayate.

— Je... ne pensais pas que les femmes d'ici savaient se battre de la sorte.

— À Neo-Tokyo, savoir se défendre un minimum est un plus non négligeable, aussi bien pour une femme que pour un homme. C'est pas le cas de ton côté ? »

Joshua raconta que dans son village, l'art du combat était exclusivement réservé aux hommes pour que ceux-ci puissent défendre les femmes et les enfants en cas d'attaque.

« Tu sais que ton village aurait pu augmenter ses chances de survie si on avait également entraîné les femmes ?

— Peut-être. Mais dans notre coutume, les femmes ne sont pas destinées à devenir des guerrières ou des chasseuses.

— Laisse-moi deviner : les femmes gardent les enfants et préparent des bons plats pour leurs tendres époux, lorsqu'ils reviennent de la chasse ou de la guerre ?

— Pourquoi ce sarcasme dans ta voix ? On dirait presque que notre mode de vie t'exaspère.

— Vu comment vous vivez, ce genre de mentalité de votre part ne m'étonne pas. En tout cas, ça confirme que la vie à Neo-Tokyo et celle en extérieur sont diamétralement opposées.

— Et c'est probablement pour ça que les deux peuples ne parviendront jamais à s'entendre ou à vivre ensemble. »

Un silence s'installa entre les deux hommes. La dernière phrase de Joshua avait jeté un froid et rendu l'ambiance assez gênante. Kei ne sut quoi répliquer. Il craignait d'avoir vexé le plus jeune, mais se sentait tout aussi irrité par le modèle de vie dans les villages extérieurs, qu’il jugeait sexiste. Quelque part, cela le décevait : une luxuriante nature y régnait, mais elle était peuplée de personnes bien trop attachées à des traditions qu’il trouvait dépassées, et probablement fermées d'esprit.

« Bref ! finit par dire Joshua en levant les yeux vers le ciel partiellement nuageux. Il y a une question que je voulais te poser, qui n'a rien à voir avec tout ça. Tu sembles en savoir long sur le gang Masamune et sur la Kai-Riu en général. Je me doute que les deux soient connus de tous dans cette ville, mais tu sembles les connaître suffisamment pour déjouer leurs magouilles.

— Je suis un hacker, Joshua. Et j'ai Neeko avec moi, une intelligence artificielle exceptionnelle. J'ai largement de quoi me tenir informé à leur sujet.

— Pourtant, aux yeux de l'un de mes agresseurs de la dernière fois, t'avais une tête familière. »

Kei écarquilla les yeux devant une telle affirmation. Joshua n'avait pas tort : le jour où le garçon aux mèches d’argent l'avait sauvé d'une autre bande des Masamune, l'un d'eux avait affirmé « avoir déjà vu sa dégaine ». Le brun était donc encore conscient, à ce moment ?

Fuck !

Kei déglutit difficilement en cherchant une justification. Il ne souhaitait pas que Joshua apprenne son passif avec les Masamune et la Kai-Riu. Pas maintenant !

« Peut-être qu'il m'a confondu avec quelqu'un d'autre ? Perso, sa tête et celle des autres ne me disaient rien... »

Mais alors qu'il levait les yeux vers son rétroviseur, il remarqua plusieurs motards à quelques mètres derrière son véhicule. Il reconnut rapidement des membres du gang Masamune. Est-ce qu'ils se trouvaient là par hasard ? Kei tourna à une intersection tout en les surveillant. Son soupçon se confirma : ces hommes le suivaient.

« Bordel... » murmura-t-il en changeant encore de direction. Mais les motards en firent de même. Pas de doute : ils le poursuivaient. Joshua les remarqua à son tour en se retournant.

« Tu penses que ce sont les mêmes gars que tout à l'heure ?

— Peut-être pas les mêmes, mais il n'est pas impossible qu'ils soient des renforts envoyés par ceux qui nous ont attaqués pour se venger.

— Qu'est-ce qu'on fait ? »

Deux options s'offraient au duo : se garer dans une aire d'arrêt pour les confronter, ou fuir en tentant de les semer. Mais aucune de ces solutions n'arrangeait leurs affaires : en se garant pour leur faire face, Kei savait que les choses allaient rapidement mal tourner. Et en tentant de fuir, il allait probablement s'attirer des ennuis en plus de mettre en danger le trafic urbain.

« Roh et puis merde ! Accroche-toi, Joshua ! »

Il accéléra son allure en prenant brusquement de l'altitude. Plusieurs klaxons paniqués s’élevèrent tandis que les Masamune augmentaient la vitesse de leurs véhicules pour poursuivre le duo. Sous l'air crispé de Joshua qui priait pour survivre à un moment aussi dangereux, Kei slaloma entre les bâtiments et divers vaisseaux, espérant que leurs poursuivants les perdent de vue. Malheureusement, les motos volantes du gang, de par leur petite taille, s’avéraient bien plus rapides et maniables. Si bien, qu’elles gagnaient du terrain sur l'informaticien.

« On n'arrivera pas à les semer comme ça... grogna celui-ci en fronçant des sourcils.

— Il n'y a pas moyen de se cacher quelque part, à défaut de fuir ?! » proposa Joshua malgré sa frayeur. Kei réfléchit. Où pouvaient-ils se cacher en volant à une vitesse pareille ? Surtout avec les Masamune qui les avaient presque rattrapés ?

Tout à coup, le hacker eut un déclic. Il y avait bel et bien un endroit où il pouvait à la fois se cacher et semer le gang. Mais c'était risqué. Parviendrait-il à atteindre ce lieu sans casse, et à s'y dissimuler sans se faire débusquer ?

« Qui ne tente rien n'a rien ! » fit-il en volant brusquement à la verticale tout en descendant en direction du niveau le plus bas de Neo-Tokyo.

« KEI ! Qu'est-ce que tu fabriques ?! hurla Joshua en s'accrochant tant bien que mal pour ne pas se faire malmener dans tous les sens malgré sa ceinture accrochée.

— Si on arrive à atteindre le niveau 0, on pourra utiliser le brouillard qui y règne à notre avantage ! »

Il prit soin d'esquiver tous les véhicules croisés du mieux qu'il le pouvait. L'argenté savait que la moindre erreur pouvait provoquer un grave accident. Mais il constata que les Masamune perdaient du terrain malgré leur persévérance. La descente jusqu'au fameux niveau 0 parut excessivement longue, aussi bien pour Kei que pour Joshua. D'autant plus qu'ils entendaient des sirènes retentir au loin : les autorités du Bushi avaient sans doute été prévenues de ce qu'il se passait, et allaient bientôt s'en mêler.

Comme si on n'était pas déjà suffisamment dans la merde...

Le hacker serra les dents alors qu'il voyait enfin l'épais brouillard recouvrant le niveau le plus bas de la mégalopole. Après encore quelques secondes d'efforts, son vaisseau entra enfin dans cette purée de pois. La visibilité s'en retrouvait grandement réduite. Par sécurité, Kei ralentit sa vitesse en repositionnant son vaisseau à l'horizontale. Après avoir allumé les phares, il découvrit des carcasses de vieilles voitures qui recouvraient le sol, ainsi que des portions de bâtiments désaffectés, dont certains lampadaires ou néons luisaient faiblement.

Contrairement au reste de Neo-Tokyo qui faisait rêver, son niveau 0 était repoussant et sale, en plus d'avoir une odeur désagréable mélangeant fumée, essence et métal rouillé.

« C'est quoi ça ? demanda Joshua, terrifié par un tel paysage.

— Le niveau 0 de Neo-Tokyo. Normalement, l'accès aux citoyens y est interdit. C'est ici que sont disposés les déchets de constructions ou de vaisseaux. Un brouillard permanent est généré artificiellement pour cacher ce bazar et empêcher les mauvaises odeurs de remonter. »

Durant ses explications, Kei se gara derrière plusieurs carcasses de voitures empilées à côté d'un vieux panneau rectangulaire, suffisamment grand pour cacher son véhicule. Il éteignit ensuite ses phares et sa musique, et coupa le moteur pour se mêler à l'obscurité quasi-totale et silencieuse de cette portion de la ville. Seule une faible petite lueur bleutée du tableau de bord apportait un peu de lumière à l'intérieur du vaisseau. Mais il était impossible de la détecter de l’extérieur avec une brume aussi épaisse.

« Les Masamune ont l'air d'avoir lâché l'affaire, raconta Kei en scrutant les environs. Par contre, le Bushi risque de ratisser cette zone. On va devoir rester ici un moment sans bouger.

— Génial... »

Joshua n'était pas enchanté à l'idée de séjourner dans un endroit pareil. Mais à en croire les dires de son homologue, ils n'avaient pas d'autres choix. Toutefois, il voulait profiter de cet isolement forcé pour tirer les vers du nez de l'homme à la peau brune.

« Tu comptes toujours me cacher ce que tu sais vraiment au sujet de ce gang et de la Kai-Riu ? Ce qu'on vient de subir prouve qu'ils te connaissent ou qu'ils en ont après toi !

— Je ne vois pas en quoi. Ils ont peut-être juste voulu nous régler notre compte après ce qu'il s'est passé au Netlust.

— Kei, arrête de me prendre pour un con, s'il te plaît ! Je ne suis peut-être pas l'homme le plus malin qui soit, mais je sais reconnaître une personne qui dissimule la vérité à son sujet.

— Rien ne m'oblige à te dire quoi que ce soit ! répliqua Kei d'un air blasé. Je te connais à peine, Joshua. Je ne suis pas du genre à déballer mes secrets au premier venu.

— Dans ce cas, qu'est-ce que je fais avec toi alors que tu es peut-être un complice de ceux à cause de qui je me retrouve dans cette ville puante ? »

L'énervement monta chez le hacker, au point qu'il voulut attraper l'autre par le col de son vêtement en lui ordonnant de la boucler. Mais il n'était pas du genre à agir de manière aussi impulsive et irréfléchie. Et il jugeait inutile d'envenimer cette situation déjà tendue.

Joshua désirait donc apprendre la vérité à son sujet ? Soit ! Si cela permettait de lui rabattre son caquet et d'arrêter d'être aussi têtu qu'une bourrique...

« Si je connais aussi bien la Kai-Riu, c'est pour la simple et bonne raison que j'ai travaillé pour eux pendant une certaine période. À la fois en tant que hacker mais aussi en tant que membre du gang Masamune. »

Cette révélation choqua le brun, qui s'était pourtant préparé à découvrir un fait de ce genre. Il se doutait que Kei avait fréquenté cette société ou cette bande de malfrats pour connaître à ce point leur mode de fonctionnement. Mais il ne pensait pas qu'il avait travaillé pour eux.

« Quand et comment tu t'es retrouvé à la solde de la Kai-Riu ?

— Peu après la... »

Kei bloqua dans sa phrase en affichant un air maussade. Il croisa les bras en s'enfonçant dans son siège, avant de reprendre.

« À quatorze ans, j'ai perdu ma mère dans un accident et je me suis retrouvé seul. Sachant qu'on n'était pas spécialement une famille aisée, c'est devenu bien pire après. Travailler pour la Kai-Riu était la seule solution viable que j'ai trouvée à l'époque pour survivre. Hacker des entreprises qui pourraient la menacer et intégrer un gang aussi violent que les Masamune ne m'enchantaient pas. Je l’ai pourtant fait parce que je n'avais pas le choix. C'était ça ou vivre à la rue. »

Joshua s'était presque indigné en apprenant qu'il était hébergé par un ancien complice des responsables du massacre de son village. Mais en comprenant ses motivations, il se ravisa à lui faire une quelconque leçon de morale.

« Tu n'es pas le seul à avoir tout perdu, Joshua. La différence, c'est que je n'ai pas cherché à me venger de qui que ce soit pour la mort de ma mère. J'ai juste continué à vivre, à avancer jusqu'à trouver un véritable sens à mon existence. C'est d'ailleurs pour cette raison que j'ai quitté la Kai-Riu plusieurs années plus tard. »

En apprenant que cette société utilisait des méthodes sans éthique comme s'attaquer aux villages extérieurs pour tester leurs nouvelles armes, ou en éliminant des personnes qu'elle estime menaçantes ou compromettantes pour sa prospérité, Kei l'avait quittée du jour au lendemain. Sans lettre de démission, sans en avoir discuté avec ses employeurs, sans rien.

« Bien sûr, ils ont tenté de me retrouver pour connaître mes raisons, et potentiellement m'éliminer pour que je ne porte pas préjudice à la Kai-Riu. Mais j'ai changé mon apparence et mon identité. De Keisuke, je suis passé à Kei, j'ai abandonné mes cheveux longs blonds pour adopter une coupe argentée encore plus courte que la tienne, et j'ai subi une chirurgie esthétique en douce pour me faire enlever le tatouage des Masamune. »

La stupéfaction de Joshua se fit de plus en plus forte au fur et à mesure du récit de Kei. Il ne s'était pas attendu à des changements aussi drastiques chez lui pour échapper à ses anciens employeurs. Son compagnon avait vécu dans l'ombre depuis ce jour où il avait délaissé cette entreprise qui lui avait pourtant permis de vivre convenablement.

« Comment tu as fait après ? Je veux dire, pour survivre sans la Kai-Riu ?

— Disons que j'ai fait les bonnes rencontres au bon moment. Les amis dont je te parlais tout à l'heure. Grâce à eux et à mes compétences de hacker, j'ai enchaîné des petits boulots plus clean et j’ai pu m'offrir mon appartement, à la longue. En parallèle, avec ce nouvel entourage, on embête la Kai-Riu et les Masamune pour qu'ils arrêtent leurs conneries qui durent depuis trop longtemps. »

Le brun comprenait mieux son cheminement. Une chose lui restait cependant obscure : comment la Kai-Riu s'était débrouillée pour avoir une telle influence sur tout Neo-Tokyo ?

« Je me pose également la question depuis quelques années, admit le plus âgé. Je ne comprends pas non plus. Mais apparemment, le président de notre mégalopole et son gouvernement semblent OK avec tout ça...

— Je vois. »

Ce furent les seuls mots de Joshua face à cette supposition. L'homme venu de l'extérieur demeura silencieux ensuite, fixant le paysage chaotique par sa vitre.

« Tu m'en veux, de t'avoir caché mon ancienne affiliation à la Kai-Riu et au gang Masamune ? demanda Kei en l'observant.

— Un peu, ouais. Mais je comprends aussi pourquoi tu n'as pas voulu en parler. On voit que c'est pas un passif dont tu es fier. Au moins, tu n'as rien à voir avec ceux qui ont massacré mon village ou persécuté d'autres. En tout cas, maintenant que je sais à qui j'ai vraiment affaire depuis quelques jours, je suis plutôt soulagé.

— Quoi, tu ne me faisais pas confiance même après t'avoir sauvé et hébergé chez moi ?

— Il faudrait vraiment être stupide pour faire totalement confiance à quelqu'un qu'on ne connaît que depuis quelques jours.

— Pourtant, on ne peut pas dire que je ne te fais pas confiance. Est-ce que ça fait de moi quelqu'un de stupide ?

— Stupide et complètement taré, ouais ! affirma Joshua en esquissant un sourire. Mais bon… Pour m'être infiltré dans cette ville dont je ne connais rien, dans le but de me venger d'une entreprise aussi dangereuse que vicieuse, je suis incontestablement le pire des imbéciles. »

Devant une telle affirmation de sa part, Kei rit discrètement avant de tourner sa tête devant lui en souriant à son tour.

« Je trouve le pire des imbéciles bien courageux, alors ! Ce n'est pas tout le monde qui oserait agir comme tu le fais.

— Courageux et un brin suicidaire, soupira Joshua en le regardant. Quelque part, je n'ai plus rien à perdre. Au mieux, je réussis mon coup et ma famille est vengée, au pire, je meurs. Au moins, dans le second cas de figure, je serais enfin en paix et je rejoindrai les miens dans l'au-delà.

— Mouais... J'ai pas spécialement envie que tu crèves salement entre les mains de ces ordures, surtout pas après que je me sois démené pour te sauver et pour t'aider à passer inaperçu dans cette ville. Alors essayons de nous débrouiller pour que ce soit la Kai-Riu qui tombe. »

Joshua se sentit étrange en cet instant. Il ignorait comment décrire une telle sensation. Mais il semblait touché par une telle parole de la part de son aîné, et se sentait moins seul dans son malheur. Il s'en voulait de s'être emporté contre lui quelques minutes plus tôt. Désormais convaincu de sa sincérité, le plus jeune afficha un tendre sourire en déviant son regard.

« Kei. Merci. Et désolé pour ce que j'ai dit tout à l'heure. »

Le rictus du concerné s'agrandit alors qu'il ne délaissait plus son compagnon du regard.

« Il n'y a pas de quoi ! Et puis je ne suis pas vraiment quelqu'un de rancunier. Je ne t'en veux pas pour ça. »

Un silence s'ensuivit et la tension s'apaisa grandement. Malgré le contexte peu enviable, une telle discussion s'était avérée gratifiante, aussi bien pour Kei que pour Joshua. Les vérités étant dévoilées, la confiance mutuelle devenait plus aisée pour les deux hommes.

Une heure passa, pendant laquelle Joshua s'était endormi. L'argenté, de son côté, surveillait les alentours. En remarquant l'assoupissement de son passager, il n'hésita pas à se tourner vers la banquette arrière et à soulever celle-ci pour y récupérer une couverture noire. Après avoir renfermé le compartiment secret, il recouvrit Joshua avec le plaid en prenant soin de ne pas le réveiller.

Puis, en ne voyant aucun patrouilleur dans les parages, il se décida à démarrer son vaisseau. Il sortit de sa cachette, et chercha un endroit désert d’où il pouvait discrètement quitter le niveau 0. Il y parvint sans difficulté et prit aussitôt de l'altitude pour rejoindre le trafic le plus proche. Une fois cette tâche accomplie, et après s'être assuré qu'aucun Masamune ou autre le poursuivait, Kei se dirigea vers le district Amaterasu. Après cette folle course poursuite qui leur avait donné des sueurs froides, lui et Joshua devaient faire profil bas pendant les prochains jours.

Chapter 5: Baptême virtuel

Chapter Text

Kei et Joshua avaient regagné l'appartement depuis deux heures. Leur précédente mésaventure avait beau être digérée, ils se savaient loin d'être hors de danger. Ils devaient tous deux faire preuve de vigilance lors de leurs prochaines sorties et ne pas s'éloigner l'un de l'autre.

En attendant, le plus âgé jugea bon de rester à l'abri chez lui durant une journée minimum, le temps de laisser les choses se calmer en ville. Joshua aurait préféré ne pas vivre aussi caché, mais comprenait les risques encourus en ne suivant pas les conseils de son hôte.

De son côté, Neeko se montrait ravie de leur compagnie pendant une période prolongée, mais paraissait inquiète pour les deux hommes. Après ce que son maître lui avait raconté, elle le savait désormais dans le collimateur des Masamune, et probablement dans celui de la Kai-Riu aussi. Peut-être même qu'un membre du gang l'avait reconnu malgré son changement d'apparence ?

Alors qu'elle y réfléchissait et que Joshua allumait l'écran télévisé, Kei s'isola dans sa chambre pour passer un appel.

« Kei ? répondit Ryo à l'autre bout de la ligne.

— Salut Ryo ! Je ne te dérange pas ?

— Pas vraiment, non. Tout va bien ? Tu m'as l'air nerveux. Ça ne te ressemble pas, d'ailleurs !

— Eh bien... Disons que ma journée s'est révélée plus mouvementée que prévue. »

Il résuma son vécu depuis son rendez-vous chez Netlust, jusqu'à l'instant où il s'est réfugié dans les profondeurs du niveau 0 pour échapper aux Masamune.

« Mais enfin, t'es complètement fou ! Déjà, pourquoi t'as emmené Joshua avec toi alors qu'il n'est pas habitué au fonctionnement de la ville ? Et pourquoi t'être carrément caché au niveau 0 ?! Tu aurais pu causer de nombreux accidents, en plus d'avoir mis ta vie et celle de ton invité en danger !

— Je sais, je sais ! Pas la peine de t'emporter ! Oui, j'ai merdé et j'en suis pas fier ! Mais je pense surtout qu'on me poursuivait parce que j'ai empêché la Kai-Riu de saboter la création d'une nouvelle firme, qui pourrait la concurrencer dans le domaine informatique.

— J'entends bien, mais tout de même ! Si tu veux mon avis, tu ferais mieux de rester chez toi, au moins pendant la semaine à venir. Prends des congés et profites-en pour apprendre à Joshua le minimum nécessaire concernant le fonctionnement de la vie à Neo-Tokyo. Et quoi qu'il arrive, ne vous faites pas remarquer ! En ce qui me concerne, avec Natsu et Hayate, on est sur un coup qui pourrait endommager la réputation de la Kai-Riu. »

Le jeune homme leva les sourcils d'étonnement. Ryo lui expliqua cependant qu'elle ne pouvait pas lui en parler au téléphone. Même si les deux utilisaient une ligne privée que les autorités ne pouvaient intercepter ou contrôler, ils n'étaient pas pour autant à l'abri d'une fuite de données qui pourrait leur porter préjudice.

« J'ai prévu un rendez-vous avec vous tous pour en parler plus en détail. J'attends juste qu'Hayate récupère une preuve. Tout ce que je peux te dire, c'est que l'affaire est sérieuse et très grave.

— Je ne sais pas si je dois avoir peur de cette vérité que vous avez découverte, ou si je dois être excité à l'idée de m'en servir pour entacher la réputation de ces salopards.

— Je te tiens au courant en fonction de nos disponibilités. Garde ton cellulaire à portée de main. Oh, et passe le bonjour à Neeko de ma part, aussi ! »

Après s'être salués, Ryo raccrocha. Kei rangea son gadget dans sa poche avant de retourner au salon.

« Neeko, tu as le bonjour de Ryo.

— C'est sympa ! s'enjoua l'Ai-pet en affichant un cœur. Comment va-t-elle ?

— Elle va bien. Je lui ai parlé de ce qu'on a subi aujourd'hui et m'a conseillé de prendre quelques jours de congés. Tu peux prévenir une secrétaire de Data Knights, s'il te plaît ? Ah, et commande aussi des sushis. J'ai la flemme de cuisiner pour ce soir et j'ai envie d'un plat traditionnel.

— Ça marche ! » s'exclama Neeko avec une émoticône de pouce en l'air avant de s'exécuter. Kei prit ensuite place sur l'un des canapés, juste à côté de Joshua qui le regardait d'un air interrogateur.

« Des sushis ? C'est quoi ? »

Kei ne fut pas surpris d’une telle question. Par contre, il ignorait comment y répondre de manière concise et compréhensive.

« C'est du riz vinaigré avec du poisson cru ou des fruits de mer. Combiné à de la sauce soja sucrée ou salée, c'est du pur bonheur.

— Riz vinaigré ? Sauce soja ? Et... vous mangez vos poissons crus ?! »

Légèrement dépité, son aîné leva les yeux en esquissant un sourire nerveux. Il savait que l'autre n'aurait compris que la moitié de ces termes. Pourquoi avait-il pris la peine de tenter une explication ?

« Tu sais quoi ? Tu verras par toi-même lorsqu'on se fera livrer. Je suis sûr que tu vas adorer !

— Je sais pas trop. Manger du poisson cru ne m'enchante pas. »

Kei s'apprêtait à répliquer, lorsqu'une édition spéciale du journal télévisé retentit. Le titre de la Une : un primitif rôdant au sein de Neo-Tokyo.

Le jeune homme appuya sur un bouton de l'accoudoir le plus proche du canapé, faisant apparaître un petit hologramme gradué permettant de régler le volume du son. Après l'avoir suffisamment augmenté, lui et Joshua écoutèrent attentivement les informations dévoilées :

« Selon les aveux de plusieurs hommes hospitalisés suite à une agression organisée à leur encontre, un primitif venu de l'extérieur de la mégalopole a été aperçu au district Amaterasu. Un portrait-robot a été réalisé grâce à une description fournie par les victimes interrogées. Il s'agirait d'un homme d'une petite vingtaine d'années, de teint clair, avec des cheveux mi-longs bruns, des yeux verts et vêtu d'une tenue qu'on pourrait qualifier de sauvage. Si vous croisez une personne correspondant à cette description, ne cherchez pas à l'intercepter vous-même et prévenez les autorités compétentes ! Ces dernières déploient d'ailleurs progressivement des troupes de patrouilleurs à Amaterasu et aux districts voisins, qui seront minutieusement quadrillés. Afin que la tranquillité continue de régner sur Neo-Tokyo, nous vous demandons de coopérer lors de leurs contrôles d'identité. »

Agacé qu'on fasse passer ses agresseurs pour des innocents et de se faire appeler primitif une fois de plus, Joshua se leva brusquement avant de se poster devant la vitre la plus proche en croisant les bras, les sourcils rageusement froncés. En comprenant sa vexation et son angoisse, Kei changea de chaîne pour ne plus écouter le journal.

« Au moins, ça nous conforte à l'idée de rester ici pendant quelques jours ? » plaisanta-t-il pendant que la chaîne active diffusait un concert de musique électronique avec des cosplayers. Mais le brun ne répondit pas. Il savait qu'il exploserait en une multitude de jurons s'il ouvrait la bouche.

« Je peux comprendre ce que tu ressens, mais ne prends pas tout ça trop à cœur, lui conseilla le hacker en se levant pour se rapprocher de lui. Les Neo-Tokyoïtes ont tendance à considérer tout ce qu'il leur est étranger comme des menaces. La ville sera en effervescence à cause de cette nouvelle, et probablement à cause de la course-poursuite qu'on a vécu et qui doit être toute aussi médiatisée. D'ailleurs, ça me fait penser qu'il faut que je change le matricule et peut-être même la carrosserie de mon véhicule pour qu'on ne m'identifie pas... »

Joshua se tourna vers lui en haussant un sourcil, tandis que Kei lui faisait signe de patienter un instant avant de demander à Neeko de commander quelques bombes de peinture métalliques chez Cyber Ladies. Il se précipita ensuite dans sa chambre pour s'installer devant ses ordinateurs, et faire le nécessaire concernant le matricule de son vaisseau. L'opération lui prit une bonne heure, pendant laquelle Joshua s'occupait en regardant d'un air circonspect le concert diffusé.

Lorsque son hébergeur revint au salon, la sonnerie de la résidence retentit : les sushis étaient arrivés. Pile lorsque le voile nocturne obscurcissait complètement le firmament crépusculaire.

Après avoir réceptionné sa commande, l'argenté s'installa à nouveau sur le canapé, avant d'appuyer sur un autre bouton de l'accoudoir. Ce geste fit apparaître une planche lumineuse jaune, translucide et solide qui s'étalait sur la longueur du meuble. Il disposa ensuite la nourriture dessus.

« Je ne savais pas que ce fauteuil pouvait faire ça, s'étonna Joshua en découvrant cette nouvelle technologie.

— C'est pratique quand on veut manger posé sur son canapé, sans le salir ! »

Une fois la table installée, les deux hommes commencèrent à manger, sous les yeux de Neeko qui les avait rejoints pour se coucher sur les genoux de Kei. Ce dernier, après avoir décollé sa paire de baguettes, attrapa l'un des sushis avec, avant de le tremper dans une sauce ambrée légèrement épaisse, et de le manger. Un sourire radieux illumina son visage suite à cette bouchée exquise.

« Les sushis sont l'une des meilleures inventions de l'humanité ! »

— À ce point ? » questionna Joshua en fixant avec méfiance ces morceaux de poisson cru sur des blocs de riz collant. Dans son village, on avait l'habitude de griller du poisson fraîchement péché. Mais il ignorait jusqu'à ce jour que cet animal pouvait se consommer cru. Était-ce bon pour la santé, au moins ?

« Goûte ! l'encouragea Kei devant son hésitation. C'est pas ça qui va te tuer ! Si ça se trouve, tu vas aimer ! »

Souhaitant faire preuve d'ouverture d'esprit, Joshua se lança. Mais un problème se posa rapidement : il n'arrivait pas à attraper l'aliment avec ses baguettes. Depuis son arrivée à Neo-Tokyo, il mangeait à la fourchette ou à la main, en fonction de la nourriture. C'était néanmoins la première fois qu'il manipulait de tels ustensiles.

« Tu coinces l'une des baguettes dans le creux entre le pouce et l'index avec l'avant posé sur l'annulaire. L'autre, tu la places entre ton index, ton majeur et ton pouce, un peu à la manière d'un stylo. Puis tu fais bouger la baguette du haut comme une pince. Comme ça. »

Tout en lui expliquant, il lui montra les bons gestes à adopter. Joshua l'imita du mieux qu'il le pouvait et s'entraîna à faire bouger sa baguette avant de saisir l'un des sushis. Un léger sourire étira ses lèvres en constatant qu'il parvenait enfin à utiliser ces couverts spéciaux. Ou presque ! Sa prise n'étant pas assez ferme, la nourriture s’échappa et retomba sur la table.

« Eh merde...

— Tu étais bien parti, pourtant ! commenta Neeko avec un smiley. Tu t'y habitueras à la longue.

— Elle a raison, affirma Kei en attrapant le sushi tombé avant de le tremper dans la sauce et de le présenter à Joshua. Au début, on a un peu de mal mais généralement, on s'habitue rapidement à force d'entraînement. »

Le plus jeune afficha une petite moue avant de fixer l'aliment coincé entre les baguettes de son homologue. Celui-ci l'invita à goûter. Et malgré son hésitation à ingurgiter du poisson cru, il se laissa tenter et prit le sushi dans sa bouche. Après l'avoir mâché et avalé...

« C'est... pas mauvais ? C'est même étrangement bon ! Je m'attendais à ce que ce soit infect et caoutchouteux.

— Ah, tu vois ? Toujours goûter avant de juger un plat qu'on ne connaît pas ! affirma l'autre homme en prenant une bouchée à son tour.

— C'est dommage que je ne puisse pas manger comme vous, parla Neeko en levant la tête vers eux. Votre repas a l'air bon, à en juger par vos réactions.

— Chacun ces trucs, Neeko, la réconforta Kei en caressant son pelage rose. Les humains peuvent faire des choses que les IA ne peuvent pas, mais l'inverse est toute aussi vraie.

— En parlant de ça, intervint Joshua, des intelligences artificielles... D'après ce que j'ai compris, ce sont des entités entièrement programmées par des humains, qui ne pensent donc pas par elles-mêmes et qui sont censées ressentir aucune émotion, non ? Pourtant, Neeko m'a l'air... étrangement humaine malgré elle.

— C'est parce que je l'ai reprogrammée pour lui donner une personnalité bien à elle, plus attachante et autonome. Lorsque Ryo me l'a offerte il y a deux ans, Neeko n'était pas autant encline à la conversation et possédait une voix plus austère.

— Hum... »

Joshua posa un regard dubitatif sur l'Ai-pet félin. Il n'osa pas poser une question qui lui brûlait les lèvres, mais Kei voyait bien sa curiosité et l'encouragea à se lancer.

« À vouloir trop humaniser une intelligence artificielle, tu n'as pas peur qu'elle se retourne contre toi ? »

Alors qu'un point d'interrogation s'affichait sur l'écran de Neeko, son propriétaire réfléchit à sa future réponse. Joshua venait de lui poser une question pertinente. Après tout, il se souvenait que les intelligences artificielles étaient l'un des facteurs ayant conduit l'ancienne planète des humains à sa perte. Les créateurs des algorithmes avaient trop rapidement fait confiance à leurs productions, les laissant faire toutes sortes de tâches possibles.

À force, les IA devenaient de plus en plus indépendantes jusqu'à développer une conscience et une certaine malveillance envers leurs propres programmeurs. S'en était alors suivit une multitude de piratages et de dysfonctionnements systémiques à l’échelle mondiale, provoquant des crises à tous les niveaux, que ce soit économique, médical, social ou même culturel.

Depuis, les humains d'aujourd'hui programmaient les IA de telle sorte à leur imposer des limites morales et éthiques. Et des lois étaient mises en place pour limiter leur utilisation au grand public. Pour reprogrammer la personnalité de Neeko, Kei en avait tenu compte.

« À moins d'avoir fait une grave erreur dans mes calculs, je pense n'avoir rien à craindre de Neeko.

— Je n'ai pas l'intention de faire de mal à qui que ce soit ! » assura celle-ci en affichant un cœur. Joshua ne sut quoi penser de toute cette justification sur le coup. Mais il sentait Kei sincère, et voyait bien que Neeko était complètement inoffensive, malgré quelques taquineries qu'elles pouvaient faire de temps en temps. Rassuré, il caressa les poils du chat-robot, dont les cœurs à l'écran se multipliaient sous les rires amusés de son maître.

 

*

 

Après leur dîner, Kei et Joshua prirent chacun une douche, pendant que Neeko se mettait en veille, allongée sur un fauteuil du salon. Les deux hommes se rejoignirent ensuite dans la chambre. Joshua, assis sur un côté du lit, observait par la vitre la ville nocturne éclairée. Kei s'apprêtait à s'allonger sur l'autre partie, lorsque ses yeux se posèrent sur un carton au sol, contenant deux casques à visières.

« Ah oui, j'avais complètement oublié qu'Hayate m'avait refilé ces trucs ! »

Sous les yeux interrogateurs du plus jeune, il sortit les deux machines et les posa sur le matelas. Les deux casques à réalité virtuelle fonctionnaient sur batteries. Celles-ci n'étaient pas totalement pleines, mais suffisamment pour une demi-heure d'immersion.

« À quoi ça sert, exactement ? » demanda le brun. Plutôt que de lui expliquer, le concerné préféra lui faire découvrir les joies d'un trip virtuel. Ainsi, il l'invita à enfiler un casque sur sa tête et à s'allonger avec, avant d'en faire de même.

« Je ne suis pas sûr de savoir quoi faire... s'inquiéta Joshua, peu à l'aise.

— C'est moi qui gère. Juste, détends-toi et profite du voyage ! »

Il activa les deux casques et le duo fut instantanément plongé dans un vide blanc, leur corps flottant dans le néant lumineux.

« Wouho ! C'est quoi ce délire ?! » s'écria Joshua alors qu'il constatait que son casque et celui de Kei n'était plus sur leurs têtes. On est où, là ?

— Les casques nous ont plongés en état de stase temporaire, pour permettre à nos esprits de naviguer à travers les mondes virtuels qu'ils nous présentent.

— Attends attends attends... Vous avez vraiment une technologie qui permet de faire un truc pareil ?!

— Stylé, hein ? »

Pendant qu'il répondait, une fenêtre informatique apparut devant Kei avec une liste de panoramas à visiter.

« Voyons voir... Grande muraille, plage tropicale, ciel étoilé, forêt enneigée... Ma foi, il y a du choix ! Je ne pensais pas qu'Hayate avait intégré tous ces lieux là-dedans. Joshua, quel endroit te fait le plus rêver ?

— Euh... la plage ? »

Kei sélectionna donc la plage tropicale, et le décor changea progressivement. Les deux hommes sentirent peu à peu la douceur d'un sable fin sous leurs pieds nus. Des clapotis de vagues résonnaient à leurs oreilles et l'odeur marine envahissait leurs narines. Alors qu'une petite brise caressait leurs cheveux, Kei et Joshua découvrirent devant eux une magnifique plage baignant sous un soleil radieux. Quelques cocotiers apportaient un peu d'ombre tandis qu'une vaste étendue d'eau salée s'étalait à perte de vue, reflétant le ciel azur tel un miroir.

« Bordel de merde... murmura Kei devant ce somptueux paysage. C'est la première fois que je vois des graphismes aussi réalistes et bien foutus durant un trip virtuel. On s'y croirait vraiment !

— Ce sont vraiment tes casques qui nous montrent ça ? s'étonna Joshua, les yeux écarquillés de stupéfaction. Si c'est bien ça, j'admets que ça rend bien ! Mais j'ai du mal à imaginer comment une telle invention a pu être créée.

— Mieux vaut ne pas chercher à comprendre... » fit le hacker, tellement absorbé par le panorama qu'il s'était inconsciemment rapproché de l'eau. Quelques petites vagues venaient effleurer ses pieds, lui apportant une sensation qu'il n'avait jamais connu. Le brun fut surpris par sa réaction. Il pensait Kei habitué à ce genre d'expérience. Mais l’argenté paraissait encore plus stupéfait que lui, qui découvrait le voyage virtuel pour la première fois de sa vie.

« Tu n'avais jamais vu un endroit comme celui-ci ?

— Effectivement. Enfin... C'est pas la première fois que je me balade sur une plage virtuelle, mais il n'y avait pas tout le reste autour, comme les sensations au toucher, ce vent ou encore cette odeur fraîche et saline. Ça fait... très bizarre. J'ai presque l'impression d'y être pour de vrai.

— Tu ressembles à un enfant qui découvre la mer pour la première fois ! » s'amusa Joshua en s'approchant de lui.

« Et toi, tu ne sembles pas tant surpris que ça.

— Cette technologie en elle-même me surprend au plus haut point. Mais ce genre de paysage, il y en a plein à Calreon. Il y a plusieurs années, avec ma famille, on avait entrepris un assez long voyage sur une portion de la planète. Et parmi les nombreux endroits qu'on a pu découvrir, il y avait des plages de ce genre. Le sable était légèrement plus foncé qu'ici, mais c'était quasiment pareil.

— Et dire que Neo-Tokyo nous prive d'un tel truc... »

Le visage candide de Kei avait laissé place à de l'amertume. Et quelque part, Joshua le comprenait. La mégalopole interdisait à ses citoyens de s'aventurer en dehors, en leur faisant croire à un danger potentiellement mortel. Même si la nature Calréenne s'avérait dangereuse à certains endroits, elle possédait également des zones paisibles offrant de magnifiques paysages.

Dans un sens, la rétention d'autant de personnes empêchait la pollution Neo-Tokyoïte de se répandre et d'envahir la planète. Mais Joshua trouvait dommage que cette population soit complètement coupée du reste de ce monde, qui avait pourtant beaucoup de choses à montrer et à offrir.

« Sinon ? se risqua-t-il pour changer de sujet. Qu'est-ce que nos casques renferment d'autres, comme paysage ? D'après ce que j'ai compris, il y a du choix. Essayons d'en visiter encore d’autres ? »

Cette simple proposition suffit à faire de nouveau sourire l'argenté, qui fit apparaître une nouvelle fois la liste de destinations. Une fois son choix effectué, le décor changea encore. La luminosité diminua progressivement car ils se retrouvaient dans un lieu plongé sous une nuit étoilée. Une magnifique vue sur le firmament obscur scintillant s’offrait d’ailleurs à eux.

Mais deux détails frappèrent instantanément le duo masculin. Le premier était qu'ils se trouvaient au sommet d'une tour, dans une ville bien plus petite et moins impressionnante que Neo-Tokyo. Le deuxième : seule une lune trônait au-dessus de leurs têtes. D'ordinaire, à Calreon, trois lunes étaient visibles la nuit : Cyana, Miena et Junea. Mais dans ce paysage virtuel, la lune qu'ils voyaient était unique.

« C'est définitivement pas un truc qu'on connaît, ça, commenta Joshua. Ça reste joli à regarder, en tout cas !

— Je me demande si ce n'est pas un paysage qui existait sur la Terre, avant sa disparition. »

Le brun fut surpris par cette supposition. À bien y réfléchir, elle n'était pas sans fondement. D'après ce qu'il savait de la première planète ayant abrité l'humanité, elle possédait une seule et unique lune, qu'on appelait simplement « Lune ». Elle faisait sensiblement la même taille que Junea. Les deux autres lunes de Calreon étaient légèrement plus grosses, en particulier Cyana.

« Par contre, raconta Kei en croisant les bras, d'après ce qu'on m'a enseigné à ce sujet lorsque j'étais encore à l'école, la lune de la Terre a été partiellement détruite à cause de la quatrième guerre mondiale. La destruction totale de la planète est survenue peu après ce drame cataclysmique.

— J'en ai effectivement entendu parlé aussi... »

Sur ces mots, Joshua leva les yeux vers les étoiles en serrant ses poings de frustration.

« Ce qu'on voit, c'est peut-être une ville de la terre avant la quatrième guerre, hypothésa le plus âgé en observant dans la même direction.

— C'est ce que je pense aussi. Cette ville m'a l'air déjà moins présomptueuse et plus en harmonie avec la nature que Neo-Tokyo. C'est à peine si on voit Cyana, Junea ou Miena depuis votre ville.

— Tout dépend d'où on se trouve. Mais c'est vrai qu'Amaterasu n'est pas le meilleur district pour contempler ces lunes. »

Un silence s'ensuivit, pendant lesquels les deux hommes contemplaient cet unique astre et les étoiles qui l'entouraient. Tout semblait si calme autour d'eux ! Cette ville et Neo-Tokyo représentaient le jour et la nuit, en termes d'ambiance et de contemplation.

« Pourquoi ne pas avoir construit des petites villes comme celle-ci à plusieurs points de Calreon, au lieu de concentrer un milliard de personnes dans une même mégalopole ? demanda Joshua.

— Je ne suis pas le mieux placé pour te répondre avec précision, mais je suppose que c'est pour avoir un meilleur contrôle sur la majorité des humains existant encore dans l'univers. Plusieurs villes dispatchées un peu partout seraient plus difficiles à gérer qu'une grande et unique ville. Peut-être aussi que c'est pour éviter des conflits, comme celle ayant provoqué la guerre qui a eu raison de la Terre autrefois ?

— S'ils voulaient vraiment éviter les conflits, ils ne laisseraient pas la Kai-Riu proliférer de la sorte, et la laisser s'attaquer à des petits villages sans défense. »

Les poings fermés de Joshua se serrèrent un peu plus. Sa profonde frustration était palpable, et sa colère sans doute immense. Kei poussa un léger soupir. Il pensait que ce trip virtuel les aurait détendus après cette journée mouvementée, mais il faisait remonter des mauvais souvenirs à Joshua, en plus de leur rappeler comment l'humanité avait perdu son premier berceau à force de pouvoir, de corruption et de malhonnêteté. Trois mots qui résumaient parfaitement la Kai-Riu, le gang Masamune, et probablement d'autres personnes ou entreprises privilégiant leur profit au bien-être de la population. Le hacker craignait que le cataclysme ayant détruit la Terre ne se reproduise à Calreon sur le long terme.

« Bon, je pense qu'on est assez servi, niveau nostalgie ! fit-il en faisant défiler à nouveau le catalogue des destinations. J'ai envie d'un endroit plus joyeux. Ou plus mystérieux. Un truc qui ne nous rend pas mélancoliques ou énervés, quoi ! »

Mais ses sourcils se haussèrent en voyant l'un des choix simplement nommé par une succession de points d'interrogation.

« Ça veut dire quoi ? demanda Joshua, perplexe. Que cette destination est inconnue ?

— Il n'y a pas trente-six mille façons de le savoir. »

Kei la sélectionna et tout changea autour d'eux une fois de plus. Et aucun des deux ne s'était attendu à ce que ce paysage mystère leur réservaient. Ils se retrouvaient dans une capsule étroite reliée à une gigantesque arche flottant dans l'espace. À travers un grand hublot, ils pouvaient voir une planète baignée dans une multitude d'explosions qui lui conférait un aspect chaotique. Et non loin d'elle se trouvait une lune... dont la moitié était réduite en une multitude de gros gravats gravitant non loin de sa propriétaire. Les deux hommes comprirent immédiatement : ce qu'ils voyaient, c'étaient les dernières heures de la Terre, avec une portion de l'humanité qui la fuyait grâce à l'arche.

Le hacker remarqua que contrairement aux paysages précédents, celui-ci était visuellement plus brouillon et flou. De plus, les aspects sensoriels semblaient absents. Il ne faisait ni chaud ni froid, aucune odeur particulière ne parvenait à leur nez, et aucun son ne se faisait entendre, à part celle de leurs voix. Tous ces détails laissaient supposer qu'une telle vision n'était peut-être pas représentative de ce qu'il s'était passé réellement en ce funeste jour.

« Bon sang... grogna Joshua dont les yeux s'écarquillaient de terreur. Alors voilà ce qu'auraient vécu nos ancêtres communs, lorsqu'ils ont abandonné leur planète d'origine...

— Ce n'est qu'une représentation. J'ignore si c'est vraiment comme ça que les choses se sont déroulés. Mais j'avoue que c'est horrible et triste à voir. Surtout en songeant que des milliards de personnes n'ont pas eu la chance d'embarquer dans les vaisseaux et d'être ainsi sauvés. »

Ce fait énerva particulièrement le primitif qui grimaça de dégoût. Il savait qu'il était impossible de sauver autant de personnes d'un pareil désastre. Mais cela contraignait l'humanité à sélectionner des élus destinés à survivre, et à laisser un tas d'innocents malchanceux périr salement sous une atmosphère infernale. Le jeune homme trouvait un tel tri injuste. Mais là n'était point le pire.

Joshua ne pouvait s'empêcher de revoir la disparition de son village à travers celle de cette planète. Il revoyait les maisons de son entourage se faire bombarder de partout. Il songeait à sa mère, à son père, à ses deux jeunes sœurs retrouvés écrasés sous les décombres de leur habitation. Tous les autres habitants avaient subi le même sort. Il se revoyait seul parmi les ruines qu'était devenu son domicile d'autrefois.

Sans s'en rendre compte, le jeune homme trembla en se tenant fermement les deux bras.

« Joshua ?

— Je ne veux plus voir ça... »

Kei, de plus en plus inquiet, se rapprocha de lui.

« S'il te plaît, fais cesser tout ça... Je ne veux plus de ce trip virtuel... »

Comprenant la source de son angoisse, son aîné désactiva leurs casques et les deux hommes revinrent à la réalité, tous deux allongés sur le lit. Kei fut le premier à se redresser et à ôter sa visière. Il enleva ensuite doucement celle de Joshua. Mais il constata avec stupéfaction que des larmes coulaient le long des joues du plus jeune, qui semblait ébranlé parce qu'il venait de voir.

« Hé... » fit doucement le hacker en posant sa main sur l'épaule du chasseur. Celui-ci se redressa en essuyant ses larmes d'un revers de la main.

« Je vais bien... assura-t-il en déviant son regard. Un peu secoué... mais ça va. »

Kei savait pertinemment qu'il n'allait pas bien. Il voulut lui proposer un verre d'eau pour se calmer, mais l'autre refusa et se rallongea en lui tournant le dos.

« J'ai juste besoin d'un peu de repos. C'est tout. »

Il l'avait dit sur un ton assez froid et sec. Son compagnon n’insista donc pas et le laissa tranquille. Peut-être que dormir l'aiderait à oublier un peu tout ça ? Inquiet pour lui, l'homme aux mèches blanches éteignit tout de même les lumières de la chambre, avant de s'allonger sur le dos.

« Bonne nuit alors, souhaita-t-il à son voisin.

— Hum... »

Ce fut la seule réponse qu'il obtint. Kei ne savait pas quoi faire, ni quoi dire. Il se sentait mal de ne pas réconforter Joshua, mais d'un autre côté, il ignorait comment celui-ci réagirait. Après réflexion, et surtout par fatigue, il décida de s'endormir en espérant que son hébergé ne passerait pas une nuit trop agitée.

« Désolé. Si j'avais su, je ne t'aurais pas proposé ce trip. »

Il avait lâché cette excuse en espérant faire réagir Joshua, mais seul le silence répondit. Le brun se tenait immobile dans sa position. Des larmes ruisselaient sur ses joues alors qu'il luttait pour ne pas sangloter silencieusement.

Chapter 6: Un passe-temps singulier

Chapter Text

La nuit se faisait longue. Les lueurs dansantes de la ville apportaient un peu de luminosité à travers les stores de la chambre obscure de Kei. Celui-ci avait émergé de son sommeil depuis une bonne dizaine de minutes, mais ne parvenait pas à se rendormir. Il naviguait sur l'écran holographique de son cellulaire à la recherche d'une occupation, en prenant soin de ne pas réveiller Joshua à côté de lui. Mais ce dernier s'agitait en gémissant de douleur, ce qui l’inquiéta. Était-il en train de faire un cauchemar ?

La réponse lui survint en voyant Joshua se redresser brusquement, haletant et les yeux grands ouverts. Quelques gouttes de sueurs perlaient sur son front, tandis qu'il essayait de ralentir sa respiration saccadée.

« Joshua ? » l'appela doucement Kei en s'asseyant à son tour. Il n'avait pas besoin de lui demander s'il allait bien. Le brun avait sans doute revu le massacre de son village en rêve. Comment pouvait-il aller bien, suite à sa réaction lors de leur trip virtuel ?

« Désolé... murmura le plus jeune après avoir retrouvé son calme. Je ne voulais pas te réveiller...

— Ça doit faire un quart d'heure que je ne dors plus, alors pas besoin de t'excuser. Tu veux un verre d'eau ? »

Joshua refusa en secouant la tête. Il avait juste besoin de calme et de réconfort. Kei posa doucement sa main sur son épaule, espérant que ce simple geste lui fasse comprendre qu'il n'avait pas à endurer un tel traumatisme seul. Le primitif lui adressa un maigre sourire en retour.

« Je vais bien, Kei. Ne t'en fais pas.

— Tu pleurais avant de t'endormir. »

Joshua ne cacha pas sa surprise. Kei avait remarqué ? Il avait pourtant tout fait pour ne pas le laisser voir dans un tel état.

« Tu n'as pas à cacher ta tristesse, tu sais ? Pleurer fait parfois beaucoup de bien.

— Peut-être, mais j'ai pour habitude de dissimuler ce genre d'émotion, afin de me montrer fort et de m'endurcir. Tous les hommes de mon village ont reçu cette forme d'éducation.

— Et est-ce que tu te sens plus fort et endurci pour autant ? »

Kei s'était retenu de rouler les yeux d'exaspération devant une telle méthode qu'il jugeait contre-productive. Mais il ne souhaitait pas partir dans un nouveau débat de mœurs sur le mode de vie de Joshua. Pas maintenant, alors que l'autre allait mal. Sa question ne trouva d’ailleurs aucune réponse. Mais le silence de son homologue en disait long.

« Si t'as besoin de pleurer, pleure un bon coup. Il n'y a que moi ici. Je ne te jugerai pas pour ça, étant donné que je comprends totalement ce que tu ressens. Lorsque j'ai perdu ma mère et ma vie d'autrefois, j'ai pleuré pendant plusieurs jours. Et encore aujourd'hui, il peut m'arriver d'avoir les larmes qui montent en repensant à tout ça. Mais je t'assure que laisser ces larmes couler a eu un effet cathartique sur moi. Peut-être que ça le sera également avec toi ? Ravale ta fierté le temps d'assumer ce que tu ressens vraiment à ce sujet. Tu te sentiras mieux après et tu pourras avancer. »

Joshua ne répliqua rien et détourna son regard attristé. Il se montrait gêné à l'idée de laisser Kei voir ses faiblesses. En même temps, il ne pouvait s'empêcher de visualiser à nouveau cette Terre disparaître sous des explosions mortelles. Il revoyait en boucle son village et sa famille se faire bombarder par les employés de la Kai-Riu. En se remémorant cette tragédie, le jeune homme porta sa main sur son visage. Il ne sanglota pas, mais les larmes coulèrent à nouveau alors qu'une douloureuse grimace déformait progressivement ses traits. Ses épaules tremblèrent sous la peine qui l'envahissait de plus en plus.

L'autre homme ignorait comment réagir. Il souhaitait le consoler, mais comment ? En le prenant dans ses bras ? Ne pouvant prédire la réaction de Joshua, Kei s'abstint. Il leva néanmoins sa main jusqu'à la poser sur la tête de son compagnon, et ébouriffa avec douceur ses mèches marron, sans rien ajouter de plus.

 

*

 

Les heures restantes avant le lever du jour s'enchaînèrent rapidement. Joshua, qui était parvenu à se rendormir, ouvrit péniblement les yeux. Il était seul dans la chambre. Kei s'était réveillé avant lui et s’occupait sûrement dans une salle adjacente. Le primitif ne voulait pas délaisser ce confortable matelas chauffant. Mais il fallait bien se lever tôt ou tard.

Ainsi, il pénétra dans le salon quelques secondes plus tard. Son hôte préparait le petit-déjeuner pendant que Neeko, installée près d'une vitre sous sa forme de robot-félin, contemplait les vaisseaux aller et venir entre les buildings.

« Yo ! » fit Kei en remarquant la présence de son hébergé qui s'attablait non loin de lui.

« Salut, Kei. »

Joshua observa ce qu'il préparait : deux petits bols de riz blanc, deux assiettes contenant chacune une omelette et quelques morceaux de légumes découpés. Deux tasses de thé chaud dégageaient une douce odeur citronnée.

« Vu qu'on reste à la maison aujourd'hui, j'ai décidé de faire le p'tit dej' moi-même. Je ne suis pas le meilleur cuisinier qui soit, mais je me débrouille, parfois avec l'aide de Neeko.

— Ça donne envie... »

Joshua esquissa un sourire pendant que ses yeux dévoraient tous ces mets qui ne demandaient qu'à être avalés. En le voyant retrouver un peu de joie après une nuit émotionnellement éprouvante, le hacker sourit avant de s'installer à son tour pour commencer à manger. Au grand plaisir de Kei, Joshua trouva ces plats délicieux. Il appréciait particulièrement le mariage entre le riz et l'omelette. Il avait espéré une plus grande quantité de ces deux aliments.

« J'ai fait exprès de faire léger. J'ai prévu une petite activité physique tout à l'heure. Mieux vaut ne pas avoir le ventre trop rempli !

— On sort, finalement ? »

Kei secoua négativement la tête avant de désigner du regard une porte que Joshua n'avait jamais ouverte.

« C'est là-bas que ça se passera. Je pense que tu vas trouver ça amusant. En tout cas, j'espère !

— Ce n'est pas encore un trip virtuel comme celui d'hier, rassure-moi.

— Il y a bien du virtuel, mais rien à voir avec les casques qu'on a essayé, t'inquiètes. »

Joshua demanda à en savoir plus, mais l’autre lui demanda de patienter en mangeant son repas. Ce dernier fut avalé en une vingtaine de minutes.

Suite à cela, Kei invita son cadet à enfiler une tenue suffisamment légère et souple, favorisant l'entraînement physique. Il l'autorisa à choisir ce qu'il voulait dans sa garde-robe, du moment que les vêtements choisis respectaient ces critères. Après avoir brièvement hésité, Joshua se décida à enfiler un débardeur noir et un large short bleu marine. Son hôte avait simplement opté pour un jogging noir, laissant son torse musclé à l'air.

Ce fut à cet instant que le brun remarqua une longue cicatrice, légèrement plus claire que sa carnation, descendre depuis son cou pour s'étendre sur une grande partie de son dos. C'était probablement l'emplacement du tatouage des Masamune, avant qu'il ne se le fasse enlever. Pas spécialement belle à voir, cette balafre n'enlaidissait pas pour autant le physique bien sculpté du concerné. En remarquant Joshua s'attarder sur son haut du corps dénudé, Kei afficha un grand sourire taquin, les bras croisés :

« T’aimes vraiment ce que tes yeux regardent, avoue-le !

— Ben voyons ! répliqua Joshua d'un air blasé. J'ai juste remarqué ta cicatrice. Ni plus, ni moins.

— Elle est classe, hein ?

— Je... ne sais pas trop. Elle n'est pas horrible, mais je ne sais pas si classe serait le meilleur mot. »

Cette réponse fit légèrement rire Kei, qui invita l'autre à le suivre jusqu'à la fameuse pièce. Neeko les accompagna. Lorsque la porte fut ouverte, Joshua découvrit que la salle, assez petite comparée au salon et à la chambre, était quasiment vide. Seule une sorte de piédestal avec un clavier à son sommet, et quelques projecteurs disposés aux quatre coins du plafond étaient présents. Les murs adoptaient également une allure singulière caractérisée par une multitude de plaques grises carrées possédant un léger relief, ce qui accentuait encore plus cette sensation d’étroitesse.

« Euh... se risqua-t-il, perplexe. On va vraiment s'entraîner là-dedans ? C'est pas un peu trop petit ? Et puis je pensais qu'il y avait des outils, comme des armes factices ou des objets permettant d'exercer certaines parties de notre corps.

— C'est une pièce de simulation de combat, expliqua Neeko avant de bondir sur le clavier. Tu peux t'entraîner comme tu veux avec ce que tu veux, dans l'environnement que tu veux, en fonction des critères sélectionnés ici.

— Le virtuel au service du réel ! compléta fièrement Kei en rejoignant l'Ai-pet. Contrairement à ce que tu penses, cette pièce vide peut nous permettre un entraînement complet et efficace, tout en rajoutant un aspect fun. »

Pour appuyer ses dires, il sélectionna le mode de simulation, l'environnement et même une musique d'ambiance. Ainsi, le décor autour d'eux ondula et changea sous les yeux complètement ébahis de Joshua. En quelques secondes, ils se retrouvaient sur un ring de combat, avec tout un public qui semblait les acclamer. Une musique de rock résonna également, mais à un volume pas trop élevé pour que les deux participants puissent s'entendre.

« On va commencer doucement avec un combat simple à mains nues entre nous deux, expliqua Kei en se positionnant face à son opposant. Toucher ton adversaire au niveau du haut du corps rapporte dix points. Le toucher au niveau des jambes, vingt points. Trente points pour la tête. Les attaques parées ou esquivées n'en rapportent aucun. Le premier à atteindre deux cents points gagne le match.

— Les combats à mains nues ne sont pas mon point fort, mais je vais faire de mon mieux. Même si c'est pas gagné, vu l'adversaire...

— Si je me fie à la manière dont tu t'es débrouillé face aux Masamune hier, je pense que tu peux me tenir tête un minimum. Sois plus confiant vis-à-vis de tes capacités, mec !

— Au pire Joshua, en cas de difficulté, vise son entrejambe ! » conseilla Neeko alors qu'un pouce en l'air s'affichait sur son écran.

« Non mais ça va pas ou quoi ? s'indigna Kei en la regardant d'un air blasé.

— Je plaisante ! » affirma l'automate avec un smiley joyeux avant de dire aux deux hommes de se mettre en position. L'argenté s'échauffa sur place en enchaînant plusieurs coups de poings dans le vide, avant de faire face au brun en souriant. Ce dernier ignorait comment réagir face à toute cette technologie. De plus, il craignait de se faire mal ou de frapper trop fort son opposant.

« T'inquiètes pas pour ça, assura celui-ci. Le simulateur nous fait ressentir la puissance des coups mais pas la douleur provoquée.

— Donc, je peux viser et frapper ton entrejambe, pas vrai ? demanda Joshua d'un sourire provocateur.

— Essaye et je te botte le cul tellement fort que tout Neo-Tokyo t'entendra crier malgré le simulateur actif, idiot !

— Round one ! fit tout à coup une voix synthétique à la manière d'un jeu vidéo de combat. Fight ! »

Alors que le public virtuel était en effervescence et que la musique battait son plein, Kei passa directement à l'offensive. En quelques foulées, il arriva jusqu’à Joshua et combina plusieurs coups de poings et de pieds. Le garçon aux cheveux de terre essaya tant bien que mal de les bloquer à l'aide de ses avant-bras. Mais il finit par se prendre un coup de pied à la jambe droite qui le déstabilisa, suivit d'un crochet qui le toucha à la joue gauche.

Kei : 50 points – Joshua : 0 point

« Allez Joshua ! Essaye au moins de marquer dix points pour l'honneur ! » l'encouragea Neeko devant l'avantage de son maître. Le concerné ne répliqua rien et ne lâcha pas Kei du regard.

« Heureusement que les coups portés pendant cette simulation ne font pas mal... murmura-t-il pour lui-même pendant que les deux se tournaient autour en attendant le prochain assaut.

— Bah alors ? fit l'argenté dont les lèvres s'étiraient en un rictus. T'as peur d'attaquer ? Ce match va vite se terminer si tu ne ripostes pas plus que ça ! »

Aussitôt, le plus âgé effectua une succession de coups de poings. Ils visaient tous la tête de Joshua, qui esquivait comme il le pouvait. Mais un moment arriva où le brun se baissa pour mettre un coup de poing au niveau de son ventre. La frappe fit mouche et fut suivie d'un coup de tête touchant de plein fouet le menton de Kei. Suite à cette tentative fructueuse, Joshua voulut le faire tomber à l'aide d'un coup de pied dans ses jambes.

Malheureusement pour lui, l'artiste martial esquiva en effectuant une grande roue, tout en touchant son opposant à l'épaule. Cette attaque, à laquelle Joshua ne s'attendait pas, le fit reculer.

Kei : 70 points – Joshua : 40 points

« Hé, pas mal ! le félicita Kei. J'avoue ne pas avoir vu venir ce coup de tête relevé !

— J'ai hésité entre ça et te coller mon autre poing dans l'entrejambe. » le taquina l'autre avec un léger sourire. L'initiateur du combat pouffa :

« Tu t'es fait une fixette ou quoi ? Laisse mes couilles tranquilles !

— C'est Neeko qui m'a conseillé de viser cet endroit, et j'avoue que c'est tentant.

— Go Joshua ! Go ! » s'exclama Neeko en sautillant sur place avec une émoticône morte de rire à l'écran.

« Ça suffit, Neeko ! râla Kei à son adresse avant de se concentrer à nouveau sur Joshua. Un peu de sérieux, mon grand ! Je mène toujours, au cas où tu l'aurais oublié.

— Pas pour très longtemps ! »

Joshua se lança pour le frapper, mais son opposant évita avec aisance avant de contre-attaquer. La bataille dura encore plusieurs minutes. L’informaticien, qui s'attendait à remporter la victoire avec facilité, se rendit compte de la ténacité de son hébergé. Celui-ci se prenait des coups, mais parvenait également à en mettre. Si bien que le match s’avérait serré.

Kei : 180 points – Joshua : 170 points

Les deux hommes se fixaient dans les yeux, haletants mais souriants. Kei se surprenait à user de stratégies inédites pour conserver son avantage, et Joshua gagnait en confiance et en audace au fil des coups échangés.

« Je ne m'attendais pas à ce que tu sois aussi coriace, Josh !

— Josh ? répéta le brun en clignant des yeux à plusieurs reprises, étonné.

— C'est moins chiant à prononcer. Quoi qu'il en soit, on dirait que les prochaines attaques seront décisives ! Voyons voir si tu peux me battre. »

Kei lui offrit un clin d'œil en lui faisant signe de l'approcher. Le chasseur analysa rapidement la situation. Il lui suffisait d'un coup touchant la tête de son adversaire pour gagner. Mais l'argenté pouvait l'emporter d'une simple attaque au niveau de ses jambes.

Après réflexion, le primitif resta à sa position en invitant plutôt son hôte à l'attaquer. Le sourire de celui-ci s'agrandit, et il accepta de passer à l'offensive. Plusieurs frappes esquivées plus tard, Kei remarqua Joshua passer derrière lui pour effectuer un coup de pied retourné suffisamment haut pour le toucher à l'arrière de sa tête.

Bien tenté, mais prévisible !

Le hacker se baissa tout en lui assénant une balayette contre sa jambe au sol. Il esquiva ainsi l'attaque et déséquilibra le plus jeune qui tomba au sol.

Kei : 200 points – Joshua : 170 points

« KO ! s'exclama la voix synthétique ayant donné le top départ. Vainqueur : Kei ! »

Face à sa victoire, le plus âgé adressa un large sourire à Joshua, qui n'avait rien de moqueur ou de taquin. C'était plutôt un sourire heureux et enthousiaste. Il s'approcha de son cadet en lui tendant la main.

« Pour quelqu'un dont le combat à mains nues n'est pas son point fort, tu te débrouilles vachement bien ! J'ai moins galéré contre des gens plus expérimentés ! »

Devant un tel compliment, le vaincu lui retourna un sourire plus léger, mais néanmoins satisfait avant de saisir sa main pour se relever. Au même moment, Neeko descendit du piédestal alors que le décor revenait à la normale.

« C'était vraiment un superbe affrontement ! s'exclama-t-elle avec une multitude d'étoiles sur son moniteur. J'ai vraiment cru que Joshua allait gagner sur la fin !

— J'ai voulu y croire, moi aussi ! affirma le concerné avant de regarder Kei. Mais mon adversaire s'est avéré plus fort et expérimenté, en plus d'être complètement dans son élément.

— Je suppose que tu es plus un adepte des armes ? questionna l'argenté. Étant donné que tu m'avais expliqué être chasseur... »

Joshua acquiesça en racontant qu'il se servait surtout d'un arc pour atteindre ses proies à distance, et d'une dague pour les achever si besoin. Il utilisait cette dernière arme également pour se défendre contre des individus malintentionnés, qu'ils soient originaires de Neo-Tokyo ou non. Malheureusement, le jeune homme avait définitivement perdu ses armes lors du massacre de son habitat, se retrouvant à utiliser ses poings et ses pieds s'il se faisait attaquer.

Kei compatit face aux nombreuses pertes auxquelles son compagnon avait dû faire face. Préférant parler d'autre chose, il confia vouloir l'entraîner au maniement d'armes plus modernes comme la dague laser ou le pistolet paralysant. Joshua était parvenu à les utiliser contre les Masamune de la veille, mais devait s'exercer à les manipuler avec précaution, sans se blesser.

Seulement, au moment où l'informaticien s’approchait du tableau de bord pour enclencher une nouvelle simulation de combat, la sonnerie de son appartement retentit, faisant presque sursauter le trio.

« Tu attendais une visite, Kei ? demanda Neeko avec un point d'interrogation.

— Pas vraiment, non. J'espère que ce ne sont pas les autorités du Bushi qui se sont décidées à fouiller toutes les résidences pour débusquer Joshua.

— Si c'est le cas, qu'est-ce qu'on fait ? demanda le brun, appréhendant les prochaines secondes.

— On verra. Pour l'instant, ne bouge pas de là ! Neeko, reste avec lui et n'hésite pas à verrouiller la porte de cette salle si c'est nécessaire. »

Sur ces mots, Kei quitta la pièce et traversa le salon. Tandis que la sonnerie résonnait encore, il enfila ses bagues électriques, prêt à les utiliser si ce visiteur inattendu osait lui faire du mal. Après avoir difficilement avalé sa salive, il actionna l'ouverture de la porte.

Un énorme soulagement l'envahit en découvrant une personne familière face à lui. Un homme blond quasi-trentenaire, aux courts cheveux coiffés avec soin et possédant une barbe de trois jours, lui adressa un léger sourire. Sa simple chemise blanche à manches longues, accompagnée d'un pantalon droit marron, lui donnaient un aspect à la fois élégant et décontracté.

« Je ne m'attendais pas à te voir débarquer aujourd'hui, Hayate ! Quel bon vent t'emmène ? » lui demanda Kei en tendant sa main fermée vers lui. Le nouveau venu cogna son poing contre le sien en guise de salutation avant d'entrer chez le plus jeune.

« Je suis venu avec deux membres du Cyber Ladies qui retapent discrètement la carrosserie de ton vaisseau à l'heure où on parle. Et je voulais prendre de tes nouvelles après ce qui t'est arrivé hier.

— T’es au courant ?

— Ryo m'a raconté. » confia le blond en s'installant sur le canapé pendant que Kei se dirigeait vers le coin cuisine pour préparer des verres. Mais le plus grand lui fit signe qu'il était inutile de lui proposer à boire, car il ne restait pas longtemps.

« Il n'est pas là, le primitif que tu as recueilli ? C'est aussi pour le voir et faire connaissance avec lui que je suis venu.

— Évite d'utiliser le mot primitif devant lui, tu veux ? » conseilla l'argenté avant d'inviter Joshua et Neeko à sortir de la salle de simulation. Ces deux derniers remarquèrent rapidement la présence du nouveau venu. Si de son côté, Neeko s'était précipitée jusqu'à ses genoux pour joyeusement le saluer, Joshua, lui, garda ses distances alors que son regard trahissait une certaine méfiance.

« Alors c'est toi le fameux Joshua ? s'exprima Hayate en le découvrant. Je ne vais pas te mentir : je ne t'imaginais pas du tout comme ça.

— Tu l'imaginais comment ? demanda Kei, curieux.

— Plus costaud, plus sauvage et moins beau gosse. »

Joshua ne sut pas s'il devait se sentir vexé ou flatté. Il se contenta d'afficher un air blasé pendant que Kei réprimait un petit rire gêné :

« Les gens extérieurs à Neo-Tokyo ne sont pas tellement différents de nous, physiquement parlant.

— Je vois ça ! En tout cas, Joshua, c'est un plaisir de te rencontrer enfin. Moi c'est Hayate. Le meilleur pote de Kei !

— Meilleur, je ne sais pas... » rectifia Kei d'un sourire taquin. Mais en guise de réprimande, le blond lui lança une cigarette électronique au visage. L’homme aux cheveux de neige l'attrapa de justesse en assurant qu'il plaisantait, sous les yeux perplexes de Joshua.

Après quelques minutes pendant lesquelles tous prirent place sur les fauteuils du salon, Hayate se saisit d'une autre vapoteuse, puis expliqua la véritable raison de sa présence.

« À vrai dire, c'est Ryo qui m'envoie. Pour vous parler d'une chose importante qui concerne la Kai-Riu. Et qui pourrait potentiellement lui porter préjudice si on utilise une telle information à bon escient.

— Ok, tu m'intéresses grave, là ! » fit Kei avant de porter la cigarette offerte par Hayate entre ses lèvres pour inspirer un coup, sous l'air circonspect de Joshua. Ce dernier ne dit rien, mais avait tout autant hâte d'écouter ce que son ami avait à dire.

« Il se trouve que j'ai réussi à mettre la main sur une chose compromettante, au sujet de Chikara Masato.

— L'un des trois co-fondateurs de la Kai-Riu ? s'étonna le hacker. Carrément ?

— Qu'est-ce que tu appelles chose compromettante ? demanda Neeko avec un point d'interrogation à son écran.

— Je vais directement vous la montrer. Par contre, c'est assez sale et grave comme affaire. Vous risquez d'être choqués. »

Il actionna un petit bouton situé sur le côté d'une montre qu'il portait à son poignet gauche. Un écran holographique tactile apparu ensuite devant lui, et il le tapota quelques instants, le temps de rechercher le fichier à montrer. Il le diffusa ensuite aux trois autres.

Il s'agissait d'une vidéo prise par une caméra de surveillance d'une chambre, car il filmait un grand lit depuis un point fixe. Sur ce meuble, une jeune fille, visiblement adolescente, était dans un état second, en sous-vêtements et ses mains ligotés derrière son dos. Elle réagissait à peine lorsqu'une seconde fille, dans la même tranche d’âge, était jetée sur le lit, complètement nue. Elle tentait de se relever et de se débattre, mais s'affaiblissait à vue d'œil jusqu'à se retrouver complètement immobilisée.

Un homme cinquantenaire aux cheveux courts bruns, uniquement vêtu d'une chemise, s'allongea sur cette pauvre fille. Celle-ci se mit à gémir à plusieurs reprises alors qu'on voyait son agresseur se mouvoir rigoureusement en elle.

Les yeux de Joshua s'écarquillèrent d'horreur tandis qu'il portait une main devant sa bouche. Kei se montra également choqué, à un tel point qu'il avait laissé sa cigarette tomber de sa main. Quant à Neeko, elle affichait une émoticône rouge vif en colère. Estimant qu'ils en avaient assez vu, Hayate interrompit la vidéo avant de faire disparaître son écran.

« Je vous épargne la suite. Mais on reconnaît clairement cette enflure de Chikara.

— Enflure est un mot bien trop faible, à ce stade... murmura l'argenté, le regard hagard perdu dans le vide.

— Si j'étais humaine, je pense que je vomirais, confia Neeko.

— Vos réactions sont totalement compréhensibles. J'ai réagi comme vous en découvrant ça. Pareil pour Ryo et Natsu. L'un des fondateurs de la firme qui contrôle quasiment Neo-Tokyo se révèle être un violeur doublé d'un pédophile. J'estime qu'on ne peut pas laisser passer une chose pareille sans rien faire.

— Mais... comment tu as fait pour mettre la main sur une vidéo pareille ? demanda Joshua après avoir ravalé un peu de son choc.

— Je travaille pour la Kai-Riu en tant qu'ingénieur en informatique. Bien sûr, c'est une couverture ! Je profite de ma position pour trouver un moyen d'anéantir cette société merdique qui gangrène notre ville depuis plus de dix ans. Je n'ai pas eu trop de problèmes à trouver ça en fouillant les archives personnelles de Chikara. Avec ça, on tient une occasion de le faire tomber pour une bonne raison.

— C'est risqué de te balader avec une telle vidéo dans ton e-watch, affirma Neeko. La Kai-Riu pourrait te pister. Et si elle découvre que tu as cette preuve en ta possession...

— Ne t'inquiète pas pour ça. Mon e-watch n'est pas connecté et ne diffuse aucun signal. Aucune donnée ne fuite. Je m'en suis assuré.

Hayate, l'appela Kei d'une voix plus grave que d'habitude. Comment est-ce qu'on pourrait arrêter ce connard en utilisant ta vidéo ? »

Le blond réfléchit un instant en regardant son interlocuteur, puis Joshua, avant de leur raconter que Chikara se rendrait au secteur Mangetsu du district Tsukuyomi, également surnommé le quartier des plaisirs, dans trois jours. Il avait une réunion de prévue en soirée, avec une firme qu'il souhaitait rallier à la cause de la Kai-Riu. Celle-ci gagnerait ainsi encore plus en influence et en pouvoir.

« Une réunion, hein ? »

Kei eut une sorte d'illumination en cet instant. Une idée venait de germer dans son esprit tandis qu'il trépignait d'impatience de voir la réaction de Chikara s'il la mettait en œuvre.

« T'as un plan en tête ? » l'interrogea Hayate. Le hacker affirma qu'il avait un début de stratégie, mais qu'il devait en savoir plus sur la future réunion au quartier des plaisirs. Sous les regards attentifs de Joshua et de Neeko, l’ingénieur expliqua tout ce qu'il savait au sujet de ce prochain événement nocturne.

Chapter 7: Opération sabotage

Chapter Text

Trois jours s'écoulèrent depuis la visite d'Hayate. Kei et Joshua continuaient à faire profil bas et à laisser les choses se tasser en restant dans l’appartement. Ils craignaient une visite des autorités à la recherche du brun, mais celle-ci n'était pas arrivée. Les médias parlaient encore du primitif recherché, mais supposaient sa disparition ou sa fuite en dehors de Neo-Tokyo. De ce fait, la surveillance demeurait accrue. Les deux hommes devaient redoubler de prudence lors de leurs prochaines sorties.

Comme prévu par Hayate, le hacker reçut une invitation de Ryo pour manger dans un restaurant du district Izanagi, en compagnie de Natsu. Elle souhaitait en profiter pour rencontrer Joshua et parler de leur opération concernant Chikara. Ce fut la raison pour laquelle, après s'être préparés, le duo masculin quitta le logement en confiant sa surveillance à Neeko.

« Passez le bonjour à Natsu et à Ryo de ma part ! »

Son maître acquiesça par un sourire et un hochement de tête avant de fermer et de verrouiller la porte d'entrée. Lui et son compagnon se rendirent à l'emplacement de son véhicule personnel. Kei semblait enthousiaste à l'idée de découvrir la nouvelle apparence de sa carrosserie offerte par le Cyber Ladies, sous ordre de Ryo.

Mais la stupéfaction et l'indignation l'envahirent en découvrant toute cette peinture rose fuchsia, décorée d'une multitude de marguerites, qui recouvrait son vaisseau.

« C'est quoi ce bordel, Ryo... grogna le propriétaire du véhicule, complètement blasé.

— C'est plutôt joli mais je ne m'attendais pas à ça, commenta Joshua d'un air penseur. Au moins, on ne devinera pas que ce vaisseau t'appartient ?

— D'accord, mais tout de même ! C'était obligatoire, tout ce rose bonbon à la con ? Toutes ces fleurs auraient mieux rendu sur un fond noir ou bleu ciel !

— Je sais pas... »

Kei offrit au plus jeune un air bougon en croisant les bras. Joshua se contenta de hausser les épaules en souriant légèrement.

« Après, je pense qu'il y a plus important que ta fierté devant un simple décor de vaisseau, non ? »

L'autre soupira. Même s'il n'avait clairement pas envie de piloter un véhicule arborant une telle esthétique, son hébergé avait raison. Ce n'était rien comparé à ce qu'avaient subi les victimes de Chikara, pour ne citer qu'un exemple. Et si c'était le prix à payer pour qu'on ne reconnaisse pas son vaisseau, autant faire avec !

 

*

 

Étant voisin au district Amaterasu, celui d'Izanagi n'était pas loin. Le trajet se fit en un quart d'heure, jusqu’au secteur Kyo. Arrivés là-bas, Kei gara son vaisseau dans l'un des quelques parkings publics mis à disposition des citoyens. Il passa des contrôles auprès de plusieurs robots avant d'emprunter un ascenseur avec son accompagnateur, qui les emmena dans l'une des nombreuses rues de la zone.

C'était la première fois que Joshua se promenait en pleine ville à pied. Il se sentit mal à l’aise parmi tout ce monde qui arpentaient les rues ou les parcs, humains et ai-pets en tous genres confondus. D'ailleurs, voir autant de robots en forme de chien, de chat ou d'oiseau parmi la population le dépaysait. Rien à voir avec les animaux authentiques qu'on retrouvait dans les forêts ou dans les montagnes extérieures ! Et tout ce brouhaha désagréable embêtait les oreilles du primitif. Le calme de la nature lui manquait grandement.

Il se montra néanmoins impressionné par l'environnement et l'architecture des buildings et des rues de ce secteur. De nombreux commerces exposaient fièrement leurs enseignes et leurs vitrines, remplis d’articles divers et variés. Cependant, certains écriteaux paraissaient illisibles aux yeux du chasseur. Il y voyait des mots dont les lettres semblaient avoir été mises en désordre, alors que d'autres représentaient carrément des symboles étranges avec une multitude de traits courbés. Était-ce des langues que Joshua ne connaissait pas ?

Je poserai la question à Kei plus tard...

Le duo masculin se dirigea vers un restaurant, dont la devanture s’illuminait par des lampadaires à néons bleu et violet. « Lofi Grill » s’inscrivait au-dessus de l'entrée par laquelle plusieurs clients entraient et sortaient. Une odeur de viande grillée s'échappait de cet établissement, mettant l'eau à la bouche des deux hommes qui pénétraient à l’intérieur.

Une ambiance à la fois confortable et très high-tech y régnait. Des androïdes, principalement féminins et vêtus d'un débardeur violet par-dessus un pantalon bleu roi, assuraient les services en salle et au comptoir. Certains slalomaient parmi les tables et les sièges translucides lumineux bleu clair ou mauves pour apporter les commandes, pendant que d'autres mettaient un peu d'animation en coupant des morceaux de viande de manière artistique pour certains consommateurs. Une musique lo-fi apportait un aspect à la fois atypique et apaisant au lieu.

« Plutôt étrange comme endroit, confia Joshua. Pour un restaurant, je m'étais imaginé un autre décor et une autre ambiance.

— Ce resto s'appelle littéralement Lofi Grill et t'es dans une ville où la technologie domine. Je ne vois pas pourquoi ça te surprend ! En revanche, Ryo m'a dit qu'elles nous attendraient à une table à l'intérieur. Mais avec tout ce monde, ça va être compliqué de les repérer.

— J'ignore à quoi ressemblent tes deux amies, alors je ne peux pas t'aider à les retrouver. »

Il n'en avait pas besoin. Kei aperçut une silhouette aux dreadlocks noir et violet les interpeller, tout en leur faisant signe depuis l'autre bout de la salle.

« Voilà Natsu ! » fit l'argenté en s'avançant aussitôt en sa direction avec Joshua à sa suite. Il remarqua rapidement la présence de Ryo à ses côtés. Après s'être salués, les deux hommes prirent place en face des deux femmes. Les présentations se firent rapidement.

« Hayate ne m'avait pas menti, lorsqu'il disait que ce fameux Joshua était beau gosse ! » s'enthousiasma Natsu en offrant un clin d'œil au brun. Ce dernier détourna son regard, gêné, pendant que Ryo donnait un coup de coude au bras de sa cadette.

« Évite de le mettre mal à l'aise, s'il te plaît ! C'est pas le but de cette réunion. Et c'est pas sûr qu'Hayate apprécierait que tu te mettes à draguer ce garçon.

— Roh, tout de suite les grands mots ! J'ai quand même le droit de trouver ce mec beau ! En plus, pour un primitif, il n'a pas l'air trop idiot. Un nouveau membre comme ça parmi nous ne sera pas de trop ! »

Elle se réjouit d'avoir sorti quatre fois la même rime, pendant que Ryo la regardait d'un air blasé. Joshua ne savait pas où se mettre. C'était bien la première fois qu'il rencontrait une femme aussi... entreprenante ? De là où il venait, les hommes étaient ceux qui abordaient les femmes de la sorte. Rarement, voire jamais l'inverse. Quant à Kei, il se retint de rire devant sa réaction face à un tel accueil.

Suite à cela, ils passèrent tous commande. On leur livra un plateau de brochettes mélangeant viande de bœuf grillée marinée et fromage. Les quatre reçurent également un bol de riz chacun, une assiette de crudités et une coupelle de sauce soja. Des boissons furent aussi délivrées : une bière fraîche pour Kei et Ryo, une petite coupelle de saké pour Natsu et un thé fruité pour Joshua.

« Itadakimasu ! » s'exclama Natsu avant de se saisir d'une brochette pour la manger. Joshua afficha un air surpris.

« Itada quoi ?

— C'est l'équivalent de bon appétit, expliqua Kei. C'est du japonais. Tu connais pas ? »

Joshua secoua négativement la tête. Chez lui et dans tous les villages qu'il avait visités, seul le français était parlé.

« Alors les peuples vivants en dehors de Neo-Tokyo ont préféré ne retenir qu'une seule langue... » constata Ryo avant de se tourner vers le brun. En le voyant un peu perdu, elle lui adressa un sourire :

« Ici, le français est la langue la plus répandue et couramment parlée. Mais nous utilisons également du vocabulaire japonais et anglais. À ce qu'il paraît, beaucoup plus de langues étaient parlées à une lointaine époque, mais la plupart d'entre elles sont mortes en même temps que la Terre. Et ça a continué jusqu'à ce que seules trois langues soient retenues : l'anglais, le français et le japonais, qui étaient les langues des trois pays ayant permis à l'humanité de trouver refuge sur Calreon, à savoir les États-Unis, la France et le Japon.

— Vous m'apprenez quelque chose ! J'ignorais que les humains parlaient des centaines de langues. Je pensais que seul le français subsistait.

— Si l'histoire de l'humanité t'intéresse, répliqua la rousse alors que son sourire s'élargissait, je connais une bibliothèque numérique qui pourrait te fournir des informations là-dessus !

— C'est gentil de ta part, mais revenons à la raison pour laquelle nous sommes là, proposa Kei d'un air sérieux après une bouchée de riz. Hayate vous a parlé de ce... de ce que je lui ai dit l'autre jour concernant l'affaire CM, pas vrai ? »

Ne souhaitant pas prononcer le nom de Chikara Masato en public pour des raisons de sécurité, il avait choisi d'utiliser un nom de code pour le désigner. Il en avait parlé à Joshua avant de sortir. Est-ce que les deux filles face à lui allaient comprendre ? La réponse lui vint lorsque Ryo et Natsu s'échangeaient un regard grave et silencieux.

« Oui, il nous a racontées, répondit Natsu. D'après ce qu'on a compris, tu souhaites t'infiltrer dans le lieu où se déroule la réunion pour y diffuser la vidéo, au moment où CM s'y attendrait le moins.

— Et si possible la diffuser dans tout Neo-Tokyo, pour que tous les habitants se rendent compte que leur société favorite est partiellement gérée par un enfoiré aussi pervers que dangereux. » compléta Kei alors que ses poings se serraient discrètement. Joshua remarqua ce détail, mais choisit de ne pas en parler. Il souhaitait d'abord entendre les deux autres.

« Une telle stratégie est à la fois audacieuse et radicale, affirma Ryo. Mais honnêtement, je ne vois pas comment tu pourrais y arriver. L'endroit sera sûrement bien gardé et diffuser ça à grande échelle te demandera beaucoup trop d'efforts en peu de temps, sans un matériel adéquat.

— Justement, je n'y arriverai pas tout seul. C'est pour ça que j'en parle avec vous. Après avoir discuté avec Hayate, il m'a assuré qu'il y avait moyen de me faire héberger dans l'hôtel le plus proche du lieu de la réunion, pour que je puisse passer à l'assaut dans les meilleures conditions.

— Quand bien même tu serais bien placé, réfléchit Natsu, il te faudra infiltrer le bâtiment où se trouvera CM. Tu seras obligé d'y aller à pied, probablement en sautant d'un immeuble à l'autre. Ce qui est très dangereux ! En plus, une fois sur place, l'endroit sera quadrillé par le Bushi. Réussir à passer inaperçu tiendrait du miracle.

— À la limite, pour passer les patrouilles sans se faire voir, intervint Ryo après avoir bu une gorgée de bière, je peux m'arranger avec Kaze pour faire avoir des tenues camouflantes à Kei.

— Kaze ? demanda Joshua qui ne connaissait pas cette personne.

— Un ami à nous, expliqua Kei. Il travaillait pour le Bushi, mais a choisi de quitter ce boulot en se rendant compte que les soi-disant défenseurs de notre ville sont corrompus par la Kai-Riu. Depuis, il agit dans l'ombre avec quelques personnes en tant que justicier. Il nous aide à faire tomber cette société quand l'occasion se présente. »

L’homme au teint foncé se tourna ensuite vers les deux femmes avant de reprendre :

« Je veux bien prendre le risque. On n'aura peut-être pas d'autres occasions de frapper aussi fort. Et puis si on me fournit une carte complète du bâtiment où se déroule la conférence, je peux déterminer le chemin le plus sûr à emprunter jusqu'à la chambre des serveurs.

— La chambre des serveurs ? questionna le brun qui ne comprenait pas.

— Pour faire simple, répondit Ryo, c'est une salle où sont disposés des ordinateurs centraux fournissant des services informatiques dans un système automatiquement contrôlé. La plupart des buildings de la ville en ont un ou plusieurs. Ils contribuent grandement au fonctionnement de la technologie numérique et cybernétique de Neo-Tokyo.

— Et entre les mains d'un hacker prodigieux, on peut faire des merveilles avec, affirma Kei avec un léger rictus.

— Encore faut-il l'atteindre ! tempéra Natsu. Ce sera sans doute le deuxième endroit le mieux gardé du bâtiment après la salle de la réunion de CM.

— D'où la nécessité de me fournir une carte du lieu, un bon équipement et de me réserver une chambre d'hôtel d'où je pourrai agir en toute discrétion. »

Un silence s'installa. Joshua observa les trois personnes en sa compagnie. Il aurait voulu participer un peu plus à cette conversation, mais n'était pas sûr de comprendre tout ce qu'il s'y racontait. Il avait l'impression de passer pour un idiot même s'il se disait que c'était normal, n'étant pas originaire de Neo-Tokyo. Kei, à côté de lui, fixait Ryo et Natsu dans l'attente d'une réponse de leur part. La mise en place de son plan dépendait de la participation des deux femmes et de probablement d'autres personnes. Mais il fallait qu'elles lui donnent leur approbation. Après tout, sa stratégie était risquée. Et s'il y avait bien des personnes pouvant prendre suffisamment de recul avant d'agir, c'était ce duo féminin.

« Pour l'hôtel, je peux arranger le coup avec l'aide d'Hayate, proposa Natsu. Il me semble qu'il a des contacts avec certains établissements du secteur Mangetsu, là où se déroule la conférence.

— C'est quand même étrange qu'une telle réunion ait lieu en soirée dans le secteur qu'on surnomme le quartier des plaisirs, confia Ryo, perplexe.

— Je ne suis pas sûr de vouloir savoir ce qu'on fait dans ce fameux quartier des plaisirs... rétorqua Joshua qui se doutait déjà de ce qu'on pouvait y trouver.

— C'est sûr que c'est pas le coin le plus fréquentable du district Tsukuyomi, affirma Kei. Enfin... ça dépend pour qui ! En tout cas, je suis certain d'une chose : c'est pas le genre d'endroit à arpenter seul. »

Il regarda Joshua en prononçant cette dernière phrase. Le brun comprit instantanément que son aîné désirait qu'il l'accompagne. Mais Ryo jugea cela comme une mauvaise idée.

« Joshua ne connaît pas grand-chose de Neo-Tokyo. Et je suppose qu'il n'a jamais mis les pieds à Tsukuyomi. Est-ce qu'il ne serait pas préférable que ce soit quelqu'un connaissant bien les lieux qui t'accompagne ?

— Ça ne me dérange pas d'y aller avec lui, contredit Joshua. J'ai envie de participer à ce plan. C'est bien pour pourrir la Kai-Riu que je suis venu dans cette ville. Alors si Kei passe à l'action dans ce but, je veux en être aussi.

— Tes motivations sont compréhensibles, répliqua Ryo, mais c'est très dangereux ! Kei a l'habitude de prendre ce genre de risque et de s'en sortir. Mais pas toi ! On ne veut pas te mettre en danger. Ni te laisser mettre Kei en danger.

— Il ne me mettra pas en danger, assura le hacker. Au contraire, il peut m'être d'une grande aide ! S'il n'était pas venu avec moi lors de mon travail chez Netlust, je ne sais pas si j'aurais été là aujourd'hui. Joshua n’en a pas l’air vu comme ça, mais c'est un vrai dur à cuire. Et il est assez balèze en combat rapproché. »

Devant cette pluie de compliments, et en constatant que Kei lui faisait suffisamment confiance pour qu'il l'accompagne au secteur Mangetsu, Joshua détourna son regard pendant que ses lèvres s’étiraient légèrement mais tendrement. Natsu ne put s'empêcher de sourire joyeusement en remarquant cette réaction de sa part.

Ce garçon est adorable !

Ryo, de son côté, soupira de résignation.

« Ton entêtement te perdra un jour Kei, c'est moi qui te le dis.

— En même temps, quand on a un mentor aussi têtu... » lui retourna le concerné en lui offrant un clin d'œil complice. La rousse réprima un petit rire, avant de porter sa bouteille de bière à ses lèvres une fois de plus. Finalement, tout le monde était d'accord pour suivre et préparer le plan de Kei. Natsu promit de prévenir Hayate et de s'arranger pour leur avoir une chambre d'hôtel au quartier des plaisirs. Quant à Ryo, elle assura de pouvoir se procurer un plan du building où se déroulait la réunion de Chikara. Elle promit également de demander au fameux Kaze de leur fournir des tenues et le matériel nécessaire, pour que leur infiltration se passe dans les meilleures conditions.

Ce fut dans une ambiance détendue et assez joviale que ce repas en groupe se termina. Kei et Joshua ne perdirent pas de temps : ils retournèrent à l'appartement de l'argenté. Il leur restait toute l'après-midi pour se préparer à leur future opération. Le jeune homme reçut rapidement un courrier électronique de Ryo dans lequel était joint un plan détaillé du bâtiment à infiltrer. Natsu l'appela entre-temps pour le prévenir qu'Hayate était parvenu à leur réserver une chambre dans l'hôtel Dreamy Night, situé à quelques buildings de leur destination nocturne. Elle le prévint aussi que Kaze livrerait directement et en toute discrétion les tenues camouflantes et d'autres outils directement dans la chambre où ils allaient séjourner. Par soucis d'organisation et de sécurité, Kei et Joshua devaient faire en sorte d'accéder à l'hôtel après vingt heures, afin de ne pas croiser Kaze qui passerait avant.

Suite à ces appels et à ces préventions, Kei débriefa Joshua sur ce qu'il devait savoir à propos du fameux quartier des plaisirs et des potentiels dangers qu'il recelait. Il lui expliqua le chemin tumultueux à parcourir depuis leur hôtel jusqu'à la chambre des serveurs. La dangerosité d'un tel parcours ne sembla pas pour autant effrayer le brun. Bien au contraire : il était plus que déterminé à faire payer à Chikara ce qu'il avait fait aux pauvres adolescentes vues en vidéo. Sentiment largement partagé par Kei, et même par Neeko qui, bien que ne participant pas à cette sortie, encourageait les deux hommes à la mener à bien.

 

*

 

Le soir arriva bien vite. Le duo masculin avait revêtu des vêtements à néons luminescents, luisant en jaune pour Kei et en vert pour Joshua. C'était une mode particulière propre à Neo-Tokyo. La plupart des citoyens sortant la nuit portaient des tenues similaires, apportant encore plus de lumières et de couleurs à cette ville.

« C'est spécial, votre truc ! confia Joshua en contemplant son manteau kaki et son jean bleu marine d'un air sceptique. Je ne suis pas sûr d'être à l'aise dedans. J'ai l'impression d'être un gros lampadaire ambulant...

— C'est juste le temps d'un trajet, mon grand ! assura Kei avant de lui tendre un sac à dos que l'autre saisit. Pour passer inaperçu, il n'y a pas mieux. Surtout pour quelqu'un comme toi. Essaye de l'endurer pendant au moins une heure et demie.

— Au moins une heure et demie ?! C'est si loin que ça, ce quartier des plaisirs ?

— Amaterasu et Tsukuyomi sont deux districts opposés, expliqua Neeko avec une émoticône souriante. Tsukuyomi est donc le district le plus éloigné en partant d'ici. Le voyage vous semblera assez long.

— Surtout qu'on utilisera le monorail pour y aller. Si notre coup n'était pas aussi risqué, on aurait pu y aller avec mon vaisseau et on y serait plus rapidement. Mais...

— OK, j'ai compris : trop dangereux car trop facilement repérable. » compléta Joshua qui voyait où il voulait en venir. Kei en fut limite surpris. Visiblement, le plus jeune se révélait plus perspicace qu’attendu, ce qui n'était pas une mauvaise chose. Après avoir enfilé un sac à son tour, l'informaticien s'adressa à Neeko.

« Tu vas devoir passer la soirée toute seule, aujourd'hui ! Mais on fera en sorte de revenir demain dans la matinée.

— Ça ne me dérange pas, affirma l'Ai-pet avec un pouce en l'air à l'écran. Et puis c'est pour une bonne cause. En revanche, faites attention à vous !

— Et toi, veille bien sur l'appartement ! »

Kei lui offrit une petite caresse sur le dessus de sa tête avant de faire signe à Joshua de le suivre. Le duo quitta ainsi la résidence.

 

*

 

Installés sur deux sièges face à face au sein d'un monorail vingt minutes plus tard, les deux hommes observaient le paysage défiler à travers leur vitre. Si Kei était habitué à cet environnement nocturne, Joshua, en revanche, paraissait fasciné. Il pensait être dérangé par tous ces néons colorés présents sur la majorité des buildings, mais il se surprenait à en être émerveillé.

Le paysage de Neo-Tokyo changeait radicalement, une fois la nuit tombée. Les bâtiments qui lui paraissaient mornes la journée, laissaient parler leurs personnalités à cette heure tardive. Les hologrammes au sommet de certains d'entre eux renforçaient encore plus cet aspect, se montrant bien plus visibles et distincts.

Le trafic urbain n'avait pas spécialement diminué. Une multitude de vaisseaux continuaient de circuler, leurs phares allumés, passant ainsi pour des étoiles filantes défilant entre les tours. Mais le plus magnifique était les trois lunes trônant au milieu du ciel étoilé. Joshua pensait ne jamais les apercevoir pendant son séjour à Neo-Tokyo, mais l'emplacement du monorail offrait une vue privilégiée sur le firmament, et permettait aux voyageurs de profiter du spectacle céleste.

« On dirait que cette ville t'a conquis, à en juger par ce sourire que tu affiches. »

Joshua tourna sa tête vers Kei qui, accoudé à l'appui-bras de son siège, fixait son cadet depuis plusieurs dizaines de secondes, ne manquant rien à ses réactions.

« Conquis est un bien grand mot. Disons que j'apprécie la contempler de nuit. Ce n'est pas pour autant que je me prends d'affection pour elle. Je préfère largement vivre à l'extérieur.

— Malgré avoir essayé plusieurs de ses technologies ? Tu t'étais pourtant bien éclaté, lors de notre simulation de combat !

— J'admets que certaines de vos inventions sont sympas. Ce serait hypocrite de ma part de prétendre le contraire. Mais est-ce une raison pour adopter un mode de vie exclusivement basé là-dessus ? Sachant que ça ne fait pas spécialement du bien à cette planète ?

— Oh, tu sais ? L'humanité a beau être stupide, elle peut parfois faire preuve d'un minimum de bon sens. Figure-toi que la pollution générée par Neo-Tokyo est moindre comparée à celle des villes de l'ancienne Terre. Et on a un certain contrôle sur nos technologies pour des raisons éthiques, ce qui n'était pas spécialement le cas, autrefois. Pour citer un exemple, les intelligences artificielles conçues ici n'ont ni la malveillance, ni la prétention de celles créées sur Terre.

— Si on pouvait en dire autant de certaines personnes peuplant cette ville... »

Kei sourit légèrement devant une telle réplique. Quelque part, il comprenait où venait en venir le plus jeune. Il était même d'accord avec lui. Après tout, si tous les habitants de Neo-Tokyo étaient bienveillants, ils ne seraient pas là en cette soirée, à tenter de faire tomber un fondateur d'une entreprise affluente qui se révélait être un sordide criminel.

« L'humain est ce qu'il est, conclut-il en rivant ses yeux vers le paysage dehors. Loin d'être parfait et pas toujours motivé par des intentions nobles. L'humanité est capable du meilleur comme du pire. C'est une chose qui ne changera jamais malgré nos efforts. Et pour être tout à fait franc, je ne pense pas que tous les villageois vivant à l'extérieur de la mégalopole soient totalement purs.

— Pour le coup, je ne peux pas te contredire. »

Au moins, ils s'accordaient tous deux à ce sujet ! Le trajet était long, mais les discussions entre Kei et Joshua l'avaient rendu moins pénible et assez enrichissante.

Le monorail arriva finalement sur un quai du secteur Mangetsu, au district Tsukuyomi. Après avoir rapidement passé le contrôle des passagers, le duo masculin marcha sur l'un des nombreux trottoirs d'un niveau pas très élevé. L'hôtel se trouvait à quelques centaines de mètres de leur position. Ils suivirent leur chemin jusqu'à tourner à gauche, s'enfonçant un peu plus dans ce quartier des plaisirs qui portait bien son nom.

Plusieurs restaurants coquins, magasins de jouets sexuels et autres maisons closes étaient nombreux. Des femmes et des hommes, très légèrement vêtus, circulaient également, toujours en couple. Certains ne se gênaient pas pour se cacher à des coins de rues, pour s'embrasser fougueusement ou bien plus. Des gémissements pouvaient s'élever durant leurs ébats sans scrupules. Joshua se montra à la fois gêné et effrayé par cette ambiance particulière. Il n'avait qu'une hâte : mettre les pieds au Dreamy Night au plus vite.

Mais il entendit un sifflement admiratif tandis qu'une voix d'homme s'exclama :

« Pas mal du tout, ce beau brun !

— J'ignore d'où il sort, mais il est étrangement canon. » enrichit un second. Kei et Joshua virent deux hommes les aborder, particulièrement attirés par le second. Instinctivement, le brun passa derrière l'argenté en détournant le regard. Son compagnon, en revanche, fronça les sourcils : il avait remarqué des tatouages de dragon rouge au niveau de leur cou et descendant vers leur dos. Ils étaient face à deux membres du gang Masamune.

Il saisit alors fermement la main de Joshua, n'hésitant pas à passer ses doigts entre les siens.

« K-Kei ? » paniqua le concerné à voix basse. Celui-ci adressa un rictus aux deux voyous avant de répliquer.

« Désolé les mecs, mais il est déjà pris. Merci quand même pour vos compliments ! Ça prouve que j'ai bon goût ! »

Une telle réponse fit rire les inconnus. Kei et Joshua s'attendirent au pire. Le premier se prépara même à activer ses bagues électriques si on l'agressait. Mais contre toute attente...

« C'est bien dommage ! fit l'un d'eux. Mais bon ! Je ne mange pas du pain déjà pris !

— Si jamais ce garçon ne te satisfait pas comme il le faut, parla l'autre à l'adresse de Joshua, tu sauras où nous trouver, beau gosse !

— OK, bye ! » fit Kei en s'éloignant d'eux tout en traînant Joshua derrière lui. Ce dernier lutta pour ne pas afficher un air dégoûté, et attendit d'être suffisamment éloigné de ces délinquants pour murmurer vivement à son compagnon.

« C'est quoi cet endroit plus que louche ?!

— Je te rappelle qu'on est au quartier des plaisirs. Il faut s'attendre à croiser des mecs, et même des nanas de ce genre. C'est pour ça qu'il n'est pas conseillé de venir ici seul. Une agression peut vite arriver. Je n'ose pas imaginer ce que ces deux imbéciles t'auraient fait, si je n'avais pas été là. »

Un frisson parcourut la colonne vertébrale de Joshua, qui n'appréciait définitivement pas cet endroit. Bien que gêné par sa main et celle de Kei enlacées de cette façon, ce simple contact au milieu de toutes ces personnes sexuellement excitées le rassurait.

 

*

 

Ils arrivèrent sans encombre à la chambre d'hôtel que leur avait réservée Hayate. Celle-ci, éclairée par une lumière tamisée violette, n'était pas spécialement spacieuse, mais il y avait suffisamment de place pour deux personnes. Elle se composait d'un grand lit rond avec deux oreillers et une couverture soigneusement installée, ainsi qu'une armoire placée à côté d'une vitre circulaire. L'emplacement d'un écran holographique se trouvait sur le mur face au lit, et une porte adjacente menait dans une petite salle de bain.

« Je m'étais attendu à une chambre plus grande, confia Kei, mais pour ce qu'on a à faire, c'est suffisant.

— Et moi, je ne m'attendais pas à ce qu'elle soit aussi bien aménagée. Vu la tronche du quartier, je m'attendais à quelque chose de moins propre et plus en désordre.

— Les hôtels à Neo-Tokyo font généralement attention à soigner l'apparence de leurs chambres. Ils n'auraient aucun intérêt à laisser des chambres insalubres à disposition des clients. Encore moins dans le quartier des plaisirs.

— Vu sous cet angle... »

La réunion de Masato avait sûrement déjà commencé. Les deux jeunes hommes avaient des choses à faire pour atteindre la chambre des serveurs d'où ils pourraient agir. Kei repéra rapidement une valise cachée sous le lit. Comme prévu, on leur avait déposé le nécessaire pour mener leur opération à bien. Ils se préparèrent donc, changeant leurs tenues pour enfiler des combinaisons totalement noirs, difficilement repérables de nuit. Chacun portait également une cagoule noire qui ne laissait que leurs yeux visibles. Une fois prêts, le plus âgé pirata rapidement le système de l’hôtel pour déverrouiller l'ouverture de leur vitre. Ce fut par celle-ci que le duo sortit de la chambre.

Il était temps d'accomplir l'objectif qu'ils s'étaient fixé.

Chapter 8: Infiltration furtive

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Le vent frappait de plein fouet les visages cagoulés de Kei et de Joshua. Tous deux longeaient le mur extérieur de leur hôtel jusqu'à atteindre son extrémité. Perchés à plusieurs étages des trottoirs en contrebas, une chute depuis cette hauteur leur serait fatale. Pourtant, ils allaient bientôt affronter le vide complet, où seul subsistait le brouillard du niveau 0.

« Ça va, jusque-là ? demanda Kei.

— J'ai déjà fait un truc similaire dans des branches d'arbres d'une forêt. Je pense pouvoir survivre. Par contre, comment on va atteindre la tour d'à côté ? Il y a quand même une bonne distance qui nous sépare d'elle !

— C'est pas pour rien que j'ai demandé à ce qu'on nous fournisse ça. »

Il désigna les boucles de leurs ceintures. Détachables, elles étaient reliées par un câble extensible, qui se rétractait lorsqu’on appuyait sur un bouton de la lanière.

« Des grappins. Et ceux-là sont particulièrement faciles à utiliser sans risque ! »

Il le démontra en visant le bâtiment adjacent, avant d’appuyer sur l'interrupteur qui envoya la boucle se coller à la paroi en béton. Une lumière bleue apparut sous la boucle au moment du contact avec le mur. Elle assurait une parfaite adhésion pour permettre à son propriétaire de rembobiner le câble déployé et d'atteindre le point d'accroche en toute sécurité.

Kei invita à Joshua de l'imiter pour s'assurer de sa bonne utilisation. À son agréable surprise, son compagnon parvint à bien viser du premier coup.

« Je suppose que le tir à l'arc, ça aide ? lui sourit le hacker.

— C'est surtout que j'apprends plutôt vite. Mais ouais ! »

Les deux garçons se laissèrent donc tracter de l'autre côté, survolant cinq mètres de distance. Après s'être assurés de leurs appuis, ils contournèrent ce building tout en restant collé au mur pour ne pas tomber. Arrivés face à la bâtisse voisine, ils réitérèrent l'usage de leurs grappins. La même manœuvre fut réalisée une troisième fois avant d'atteindre leur destination. Cependant, après s'être réceptionné et avoir décroché son grappin, le pied de Joshua glissa. Le plus jeune aurait chuté de haut si son aîné ne l'avait pas attrapé par le bras à temps.

« Ne prends pas trop d'assurance non plus, hein ? Ça reste quand même dangereux, ce qu'on fait ! conseilla Kei avant de le tirer vers lui pour qu'il s'accroche correctement.

— Merci. Et désolé ! »

Ce petit incident passé, les deux hommes se concentrèrent à nouveau. En dessous d'eux, ils apercevaient l'entrée du bâtiment où se déroulait la réunion de Chikara. Comme supposé, les agents du Bushi gardaient cette porte, exposant leur traditionnel uniforme formé d’une armure légère bleue avec une esthétique rappelant celle des samouraïs. Des katanas et des pistolets lasers, ainsi que divers autres gadgets, étaient accrochés à leurs ceintures.

Quelques drones patrouillaient également dans les alentours, à différentes hauteurs. Le duo était à une altitude trop élevée pour se faire repérer. Mais sachant que la chambre des serveurs se situait dans les niveaux inférieurs à celui de l'entrée principale, ils devaient forcément passer devant eux.

« Voyons déjà s'il y a une façade moins surveillée que les autres. » proposa Kei en longeant les murs, suivit de près par Joshua. Au versant opposé, ils remarquèrent une cage d'escalier s'élevant sur quasiment toute la hauteur du bâtiment. L'homme aux mèches blanches s'en réjouit, mais déchanta aussitôt en repérant d'autres drones qui guettaient cette zone.

« En même temps, il fallait s'y attendre, rétorqua-t-il avant de regarder Joshua. Nos tenues ont la capacité de nous rendre invisibles, et on pourrait descendre ces escaliers sans se faire voir grâce à ça. Mais ça ne fonctionnera que pendant quelques minutes, et on ne pourra utiliser cette faculté qu'une seule fois.

— Dans ce cas, autant l'utiliser en cas d'extrême urgence. Ça pourrait nous servir pour nous échapper, si on se fait repérer. Mais dans ce cas, comment on va faire pour passer ces machins volants ?

— J'ai peut-être une idée ! Fouille dans la poche de mon sac. Il y a une petite console noire avec un écran intégré dedans et des boutons gris sur les côtés. »

Avec une description aussi précise, Joshua n'eut aucun mal à trouver l'objet. Il le tendit à Kei en lui demandant de quoi il s'agissait. De base, c'était une ancienne console de jeu vidéo très en vogue à Neo-Tokyo quelques générations auparavant. La eGame-X. Celle-ci appartenait à sa défunte mère Sora, qui l'avait elle-même hérité de ses grands-parents. Mais Kei l’avait détournée de son utilisation pour en faire une sorte de télécommande de piratage à distance. Ce qui lui était très pratique pour désactiver des systèmes informatiques sans se faire repérer.

Cependant, son usage était dangereux. Au moindre faux pas, on pouvait détecter sa présence et sa position. C'était la raison pour laquelle il ne l'utilisait que rarement. Mais en cet instant, c'était la seule solution qui s'imposait.

« Ça s'utilise comme un jeu vidéo de tir, expliqua-t-il en allumant la petite machine avant de pointer trois drones avec. Tous ces carrés qui défilent, je dois les dégommer avec mon triangle en prenant soin d'éviter les ronds. Si je touche ou tire sur un rond, les drones vont automatiquement savoir qu'on est là.

— Je ne suis pas sûr de tout comprendre, mais c'est pas un peu trop risqué ?

— Certes. Mais ça peut aussi grave nous arranger si ça fonctionne ! Il suffit juste que je fasse preuve d'agilité et de vigilance. J'ai joué à pas mal de jeux depuis l'enfance, donc ça devrait le faire. »

Joshua ne répliqua rien pour laisser l'autre se concentrer. Il en profita pour surveiller les environs, à l'affût d'un quelconque drone qui volerait en leur direction. Heureusement, ils ne furent pas embêtés de ce côté-là.

« Bingo ! » s'exclama Kei alors que les drones piratés s'étaient mis en veille. Ils volaient encore grâce à un système de secours autonome les empêchant de s'écraser en cas de panne subite. Mais leurs lumières et leurs caméras étaient éteintes, laissant le champ libre aux deux hommes.

« Par contre, on n'a pas beaucoup de temps. Alors faisons ça vite et bien !

— Je te suis ! »

Ils atteignirent les escaliers et les descendirent aussi vite que possible. De temps en temps, ils croisaient d'autres drones actifs, mais Kei les désactivait de la même manière que les précédents. Ils progressèrent de cette manière jusqu'à atteindre les niveaux les plus inférieurs. Après avoir consulté la carte de la tour via une projection holographique de son cellulaire, l'argenté s'arrêta devant une porte en métal, possédant un détecteur d'empreinte digitale et un clavier sur le côté.

« Surveille nos arrières, Josh ! Je m'occupe de ça. »

Le concerné s'exécuta en balayant les environs du regard, jusqu'à fixer les drones endormis. Il priait pour que Kei leur ouvre la porte avant que ces machines volantes ne reprennent connaissance. Le hacker utilisait de nouveau sa console trafiquée sur le vérificateur d'empreinte. Celui-ci finit par s'illuminer en vert, tandis qu'un code s'affichait sur l'écran de l'eGame-X. Kei tapa cette combinaison de chiffres et de lettres, et l'accès s'ouvrit automatiquement.

« T'es doué ! complimenta Joshua, surpris par la rapidité de sa manœuvre.

— Merci mais garde tes flatteries pour quand on en aura terminé ! répondit le plus âgé avec un léger sourire. On n'a pas encore atteint notre objectif. »

Leur infiltration ne faisait que commencer. L'intérieur était probablement mieux gardée et les risques encourus augmentaient. Ils devaient redoubler de prudence, tout en accélérant la cadence.

Des caméras de surveillance étaient installées à des coins stratégiques des sombres corridors. Kei consulta rapidement la représentation tridimensionnelle du plan de ces lieux, afin de déterminer le bon couloir à emprunter. Il prit ensuite soin de désactiver temporairement les caméras à l'aide de son eGame-X, avant de progresser en guidant Joshua. Bien évidemment, les deux croisèrent des robots patrouilleurs. Mais le hacker les paralysa de la même manière qu'avec les caméras, et put ainsi les passer avec son compagnon sans alerter quoi que ce soit.

Après avoir tourné sur leur droite à une intersection, ils firent face à un couloir dépourvu de caméra. Mais l'allée était parsemée de plusieurs lasers rouges orientés dans des angles différents.

« Ils se sont bien préparés, ces cons ! commenta l'informaticien en examinant les moindres recoins pour trouver comment les désactiver.

— C'est quoi ces trucs ? demanda Joshua en haussant un sourcil circonspect.

— Des détecteurs lasers. Ils sont inoffensifs, mais déclencheront une alerte si quelque chose ou quelqu'un les touche. Autrement dit, si on se foire ici, on foire toute notre mission.

— Rassurant ! Tu penses pouvoir les faire disparaître ? »

Kei tenta l'utilisation de son eGame-X pour essayer de pirater le système et de leur ouvrir le passage. Seulement, contrairement aux drones, aux caméras et aux robots, la sécurité de ces lasers était bien plus complexe à déjouer. Sa petite machine n'arrivait même pas à se connecter au dispositif gérant cette partie du bâtiment.

« On va devoir les passer nous-mêmes sans les toucher, conclut-il en se tournant vers Joshua. Perso, je pense en être capable. Mais je ne sais pas si c'est ton cas. »

Il ne pouvait pas laisser son cadet prendre un tel risque alors qu'ils étaient arrivés aussi loin. Mais contre toute attente et sans rien dire, le brun s'avança avant d'enjamber le premier rayon. Il passa en dessous de deux autres avant de sauter par-dessus le suivant, en prenant soin de ne pas les effleurer.

« Ça n'a rien de spécialement compliqué, affirma-t-il en passant d'autres lasers. C'est comme sauter au-dessus des grosses racines ou d'éviter des branches ou des lianes suspendues, mais sans les toucher. »

En constatant que le plus jeune se débrouillait bien mieux qu'il ne l'imaginait, mais aussi admiratif de son agilité accrue qu'il avait déjà remarqué lors de leur précédent affrontement, Kei esquissa un rictus satisfait avant de s'engager parmi les faisceaux à son tour. À l’instar de Joshua, il les passa assez rapidement sans les déclencher. En quelques minutes de concentration, le duo gagna l'autre côté.

« Pour le coup, tu m'épates ! complimenta le hacker. Je te savais débrouillard mais là, tu dépasses mes attentes !

— Et bien, comme je te l'ai dit, j'apprends vite ! Et cette espèce de parcours jusqu'à cette fameuse chambre des serveurs me rappelle quelques souvenirs. Je faisais des choses similaires en pleine nature. Donc tout ça est à la fois nouveau et assez familier, comme expérience. »

Le sourire de l'argenté s'agrandit devant ces explications. Il aurait aimé en discuter un peu plus, mais là n'était pas le moment. Désormais proches de la chambre des serveurs, il serait idiot pour eux de se faire repérer maintenant à cause d'une seconde d'inattention. Ainsi, il coupa court à la discussion et demanda à Joshua de le suivre.

La porte menant à la chambre des serveurs se trouvait au détour d'un couloir plus loin. Malheureusement, deux problèmes se posaient. Le premier, qui pouvait se régler rapidement : un système d'empreinte digitale, identique à celui qu'ils avaient désactivé avant d'entrer dans le bâtiment, la verrouillait. Le second, un peu plus embêtant : elle était gardée par deux vigiles. Il ne s'agissait pas de membres du Bushi comme en témoignait leur uniforme simple et majoritairement gris. Mais les pistolets électroniques visibles dans des fourreaux accrochés sur le côté de leurs torses, les rendaient dangereux. Une approche directe serait suicidaire. Kei trouva rapidement une idée pour régler ce problème.

Il fouilla rapidement la poche du sac de Joshua pour en sortir ce qui ressemblait à des étoiles ninjas.

« C'est quoi ça ? murmura le châtain qui n'avait jamais vu une telle arme auparavant.

— Des shuriken. Et ceux-ci sont très spéciaux. »

Pour le démontrer, il appuya sur des interrupteurs situés au centre de ces étoiles en fer. Ces dernières s'illuminèrent d'une petite lumière verte. Puis, sans même longer sa tête pour viser les gardes, il les lança en leur direction.

« Qu'est-ce que.. ?! » s'écria l'un des hommes sur le point de dégainer son arme. Mais un buzz résonna pendant plusieurs secondes, suivi de deux brefs mais lourds impacts contre le sol. Les shuriken avait électrisé ces vigiles, qui s'étaient ensuite effondrés au sol, inconscients.

« Ton invention déchire, Kaze ! murmura joyeusement Kei en s'approchant de la porte avec Joshua.

— J'avoue que je ne m'attendais pas à ça. Mais ça nous arrange. Reste plus qu'à ouvrir cette porte ! »

Kei s'attela aussitôt à cette tâche, qui ne lui prit pas trop de temps. Par contre, il était conscient qu'ils devaient accomplir leur mission au plus vite. Les deux gardes qu'il venait d'assommer n'allaient pas rester définitivement inconscients.

La porte ouverte déboucha sur une assez grande salle, où régnait le bourdonnement continu de nombreuses machines rangées dans des armoires métalliques. On pouvait ressentir la chaleur dégagée par tous ces serveurs qui tournaient sans interruption, tous reliés dans un réseau complexe. Mais plusieurs grilles de climatisation apportaient suffisamment de fraîcheur pour qu'une température plus agréable règne, et ainsi éviter la surchauffe de toutes ces machines.

À l'autre bout de cette salle, dans un espace plus aéré, se trouvait une grande console connectée à plusieurs écrans holographiques, pour le moment en veille. Le duo s'approcha de celle-ci, et Kei s'installa devant avant de tapoter sur le clavier tactile présent. Les trois écrans s'illuminèrent, sous les yeux attentifs de Joshua qui analysait ce qu'ils affichaient : une immense salle lumineuse, une grande table rectangulaire, et plusieurs hommes et femmes assis autour, écoutant le seul individu debout qui leur parlait.

Cet individu...

« C'est lui ! fit le primitif en reconnaissant Chikara.

— Cet enfoiré fait comme s'il n'avait rien fait de grave, et tous ces gens semblent l'écouter et l'encourager comme s'il était leur messie.

— Un messie bien sadique et pervers, quand même ! Heureusement qu'il n'en est pas vraiment un. Le monde serait dans la merde, si les dieux l'avaient élu en tant que tel.

— Je ne crois ni en ces dieux ni en un quelconque messie, donc je m'en fous pas mal, honnêtement... »

Joshua observa son aîné avec étonnement pendant que l'autre cherchait à activer le son de la réunion qu'ils visualisaient.

« Je pensais que les habitants de Neo-Tokyo croyaient en un unique dieu.

— La majorité croit en un même dieu, effectivement. Mais il y en a d'autres qui, comme moi, ne sont pas croyants. Par contre, j'ignorais que les primit... que les gens de l'extérieur en vénéraient plusieurs. Chose qui est assez ironique quand on sait que les noms des districts de Neo-Tokyo sont basés sur d'anciennes divinités célébrées par une partie de nos ancêtres. Je suppose que c'est fait exprès pour leur rendre hommage ? »

Tout à coup, une voix d'homme s'éleva. Les deux levèrent leur tête vers les écrans :

« J'ai enfin pu activer ce putain de son ! se réjouit Kei.

— Bien sûr, la Kai-Riu est spécialisée dans la construction d'armes de plus en plus performantes, parla Chikara en souriant à ses collègues. Mais cela ne l'empêche pas de se tourner vers la conception de nouvelles technologies pouvant faciliter le train de vie de notre population.

— Mais concrètement, qu'est-ce qu'une collaboration entre la Kai-Riu et Virtuacom pourrait nous apporter de bénéfique ? demanda une femme. Le domaine de prédilection de notre firme est la communication améliorée grâce à la technologie de la réalité virtuelle augmentée. Comment combiner nos deux domaines de manière pertinente ?

— À défaut de combiner nos domaines, nous pouvons nous compléter de telle sorte à les améliorer. Virtuacom pourrait financer nos scientifiques pour leur permettre la confection de nouvelles armes plus efficaces et moins dangereuses. En échange, la Kai-Riu pourrait vous fournir en techniciens et en informaticiens spécialisés en communication et en réalité virtuelle, vous apportant ainsi une valeur ajoutée non-négligeable, lors de la conception de vos nouvelles technologies et de vos nouveaux algorithmes. »

Des murmures s'élevèrent dans l'assemblée, sous les yeux agacés de Kei et de Joshua qui n'en perdaient pas une miette.

« Confection d'armes plus efficaces et moins dangereuses... pesta l'argenté. C'est fou à quel point la Kai-Riu adore sortir cet argument pour passer pour des gens bienveillants, alors qu'ils n'hésitent pas à faire du mal autour d'eux pour s'élever ou pour satisfaire leurs plaisirs les plus malsains.

— Je suis d'accord. Voir un tel homme sourire de la sorte après tout ce que sa société a fait me rend malade... »

En prononçant cette phrase, Joshua se tourna vers Kei en pensant qu'il allait répliquer quelque chose. Mais il haussa un sourcil d'étonnement en remarquant ses poings se serrer, et ce regard noir avec lequel il fixait Chikara. Si ce dernier se trouvait devant lui, le hacker lui aurait offert une avalanche de coups de poings, c'était certain !

« Kei ? » se risqua Joshua. Mais son aîné recommença à tapoter sur le clavier tout en y connectant une clé USB qu'il avait emporté.

« Le fait que ces gens soient prêts à collaborer avec un mec pareil me met hors de moi. Il est temps qu'ils découvrent le vrai visage de ce fils de pute ! »

Animé par une effrayante détermination, il pianota les touches à une vitesse fulgurante. L'un des écrans afficha une multitude de lignes de code, pendant que les autres continuaient la diffusion de la réunion.

« Votre offre est intéressante et fort alléchante, s'éleva la voix d'un des hommes de la conférence à l'adresse de Chikara. D'autant plus qu'elle vient de la part d'un fondateur de l'entreprise grâce à qui Neo-Tokyo a connu un énorme bond en avant.

— Oui, bien sûr ! murmura Joshua avec sarcasme. Un énorme bond en avant tout en prenant soin d'écraser sauvagement ceux qu'elle juge trop faibles ou trop compromettants pour elle !

— Lors de la création de la Kai-Riu, répliqua la cible principale du duo masculin, moi et mes confrères n'avions jamais espérer gagner une telle notoriété en aussi peu d'années ! Mais je dois dire que c'est grâce à vous et à tous nos contributeurs et clients, si nous avons pu nous hisser au sommet. Telle est la raison pour laquelle nous souhaitons collaborer avec tout ce monde : car nous leur sommes redevables de nous faire confiance et d'utiliser notre technologie de pointe !

— Vous m'avez définitivement convaincu, Monsieur Chikara ! répliqua un autre homme en souriant. Je pense que mes collègues seront d'accord avec moi en acceptant votre offre. Je suis persuadé que la Kai-Riu et Virtuacom sauront travailler main dans la main dans le cadre du progrès technologique et du bien fait qu'il apporte à notre mégalopole. »

Les autres autour de la table acquiescèrent par un sourire ou un signe de tête. Joshua en fut dépité :

« Pour des personnes à la tête d'une entreprise, ils m'ont l'air bien naïfs de lui faire confiance aussi rapidement...

— Voyons voir s'ils lui feront toujours confiance après ça ! »

Kei appuya sur une touche de son clavier. Un écran holographique situé devant l'assemblée de la réunion et sur lequel défilaient des statistiques, changea tout à coup pour montrer la fameuse vidéo révélant le crime de Chikara. Alors que les gémissements plaintifs de sa victime s'élevaient, le teint du co-fondateur de la Kai-Riu blêmit tout à coup. Les hommes et femmes d'affaires en sa compagnie affichèrent des visages confus pour certains, des expressions horrifiées pour d'autres.

« Que... Qu'est-ce que c'est que ça, Monsieur Chikara ?! demanda l'une des femmes assises.

— Ce n'est pas moi ! paniqua Masato en se précipitant vers l'écran. C'est une grave diffamation ! Pourquoi une vidéo aussi ignoble nous interrompt de la sorte ?! »

Il tenta d'éteindre l'écran, mais Kei, qui s'était attendu à cette réaction, avait bloqué le système pour rendre une telle action impossible.

« Tu vas devoir couper le courant de tout Neo-Tokyo si tu ne veux pas assumer tes actes, salopard ! » murmura l'argenté.

Car là n'était pas le seul endroit où il avait décidé de diffuser cette séquence. Dans toutes les résidences ou enseignes possédant un téléviseur, et même sur les grands écrans disposés sur certains bâtiments de la ville, ces mêmes images étaient montrées. Les programmes s'étaient simultanément interrompus, pour permettre au plus grand nombre de citoyens de visualiser cet acte odieux de la part d'un homme que beaucoup admiraient.

Quelque part, Kei ne pouvait pas totalement se délecter d'un tel retournement de situation. Après tout et malgré leurs visages floutés, les deux victimes allaient mal vivre une telle diffusion, et beaucoup seraient choqués de voir une scène d'abus sexuel sans avoir rien demandé. Mais ne pouvant pas compter sur les autorités du Bushi qui étaient complices à la Kai-Riu, c'était la solution la plus efficace pour que Neo-Tokyo ouvre enfin les yeux sur les créateurs de cette firme.

 

*

 

Ryo, installée sur son fauteuil avec une tasse de thé en main, constata que Kei et Joshua avaient réussi leur coup.

Espérons que justice sera faite et que les gens se méfieront enfin de la Kai-Riu !

Elle se leva ensuite pour s'approcher de la vitre et observer l'averse qui commençait à tomber au même instant.

Shion, j'espère que tu contemples le spectacle de là où tu es. La Kai-Riu et ses Masamune n'ont pas fini de payer pour ce qu'ils t'ont fait. Crois-moi !

 

*

 

Chez Hayate, alors que lui et Natsu étaient en sous-vêtements, ils découvraient également l'œuvre de Kei et de Joshua via l'écran de leur chambre.

« Kei est vraiment redoutable quand il s'agit de vengeance ! affirma la jeune femme. J'ai hâte de voir la réaction des médias et des autres fondateurs de la Kai-Riu après ça !

— En ce qui me concerne, j'espère surtout que nos deux héros de la soirée s'en tireront sans problème. » tempéra Hayate avant de porter sa cigarette électronique entre ses lèvres.

 

*

 

Dans la chambre des serveurs, devant son résultat concluant, Kei tapota sur son clavier pendant une bonne minute avant que les écrans devant lui ne s'éteignent. Il se leva ensuite en récupérant sa clé USB.

« Cette vidéo sera diffusée pendant encore un moment, informa-t-il. Profitons du choc général pour décamper et retourner à notre hôtel !

— Bonne idée ! » acquiesça Joshua. Malheureusement, ils avaient trop tardé : des claquements de souliers se firent entendre de l'extérieur alors que des voix d'hommes s'élevaient. Plusieurs vigiles armés entrèrent en trombe dans cette portion de la tour. Seulement, ils ne virent personne. Kei et Joshua avaient déjà activé le camouflage de leurs tenues, se rendant invisibles aux yeux de ces nouveaux venus. Tout en prenant soin de faire le moins de bruit que possible et en se tenant la main pour ne pas se perdre de vue, le duo masculin refit tout le parcours dans le sens inverse. Cette fois, les lasers étaient désactivés, donc pas de risque de déclencher d'alarme.

Ils passèrent ainsi les caméras de surveillances sans se faire voir, et coururent pour monter la cage d'escalier entourée de drones. Ces dernières s'étaient réactivées entre temps, mais Kei et Joshua demeuraient invisibles à leurs yeux.

En bravant la pluie qui s'était intensifiée, et après avoir atteint la tour de leur hôtel, la capacité de camouflage s'estompa. De nouveau visibles, les deux regagnèrent enfin leur chambre temporaire avant de refermer la vitre, restée ouverte jusque-là. Une fois en sécurité, ils ôtèrent tous deux leurs cagoules et soupirèrent à l'unisson de soulagement.

« On a eu chaud sur ce coup, hein ? fit Kei en souriant à Joshua.

— Je crois... que je n'ai jamais vécu de moment aussi intense. » répliqua l'autre entre deux halètements. Malgré tout, ils étaient parvenus à accomplir leur objectif. La face sombre de Chikara Masato était enfin révélée. Est-ce que Neo-Tokyo allait réagir devant de telles atrocités ? Pour s'en assurer, l'homme à la peau brune alluma le téléviseur holographique de la pièce. Celle-ci afficha la vidéo qui circulait toujours. Mais en zappant sur d'autres chaînes, il remarqua que certains médias et journaux en parlaient déjà.

« Eh bien ! Ils n'ont pas perdu de temps ! Regarde, Josh ! »

La Une des journaux en disait long.

Deux adolescentes sexuellement agressées par Chikara Masato.

L'un des fondateurs de la Kai-Riu est un violeur pédophile ?

La Kai-Riu dans la tourmente à cause des actes ignobles de Chikara Masato.

« Je pense que ce type aura beaucoup de comptes à rendre, à présent ! affirma Joshua. J'espère juste que justice sera rendue pour les victimes.

— Je l'espère aussi, Josh. »

Les deux hommes s'échangèrent un regard. L'air d'abord grave, ils finirent par se sourire mutuellement, heureux d'avoir accompli leur mission sans se faire attraper, et soulagés de voir que les médias de Neo-Tokyo prenaient cette affaire très au sérieux. Alors que les informations défilaient, Kei invita Joshua à aller se doucher en premier.

« J'ai ramené des tsume-pan, histoire qu'on n'aille pas se coucher le ventre vide. Tu veux lequel ? Chocolat ruby ou mangue ?

— Celui que tu préfères parmi les deux ! » répondit le brun avant de s'enfermer dans la salle de bain, sous le rire discret de l'argenté qui préparait déjà les barquettes de ces aliments.

 

*

 

Le lendemain, les rayons de soleil matinaux traversaient la vitre de leur chambre d'hôtel, au moment où Joshua ouvrait doucement ses paupières. Le visage tourné vers Kei, il remarqua celui-ci assis à côté de lui, en train de tapoter l'écran projeté de son cellulaire.

« Je t'ai réveillé ? demanda l'argenté en souriant légèrement sans lâcher son gadget des yeux.

-— Non... »

Joshua resta allongé, recouvert par la couverture. Il trouvait le lit de cette chambre encore plus confortable que celle de son hôte, et s'y sentait extrêmement bien. À un point où il n'avait pas envie d'en sortir.

« Je suis en train de parcourir le net et en ce moment, on ne parle que de la vidéo qu'on a diffusé hier soir. Ils doivent sans doute en parler aux infos aussi ! »

L'argenté attrapa une télécommande à proximité et alluma le téléviseur. Peu importait la chaîne, on ne parlait que de Chikara et de ses méfaits. Certains hommes et certaines femmes d'affaires, dont quelques-uns aperçus dans la réunion de la veille, se disaient scandalisés d'une telle diffusion dans toute la mégalopole. Certains avaient des doutes quant à la véracité de la vidéo du crime. C'était le cas de Tama Daisuke et d'Isao Junpei, les deux autres fondateurs de la Kai-Riu, qui se montraient persuadés d'un complot monté de toutes pièces à l'encontre de leur collègue. Ils promettaient d'ailleurs d'entamer des procédures de recherches pour retrouver les coupables de cette dénonciation, qu'ils jugeaient calomnieuse.

Mais la majorité des médias et des personnes à la tête de firmes affluentes s'accordaient à dire que de tels agissements de la part de Chikara étaient inacceptables. Sa cote de popularité chutait drastiquement au fil des heures.

« Bien fait pour sa gueule ! commenta Kei en découvrant toutes ces annonces. Après ce qu'il a fait à ces deux pauvres filles sur la vidéo et probablement à d'autres, il mérite ce qui lui arrive. Les réactions de Daisuke et de Junpei ne m'étonnent même pas. Ils sont aussi pourris que lui.

— Pour avoir créé une entreprise comme la Kai-Riu, employé un gang entier et corrompu ceux qui sont censés maintenir l'ordre dans votre ville, je confirme que les trois fondateurs sont aussi crapuleux les uns que les autres. »

Joshua se redressa en collant son dos à la tête du lit et fixa l'écran. Un silence régnait entre les deux hommes. Mais le plus jeune lançait de temps en temps un regard hésitant à l'autre.

« Je peux te poser une question ? se lança-t-il. Tu as le droit de ne pas me répondre si tu ne veux pas, mais...

— Je t'écoute ! répliqua son interlocuteur en le regardant avec un petit sourire. Qu'est-ce que tu veux savoir ? »

La question de Joshua se révélait d'ordre assez personnel. Il appréhendait la réaction de Kei, mais restait tout de même curieux en reconsidérant un détail qu'il avait remarqué :

« Ta réaction de maintenant, et ton envie de faire tomber à tout prix ce Chikara après ce qu'Hayate nous a montré, démontrent que cette affaire te tient vraiment à cœur. Je comprends que ce mec est un salaud fini mais... »

Son hésitation reprit le dessus et le jeune homme bloqua en détournant le regard. Son aîné aurait préféré qu'il arrête de tourner autour du pot et qu'il pose franchement son interrogation. Mais il comprenait pourquoi Joshua tergiversait : il était sur le point d'aborder un sujet délicat. Et Kei le voyait venir de loin. Alors que son sourire s'estompait, il dévia à son tour les yeux de son compagnon.

« Depuis longtemps, j'ai développé une haine viscérale contre les violeurs, confia-t-il en croisant nerveusement les bras. Ma mère... s'est faite agressée par deux membres d'un gang dont je n'ai jamais connu le nom. »

Joshua écarquilla les yeux de terreur avant de lentement tourner la tête en sa direction. Il s'était attendu à une histoire de viol ayant touché Kei ou une connaissance à lui. Mais il ne pensait pas que sa génitrice avait été victime de cet acte ignoble. Et il y avait plus grave encore...

« Je... suis né suite à ça. Ma mère, après avoir appris sa grossesse, a préféré me garder plutôt que d'avorter. Ce qui fait que je suis là aujourd'hui. »

Son cadet en fut estomaqué. Kei était le fils d'un violeur qu'il ne connaissait même pas et avait grandi sans véritable père aimant et modèle. S'il avait su, il n'aurait pas posé à l'argenté une pareille question. Ne sachant comment réagir devant cette révélation, Joshua se mordit la lèvre inférieure en regardant dans le vide.

« Je suis au-dessus de ça, maintenant, reprit le plus âgé en le regardant. Ça me fait chier de me dire que je suis le fruit d'un crime odieux commis sur une personne pourtant merveilleuse. D'ailleurs, à la base, mes cheveux naturels étaient noirs, comme ceux de mon père. Je les ai aussitôt teintés en blond pour ressembler à ma mère, lorsqu'elle m'a raconté la vérité à ce sujet. Après tout, c'est grâce à elle si j'ai pu surmonter cette origine pas très flatteuse, ainsi que l'absence d'un père digne de ce nom.

— Tu devais adorer ta mère, vu comment tu m'en parles...

— Comme tu devais adorer la tienne, je suppose. »

Le concerné esquissa un léger sourire en s'entêtant à regarder un point aléatoire de la pièce.

« Effectivement, j'aimais beaucoup ma mère, ainsi que mon père et mes sœurs.

— Je t'envie d'avoir connu les joies d'une famille complète et sans histoires.

— Kei, je...

— Je ne dis pas ça pour inspirer de la pitié. Je le pense sincèrement. Et je regrette que la Kai-Riu soit venue ruiner cette vie paisible que tu avais. »

Les deux hommes se regardèrent longuement alors qu'un nouveau silence s'installait, si on oubliait le bruit de fond du téléviseur holographique. Une rapide réflexion plus tard, le plus jeune posa une main amicale sur l'épaule de son aîné avec un léger sourire.

« Ce n'est pas de la pitié que tu m'inspires, mais de la compassion. En repensant à mon récent vécu, je ne peux que compatir et regretter ce qui est arrivé à ta mère. Après, je suis plutôt content qu'elle ait choisi de te garder et de t'élever. Je ne t'aurais pas rencontré, sinon. Et je ne sais pas trop comment je me serais débrouillé dans cette ville sans ton... aide ? »

Il avait vu le visage de Kei s'illuminer pendant qu'il enchaînait ses répliques. Et pour une raison inconnue, il se sentit un peu embarrassé. Il ôta la main de l'épaule de son compagnon et jeta tout à coup son attention sur l'écran projeté.

« Ce que je veux dire, c'est que je peux comprendre ce que tu ressens. Et je comprends mieux pourquoi tu tenais tant à dénoncer les sales actions de Chikara. Mais je suis rassuré de t'avoir comme ami... ou comme frère vu que je porte actuellement ton nom ! Peu importe que tu sois le fils d'une grosse enflure.

— Est-ce que j'ai encore besoin de sommeil ou t'es en train de rougir, là ? le taquina l'argenté, à la fois surpris et touché par ses paroles.

— Dors ! » fit Joshua en lui lançant son oreiller dans la figure, provoquant un petit rire de la part de son interlocuteur. Le plus jeune, probablement aussi rouge qu'une cerise, avait carrément tourné le dos à l'autre. Celui-ci, en guise de gratitude, lui mit une petite tape à l'épaule :

« Merci Josh. Je t'avoue que discuter avec toi me fait beaucoup de bien.

— Après tout ce que tu as fait pour moi, je pense que tu n'as pas besoin de me remercier pour ça. »

L'ambiance apaisée et les confessions faites, Joshua changea de sujet. Il proposa à Kei de passer un coup de fil à Ryo, à Natsu ou à Hayate pour raconter leur exploit et avoir leurs avis sur l'évolution de la situation. Mais le hacker préféra leur en parler de vive voix. Il était, selon lui, trop risqué de parler de cette affaire en utilisant la ligne téléphonique. Les appels étant enregistrés, si les autres co-fondateurs de la Kai-Riu demandaient au Bushi d'enquêter, ils pouvaient remonter jusqu'à eux et les faire arrêter en trouvant de multiples excuses.

« Mieux vaut faire profil bas pour le moment. Et peut-être même ne plus du tout parler de ça pendant longtemps. D'ailleurs, avant toute chose, je préfère qu'on rentre à la maison. Je ne veux pas m'éterniser dans cet hôtel. Ni même dans ce déplaisant quartier des plaisirs ! »

Joshua ne put s'empêcher de pouffer devant cette dernière phrase qu'il estimait bien trouvée. Mais il se montra compréhensif et commença à préparer ses affaires avant leur départ.

Chapter 9: Jeu en réalité augmentée

Chapter Text

Le trajet dans le sens inverse pour Amaterasu se fit plus rapide que la veille, grâce au faible flux de voyageurs en cette matinée. Les deux hommes arrivèrent à l'appartement une bonne heure plus tard. En y entrant, ils furent surpris par la présence inattendue de Ryo. Assise sur le canapé avec Neeko sur ses genoux, elle regardait les informations télévisées.

« Eh bien ! s'écria Kei en souriant. Ça m'arrange que tu sois là ! Je n'ai pas besoin de t'appeler pour te demander de venir ! »

La rousse le salua pendant que l'Ai-pet bondit de ses cuisses pour se précipiter vers Kei et Joshua avec un smiley heureux à son écran.

« Votre mission a été un franc succès ! Bravo à vous ! Ça fait un criminel de moins dans cette ville !

— T'emballes pas, ma belle ! tempéra Ryo en réprimant un petit rire. Kei et Joshua ont réussi à en dénoncer un, mais il y en a encore plein qui se terrent dans les douze districts.

— Elle a raison, acquiesça Kei en soulevant Neeko pour la poser sur son épaule. On a remporté une victoire, mais la guerre est loin d'être gagnée. Surtout avec Tama et Isao qui sont prêts à défendre Chikara malgré tout.

— C'était à prévoir ! confia la femme à la jambe bionique. Après, on ne peut pas nier que vous avez fait du bon boulot, tous les deux. Maintenant que la vérité sur Chikara a éclaté au grand jour, beaucoup commencent à douter des personnes à la tête de la Kai-Riu. Certaines sociétés qui s'étaient affiliées à elle ont même fait le choix de leur tourner le dos, estimant qu'elles n'avaient, je cite : rien à faire avec un pédocriminel. »

Cette nouvelle soulagea tout le monde, mais chacun préféra modérer sa joie. Non seulement l'escapade du duo masculin était loin de suffire pour faire tomber une société comme la Kai-Riu, mais en plus, ils n'étaient pas à l'abri de suspicions à leurs égards. Ils pouvaient être condamnés pour diffamation et dénonciation calomnieuse, si la fameuse enquête de Tama Daisuke et d'Isao Junpei menait le Bushi jusqu'à eux.

« Jusqu'à ce que les choses se tassent, on ferait mieux de ne plus parler de cette affaire, conseilla Ryo en se levant du fauteuil. En fonction de l'évolution des choses, on verra ce qu'on fera. Mais pour le moment...

— Motus et bouche cousue ! » compléta Kei, complètement d'accord avec cette idée, tout comme Joshua et Neeko qui n'y voyaient aucun inconvénient. Ryo écourta son séjour et s'apprêta à partir. Mais avant, elle souhaitait inviter ce petit monde à une partie d'Element's Clash, le jour suivant.

« Hayate a réussi à nous avoir une partie à moitié prix pour cinq joueurs, confia la rousse en souriant. On compte en profiter avec lui et Natsu. Ça vous dit ?

— Element's Clash ? répéta Joshua en penchant sa tête sur le côté. C'est quoi ?

— Un jeu virtuel, un peu à la manière du simulateur de combat, mais avec des règles et un fonctionnement bien à lui, répondit Kei. Tu verras demain !

— Je suppose donc que vous acceptez, conclut Ryo en souriant. C'est Natsu qui va être contente ! D'ailleurs, je vais appeler Hayate pour le prévenir que vous venez. »

Aussitôt, elle sortit son cellulaire, similaire à celui de Kei, et composa un numéro avant de mettre l'appel sur haut-parleurs. Son interlocuteur décrocha. Mais sa voix sonnait... rauque.

« Ryo...

Ah... Ah ! ~ » gémit la voix de Natsu, à la grande stupéfaction de tout le monde. Tandis que Neeko affichait un point d'interrogation et que les yeux de Kei et de Joshua s'écarquillèrent, Ryo prit un air blasé.

« Non mais sérieux ? grogna-t-elle à voix basse.

— Hum ! ~ , fit Hayate alors que les gémissements de Natsu s'intensifiaient. Qu'est-ce que tu veux... Ngh ! ~ Ryo ?

-— Juste pour te dire que Kei et Joshua seront présents demain pour la partie d'Element's Clash.

— Han ! ~ Hayate... T'arrêtes pas... ~ »

Le couple continuait sans gêne ses ébats, oubliant rapidement la personne à l'autre bout du fil. Joshua rougit violemment, le regard détourné, pendant que Kei se pinça les lèvres pour retenir un puissant fou rire, tant il trouvait cette situation cocasse et absurde.

« Amusez-vous bien, je suppose ? » leur souhaita Ryo en raccrochant sans même attendre de réponse de la part d'Hayate.

« On dirait que t'as appelé au mauvais moment ! commenta Kei en se faisant violence pour ne pas s'esclaffer.

— Pourquoi il décroche pendant qu'il baise, celui-là ? soupira la rousse en se pinçant l'arête du nez. Bref ! Rendez-vous demain, vous deux ! Et amenez Neeko avec vous. Je pense que ça lui fera du bien de sortir un peu. »

L'argenté accepta, à la joie du robot félin qui avait hâte d'y être.

 

*

 

Le lendemain suivit cette journée marquée par un grand repos mérité des deux hommes. Leur partie d'Element's Clash était prévue en fin d'après-midi. Ainsi, Kei, Joshua et Neeko avaient plusieurs heures pour se préparer. Le hacker en profita pour expliquer les règles à son hébergé. Ce jeu en réalité virtuel se faisait entre cinq et sept joueurs. Ses mécaniques paraissaient complexes au premier abord, mais le principe était simple.

« Chaque joueur choisit un élément différent entre le feu, l'eau, la terre, le vent, la foudre, la glace et l'ombre. Il choisit également une créature mythique entre le dragon, le phénix, le cerbère, le pégase, l'hydre, la succube et le kitsune. En fonction de la combinaison choisie, ça donne au joueur des capacités et des pouvoirs différents. Il n'y a pas de combinaison plus forte que d'autre. Tout dépend du talent du joueur. Le but est d'éliminer tous ses adversaires en leur infligeant plus ou moins de dommages. Comme une sorte de Battle Royale, mais avec des pouvoirs magiques.

— Okaay... ? fit Joshua, complètement largué par ces explications.

— Je crois qu'il n'a pas tout compris, Kei ! constata Neeko en affichant une émoticône souriant avec gêne.

— Il comprendra sur le terrain ! D'ailleurs, vu que tu viens aussi Neeko, tu pourras l'aider et le guider, si tu veux. L'aide des Ai-pet pour les joueurs est autorisée dans ce jeu.

— Je veux bien ! » affirma joyeusement le robot félin, pendant que le brun essayait déjà de s'imaginer le déroulement d'une partie de ce fameux Element's Clash.

 

*

 

L'heure du rendez-vous arriva rapidement. Kei avait revêtu une chemise vert kaki à manche longues, suffisamment ouverte en haut pour laisser entrevoir son torse, ainsi qu'un jean bleu. Joshua portait une chemise azur à carreaux et à manches plus courtes avec un pantalon en cuir noir. Tous deux, accompagnés de Neeko, quittèrent l'appartement pour monter dans le véhicule du plus âgé. Celui-ci ne cacha pas son dépit perpétuel vis-à-vis de la décoration de son vaisseau, mais finit par se faire une raison. Ainsi, il se rendit en direction du disctrict Izanami, situé juste après celui d'Izanagi en partant d'Amaterasu.

Après avoir garé sa voiture volante dans un parking, le trio retrouva rapidement Ryo, Natsu et Hayate qui les attendait déjà près de la devanture de leur destination : Element's Clash. Tel était le nom inscrit sur l'enseigne lumineuse.

« Salut les beaux gosses ! » les accueillit Natsu en s'approchant pour leur faire un high five chacun avant de caresser Neeko qui affichait plein de cœurs sur son écran. Joshua s'attarda sur la tenue de la jeune femme : un simple haut de bikini fleuri et un mini-short en jean noir, le tout surmonté par un gilet blanc transparent. Une tenue vraiment sexy sans pour autant paraître vulgaire.

« Tu reluques ma copine, gamin ? » lui demanda Hayate avec une cigarette électronique aux lèvres. Le blond portait un polo rouge bordeaux sur laquelle était dessinée une tête de loup noire, avec un pantalon blanc.

« Non non, pas du tout ! répondit Joshua avec gêne. Je... Je ne la reluquais pas ! Ce n'est pas ce que je voulais faire...

— Je te taquine, petit ! Pas la peine de te mettre dans tous tes états ! Et puis je ne t'en veux pas. Qui ne reluquerait pas Natsu ? Elle est tellement canon !

— Plus que moi ? questionna Kei en croisant les bras avec un petit rictus farceur.

— Ah, parce que t'es canon, toi ?

— Je dois probablement être l'homme le plus canon de Neo-Tokyo, mec !

— Ça va les chevilles, Kei ? » intervint Ryo en lui tirant gentiment l'oreille, sous l'air assez abasourdi de Joshua. Ce dernier s'attarda sur la rousse qui était vêtue d'une courte robe noire évasée et à dos nu. Sa jambe robotique était fièrement exposée.

« Mes chevilles vont très bien ! Joshua, dis-leur que je suis le plus canon de cette ville !

— Euh... »

Le plus jeune le regarda de haut en bas sans rien dire. Devant une telle réaction, son aîné lui adressa un air las.

« Eh bah, vive la solidarité...

— Tu n'es pas désagréable à regarder, mais de là à t'autoproclamer comme l'homme le plus canon de cette ville... Et puis bon, ce n'est pas toi que les deux voyous qu'on a croisé à Tsukuyomi l'autre soir ont tenté de draguer. Donc... »

Il afficha un sourire taquin à l'adresse de Kei, qui conservait son expression blasée.

« Joshua : 1, Kei : 0 ! fit Neeko avec un smiley mort de rire.

— En même temps, c'est vrai que Joshua est beau garçon, pour quelqu'un originaire de l'extérieur de la ville ! affirma Natsu en s'accrochant à l'un de ses bras. S'il était un tout petit peu plus âgé...

— Bon, et si on allait la faire, notre partie ? coupa Ryo, dont le sourire cachait une certaine exaspération devant la tournure de la conversation. Histoire que je vous botte les fesses bien comme il faut !

— Ne prends pas trop la confiance, l'avertit Hayate avec un sourire empli de défi. Je suis assez balèze à ce jeu. Kei et Natsu le sont tout autant !

— Du coup, je serai complètement à la ramasse, moi... » murmura Joshua. Neeko monta aussitôt sur l'une de ses épaules pour le rassurer.

« Ne t'inquiète pas, je jouerai avec toi pour t'aider ! Ensemble, on peut gagner ! Ou au moins sauver l'honneur en tenant le plus longtemps que possible ?

— On essayera d'y aller en douceur avec toi, Josh ! » assura Kei en ébouriffant ses mèches brunes, ce qui fit légèrement sourire le concerné.

 

*

 

Après être entré dans l'établissement, le groupe fut conduit dans une salle obscure rappelant celle d'un cinéma. Mais elle était plus petite et ne contenait que sept sièges allongés, disposés de façon circulaire autour d'une grande console. Une voix synthétique masculine invita chacun à s'installer sur un siège. Aussitôt fait, un casque à visière s'abaissa automatiquement sur leurs têtes, recouvrant entièrement leurs visages. Neeko s'était installée sur une extension du siège de Joshua, et se connecta au casque de celui-ci.

Tout était obscur et vide autour du primitif. Seule une fenêtre d'écran s'afficha devant lui, demandant de sélectionner l'élément et la créature légendaire de son choix.

« Est-ce que tu m'entends, Joshua ? résonna la voix de Neeko dans sa tête.

— Euh... Ouais ? Mais où es-tu ?

— Connectée à ton casque de réalité virtuelle augmentée. Je ne suis physiquement pas là, mais je vois à travers tes yeux et je peux te parler sans que les autres ne m'entendent. Je vais t'aider durant cette partie, vu que c'est la première fois que tu y joues. »

Reconnaissant et rassuré de se savoir épaulé par l'Ai-pet, le jeune homme hocha la tête en promettant d'écouter attentivement ses recommandations.

« Étant donné que tu es le plus jeune du groupe, c'est à toi de choisir ta combinaison en premier. De ce côté-là, je ne peux pas te conseiller. À toi de choisir celle que tu préfères ou qui te correspond le mieux. Sache juste que ton choix générera une tenue et des compétences spécifiques qui te seront attribués pour le jeu. »

Joshua parcourut les nombreuses possibilités s'offrant à lui, et vit un aperçu de l'armure générée en fonction des critères sélectionnés. Après une minute de réflexion, il opta pour l'eau et le phénix. Une fois son choix validé, il observa ses vêtements se changer en une armure métallique bleu et blanc, légère mais comportant des épaulières et un plastron, le tout décoré par une cape tombant derrière son dos et rappelant la queue d'un phénix. Il portait également un diadème argenté orné d'ailes plumées bleues sur les côtés.

« Ça te va bien ! complimenta Neeko. Par contre, ce n'est pas une combinaison souvent choisie par les joueurs d'Element's Clash. Pourquoi ce choix ?

— En hommage à une ancienne histoire que j'affectionne et qu'on m'a souvent racontée quand j'étais plus jeune. Celle d'un phénix bleu réincarné sous les traits d'une jeune princesse, et qui se manifeste pour sauver son royaume de la destruction.

— Oh je vois ! Je ne connaissais pas, mais ça m'a l'air intéressant ! Je ferai des recherches là-dessus lorsqu'on rentrera. »

Content de voir l'intérêt du robot félin pour ce conte, Joshua esquissa un sourire. Mais il s'estompa rapidement lorsque le décor autour de lui pris la forme de grandes galeries souterraines, avec quelques cascades et bassins de lave par-ci par-là.

« Le dernier joueur à choisir sa combinaison, à savoir Ryo, est également celui qui sélectionne l'environnement de jeu, expliqua Neeko. Dans cette arène-là, la meilleure stratégie est de rester discret jusqu'à trouver un adversaire à frapper. Par contre, fais attention à ne pas toucher la lave. Sinon tu es directement éliminé. »

Joshua comprit qu'il devait avancer prudemment à travers ce lieu infernal tout en restant sur ses gardes. Il ressentait une certaine chaleur à cause de toutes ces roches en fusion, mais elle n'était pas pour autant insupportable, loin de là. Il se sentait étrangement à l'aise dans une telle tenue, et découvrit qu'il pouvait invoquer des sorts d'eau de plusieurs manières. Aussi, des ailes translucides bleues pouvaient apparaître derrière son dos et lui donner la possibilité de planer, ou de prendre son envol pendant plusieurs secondes.

« Attention à ne pas abuser de la magie, le prévint Neeko. Après avoir balancé un certain nombre de sortilèges, tu devras attendre trente secondes avant de pouvoir en utiliser à nouveau. »

Le brun ne s'attendait pas à ce que ce jeu virtuel soit aussi cadré avec pas mal de règles précises. Mais soit ! Cela lui plaisait de plus en plus.

Ainsi, il progressa dans l'un des couloirs rocheux en guettant les alentours, prêt à balancer un sort aqueux s'il apercevait du mouvement. Malheureusement, il ne put esquiver la stalactite de glace qui lui tomba dessus depuis le plafond, le touchant à l'épaule.

Merde !

Il leva vivement la tête et remarqua Hayate, la tête en bas, retenu par ses pieds gelés qui s'agrippaient à la paroi. Sauf qu'il n'était pas seul. Il y avait deux clones un peu plus loin. En examinant son armure d'un blanc immaculé, Joshua remarqua les deux têtes de chiens enragés qui lui faisaient office d'épaulières, ainsi que le masque canin qui recouvrait à moitié son visage.

« On dirait qu'il a choisi la glace et le cerbère... commenta Neeko.

— Qu'est-ce que je fais ? demanda le brun alors qu'un autre sort de glace lui fonçait dessus.

— Tu peux contre-attaquer ou fuir ! »

Dans un premier temps, il esquiva la nouvelle attaque du blond, puis le visa de ses mains pour tirer une rafale de jets d'eau en direction d'un des Hayate. Mais celui-ci disparut à l'impact sous un éclatement de verre.

« Loupé ! » nargua le véritable ingénieur tandis qu'il lui tomba dessus avec son autre clone pour l'avoir au corps-à-corps. Joshua opta pour la fuite en activant ses ailes. Il ne se sentait pas encore prêt pour entamer un combat de cette envergure, d'autant plus qu'Hayate semblait talentueux et qu'il ne comptait pas ménager le plus jeune.

Après avoir filé sur une longue distance, les ailes de phénix disparurent. Joshua se cacha derrière un rocher proche en attendant qu'il puisse de nouveau utiliser la magie.

« Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi... spectaculaire et effrayant... confia-t-il en inspirant un bon coup. Je ne sais pas ce qui est le plus flippant entre le fait que quelqu'un puisse surgir à tout moment, et les batailles de sorts en elles-mêmes.

— C'est normal lorsqu'on y joue pour la première fois, assura Neeko. On s'y habitue rapidement, après. Mais ne te laisse pas impressionner. C'est la meilleure façon de perdre rapidement. Ce serait dommage d'être le premier joueur éliminé, non ? »

L'Ai-pet avait raison. Joshua n'avait pas envie d'être hors course aussi rapidement et facilement, même s'il débutait dans ce genre de loisir. Il voulait au moins confronter les autres membres du groupe.

Je me demande à quoi ressemble Kei...

Doucement, il sortit de sa cachette, jugeant avoir suffisamment attendu pour utiliser à nouveaux ses pouvoirs. Il ne souhaitait pas s'éterniser au cas où Hayate se déciderait à le suivre. Il courut donc dans le sens opposé. Au diable la discrétion ! Si c'était pour se faire débusquer à chaque fois, autant foncer et improviser !

Ses capacités furent mises à l'épreuve quelques instants plus tard, lorsqu'il aperçut Natsu foncer à vive allure en sa direction. Au grand étonnement du chasseur, la jeune femme, dotée d'oreilles de renard et d'une armure orangée possédant neuf épaisses queues velues à l'arrière, courut à la manière d'un animal à quatre pattes.

« Qu'est-ce que... ?!

— Elle a choisi le kitsune, ce qui lui confère une grande rapidité ! » informa Neeko. Cette fois, Joshua choisit la confrontation. Il balança plusieurs sorts d'eau vers la jeune femme. Mais celle-ci parvint à esquiver avec facilité tandis que son corps s'entourait de flammes. Elle bondit ensuite en amorçant un coup de pied en direction du brun. Ce dernier utilisa ses bras pour parer. Mais le feu entourant Natsu lui infligea quelques dommages.

« Attention, on t'a déjà enlevé presque la moitié de ta barre de vie ! » avertit Neeko alors que Joshua grimaça en s'écartant. Natsu se tenait à quelques mètres en lui offrant un clin d'œil.

« Désolé, mon grand ! Rien de personnel, mais je suis généralement très à fond lorsqu'il s'agit de ce jeu !

— Je vois ça ! Je pense qu'il me faudra du temps et de l'entraînement pour arriver à ton niveau ou à celui d'Hayate.

— Oh ? Tu as croisé Hayate ? »

Mais tout à coup, une voix synthétique masculine s'éleva :

« Joueur Hayate, éliminé ! »

Quoi ?

Telle était la question survenant à l'esprit du benjamin du groupe. Cela ne faisait même pas dix minutes qu'il avait croisé, puis fui le blond. Et celui-ci était déjà éliminé ?

« Oh nooon... se lamenta Natsu devant cette annonce. J'ai même pas eu le temps de le voir dans sa sublime armure ! »

Joshua profita de son moment d'inattention pour lui balancer un jet d'eau à la figure. La jeune femme fut touchée de plein fouet, mais contre-attaqua au corps-à-corps alors que ses poings étaient enflammés. Le plus jeune usa de ses réflexes pour les éviter. Mais il finit par se faire toucher au niveau des côtes par un coup de pied. Afin de ne pas à nouveau se faire frapper, il déploya ses ailes et s'envola loin d'elle. Natsu tenta de le bombarder à coups de boules de feu, mais son sortilège ne fonctionna pas : ayant utilisé toute sa magie disponible, elle devait patienter trente secondes.

« Fuis loin ! Fuis loin ! Fuis loin ! Fuis loin ! » répéta Joshua pour lui-même en volant aussi vite qu'il le pouvait, à la recherche d'une nouvelle cachette.

« Où vas-tu comme ça, jeune homme ? » demanda la voix de Ryo. Le chasseur vit une silhouette ailée rousse foncer vers lui, vêtue d’une courte nuisette noire, des collants résilles assortis et des chaussures à talons aiguilles. Deux cornes de démon trônaient sur le devant de sa tête et ses ailes, rappelant celles d'une chauve-souris, étaient déployées. En les battant, elle généra un puissant vent qui emporta Joshua. Le jeune homme fut forcé de regagner maladroitement le sol. Un tel sort ne lui avait pas infligé de dégâts, mais il se retrouvait déstabilisé et désorienté.

« Sympa, l'armure générée par ta combinaison ! complimenta sa nouvelle adversaire en se posant face à lui. Singulière, mais sympa ! Après, j'ignore si l'eau et le phénix sont les éléments qui te correspondent le mieux.

— Ryo est superbe comme ça ! s'extasia Neeko dans l'esprit de son coéquipier. Go Ryo ! Go !

— T'es dans quel camp, IA de mes deux ? » grogna Joshua en se relevant avec difficulté. Mais son aînée préparait déjà une nouvelle attaque venteuse.

« Ce qui est bien avec l'élément du vent, c'est qu'il est excellent pour affaiblir grandement son adversaire sans faire trop d'efforts, avant de porter un bon coup qui one-shot ! C'est comme ça que j'ai eu Hayate. Et c'est comme ça que je vais t'avoir si tu ne trouves pas un moyen de m'arrêter ou de m'échapper ! »

Joshua l'attaqua aussitôt à coups de jets d'eau pour lui faire interrompre son sort. Malheureusement, Ryo utilisa celui-ci pour absorber toute l'eau, avant de la rassembler en une boule tourbillonnante et de la renvoyer vers son propriétaire. Le brun se précipita vers le côté pour esquiver, mais soudain, la sphère d’eau s'électrifia. Quelqu’un fusa jusqu'à elle pour la frapper d'un gros coup de poing, et la renvoyer droit sur la rousse. Cette dernière, prise par surprise, subit à la fois la puissance du sort aqueux accumulé et le choc électrique qu'il contenait. Elle se retrouva à genoux, complètement sonnée, tandis que Joshua découvrait l'identité de celui à l'origine de ce retournement de situation.

Vêtu d'une combinaison dorée à écailles de dragon, assez moulante, et doté d'une paire de longues griffes attachées à ses mains et de deux longues cornes sur sa tête, Kei adressa un sourire complice à son cadet :

« Pas de soucis à avoir, Josh ! Ton sauveur est là ! »

L’autre cligna des yeux, à la fois admiratif devant une telle armure qu'il jugeait classe et stupéfait par le répondant de l'argenté. Celui-ci empoigna d’ailleurs le brun et alla rapidement se cacher derrière un rocher proche, juste avant que Ryo ne retrouve totalement ses esprits. La patronne du Cyber Ladies observa autour d'elle : personne. À part Natsu au loin qui fonçait en sa direction.

« Sexy Ryo ! ~ » fit-elle, son armure de kitsune entourée de flammes. La concernée afficha un rictus de défi en se relevant.

« S'il y avait bien une personne sur laquelle je ne voulais pas tomber... » murmura-t-elle avant d'amorcer tout de même un sortilège de vent vers sa consœur. Un duel titanesque débuta entre les deux femmes. Pendant ce temps, derrière leur abri de pierre, Kei fit signe à Joshua de ne pas faire le moindre bruit.

« L'une des deux finira par être éliminée, avec un peu de chance. À deux, on pourra se faire l'autre sans problème. Sachant qu'Hayate est déjà hors-jeu, il ne restera que nous deux. Et on pourra s'affronter, un peu comme avec notre simulation de combat de l'autre fois.

— Tant que je n'ai pas à affronter Natsu ou Ryo seul, ça me va ! Mais on a le droit de comploter comme ça entre joueurs ?

— Aucune règle ne l'interdit ! »

Après ce bref échange, le duo observa furtivement l'affrontement déjanté entre Ryo et Natsu. Toutes deux déchaînaient leurs pouvoirs, tout en s'échangeant des coups physiques de temps en temps.

Joshua se montra abasourdi face au talent de ces femmes au combat. Elles étaient aussi douées de Kei de ce côté-là, voire plus pour la rousse qui semblait plus expérimentée dans ce domaine. Lorsqu'il s'agissait d'utiliser la magie par contre, Natsu semblait avoir l'avantage. En somme, c'était un duel serré !

« Je comprends pourquoi Hayate a été évincé aussi vite, s'il a croisé Ryo, confia Joshua en se réfugiant à nouveau derrière le rocher en même temps que l'argenté.

— Hayate se débrouille bien à ce jeu, également. Ryo a dû le prendre par surprise avec une attaque puissante. Elle et Natsu sont exceptionnellement fortes dans Element's Clash. Lors de nos parties, c'est souvent l'une d'elles qui gagne.

— À t'entendre, tu ne dois pas gagner beaucoup de parties contre elles !

— Joueuse Ryo, éliminée ! » résonna tout à coup la voix synthétique, faisant presque sursauter les deux hommes. Natsu était parvenue à l'avoir. Mais elle était désormais seule face à eux. Après s'être échangés un hochement de tête, Kei et Joshua sortirent simultanément de leur cachette pour confronter leur adversaire commune. Mais contre toute attente, la zone était déserte.

« Que... ? fit Joshua en haussant les sourcils.

— Elle a dû partir aussitôt après avoir vaincu Ryo.

— Aussi vite ?

— Derrière toi, Joshua ! » s'écria Neeko dans son esprit. En se retournant brusquement, le jeune homme vit une grosse boule de feu foncer sur lui et sur Kei. Par réflexe, il esquiva de justesse en sautant sur le côté. Mais l'argenté n'avait pas réagi à temps : il fut percuté de plein fouet et propulsé sur plusieurs mètres, jusqu'à atterrir dans un bassin de lave. Le physique du hacker se digitalisa avant de disparaître.

« Joueur Kei, éliminé ! »

Joshua jura dans sa barbe, frustré de ne pas avoir pu le prévenir, ni eu le réflexe de le faire éviter le sortilège.

« Les joueurs ne sont pas censés faire équipe, dans Element's Clash ! » rétorqua Natsu, réfugiée sur une stalactite rocheuse pendue au plafond. Cette fois, Joshua ne perdit pas de temps : il l'assaillit de plusieurs sorts d'eau. Son opposante parvint à les esquiver en zigzaguant tout en se rapprochant de lui pour le frapper directement.

« Elle a probablement utilisé toute sa magie en stock et doit attendre de pouvoir l'utiliser à nouveau, informa Neeko. Profites-en pour lui balancer une superbe attaque ! Soit imaginatif ! »

Le conseil ne se fit pas entendre deux fois. Alors que la jeune fille usait de ses poings, de ses pieds et même de ses queues, le brun les évita tant bien que mal en restant attentif à ses mouvements. Un moment arriva où il arrêta le coup de poing de son aînée en l'attrapant par le poignet. Il déploya ensuite ses ailes pour prendre son envol sans la lâcher. Puis il tourbillonna sur lui-même dans les airs avant de la jeter en direction d'une paroi, tout en la bombardant d'un puissant jet d'eau. Ce dernier toucha Natsu et l'envoya avec force vers le mur.

« Bien joué, Joshua ! » le félicita Neeko. Seulement, la réjouissance fut de courte durée. La fille à l'armure kitsune parvint à se réceptionner contre la paroi grâce à ses pouvoirs qui s'étaient réactivés.

« À une seconde près, tu aurais gagné ! » affirma-t-elle en se servant de sa magie infernale pour se propulser à vive allure vers son opposant. Elle fut si rapide que l'homme déguisé en phénix n'eut pas le temps d'éviter ou de bloquer l'attaque. Il se prit un coup de boule en pleine tête. La simulation virtuelle diminuait grandement la sensation de douleur, mais la frappe fut si forte qu'il se retrouva projeté vers une cascade de lave, sans possibilité de ralentir sa chute avec ses ailes.

« Bon bah, tu as perdu. » fit Neeko avant que Joshua ne plonge dans la cataracte flamboyante.

« Joueur Joshua, éliminé ! Vainqueur : Joueuse Natsu ! La partie est terminée ! Félicitations à tous les participants. »

Le simulateur s'éteignit doucement, ramenant tout le groupe à la réalité. Les casques se désactivèrent et chacun put se relever de son siège.

« Yeah ! s'exclama joyeusement Natsu avant de se mettre à rapper. J'ai gagné, j'vous ai mis la raclée ! C'est acté, vous m'payez le dîner ! J'ai trop géré dans mon jeu préféré ! Par contre Hayate, pourquoi tu t'es fait éclater ?

— Demande à Ryo, répondit le concerné en croisant les bras. J'aurais pu être encore dans la course si elle n'avait pas fait son coup sournois.

— Tous les coups sont permis, mon chou ! affirma Ryo en haussant les épaules. En tout cas, félicitations, Natsu ! C'est toi la grande gagnante aujourd'hui. Mais il faut admettre que tu n'es pas la seule à avoir réalisé une prouesse ! »

Le regard des trois se tourna vers Kei et Joshua, mais prit un air inquiet en voyant le premier se précipiter vers le second pour l'empêcher de tomber. Le benjamin de la bande chancelait, victime d'un tournis.

« Ça va aller, petit ? demanda Hayate en s'approchant de lui.

— Je crois qu'il n'est pas habitué à un jeu de ce genre, supposa Kei. Ce qui me surprend, vu qu'il a plutôt bien supporté notre simulation de combat de l'autre jour. »

Mais Joshua émit un petit rire amusé, à l'étonnement de tous.

« Joshua ? l'appela Neeko qui s'était déconnectée pour bondir sur l'épaule de Ryo.

— C'était cool... se réjouit le concerné en levant la tête vers eux, soutenu par Kei. Ça m'a complètement retourné... mais c'était vraiment cool ! »

En voyant un primitif comme lui prendre du plaisir à ce genre d'activité qui ne faisait pourtant pas partie de ses habitudes, les autres ne purent s'empêcher de sourire. Tous furent satisfaits d'avoir pu lui offrir ce moment de joie après tout ce qu'il avait vécu. Kei, en particulier, se montra heureux pour lui.

« On aura d'autres occasions d'y rejouer, si tu veux, lui dit-il en souriant. Et pour une première, tu t'es débrouillé comme un chef !

— J'avoue, enrichit Natsu en donnant une petite tape à l'autre épaule de Joshua. Si mon énergie magique n'était pas revenue à temps, il aurait pu gagner ! Il m'épate de plus en plus, ce garçon ! Il impose le respect !

— Tu veux pas l'épouser aussi, tant qu'à faire ? râla Hayate en la regardant d'un air blasé.

— Il est un peu trop jeune pour moi. Et puis il est déjà avec Kei, non ?

— Quoi ?! » s’écria simultanément le duo nommé, les yeux écarquillés, ce qui provoqua un petit fou rire chez Ryo.

« Allons, ne commencez pas à vous chamailler ! C'était une superbe partie, et chacun a été impressionnant à sa manière. Je pense qu'on devrait fêter ça dans un restaurant. C'est moi qui régale pour ce soir ! » proposa-t-elle en leur offrant un clin d'œil souriant. Tout le monde s'en réjouit et accepta l'offre avec plaisir.

Chapter 10: La cité de la nuit

Chapter Text

Kei, Joshua, Neeko, Ryo, Natsu et Hayate mangeaient autour d'une table d'un restaurant : le Burger Palace. Bien moins cher que le Lofi Grill, on y trouvait de quoi se remplir facilement l'estomac : divers hamburgers, des frites de pomme de terre, de patates douces ou de légumes, des bols de salades fraîches, des manchons de poulets panés ou encore des boissons, froides ou chaudes.

Joshua avait profité de l’occasion pour découvrir d’autres mets propres à Neo-Tokyo. Toujours aussi curieux au sujet des méthodes de production des ingrédients composant tous ces aliments, il ne s'était pas privé de goûter ceux de cette enseigne. Et s'il se surprenait à mieux apprécier un hamburger et des frites que des sushis, il admettait tout de même préférer une pizza.

Après un bon repas sous une ambiance chaleureuse, le groupe quitta le fast-food, arpentant à présent les ruelles du secteur. À cette heure du soir, les néons brillaient déjà dans l'obscurité de la ville. Mais la fréquentation des allées par les citadins n'avait pas diminué. Quelques animations de rues, réalisées par des humains ou par des androïdes, égayaient certaines places, ce qui rendait l'atmosphère générale bien plus avenante en ces lieux qu’au quartier des plaisirs de Tsukuyomi.

« En même temps, on ne va généralement pas au quartier des plaisirs pour y faire une balade tranquille comme celle-là ! affirma Hayate à l'adresse de Joshua en portant sa cigarette électronique à ses lèvres.

— Je me doute bien, mais la différence est trop flagrante pour ne pas être soulignée ! répliqua le concerné d’un léger sourire en contemplant le paysage urbain nocturne.

— Attends de voir les parcs d'attractions, les boites de nuits et d’autres jeux à réalité virtuelle trouvables dans notre ville ! affirma Ryo en lui donnant un coup de coude complice. Je pense que c'est le genre de chose qui pourrait te plaire encore plus !

— Des parcs d'attractions ? Des boites de nuits ? Qu'est-ce que c'est ? »

Ryo, Natsu et Hayate affichèrent des mines surprises. Ils savaient Joshua ignorant sur beaucoup de choses en tant que primitif, mais pensaient qu'il en connaissait un minimum sur la vie en ville. Kei, lui, rit légèrement avant de répondre :

« Les parcs d'attractions sont des lieux de loisirs, qui proposent des activités pour se détendre, s'amuser ou se divertir. À l'occasion, je t'en ferai visiter. Quant aux boîtes de nuit... »

Il observa le niveau inférieur à travers le trottoir translucide sous ses pieds. Une petite foule de personne se rassemblait devant un établissement, dont la musique techno rythmée s'étouffait légèrement entre ses murs.

« Peut-être qu'on peut te montrer ce que c'est, là tout de suite !

— Le club Colosseum, en plus ! s'exclama Natsu en observant dans la même direction. Avec Hayate, on y est déjà allé ! C'est vraiment génial ! En plus, on n'est pas trop serrés à l'intérieur. C'est l'idéal pour faire découvrir ce genre d'endroit à Joshua !

— Je... ne suis pas sûr de vouloir être enfermé dans un endroit clos avec autant de personnes, hésita le benjamin du groupe tandis que Neeko bondissait depuis l'épaule de Kei jusqu'au sien.

— Au pire, on ne restera pas longtemps, si ça ne te plaît pas ! Mais tente l'expérience. Peut-être que tu vas adorer ! »

Joshua se gratta l'arrière de la tête. D'un autre côté, là était une chance de découvrir à quoi ressemblait une fête au sein de la mégalopole.

Le groupe emprunta des escalators descendant vers le niveau voulu, puis se rendit à l'intérieur de la discothèque. L'entrée était payante et contrôlée, mais aucun n'eut de mal à la passer, pas même le primitif.

La musique frappa de plein fouet leurs oreilles. L'intérieur du Club Colosseum se faisait vaste et sombre, mais s’éclairait par des faisceaux de lumières blanches, bougeant ou clignotant au rythme du son effréné. Grâce à elles, on distinguait la forme ronde de cette boîte de nuit qui s'élevait sur deux étages.

Des canapés circulaires entouraient quelques tables basses disposées près des murs, de façon à libérer le centre de la salle pour la piste de danse. Beaucoup de fêtards se trémoussaient sur cette dernière, acclamant le disc-jockey installé sur une plateforme translucide suspendue, qui se déplaçait à sa guise au-dessus de la foule. Derrière ses écrans holographiques où il mixait ses échantillons musicaux, il animait la soirée de telle sorte à ce que personne ne s'ennuie. Non loin de lui, quelques danseurs et danseuses, aux tenues légères fluorescentes et extravagantes, survolaient la piste sur des petites plateformes carrées similaires, ce qui ajoutait une touche spéciale à l'ensemble.

Un grand bar au fond, géré par plusieurs hommes portant des vêtements à néons, exposait de nombreuses bouteilles contenant diverses boissons, alcoolisées ou non.

« C'est sympa, ici ! s'exclama Neeko pour se faire entendre de ses compagnons, avec plusieurs étoiles sur son écran.

— Je ne m'attendais pas à une telle ambiance ! confia Ryo d’un rictus admiratif. C'est festif sans pour autant être bordélique ! Du moins, pour l'instant.

— Qu'est-ce que tu entends par bordélique ? questionna Joshua, pas très à l'aise en ce lieu.

— Dans ce genre de discothèque, expliqua Kei en le regardant, ça peut vite dégénérer quand les gens ont trop bu. Ça peut partir dans des bagarres plus ou moins grandes, si ces personnes ne sont pas maîtrisées à temps. Perso, j'ai l'habitude de partir avant que ce genre de connerie n’arrive.

— Rassurant…

— Raison de plus pour en profiter, tant que les choses vont bien ! » affirma Natsu en attrapant le poignet du brun d'une main, et celui de l'argenté de l'autre. Puis, sans même demander leur avis, elle se dirigea vers la piste de danse avec eux. Neeko sauta sur l'épaule de Ryo pour ne pas être ainsi embarquée.

« Eh bah ! Elle ne perd pas de temps ! fit la rousse, clignant à plusieurs reprises ses yeux étonnés.

— C'est Natsu, on ne la changera pas ! répliqua Hayate d'un air amusé. Personnellement, je suis plus d'humeur à boire qu'à danser, ce soir. Je vais faire un tour au bar. Ça te dit ?

— Je te suis ! »

Le groupe fut ainsi scindé en deux, avec d'un côté Ryo, Hayate et Neeko se rendant au bar, de l'autre Kei, Natsu et Joshua au milieu d'une foule dansante. Sur la piste, Natsu se déhancha au rythme de la musique. Souriant aux deux hommes, elle les invita à en faire de même. Kei haussa des épaules avec un rictus résigné, avant de l'imiter.

« Sois pas timide, Josh ! conseilla-t-il en voyant son cadet les regarder d'un air sceptique sans bouger de sa position. Ce genre d'endroit est fait pour s'amuser comme ça ! Même si tu ne sais pas bien danser, personne ne se moquera de toi ! »

Joshua soupira discrètement. Le problème n’était pas s’il savait danser ou non, mais plutôt cette musique diffusée, qui ne lui plaisait pas vraiment. Cependant, en voyant Kei et Natsu se divertir aussi joyeusement, il ne voulait pas plomber le moral du groupe en refusant catégoriquement leur proposition. Il s'approcha alors des deux autres, tout d'abord en se dandinant timidement sur place.

« Bien ~ ! fit Natsu dont les lèvres s'étiraient encore plus. Bouge donc ce joli corps, Joshy ! »

Les joues du primitif s'empourprèrent légèrement, surtout devant un tel surnom de sa part. Mais il suivit la recommandation, et se laissa aller au rythme de cette musique électro. Bien que n’affectionnant pas sa mélodie, il la trouvait suffisamment entraînante pour danser dessus comme toutes les personnes autour de lui. Préférant profiter de cet instant qu'il ne revivrait peut-être pas, il continua à dansotter tout en souriant à Kei et à Natsu. Ces deux derniers lui montrèrent quelques pas de danse, qu’il parvint à imiter quelques secondes plus tard.

« J'admets que c'est pas mal ! confia-t-il en riant presque d’amusement.

— Ah ! Tu vois ? Je savais que ça te plairait bien ! » se réjouit Kei en le voyant se prêter au jeu.

Cette ambiance de folie semblait sans fin. Personne ne voyait le temps passer, tant tous s'occupaient à boire ou à se déhancher sur les nombreux morceaux qui s'enchaînaient. Cependant, alors que le trio dansant comptait rejoindre Ryo, Hayate et Neeko pour boire un verre, Joshua demanda à sortir un instant dehors, pris pas un soudain tournis. À la fois inquiet, mais aussi par envie de s'aérer l'esprit, Kei l'accompagna.

Les deux hommes sortirent ainsi du club, et marchèrent dans ses environs en s'éloignant du boucan festif.

« Ça va, Josh ? Tu veux qu'on s'asseye quelque part ?

— T'en fais pas, ça va, lui sourit le brun. Mais je ne suis pas contre ton idée de nous poser un instant. »

Heureusement, plusieurs bancs en métal s'alignaient le long du trottoir arpenté. Tous étaient orientés de telle sorte à offrir une belle vue sur les bâtiments environnants colorés aux néons, entre lesquels circulait les vaisseaux du trafic urbain. Le duo masculin prit place sur l'un deux, et contempla silencieusement le panorama, loin de l'ambiance techno du Colosseum. Joshua ne cacha pas son soulagement depuis cet isolement.

« Ce genre de fête est sympathique, mais définitivement pas pour moi. Un peu trop bruyant et bondé à mon goût…

— Je peux te comprendre, rit gentiment Kei en le regardant. Pour être honnête, tu m'as beaucoup surpris ! Je ne pensais pas que tu serais resté aussi longtemps à l'intérieur. Ni à ce que tu nous rejoignes, Natsu et moi, pour danser !

— Eh bien... Ça aurait été malpoli de ma part de vous laisser en plan, non ? »

Joshua lui offrit un sourire en le regardant. Cette réaction, bien qu'agréable de sa part, provoqua un haussement de sourcils chez le hacker, qui gloussa légèrement.

« C'est moi où tu es bien plus souriant qu'avant ? »

L'étonnement changea de camp. Ce fut au tour des sourcils de Joshua de s'élever alors qu'une pointe d'incompréhension transparaissait sur son visage.

« Je me souviens encore de ta tête ronchonne au début de ton séjour ici. Et ce soir, j'ai l'impression de voir un homme plus heureux que jamais. Je t'avoue que ce n'est pas pour me déplaire ! Tu commences à bien t'habituer au train de vie de Neo-Tokyo, pas vrai ? »

Joshua demeura silencieux un instant et réfléchit à sa réponse, le regard détourné. Cette mégalopole proposait effectivement des activités et des panoramas intéressants. Il ne pouvait nier avoir fait des belles rencontres et s’être amusé à plusieurs reprises, comme lors de leur récente partie d'Element's Clash, ou même durant la simulation de combat proposée par Kei l'autre jour.

Malgré tout, la nature, à laquelle sa vie l'avait habitué, lui manquait. Les forêts luxuriantes, les rivières rafraîchissantes, les montagnes imposantes, l'air dépourvu de pollution humaine, le calme bercé par les cris et chants d'animaux... Neo-Tokyo n'avait pas le charme de tout ce que le reste de Calreon possédait. Et le plus triste pour lui était que la majorité des citoyens ne se rendaient pas compte de toutes ces merveilles dont les plus hauts placés les privaient. Hauts placés, qui ne se gênaient pas pour faire du mal aux personnes extérieurs à leur grande ville.

À cette pensée, Joshua se remémora sa famille et son village. Tous détruits aujourd'hui. Son air jovial disparut au profit d'une expression maussade et frustrée. Kei s'inquiéta, mais ne sut quoi répliquer sur le moment.

« Jamais je ne pourrais complètement m'habituer à Neo-Tokyo malgré tout ce que tu m'as fait découvrir, reprit le brun en observant les vaisseaux défiler. J'en suis certain. Mais ta compagnie et celle de tes amis me font beaucoup de bien. Aujourd'hui, pour la première fois, j'ai réussi à oublier un tant soit peu la raison pour laquelle je suis venu ici. J'ai pu mettre de côté ma peine et ma haine envers la Kai-Riu, pour retrouver goût à la vie. »

Ses lèvres s'étirèrent en regardant à nouveau son hôte.

« J'ai dû déjà te le dire, mais je me sens chanceux que tu sois tombé sur moi pour m'aider, lors de mon arrivée ici. Je te dois beaucoup, Kei. »

Le sourire lui fut instantanément rendu. L'informaticien regrettait de voir Joshua ne pas complètement s'intégrer à cette mégalopole. En même temps, connaissant son vécu, il ne pouvait pas le blâmer. Mais sa gratitude à son égard lui procurait un énorme plaisir, si bien qu'il sentit son rythme cardiaque s'accélérer. Il laissa perdre son regard sur les tours face à eux.

« Tu ne me dois pas grand-chose, Josh. Mon quotidien est devenu bien plus fun depuis que t'es là ! Que ce soit pour te faire découvrir des choses que tu ne connais pas, pour te montrer des endroits que tu n'as jamais vus, ou pour t'aider à venger ta famille et d'autres en faisant payer à la Kai-Riu tout le mal qu'elle a fait, je trouve ça à la fois palpitant et enrichissant. Les Neo-Tokyoïtes disent des primitifs qu'ils sont des sauvages stupides, laids et peu fréquentables, incapables de vivre parmi nous, ni de se comporter de manière civilisée. Je suis content de constater qu'ils se trompent sur toute la ligne. Certes, t'es pas le mec le plus malin qui soit, mais t'es loin d'être associable, en plus d'être plutôt canon, je dois l'admettre. »

Devant ces compliments plus que sincères, les joues de Joshua s'empourprèrent. Il ressentit même son cœur s'emballer. Ce n'était pas souvent qu'une personne, en dehors de son précédent entourage, lui confiait ce genre de chose. La satisfaction et la joie se firent immenses en lui.

Ne sachant quoi répondre, il préféra sourire à son ami sans le lâcher du regard. Les deux hommes se contemplèrent ainsi, profitant du calme et de l'instant présent. Ignorant à quoi s'attendre durant les jours prochains avec la Kai-Riu ou le gang Masamune, ils savouraient les moments de détente de ce genre tant qu'ils le pouvaient. Surtout lorsqu'ils avaient l'occasion de se retrouver seuls dans un lieu aussi tranquille.

« Peut-être... qu'on devrait rejoindre les autres ? » proposa Joshua en observant finalement devant lui. Kei sourit. En effet, le mieux était d'écourter cette pause pour retourner auprès de Neeko et des autres au club. Mais étrangement, le hacker n'était pas pressé de s'y rendre. Plus tôt, il avait repéré des scooters en location libre, dans un mini parking qu'ils avaient dépassé de quelques mètres pour atteindre leur banc. Il y voyait là une occasion de faire découvrir à Joshua un autre moyen de locomotion, tout en prolongeant la durée de leur petite escapade nocturne.

Ainsi, après s'être relevé en même temps que son compagnon, il se dirigea avec lui jusqu'à l'un de ces véhicules particuliers, composé d'un guidon, de deux pédales, et de deux sièges positionnés l'un derrière l'autre. Protégé par une barrière numérique translucide, il fallait interagir avec un petit panneau holographique placé à côté. Là-dessus, Kei pouvait choisir la durée de location et faire scanner sa carte de crédit pour payer en conséquence.

« J'ai payé pour vingt minutes de route, le temps d'une petite balade dans le district. Par contre, on ne devra pas trop s'éloigner. Si je dépasse le temps de location sélectionné, je me prends une amende qui augmentera au fil des minutes d'utilisation en trop.

— Je comprends plus ou moins. Mais... Est-ce que c'est sûr ? Je veux dire, à bord de ton vaisseau habituel, tout est fermé, donc il n'y a pas de risque de tomber de haut. Mais là…

— T'inquiètes, les motos de ce genre sont sécurisées aussi ! »

Pour le démontrer, il s'approcha du véhicule, dont la protection s’enlevait, et s'y installa. Un casque holographique bleu fluo se matérialisa autour de sa tête, tandis qu'une ceinture du même style s'enroula à sa taille après s'être sanglé sur les côtés de son siège.

« Grâce à ces protections, aucun risque de tomber, même si je te conseille tout de même de t'accrocher au conducteur ! »

Légèrement rassuré par les dires de l'informaticien, il hocha de la tête avant de s'installer juste derrière. La même chose se produisit aussitôt posé sur son siège, à la différence que son casque et sa ceinture de sécurité brillaient en vert. Grâce au casque, Joshua entendait distinctement la voix de son interlocuteur, comme si les deux parlaient via un téléphone. Il comprit qu'une fois en route, il n'avait pas besoin d'élever la voix pour se faire entendre.

« C'est bizarre, j'ai pas l'impression de porter quoi que ce soit sur la tête ! Ni même d'être attaché…

— C'est normal, ça a été pensé pour être le plus confortable que possible. Ce n'est pas moins solide pour autant ! »

Il activa le moteur électrique pour faire décoller l'engin. Un scooter de ce type était plus simple à maneouvrer qu'un vaisseau standard. Encore plus un scooter de location, qui pouvait se conduire sans permis. Mais il n'était pas possible de voler partout et n'importe comment avec. Kei devait éviter de se mêler aux voies les plus denses du trafic. Mieux valait ne pas voler à un niveau trop élevé, ni à une vitesse excessive.

« Accroche-toi quand même, conseilla-t-il en tournant légèrement sa tête en arrière. Je ne sais pas si tu seras à l'aise en ne t'accrochant à rien, malgré ta ceinture attachée. »

Aussitôt, Joshua passa ses bras autour de la taille du pilote. Celui-ci sourit, avant de s'envoler hors du trottoir, lévitant désormais au-dessus du vide.

« Woah... fit le chasseur qui serrait instinctivement son étreinte en constatant leur hauteur par rapport au brouillard du niveau 0. À bord de ton vaisseau, je ne m'étais jamais rendu compte d'à quel point on volait vraiment haut !

— Toujours pas de vertige ?

— Non, ça va. Mais ça reste impressionnant à voir ! »

Durant les minutes suivantes, le scooter fila parmi les buildings telle une comète égarée dans l'immensité de l'espace. Kei longea l'allée sur une longue distance, avant de tourner dans une intersection en prenant un peu plus de hauteur. Malgré sa vitesse modérée, son passager ressentit la rapidité du scooter, avec ses mèches mi-longues virvoltant sous les courants d'air.

Mais il oublia vite cette sensation lorsqu'il vit le paysage de néons et de lumières défiler autour de lui. C'était la première fois qu'il voyageait sur un tel véhicule de nuit. Il se croyait dans un rêve, tant ce moment lui semblait surréaliste. Pourtant, il était là, avec Kei sur un scooter, en train de slalomer entre les hauts bâtiments éclairés, parfois décorés de panneaux publicitaires ou de projections holographiques de monuments.

Un moment arriva où Kei se dirigea vers la bordure intérieure du district Izanami, qui séparait celui-ci du centre de Neo-Tokyo. Ce dernier était interdit d'accès à la population. Seuls les dirigeants, les hauts placés et les agents du Bushi étaient autorisés à y circuler, par soucis de sécurité, disait-on.

Le hacker se contenta de voler à côté de cette frontière. Il put ainsi laisser Joshua profiter du panorama, à savoir l'énorme tour centrale culminante de la ville, derrière laquelle on pouvait contempler les trois lunes de Calreon.

D'ailleurs, le regard du chasseur s'attardait bien plus sur ces astres que sur l'impressionnant building.

« C'est beau... murmura-t-il d'un léger sourire.

— Ça doit être bien plus beau à voir depuis l'extérieur, non ? »

Joshua ne le contredit pas. Même, il approuva les dires de son compagnon qui se retint de pouffer.

« Hélas, à Neo-Tokyo, il faudra te contenter d'admirer Cyana, Miena et Junea d'ici.

— Au moins, il existe des endroits dans cette ville d'où on peut bien les voir. Et puis l'extérieur a beau être super de nuit, je trouve le paysage Neo-Tokyote... Neo-Tokyoïste... Neo-Tokyo... Bref ! Le paysage de Neo-Tokyo est sympa, le soir. Avec toutes ces lumières colorées, et cette sensation de liberté en survolant les lieux comme on le fait... C'est plaisant, je trouve ! »

Kei lâcha un petit rire devant ses difficultés à prononcer un certain mot. Mais il sourit en observant devant lui.

« Neo-Tokyoïte, le corrigea-t-il. Et effectivement, je ne peux pas te contredire là-dessus ! Mais lorsqu'on est habitué à contempler un tel paysage tous les soirs, au bout d'un moment, ce n'est plus aussi impressionnant. Cela étant dit... »

Il tourna sa tête vers son passager avant de continuer.

« Les activités possibles à faire ici sont vraiment nombreuses. Les discothèques et les promenades en scooter de location n'en sont qu'une infime partie.

— Tu me rends curieux. » admit Joshua en le regardant avec un sourire. Kei promit de lui en faire profiter lorsqu'ils en auraient l'occasion, et lorsque le danger de la Kai-Riu et des Masamune se retrouverait amoindri. Pour l'heure, il remarqua que le temps imparti d'emprunt de la moto arrivait bientôt à son terme. Il devait retourner à leur point de départ pour le garer. Il refit donc son trajet dans le sens inverse.

« Je n'ai vraiment pas vu le temps passer, confia le brun, légèrement déçu que cette balade soit écourtée.

— J'aurais bien prolongé ce moment, mais Neeko, Ryo, Hayate et Natsu risquent de s'inquiéter, si on tarde trop à revenir auprès d'eux. Et puis, on aura d'autres occasions pour ce genre d'activité. Ou pour d'autres. »

Joshua avait hâte de découvrir ce que Neo-Tokyo pouvait encore réserver. D'un autre côté, il craignait de contraindre Kei dans son emploi du temps sûrement chargé, entre son travail, son entourage et ses plans pour déjouer la Kai-Riu. Il hésita à lui en parler, mais l'argenté s'exprima avant lui :

« Je connais plusieurs endroits qui pourraient te plaire. Au moment le plus propice, je t'y emmènerai. Tu m'en diras des nouvelles ! »

L’autre ne cacha pas sa joie à l'entente de ces mots. L'argenté se montrait aussi enthousiaste que lui à l'idée de lui faire découvrir les différents loisirs proposés par la mégalopole. Il était prêt à donner de son temps pour rendre le séjour du brun le plus agréable et le plus amusant que possible.

Le faisait-il par pure générosité ? Peut-être qu'il souhaitait juste remonter son moral suite à son douloureux passé, causé par la Kai-Riu ? Dans tous les cas, le chasseur afficha un large sourire en resserrant légèrement ses bras autour de la taille de Kei, puis s'approcha par-dessus son épaule.

« Merci Kei. Vraiment.

— No problem, buddy ! »

Joshua afficha un air surpris, avant d’émettre un petit rire. Il ne comprenait pas ce que son compagnon venait de dire. Mais il supposait que l'autre répondait simplement par « il n'y a pas de quoi », ou quelque chose du genre.

Le scooter vola en direction du lieu d'où il avait décollé, laissant au plus jeune le temps d’encore profiter du spectacle coloré qui défilait durant ce trajet.

 

*

 

Quelque part au district Kannon s'élevait un grand building de presque deux cents étages. L'insigne de la Kai-Riu, représentant un dragon oriental rouge, trônait en son sommet, surplombant de façon impériale le reste de cette partie de Neo-Tokyo. L'immeuble abritait de nombreux appartements luxueux, mais également une multitude de bureaux individuels.

Dans l'un de ses derniers, situé parmi les plus hauts étages, Tama Daisuke s’entretenait avec Isao Junpei au sujet de l'avenir de leur société. Le PDG roux, debout devant la baie vitrée, contempla la belle vue sur l'ensemble du secteur. Junpei, lui, demeurait assis sur un siège de bureau, l'air penseur en caressant de son index un coin de sa moustache noire, tandis que son crâne chauve luisait sous les luminaires allumés.

« Masato nous a mis dans une situation délicate, commenta-t-il avant de croiser ses jambes en s'enfonçant dans son fauteuil. En même temps, quelle idée d'abuser de deux gamines pour satisfaire son appétit sexuel ! Il aurait pu se rendre dans un bordel pour ça ! D'ailleurs, je trouve drôlement ironique que la vidéo de ses ébats ait brusquement circulé dans toute la ville alors qu'il se trouvait au quartier des plaisirs.

— Il ne peut s'en prendre qu'à lui-même pour ne pas avoir été assez prudent, affirma Daisuke sans se retourner. Et si ça ne tenait qu'à moi, je le laisserai séjourner en prison. Après tout, la Kai-Riu peut très bien se gérer à deux.

— Mais nous l'avons fondée à trois, rappela Junpei en le regardant, un sourcil haussé. C'est le projet de notre vie, qui nous a exigés de nombreux sacrifices au niveau de nos vies personnelles. Bien que n'approuvant pas les actions de Masato, nous ne pouvons pas non plus l'écarter de la gestion de notre entreprise alors qu'il a fortement contribué à sa popularité. »

Son collègue demeura silencieux un instant, les paupières closes et les bras croisés. En vérité, il ne souhaitait pas non plus écarter Masato de leur trio malgré ses crimes. D'autant plus que Daisuke se disait qu'il ne valait peut-être pas mieux que lui, et qu'il était mal placé pour faire la leçon à qui que ce soit. Mais comment contrer les preuves accablantes des vidéos incriminantes ?

« Je pense avoir une piste, concernant la ou les personnes responsables de tout ce désordre. » confia Isao en se levant pour se placer à ses côtés, ses mains positionnées sur ses hanches. Tama le regarda avec curiosité.

« Tu as remarqué cette épine que nous trimballons dans notre pied depuis plusieurs années ? Je pense qu'une partie d'elle se trouve au sein de mes employés. J'ai même une preuve de sa culpabilité à ce sujet. Dès demain, je le confronterai.

— C'est une bonne chose, à supposer que tu vois juste au sujet de cette personne. D'ailleurs, si l'un des nôtres est responsable de cette trahison, il n'est pas impossible que d'autres suivent ses traces après son arrestation.

— Certes. On les écrasera les uns après les autres, si tel est le cas. »

Les deux hommes s'esquissèrent un sourire mutuel face à leur détermination partagée pour protéger leur empire.

« De mon côté, j'ai déjà entamé quelques procédures, au sujet des deux adolescentes victimes de Masato. Ce n'est pas par gaîté de coeur, mais nous ne pouvons plus nous permettre de prendre aucun risque. Nous devons faire en sorte de redorer notre blason, tout en éliminant ceux susceptibles de la ternir. »

L'homme chauve ne cacha pas sa stupéfaction alors que ses yeux s'ouvraient un peu plus grand que la normale. Bien que Tama n'avait pas explicité ses intentions, Isao les devinait aisément.

« Tu es sûr que c'est une bonne idée ? Une telle action pourrait avoir l'effet inverse de ce que tu espères.

— Tout dépendra de la manière de faire les choses. De toute façon, les personnes cherchant à nous nuire ne nous laissent pas le choix. Peut-être qu'en faisant face aux répercussions de leurs actions, elles y réfléchiront à deux fois, avant de s'attaquer encore à la Kai-Riu. »

Cela pouvait s'entendre, selon Junpei. Ce fut la raison pour laquelle il ne releva pas.

Chapter 11: Répercussions

Chapter Text

De retour chez Kei, Neeko s'était mise en veille sur le canapé du salon. Dans la salle de bain, le hacker terminait d’enfiler son débardeur blanc après s’être douché. Il arrangea de ses mains ses mèches séchées devant le miroir. Des inscriptions lumineuses s’affichèrent sur la glace :

« Visage impeccable mais cernes visibles. Besoin urgent de repos ! »

Le jeune homme sourit, ne pouvant contredire son gadget. Après cette folle soirée, il avait besoin de dormir, surtout à cette heure tardive de la nuit.

Il se rendit dans sa chambre une minute plus tard. Joshua, couché sur le lit, semblait déjà plongé dans un profond sommeil. Avant de le rejoindre, Kei s’installa brièvement devant son ordinateur en veille, dont l’écran holographique affichait l’heure actuelle : deux heures vingt-huit du matin.

Je ne pensais pas qu’il était aussi tard !

Il parcourut le net pour se tenir informé de la situation de Neo-Tokyo suite à leur opération contre Chikara. L'effervescence s'était tassée, bien qu’on parlait encore des crimes de ce co-fondateur de la Kai-Riu. Rien ne mentionnait l'avancement de l'enquête lancée par ses deux collègues pour l'instant.

Kei en fut rassuré, mais garda une part de méfiance : il fallait s'attendre à tout avec des individus pareils. Ils seraient capables de faire accuser à tort des employés de leur propre société pour se protéger. À l'époque où il figurait parmi les Masamune, il se souvint que la firme avait fait condamner les membres du gang qu'ils jugeaient les moins compétents, pour se couvrir d'une affaire de hacking à l'encontre d'un grand concurrent qu'elle a fait couler, et qui n'existe plus aujourd'hui. Elle pourrait en faire de même avec l'affaire de Chikara si aucune autre solution n'était trouvée.

Une fois ses recherches terminées, Kei éteignit sa machine avant d’aller s’asseoir sur le bord du lit. Il contempla ainsi les traits endormis de Joshua, tourné sur le côté et face à lui.

Pas étonnant qu’il soit aussi épuisé…

Kei remarqua qu’il était découvert. Les draps étaient encore pliés et posés à l’autre bout du lit. Et le réglage de température du matelas n’était pas activé. Le jeune homme manqua de rire en devinant le pourquoi du comment : Joshua, trop fatigué, s’était endormi aussitôt allongé, sans prendre la peine de se recouvrir ou de réchauffer la couche.

Il ne fait pas chaud, pourtant ! Peut-être qu’il était habitué à dormir ainsi, à l’extérieur.

Doucement, il saisit les draps pour les déplier, avant de recouvrir l’ensemble du lit avec, dont le corps de Joshua. Il appuya ensuite sur un bouton tactile sur le côté du meuble, et glissa son doigt vers la droite pour augmenter la température du matelas à sa guise. Pas trop chaud pour ne pas transpirer, mais suffisamment pour rendre leur nuit confortable.

Il éteignit ensuite les lumières de la chambre avant de se coucher à côté du brun. Allongé sur le dos, il tourna toutefois sa tête en sa direction pour le fixer. Joshua semblait si apaisé en cet instant ! Et il n’avait pas l’air de s’agiter à cause d’une vision cauchemardesque. La respiration profonde, il donnait l’impression de s’évader dans un rêve calme et paisible. Peut-être rêvait-il de la nature Calréenne ?

Natsu a raison. T’es vraiment adorable…

Il se tourna pour lui faire complètement face, tandis qu’un tendre sourire étirait ses lèvres. L’envie de caresser son visage lui traversa. Mais il ne voulait pas le déranger dans ses songes, ni le toucher de la sorte sans son consentement. Et puis… peut-être que son cadet réagirait mal face à un tel geste.

D’ailleurs, et comme pour définitivement le dissuader de le faire, Joshua se retourna, lui donnant désormais son dos. Le sourire de Kei s’élargit, avant qu’il ne ferme les yeux.

« Bonne nuit, Josh. » murmura-t-il avant de se laisser sombrer dans un repos bien mérité, après cette soirée riche en détente et en diverses émotions.

 

*

 

Le jour suivant, Kei fut le premier à se réveiller. Ouvrant doucement ses paupières, il émit un discret bâillement avant d’observer son voisin. Celui-ci, toujours dos à lui, dormait encore à poings fermés. Mais le hacker remarqua une petite boule de poils rose entre lui et Joshua. Neeko s'était déplacée jusqu'à la chambre pour s'installer confortablement au milieu des deux et dormir. Son propriétaire caressa avec tendresse le pelage de son Ai-pet, en faisant attention de ne pas le tirer de sa léthargie.

Il se leva ensuite pour sortir de la chambre, accordant aux deux autres du repos supplémentaire. Dans le salon, il alluma son téléviseur. Il n'avait pas spécialement envie de regarder quoi que ce soit, mais désirait entendre un bruit de fond pendant qu'il préparait le petit-déjeuner. Il s'attela à cette tâche après avoir sélectionné une chaîne d'informations, curieux de connaître l'évolution de l'affaire Chikara. Les médias en parlaient encore entre deux faits divers. Mais rien de nouveau, de ce côté-là.

Le programmeur se rendit à son coin cuisine pour préparer les ingrédients et les ustensiles nécessaires à la confection de ses plats. En cette matinée, il opta pour quelque chose d'à la fois sucré et gourmand : des crêpes. Rapide et simple à préparer, il suffisait de mélanger une poudre spécifique avec du lait synthétique pour obtenir la pâte. Il se saisit d'un saladier pour y verser une certaine quantité de ce produit farineux.

Je me demande si les primitifs ont déjà mangé ce genre de chose. Je sais qu'il existe une manière plus artisanale d'en faire. Si ça se trouve, Joshua connaît !

Il ajouta ensuite du lait et mélangea le tout avec un fouet. Au même moment, il entendit les informations télévisées diffuser une édition spéciale.

« Nous venons d'apprendre la mystérieuse disparition de Midori Ayane, quinze ans, et de Kohana Saki, dix-sept ans. Selon leurs entourages respectifs, ces deux adolescentes seraient celles que nous avons aperçues dans la vidéo incriminant Chikara Masato. Tout porte à croire que ces deux affaires sont liées, d'autant plus que les circonstances de ce drame restent inconnues. L'hypothèse de la fugue par honte d'avoir été exposées est privilégiée, mais aucune piste n'est écartée. »

Kei se figea sur place, le teint blême et les yeux écarquillés de stupeur.

« Vous vous foutez de moi ? » murmura-t-il alors que Joshua sortait de la chambre en portant une Neeko réveillée dans ses bras.

« Salut Kei ! »

Mais face au manque de réaction du plus âgé, l'autre porta son attention sur le journal télévisé. En apprenant ce dont il était question, il comprit l'origine de la torpeur de son aîné. Il s'approcha alors de l'écran holographique et l'éteignit, à l'étonnement des deux autres.

« Que... ? Pourquoi t'as éteint ?! demanda vivement l'argenté.

— Pour que tu reviennes à toi. Ces disparitions ne sont clairement pas anodines ! La Kai-Riu est derrière, c'est sûr ! »

Le brun avait raison. Si, comme par hasard, les deux victimes des agressions sexuelles commises par Chikara était introuvables, c'était sûrement parce qu'Isao et Tama voulaient les faire taire avant qu'elles ne témoignent. Dans ce cas, elles étaient toutes deux en danger !

« C'est quand même un peu gros, non ? tempéra Neeko en grimpant sur un meuble du coin cuisine. En faisant une chose pareille, est-ce que Tama Daisuke et Isao Junpei ne risqueraient pas de passer pour des complices couvrant les crimes de leur collègue ?

— C'est ce que la logique voudrait, répondit Kei en croisant les bras. Mais s'ils arrivent à s'arranger avec le Bushi et les médias, ils ont largement moyen de trouver des justifications pour que les gens croient le contraire.

— Bon sang ! Je plains les familles de ces deux petites... » confia Joshua avec frustration. Mais celle de son homologue masculin s'avérait plus grande. L'homme aux cheveux de neige se demandait si diffuser une telle vidéo était finalement une bonne idée. Certes, un acte odieux était dénoncé. Mais sans le vouloir, il avait également exposé les victimes malgré les précautions prises. Celles-ci étaient dans de beaux draps par sa faute ! Il devait faire quelque chose pour y remédier, et vite !

« Neeko, j'aimerais que tu fasses quelques recherches sur ces filles. Midori Ayane et Kohana Saki. Essaye de trouver toutes les infos permettant de nous donner des indices sur leur disparition et tout ce qui l'entoure. »

L'écran de l'Ai-pet afficha un pouce en l'air avant qu'elle ne s'exécute, sous l'air grave de Joshua qui se tourna ensuite vers l'argenté. Celui-ci avait repris la confection de ses crêpes. Mais il montrait clairement moins d'enthousiasme à les faire. La preuve : au moment d'en manger, Joshua remarqua que les trois-quarts étaient à moitié brûlés. Elles n'étaient pas pour autant trop mauvaises au goût, mais Kei avait eu la tête ailleurs lors de la surveillance de leur cuisson.

« Désolé, s'excusa le hacker en détournant le regard, rongé par la honte. Avec cette nouvelle au sujet de ces ados qui se sont faites enlevées à cause de la vidéo que j'ai diffusée, je...

— Ne te rejette pas entièrement la faute. Je suis aussi fautif que toi, vu que j'étais avec toi lorsqu'on a fait notre coup. Et puis rien de tout ça ne serait arrivé si Chikara n'avait pas... fait son truc dégueulasse. Ne gaspille pas ton temps à te lamenter. Utilise-le pour trouver une solution. »

Rassuré de se sentir soutenu, Kei se contenta de hocher la tête tout en regardant Neeko continuer ses recherches. L'annonce de cette matinée lui avait partiellement fait perdre l'appétit. Mais il se sentait désormais motivé à pourrir la Kai-Riu encore plus.

« Ayane et Saki auraient disparu la veille au soir alors qu'elles étaient chez elles, raconta l'Ai-pet. Apparemment, les deux familles auraient été mystérieusement endormies, et ont constaté la disparition de ces filles à leur réveil.

— Elles auraient été victimes d'un gaz somnifère, ou un truc du genre ? demanda Kei.

— Il n'y a aucune précision là-dessus, même dans les archives les plus secrètes des médias. J'ai également trouvé autre chose concernant l'avocat engagé par Chikara. »

Ce dernier aurait prétendu que cet enlèvement était un coup monté par une firme rivale ou le gang Shuriken pour enfoncer encore plus son client.

« Non mais ils se foutent vraiment de la gueule du monde ! grogna l'argenté qui n'en revenait pas. Ces enfoirés sont vraiment prêts à tout pour se dédouaner, malgré une preuve visuelle !

— Si les habitants de Neo-Tokyo gobent ça, au mieux, ils sont aveugles, au pire, ils sont complètement idiots, rétorqua Joshua.

— Depuis que la Kai-Riu s'est imposée, une partie de la population est corrompue et une autre préfère ne pas se poser de questions sur ce qu'il se passe autour d'elle. Et le peu de personnes osant faire preuve de bon sens est soit muselée, soit éliminée en douce. »

Soudain, le cellulaire de Kei sonna : un appel vidéo de Ryo. Il décrocha et un petit écran holographique montra la tête de la jeune femme. Mais celle-ci semblait paniquée et on entendait du désordre derrière elle.

« Ryo ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Kei ! Le Cyber Ladies est en train de se faire attaquer par les Masamune !

— Quoi ?!

— Ils essayent de capturer Natsu pour une raison qui nous échappe ! On essaye de tenir le coup, mais ils sont venus nombreux et armés !

— Eh merde ! Tenez bon, on arrive ! »

Alors que Joshua avait du mal à comprendre pourquoi le gang Masamune s'en prenait à Natsu en particulier, Kei le pressa d'aller immédiatement se changer. Ils devaient se rendre au garage de Ryo au plus vite. Pendant le trajet via le vaisseau du hacker, celui-ci ordonna à Neeko de contacter Hayate et Kaze. Mais aucun des deux ne décrocha.

« Est-ce que notre présence changera quelque chose ? s'agita Joshua sur le siège passager. S'ils sont si nombreux que ça, ce n'est pas seulement à deux qu'on aidera grandement Ryo et son entourage.

— Je suis d'accord, mais on n'a pas le temps de réfléchir à une autre alternative ! Si le Cyber Ladies et ses employés tiennent encore debout à notre arrivée, c'est miraculeux. »

Le stress grandissait au fil de la distance parcourue en un temps record. Kei avait dépassé une multitude de véhicules, manquant de causer des accidents mineurs à plusieurs reprises. Mais il était trop pressé pour s'en soucier, surtout qu'il n'avait pas attiré les autorités du Bushi pour l'instant.

 

*

 

Après un violent atterrissage au sein du Cyber Ladies en passant à travers un mur brisé, le trio fraîchement arrivé se retrouva au milieu de nombreux tirs de lasers paralysants. Kei activa un bouclier autour de son vaisseau pour le sécuriser et protéger les employés encore en état de riposter. Certains de ces derniers, également dotés d'armes à feu laser, n'hésitaient pas à tirer sur leurs opposants. C'était une véritable guerre civile dans l'établissement !

« Le bouclier de ton vaisseau ne tiendra pas longtemps à ce rythme, Kei ! prévint Neeko, recroquevillée sur les sièges arrières.

— Je n'avais pas spécialement l'intention de le laisser actif longtemps... »

Le hacker tapota sur le tableau de bord situé entre lui et Joshua.

« Accroche-toi Josh, ça risque de secouer un peu ! »

Le chasseur se contenta de se maintenir comme il le pouvait, en se demandant quelle stratégie il mettait en place. La réponse le secoua telle une tempête malmenant un prunier : la barrière protectrice disparut brusquement en émettant une puissante onde de choc dirigée contre les Masamune. Ceux-ci se retrouvèrent propulsés, certains projetés au sol ou contre les murs pendant que les plus malchanceux volaient vers le vide. En voyant leurs camarades tomber en chute libre vers une possible mort, certains voyous à motos foncèrent vers eux pour les rattraper et les réceptionner. Ils ne prirent pas la peine de remonter en direction du Cyber Ladies.

Les quelques délinquants encore présents se relevèrent cependant bien vite. Mais la surprise de cet assaut les avait désarmés et désorientés. Les membres de l'établissement, y compris Ryo et Natsu, en profitèrent pour se précipiter jusqu'à eux et les combattre au corps-à-corps.

Bien que ces individus la ciblaient, Natsu ne se gêna pas pour coller son poing à la figure de ses adversaires les plus proches. La jeune femme se débrouillait tout aussi bien que lors de la partie d'Element's Clash. Elle avait beau être plus petite et menue que les Masamune malgré sa silhouette athlétique, elle savait éviter les attaques au bon moment avant de contre-attaquer en visant les parties du corps les plus sensibles.

On pouvait en dire autant de Ryo. Sa jambe bionique était loin d'être un handicap, bien au contraire : sa solidité rendait les coups de pieds de la femme bien plus forts. La rousse avait en plus la possibilité de détacher cette jambe pour la saisir et frapper ses ennemis comme si elle se servait d'un gourdin.

Joshua, descendu du véhicule, fut impressionné en voyant quasiment tous les employés du Cyber Ladies se débrouiller aussi bien que ces deux femmes. N'étaient-ils que de simples mécaniciens garagistes ?

« Josh, attention ! » s'écria Kei tandis qu'il venait de toucher de son pied la tête d'un Masamune qui se précipitait vers le brun.

« Je sais que t’es impressionné, mais c'est pas le moment de divaguer !

— Pardon ! » s'excusa le concerné en se concentrant sur sa situation. Tout comme son aîné, il prit d'assaut les voyous restants pour aider le Cyber Ladies à les chasser. Les employés avaient désormais l'avantage de la surprise, d'autant plus que la taille du gang avait diminué grâce à l'intervention de Kei. En quelques minutes intenses, les complices de la Kai-Riu prirent la fuite, abandonnant leur tentative d'enlèvement. La bataille se solda par la victoire du garage de Ryo. Mais celui-ci avait subi de sérieux dommages, ce qui rendait la joie amère.

« C'était quoi ce bordel ? demanda Kei en se précipitant vers la propriétaire de l'établissement qui s'assurait que Natsu n'était pas blessée. Pourquoi les Masamune voulaient capturer Natsu ?

— Crois-moi, on aimerait bien le savoir aussi. Ça va, sinon ? Pas de blessure ? »

Kei assura qu'il allait bien, tout comme Joshua. Neeko était descendue du vaisseau pour rejoindre le groupe. Quant à Natsu, le choc se lisait sur son visage.

« Je crois... que j'ai besoin de voir Hayate...

— J'ai tenté de le joindre plusieurs fois avant de venir ici, mais il ne répond pas, raconta Kei.

— J'ai également essayé de l'appeler, en vain... » confia Ryo, anxieuse. Elle retenta une nouvelle fois de contacter le blond en même temps que Kei. Même Natsu utilisa son cellulaire pour l'appeler. Mais le résultat demeura inchangé : Hayate restait injoignable.

« Merde... Vous pensez qu'il lui est arrivé quelque chose ? demanda une Natsu terriblement inquiète. Il répond toujours à mes appels, d'habitude !

— Il est peut-être trop occupé ? supposa Joshua.

— Aussi longtemps, ça me surprend ! contredit Kei. J'espère juste que tout ça n'a rien à voir avec l'affaire Chikara. »

Il venait de lâcher une hypothèse pourtant plausible. Et si les Masamune avaient découvert les implications du couple concernant la dénonciation d'un des fondateurs de la Kai-Riu ? Ni Kei, ni Ryo ne voyait d'autres raisons pour ce gang de s'en prendre brusquement à Natsu.

« Bordel ! s'écria cette dernière en voulant se précipiter vers un véhicule, mais Ryo l'attrapa par le poignet.

— Attends ! Ce n'est pas une bonne idée de te rendre dans les locaux de la Kai-Riu. Si ça se trouve, c'est elle qui a commandité ton enlèvement ! Si c'est le cas, tu vas te précipiter dans la gueule du loup !

— Mais qu'est-ce qu'on fait pour Haya... »

La femme aux dreadlocks eut soudain un vertige, et dut s'appuyer à la fois sur Ryo et sur Kei pour ne pas s'écrouler au sol.

« Tout va bien, Natsu ? » demanda Neeko avec un point d'interrogation sur son écran. Mais la concernée haleta et eut du mal à tenir debout.

« Tu vois ? fit son amie à la prothèse de jambe en la voyant dans cet état. Ça ne sert à rien de paniquer comme ça, à part te rendre malade ! Kei, aide-moi à la faire s'asseoir quelque part. »

L'argenté s'exécuta en soutenant Natsu pour l'aider à marcher avec Ryo, suivit de près par Neeko. Joshua marcha à quelques mètres derrière eux, mais une expression dubitative ternit son visage. Hayate était-il vraiment en sécurité de son côté ? Est-ce que la Kai-Riu était réellement parvenue à remonter jusqu'à lui ?

 

*

 

Au district Kannon, dans la tour faisant office d’un des sièges de la Kai-Riu, Hayate travaillait au sein d'un de ses bureaux. Ou plutôt, il faisait semblant tout en cherchant différents moyens de faire tomber cette société à la morale douteuse.

Seulement, la découverte d'appels manqués et de ce que racontaient les messages laissés sur son répondeur, l'avaient estomaqué. Pourquoi les Masamune s'en prenaient-ils au Cyber Ladies et à Natsu ? Il ne voulait pas y croire dans un premier temps, et culpabilisait d'avoir oublié de désactiver le mode silencieux de son cellulaire après sa dernière réunion d'il y a un quart d'heure.

Mais après une rapide recherche sur des sites d'informations, il tomba sur plusieurs articles mentionnant ces faits dramatiques. Ils ne parlaient pas de la volonté des Masamune à kidnapper sa petite amie, mais décrivaient une attaque perpétrée à l'encontre du garage de Ryo.

« Putain... » grogna-t-il en voulant appeler la rousse. Au même moment, la porte de son bureau s'ouvrit automatiquement sans prévenir, laissant entrer deux grands hommes, chacun vêtu d'un costume-cravate noir et rouge et portant des lunettes de soleil.

« Monsieur Hanabusa Hayate, l’interpella froidement l'un deux.

— Monsieur Isao souhaite s'entretenir avec vous. Immédiatement. » compléta l'autre sur un ton similaire. Le blond fronça les sourcils. Pourquoi Isao le convoquait-il, pile en cet instant ? Y avait-il un rapport avec l'incident du Cyber Ladies ? Pire encore : savait-il au sujet de l'implication d'Hayate dans l'affaire Chikara ?

Le jeune homme déglutit à cette pensée. Mais il ne pouvait décliner sa future confrontation avec son chef suprême. Après avoir accordé un regard glacial aux deux vigiles, il éteignit ses écrans projetés avant de se lever de son bureau, et de se laisser escorter jusqu'à l'étage le plus élevé du bâtiment. Là où se trouvait les vastes appartements d'Isao Junpei. Ce dernier était le maître absolu de ce bâtiment de la Kai-Riu, sachant que l'entreprise en comptait trois principaux dispersés dans la mégalopole, en plus d'autres locaux moins imposants.

Un long tapis rouge s'étendait depuis la porte que venait de franchir Hayate jusqu'à l'énorme bureau où siégeait Isao. Une multitude d'écrans holographiques y étaient allumés, tous branchés à des claviers tactiles. Étant déjà venu en ces lieux à plusieurs reprises, le blond n'était guère impressionné par autant de matériels réunis sur un même meuble.

Seulement, le sourire narquois qui étirait les lèvres et la moustache noire du co-PDG lui fit comprendre qu'il allait passer un désagréable moment. D'autant plus que la tête chauve d'Isao et ses traits austères, combinés à son costume entièrement noir, lui conféraient un aspect assez effrayant.

« Hanabusa ! l'appela-t-il en l'invitant à s'approcher.

— Que puis-je faire pour vous, Monsieur Isao ? » demanda le quasi-trentenaire en essayant de sourire pour paraître le moins suspect que possible. Contre toute attente, son patron l'invita à s'installer devant sa machine, en lui demandant de débloquer un dossier auquel il n'arrivait pas à accéder.

« Étant donné que tu es très fort dans ce domaine, j'ai fait appel à toi pour ça ! J'ai reçu ce dossier de la part d'une connaissance. Malheureusement, je ne parviens pas à l'ouvrir car il est protégé par un code à quatre chiffres. »

Hayate fut à la fois surpris et soulagé. Surpris qu'on fasse appel à lui pour une tâche aussi simple alors que de nombreux autres informaticiens pouvaient régler ce problème, et soulagé que cette convocation n'ait finalement rien à voir avec l'affrontement entre les Masamune et le Cyber Ladies. Le blond s'exécuta alors, assis devant l'ordinateur de son patron.

Tout de même ! Les deux vigiles sous-entendaient une urgence lorsqu'ils sont venus me chercher. Je suis curieux de connaître le contenu de ce dossier, du coup !

Sous les yeux souriant d'Isao, debout derrière lui avec les bras croisés, Hayate sortit d'une de ses poches une clé USB qu'il brancha à la machine. Celle-ci contenait un programme, codé par l'ingénieur lui-même, qui permettait de tester tous les codes possibles à trois chiffres sur une courte période.

« Laissez-moi juste ajuster mon algorithme pour générer des codes à quatre chiffres.

— Mais faites donc, Hanabusa. Faites donc ! »

Il l'avait dit sur un ton un tantinet trop enjoué. Hayate en fut perturbé, mais ne se laissa pas déconcentrer. Après avoir légèrement modifié son programme, il l'exécuta sur le dossier verrouillé. Une barre de chargement apparut, tandis qu'une multitude de combinaisons possibles défilaient.

« D'ici quelques minutes, ça devrait être OK. » assura-t-il à son supérieur qui hocha silencieusement la tête, tout en conservant son rictus. Le malaise du blond s'intensifiait au fil du temps. Il n'avait qu'une hâte : que le dossier soit déverrouillé pour retourner à son bureau au plus vite. Ce n'était pas grave s'il ignorait son contenu, tant qu'il pouvait rapidement s'éloigner d'Isao !

Soudain, il se figea sur place à la vue d’une vidéo automatiquement lancée suite à l’ouverture du fameux dossier. Le fichier s'intitulait « Données visuelles d'Hanabusa Hayate » et datait du 14 M3 de cette année 4457 ANT. Le quatorzième jour du troisième mois de Miena de l’an 4457 après la construction de Neo-Tokyo. Ce qui correspondait au jour où il avait trouvé la vidéo de Chikara agressant sexuellement Ayane et Saki.

Qu'est-ce que... ?

La séquence affichait un écran d'ordinateur effectuant des recherches dans les archives personnelles de Chikara, jusqu'à tomber sur la vidéo incriminante. Elle montra ensuite un copier-coller de ce fichier vers un dossier étranger à la machine.

Une e-watch.

La montre dans laquelle Hayate avait mis cette vidéo pour la montrer à son entourage. Mais comment un tel enregistrement était-il possible ?

« Tes lentilles de contact protectrices viennent de la société Eyes of Heart, n'est-ce pas ? Nous avons un partenariat avec elle. Dans chaque lentille distribuée aux informaticiens travaillant dans nos locaux, une caméra est cachée et s'active lorsqu'un écran holographique est fixé. Cela nous permet de limiter des fuites d'informations confidentielles, ou de retrouver les coupables de ce genre de complot. Avoue que tu ne l'avais pas vu venir, hein ? »

Le teint du jeune homme pâlit. Isao, qui ne prenait même plus la peine de le vouvoyer, posa brusquement une main sur son épaule. Son sourire s’agrandit, retenant un rire moqueur. Il se rapprocha de l'oreille de son employé :

« Je n'ai pas voulu y croire, lorsque j'ai ouvert ce dossier moi-même. Mais ta réaction est révélatrice. Je ne pensais pas que tu aurais eu l'audace de trahir l'un de tes grands patrons, mon grand ! Et dire que je souhaitais te faire monter en grade pour tous les loyaux services que tu m'as rendu. Jusqu'à ce que j'apprenne que tu complotes contre notre société avec une bande de putains. Finalement, tu n'es pas différent de ce pauvre merdeux de Shion !

— Alors vous saviez... murmura le blond en serrant ses poings de frustration. Vous étiez au courant du crime de Chikara Masato... et vous le couvrez ?

— Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser l'un des fondateurs de la Kai-Riu croupir en prison pour une dénonciation calomnieuse.

— Dénonciation calomnieuse ?! Vous avez vu cette vidéo comme moi ! Vous approuvez vraiment ce genre de dérive ?! s'emporta Hayate en se tournant soudainement vers lui.

— Cette vidéo montre clairement une personne déguisée en Masato en train de s'envoyer en l'air avec ces filles pour lui porter préjudice. Lui, ces deux adolescentes et la potentielle personne qui filme sont tous les quatre coupables. Et toi aussi, vu que tu as permis la diffusion non-autorisée de cette vidéo. Sachant que tu en as sans doute parlé à ta copine, nous avons demandé à d'autres employés de l'escorter jusqu'ici pour en discuter de vive voix tous ensemble. Mais cette chère Konami Natsu et ses compagnons sont... récalcitrants. »

Hayate vit rouge. Il s'en fichait d'être accusé de manière aussi malhonnête. Mais savoir que la Kai-Riu avait envoyé son gang contre Natsu le mettait hors de lui. Il amorça un coup de poing en direction de la mâchoire de son patron. Mais celui-ci l'avait frappé à l'aide d'un taser. Le blond fut paralysé, grimaçant de douleur, avant de s'écrouler au sol. Il tremblait sous la violence de la décharge électrique, mais ne put réagir lorsqu'Isao ordonna aux vigiles d'entrer pour le faire sortir de son bureau, et le placer sous surveillance dans une pièce vierge et verrouillée, en attendant de prendre une décision à son encontre.

Chapter 12: Le gang Shuriken

Chapter Text

Deux jours suivirent l'incident au Cyber Ladies. Les Masamune n'avaient plus cherché à capturer Natsu, depuis. Mais Hayate ne donnait aucun signe de vie, ce qui inquiétait grandement son entourage proche.

Pour cette raison, Ryo convoqua tous ses employés, ainsi que Kei, Joshua et Neeko. Désormais réunis dans une salle cachée sous le garage, temporairement fermé pour réparations, tout ce petit monde discuta de l'avenir de leur établissement, et de la menace du gang complice à la Kai-Riu. Durant ce rassemblement, Joshua comprit que le Cyber Ladies se révélait être un gang discret mené par la rousse, complotant contre l'entreprise du dragon rouge.

La conversation se concentra sur l'étrange disparition d'Hayate. Natsu et Kei confièrent avoir tenté de le joindre vainement à plusieurs reprises. Il en fut de même pour une partie des mécaniciens et mécaniciennes possédant son numéro de cellulaire.

« Ça m'inquiète, admit Ryo en croisant nerveusement ses bras. Surtout après ce que le Cyber Ladies a subi à cause des Masamune.

— Le fait qu'Hayate ne réponde plus après être parti travailler, et l'attaque de ces fumiers contre Natsu ne sont clairement pas un hasard, supposa Kei. Je sens que la Kai-Riu sait, pour notre coup contre Chikara.

— Mais dans ce cas, pourquoi cibler Hayate et Natsu alors que c'est nous qui avons directement agi ? demanda Joshua, abasourdi par une telle tournure des événements.

— Peut-être qu'Hayate n'a pas été assez prudent, lorsqu'il s'est emparé de la vidéo, hypothésa Neeko avec un smiley penseur à l'écran.

— Ça m'étonne de lui, répliqua la femme à la jambe bionique. Lorsqu'il s'agit de réunir des infos compromettantes en toute discrétion, surtout si celles-ci sont numériques, Hayate est le plus doué de nous tous. Il sait prendre ses précautions avant d'agir.

— Avec la Kai-Riu, on n'est jamais assez bien préparés, malheureusement... » déplora le hacker, ce qui provoqua quelques échanges de murmures entre les acolytes de Ryo. Mais ceux-ci furent interrompus par Natsu qui souffrait d'un léger malaise. Prise de nausées, elle porta sa main sur sa bouche en fermant les yeux, pour réprimer une soudaine envie de vomir.

« Tout va bien ? demanda son amie et chef en s'approchant d'elle.

— Ça va... Je pense que j'ai besoin de repos après ça...

— Ça se comprend. Essaye de ne pas te rendre malade avec tout ça. On va retrouver Hayate, je te le promets. »

La rousse se tourna ensuite vers Kei.

« Je pense que la Kai-Riu garde Hayate au sein d'un de ses locaux, si elle ne l'a pas placé en centre de détention. Il en est peut-être de même avec les deux adolescentes disparues. Je pense qu'ils sont tous détenus au même endroit. Si on retrouve Hayate, on retrouve aussi les victimes de Chikara.

— Si c'est le cas, ça va être compliqué de les atteindre pour les libérer, affirma l'argenté d'un air pensif. Surtout qu'on n'est même pas sûr de ça !

— Je vais mettre Kaze et sa bande au jus. Sachant qu'ils connaissent plutôt bien les Masamune, ils peuvent faire quelque chose pour leur tirer les vers du nez et apprendre des informations qui pourraient nous aider.

— Le gang Shuriken n'agit que de nuit, rappela Neeko. Est-ce qu'on ne risque pas de perdre un temps précieux en faisant appel à lui ?

— C'est malheureusement la seule option viable que je vois, pour l'instant. » répondit Ryo. La plupart de ses employés semblaient d'accord avec cette solution. De toute façon, sans avoir déterminé au préalable où se trouvait vraiment Hayate, ils ne pouvaient rien faire de concret.

« Je peux aller les voir et en parler de vive voix dès maintenant, proposa Kei. Peut-être que Kaze acceptera de faire une exception ? Lui et Hayate sont potes ! Je pense qu'il peut faire ça pour lui. »

Personne ne contesta. Tous trouvaient même qu'il s'agissait là d'une bonne initiative. Plus les heures s'écoulaient, plus les chances de revoir Hayate et les autres disparues en bonne santé diminuaient. Le gang Shuriken pouvait devenir un puissant allié pour empêcher un nouveau drame de se produire.

Dans cette optique, Kei quitta prématurément le groupe, en compagnie de Joshua et de Neeko. Le primitif ne s'était pas trop prononcé durant cette mini-conférence privée, mais il se montrait curieux vis-à-vis de Kaze et de ses collègues. À en croire les membres du Cyber Ladies, ce n'était pas un gang aussi corrompu ou malveillant que les Masamune. Mais l'homme venu de l'extérieur de Neo-Tokyo se demandait s'ils étaient vraiment dignes de confiance.

 

*

 

À bord du vaisseau, le duo masculin, accompagné de l'Ai-pet félin, survola la ville en direction du district Susanoo. De fines gouttelettes tombaient en clapotis sur les vitres et la carrosserie du véhicule. Le brun observait les nuages pluvieux recouvrant la cité en ce jour.

« Les mauvais temps de ce genre sont généralement signe de mauvais présage...

— Perso, je dirai que c'est un temps pour rester chez soi et dormir. » tenta de plaisanter Kei pour détendre l'atmosphère et paraître moins pessimiste. Mais l'inquiétude sur son visage le trahissait. Joshua savait que la disparition d'Hayate l'affectait, surtout après avoir appris celles des deux adolescentes agressées par Chikara. Leur opération contre la Kai-Riu prenait une tournure dramatique en impliquant des personnes innocentes, en plus de l'entourage du hacker.

J'espère sincèrement que ce fameux gang Shuriken nous aidera.

L’homme aux mèches brunes observa le paysage extérieur défiler. Leur destination n'était pas excessivement loin de leur point de départ. En empruntant la voie la plus rapide, il fallait compter une demi-heure entre les districts Izanagi et Susanoo.

L'architecture des immeubles composant ce dernier détonnait du reste de Neo-Tokyo. Ses buildings adoptaient un aspect oriental, avec des murs blancs décorés de hautes colonnes rouges, et des toits incurvés en tuile vert ou orangé. Certains étaient même ornés de bonzaïs ou de cerisiers en fleurs, tantôt synthétiques, tantôt holographiques. Ces détails offraient au district Susanoo un aspect traditionnel japonais, renforcé par les yukatas et les kimonos colorés que portait une majorité de ses résidents.

« Je ne m'attendais pas à ça, confia Joshua en souriant. Cette partie de Neo-Tokyo m'a l'air vraiment sympa ! »

— J'avoue aimer venir dans ce coin, répliqua Kei en contemplant les environs. De tous les districts, Susanoo est probablement le plus accueillant et celui avec l'ambiance la plus apaisante. Si j'en avais la possibilité, je déménagerais pour vivre ici.

— Qu'est-ce qui t'en empêche ?

— Le loyer et la vie en général sont plus chers ici qu'à Amaterasu. »

Joshua trouva ce fait paradoxal. Susanoo était la partie de Neo-Tokyo se rapprochant le plus de ce qu'on pouvait retrouver à l'extérieur, en termes de verdure et de paysage rappelant la nature. Pourtant, à en croire Kei, il fallait être suffisamment aisé financièrement parlant pour pleinement en profiter. Le brun trouvait cela dommage, et ne pouvait s'empêcher d'avoir une certaine pitié pour les Neo-Tokyoïtes, qui n'avaient probablement jamais vu une végétation naturelle et épanouie là où elle devait l'être.

« On est bientôt arrivés ! » prévint son aîné pendant qu'il se garait dans un parking public, situé sous un établissement de bains publics thermaux. Mais là n'était point leur destination. Après être descendu du vaisseau avec Neeko, Kei et Joshua prirent un ascenseur non loin pour descendre sur plusieurs dizaines d'étages. Selon l'argenté, le quartier général du gang Shuriken se situait au niveau 4 de l'allée où ils se trouvaient. Pas très loin des niveaux les moins fréquentables, donc. Mais cette organisation maintenait l'ordre dans ce district. Grâce à elle, on n’y recensait que très peu de crimes.

« Pour le coup, ils ont beau être moins nombreux que les agents du Bushi, Kaze et sa bande sont bien plus efficaces !

— Tu m'as l'air plutôt admiratif envers ce Kaze, vu comment tu en parles.

— Il est cool, affirma Kei en souriant. Un peu brutal et subtilement déconneur à ses heures, mais vraiment cool ! »

Dans ce cas, Joshua avait hâte de le rencontrer pour en juger par lui-même. Une fois le bon niveau atteint, le duo et l'Ai-pet félin descendirent des escaliers avant d'arriver devant une porte doté d'un judas-scanner et d'une sonnette à sa droite. Kei se plaça devant la porte en faisant signe à ses accompagnateurs de s'écarter de lui, puis sonna brièvement à quatre reprises. Le judas s'illumina avant de le scanner entièrement.

« Takahashi Kei, identifié ! s'éleva une voix synthétique d'homme. Accès autorisé. »

La porte se débloqua, puis s'ouvrit automatiquement. Les deux hommes et le chat-robot rose la franchirent et descendirent d'autres marches.

« Je suppose qu'on te laisse passer parce que tu es une connaissance de ce fameux Kaze ? demanda Joshua.

— Après avoir quitté le gang des Masamune, et sur les conseils d'Hayate et de Ryo, je me suis rapproché des Shuriken. J'ai travaillé avec eux en tant qu'informateur et informaticien pendant quelque temps. »

Pendant qu'ils discutaient à ce sujet, ils arrivèrent dans une grande caserne où plusieurs personnes, vêtues de tenues de ninja noir et violet, circulaient. Certaines transportaient des gamelles de nourriture, d'autres avaient des armes, blanches ou technologiques, accrochées sur elles. Leurs visages, pour la plupart, étaient cachés par leur capuche et un masque. D'autres laissaient leurs têtes à découvert.

Nombre d'entre elles saluèrent Kei et Neeko, mais furent surprises par la présence de Joshua.

« Ne vous en faites pas, il est avec moi, assura le hacker. Je souhaite le présenter à Kaze. Est-ce qu'il est là, d'ailleurs ? »

Les militaires présents répondirent qu'il était à son bureau et qu'il attendait justement sa venue. Ryo l'avait sans doute prévenu de cette visite, et mis au courant concernant la disparition d'Hayate. Sans perdre de temps, les deux hommes se rendirent jusqu'à ses appartements.

Ceux-ci n'étaient pas excessivement grands, mais possédaient le minimum nécessaire, à savoir un bureau sur lequel était posé un grand écran holographique avec plusieurs claviers tactiles, ainsi qu'un placard doté d'un miroir dans un coin, et un lit au matelas chauffant dans un autre. Plusieurs bougies éclairaient cette sombre pièce. Une odeur épicée se dégageait des bâtonnets d'encens allumés par-ci par-là.

L'insigne de ce gang de justiciers, une étoile ninja dont l'une des branches était représentée par une aile de colombe, se voyait fièrement exposée sur une tapisserie placée derrière le bureau. Un symbole violet sur fond noir. Joshua comprit que cette couleur était la signature de ce groupe, comme le rouge l'était pour la Kai-Riu et les Masamune, et le bleu pour le Bushi.

« Heureux de te revoir, Kei ! Même si les choses ne sont pas joyeuses en ce moment. »

Un homme, semblant avoir légèrement dépassé le milieu de sa vingtaine, se leva du bureau après avoir fait disparaître son écran projeté. Vêtu d'une combinaison ninja similaire à celles portées par les autres membres des Shuriken, la sienne se dotait d’épaulières métalliques de samouraï, rappelant celles de l'uniforme des autorités de la mégalopole. Kaze possédait également des cheveux mi-longs noirs, dont une partie était lâchée à l'avant pendant que le reste s'attachait en un chignon à l'arrière de son crâne.

Un large sourire aux lèvres, il s'approcha de Kei en lui présentant son poing. L'argenté cogna le sien contre ce dernier, puis fit les présentations avec Joshua pendant que Kaze s'accroupissait pour caresser le pelage de Neeko.

« Ryo m'a effectivement parlé de toi, Joshua, affirma le chef du gang en se redressant avec Neeko dans ses bras qui affichait un cœur sur son écran. C'est la première fois que je rencontre une personne étrangère à Neo-Tokyo, et j'en suis honoré. Je t'avoue avoir été surpris en découvrant que tu avais adopté le nom de famille de Kei. J'ai cru qu'il s'était marié, entre-temps !

— Il est censé être mon petit frère adoptif, Kaze, contredit l'argenté d'un sourire gêné.

— En même temps, j'aurais trouvé chelou de te voir marié à un mec que tu ne connais que depuis peu. Quand je pense qu'il s’est passé quatre ans après notre première rencontre avant qu’on ne couche ensemble, toi et moi !

— Que... ?! fit Kei en rougissant, tant il ne s'attendait pas à une telle réplique. On n'a pas couché ensemble, idiot ! On était bourrés et on a dormi ensemble ! Rien à voir !

— Entre partager un lit et coucher ensemble, je ne vois aucune différence. »

Kaze afficha un rictus taquin en offrant un clin d'œil séducteur au plus jeune. Les yeux de Joshua s’écarquillèrent de stupéfaction. Le justicier ne faisait qu'embêter l'informaticien en disant cela. Pourtant, le brun prit ses propos au sérieux, et croisa les bras en se retournant pour cacher ses joues empourprées.

« Je n'avais pas besoin de savoir ça, mais... Tant mieux pour vous, je suppose ? »

Kei lui tira gentiment l'oreille afin de lui faire comprendre que Kaze racontait n'importe quoi. Il tira ensuite celle du justicier pour l'inciter à arrêter. Ce moment de plaisanterie passé, le groupe retrouva son sérieux. L'heure était grave. Hayate restait introuvable, tout comme les deux adolescentes disparues et victimes de Masato.

« Après avoir vu cette vidéo de Chikara Masato, ça me donne encore plus envie d'envoyer la Kai-Riu au tapis, confia Kaze en croisant les bras tout en déambulant à travers la pièce. Je ne comprends toujours pas comment les personnes travaillant au Bushi peuvent encore courber l'échine devant cette société après cette glaçante révélation.

— Ils ne sont pas tous comme toi, répondit Kei en haussant les épaules. Rendre justice dans cette ville est ce qui vous motive, toi et les Shuriken. Mais la majorité de gens bossant chez les autorités fonctionnent avec l'argent et le pouvoir, malheureusement. »

Le plus âgé soupira, résigné devant ce fait injuste mais avéré. C'était d'ailleurs ce qui les avait poussés, lui et certains collègues, à quitter le Bushi pour former le gang Shuriken, afin de maintenir correctement l'ordre à Neo-Tokyo, sans corruption de la part d'une puissante firme. Une telle décision était cependant illégale, et les dirigeants de la ville considéraient les membres de ce groupe comme des hors-la-loi. Telle était la raison pour laquelle Kaze et ses camarades ne pouvaient agir que de nuit, pour se faire suffisamment discret lorsqu'ils passaient à l'action.

« Nous exposer en plein jour pour rechercher Hayate est trop risqué pour nous. On se ferait vite attrapés et enfermés. Je pense que le plus sage serait d'abord de découvrir où ces enfoirés de la Kai-Riu l'ont emmené, puis agir en conséquence.

— Comment obtenir une telle information ? demanda Kei.

— Je pourrais, au choix, interroger un membre des Masamune ou un représentant de la Kai-Riu. Le premier cas de figure serait le plus simple, mais on ne serait pas sûr d'obtenir ce qu'on cherche, contrairement au second grâce auquel on découvrirait rapidement où est Hayate, mais qui serait beaucoup plus risqué à mettre en œuvre.

— D'après mes calculs, intervint Neeko, vous avez trente pour cent de chances de retrouver Hayate en interrogeant un Masamune, contre soixante-dix pour cent si vous interrogez un haut gradé de la Kai-Riu. Mais en choisissant la seconde option, vous avez quatre-vingts pour cent de chance de vous faire poursuivre et attraper.

— Après, la vie d'Hayate, et peut-être celles des deux jeunes filles disparues en dépendent, tempéra Kaze. Je pense organiser une petite réunion avec les autres pour leur expliquer la situation et voir ce qu'on peut faire. Vu qu'il s'agit d'Hayate, je vais tout faire pour le retrouver. Mais retenez que nous ne pouvons aller sur le terrain que de nuit.

— De toute manière, je pense que c'est la meilleure période de la journée pour rechercher quelqu'un tout en restant discret, acquiesça Kei. J'espère sincèrement que les choses vont bouger grâce à vous. »

L'inquiétude se lisait encore plus dans son regard. Kaze ne put s'empêcher de sourire tendrement en ébouriffant ses mèches blanches.

« Je sais à quel point Hayate compte pour toi. C'est également mon cas. Je te promets de tout faire pour savoir ce qui lui est arrivé. Chose que j'ai également promise à Ryo, d'ailleurs. »

En mentionnant la rousse, le sourire du justicier s'élargit légèrement alors qu'il déviait timidement son regard. Joshua en fut surpris, mais Kei semblait comprendre la raison d'une telle réaction. Il rendit donc le sourire à l'homme aux cheveux de jais.

« Ryo a confiance en toi. J'ai confiance en toi. En se serrant les coudes, on sauvera Hayate. Ainsi que les autres victimes de la Kai-Riu.

— Tu es le meilleur justicier de Neo-Tokyo, Kaze ! » s'exclama Neeko avec un smiley souriant pour l'encourager. Le concerné émit un petit rire, mais fut profondément touché par ces compliments qui le motivaient à accomplir ce nouvel objectif. Ainsi, il les remercia et leur assura qu'il commencerait à chercher des informations dès maintenant, en scrutant le système de vidéosurveillance de la ville, afin de savoir où Hayate avait été aperçu pour la dernière fois.

Heureux d'avoir le soutien du gang Shuriken, Kei s'apprêta à quitter ce lieu avec Joshua et Neeko. Mais Kaze les interpella, souhaitant s'adresser au primitif :

« Je regrette qu'on ne puisse pas faire plus ample connaissance à cause de tout ce qui se passe en ce moment. Mais lorsque les choses s'arrangeront, je t'inviterai dans un chic resto du coin ! Je suis vraiment curieux à ton sujet et tu m'as l'air d'être un mec bien. »

Son interlocuteur ne sut quoi répondre. Il se montra ravi d'une telle proposition de sa part, mais semblait intimidé par son statut de chef de gang malgré sa gentillesse. Il hocha toutefois affirmativement la tête pour montrer son accord vis-à-vis d'une telle sortie, si l'occasion se présentait. Après tout, le district Susanoo lui plaisait. Alors pourquoi pas un dîner dans l'un de ses restaurants ? Même s'il aurait préféré une compagnie qu'il connaissait déjà, comme Kei.

 

*

 

Le duo, accompagné de Neeko, quitta le QG du gang Shuriken. Mais il ne regagna pas le vaisseau de Kei tout de suite. Celui-ci désirait s'attarder dans cette partie du district Susanoo, et la faire découvrir à Joshua. Ainsi, ils parcoururent les trottoirs transparents du secteur, passant devant divers établissements tels que des restaurants traditionnels japonais, des instituts de bien-être et de beauté, des librairies numériques, des boutiques de vêtements ou encore des magasins de souvenirs.

Les deux hommes et l'Ai-pet s'attardèrent dans l'un de ces derniers. Les objets vendus étaient variés et à des prix plutôt abordables. Il y avait de tout : des babioles décoratives, des bijoux artisanaux, des tableaux holographiques faisant défiler un diaporama d'illustrations, des tasses aux couleurs changeant en fonction de la boisson qu'on y mettait, des book-glasses renfermant principalement des contes fantastiques, et plein d'autres.

Un article en particulier attira l'attention de Joshua : un projecteur holographique portable montrant la planète de Calreon, entourée de ses trois lunes gravitant autour. Le rendu était magnifique à voir, d'autant plus qu'il était possible de grossir ou de rétrécir cette projection. Pour décorer une chambre, c'était l'idéal. Mais il coûtait trois-cent euyens.

« Dommage, murmura Joshua avec regret.

— Pourquoi dommage ? lui demanda Kei en saisissant l'objet. Je peux te l'acheter si tu veux !

— Tu as acheté suffisamment de choses pour moi. Et puis ce n'est pas un objet uti... Kei ? »

Son compagnon partait déjà vers les caisses automatiques. Joshua le rattrapa avant de lui parler à voix basse :

« Tu... vas vraiment l'acheter ?

— Bah quoi ? Tu m'as l'air d'adorer ce truc, alors je veux bien te l'offrir !

— Hum... »

Joshua ignorait s'il voulait le laisser lui payer ce projecteur. Kei en avait déjà fait tant pour lui ! Il ne savait même pas comment lui rendre la pareille !

« C'est juste un cadeau que je te fais, Josh ! Tu ne me dois rien, et ça me fait plaisir de te l'acheter.

— Un cadeau ne se refuse pas ! » enrichit Neeko en montant sur l'épaule du brun avec une étoile sur sa face. Devant l’entêtement de Kei, Joshua, résigné, accepta ce présent. Il ne pensait vraiment pas que son hôte lui offrirait un tel objet. Encore moins en ce jour. Mais le jeune homme mentirait en affirmant que ce geste ne lui plaisait pas.

Une fois l'achat effectué, le duo masculin parcourut les rues du district. Ils mangèrent dans un stand proposant des nouilles sautées délicieuses et peu chères, alors que la nuit tombait progressivement. La journée était passée si vite que les deux hommes s'en retrouvaient dépaysés. Mais il était temps de rentrer.

À bord du vaisseau, Joshua contempla l'hologramme de son mini-projecteur, sous les yeux de Neeko, posée sur ses genoux. Kei se concentra sur la circulation. Tandis qu'il prenait un peu d'altitude, il remarqua plusieurs silhouettes humaines sauter d'immeubles en immeubles en se servant de gadgets et d'objets technologiques.

« Hé, matez ça ! » fit-il à l'adresse des deux autres, qui découvrirent à leur tour ce spectacle peu commun. Ces gens étaient une dizaine, tous vêtus de combinaisons de ninjas noir et violet.

« Des membres du gang Shuriken ? questionna Joshua.

— On dirait, oui ! répondit Neeko. Ils ont peut-être trouvé une piste concernant Hayate !

— J'espère que c'est vraiment le cas... » parla Kei d'une faible voix qui trahissait son angoisse. Il resserra sa prise sur le volant et fronça des sourcils. Ses yeux ne lâchaient pas le trafic aérien. Un silence s'installa dans le véhicule tandis que Neeko affichait une émoticône attristée. Quant à Joshua, il éteignit son projecteur avant de se tourner vers son aîné.

« Tu as dit à Kaze que Ryo et toi lui faisiez confiance. S'il t'a promis de tout faire pour retrouver Hayate, il le fera. À vue d'œil, il m'avait l'air déterminé à t'aider. Alors, garde espoir, d'accord ? Ça ne sert à rien de s'inquiéter à ce point. Je veux dire : ça ne changera rien à ce qu'il se passera. Alors autant être optimiste, non ?

— Un excès d'optimisme mène souvent à une immense déception, tu sais ? »

Joshua ne releva pas. Habitué à voir Kei jovial et décontracté, il s'étonnait de le découvrir aussi pessimiste et stressé. Hayate devait vraiment compter pour lui, s'il s'en souciait à ce point. Le plus jeune ne sut comment lui remonter son moral. Et à en juger par les trois points de suspension visibles sur l'écran de Neeko, celle-ci ignorait également comment réconforter son maître. Ce fut dans un silence assez gênant que le trajet jusqu'à l'appartement du hacker s'effectua.

 

*

 

Une heure après leur retour à l'appartement, l'ai-pet félin s'était déjà mis en veille, allongé sur le canapé du salon. Joshua, assis sur le lit de la chambre, contemplait les casques à réalité virtuelle qu'il avait déposés sur le matelas. Pendant que Kei se douchait, l'autre avait eu l'idée d'un trip virtuel, comme celui de la dernière fois. Il souhaitait tout de même éviter la vision de la destruction de la Terre pour ne pas raviver ses traumatismes. Mais il voulait rendre à Kei le sourire qu'il avait perdu, ne serait-ce que pendant quelques minutes.

Celui-ci entra dans la chambre, uniquement vêtu d'un bermuda vert kaki, avec une serviette blanche posée sur ses mèches humides. Il ne cacha pas son étonnement face à Joshua qui préparait les casques.

« T'as envie d'un trip virtuel ? Je pensais que tu ne voulais plus toucher à ces casques.

— La plage qu'on a vue la dernière fois était vraiment pas mal. J'ai bien envie de la revoir ! Et je me disais que ça pourrait te changer les idées. »

Le plus âgé appréciait l'attention à son égard. Pour cette simple raison, il accepta. C'était toujours mieux que de s'allonger en attendant un sommeil qui ne viendrait pas immédiatement. Les deux hommes s'allongèrent donc avec les casques sur leurs têtes, avant de les activer et de sélectionner la plage tropicale dont parlait Joshua.

Celle-ci n'avait pas changé par rapport à leur dernière visite. Un soleil radieux au milieu d'une voûte azurée peu nuageuse, le sable clair et fin, la mer calme, le vent marin rafraîchissant, les quelques palmiers ou cocotiers qui apportaient un peu d'ombre, le chant des oiseaux environnants...

C'était littéralement le paradis. Même s'il n'existait que virtuellement, cet environnement estival et calme changeait drastiquement du paysage urbain et bruyant de Neo-Tokyo. Et ni Kei ni Joshua ne cachèrent leur apaisement en se rendant ici.

L'argenté s'approcha de l'étendue d'eau avant de s'asseoir au sol, laissant les petites vaguelettes onduler jusqu'à ses pieds sans pour autant les toucher. Une sensation agréable se dégageait de cette expérience.

« Tu m'avais dit avoir déjà vu ce genre de paysage à Calreon.

— Plusieurs fois, oui, acquiesça son cadet en se plaçant à ses côtés. Mais ce n'est pas vraiment la porte à côté. Comme je te l'ai dit, avec ma famille, on a voyagé sur de longues distances. On a vu des plages, mais aussi des lacs, des montagnes et des grandes forêts. On a séjourné dans plusieurs villages bâtis dans ces coins.

— Combien de village il y a, à l'extérieur de Neo-Tokyo ?

— Beaucoup. J'ai dû en visiter une bonne vingtaine, mais je pense qu'il y en a beaucoup plus. Chacun avec ses spécificités et son fonctionnement. Par contre, ils ne sont pas aussi immenses et technologiquement développés que Neo-Tokyo.

— Ça, je m'en doute ! rit gentiment l'homme au teint foncé avant de tourner ses yeux vers le ciel. Tu sais, ce genre de simulation me donne vraiment envie de voir de mes yeux comment c'est, à l'extérieur de la mégalopole. J'aimerais voir en vrai les créatures qu'on y trouve ! Pour tout te dire, on est complètement ignorant à leur sujet.

— Sérieux ? »

Joshua le regardait, ébahi. Les habitants de Neo-Tokyo, malgré leur technologie sur-développée, ne connaissaient rien de la nature sauvage qui les entourait.

« Disons que seules les élites et certains scientifiques de Neo-Tokyo connaissent. Mais la majorité de la ville ne sait rien de la géographie, de la faune et de la flore de cette planète. Par contre, on nous enseigne sans problème celles d'une planète que l'humanité a détruite, il y a plus de six mille ans.

— Mais... pourquoi ? Ça me surprend parce que vous êtes plutôt du genre à vouloir tout savoir et tout contrôler.

— Les hauts dirigeants savent pas mal de choses et contrôlent la population qui fait vivre leur ville. Je suppose qu'ils nous préservent d'une telle connaissance pour nous dissuader de quitter Neo-Tokyo, et empêcher des conflits comme ceux ayant entraîné la destruction de la terre de nos ancêtres. Ils veulent nous faire croire que c'est pour nous protéger et pour protéger la planète. Mais c'est surtout pour protéger leurs postes à eux. Quant à la protection de la planète... je pense qu'on est bien plus pollueurs que tous les villages de Calreon réunis. J'ai envie de dire : heureusement qu'il n'y a que Neo-Tokyo. Si d'autres mégalopoles du même acabit s'établissaient aux quatre coins de cette planète, elle finirait dans le même état que la Terre, à la longue. »

Joshua demeura silencieux. Il pensait remonter le moral de son interlocuteur, mais ce trip virtuel n'avait pas l'effet escompté. Kei semblait amer de la situation générale de sa mégalopole. Non seulement par rapport aux crimes de la Kai-Riu, mais aussi à la vie qu'on leur imposait. Certes, elle était confortable et amusante avec toute la technologie proposée. Et encore, cela dépendait pour qui. Mais d'une manière ou d'une autre, la population de cette immense cité était prisonnière malgré elle, sans réelle possibilité de se libérer. Pire : cela n'avait pas l'air de déranger grand monde. Le brun ressentit une certaine peine vis-à-vis des citoyens, et surtout vis-à-vis de Kei qui avait conscience de ce fait, mais qui ne pouvait rien faire pour y remédier.

« Si j'ai réussi à m'infiltrer dans votre ville, je pense qu'il y a moyen de s'enfuir.

— C'est vrai que tu ne m'as toujours pas raconté comment tu t'y es pris, pour arriver jusqu'à Amaterasu sans te faire attraper !

— Je te propose un deal, Kei : lorsqu'on aura envoyé la Kai-Riu au tapis, je t'emmène jusqu'à l'endroit par où je suis passé. Et si c'est possible, on sort de Neo-Tokyo ! »

Les pupilles brunes de son aîné s'écarquillèrent. Il ne s'était pas attendu à une telle proposition en cette soirée. Son rythme cardiaque s'accéléra alors qu'il fixait l'autre dans les yeux. Une certaine montée d'adrénaline l'envahit en s'imaginant poser les pieds en dehors de cette mégalopole, où il avait toujours vécu.

Doucement, son visage s'illumina et un léger rictus étira ses lèvres, à la grande joie de Joshua.

« Tu viens de me donner une superbe motivation pour faire tomber cette société de merde qu'est la Kai-Riu. Vivement ce jour, pour qu'on puisse aller explorer l'extérieur !

— Donc, c'est deal ? » demanda le brun en lui présentant son poing. Sans hésiter, Kei ferma sa main en un poing et cogna ce dernier contre celui de Joshua.

« Deal ! »

La promesse était officielle. Ensemble, ils provoqueraient la chute de leur ennemi commun. Et ensemble, ils exploreraient les paysages verdoyants qu'offrait leur planète. Aucun de ces objectifs n'était simple à atteindre, mais les deux hommes feraient tout pour les accomplir, à commencer par sauver Hayate et les adolescentes disparues.

Tous deux se tournèrent de concert vers l'horizon qui s'offrait à eux, bercés par le silence apaisant. Le moral général était en hausse suite à cette conversation, et même grâce à la visite de Susanoo quelques heures auparavant. Kei tourna discrètement sa tête vers son compagnon sans perdre son sourire. L'une de ses pensées se confirmait davantage en cet instant : la présence de Joshua lui était bénéfique, voire cathartique. Il était heureux de l'avoir rencontré et ne regrettait pas de l'avoir sauvé.

« Kei, je peux te poser une question qui n'a rien à voir avec tout ça ? Par contre, euh... Disons que c'est un peu gênant. »

Joshua se grattait nerveusement la joue, ce qui intrigua le hacker.

« D'après ce que j'ai compris... Toi et Kaze avez couché ensemble, pas vrai ? Vu que vous êtes deux hommes... Comment ça se passe, exactement ? »

Le concerné cligna des paupières à plusieurs reprises et sans rien dire, tant il était éberlué par une telle interrogation. Sa joyeuse mine laissa place à un air à la fois gêné et blasé :

« Sérieux, Josh ?

— Tu... Tu n'es pas obligé de répondre si tu ne veux pas, hein ?

— Primo, on n'a jamais couché ensemble, lui et moi ! Secundo, y a pas moyen que je t'explique maintenant comment deux hommes peuvent coucher ensemble ! Et tertio, what the fuck ?! Qu'est-ce qui te prend de me poser une question pareille ?!

— Plains-toi à mon ignorance et à ma curiosité ! Jusqu'à récemment, j'ignorais que deux hommes pouvaient... faire ce que tu sais. »

Le plus jeune haussa des épaules en le regardant. Toujours à moitié las d'aussi peu de jugeote de sa part, Kei lui tira l'oreille sans lui faire mal.

« Tu choisis mal tes heures pour ce genre de sujet ! Notre moment était super agréable ! Pourquoi le ruiner avec... du cul entre mecs ? C'est grave gênant de te parler de ça de cette manière, en plus ! J'étais pas prêt, moi !

— Oui, bon, je m'excuse ! Lâche mon oreille s'il te plaît ! »

Mais l'informaticien n'en avait pas envie. Même, il voulait aller plus loin pour faire payer à Joshua son affront. En un geste bien maîtrisé, il immobilisa le brun face contre terre. Celui-ci, pris par surprise, tenta de se débattre. Mais en sentant Kei relever son pied nu pour lui faire des chatouilles à ce niveau, il explosa de rire en gigotant vivement.

« Aaaaah ! Kei, non ! Arrête ! Ha ha ha ha ! »

Son « tortionnaire » ne s'arrêta qu'au bout d'une minute semblant éternelle. Lorsqu'il le relâcha, il contempla un Joshua couché contre le sable, haletant et riant comme il ne l'avait jamais fait depuis qu'ils se connaissaient. Un sourire satisfait apparut sur la figure de Kei tandis qu'il se relevait. Il lui tendit ensuite la main pour l'aider à se remettre debout. Après ce moment de détente et d'amusement, il était temps d'arrêter cette simulation pour aller dormir.

Chapter 13: Tentative de sauvetage

Chapter Text

Les néons et lumières de Neo-Tokyo s'éteignaient au fil du soleil levant. Kei, Joshua et Neeko s'étaient réveillés depuis une heure. Le premier préparait le petit-déjeuner du jour. Le second, à moitié allongé sur le canapé du salon, portait une paire de book-glasses sur son nez. Et la dernière, assise non loin de lui, regardait le téléviseur projeté.

« Tu m'as l'air de bien apprécier l'expérience qu'offrent ces lunettes, parla Kei en coupant quelques légumes en morceaux.

— C'est une façon particulière et plutôt amusante de découvrir une histoire. Chez nous, on a l'habitude de lire des livres écrits. Mais j'ignorais qu'il existait des lunettes capables de raconter une histoire en combinant du texte et des illustrations de façon automatique.

— Certaines peuvent même te mettre une ambiance sonore en plus. Mais elles coûtent plus cher, et ce ne sont pas toutes les fictions qui bénéficient de cette option. D'ailleurs, c'est quoi l'histoire que t'es en train de mater ?

— D'après ce que j'ai compris des chapitres que j'ai visionnés, ça parle d'un assassin d'une organisation secrète qui a pour mission de tuer une princesse. Mais la princesse en question est une amie d'enfance à lui, ce qui fait qu'il a des difficultés à accomplir l'objectif qu'on lui a imposé.

— Oh, d'après une rapide recherche, tu es en train de visionner Mortem Regis ! expliqua Neeko avec une émoticône souriante. Une histoire écrite à l'époque de vos ancêtres sur Terre ! Sa restauration puis son adaptation au format des book-glasses sont assez récentes.

— Je l'ai visionnée l'année dernière, confia Kei avec un sourire en préparant des bols. Ce n'est que la première partie sur six. La deuxième est sortie il y a quelques mois. Il faudrait que je me la procure. J'avais bien aimé l'univers et les personnages.

— C'est vrai que c'est plutôt intéress... Aaah ! » hurla tout à coup le brun en bondissant sur place tout en ôtant brusquement les lunettes, faisant sursauter Neeko. Il venait de voir plusieurs grands loups brillants en pleine nuit lui sauter dessus de manière agressive. Le visuel paraissait tellement réaliste qu'il avait vraiment cru se faire attaquer par une meute de cette étrange espèce. Kei ne put s'empêcher de rire gentiment :

« Si des loups fluorescents te font déjà peur à ce point, qu'est-ce que ce sera quand les personnages de cette histoire feront face à un serpent géant dans un désert ?

— Il y a vraiment un serpent géant dans ce truc ?!

— Dans l'histoire originale, le serpent géant n'est pas la pire créature que les protagonistes rencontrent. » expliqua l'ai-pet en se rapprochant de lui. La panique de Joshua s'apaisa, mais il n'avait pas envie de continuer le visionnage de cette fiction. Déjà qu'il avait une peur bleue des serpents, s'il devait faire face à un possédant une taille démesurée, même virtuel, il ignorait si son cœur tiendrait le coup. Et si Neeko disait vrai, il n'était pas curieux de découvrir les horribles monstres peuplant cet univers.

Tout à coup, une sonnerie retentit, figeant tout le monde durant une seconde. C'était le cellulaire de Kei posé sur le canapé à côté de Joshua. Celui-ci le prit et l'envoya vers son hôte qui l'attrapa d'une main, avant d'observer l'identité de l'émetteur. Le numéro n'était pas répertorié dans sa liste de contact, mais il décrocha tout de même.

« Allô ?

— Salut Kei, répondit la voix de Kaze. Désolé de t'appeler sous un numéro masqué. J'utilise une ligne complètement privée, qui disparaîtra sans laisser de traces au moment où la communication sera coupée.

— Je comprends. Si tu utilises cette méthode, je suppose que c'est pour me parler d'un sujet sensible, pas vrai ?

— Effectivement. Après toute une nuit de recherche, nous sommes parvenus à localiser Hayate, ainsi que Saki et Ayane, les deux adolescentes disparues que Masato a souillé.

— Ok, tu as toute mon attention ! Où sont-ils ? »

Le chef du gang Shuriken l'informa qu'ils étaient tous trois détenus dans un niveau inférieur d'un bâtiment du district Susanoo. Selon une source personnelle, cette tour appartiendrait officieusement à la Kai-Riu, qui l'utiliserait principalement pour avoir une mainmise sur cette partie de Neo-Tokyo, et garder sous surveillance les personnes qu'elle juge gênantes, sans pour autant attirer l'attention du voisinage.

« Par contre, intervenir pour les libérer va être assez complexe. Je veux bien y aller dans la soirée, mais je serai le seul de ma bande. C'est trop risqué pour nous d'y aller en étant nombreux, malgré nos talents pour la discrétion. Si on se fait attraper, tout notre gang risque d'être éliminé.

— Je veux en être, moi aussi ! Hors de question que tu y ailles tout seul ! Et s'il y a une sécurité à désactiver, je suis le plus calé dans le domaine.

— J'ai l'impression d'entendre Ryo ! Elle veut aussi venir et m'a sorti une raison similaire.

— Ça ne m'étonne pas d'elle. Elle tient à Hayate autant que nous.

— Tu comptes mêler ton copain à cette mission ?

— Je ne sais pas. Tout dépendra de lui. Je ne veux pas le mettre en danger, mais la décision lui revient à lui seul.

— Très bien. Qu'il vienne ou non, fait en sorte d'être prêt pour ce soir. Je passerai te chercher avec Ryo. On réfléchira à un plan à ce moment-là. »

Le jeune homme acquiesça avant de le remercier de son aide et de le saluer. Kaze coupa alors l'appel, et l'argenté déposa son cellulaire sur la table devant lui.

« C'était qui ? demanda Neeko en affichant un point d'interrogation.

— Kaze. Il sait où se trouve Hayate et les adolescentes disparues. Lui et Ryo ont prévu d'aller les libérer ce soir et ils passeront me chercher ici.

— Juste toi ? demanda Joshua.

— Je vais être honnête, Josh : je ne sais pas si c'est une bonne idée de...

— Je te rappelle qu'on a infiltré le lieu d'une réunion organisée par l'une des têtes de la Kai-Riu, le coupa le plus jeune en croisant les bras. Et on n’était que deux ! Je pense que sauver Hayate et les deux filles à quatre est tout autant faisable. »

Il voulait donc y participer, lui aussi. Kei aurait préféré le voir rester dans l'appartement avec Neeko. Contrairement à leur opération de l'autre soir, plusieurs vies étaient en jeu. Et cette fois, ils se rendaient en territoire ennemi. Ce qui allait se passer dans les prochaines heures serait bien plus dangereux. Mais Joshua n'en avait cure. Il n'était pas venu à Neo-Tokyo pour patienter sagement entre les murs d'une résidence. Il souhaitait activement participer aux activités permettant la chute de la Kai-Riu et tenait à aider Hayate, qu'il avait apprécié durant le peu de temps passé en sa compagnie.

« Et puis, je vois à quel point tu tiens à ce type. Alors si je peux t'aider à la sauver, je n'hésite pas. »

Les lèvres de Kei s'étirèrent en un tendre sourire. Il admirait la compassion et la solidarité dont faisait preuve son réfugié. Pour quelqu'un qui n'appréciait pas beaucoup la mentalité des habitants de Neo-Tokyo, Joshua se montrait empathique et prenait le temps de les comprendre, voire de les apprécier petit à petit, au point de les défendre si besoin.

« Je continue à penser qu'il serait plus sage que tu restes à la maison. Mais je ne te cache pas d’être agréablement surpris de ta décision.

— Quand plusieurs personnes sont en danger, il est normal d'aller les aider, non ? Je ne vois pas pourquoi mon choix te surprend, mais ravi que ça te fasse plaisir ! »

Son homologue acquiesça par un hochement de tête, avant de demander à Neeko de faire des recherches sur leur prochaine destination. Il souhaitait avoir, si possible, un plan détaillé des niveaux inférieurs de la tour, ainsi que le niveau de sécurité déployé. Cela l'aiderait à bien sélectionner le matériel à emporter avec lui. L'Ai-pet s'exécuta tandis que Kei demanda à Joshua de l'aider à préparer les assiettes et les couverts.

Pendant que le brun s'attelait à cette tâche sans broncher, l'autre utilisa à nouveau son cellulaire pour appeler Ryo.

« Kei ? » s'éleva la voix de cette dernière à l'autre bout du fil. Le jeune homme mit le haut-parleur pour que Joshua puisse l'entendre, et éventuellement lui parler si besoin.

« Je viens d'avoir Kaze au téléphone. Je lui ai proposé de venir pour ce que tu sais. Il m'a dit que tu voulais en être, toi aussi.

— C'est le cas, oui. Je ne pouvais pas le laisser y aller seul, et je pense que mes compétences en matière de défense et de mécano peuvent aider ! Combinés à ton savoir dans le domaine de l'informatique, je pense qu'on formera un bon trio.

— Rajoute Josh dans le groupe. Il souhaite également participer.

— Kei, je ne pense pas que ce soit une bonne...

— J'ai des compétences en défense moi aussi ! se défendit Joshua en boudant presque. Et je te rappelle qu'avec Kei, on a... Hmf ! »

L'argenté s'était précipité jusqu'à lui pour plaquer sa main sur sa bouche et le faire taire.

« N'en dis pas trop, idiot ! murmura-t-il. Tu veux que les autorités nous arrêtent avant même qu'on puisse agir, ou quoi ? »

Joshua écarquilla ses yeux de surprise, mais n'osa ni se mouvoir ni parler alors que la main de Kei ne bougeait pas de sa position.

« Bref ! reprit l'argenté à l'adresse de Ryo. Ne t'inquiète pas pour Joshua. Je l'ai vu à l'œuvre : il est plus débrouillard qu'on pourrait le croire.

— Soit. Je continue à penser que ce n'est pas une bonne idée. Mais vu qu'il insiste et que tu ne comptes pas l'empêcher de venir, je ne peux que m'y résoudre. On va dire que ça fera un quatrième cerveau dans le groupe !

— Alors adjugé ! On vous attendra au moment et à l'endroit prévus. »

Ryo acquiesça et s'apprêta à raccrocher, mais Kei la freina pour lui poser une question.

« Comment va Nat', depuis ?

— Son état s'est empiré. Pas au point d'être hospitalisée, mais elle a vraiment besoin de repos. Elle n'est même pas au courant de la situation. Kaze a jugé bon de la préserver tant qu'on n'aura pas réglé ce problème, et je partage son avis. Et puis, elle est entre de bonnes mains chez des amis à nous.

— Je vois. Merci pour les nouvelles la concernant. Souhaite-lui un bon rétablissement de ma paAAAAÏE ! »

Le jeune homme sentit brusquement la douleur des dents de Joshua s'enfonçant dans la chair de sa paume, et ôta aussitôt sa main de sa bouche.

« Mais... Ça va pas, non ?! Qu'est-ce qui t'a pris ?! demanda vivement l'hôte en essuyant le peu de salive sur son t-shirt.

— Kei ? Tout va bien ? » demanda une Ryo confuse pendant que Joshua offrait à Kei son air le plus blasé. Le concerné soupira :

« Ce n'est rien. Juste un grand sauvageon qui m'a mordu.

— Pardon ?

— Un sauvageon ? répéta Joshua à voix basse en haussant un sourcil vexé.

— Cherche pas à comprendre, Ryo ! On sera prêt pour le moment venu. D'ici là, passe une bonne journée.

— Toi et Joshua aussi, je suppose ? » fit la rousse, encore troublée. Mais Kei raccrocha avant de déposer son cellulaire et d'observer Joshua. Le brun, qui voyait déjà l'argenté venir, haussa les épaules :

« Tu n'enlevais pas ta main de ma bouche. J'ai dû trouver un moyen de m'en libérer.

— En me mordant ?

— J'hésitais entre ça et un coup de genou dans tes parties. »

Ce fut autour du hacker d'avoir une expression lasse devant une telle justification. Était-il sérieux ou le taquinait-il en parlant du coup visant son entrejambe ? L'aîné préféra ne pas chercher à comprendre et termina sa préparation du petit-déjeuner avec lui.

Pendant que le duo s'était attablé sur le canapé, Neeko leur confia avoir trouvé l'adresse du bâtiment dans lequel ils devaient s'infiltrer. Mais aucun plan de cet édifice n'était trouvable dans sa base de données. Par contre, elle avait tenté d'accéder jusqu'à son système numérique pour jauger la sécurité des lieux : elle était élevée, mais comportait quelques failles dans les niveaux inférieurs que Kei pouvait facilement déjouer.

« Ça m'étonne un peu, quand même ! confia le hacker après une gorgée d'eau. Pourquoi enfermer des prisonniers dans la partie du bâtiment la moins bien protégée ? Si la Kai-Riu souhaitait vraiment que personne ne les libère, ce serait dans les étages les plus supérieurs qu'ils les auraient retenus.

— Peut-être que cette société souhaite rester discrète dans cette affaire ? supposa Neeko. Peut-être aussi qu'ils ne veulent pas qu'Hayate, Ayane et Saki soient captifs dans des conditions trop confortables ? Si l'un des fondateurs de cette entreprise a été suffisamment cruel pour abuser de deux adolescentes, cette seconde hypothèse ne me surprendrait pas.

— Personnellement, je ne m'en plains pas, intervint Joshua après avoir avalé une bouchée de crudités. Si ça nous facilite la tâche, autant en profiter.

— Justement, est-ce que ça va vraiment nous faciliter la tâche ? questionna Kei. C'est pas impossible qu'un piège soit tendu pour ceux qui tentent d'infiltrer cet endroit. Ça expliquerait pourquoi Neeko ne trouve pas beaucoup d'infos là-dessus.

— Est-ce donc sage de nous précipiter ? »

La question du primitif était légitime. L'opération devait se dérouler dans la soirée et pour le moment, le groupe n'avait aucun plan d'attaque concret et peu de précisions concernant la tour à pénétrer. Ils savaient juste qu'ils devaient parcourir les niveaux les plus inférieurs pour retrouver les personnes à libérer, et que le système de sécurité à ces étages comportait quelques faiblesses. Mais de quel genre ? Et à quel niveau précisément Hayate et les autres étaient-ils détenus ?

Kei et ses compagnons n'étaient pas suffisamment préparés pour être sûrs d'atteindre leur but. Mais d'un autre côté, ils ne pouvaient pas se permettre de perdre du temps. La Kai-Riu était capable d'éliminer ses prisonniers pour les faire définitivement taire, et ainsi écarter toute menace pouvant leur nuire. L'argenté ne voulait pas qu'une telle tragédie se produise et Joshua l'avait bien compris.

Ce fut pour cette raison que le reste de la journée se passa sur les préparatifs de cette opération. Les deux jeunes hommes s'étaient accordé une séance d'entraînement dans le simulateur de combat pour se préparer physiquement et mentalement. Ils réfléchirent également à divers angles d'approche pour déjouer la surveillance et entrer dans l'édifice sans se faire repérer, en prenant en compte les capacités de chaque membre du groupe. Enfin, ils s'accordèrent deux heures de sieste dans l'après-midi pour se détendre un minimum et être en forme pour le moment venu.

 

*

 

La nuit tomba progressivement. Kei et Joshua avaient revêtu les tenues noires utilisées lors de leur coup contre Chikara. Leur capacité d'invisibilité pouvait s'avérer pratique. Chacun portait un sac à dos avec du matériel de hacking. L'informaticien avait également enfilé ses bagues électriques chargées à ses doigts, et donné quelques shuriken à têtes chercheuses à Joshua afin de ne pas le laisser sans arme. Avant de quitter l'appartement, l'argenté s'adressa à Neeko qui s'était rapprochée.

« Souhaite-nous bonne chance, Neeko ! On essayera de ne pas trop tarder. D'ici là, prends soin de la maison.

— D'accord ! répliqua l'intelligence artificielle en affichant un cœur. Soyez prudents, et sauvez Hayate et les autres ! Si vous avez besoin de mon aide pour une information, n'hésitez pas à me contacter ! »

Touché par la dévotion et la solidarité de son Ai-pet félin, Kei s'abaissa à sa hauteur pour caresser ses poils roses. D'autres cœurs s'ajoutèrent sur le moniteur de Neeko, qui appréciait visiblement ce geste affectif. Joshua sourit tendrement devant une telle scène. Plus les jours passaient, plus il se prenait d'affection pour cette entité pourtant artificielle et pour son lien avec Kei, qui n'avait rien à envier à celui d'un maître avec son animal domestique.

Hélas, Kei dut écourter ce moment de douceur pour rejoindre Kaze et Ryo, qui les attendaient sans doute déjà au parking. Le duo sortit donc de l'appartement pour s’y rendre.

Non loin de la place réservée au vaisseau personnel du hacker, stationnait un fourgon complètement noir. Kaze était assis au volant et Ryo se trouvait sur le siège passager, tous deux vêtus de combinaisons similaires aux leurs. La porte de la banquette arrière s'ouvrit automatiquement. Le chef du gang Shuriken invita le duo à embarquer.

Aussitôt à bord, le véhicule décolla pour quitter le parking et se mêler au trafic.

« Comment vous vous sentez ? demanda Kaze sans lâcher l'avant de son véhicule du regard.

— Un peu nerveuse, je ne vais pas te mentir ! avoua Ryo, les bras croisés avec son index tapotant frénétiquement son bras.

— C'est compréhensible et je suis un peu comme toi, confia Kei. Après tout, on ne sait pas vraiment à quoi nous attendre et on risque gros, si on foire notre coup.

— Et toi, Joshua ? demanda Kaze en le regardant dans son rétroviseur.

— Je... ne sais pas. Dire que ça ne me stresse pas serait mentir, mais je ne me sens pas aussi angoissé que vous. Au point où on en est, je pense qu'avoir peur ne change rien au fait qu'on va devoir se démener pour espérer sauver Hayate et les deux jeunes filles avec lui. Autant foncer et donner tout ce qu'on a pour faire ce qu'on a à faire. Et si on échoue, on ne regrettera pas d'avoir essayé. »

Un silence s'ensuivit. Les trois autres semblaient complètement abasourdis par ce qu'il venait de dire. Leur mutisme soudain mit Joshua légèrement mal à l'aise.

« Quoi ? J'ai dit quelque chose qui fallait pas ? »

Quelques secondes plus tard, Ryo rit discrètement et gentiment pendant qu'un rictus confiant étirait les lèvres de Kaze. Quant à Kei, il adressa un grand sourire à Joshua.

« Au contraire, je crois que tu nous as donné une bonne dose de motivation, là ! Dans ce genre de situation à Neo-Tokyo, on n'a pas l'habitude d'être aussi optimiste.

— Même Natsu n'aurait pas fait preuve d'autant d'espoir dans un moment pareil, raconta Ryo en se retournant pour regarder le brun. Je ne sais pas si c'est ta personnalité ou si c'est une mentalité propre aux primitifs, mais le contraste est assez flagrant. Et plutôt bienvenu, je dois avouer !

— Merci pour le compliment ? Je crois ? »

Kaze et Ryo le remercièrent pour ces quelques mots stimulants pendant que Kei ébouriffait doucement ses mèches brunes en guise de gratitude. En peu de phrases, Joshua avait fourni le surplus de courage et de confiance dont ils avaient besoin, pour se concentrer et mener à bien leur mission.

Ainsi, alors que le moral général connaissait une légère hausse grâce à l'espoir insufflée par Joshua, Kaze profita du trajet pour exposer un plan qu'il avait mis au point avec Ryo depuis quelques heures. Une façade du bâtiment était bien moins surveillée dans les niveaux inférieurs. Sachant que son fourgon pouvait devenir invisible pendant un quart d'heure, il pouvait se garer devant une porte d'entrée. À partir de ce moment, ils n'auraient que peu de temps pour ouvrir celle-ci, parcourir les corridors pour retrouver Hayate et les autres, remonter dans le vaisseau et déguerpir en vitesse.

« Ça parait court dit comme ça, mais je possède une paire de lunettes à caméra thermique, qui me permettra, avant même de me garer, de repérer les endroits où il y a du mouvement. Et combiné à un scanner intégré, je peux identifier rapidement les personnes que je repère. Ça nous permettra de gagner du temps. Après, ce sera à Kei et à Ryo de déjouer le système informatique de sécurité, pendant que je m'occuperai de les couvrir avec Joshua. Par contre, je préfère vous le dire tout de suite : on n'aura pas le droit à l'erreur. Si on nous repère d'une manière ou d'une autre et qu'une alarme se déclenche, on devra abandonner et retourner au fourgon. Si on nous en laissera le temps... »

Une certaine angoisse regagna le groupe, mais un tel rappel était nécessaire pour comprendre dans quoi ils s'engageaient et les risques encourus. Toutefois, cela ne freina pas le groupe pour autant, qui se tenait déjà prêt à débarquer aussitôt la destination atteinte.

 

*

 

Quelques instants plus tard, le bâtiment à infiltrer se dévoilait à plusieurs centaines de mètres. Kaze enfila ses lunettes à caméra thermique avant de diriger son vaisseau dans les niveaux les plus inférieurs du secteur. Après avoir contourné la bâtisse, il repéra rapidement l'emplacement de trois sources de chaleur humaine. En les scannant, il confirma les identités de leurs propriétaires : Hanabusa Hayate, Midori Ayane et Kohana Saki. Selon le chef des Shuriken, ils étaient seuls sans personne autour d'eux pour les surveiller, malgré la présence de rares individus plus loin. L'étage dans lequel ils étaient retenus captifs semblait désert.

« C'est bizarre, quand même, confia Ryo, dubitative.

— Si ça nous permet de les libérer plus facilement, profitons-en ! » affirma Kei pendant que Kaze se garait à côté d'une porte après avoir rendu son fourgon invisible.

« C'est l'accès qui nous permettra de les atteindre rapidement, expliqua l'homme aux cheveux de jais. On n'a pas beaucoup de temps.

— Alors faisons ça vite et bien ! » fit la rousse en activant le camouflage de sa combinaison, tout comme les trois autres. Le quatuor descendit ensuite du vaisseau pour s'approcher de la porte. Celle-ci était verrouillée par un scanner et un code d'accès. Mais Kei ne mit pas longtemps à déjouer ce système avec une petite console qu'il transportait, et parvint à ouvrir le passage.

L'intérieur de l'édifice était vide. Il n'y avait personne ni aucun robot qui patrouillait dans les environs, pas même des lasers pour dissuader quiconque de traverser les couloirs. Cependant, des caméras de surveillance étaient placées à des coins stratégiques. Étant donné leurs tenues qui leur offraient l'invisibilité, le groupe de Kei pouvait traverser le corridor sans se soucier de ces appareils. Mais ils seraient obligés de les désactiver une fois les prisonniers libérés.

Ce fut la raison pour laquelle Ryo prit les devant. À l'aide d'un petit pistolet, elle visa successivement les caméras et tira un rayon bleu. Ce dernier ne les paralysa pas. Cependant :

« Les images renvoyées sont figées pendant plusieurs minutes, assura-t-elle. Même si on désactivait nos tenues invisibles maintenant, ces caméras ne nous verront pas tant qu'ils sont sous l'effet de mon petit bijou.

— Bien joué, Ryo ! » la félicita Kei alors que le groupe continuait à avancer à ce rythme. Ils progressaient bien vite, guidés par Kaze. Ils arrivèrent rapidement devant une autre porte verrouillée à scanner. Sauf que celle-ci était gardée par deux hommes. Deux membres du gang Masamune, à en juger par leur tatouage de dragon rouge visible sur leur cou.

« Je peux m'en faire un, proposa Joshua.

— Dans ce cas, je m'occupe de l'autre. » fit Kaze qui se dirigeait déjà vers l'un des gardes. Ces derniers restaient à leur position, ne pouvant pas voir deux hommes sur le point de les assommer s'approcher d'eux. Leur surprise fut immense en sentant plusieurs coups de poings pleuvoir sur leurs visages et au niveau de l'abdomen et du ventre. Sans défense, le duo Masamune s'écroula au sol, inconscient.

« J'espère juste qu'on n'enverra pas d'autres mecs les remplacer pendant qu'on est là. » confia Kaze en regardant Kei et Ryo pirater le système de la porte pour débloquer son ouverture en deux minutes. Le corridor qu'il renfermait était différent de celui qu'ils venaient de traverser. De part et d'autre de l'allée, s'alignaient plusieurs cellules fermées par des vitres incassables. Il s'agissait de l'équivalent des prisons qu'on trouvait aux centres de détention de Neo-Tokyo. Mais pourquoi ce bâtiment en particulier en possédait ?

Le groupe ne s'attarda pas sur une telle question, et longea ce lieu jusqu'à tomber sur la cellule où se trouvaient Hayate et les deux adolescentes. Ils étaient enfermés là-dedans ensemble. Toutefois, tout trois, les yeux clos, étaient inertes. Le groupe désactiva le camouflage de leurs tenues.

« Hayate ? » l'appela Kei en s'approchant pour cogner la vitre avec ses poings. Mais Ryo le retint en lui faisant comprendre que toucher ce verre pouvait provoquer l'activation d'une alarme.

« Pourquoi ils sont dans cet état ? s'inquiéta Joshua. On dirait... qu'ils ne respirent plus !

— Quoi ? » fit l'argenté en le regardant. Kaze activa alors une fonctionnalité de sa paire de lunettes pour analyser la composition de l'air à l'intérieur de la cellule : quatre-vingt pour cent de gaz toxique. En examinant de plus près les trois prisonniers, le chef des Shuriken remarqua qu'ils étaient complètement immobiles.

« Bon sang... Non... murmura-t-il, la mâchoire serrée et les poings serrés.

— Kaze, qu'est-ce qui se passe? » demanda vivement Ryo. Son cadet hésita à lui répondre malgré l'évidence. Ses analyses ne faisaient place à aucun doute : Hayate et les deux victimes de Chikara avaient été tués par empoisonnement. Une telle nouvelle provoqua un effroi général.

« Tu nous fais une blague, hein ? » demanda Kei d'une voix tremblante. Malheureusement, son interlocuteur dévia son regard en guise de réponse. Ryo, les yeux écarquillés de terreur, porta ses mains devant sa bouche pour réprimer un cri de rage mêlé à de la tristesse. Joshua en fut tout aussi choqué. Il ne s'attendait pas à ce que la Kai-Riu exécute ces trois personnes sans ménagement. Voir le corps d'Hayate sans vie lui donnait des frissons de dégoût. Et voir les deux jeunes filles à ses côtés dans le même état lui rappelait ses deux défuntes sœurs, à qui on avait également ôté sauvagement la vie.

Il se tourna vers Kei, dont les larmes montaient en observant à nouveau Hayate. Le brun s'approcha de lui pour le réconforter, mais tout à coup, une alarme se déclencha et les lumières du couloir s'allumèrent en rouge.

« Ils savent qu'on est là ? questionna Joshua qui ne pensait pas rencontrer ce problème.

— Il faut qu'on se barre et vite ! » s'écria Kaze en sortant son cellulaire pour photographier les trois cadavres, afin d'avoir des preuves à l'encontre de la Kai-Riu. Il avait l'intention de dénoncer cette société devant tout Neo-Tokyo d'une manière ou d'une autre. Il s'apprêtait à s'enfuir, mais remarqua Kei et Ryo immobiles.

« Je sais que ce qu'il se passe est triste, mais on ne pourra pas les venger si on se fait capturer à notre tour ! »

Cette simple phrase ramena les deux à la raison, et le groupe détala en vitesse. Il refit tout le chemin dans le sens inverse jusqu'à atteindre le vaisseau. Ils embarquèrent tous en son intérieur, avant que Kaze ne décolle et ne s'éloigne le plus rapidement possible du bâtiment.

Ce fut à cet instant que Ryo laissa éclater sa tristesse, pleurant à chaudes larmes en songeant qu'elle venait de perdre un ami précieux. Kaze, à côté d'elle, ne put que poser sa main sur son épaule en guise de consolation. Mais il semblait tout aussi ébranlé par la perte brutale d'Hayate. Kei était également très affecté. Et même s'il ne sanglotait pas à l'instar de la rousse, les larmes glissant le long de ses joues témoignaient sa peine. Joshua frotta doucement son dos pour tenter de l'apaiser. Mais lui-même était attristé par le tragique sort d'Hayate et des deux adolescentes. Il n'osait pas imaginer comment réagiraient Natsu et les familles des victimes en apprenant la mort soudaine de leurs proches disparus.

Chapter 14: Un deuil difficile

Notes:

Le chapitre suivant celui-ci arrivera demain ! Désormais, la mise à jour de cette histoire ne se fera plus les vendredis, mais les samedis !
Bonne lecture, en espérant que cette histoire vous plaise ! x)

Chapter Text

Les rayons du soleil matinal éclairaient l'appartement de Kei depuis plusieurs heures. Joshua s'était habitué à une ambiance chaleureuse à cette heure de la journée, avec son hôte préparant le déjeuner, et lui et Neeko regardant le téléviseur ou s'adonnant à une autre activité du genre.

Malheureusement, suite aux événements de la nuit dernière, une telle atmosphère conviviale ne pouvait pas être au rendez-vous. Kei regardait le grand écran holographique d'un air morose, observant les informations défiler les unes après les autres. Aucune ne mentionnait la tragédie ayant frappé Hayate, Ayane ou Saki pour l'instant. Mais sachant que Kaze faisait des pieds et des mains pour que cette vérité éclate aux yeux de tous, les médias ne tarderaient pas à diffuser cette nouvelle peu joyeuse.

Neeko, connectée au robot humanoïde à couettes blondes, s'occupait des plats du matin. Joshua, lui, était assis sur le canapé, non loin de Kei. Il jetait de temps en temps des coups d'œil à ce dernier, mais son aîné ne détourna pas son regard de l'émission projetée. C'était à peine s'il lui avait adressé la parole depuis leur réveil. Les deux n’avaient que très peu dormi, d'ailleurs.

« Priorité au direct ! fit tout à coup le journal télévisé. Nous venons d'apprendre que les trois personnes disparues depuis quelques jours, à savoir Midori Ayane, Kohana Saki et Hanabusa Hayate, ont été retrouvés morts dans un étage inférieur d'un bâtiment du secteur Tatsumaki, au district Susanoo. D'après quelques recherches, ces locaux ont été légués à la Kai-Riu pour de futurs projets, mais cette société ne l'occupe pas encore. Ses fondateurs n'ont pas souhaité s'exprimer sur cette affaire, mais souhaitent leurs sincères condoléances aux proches des victimes. Ils affirment ne pas avoir eu connaissance de la captivité de ces personnes, ni du drame les ayant frappés. »

Le téléviseur disparut soudainement. Kei venait de l'éteindre à distance, la mâchoire serrée et les sourcils froncés. On avait beau montrer des preuves, les médias s'entêtaient à protéger ou à croire aveuglément les fondateurs de la Kai-Riu. Étaient-ils aussi corrompus que le Bushi ?

« Pff ! » lâcha-t-il avant de saisir une cigarette électronique dans une poche de son bermuda kaki. Il l'alluma en la plaçant entre ses lèvres, puis aspira une certaine quantité de vapeur parfumée à la menthe, avant de la rejeter dans un souffle lent.

« Kei ? » l'appela Joshua d'une voix peu assurée. Mais son compagnon, toujours silencieux, ne le regarda même pas. Le chasseur n'osa pas l'appeler une seconde fois, par peur de se faire envoyer paître. Neeko, après avoir terminé la préparation du petit-déjeuner, retourna dans son corps de félin rose avant d'accourir jusqu'à Kei et de sauter sur ses genoux. Elle afficha un smiley joyeux, dans l’espoir de lui apporter un peu de bonne humeur.

Hélas, son maître réagit à peine. Une émoticône attristée envahit l'écran de l'Ai-pet tandis que Joshua soupirait discrètement. Le réfugié ignorait quoi faire ou dire pour remonter le moral de son hôte, qui était au plus bas depuis la disparition d'Hayate.

Tout à coup, le cellulaire de Kei sonna, posé sur la table du coin cuisine. Le brun observa son aîné, espérant le voir se lever pour prendre l'appel. Mais l’autre homme n'en fit rien.

« Tu ne vas pas décrocher ? se risqua le plus jeune.

— Je n'ai pas spécialement envie de parler à qui que ce soit. Si tu souhaites décrocher pour savoir qui c'est, je t'y autorise. »

Joshua espérait une autre réponse de sa part. Mais soit ! Peut-être qu'il s'agissait d'un appel important. Il se leva pour saisir le cellulaire. Le nom de Ryo y figurait. Le jeune homme partit dans la chambre pour décrocher. Kei lui avait appris à se servir de ce gadget, alors autant mettre ses nouvelles connaissances à l'œuvre.

« Ryo ?

— Oh, Joshua. Bonjour à toi. Je ne te cache pas ma surprise en entendant ta voix... Je m'attendais à ce que ce soit Kei qui réponde.

— Il souhaite ne parler à personne, dans l'immédiat. Il ne va pas très fort, aujourd'hui.

— En même temps, vu ce qu'il s'est passé hier, c'est totalement compréhensible. Kei a perdu l'équivalent d'un grand frère. Et moi, d'un ami de longue date…

— Et est-ce que ça va, pour toi ? »

La rousse confia être toujours affectée par la perte d'Hayate, mais qu'elle essayait de s'en remettre petit à petit. Cependant, Natsu vivait très mal la mort de son petit ami. Sa santé s'était dégradée, depuis.

« Son état est vraiment préoccupant. J'ai peut-être une idée de ce qu'elle a, mais je préfère l'emmener à l'hôpital, entre les mains de spécialistes qui sauront faire un diagnostic clair et éventuellement lui donner un traitement pour la remettre sur pieds.

— Je vois. J'espère sincèrement que sa santé s'améliorera dans les jours à venir. Et... je suis vraiment désolé pour ce que vous traversez tous. Je ne suis pas autant affecté que vous parce que je n'ai pas eu le temps d'assez côtoyer Hayate. Mais je sais ce que ça fait, que de perdre une personne chère. Alors je ne peux que compatir à votre peine. »

À l'autre bout du fil, Ryo ne répondit pas. Mais des larmes apparurent sous ses yeux avant de glisser le long de ses joues. Elle les essuya avant de sourire légèrement et de parler d'une voix un peu tremblante.

« Merci Joshua. Tes paroles me touchent profondément. »

Le jeune homme sentait son chagrin, bien qu'elle tentait de le dissimuler. Il comptait essayer de la réconforter, mais la sonnerie de l'appartement retentit à plusieurs reprises.

« Je crois qu'il y a quelqu'un qui nous rend visite, informa-t-il. Je vais voir qui c'est.

— S'il s'agit d'une personne que tu ne connais pas, n'ouvre pas ! »

Elle le salua avant de raccrocher. Le conseil ne se fit pas entendre deux fois. Joshua sortit de la chambre avec l'intention de vérifier qui sonnait, avant d'éventuellement ouvrir la porte. Mais Kei s'était déjà levé pour le faire, dévoilant la silhouette de Kaze.

« Désolé d'arriver un peu à l'improviste et sans prévenir, mais je souhaitais voir si tout allait bien pour vous. Et pour vous parler un peu de l'évolution de la situation. »

Intrigué par cette dernière phrase, Kei ravala un peu de sa peine et invita le chef de gang à venir s'installer dans le salon avec lui. Joshua et Neeko les imitèrent. Dans un premier temps, l'argenté confia qu'il n'allait pas fort. Il avait même hésité à lui ouvrir la porte.

« Je ne t'en aurais pas voulu, si tu ne m'avais pas laissé entrer. » confia Kaze en posant sa main sur l'épaule de son ami. Il s’adressa ensuite à Joshua.

« Et toi ? Comment tu te sens ?

— Disons qu'on fait aller, même si j'ai toujours du mal à m'enlever de la tête ce qu'on a vu hier soir...

— Je suis vraiment désolé que tu aies assisté à ce genre de scène. Tu dois avoir une piètre opinion de Neo-Tokyo, maintenant.

— Une piètre opinion de la Kai-Riu et de ses complices, plutôt. Votre ville, avec le recul, n'est pas si mal que je ne le pensais. Mais elle se porterait bien mieux sans ces sociétés minables qui la gangrènent, et qui sont dirigées par des connards finis. »

Alors que Kei levait enfin les yeux vers son hébergé, Kaze esquissa un sourire compatissant. Il partageait la tristesse du hacker et l'amertume du primitif. Sans compter Ryo, Natsu et d'autres qui étaient profondément affectés par la perte d'Hayate. Quelque part, cela lui donnait une motivation supplémentaire pour ne pas lâcher la Kai-Riu, et pour inciter ses confrères à tout faire pour provoquer sa chute et libérer Neo-Tokyo de son influence.

« J'ai entrepris les démarches pour que les corps d'Hayate et des deux filles soient autopsiés, puis incinérés.

— Incinérés ? répéta Joshua en ouvrant grand les yeux, comme choqué par une telle méthode.

— C'est comme ça qu'on procède avec les morts ici, lui expliqua Kei. Les dépouilles sont brûlées et les cendres, enfermées dans une capsule grosse comme un coffret, sont envoyées aux proches.

— C'est... très différent de chez nous. De notre côté, on organise toute une cérémonie pour guider l'âme du défunt dans l'au-delà avant d'enterrer son corps.

— C'était une tradition ancienne des Terriens, raconta Neeko après une brève recherche. Et c'était une pratique également utilisée à Neo-Tokyo au tout début de son existence. Mais au fur et à mesure des siècles, l'incinération a été privilégié pour des raisons économiques, pour ne pas souiller les sols de Calreon, et parce que la religion est de moins en moins pratiquée.

— Natsu recevra les cendres d'Hayate lorsque tout sera terminé, raconta Kaze.

— Pauvre Natsu... soupira Kei. Perdre son copain dans des circonstances pareilles... D'abord Ryo avec Shion, et maintenant elle avec Hayate...

— En parlant d'elle, elle ne risque rien ? demanda Joshua. Les Masamune ont voulu la capturer l'autre jour, probablement parce qu'ils savaient qu'elle était la compagne d'Hayate.

— Je me suis arrangé avec quelques membres de mon gang pour qu'ils veillent sur elle de loin, et empêchent un quelconque Masamune de l'approcher. »

Les trois autres semblaient rassurés par cette initiative. Avec les Shuriken, ils savaient Natsu en sécurité. Le groupe passa encore quelques minutes à discuter. Mais arriva un moment où Kaze décida de partir. Cependant, il souhaitait avoir une conversation privée avec Joshua. Ainsi, et à l'étonnement de Kei et de Neeko, il invita le brun à l'accompagner jusqu'au parking où était garé son vaisseau personnel.

 

*

 

Le primitif et le leader des Shuriken arrivèrent devant un véhicule semblable à celui de Kei. Sa carrosserie, à dominance noire, possédait quelques touches de vert foncé sur les côtés et sur le capot. Son propriétaire monta à bord et fit signe à son accompagnateur d'en faire de même, pour pouvoir lui parler sans être écoutés ou dérangés. Peu assuré, mais néanmoins curieux, Joshua s'exécuta. Une agréable odeur florale parfumait l'intérieur, dont les sièges étaient faits en cuir noir synthétique, en plus de se révéler confortables.

« Je m'attendais à ce que Kei soit au plus mal après ce qu'il s'est passé, confia le plus âgé des deux. Mais pas à ce point-là. Il essaye de cacher le plus que possible sa peine, pas vrai ? »

Joshua ne pouvait contredire cette supposition. Après tout, la tristesse de l'argenté se sentait. Mais il ne craquait pas pour autant. Le brun ne se souvenait pas de l'avoir vu pleurer non plus. Peut-être que Kei n'était pas du genre à extérioriser ses émotions ? Ce n'était pourtant pas cohérent avec le conseil qu'il lui avait donné le soir de leur trip virtuel. Il était le premier à conseiller de pleurer un bon coup si besoin ! Pourquoi le hacker n'appliquait-il pas ses propres recommandations ?

« Tu sais ? Ça ne me surprend pas tant que ça de sa part, admit Kaze d’un léger sourire. Il fait en sorte de réconforter les autres avec ce genre de conseil, mais quand il s'agit de lui-même, il se rend compte que les choses sont plus compliquées que ça. Après, je pense qu'il n'en voudra pas à ceux qui chercheront à l'apaiser d'une manière ou d'une autre. Et pour être franc, je crois que tu es actuellement le mieux placé pour réussir un tel exploit. »

Joshua le regarda d'un air légèrement ébahi.

« J'ignore depuis combien de temps vous vous connaissez, lui et toi, reprit l'homme aux mèches charbonneuses. Mais j'ai remarqué une bonne dynamique entre vous. Ce qui me surprend, étant donné tes origines ! Mais vous semblez avoir passé outre cette différence. Je me demande même si cette différence ne vous a pas mutuellement enrichis et rapprochés, finalement. »

Le primitif détourna le regard en se grattant nerveusement la tête. Il se disait que Kaze exagérait. Sauf que ce n'était pas le cas. En y repensant, il était vrai que les deux hommes s'étaient rapprochés malgré eux. Malgré sa méfiance au début, Joshua avait appris à mieux connaître Kei et à s'adapter à la vie de Neo-Tokyo, qu'il appréciait bien plus qu'il ne l'aurait cru. Toutes ces raisons faisaient qu'en ce jour, Joshua avait mal en voyant le hacker souffrir de la perte de son ami.

« C'est vrai... qu'on a vécu pas mal de choses en peu de temps. Et… sachant qu'il m'a accueilli sous son toit, forcément… on n'a pu que se rapprocher.

— À quel point, tu penses ? » questionna Kaze, dont le rictus s’élargissait un peu. Mais le plus jeune ne semblait pas comprendre où il voulait en venir.

« Est-ce que vous vous considérez comme des amis ? Ou est-ce qu'il y a autre chose entre vous ?

— Pourquoi il y aurait autre chose ? » demanda le chasseur, toujours le regard détourné. Mais ses joues s'empourprèrent d'embarras, tant il ne s'attendait pas à être interrogé sur un tel sujet. En remarquant son état, Kaze s'excusa de lui avoir posé cette question de manière aussi directe.

« Je n'aurais pas dû te demander ça. Après tout, c'est pas le genre de chose qui me concerne. Peu importe la nature ou l'évolution de votre relation, je vois que celle-ci vous est bénéfique, aussi bien pour toi que pour Kei. Alors, si tu le peux, remonte-lui le moral, d'accord ? »

Le concerné parut confus par cette conversation, mais acquiesça. Il songeait déjà à un moyen de réconforter Kei bien avant, mais un certain courage lui manquait. Cette discussion avec le justicier lui en donnait un peu plus.

Ce dernier ne retint pas Joshua plus longtemps. Il l'invita à descendre du vaisseau pour retourner à l'appartement. Le brun s'exécuta alors que la portière s'était automatiquement ouverte de son côté. Avant qu'elle ne se referme, Kaze le salua une dernière fois.

« Prends soin de toi et de Kei ! Et merci d'être là pour nous tous, Joshua. J'ignore si tu en as conscience, mais ta présence fait beaucoup de bien à tout le monde. Les gens de cette ville ont tort d'avoir une aussi piètre vision des primitifs. Si ces derniers sont comme toi, je comprends pourquoi vos villages parviennent à vivre en harmonie, contrairement à notre mégalopole. »

L'embarras laissa place à la flatterie. Il ne s'était pas attendu à un tel compliment en ce jour, mais semblait ravi. Après avoir regardé Kaze décoller et quitter le parking, Joshua rentra.

 

*

 

Le reste de la journée se déroula dans le calme. Joshua n'avait pas encore eu de conversation sérieuse avec Kei, mais celui-ci se montra un peu plus bavard les heures suivantes, délaissant son mutisme du début de matinée. La visite de Kaze lui avait probablement fait du bien.

Durant une partie de l'après-midi, les deux hommes et Neeko regardaient des séries télévisées, à défaut de visionner une énième fois les informations. Préférant se vider la tête et oublier tous les récents événements, l'argenté avait opté pour ce loisir qui ne demandait aucun effort physique ou intellectuel. Joshua, ignorant quoi faire d'autres, avait accepté. C’était l'occasion pour lui de découvrir encore plus ce que Neo-Tokyo diffusait sur l'antenne. Et si certains programmes allaient au-delà de sa compréhension, d'autres lui paraissaient intéressants ou drôles.

« Tu veux grignoter quelque chose ? demanda Kei à un moment. J’ai un p’tit creux. J'ai des tsume-pan, et j'ai envie d'un chocolat chaud avec.

— J'en veux bien moi aussi, s'il te plaît.

— Normal, noir, blanc ou ruby, ton chocolat chaud ?

— Euh... »

Le jeune homme ne connaissait que le chocolat chaud dit normal. Il ignorait que les trois autres types existaient, et ne savait pas vraiment lequel choisir.

« Si tu aimes l'amertume, prends le noir, conseilla Neeko. Si tu préfères un chocolat onctueux et sucré, prends le blanc. Si tu es plus adepte d'une boisson chaude fruitée, prends le ruby. Si tu souhaites rester sur une valeur sûre, prends le chocolat normal.

— Je veux bien essayer le blanc ! » dit-il à Kei en souriant tout en tapotant gentiment la tête de l'Ai-pet en guise de remerciement pour ces brèves explications. L'informaticien lui rendit son sourire avant de se lever. Deux chocolats blancs chauds, donc ! Il s'éloigna en direction du coin cuisine. Mais son cellulaire sonna tout à coup.

Ryo.

Contrairement au début de cette journée, le jeune homme se sentait plus disposé à prendre un appel. Il décrocha donc, avant d’activer le haut-parleur pour permettre à Joshua et à Neeko d’écouter également.

« Salut !

— Kei ? Je m'attendais à ce que ce soit Joshua qui réponde. Il m'a expliqué que tu n'étais pas en forme.

— Je vais mieux comparé à ce matin. Et toi ? Comment ça va, depuis ?

— Couci-couça. Je viens d'apprendre une nouvelle, et j'ignore si je dois être heureuse ou pleurer. »

Une telle phrase étonna et effraya Kei en même temps. Il en fut de même pour Joshua, qui préféra se préparer au pire pour ne pas être déçu.

« Ça concerne Natsu.

— Elle va bien ? Qu'est-ce qui se passe, Ryo ? »

La rousse prononça trois mots qui paralysèrent tout le monde sur place :

« Elle est enceinte ! »

Un silence régna dans l'appartement. Un point d'exclamation envahi l'écran de Neeko pendant qu'elle échangeait un regard abasourdi avec Joshua. Ce dernier se tourna ensuite vers Kei, qui réagissait à peine. L'argenté ne disait plus rien et ne bougeait même plus. Mais à travers son regard perdu, il savait qu'une telle nouvelle lui faisait mal au cœur. En temps normal, lui et Ryo se seraient réjouis d'une telle annonce et auraient couru féliciter Natsu et Hayate. Seulement, ce tout dernier n'était plus de ce monde. Il était mort avant même de découvrir sa future paternité.

Cet enfant était condamné à grandir sans sa présence.

« Les circonstances ne sont pas joyeuses, reprit Ryo face au silence collectif des autres. Mais Natsu a plus que jamais besoin de notre soutien. Je pense rester à ses côtés, au moins le temps de sa grossesse, pour m'assurer qu'elle va bien et qu'elle ne manque de rien.

— Je... comprends, répliqua un Kei amer.

— Je préviendrai lorsqu'elle sera sortie de l'hôpital. Si tu souhaites la voir, je te conseille d'attendre encore un peu. Je préfère la savoir totalement en sécurité, sans des voyous corrompus pour la pourchasser.

— Je ne sais pas si Kaze t'a déjà contactée, intervint Neeko, mais il a assuré qu'il enverrait des Shuriken veiller également sur elle de loin.

— Je ne lui ai pas encore parlé aujourd'hui, mais c'est une bonne chose ! La présence de son gang auprès de nous me rassurerait, en cette période. Je ne vais pas trop m'éterniser sur cet appel. Si jamais il y a du nouveau, je te recontacterai, Kei.

— Très bien... Salue Natsu de notre part, et dis-lui de tenir bon. Prends soin d'elle et de toi. »

Après l'avoir remercié, Ryo raccrocha, laissant derrière elle un lourd silence, malgré le téléviseur en fond sonore. Joshua s'approcha de Kei jusqu'à doucement poser sa main sur son épaule.

« Ça va ?

— Bof... » avoua l'hôte en poussant un profond soupir. Et dire que son moral connaissait une légère hausse en cette seconde moitié de journée ! Voilà qu'il s'effondrait brusquement en apprenant la grossesse de Natsu.

« Je peux préparer vos chocolats chauds, si tu veux. » proposa Neeko en se connectant au robot humanoïde. Kei ignorait s'il en voulait encore, mais se disait aussi qu'une telle boisson l'aiderait à se sentir mieux. Ainsi, il la laissa s'en charger et le duo masculin retourna dans le salon. Cependant, l'ambiance légèrement chaleureuse n'était plus au rendez-vous, au grand dam de Joshua.

 

*

 

Le soir arriva étrangement vite. Après un dîner léger également préparé par Neeko, les deux hommes se douchèrent à tour de rôle avant de revêtir des vêtements de nuit. Voilà plusieurs dizaines de minutes qu'ils étaient allongés sur le lit de la chambre de Kei, chacun tentant de sombrer dans un sommeil réparateur.

D'habitude, le duo prenait un peu de temps pour discuter avant de s'endormir. Mais ce n'était pas le cas en cette soirée. Kei avait aussitôt tourné le dos à Joshua, sûrement pour le dissuader d'entamer une quelconque conversation. Le brun se disait qu'il était fatigué et qu'il désirait dormir pour oublier ces dernières heures peu joyeuses.

Hélas, le hacker était bien loin de dormir. Pourtant, il essayait ! Mais il ne pouvait s'empêcher de repenser à la nouvelle concernant Natsu et l'arrivée future de son enfant. Et en songeant à cette pauvre femme désormais privée de son petit ami, des larmes lui montèrent aux yeux.

Il voulut se lever pour s'isoler dans la salle de bain, le temps de se calmer. Mais il abandonna rapidement l'idée en se souvenant de la présence de Joshua. Il ne souhaitait pas le réveiller, ni l'inquiéter.

« Kei ? » murmura le plus jeune, encore éveillé.

Eh merde !

« Je... sais que tu ne dors pas. En fait, je sais que tu es en train de pleurer, et que tu ne veux pas qu'on le remarque. »

L'informaticien se figea, les yeux écarquillés de surprise. Il savait ? Comment ? Il n'avait ni sangloté, ni reniflé trop fort !

« Pour faire simple, j'ai senti que tu as voulu pleurer toute la journée, reprit Joshua en se tournant vers lui. Mais tu n'as fait que te retenir tout ce temps. Ce qui m'étonne, vu comment tu m'avais conseillé de pleurer un bon coup l'autre soir, quand j'étais pas bien. Tu m'avais même précisé que pleurer était cathartique en période de deuil. »

L'autre souffla du nez en esquissant un léger sourire malgré son état. Il comprenait ce que son compagnon voulait dire. Mais ce n'était pas une question d'embarras dans son cas. Il ne voulait simplement pas plomber encore plus l'ambiance générale. Il ne souhaitait pas que sa peine soit contagieuse et affecte également Joshua. Ce dernier souffrait déjà suffisamment de la perte de sa famille et de son village. Kei ne voulait pas ajouter le deuil d'Hayate à sa liste. Toutefois, son cadet ne l'entendait pas de cette oreille.

« C'est gentil de penser à moi, mais là il s'agit de toi ! De toute façon, ta tristesse, je la partage déjà, étant très bien placé pour la comprendre. Ne te préoccupe pas de moi lorsqu'il s'agit de digérer la perte d'une personne que tu as aimée ! »

En voyant qu'il faisait tout pour le réconforter et qu'il ne cherchait pas à le mettre mal à l'aise, Kei essuya ses larmes d'un revers de la main avant de se retourner dans le lit et de faire face à son réfugié. Il le fixa dans les yeux durant quelques secondes, avant de dévier le regard en restant immobile.

« Hayate... était un peu comme le grand-frère que je n'avais jamais eu. C'est en grande partie grâce à lui si j'ai pu surmonter la mort de ma mère, et si je n'ai pas totalement sombré dans la délinquance par la suite. Ryo nous a présentés et il a tout de suite reconnu mon potentiel de hacker et d'informaticien. Il m'a rapidement fait avoir un vrai boulot et tout le reste s'en est naturellement découlé, y compris cet appartement où je vis.

— Il t'a apporté beaucoup.

— T'as pas idée. »

Pas étonnant de voir Kei aussi affecté par ce drame ! Joshua ne pouvait que compatir à sa douleur en apprenant tout cela à son sujet. Si sa route n'avait pas croisé celles de Ryo et d'Hayate, la vie de l'argenté aurait été radicalement différente. Et pas dans le bon sens du terme.

« C'est la seconde fois qu'une personne de mon entourage proche se fait tuer par la Kai-Riu.

— Le premier était le fiancé de Ryo, c'est ça ?

Kei hocha tristement la tête. Connaissant moins Shion à l'époque, sa disparition ne l'avait pas autant chamboulé que celle d'Hayate. Mais il se souvenait de l'immense douleur de Ryo et de plusieurs membres du Cyber Ladies. La jeune rousse avait mis plusieurs mois à s'en remettre, non sans passer par quelques phases de drogues.

« Elle n'était vraiment pas jolie à voir lorsqu'elle en prenait, raconta-t-il en se tournant vers le plafond. C'était sa façon d'apaiser sa peine. Mais elle ne se rendait pas compte d'à quel point elle se faisait plus de mal qu'autre chose. Avec Hayate, Natsu et Kaze, on a tout fait pour qu'elle sorte de ce cercle vicieux et retrouve une vie saine.

— Je ne m'attendais pas du tout à une telle histoire. Heureusement que vous étiez là pour elle !

— Ne lui dis pas que je t'ai raconté ça. Elle m'étranglerait, sinon ! C'est un fait sur elle qu'elle aimerait effacer de toutes les mémoires.

— T'en fais pas, assura Joshua en souriant légèrement. Je ne me permettrai pas de divulguer ce genre d'info sur tous les toits, par respect pour la vie privée de Ryo. »

Le sourire de Kei s'élargit légèrement tandis qu'il regardait à nouveau Joshua. Il n'y avait pas à dire : il était heureux d'avoir cet homme à ses côtés, qui savait prêter une oreille attentive lorsqu'il le fallait.

« Josh. Merci d'être là pour moi.

— C'est le moins que je puisse faire après tout ce que tu as réalisé pour me protéger.

— Je ne sais pas comment on va procéder avec la Kai-Riu après ça. Mais je ne veux plus voir un ami mourir à cause d'elle. Encore moins toi. Je... Je pense que te perdre m'achèverait définitivement. »

Joshua resta bouche bée devant cette confession. Il savait qu'ils s'étaient mutuellement attachés l'un à l'autre durant toutes ces journées passées ensemble. Mais il ne pensait pas que Kei l'appréciait à ce point. Profondément touché, il lui adressa un tendre sourire. Et sans en être totalement conscient, il posa doucement sa main sur la joue de l'autre homme, à l'étonnement de celui-ci.

« Alors on dirait bien que je n'ai pas intérêt à me laisser attraper par les enflures de cette entreprise. Je ne veux pas que tu sois triste à cause de moi. »

Mais en voyant les yeux de Kei légèrement écarquillés, le brun se rendit compte de son geste. Rougissant de gêne alors qu'il sentait son rythme cardiaque brusquement s'accélérer, il ôta sa main de son visage et sourit nerveusement. Le hacker cligna des yeux à plusieurs reprises, avant de sourire à son tour. Joshua, trop embarrassé, lui tourna le dos :

« On... On ferait mieux de dormir, non ? Il commence à être tard, et… et je pense qu'on a sérieusement besoin de se reposer. Surtout toi ! Alors... Bonne nuit ? »

Kei manqua d'éclater de rire devant une telle réaction peu assurée. Mais il trouvait son ami curieusement adorable en cet instant. Ce fut la raison pour laquelle il lui répondit :

« Passe une bonne nuit toi aussi, Josh. »

Un nouveau silence s'installa, mais l'atmosphère s'était légèrement détendue. Kei regrettait que cette conversation n'ait pas duré plus longtemps. Il aimait vraiment parler avec Joshua et voir ses réactions sur certains sujets. Il avait également apprécié ce petit geste affectif qu'il avait eu. Mais le plus jeune semblait un peu trop timide pour l'assumer.

L'homme aux cheveux de platine longea sa main jusqu'à la tête de son voisin, avec l’intention d’effleurer de ses doigts ses mèches brunes mi-longues. Après réflexion, il se ravisa et préféra lui tourner le dos pour s'endormir. Il ne voulait pas gâcher cette soirée en embarrassant son ami encore plus. Il se disait que d'autres occasions se présenteraient, pour lui témoigner de son affection à son égard.

Chapter 15: Acceptation

Notes:

N'oubliez pas de lire le chapitre d'avant, sorti quasiment en même temps, si vous arrivez directement sur celui-ci.
Bonne lecture ! x)

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Trois semaines plus tard...

L'effervescence médiatique autour des disparitions d'Hayate, d'Ayane et de Saki s'était calmée. Durant plusieurs jours, la situation demeurait inchangée. Mais suite aux témoignages des proches des défunts, et grâce à Kaze et à une partie des habitants de Neo-Tokyo qui les soutenaient, la justice condamna puis écroua le coupable. Personne n'avait précisé la durée de sa sentence dans les journaux télévisés, mais les autorités du Bushi l'avaient fait enfermer, plus pour ne pas perdre en crédibilité aux yeux de la population que pour écarter un individu dangereux de la mégalopole.

Kei trouvait cela dommage, mais s'estimait heureux que justice ait été rendu pour cette fois. Cela démontrait que les co-fondateurs de la Kai-Riu n'étaient pas intouchables. Ces derniers faisaient d'ailleurs tout en leur pouvoir pour tenter de faire libérer Chikara. C'était une chose que le hacker ne pouvait pas laisser faire.

Seulement, après discussion avec Ryo et Kaze, il avait été décidé de faire profil bas. Leur maigre victoire face à leur ennemi commun avait exigé un bien trop grand sacrifice. Il n'était plus question de laisser mourir qui que ce soit dans leur lutte. La meilleure chose à faire était d'attendre que la Kai-Riu, les Masamune et les autorités de la ville baissent suffisamment leur garde, pour permettre à Kei et aux autres de les frapper à nouveau après s'être bien préparés. Ils devaient donc faire preuve de patience. De beaucoup de patience.

 

*

 

Le quotidien reprenait sa place à Neo-Tokyo. Après plusieurs jours de congés imprévus, Kei avait repris son travail d'informaticien intérimaire. De temps en temps, il emmenait Joshua à la demande de ce dernier, car celui-ci voulait se montrer utile. Après tout, son aîné l'hébergeait et il se sentait gêné de profiter de son hospitalité sans rien donner en retour. Sur le tas, il en apprenait plus sur le fonctionnement d'un système informatique, et du monde du travail en lui-même. Il se montrait également attentif à la façon dont Kei pilotait son vaisseau lors de leurs déplacements. Mais il lui restait encore du chemin pour maîtriser tous ces aspects, jusque-là complètement inconnus pour lui.

Exceptionnellement en ce jour, Joshua avait fait le choix de rester dans l'appartement avec Neeko, principalement pour aider l'Ai-pet à l'entretenir, mais aussi pour effectuer quelques petites courses à proximité. C'était une chose qu'il avait également appris à faire, à la longue. Le primitif devenait un peu plus indépendant et débrouillard chaque jour, mais ne cachait pas le manquement de sa vie d'autrefois.

Le contact avec la nature Calréenne lui manquait.

 

*

 

Kei avait terminé son travail du jour. À bord de son vaisseau, il décida de faire un détour avant de retourner chez lui. Il désirait rendre visite à Natsu, qu'il n'avait pas revu depuis tous ces récents événements. La jeune femme séjournait temporairement chez Ryo. En sachant que les Masamune en avaient après elle, il était trop risqué pour la mécanicienne chanteuse de rester chez elle, en cette période. Ainsi, l'argenté se dirigea au district Izanami. Il en avait pour quelques dizaines de minutes depuis son lieu de travail du jour.

Arrivé dans l'appartement de la rousse, celle-ci l'accueillit en le serrant tendrement dans ses bras, visiblement heureuse de le revoir après ces moments difficiles. Elle l'emmena ensuite dans son salon, semblable à celle de son cadet à la différence qu'elle était légèrement plus vaste et luxueuse. Les fauteuils étaient en cuir blanc, et plusieurs miroirs aux formes différentes décoraient les murs, apportant plus de luminosité. Le coin cuisine possédait carrément un bar, et deux robots humanoïdes, en costume de majordome, préparaient le dîner.

« J'ai pas souvent l'occasion de venir chez toi, mais à chaque fois, je trouve ton appart' vraiment stylé ! » complimenta l'informaticien, ce qui fit sourire son hôtesse qui l’invita à s'asseoir sur un fauteuil, avant de s'installer à ses côtés.

« En même temps, je te rappelle que je ne vivais pas seule !

— Comment vas-tu, depuis ?

— C'est une question que je pourrais te retourner. De mon côté, je vais de mieux en mieux. Et c'est aussi le cas de Natsu. Elle est en train de se rafraîchir dans la salle de bain. Elle ne devrait pas tarder à nous rejoindre.

— Et comment elle va, niveau santé et moral ? »

Moralement parlant, la jeune femme allait également mieux. La mort d'Hayate lui était difficile à accepter, mais elle avait fini par se faire une raison après avoir reçu ses cendres. Depuis ce jour où elle avait pleuré un bon coup, elle faisait un travail sur elle-même pour passer outre cette perte, et aller de l'avant en pensant à son futur enfant. Sa santé s'améliorait également par rapport aux jours précédents. Mais il lui arrivait d'avoir des nausées de temps en temps.

« Elle n'en est qu'à son premier mois de grossesse, expliqua Ryo. À mon avis, le pire, si on peut dire ça comme ça, reste à venir. Mais j'essaye de faire tout pour que cette période particulière de sa vie se passe dans les meilleures conditions que possibles.

— Heureusement que tu es là pour elle, se réjouit Kei avec un léger sourire.

— En même temps, on est potes depuis l'enfance, elle et moi. C'est la moindre des choses que je puisse faire, surtout après qu'elle ait été là pour moi, à l'époque où j'ai perdu Shion. »

L'une des portes menant dans cette grande pièce s'ouvrit automatiquement, laissant apparaître Natsu, dreadlocks lâchés, et vêtue d'une petite robe beige à manches longues lui arrivant au-dessus des genoux. Bien qu'une telle tenue était choisie pour être à l'aise en maison, elle lui conférait une certaine élégance, en plus de contraster avec son style vestimentaire habituel, bien plus léger et sexy.

« Osu, Kei ! » fit-elle en avançant jusqu'à lui pour lever sa main et laisser à Kei le loisir de taper dedans. Chose que le jeune homme fit avec plaisir, avant de la prendre doucement dans ses bras.

« C’est vraiment bon de te revoir, murmura-t-il alors que ses lèvres s'étiraient. J'ai l'impression de ne pas t'avoir vu depuis un siècle !

— Un siècle, et je suis toujours aussi bien conservée, comme tu peux le constater ! plaisanta la concernée avant de se décoller. Joshua n'est pas venu avec toi ? J'aurais bien voulu le revoir aussi.

— Il est resté à la maison avec Neeko. Et cette visite n'était pas spécialement prévue. Je suis venu à l'improviste. Mais il va bien, et demande souvent de vos nouvelles. »

Les deux femmes en furent ravies, mais auraient préféré revoir le jeune brun en personne. Soit ! L'occasion se présenterait dans un futur proche.

Le trio passa un bon moment à discuter. Un peu de tout et de n'importe quoi. L'affaire de la Kai-Riu n'avait pas été abordée pour ne pas plomber l'ambiance. Un moment arriva cependant, où les cendres d'Hayate furent à nouveau mentionnées.

Le duo féminin conduisit Kei jusqu'à la chambre d'ami, où séjournait actuellement Natsu. Cette pièce, dans des tons rosés, se révélait plus étroite que celle de Kei. Mais elle était bien aménagée et une douce odeur de lavande y régnait. Un coin avait été aménagé pour les cendres de son défunt petit ami : une table basse entourée de bougies odorantes, avec la petite capsule qui projetait une photo d'un Hayate souriant.

Le cœur de Kei se serra à la vue de cet autel. Il s'en approcha instinctivement avant de s'accroupir devant. Un silence s'ensuivit dans la pièce. Ryo et Natsu s'échangèrent un regard en hochant la tête, avant de discrètement s'éclipser pour laisser le plus jeune se recueillir. L'argenté ne remarqua même pas leur sortie, tant l'image d'Hayate happait son attention.

« Salut, mec, parla-t-il à voix basse en contemplant le cylindre métallique contenant les cendres. J'espère que tu vas bien, là où tu es. J'aime bien croire que notre vie continue d'une certaine manière, lorsqu'on meurt. Tu nous observes peut-être, si ça se trouve. »

Il s'attendait presque à entendre sa voix lui répondre. Mais le silence le ramena rapidement à la réalité. Il poussa un profond soupir, puis reprit.

« Je ne suis pas croyant ou pratiquant, alors je n'ai pas de prière à t'offrir. Peut-être que Joshua t'en aurait fait une, si je l'avais amené ici. »

Il marqua un temps sans rien dire.

« C'est un peu con parce que je suis là devant toi, mais je ne sais pas quoi te dire, confia-t-il en riant nerveusement. En tout cas, ton absence fait un vide. Chacun fait comme il peut pour se remettre de ce qui t'es arrivé, mais c'est compliqué. »

Un sourire amer s'empara des lèvres de Kei alors qu'il caressait le côté de la capsule.

« Je m'en veux encore pour tout ce qu'il s'est passé. Tout le monde me répète que ce n'est pas de ma faute, et peut-être que tu le ferais également si tu étais là. Mais je ne peux pas m'empêcher de culpabiliser. Pour ce qui vous est arrivé, à toi, et aux deux pauvres filles que cette enflure de Chikara a souillé. Heureusement, ce connard est en train de croupir en prison. Et j'espère qu'il en sera bientôt de même pour Tama, Isao et tous les Masamune qui conspirent avec eux. On se débrouillera pour faire sombrer la Kai-Riu et permettre à Neo-Tokyo de retrouver sa totale liberté sans influence malsaine. Je te le promets ! »

La tristesse avait laissé place à la détermination au fil des mots. Il ôta alors sa main de la capsule, avant d'accorder un dernier regard à la photo.

« Repose en paix, mon frère. Et si tu croises Shion, salue-le de ma part. »

Après avoir prononcé cette phrase, il se releva et tourna le dos à l'autel avant de quitter la chambre pour revenir dans le salon. Ryo et Natsu s'étaient de nouveau assises sur les fauteuils et l'attendaient. Elles lui demandèrent comment il se sentait après son recueillement.

« Mieux que je ne l'imaginais, avoua-t-il en allant s'asseoir avec elles. Je pense avoir suffisamment versé de larmes ces derniers jours. Et puis, le connaissant, Hayate aurait préféré nous voir suffisamment forts pour ne pas nous laisser abattre par sa disparition.

— Voilà un point sur lequel je suis d'accord, répliqua Natsu. Et je te comprends complètement. Surtout que pour ma part, la vie d'Hayate subsiste encore. »

Elle avait posé sa main sur son ventre. Les deux autres comprirent qu'elle parlait de son enfant à naître. Ryo lui sourit tendrement :

« Tu penses que ce sera une fille ou un garçon ?

— Peu importe, du moment qu'il ou elle vient au monde en bonne santé. Dans tous les cas, avec Hayate, on avait déjà réfléchi à des prénoms à donner à nos enfants.

— Vous y pensiez déjà ? » s'étonna Kei. La jeune femme hocha joyeusement la tête en guise de réponse.

« Si on avait une fille, on l'aurait appelée Myo. Si on avait un garçon, on lui donnerait comme nom Keita. C'était un souhait commun longuement réfléchi et que je compte honorer, le moment venu. »

Kei et Ryo en furent profondément touchés. Hayate et Natsu voulaient leur rendre hommage en s'inspirant de leurs noms pour leurs enfants. Les deux autres se montrèrent ravis de constater à quel point ce couple tenait à eux. Cela rendait la disparition du blond vraiment tragique, mais d'un autre côté, la naissance de son futur enfant laissait présager un espoir. Un espoir de voir Hayate vivre à travers sa progéniture, mais aussi un espoir pour l'avenir de Neo-Tokyo. Kei et Ryo désiraient offrir à cet enfant et à tous les autres une grande ville libre, qui ne soit pas sous le joug d'une quelconque firme malfaisante ou d'un gang dangereux. Cette simple motivation, couplée à ce que venait de dire Natsu, suffit aux deux autres pour leur redonner le sourire confiant qu'ils avaient perdu depuis plusieurs semaines.

Après ce moment bénéfique pour lui, Kei se leva avec l'intention de quitter l'appartement de Ryo pour rentrer chez lui. Mais la rousse le freina.

« Avec Joshua, vous avez prévu quelque chose à manger pour ce soir ?

— Pas vraiment, non. Je comptais acheter quelque chose en chemin.

— Ne te casse pas la tête, mon grand ! »

Ryo claqua ensuite des doigts pour interpeller les deux robots à la cuisine :

« Gauthier ! Sebastian ! Préparez deux portions supplémentaires de ce que vous faites, s'il vous plaît !

— Bien, madame ! » répondirent les concernés à l'unisson, sous l'air un peu abasourdi du hacker, et les rires à peine cachés de Natsu, qui avait l'impression de voir en Ryo une mère prenant soin de son fils.

« Tu n'étais pas obligée, Ryo ! fit Kei en se grattant nerveusement l'arrière de la tête. J'aurais pu me débrouiller !

— Allons ! Je te fais économiser des euyens, et toi et Joshua avez droit à des plats faits maison par deux des meilleurs robots cuisiniers que je connaisse. De quoi tu te plains ? »

Devant cet argument imparable, le jeune homme reprit place sur son siège en attendant la confection de son futur repas. Celle-ci ne dura pas plus d'une trentaine de minutes. Les robots prirent le temps d'emballer plusieurs portions dans des boites à bento, avant de ranger celles-ci dans des sacs en papier et de les remettre à Kei. Le hacker remercia les deux automates avant de saluer les jeunes femmes. Ryo l'accompagna jusqu'à la porte d'entrée. Mais avant qu’il ne parte, elle l'interpella.

« Tu sais ? Je suis d'avis que tu devrais passer plus de temps avec Joshua pour oublier un peu tout ça.

— Je l'héberge déjà chez moi et le côtoie tous les jours.

— Certes, mais je parle surtout de faire des activités et des sorties ensemble ! Mine de rien, j'ai noté un petit rapprochement entre vous. À chaque fois que je vous vois ensemble, vous semblez de plus en plus proche !

— Je... ne vois pas de quoi tu parles, Ryo. » répliqua un Kei un peu gêné en détournant le regard tout en se raclant la gorge. Son interlocutrice réprima un petit rire avant de reprendre :

« Après, tout dépend de toi et de lui ! Perso, je ne fais que te confier ce que je vois et ressens lorsque vous êtes ensemble. Je trouve qu'une belle alchimie s'est développée entre vous. Et je ne suis pas la seule : Kaze l'a remarqué également.

— Ah bon ? demanda Kei en s'entêtant à ne pas la regarder alors que ses joues s'empourpraient légèrement.

— Ta réaction en dit long, tu sais ?

— Tu es littéralement en train de sous-entendre qu'il pourrait y avoir quelque chose entre Josh et moi. Tu veux que je réagisse comment, exactement ? C'est ultra gênant !

— Et ce n'est pas dans tes habitudes d'être autant embarrassé lorsqu'on te taquine sur tes relations ! »

Touché…

Kei devait l’admettre : Joshua ne le laissait pas indifférent depuis quelque temps. Mais il ignorait si son hébergé ressentait plus qu’une amitié à son égard. Après tout, et connaissant la mentalité des primitifs, peut-être qu’une relation entre hommes ne l’intéressait pas. Voire même, le rebutait. C’était pour cette raison que le hacker n’osait pas le charmer d’une quelconque manière, comme il l’aurait fait avec n’importe qui lui plaisant un minimum.

D’un autre côté, il se souvint des gestes tendres et parfois un peu timide que Joshua avait pu avoir à son égard. Le chasseur l’affectionnait clairement. Encore plus ces derniers jours. Mais éprouvait-il pour autant des sentiments envers Kei ?

Celui-ci poussa un profond soupir, à moitié dépité de ne pas savoir. Mais il afficha un léger sourire en daignant enfin croiser le regard de son aînée.

« Je ne sais pas si tu vois juste à notre sujet, mais je pense appliquer ton conseil. Quelques sorties nous feront du bien, autant à lui qu’à moi. Sur ce, je vais rentrer. Sinon, lui et Neeko vont commencer à s'inquiéter.

— Passe-leur le bonjour de notre part !

— Et toi et Natsu, prenez soin de vous. »

Sur ces mots, le jeune homme quitta l'appartement avec les paquets de nourriture en main.

 

*

 

Chez lui, Joshua et Neeko s'occupaient comme ils le pouvaient en attendant son retour. La nuit n'allait pas tarder à tomber.

« C'est bizarre qu'il ne soit pas déjà là, confia Joshua qui, debout près d'une fenêtre du salon, contemplait le paysage urbain s'illuminant au fur et à mesure du soleil couchant.

— Peut-être qu'il a fini plus tard que prévu ? répondit Neeko, à moitié couchée sur un fauteuil en train de regarder un clip musical sur le téléviseur holographique. Il n'est pas impossible non plus qu'il soit passé dans un restaurant ou dans une épicerie pour acheter votre dîner du soir. Oh... »

Elle se figea tout à coup sur place, le regard perdu dans le vide. Joshua se tourna vers elle, étonné, et lui demanda si elle se sentait bien.

« Je viens tout juste de recevoir un message de Kei : il est sur le chemin du retour ! Il est passé chez Ryo pour les voir, elle et Natsu. Et Ryo vous a offert de quoi manger. »

Le brun en fut soulagé. Il craignait que la route de Kei ait croisé celle d'un ou de plusieurs Masamune, mais il n'en était rien. Il avait hâte de le voir rentrer. Déjà parce qu'il mourrait de faim, mais aussi parce qu'il avait envie de savoir comment s'était passé sa journée.

Joshua aimait généralement discuter avec le hacker, lorsque celui-ci rentrait de son travail. C'était une façon pour lui de rattraper les heures restées à la maison à s'ennuyer. Il parvenait à trouver quelques occupations de temps en temps, et la compagnie de Neeko rendait l'ennui moins pénible à supporter. Mais le brun ne cacha pas qu'il préférait rester avec Kei, que ce soit au sein de l'appartement ou en dehors.

En constatant à quel point il s'était attaché à son hôte, en particulier ces derniers jours, une certaine confusion s'empara de Joshua, qui s'installa sur le fauteuil à côté du robot félin. Son regard était tourné vers l'écran projeté, mais il ne se concentrait pas sur ce qu'il diffusait. Trop de questions se bousculaient dans sa tête. Le jeune homme se sentait un peu perdu.

Lors de son arrivée à la mégalopole, son unique but était de venger sa famille en détruisant la Kai-Riu. Même si cet objectif n'avait pas changé, son désir de revanche s'était atténué. La chose qui le motivait le plus à rester à Neo-Tokyo n'était pas son envie de provoquer la chute de cette entreprise. S'il voulait prolonger son séjour en cette ville à laquelle il était pourtant étranger, c'était pour passer du temps avec toutes ces personnes qu'il avait récemment rencontrées.

Pour rester avec Kei.

Seulement, il n'arrivait pas à mettre un mot sur ce qu'il ressentait. De connaissances fortuites, les deux étaient devenus amis. Ils s'étaient tant rapprochés qu'ils en venaient à se prendre pour des frères. Mais était-ce réellement ainsi que Joshua le voyait ? Comme une sorte de grand frère de substitution ? Ou est-ce qu'il...

« Non. Non non non non, murmura-t-il en secouant négativement la tête. Ça ne peut pas être ça, tout de même...

— Être quoi ? » demanda Neeko en tournant sa tête vers lui alors qu'elle affichait un point d'interrogation. Joshua lui fit croire qu'il ne pensait à rien de particulier et que ces mots étaient sortis tous seuls. Mais l'Ai-pet n'était pas dupe.

« Tu sais ? Si tu m'expliques ce à quoi tu penses, il y a neuf chances sur dix pour que je t'aide à le comprendre.

— C'est... un peu trop personnel pour que j'en parle avec toi. Et trop humain, aussi. Je ne suis pas sûr que tu comprennes vraiment.

— Je souhaite tenter ma chance quand même ! affirma Neeko en bondissant sur ses genoux avant de s'y installer et de lui sourire avec un smiley. Raconte-moi tes émotions actuelles. En fonction de ce que tu diras, j'en déduirai leur nature ! »

Le primitif ignorait s'il souhaitait participer à ce genre d'expérience. Il n'était même pas sûr de vouloir se confier. Mais sa curiosité vis-à-vis de ses sentiments l'emporta.

« Disons que... je connais quelqu'un… avec qui je m'entends bien. Enfin... Au début, c'était un peu compliqué mais on s'est rapproché au fil des jours. À un point où j'apprécie vraiment sa compagnie…

— C'est Kei ?

— Non ! répondit immédiatement Joshua en détournant le regard, embarrassé. Ne cherche pas à savoir qui sait ! Fais juste ta déduction concernant ce que je ressens. »

Il reprit en expliquant que lui et cette fameuse personne étaient de plus en plus complices, qu'ils aimaient parler de tout et de rien. Joshua partagea également son désir de vouloir découvrir en sa compagnie d'autres coins de Neo-Tokyo qu'il ne connaissait pas encore. Il souhaitait passer du temps tranquille avec elle, sans penser à toutes les affaires concernant la Kai-Riu.

« C'est un peu étrange dit comme ça, continua-t-il sans regarder son interlocutrice. Mais je préfère savoir cette personne auprès de moi. Sa présence me rassure et me met de bonne humeur.

— Tu ressens un manque lorsqu'elle n'est pas là ? »

Le concerné hocha timidement la tête avec un léger sourire aux lèvres.

« Tu aimerais que cette personne te prenne dans ses bras ?

— Euh... Ouais ?

— Tu es jaloux lorsque tu le vois proche de quelqu'un en particulier ?

— Pas vraiment, non... »

En vérité, il avait un peu envié la relation entre Kei et Kaze, mais ce sentiment lui était passé en comprenant qu'il n'y avait rien de plus qu'une solide amitié entre eux.

« Voici mon verdict, parla Neeko alors qu'un cœur s'affichait sur son écran. Tu aimes cette personne d'un amour pur, sincère et sain. Tu ne te montres pas particulièrement possessif ou jaloux, mais tu te sens un peu seul lorsqu'elle n'est pas auprès de toi. Et au fond, tu aimerais que tes sentiments soient réciproques pour que votre relation aille plus loin. Ai-je raison ? »

Joshua écarquilla ses yeux devant la précision de sa réponse. Cependant, il ignorait si l'automate félin voyait complètement juste. Cela signifiait qu'il...

« Il s'agit d'un homme, confia-t-il alors que sa confusion s'accentuait.

— Alors, tu es gay !

— Je ne le suis pas ! réfuta le brun en la fusillant du regard. Du moins… Je n'ai jamais aimé un homme à ce point ! Ça m'est déjà arrivé avec une fille, il y a longtemps. Et encore, ce n'était pas aussi... puissant ?

— Tu es donc attiré à la fois par les filles et par les garçons ! Mais vu comment tu abordes le sujet, tout porte à croire que tu parles de Kei ! »

Joshua ne chercha même plus à nier les faits, tant ils paraissaient évidents, en y repensant. Il croisa silencieusement les bras, essayant de digérer cette étrange mais potentielle vérité. S'était-il tellement attaché au hacker qu'il avait fini par développer des sentiments pour lui ?

« Tu es amoureux de Kei, alors ? se réjouit Neeko alors que ses cœurs se multipliaient.

— N'affirme pas une chose pareille sans fondement, idiote ! s’écria l’humain, aussi rouge qu’une cerise. Je veux dire… ça ne fait pas si longtemps qu'on se connaît ! Comment j'aurais pu développer une telle chose pour lui en si peu de temps ?

— La proximité due au fait que vous viviez sous le même toit, et tout le temps que vous passez ensemble, que ce soit pour le travail ou pour des sorties, je pense que ça aide ! Si ça se trouve, Kei est aussi amoureux de toi, tu sais ?

— Je savais que c'était une mauvaise idée de t'en parler, murmura le jeune homme en se tenant le front, un peu dépassé par la tournure de la conversation. Voilà que tu te mets à t'imaginer n'importe quoi, maintenant. »

La sonnerie de l'appartement retentit : Kei était revenu. Avant d'aller ouvrir la porte, Joshua implora Neeko de ne mentionner aucun mot de cette discussion à personne. L'Ai-pet lui promit de bien garder son secret au moment où il se levait pour aller accueillir le hacker. Les deux hommes se firent face aussitôt le passage ouvert.

« Yo ! ~ fit mélodieusement le nouveau venu avec un large sourire. Je t'ai manqué ?

— J'avoue que je commençais à m'inquiéter, répliqua Joshua en souriant nerveusement tandis qu'il s'écartait pour le laisser entrer.

— Je suis passé chez Ryo pour les voir, elle et Natsu. Et j'ai eu droit à ça ! »

Il lui montra ses paquets de nourriture encore fumants et expliqua leur provenance. Joshua s'en réjouit et aida Kei à les déposer sur une table de la cuisine, avant de s'atteler à préparer des couverts et des verres.

Les deux hommes mangèrent ensuite, sous les yeux de Neeko qui affichait une émoticône souriante, tant elle trouvait les bentos offerts par Ryo beaux à contempler. Si elle le pouvait, elle les goûterait également, surtout que le duo masculin semblait apprécier le goût de ces petits plats.

Le repas fut rapidement avalé et une bonne heure passa. Pendant que Kei finissait la vaisselle du soir, son regard se tourna vers Joshua, qui contemplait par une fenêtre le paysage illuminé par des néons et des hologrammes. Il repensa à ce que son amie rousse lui avait conseillé plus tôt dans la journée. Une idée lui traversa l'esprit, et un léger sourire étira ses lèvres alors qu'il s'avançait dans le salon.

« Hé ! Ça te dirait une petite virée nocturne ce soir ? Il y a un endroit que j'aimerais te montrer, et je suis sûr que tu vas adorer.

— Euh... OK ? hésita le brun, qui ne s'y attendait pas, ce qui provoqua un léger rire chez l'autre.

— Si tu es trop fatigué, on peut reporter à une autre fois.

— Je ne suis pas si fatigué que ça ! Et je suis curieux maintenant. Où tu comptes m'emmener ?

— Tu verras bien, lorsqu'on y sera ! Neeko, tu peux venir aussi, si tu veux ! Une balade te fera du bien. »

Cette proposition mit l'Ai-pet en joie. Aimant sortir de temps en temps lorsqu'on lui en donnait l'occasion, elle avait hâte de mettre ses pattes en dehors de l'appartement. Le bonheur fut partagé par Joshua, qui voyait là à la fois l'occasion d'en voir plus de Neo-Tokyo, et de sortir en compagnie de Kei sans une quelconque mission à accomplir derrière. Cela le motiva à se rendre dans la chambre pour se préparer, sous les yeux de son hôte qui ne put s'empêcher de sourire tendrement devant cette bonne humeur soudaine.

Il avait l'impression de voir un Joshua plus souriant et enclin à des activités nouvelles. Et ce n'était pas pour déplaire au hacker.

Chapter 16: Zéro gravité

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Les lumières urbaines colorées défilaient à travers les vitres du vaisseau de Kei. À son bord, le hacker pilotait, concentré sur la circulation encore dense malgré l'heure tardive du soir. À côté de lui, Joshua contemplait le paysage nocturne pendant que Neeko, allongée sur ses genoux, l'imitait. Le primitif était toujours aussi subjugué par le panorama qu'offrait Neo-Tokyo la nuit. Au début, il lui trouvait trop de luminosité et cela lui donnait mal aux yeux. Désormais habitué, il appréciait la beauté de tous ces néons et hologrammes brillants dans le noir tels un océan d'étoiles. Le doux sourire sur ses lèvres en témoignait.

Kei faisait visiter une grande partie d'Amaterasu. Mais leur destination était le district voisin : Kojin. Il avait fait un grand détour pour permettre à Joshua de découvrir la partie de la mégalopole où il vivait.

« C'est assez difficile de faire la différence entre les différents districts, confia le brun à son aîné. À part celui de Susanoo qui se démarque assez, je trouve qu'ils se ressemblent tous.

— De l'extérieur, oui, c'est vrai. Mais les commerces, les résidences et certaines allées diffèrent d'un district à l'autre. Là, ça ne se voit pas parce qu'il fait nuit et que quasiment tout est fermé, mais je pense que toute la beauté d'Amaterasu se révèle la journée, contrairement à la majorité de Neo-Tokyo.

— Est-ce que ce ne serait pas parce qu'Amaterasu était le nom de la déesse du soleil, dans la mythologie japonaise de l'ancienne Terre ? questionna Neeko.

— C'est pas impossible, effectivement ! »

Après quelques minutes à discuter et à survoler plusieurs allées, le vaisseau entra dans Kojin. Kei le dirigea vers un bâtiment tout blanc à la géométrie particulière. Une grande tour aux vitres miroitantes possédait la forme d'une voile et s'élevait sur une cinquantaine d'étages. Mais elle était posée sur une immense terrasse décorée de végétation et d'arbres artificiels, elle-même trônant au sommet d'un large bâtiment se hissant depuis le niveau 0 sur une centaine d'étages.

« Qu'est-ce que c'est ? demanda Joshua, intrigué.

— Le musée végétal de Kojin, affirma Nekoo en se rapprochant de la vitre. C'est une exposition sur les plantes et les végétaux de Calreon. Elle n'est pas ouverte au grand public, normalement. Seuls les scientifiques, les hauts gradés et les personnalités les plus importantes et influentes de Neo-Tokyo ont le droit d'y entrer. C'est d'ailleurs pour ça que l'édifice a cette forme si singulière.

— La terrasse que tu vois, ainsi que la tour en dessous sont bien gardées, de jour comme de nuit, expliqua Kei. Mais j'ai déjà réussi à percer cette protection à deux reprises pour visiter cet endroit tant préservé par nos dirigeants. Par contre, un peu de marche et de piratage s'impose.

— Ce sera aussi dangereux que la fois où on s'est infiltrés à la réunion de Chikara ?

— Non, l'accès est plus simple à atteindre. Il faudra juste faire attention aux caméras de surveillance et aux drones qui patrouillent. Et c'est un truc dont je peux me charger sans problème. »

L'argenté dirigea son véhicule en direction de la partie du bâtiment située sous la grande terrasse. Un parking ouvert, sans doute à destination des résidents vivants dans les appartements environnants, se situait dix étages plus bas. Heureusement pour le duo, plusieurs véhicules y étaient garés. La présence de celui de Kei parmi eux n'allait pas attirer l'attention de quiconque passant dans les parages.

« Il y a un ascenseur qui peut nous emmener directement au niveau du musée, mais c'est trop risqué de l'emprunter. Il va falloir monter les escaliers à côté.

— Okay... ? » fit Joshua, pas très enchanté à l'idée de gravir une dizaine d'étages de marches. Mais souhaitant découvrir ce que renfermait le fameux musée, d'ordinaire inaccessible à la population, il ravala sa flemme passagère et suivit Kei et Neeko. Contre toute attente, ces escaliers n'étaient pas surveillés. Au moins, le hacker n'allait pas perdre de temps à pirater des systèmes dès cet instant.

Le trio monta donc. Pas trop rapidement pour ne pas se fatiguer, mais pas trop lentement non plus, pour éviter la survenue d'une mauvaise surprise. Ils faisaient également le moins de bruit que possible, afin de ne pas attirer l'attention d'une quelconque personne séjournant dans l'immeuble.

Ils parvinrent finalement jusqu'à une porte battante menant à la grande terrasse d'entrée et l'entrouvrirent. Plusieurs drones circulaient en effectuant des trajectoires prédéfinies. Il était possible de les passer sans se faire voir en faisant attention. Mais ne souhaitant pas prendre de risque, Kei choisit l'option du hacking. Muni de son eGame-X, le même qui lui avait servi lors de son opération contre Chikara, il pirata les drones les plus proches. Cependant, il ne les immobilisa pas. Il se contenta de désactiver leurs caméras. Des voyants verts, visible au centre de leur châssis, témoignaient de la surveillance active. En coupant les caméras, ces petites lumières s'éteignirent. Mais les drones continuèrent à voler en respectant leur parcours prédéfini.

« Les immobiliser aurait alerté les drones qui sont plus loin et que je ne peux pas atteindre d'ici, informa Kei. Par contre, ceux que j'ai désactivés ne le seront pas trop longtemps. Alors magnons-nous ! »

Aussitôt la mise en garde faite, les deux hommes et l'Ai-pet passèrent la porte en prenant soin de la fermer doucement derrière eux. Ils foncèrent ensuite jusqu'au bâtiment du musée en longeant les bords de la terrasse pour la contourner, tout en restant suffisamment loin des drones complètement fonctionnels, afin qu'ils ne les repèrent pas. Bien évidemment, ce petit monde ne passa pas par l'entrée principale. Une porte verrouillée, plus petite et isolée, se trouvait à l'arrière de la bâtisse avec un terminal informatique à sa droite.

« La particularité du système de ce musée, et que personne ne semble connaître pour le moment, c'est qu'il est possible de pirater l'ensemble du réseau de surveillance de l'intérieur en passant par ce terminal.

— Donc, tu pourrais carrément désactiver toutes les caméras du musée d'un coup ? » questionna Joshua, à la fois surpris et impressionné. Son interlocuteur hocha la tête en souriant tandis qu'il s'attelait déjà à la tâche.

« C'est Neeko qui a découvert cette faille, lorsqu'on s'est infiltrés une première fois. Depuis, je l'exploite quand je viens ici. Par contre, on n'aura pas beaucoup de temps pour explorer. Une demi-heure, maximum. Il faudra qu'on ressorte avant.

— Il n'est donc pas prudent de nous enfoncer trop loin durant notre visite. » affirma Neeko en se tournant vers Joshua. Celui-ci se montra compréhensif et laissa Kei faire. L'opération prit plus de temps que d'habitude, car la manipulation était plus complexe et délicate. Après de longues minutes de concentration, la porte se débloqua et s'ouvrit automatiquement.

« Après toi, Josh ! » l'invita Kei d’un clin d'œil complice. Le brun lui sourit avant d'entrer, suivit de près par les deux autres. Devant le paysage face à lui, Joshua demeura scotché. Un immense arbre s'élevait, depuis l'étage où ils se trouvaient jusqu'au dernier. Plusieurs autres se dressaient un peu partout dans cette grande salle principale qui s'étendait en largeur et en hauteur. Un parterre d'herbes vertes et de fleurs colorées recouvrait le sol autour de ces majestueux végétaux. L'endroit était sombre, mais certains fruits et certaines fleurs luminescentes l'éclairaient de façon discrète mais féerique.

« C'est joli ! complimenta Neeko en s'avançant à travers ce décor.

— Je ne m'attendais pas à voir ça ici, confia Joshua en faisant de même. Mais ce sont vraiment de vrais arbres ? Ils ne sont pas artificiels ?

— Ça t'en bouche un coin, hein ? constata Kei sans perdre son sourire. Je crois que l'arbre au centre date de plus de cent ans. Ceux autour doivent être au moins tout aussi vieux. Des échantillons ont été extraits de la nature Calréenne, puis cultivés ici jusqu'à obtenir ce résultat. Ça ne vaut peut-être pas ce que tu avais l'habitude de voir à l'extérieur, mais pour moi, c'est déjà une chance de pouvoir profiter de ça. C'est juste dommage que je doive me faufiler de nuit pour profiter de cette vue. »

Son rictus se fit amer alors qu'il contemplait les quelques fleurs violettes brillantes non loin de lui. Joshua sentit un certain regret dans sa voix, ainsi qu'une profonde frustration dans son regard. Il pouvait le comprendre : la seule chose propre à la nature luxuriante de cette planète trouvable à Neo-Tokyo était interdite d'accès à la majorité de la population. Le brun ne comprenait pas pourquoi la mégalopole privait le grand public de tout ce qui avait un rapport avec l'extérieur. Concernant la flore et la faune de Calreon, les Neo-Tokyoïstes lambda étaient complètement ignorants. Chose qu'il trouvait dommage en sachant que ces deux aspects avaient la particularité d'être aussi riches, si ce n'était plus, que ceux de l'ancienne Terre.

« J'ai envie de croire que c'est pour les préserver, confia le hacker en déambulant un peu. Pour que les gens ne partent pas chasser les animaux ou déforester les jungles comme nos ancêtres l'ont fait sur leur planète d'origine. Comme je te l'ai dit, l'humanité sait parfois faire preuve de bon sens. Mais est-ce que c'est vraiment pour ces raisons, que la véritable facette de Calreon nous est dissimulée ?

— Ça expliquerait pourquoi les primitifs ne sont pas admis à Neo-Tokyo, supposa Neeko en se tournant vers lui. Sachant qu'ils ont des connaissances à ce sujet, les dirigeants de la ville ne souhaitent pas qu'elles soient partagées avec la population. C'est une forme de contrôle.

— Vous pensez que ça pourrait aussi expliquer pourquoi la Kai-Riu s'est mise à détruire des villages comme le mien ? questionna Joshua. Vu qu'ils ne peuvent pas nous contrôler, ni nous empêcher d'explorer et d'agrandir nos connaissances sur la planète, ils préfèrent nous tuer pour nous faire taire.

— Honnêtement, ça ne me surprendrait même pas, venant de cette entreprise de merde. Et ça ferait du président de Neo-Tokyo un énorme salopard. Sachant qu'il autorise ces méthodes affreuses, ça en fait déjà un complice plus ou moins direct.

— Qui est votre président ? demanda Joshua.

— Michi Akihiko, informa Neeko. En plus de gérer la mégalopole, il est à la tête des forces militaires, dont font partie les autorités du Bushi. Par contre, il est très discret et ne se montre pas beaucoup. Sa résidence et celle de sa famille sont situées au centre de Neo-Tokyo.

— Ça fait plus d'une vingtaine d'années qu'il est au pouvoir, compléta Kei. Je ne comprends pas pourquoi il est autant supporté alors qu'il ne fait pas grand-chose d'exceptionnel, en plus de soutenir l'influence de la Kai-Riu. »

Joshua n'en fut même pas surpris. Si Neo-Tokyo laissait agir une firme comme la Kai-Riu, c'était parce que les hauts placés l'autorisaient. Ni plus, ni moins. Cette mégalopole était dirigée par des gens égoïstes, qui faisaient passer leur bien-être et leur confort avant ceux des autres. Et la population ne s'en rendait même pas compte, tant elle se complaisait dans ce qu'on leur offrait, en dépit de sacrifices d'innocents en dehors de leur cité.

La mâchoire du brun se serra de dégoût à cette pensée. Et le fait de ne pas encore pouvoir remédier à cette situation l'énervait.

« Et si on continuait la visite, au lieu de rester là à discuter ? proposa l'argenté en remarquant son changement d'humeur. Je rappelle qu'on n'a pas beaucoup de temps, alors autant essayer d'en voir un maximum ! »

Le trio s'enfonça un peu plus à travers le musée, contemplant une multitude d'espèces d'arbres, de fleurs ou de fruits. Joshua en reconnaissait quelques-unes. L'envie de cueillir un fruit rose, à la forme rappelant celle d'une banane, lui traversa l'esprit pour le faire goûter à Kei. Mais il changea d'avis en se disant que ce n'était pas une bonne idée. Peut-être que les personnes s'occupant de l'entretien de cet arbre se rendrait compte de l'absence d'un fruit et trouveraient cela suspect, au point de renforcer encore plus la sécurité de l'endroit. Si cela arrivait, il ne serait plus possible pour Kei d'y entrer en douce.

Ainsi, le reste de la demi-heure se passa sous les explications de Joshua concernant certains des végétaux exposés. Il ne les connaissait pas tous, mais parvenait à donner les noms de certains. Le fruit rose aperçu précédemment s'appelait la fojeli. Un autre fruit, cubique et orangé avec un dégradé rouge, se nommait le kiwi de feu. Une fleur ressemblant à un pissenlit, mais dont les pappus étaient jaunes et fluorescent, avait comme nom la brizaflava.

Kei et Neeko furent ravis d'en apprendre plus sur ces plantes, même si le hacker regrettait de ne pas pouvoir en cueillir et en ramener chez lui. Mais soit ! Le jour où Joshua l'emmènerait en dehors des murs de Neo-Tokyo, il aurait l'occasion de cueillir des fleurs et de goûter ces fruits qui lui semblaient juteux et délicieux.

Malheureusement, l'heure était venue de quitter le musée, avant que les caméras de surveillance ne se réactivent. Le trio refit donc le chemin dans le sens inverse. Ils sortirent du bâtiment à temps, et Kei désactiva à nouveau les drones patrouilleurs pour leur permettre de rejoindre le parking sans se faire repérer. Le stress redescendit lorsque leur vaisseau décolla sans encombre, pour repartir en direction d'Amaterasu.

« C'était vraiment une chouette sortie ! s'exclama Neeko avec plein d'étoiles à l'écran. Je suis curieuse de savoir comment c'est en dehors de Neo-Tokyo, maintenant !

— Peut-être dans un futur proche, ma belle, répliqua Kei avec un léger rictus satisfait. Pour l'instant, il nous faudra nous contenter du peu qu'on puisse voir en ville !

— Je ne regrette pas d'être venu ! confia Joshua en souriant à l'adresse de son homologue. En l'espace de plusieurs minutes, j'ai eu l'impression de me retrouver dans cette nature que j'ai délaissée pour venir ici. Je vous avoue que ça m'a fait du bien, de voir toute cette végétation. Ça m'a rappelé de bons souvenirs ! Franchement, merci de m'avoir montré ce musée, Kei ! »

Le sourire de ce dernier s'attendrit alors qu'il restait concentré sur le trafic devant lui. Le hacker sentit ses joues chauffer et son rythme cardiaque s'accélérer. Voir Joshua sourire ainsi et le remercier le comblait de plaisir.

« Ne me remercie pas pour ça. Je suis ravi que cette sortie t'ait plu.

— On devrait en faire d'autres, comme ça ! Pas spécialement dans ce musée, mais dans d'autres endroits de ta connaissance que tu trouves sympas ! »

L'enthousiasme du plus jeune fut si palpable que Kei le regarda avec étonnement, malgré sa conduite. En voyant cette tête qu'il affichait, Joshua se rendit compte qu'il avait omis de lui demander s'il était d'accord et disponible pour cela. En constatant qu'il s'était laissé emporter par sa joie, il dévia ses pupilles vertes d'un air gêné.

« Si tu en as envie, bien entendu. Je veux dire… je ne veux pas te forcer, ni quoi que ce soit...

— Ce sera avec plaisir, Josh ! »

Kei, après avoir reporté son attention sur la circulation, sourit grandement. Il approuva cette idée de refaire des escapades nocturnes en sa compagnie. Cela ferait plaisir à son compagnon, en plus d'être une source de guérison pour lui-même après la perte d'Hayate. Et puis l'argenté ne pouvait pas se le cacher : il appréciait vraiment la compagnie de Joshua et désirait sincèrement passer du temps avec lui. Là était l'occasion de le faire.

Quant au brun, malgré les yeux toujours détournés, il sourit tendrement en entendant son aîné accepter. Dans le fond, il avait hâte de ressortir avec lui. Son regard descendit vers Neeko qui lui affichait un smiley souriant. Il lui caressa alors le dessus de son écran tandis que le vaisseau franchissait la frontière séparant Kojin d'Amaterasu.

 

*

 

Les jours s'enchaînèrent et se ressemblèrent. Mais ce qui paraissait être devenue une routine quotidienne s'avéra bienfaitrice pour le duo masculin. Les journées se passaient avec Kei qui travaillait, et Joshua qui entretenait l’appartement avec Neeko, ou qui s'occupait avec des simulations et d'autres activités. Et lorsque la nuit tombait, les deux hommes faisaient leurs escapades nocturnes. Des fois accompagnés de Neeko, des fois sans elle.

Kei emmenait Joshua dans divers endroits divertissants de Neo-Tokyo : une piscine sphérique composée d'une eau spéciale dans laquelle on pouvait respirer normalement, des manèges en plein air tels qu'une grande roue ou des montagnes russes slalomant autour de plusieurs gratte-ciel, ou encore un observatoire dans lequel on pouvait contempler les trois lunes de Calreon via des télescopes.

Joshua avait découvert de cette manière que deux stations spatiales scientifiques avait été érigée sur Miena et Junea. Celle sur la première servait principalement à l'étude des trois lunes et de la planète autour de laquelle elles gravitaient. Elle permettait également la surveillance de plusieurs satellites déployés autour de Calreon pour assurer la télécommunication de Neo-Tokyo, et analyser la surface de la planète. Celle sur Junea s’orientait plutôt vers la recherche spatiale concernant le système solaire dans lequel se situait leur habitat, mais aussi l'extérieur.

Le brun ignorait si vouloir tout connaître de l'univers était raisonnable. Mais il se souvenait que de telles connaissances avaient permis à l'humanité de survivre à la catastrophe ayant frappé la Terre, plusieurs millénaires plus tôt. Dans tous les cas, il se surprenait à trouver Neo-Tokyo et sa technologie à la fois intéressante et fascinante, ce qui ravissait son hôte.

 

*

 

Une sortie en particulier allait rester gravée à jamais dans les mémoires des deux jeunes hommes. Celle-ci se déroulait de soir au sein du district Amaterasu. Donc, pas trop loin de chez Kei, même s'ils étaient obligés de s'y rendre en vaisseau. Il s'agissait d'un hôtel répondant au nom de Space Heaven. Au départ, Joshua se demandait pourquoi l'argenté l'emmenait dans un tel lieu. Mais il découvrit que cet établissement n'avait rien à voir avec l'hôtel dans lequel ils avaient séjourné au quartier des plaisirs.

À l'accueil, le réceptionniste leur remit la carte magnétique d'une chambre où figurait le chiffre neuf. Il les invita à déposer leurs affaires personnelles dans un casier à proximité portant le même numéro, puis à se déchausser pour enfiler des pantoufles prêtées par l'établissement pour leur séjour. Une fois cela fait, un petit parcours, pointé par des flèches le long des couloirs, leur indiquait les endroits où se rendre.

Ils passèrent d’abord par un vestiaire de douches accueillant, propre et bien aménagé, en plus de contenir le nécessaire pour une toilette impeccable. Après s'être rafraîchi, le duo revêtit un t-shirt aux couleurs de l'espace, avec des étoiles et des planètes, ainsi qu'un bermuda noir, sur le côté duquel était inscrit le nom de l'hôtel.

Leur chemin tracé les mena ensuite dans une vaste salle comportant des tables, des chaises, et même des fauteuils. Quelques distributeurs de plats à réchauffer et de boissons, ainsi qu'un téléviseur et des liseuses holographiques étaient mis à disposition des clients. L'endroit était calme à cette heure, avec peu de monde. Kei et Joshua dînèrent à une table positionnée près d'une fenêtre pour contempler les lumières de la nuit tout en mangeant.

Puis, ils arrivèrent dans le couloir des chambres, tellement silencieux qu’aucun des deux n'osait parler. De plus, la lumière violette tamisée, combinée à la moquette noire avec un motif étoilé, accentuait ce côté calme et apaisant. Un bruit ambiant de vaisseau spatial rendait l'expérience encore plus immersive. Des petits néons encadraient les portes des chambres. Certains, verts, signifiaient que les chambres étaient vacantes. D'autres, bleus, représentaient les pièces occupées. Les deux hommes entrèrent dans la chambre comportant le chiffre neuf en passant leur carte devant un mini scanner, à droite de la porte.

L'endroit se révéla très spacieux pour deux personnes, mais possédait une curieuse configuration. Un grand matelas, noir et moelleux, s'étendait sur toute la longueur et la largeur du sol. Les murs, de la même couleur, donnait un aspect sombre, toutefois atténué par quelques spots de lumière incrustés dans le plafond. Leur luminosité pouvait se régler via un écran tactile à côté de la porte. Kei et Joshua ôtèrent leurs pantoufles avant d'y entrer. La porte se ferma automatiquement derrière eux.

« Insonorisation de la chambre activée pendant le temps de votre séjour ! s'éleva tout à coup une voix synthétique d'homme. Bienvenue au Space Heaven, Chers Clients ! Nous espérons que notre établissement vous offrira une expérience mémorable ! Vous trouverez un placard coulissant sur votre gauche, dans lequel est placé le nécessaire pour dormir. Sur votre droite, un écran holographique vous est mis à disposition pour regarder vos chaînes favorites. Derrière vous se trouve un tableau de bord, permettant de régler la luminosité et la température de votre chambre selon vos préférences. Il vous offre également la possibilité d'expérimenter notre spécialité : l'immersion zéro gravité. Il vous suffit de sélectionner l'option et de suivre les instructions. L'équipe de Space Heaven vous souhaite une bonne soirée ! »

La voix se tut définitivement ensuite. Si de son côté, Kei se réjouit grandement, Joshua se montra légèrement sceptique.

« L'immersion zéro gravité ?

— C'est la raison pour laquelle je voulais te faire venir dans cet hôtel en particulier. C'est un truc vraiment génial, à essayer au moins une fois dans sa vie ! Je sais déjà que tu vas adorer. »

Il s'approcha de l'écran tactile pour sélectionner cette option particulière, sous les yeux dubitatifs de son compagnon.

« Immersion zéro gravité, sélectionnée ! s'éleva à nouveau la voix synthétique. Analyse de la chambre pour vérifier l'absence d'objet pouvant gêner l'expérience... Analyse terminée ! Tout est prêt pour le lancement de l'immersion zéro gravité dans trois, deux, un... »

Tout à coup, les lumières s'éteignirent tandis que les murs, le plafond et le matelas au sol s'illuminaient pour afficher des étoiles, ainsi qu'une planète et trois lunes à proximité. Les deux hommes se sentirent plus légers, et ce, pour une simple raison : ils flottaient. Comme des corps lévitant dans l'immensité de l'espace.

C'était la sensation que cette simulation procurait. Et si Kei était plus qu'heureux de pouvoir à nouveau profiter de ce moment singulier mais terriblement satisfaisant, Joshua, lui, paniqua :

« K-Kei ?! Qu'est-ce qui se passe ?! Pourquoi on se retrouve comme ça ?!

— Calme-toi, Josh, conseilla l'argenté en l'attrapant par la main pour le rassurer. Ce n'est rien de méchant ! C'est juste une simulation imitant ce qu'il se passerait si on se retrouvait dans l'espace, sans les inconvénients qui vont avec. Mais on est toujours dans notre chambre ! »

Le brun avait beaucoup de mal à y croire. Pourtant, l'impression d'être dans l'espace était si bien retranscrite qu'il s'y croyait pour de vrai. Néanmoins, même si le panorama était magnifique à contempler, le primitif ne se sentait pas à l'aise dans cette position peu commune.

« C'est trop bizarre ! confia-t-il en serrant la main de Kei pour être sûr de ne pas le lâcher. Ne pas avoir d'appui me perturbe !

— C'est normal lorsqu'on essaye ce genre de chose une première fois. Mais on s'y fait, à la longue. Juste, détends-toi et profite du spectacle, OK ? »

Ne pouvant rien faire d'autres, Joshua se contenta de l'écouter. Il observa la grosse planète face à lui, ainsi que les trois lunes représentées un peu plus loin.

« C'est Calreon avec ses lunes ?

— Exactement. Et là-bas, tu peux même voir notre soleil ! » affirma-t-il en pointant du doigt un point brillant situé bien plus loin, mais qui apportait lumière et chaleur aux astres.

« C'est beau... s'extasia le brun d’un léger sourire.

— N'est-ce pas ? C'est pour ça que le Space Heaven est l'un de mes hôtels préférés de Neo-Tokyo. Certes, c'est assez cher, mais ça vaut vraiment le coup.

— Je ne vais pas chercher à comprendre comment ils ont réussi à créer des simulations pareilles...

— Tu vas te griller les neurones si tu essayes, rit Kei. Même moi, je ne sais pas vraiment comment une telle prouesse a pu être réalisable. Mais on la doit grandement à nos spécialistes en recherche spatiale. »

Il se tourna vers son cadet, dont le sourire s’élargissait devant un tel spectacle qu'il n'avait pas l'occasion de voir tous les jours. Kei fut happé par sa bouille enjouée et par ses mèches brunes, doucement balayées par l'effet d'absence de gravité. L'argenté fut tiraillé entre deux envies : attirer Joshua vers lui pour réduire encore plus leur proximité, ou le taquiner gentiment.

Après réflexion, alors qu'un rictus farceur étirait ses lèvres, il lâcha brusquement la main de son compagnon pour le laisser léviter tout seul. La réaction du plus jeune fut vive alors que Kei faisait exprès de s'éloigner.

« Pourquoi tu m'as lâché ?! demanda-t-il vivement en agitant ses bras et ses jambes n'importe comment. Je ne sais pas naviguer en apesanteur, moi ! Reviens, Kei !

— C'est pas spécialement compliqué de se déplacer, pourtant ! C'est même plus facile que sur la terre ferme ! Après, je sais pas si c'est pareil en vrai, dans l'espace.

— Je m'en fous que ce soit pareil ou pas ! Reviens m'attraper ! Je ne suis pas rassuré de flotter comme ça tout seul !

— OK ! OK ! Du calme, mon grand ! »

Alors qu'il était arrivé près d'un mur, le hacker prit appui dessus pour se propulser jusqu'à lui et l'attraper dans ses bras.

« Content maintenant ? le nargua-t-il en lui offrant un clin d'œil.

— Idiot, va ! Arrête de profiter de mon ignorance pour m'embêter comme ça ! ordonna Joshua en lui offrant une mine boudeuse.

— Mais c'est tellement drôle ! »

Le plus jeune prit un air complètement blasé devant cette justification, faisant gentiment rire Kei qui s'excusa finalement de cette petite farce. Les deux hommes se fixèrent alors qu'ils flottaient encore dans le vide intersidéral, l'un dans les bras de l'autre. Un silence régnait, mais aucun ne voulait le perturber. Ils souhaitent profiter pleinement de ce cadre singulier mais apaisant. Profiter de ce moment où il n'étaient que tous les deux, oubliant un peu toutes les péripéties endurés jusqu'en ce jour.

L'argenté à la peau brune sourit tendrement alors qu'il resserrait légèrement son étreinte autour de la taille de Joshua. Celui-ci sentit le sang affluer à ses joues, mais sourit nerveusement. Dans le fond, il ne voulait pas que ce moment s'arrête. Se retrouver ainsi et dans un tel environnement lui était si agréable ! À un point qu'il avait levé sa main vers le visage du plus âgé pour lui caresser la joue avec délicatesse.

Kei haussa les sourcils d'étonnement. Il ne s'attendait pas à un tel geste de sa part, mais ne s'en plaignait pas : la main de Joshua était chaude et douce. Le contact avec sa peau était délicieusement plaisant. Il la saisit alors, avant de déposer ses lèvres sur ses phalanges, ce qui fit frissonner l’homme aux mèches marron.

« K-Kei ? »

Le visage de Joshua vira à un rouge rappelant une tomate au soleil. Le sourire de son ami s'agrandit :

« Pourquoi cette soudaine timidité, Josh ?

— Je... Euh... C’est pas de la timidité, c’est juste que... c'est un peu nouveau pour moi... » affirma-t-il en détournant son regard embarrassé. Mais tout à coup, le décor disparu et l'effet d'apesanteur également. Les deux hommes tombèrent alors, Joshua au-dessus de Kei. Le moelleux du matelas avait amorti la chute, qui n'était pas longue. Mais se prendre le poids du primitif sur tout son corps fit assez mal au hacker.

« Aaaaïe....

— Veuillez nous excuser pour cet incident technique, s'éleva la voix synthétique qui les avait accueillis. Une erreur est survenue dans notre système de simulation. Notre équipe fait tout pour régler le problème. Durant le processus, l'immersion zéro gravité sera indisponible. Nous sommes navrés pour la gêne occasionnée ! Notre établissement vous fera un geste commercial pour compenser la perturbation de votre expérience. »

Aucun des deux hommes ne s'était attendu à cela. Au pire moment, en plus ! En entendant Kei gémir douloureusement sous lui, Joshua se redressa en le regardant.

« Ça va ?

— T'inquiètes ! fit l'autre d'une voix légèrement rauque en souriant. Je survivrai. Mais tu pèses ton poids ! »

Le brun s’écarta pour s'asseoir à ses côtés et le laisser se redresser à son tour. Kei se releva en position assise. Difficilement, mais sûrement. Les deux se fixèrent ensuite, avant de pouffer à l’unisson devant la cocasserie de leur moment.

« Ça aura eu le mérite de nous prendre par surprise ! affirma le hacker.

— Pas faux ! »

Une fois le fou rire passé, les deux s'échangèrent encore un regard. Timide pour Joshua, tendre pour Kei. Ce dernier détourna le regard en conservant un petit sourire.

« N'empêche, j'aurais préféré que l'immersion zéro gravité ne s'arrête pas aussi soudainement. »

Le primitif dévia sa tête à son tour, souriant de la même manière.

« Moi aussi. »

Un silence s'installa. Aucun des deux ne bougeait de sa position. Joshua lançait quelques regards discrets vers son aîné pendant que son rythme cardiaque s’accélérait. Mais son coeur manqua un battement en sentant l'auriculaire de Kei effleurer le sien à plusieurs reprises. Le hacker plongea ses pupilles brunes dans les iris verts du plus jeune.

Son doigt se fit plus aventureux en caressant à présent l'annulaire de son cadet.

« Je dois avouer… que durant notre immersion… ce n'était pas uniquement ta main que je voulais embrasser. »

Les rougeurs de Joshua lui revinrent aux joues. Son cœur s'emballa dans sa poitrine. Trop embarrassé, il voulut éviter le regard de Kei. Mais impossible. L'expression et la gestuelle de l'homme aux cheveux blancs l'envoûtaient. Et ce contact au niveau de leurs mains lui procurait une sensation inconnue jusque-là. Même avec sa petite amie d'autrefois, il n’avait pas ressenti cela.

« Josh, murmura presque son compagnon en se penchant légèrement vers lui. Est-ce que je peux ? »

Le concerné déglutit devant une telle proposition. Si bien qu'il en demeurait bouche bée, sans accepter ou refuser. En le voyant aussi hésitant, Kei comprit que sa demande était peut-être trop brusque. Il se recula en déviant le regard, un sourire nerveux aux lèvres.

« Désolé, je... Je n'aurais pas dû poser cette question comme ça. Je n'ai pas envie de te forcer à quoi que ce soit. Et je ne veux pas te créer une quelconque confusion vis-à-vis de... »

Sa voix s'évanouit dans sa gorge et son corps se figea en sentant des lèvres contre les siennes. Joshua s'était brusquement rapproché de lui pour déposer ce baiser. Un baiser bref et léger, sans pour autant être chaste. Le brun se décolla de quelques centimètres trois secondes plus tard. Seulement, Kei ne voulait pas que ce moment s'interrompe. Pas aussi vite !

Il réduisit à néant la distance entre leurs visages et l'embrassa à son tour. Joshua sursauta presque. Mais la douceur du baiser le détendit peu à peu. Alors qu'il sentait la main de Kei envahir le dessus de la sienne, Joshua ferma les yeux, ne pensant plus à rien d'autre qu'à cet instant amoureux. Il laissa l'argenté approfondir cet échange, devenu progressivement langoureux.

La chaleur monta. Les deux se lovaient un peu plus à chaque seconde. De manière inconsciente, le primitif accrocha sa main libre au t-shirt de son aîné, comme pour ne pas le laisser s’éloigner. Kei, assez surpris, entrouvrit ses paupières. En voyant un Joshua fiévreux dévorer ses lèvres d’une passion grandissante, l’autre entrelaça ses doigts entre les siens, fermant de nouveau les yeux pour profiter de ce moment magique. Son autre main caressa le dos de son cadet avec délicatesse.

L’envie d’allonger Joshua sur le matelas et de continuer à l’embrasser de la sorte chatouilla Kei. Mais plutôt que de faire perdurer cet instant qu’ils partageaient pour la première fois, il choisit de couper court. Il décolla leurs visages, en mordillant gentiment la lèvre inférieure du chasseur au passage. Les deux hommes se fixèrent, joues empourprées.

« Je... Euh… bégaya le plus jeune, son regard détourné et peu assuré.

— Je ne m’attendais pas à ce que tu embrasses aussi bien. » confia l’autre garçon d’un tendre sourire. Joshua ignorait où se mettre, tant il se sentait embarrassé. Mais en fixant leurs mains toujours enchevêtrées, et surtout en réalisant que leur relation évoluait, il lui sourit maladroitement.

« Pourtant… C’est un peu nouveau pour moi. Je veux dire… J’ai jamais embrassé d’homme jusqu’à maintenant…

— Et comment tu as trouvé cette expérience ? » questionna Kei, dont le sourire s’élargissait. Son compagnon avoua qu’elle n’était pas désagréable, loin de là. Il croyait se sentir peu à l’aise, et s’était même préparé à l’arrêter à tout moment. Mais en sentant la sincérité de l’argenté à travers ce baiser, et en découvrant la réciprocité de ses propres sentiments, Joshua avait juste laissé parler son corps et ses désirs. Et il ne cacha pas son bonheur en repensant à ce vécu ensemble.

Attendri par son expression à la fois réservée et contente, Kei sentit son coeur battre de satisfaction et de joie, à un point qu’il ne put s’empêcher d'ébouriffer avec douceur les mèches marron du primitif. Celui-ci rit gentiment devant ce geste affectif et plaisant.

Tous deux finirent par se coucher, en constatant l’heure tardive. À la différence des autres nuits passées ensemble, ils s'endormirent l'un blotti contre l'autre. C'était leur façon de prolonger cette soirée spéciale, durant laquelle ils avaient enfin assumé ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre.

Chapter 17: Révolte civile

Chapter Text

Kei se réveilla sous la douce lumière tamisée de leur chambre temporaire. Allongé sur le côté, la tête collée à l’épaule de Joshua, il entourait de ses bras ce dernier, endormi et dos à lui. Le hacker se redressa légèrement pour contempler ce visage plongé dans un paisible sommeil.

Je ne sais pas s’il se rend compte d’à quel point il est mignon, quand il dort comme ça…

Affichant un léger sourire, il attrapa son cellulaire à côté de lui, en prenant soin de ne pas tirer son compagnon de sa léthargie.

Sept heures du matin, déjà.

L'impression d'avoir passé une nuit trop courte se faisait sentir. Ces dernières semaines, les journées semblaient défiler à la vitesse de l'éclair. Pourtant, une journée à Calreon durait vingt-six heures ! Mais Kei ne les sentait pas. Encore moins depuis l'arrivé de Joshua dans sa vie.

Il déposa son gadget sur le matelas avant de se tourner encore vers son cadet. Il n'hésita pas à approcher sa main de ses mèches brunes pour les toucher et les caresser avec tendresse.

L'autre gigota en gémissant avant de se retourner pour lui faire face, les yeux à moitié ouverts. Il émergeait de sa léthargie à son tour. L'argenté sourit devant sa bouille encore fatiguée.

« Salut. » murmura l'informaticien avant de déposer un baiser sur son front. Joshua sourit, malgré ses joues légèrement rougies.

« Salut Kei... Bien dormi ?

— Je crois que c'est l'une des meilleures nuits que j'ai passées ces derniers jours.

— À ce point ? rit gentiment le brun en arrangeant de sa main les cheveux de son interlocuteur lui tombant sur le front.

— Je n'exagère même pas ! »

Le primitif fut ravi, en plus d'avoir passé une excellente nuit. Peut-être la meilleure, depuis la catastrophe ayant frappé son village natal.

« On ferait mieux de se préparer, prévint le plus âgé. Il faut libérer cette chambre avant neuf heures. Même si on a largement le temps, je préfère qu'on ne s'éternise pas trop. Surtout si on ne peut plus activer l'immersion zéro gravité.

— C'est un peu dommage. Mais je suppose qu'on aura d'autres occasions d'en profiter ? Ou même de découvrir d'autres hôtels, ou des établissements proposant des expériences toutes aussi enrichissantes et sympathiques ? »

Totalement le genre d'activité qui enchantait Kei, en somme ! Bien qu'il connaissait suffisamment Neo-Tokyo pour y naviguer sans problème, certaines choses offertes par cette mégalopole lui étaient encore inconnues. Les découvrir en même temps que Joshua serait génial ! Mais ils n'en étaient pas encore là pour l'instant.

Après avoir déposé un autre baiser sur le front du plus jeune, le hacker se leva du matelas pour se préparer à quitter la chambre. Joshua l'imita. Ensemble, ils prirent une douche avant de récupérer leurs affaires et de dire au revoir au Space Heaven.

 

*

 

Quelques dizaines de minutes plus tard, les deux rentrèrent dans l'appartement de Kei. Neeko, sous sa forme de robot humanoïde à couettes blondes, préparait déjà le petit-déjeuner pour leur retour. Elle les salua aussitôt.

« C'était comment, ce séjour au Space Heaven ? Qu'est-ce que Joshua en a pensé ?

— T’aurais vu sa tête, il était en panique totale durant l'immersion zéro gravité ! » plaisanta Kei, sous l'air boudeur du brun. Mais son expression enjouée s'attendrit alors qu'il tournait sa tête vers lui.

« À part ça, on y a passé un super moment. Et je payerai cher pour le revivre à nouveau. »

Touché en plein cœur, le primitif sentit ses joues s'empourprer et détourna son regard gêné. Un timide sourire étira toutefois ses lèvres.

« Je... vais déposer nos affaires dans ta chambre. Je reviens ! » proposa-t-il avant de se précipiter dans la pièce voisine en emportant son sac et celui de Kei. Ce dernier pouffa discrètement devant une telle réaction. Il trouvait Joshua à la fois adorable et hilarant lorsque sa timidité se manifestait. Mais plutôt que de l'embêter là-dessus, il le laissa faire et s'approcha du coin cuisine pour aider Neeko.

« Je peux m'en occuper, Kei. Tu viens tout juste de rentrer ! Tu ne préfères pas te poser sur un fauteuil et regarder la télévision ?

— Si ! Mais j'ai aussi envie de t'aider pour te ménager le travail. Je sais que tu es une IA et que ta fonction est d'aider ton propriétaire. Mais ça me fait plaisir de te donner un coup de main de temps en temps. Surtout que finalement, tu représentes pour moi bien plus qu'une machine. »

Alors qu'elle remuait une soupe miso fumante dans une casserole, l'androïde arrêta ses mouvements, le regard perdu. Cette réaction inhabituelle de sa part interpella Kei.

« Neeko ? Tout va bien ?

— Je suis... confuse. J'ai... du mal à comprendre comment je peux représenter plus qu'une machine à tes yeux alors que c'est littéralement ce que je suis. »

Kei ne put s'empêcher de sourire en s'approchant d'elle pour prendre la cuillère en bois dans ses mains, et remuer lui-même le bouillon.

« En tant qu'Ai-pet, tu es comme un animal de compagnie. Mais j'ai appris à te connaître avec le temps. À voir comment tu réagis, comment tu résonnes. Je t'ai même reprogrammée à plusieurs reprises pour te personnaliser et pour que tu aies un peu plus de libre-arbitre. Et de ton côté, tu as également appris à me connaître, à retenir mes préférences, à anticiper certaines de mes décisions. Je trouve qu'on se complète, en quelque sorte ! Je te considère plus comme une personne à part entière que comme une IA. »

Neeko tourna sa tête vers lui, en la penchant légèrement sur le côté.

« C'est... étrange, confia-t-elle. Un sentiment de bonheur me traverse. Mais c'est comme s'il était anormalement amplifié, à un point où je me sens émue. Seulement, en tant que robot, je ne peux pas verser de larme. »

Le sourire de Kei s'agrandit. Il se tourna vers l'automate et posa doucement sa main sur le dessus de son crâne pour le caresser. Une hypothèse concernant cette attitude de Neeko émergea dans son esprit : elle s'humanisait de plus en plus, mais ne semblait pas encore le comprendre.

« Ne te prends pas la tête avec ça, d'accord ? Retiens juste que t'aider à préparer un repas ou à faire du ménage ne me dérange pas. IA ou pas, tu es mon amie avant tout. Et à ce que je sache, les amis ça s'entraide, non ? »

L'expression figée du robot cachait les émotions de Neeko, contrairement à son apparence féline qui exprimait des émoticônes variées en fonction de ses humeurs. Mais elle fit comprendre par un hochement de tête qu'elle partageait l'avis de l'argenté.

 

*

 

Le repas du matin enfin prêt, le duo masculin mangea en discutant de leur séjour au Space Heaven. Inévitablement, la conversation arriva sur leur confession mutuelle et leur premier baiser. Malgré son léger embarras, une question brûlait trop les lèvres de Joshua pour la laisser sous silence plus longtemps.

« Est-ce que c'était... sincère ? Enfin... Je pense que c'était sincère de ta part, mais... Je veux dire, tu ressens vraiment ce genre de chose... pour moi ? »

Il se gratta nerveusement l'arrière de la tête en détournant son regard. Kei rit doucement devant son hésitation.

« Il faut croire que je me suis rapidement attaché à toi ! En tout cas, si c'est arrivé, c'est parce que je le voulais. J'embrasse pas sur un coup de tête.

— Pourtant... tu as bien eu plusieurs relations avant, non ?

— Ça pour le coup, c'était sur un coup de tête !

— Et ça contredit ce que tu viens de me dire...

— OK, j'avoue, je peux embrasser quelqu'un sur un coup de tête. Ça ne veut pas dire pour autant que c'est le cas avec toi. Et puis, ça aurait été plutôt stupide de ma part d'embrasser un primitif sur un coup de tête si je ne ressentais rien pour lui, tu ne penses pas ? »

Il marquait un point. Mais alors, était-ce stupide de la part de Joshua de s'éprendre d'un habitant de Neo-Tokyo ?

« Tu te prends trop la tête avec ça, mon Josh ! Relaxe ! Considère ce qu'il s'est passé hier soir comme un avant-goût de ce qu'on pourrait vivre par la suite. Au sens sentimental comme charnel ! »

Il lui offrit un clin d'œil charmeur qui figea Joshua sur le moment, avant de doucement le faire sourire.

« Tant que tu n'es pas aussi direct et pervers que les deux clowns qu'on a croisés l'autre soir au quartier des plaisirs...

— Je te rassure, ça ne risque pas d'arriver, ça ! »

Un peu plus loin, Neeko, dans son corps de robot-félin, s'était installé devant le téléviseur projeté. Elle zappait les différentes chaînes en écoutant la conversation de Kei et de Joshua. Un joyeux smiley apparut sur son écran en comprenant qu'un gros rapprochement s'était opéré entre eux.

Cependant, cette émoticône s’effaça en se concentrant sur les informations du jour.

« Flash spécial ! Nous venons d'apprendre la formation de plusieurs manifestations au sein des districts d'Izanagi, Suijin et Hotei. D'après nos journalistes dépêchés sur place, les manifestants souhaitent apporter leur soutien aux familles des trois victimes retrouvées mortes dans une tour du district Susanoo. Mais certains d'entre eux se montrent particulièrement violents et exigent des explications de la Kai-Riu qui, selon certaines sources, possèdent actuellement la propriété du bâtiment. Le Bushi tente difficilement de les calmer. »

En entendant cela, Kei et Joshua interrompirent leur discussion pour se concentrer sur ce journal. Ils furent surpris par toute cette agitation. Mais leur stupéfaction s'agrandit en voyant un homme, probablement au milieu de sa quarantaine, prendre la parole devant les journalistes. Le hacker l'observa brièvement : de courts cheveux roux soigneusement coiffés, des pupilles violettes qui lui donnaient un air intimidant, et ce costume cravate similaire à celui que portait Chikara lors de sa réunion. Cela ne faisait plus aucun doute !

« Tama Daisuke, dit-il en fronçant des sourcils.

— Un autre des fondateurs de la Kai-Riu ? » demanda Joshua. La réponse lui parvint quelques secondes plus tard alors que le nom du co-fondateur s'affichait lors de sa prise de parole :

« Je comprends tout à fait ce qui anime ces différentes manifestations. Je partage la douleur des proches des trois jeunes victimes retrouvées mortes dans nos locaux à Susanoo. Je comprends également la méfiance engendrée par une telle tragédie. Mais je vous assure qu'une enquête est en cours pour déterminer ce qu'il s'est réellement passé. Ainsi, j'appelle les citoyens au calme tant que cette affaire ne sera pas élucidée. Et je m'assurerai qu'un tel incident ne se reproduira plus jamais.

— Incident ? maugréa Kei. Alors qu'il s'agit littéralement d'un meurtre prémédité ?

— Le toupet du gars, sérieux... soupira Joshua. Mais est-ce étonnant de sa part ?

— J'ai vraiment hâte qu'on l'enferme de la même manière que Chikara ! Et Isao Junpei avec !

— Le truc, c'est que Chikara Masato avait des affaires compromettantes qui nous ont permis de l'arrêter, raconta Neeko. Mais ce n'est pas le cas pour Tama ou Isao ! »

L'intelligence artificielle voyait juste. Ces deux-là seraient bien plus difficiles à appréhender que leur collègue écroué. D'un autre côté, pour faire tomber la Kai-Riu, il fallait provoquer la chute des deux fondateurs restants. Surtout qu'ils pouvaient à tout moment faire libérer Chikara en usant de leur influence, ce qui réduirait à néant tous les efforts de Kei et de Joshua.

Tout à coup, le cellulaire du hacker sonna. En voyant le nom de Kaze, il répondit à l'appel.

« Yo, Kaze ! Quoi de neuf ? demanda-t-il en souriant légèrement.

— Kei, j'ai une mauvaise nouvelle : les Masamune sont revenus à la charge contre le Cyber Ladies !

— Encore ?! » firent à l'unisson l'informaticien et le primitif, tandis qu'un point d'exclamation s'affichait sur l'écran de Neeko. Le chef des Shuriken ignorait si c'était pour tenter d’enlever Natsu une fois de plus. Mais il assurait faire son possible avec son gang pour protéger l'établissement et ses employés de l'attaque. Néanmoins, il pria le duo masculin de se rendre auprès de Ryo et de Natsu au plus vite pour s'assurer de leur sécurité.

« J'ai tenté de joindre les deux, mais aucune ne répond ! Ça m'inquiète, mais je ne peux pas aller vérifier par moi-même pour l'instant.

— Alors on s'en occupe ! proposa Kei en regardant Joshua qui hocha fermement la tête d'un air sérieux. Tenez bon avec ces Masamune à la con ! Je te tiens au courant pour Ryo et Nat'. »

Kaze acquiesça avant de précipitamment raccrocher. Comprenant l'urgence de la situation, Kei et Joshua délaissèrent leur déjeuner et accoururent vers la porte d’entrée.

« Neeko, je te laisse débarrasser la table, lui parla son maître. On essayera de ne pas être trop long. Ne te mets surtout pas en veille tant qu'on ne sera pas rentrés ! Je risque de te contacter à tout moment.

— D'accord. Faites attention à vous ! »

Le duo masculin fonça au parking pour embarquer dans le vaisseau de Kei.

 

*

 

Le trajet ne dura pas longtemps, car le hacker conduisait à une vitesse excessive. Il ne voulait pas attirer l'attention en enfreignant les règles de la circulation, mais il s’inquiétait trop pour voler correctement. Ignorant si Ryo et Natsu allaient bien, il souhaitait être fixé à ce sujet au plus vite. La perte d'Hayate lui avait déjà fait suffisamment mal. Le jeune homme ne supporterait pas de perdre un autre ami proche.

Arrivés à destination au district Izanami, Kei sonna à la porte de Ryo. Personne ne leur ouvrit. L'argenté sonna à nouveau et à plusieurs reprises, mais la situation ne changea pas.

« Peut-être qu'elles dorment ? Ou qu'elles sont sorties s'acheter des trucs ? supposa Joshua, plus pour se rassurer, et rassurer son compagnon qu'autre chose.

— Elles ne seraient pas sorties comme ça, en sachant que les Masamune recherchent Natsu. Et à cette heure, elles sont généralement déjà debout depuis longtemps. Quelque chose ne va pas. Je vais ouvrir cette porte de force ! »

Joignant l'acte à la parole, il s'approcha du scanner à empreinte digitale de l’accès, qui comportait un petit clavier numérique. Il sortit ensuite son cellulaire et utilisa un programme installé dessus pour tenter de le pirater. Après presque dix minutes de manipulation...

« Joshua, tape dans l’ordre les chiffres 6, 7, 8, 0, 2 et 1 avant de poser délicatement ta main sur le scanner. »

Le brun s'exécuta sans poser de question. Les qualités de hacker de son compagnon n'étaient plus à prouver. Il lui fit confiance et composa le code avant d'apposer sa main à l'emplacement dédié.

« Yume Ryo, identifiée ! s'éleva une voix synthétique de femme. Bienvenue chez vous, mademoiselle ! »

La porte s'ouvrit automatiquement. Les deux hommes se précipitèrent à l'intérieur, mais se figèrent en découvrant le salon et le coin cuisine partiellement saccagés. Des ustensiles, entiers ou cassés, gisaient au sol. Pareil pour quelques coussins. Les deux robots de Ryo, à savoir Gauthier et Sebastian, avaient été mis en pièces sans aucune pitié.

Ils étaient arrivés trop tard.

« Bon sang... » murmura Joshua, horrifié par un tel désordre. Kei se précipita vers les autres pièces. Mais contre toute attente, celles-ci n'avaient pas été dérangées. Et la capsule contenant les cendres d'Hayate était encore à sa place.

Le jeune homme comprit peu à peu ce qu'il s'était passé : les Masamune avaient tenté d'emmener Natsu de force, mais celle-ci, Ryo et les deux automates s'étaient défendus. Malheureusement, ils avaient probablement eu le désavantage du nombre, surtout après la destruction des deux androïdes. Le gang avait donc embarqué les deux femmes. Mais pour les emmener où ? Dans l'un des locaux de la Kai-Riu, pour qu'elles connaissent un sort similaire à celui d'Hayate et des deux victimes de Chikara ?

L'informaticien frissonna à cette simple idée.

« Kei, viens voir ! » l'appela Joshua face à un mini-projeteur holographique qu'il venait d'allumer en appuyant sur son unique bouton. Un petit écran lumineux s'afficha avec un message inscrit :

« Takahashi Kei. Si tu veux revoir tes deux copines vivantes, retrouve-nous au niveau 1 de cette allée, dans le troisième bâtiment à la droite de celui-là en sortant. C'est un hangar désaffecté. T'as pas intérêt à te tromper, ni à tarder. Sinon, j'en connais quelques-uns qui s'amuseront bien avec tes putains. Viens seul. »

Il n'y avait aucune signature.

« Les Masamune sont vraiment répugnants... grogna Joshua.

— À qui le dis-tu ? répliqua Kei en éteignant le projecteur. Au moins, on sait où chercher.

— Attends, c'est peut-être un piège, tu sais ? Surtout qu'on ne sait même pas précisément qui est derrière ça.

— Au point où on en est, je me fiche de l'auteur de ce message. Mais t'as raison sur un point : ça sent le coup fourré à plein nez. »

Il leva les yeux vers le brun avant de reprendre.

« Mieux vaut que tu ne m'accompagnes pas. Sachant qu'on souhaite me voir seul, j'ignore ce qu'ils feront à Natsu et à Ryo, si on me voit avec toi.

— S'ils sont nombreux, tu te retrouveras seul contre tous !

— J'étais seul contre tous, quand je t'ai défendu contre cinq membres de ce gang, le jour de notre rencontre ! Ce n'est pas le désavantage du nombre qui m'effraie.

— Peut-être, mais contrairement à ce jour où tu les avais eus par surprise, ils seront bien préparés, cette fois-ci. Peut-être même armés jusqu'aux dents ! »

L'homme aux mèches platine comprenait l'inquiétude de son cadet. Il en était d'ailleurs très touché. Seulement, il n'existait pas d'autres alternatives. Pour préserver ses deux amies de la possible torture qu’on pouvait leur réserver, il devait suivre les instructions du message, quitte à se jeter dans la gueule du loup.

« Je vais te suivre, mais de loin, proposa Joshua en se rapprochant de lui. Je vais faire en sorte de ne pas me faire repérer par qui que ce soit, et de voir comment ta rencontre avec ces gens se passera. En fonction, j'aviserai. »

Kei n'aimait pas cette idée. Il craignait de voir Joshua se mettre en danger.

« Eh bah, la confiance règne... fit celui-ci en roulant les yeux d'exaspération.

— C'est pas que je ne te fais pas confiance, Josh. Au contraire ! C'est juste que... je n'ai pas envie de te mêler à ça. Tu en as déjà pas mal bavé à cause des Masamune, et...

— Kei, on est en train de perdre du temps alors que Ryo et Natsu sont prisonnières de ces enfoirés ! On n'a pas le temps de trouver un meilleur stratagème. Je m'en tiens à ma proposition. Que ça te plaise ou non, je te suivrai de loin. C'est hors de question que je reste là à attendre alors que je peux t'aider. Après tout ce que tu as fait pour moi, laisse-moi te rendre la pareille, s'il te plaît ! »

Après réflexion, le concerné esquissa un sourire, heureux de découvrir la loyauté de Joshua à son égard. Le primitif venait de confirmer qu'il était une personne fiable, dotée d'une bonne volonté et d'un esprit de justice qui n'avait rien à envier à celui de Ryo ou de Kaze.

« Merci, Josh.

— Tu me remercieras lorsqu'on sera tiré d'affaire avec Ryo et Natsu ! Pour l'instant, allons voir ce fameux hangar. »

Le duo quitta alors l'appartement encore en désordre, et prit plusieurs ascenseurs pour descendre jusqu'au niveau 3. Afin de descendre encore plus bas, ils étaient forcés d'emprunter des escaliers.

 

*

 

L'ambiance changeait radicalement dans cette partie basse du secteur. Et dans le mauvais sens du terme. Les rues désertes, les murs tagués et le sombre brouillard présent rendaient l'atmosphère oppressante. Aucun vaisseau n'osait s'aventurer aussi bas.

« Je pars devant, fit Kei à voix basse. Attends que je sois suffisamment éloigné pour me suivre. Sois aussi discret et naturel que possible. Si tu vois quelqu'un débarquer et te regarder d'un air chelou, ignore-le et accélère la marche.

— Je pense pouvoir y arriver, ne t'en fais pas. Toi par contre, fais attention. On ignore ce qui t'attend, une fois là-bas. Je sais que tu es fort au combat rapproché, mais ils vont peut-être ruser.

— Tant qu'on ignore où sont les filles et si elles vont bien, n'intervient pas, quoi qu'il arrive ! »

Joshua hocha doucement la tête. Cette idée ne l'enchantait pas, mais il n'avait pas trop le choix. Les vies de Ryo et de Natsu en dépendaient peut-être.

Ainsi, le duo se sépara. Kei s'engagea dans l'allée vers sa droite, sous les yeux anxieux de Joshua, qui patienta quelques instants à sa position. Il ne commença à le suivre que lorsque l'argenté le distança d'une bonne quinzaine de mètres.

Un instant plus tard, le hacker arriva au fameux hangar désert. Il se présentait comme un garage, sauf que des graffitis en tout genre envahissaient le sol et les murs. De vieilles carcasses de véhicules traînaient par-ci par-là, et quelques tonneaux enflammés y étaient dispersés.

Un coin peu fréquentable, en somme. Mais c'était tout à fait le genre d'emplacement qu'affectionnaient les Masamune. Kei le savait car en tant qu'ancien membre de ce gang, il avait déjà visité des lieux similaires, tous aussi délabrés et sales.

J'espérais ne plus jamais remettre mes pieds dans un endroit comme celui-là...

Alors que ses pas l'amenaient près d'un tonneau en feu, quelques silhouettes sortirent de l'ombre du hangar. Tous des hommes plus ou moins costauds, portant chacun le tatouage démontrant leur appartenance au gang du dragon rouge. Kei en dénombrait une dizaine environ, ce qui rendait toute tentative de défense compliquée. Autant il se savait capable de gérer cinq individus de ce style en même temps, autant il lui serait plus difficile de venir à bout de dix simultanément.

« Te voilà enfin, Keisuke ! Ça faisait un bail, hein ? »

Cette voix d'homme sonnait familière aux oreilles de Kei. Alors qu'il se tournait en direction de sa provenance, un briquet s'alluma plus loin pour embrasser un petit baril contenant une substance inflammable. Cette nouvelle source lumineuse dévoila la silhouette assise d'un homme brun, dont la moitié de la tête était rasée, pendant que l'autre se recouvrait de mèches lisses et assez longues. Sa veste en cuir noire ouverte par-dessus un pantalon assorti exposait son torse musclé et tatoué. Son air, à la fois intimidant et sournois, fit grimacer l'informaticien, qui recula de quelques pas par réflexe.

Merde !

Ce type... Il le connaissait, et même très bien !

« Takumi ? » réalisa-t-il en serrant ses poings de rage, mais aussi de peur. Cet homme était son ancien employeur, à l'époque où il travaillait pour les Masamune à la solde de la Kai-Riu. Il ne s'attendait absolument pas à le retrouver en ce jour. Et encore moins à ce qu'il le reconnaisse.

« Tu pensais pouvoir définitivement m'échapper ? T'es encore plus con que je ne l'imaginais, mon pauvre gars ! »

Quelques rires moqueurs s'élevèrent chez les voyous environnants. Kei se savait désormais dans de beaux draps. De plus, il ne semblait y avoir aucune trace de Ryo ou de Natsu dans les parages.

Comment je vais me tirer de là ?

Telle était la question qu'il se posait, pendant que Takumi se relevait de sa chaise pour le confronter.

Chapter 18: Règlement de compte

Chapter Text

Takumi contournait un Kei immobile en conservant une distance de deux mètres entre eux. Le hacker détestait son sourire narquois.

« Je ne peux pas nier que tu as du cran, Keisuke ! Quitter les Masamune du jour au lendemain, puis disparaître complètement de la circulation en changeant de nom et d'apparence... T’es même allé jusqu'à te faire enlever le tatouage de notre gang. Qu'est-ce que t'espérais ? Que tu nous échapperais comme ça ? Tu sais pourtant que notre groupe et la firme qui l'emploie retrouvent toujours ses éléments perturbateurs pour les punir !

— Certes, vous m'avez retrouvé. Et donc ? Est-ce que vous aller pour autant réussir à me punir, comme tu dis ?

— Mec ! T'es tout seul contre nous tous ! s'éleva la voix d'un délinquant présent.

— On peut t'éclater en quelques secondes, alors fais gaffe à ce que tu dis ! » conseilla un autre. Kei se contenta de fixer Takumi, qui passait devant lui au même moment.

« Tes potes ont parlé, ou ils ont pété ? Les Masamune aboient beaucoup mais ils sont tellement lâches et sans couilles qu'ils doivent se mettre à plusieurs contre un pour être sûrs d'avoir l'avantage. »

L'indignation monta chez certains membres de la bande, qui mourraient d'envie de le tabasser. Leur chef les commanda de se retenir, mais ne put s'empêcher d'émettre un rire moqueur face à un tel répondant.

« T'as envie de crever aujourd'hui ou quoi ?

— Pas vraiment, non. En tout cas, pas avant que mes copines soient relâchées.

— Tu t'es vraiment affirmé durant ces dernières années, dis-moi ! Rien à voir avec le Keisuke gamin venu me supplier de l'enrôler pour qu'il ne se retrouve pas à la rue après la mort de sa pauvre petite maman. »

Quelques moqueries s'élevèrent à son égard. La mâchoire serrée et les sourcils froncés, le hacker serra ses poings avec rage. Il détestait qu'un type comme Takumi mentionne sa mère de la sorte, et se retenait de lui coller son pied dans la figure. À la place, il lui lança :

« En attendant, mon enrôlement vous a bien profité. Après tout, mon travail vous a permis de monter un tant soit peu dans l'estime de la Kai-Riu. Sans moi, on vous considérerait encore comme les merdes que vous êtes ! Et je pense que ça n'aurait pas été plus mal. »

Son opposant éclata de rire, sous les airs étonnés de ses complices qui n'y voyaient rien de spécialement drôle.

« Ma foi, t’es devenu beaucoup plus intéressant qu'avant, niveau caractère ! Si t’étais resté parmi nous, t’aurais fait fureur auprès des autres membres de notre groupe. D'ailleurs, il n'est pas trop tard pour ça ! »

Un sourcil de Kei se haussa. Qu'est-ce que Takumi entendait par-là ?

« Je te propose un marché, petit ! Accepte de redevenir un Masamune. En échange, je pardonne ton départ furtif et je libère les nanas qu'on retient. »

Plutôt crever que de revenir dans ce gang de merde !

C'était ce que Kei comptait répliquer. Mais il ne devait pas laisser son zèle l'emporter sur la raison. Les vies de ses amies étaient en jeu ! Il avait suffisamment provoqué ce type et ses acolytes. Il était temps qu'ils lui révèlent où elles se trouvaient, et si elles étaient en bonne santé.

« Dis-moi d'abord où elles sont retenues et montre-moi une preuve qu'elles vont bien. Alors seulement, j'accepterai éventuellement ton offre. »

Un silence s'ensuivit. Tous s'échangeaient des regards interloqués. Même Takumi semblait décontenancé, tant il s'était attendu à un refus catégorique.

Un peu plus loin, à l'abri des regards, Joshua observait la scène d’un oeil attentif. La réplique de Kei l’avait surpris sur le coup, mais il se doutait que son aîné bluffait, afin de faire parler le leader de ce groupe.

Et cela marcha ! Takumi révéla à l'argenté l’emplacement actuel de Natsu et de Ryo : un vieil hangar similaire gardé par d’autres Masamune, situé à l’arrière d’un bâtiment adjacent. Le chef des voyous montra même, via un hologramme projeté par son e-watch, que les deux femmes allaient bien. Assises au sol, elles étaient attachées et surveillées. Les membres du gang en leur compagnie ne leur faisaient aucun mal. Pour l'instant.

« Comme tu peux le voir, ces deux poulettes sont entre de bonnes mains ! affirma Takumi d'un sourire mauvais en faisant disparaître la projection. Mais j'ai donné une directive à mes hommes : à partir de onze heures, ils peuvent faire ce qu'ils veulent avec elles. Il est dix heures cinquante. »

Le sang de Kei se glaça. Il ne lui restait que peu de temps pour sauver les filles. Toute jugeote l'abandonna sous la crainte de les perdre ou de les voir souffrir de manière atroce. Voulant atteindre l'endroit de leur détention au plus vite, il se retourna en courant, avec l’intention de sortir du parking délabré pour les secourir. Mais un puissant choc électrique le paralysa avant de le faire s'écrouler au sol. Takumi l'avait visé avec un pistolet à rayon électrisant.

« On n'a pas fini de discuter, mon grand ! parla-t-il en s'approchant de lui. Fallait venir plus tôt, pour négocier ! Tant que je t'aurai pas entendu dire que tu reviens chez les Masamune, tu resteras cloué au sol, et tes copines risquent de passer un sale quart d'heure... ou un quart d'heure de plaisir ! Tout dépendra de l'humeur de mes potes ! »

Ses acolytes affichèrent des sourires pervers. Certains riaient, même. Le hacker ne pouvait pas se permettre de perdre plus de temps. Il tenta de ramper en direction de la sortie, à défaut de courir. Mais Takumi lui mit un coup de pied dans les côtes, le faisant gémir de douleur.

« T'as écouté ce que je viens de te dire, trou d’balle ? On n'en a pas encore terminé ! »

Le spectacle était insupportable pour Joshua. Il luttait désespérément pour ne pas se précipiter dans le tas et défendre Kei. Mais ce dernier lui avait fait promettre de ne pas intervenir, peu importait ce qui arriverait. L'argenté devait endurer cette torture.

Si je ne peux pas l'aider, lui, je peux toujours aller aider Natsu et Ryo...

Il ignorait si c'était la meilleure des solutions, à cause du potentiel nombre élevé d'adversaires à affronter. Mais c'était toujours mieux que de rester planter là, à regarder son aîné se faire malmener, sans rien faire pour y remédier. Plus vite il aurait libéré les deux femmes, plus vite il reviendrait aider son compagnon.

À contrecœur, mais motivé par l'envie de sauver tout le monde, Joshua s'éloigna rapidement du bâtiment pour le contourner et espérer atteindre l'autre hangar à temps. Ses dents se serrèrent en songeant aux sévices qu’allait devoir supporter le hacker.

Tiens bon, Kei ! Je reviens te chercher aussitôt que j'aurais retrouvé Ryo et Natsu !

Il ne mit pas longtemps à atteindre sa destination. Deux minutes, tout au plus. L'entrée et la disposition de la zone étaient semblables à celles du hangar où se trouvait Kei. Comme annoncé, plusieurs Masamune surveillaient les deux femmes assises sur le sol froid et bétonneux, poignets et chevilles ligotés avec des cordes épaisses.

Joshua longea discrètement sa tête pour observer l'intérieur : il n'y avait aucune autre ouverture par laquelle entrer sans attirer l'attention. Comment allait-il procéder pour délivrer Natsu et Ryo ? Les Masamune de ce hangar étaient un peu moins d'une dizaine. Il aurait pu les affronter avec Kei à ses côtés. Mais seul, le brun se prendrait une raclée aussi violente que celle subie peu après son arrivée à Neo-Tokyo.

Il devait donc ruser, faire en sorte de tromper tout le monde, tout en se rapprochant suffisamment des filles pour les libérer. Si le duo féminin se joignait à lui au combat contre tous ces hommes, ils avaient une chance de s'en tirer pour aller secourir Kei. Repenser à ce dernier donna au primitif le courage de se lancer. Il n'avait plus de temps à perdre !

Il simula une quinte de toux en se montrant. Tous les regards se tournèrent de concert vers lui, tandis qu'il s'enfonçait dans le hangar d'une démarche titubante.

« T'es qui, toi ? demanda l'un des voyous avec méfiance.

— Il m'a pas l'air d'aller fort. » commenta un autre, également sur ses gardes.

De leur côté, Ryo et Natsu reconnurent le nouveau venu. La seconde voulut l'interpeller, mais l’autre lui donna un discret coup de coude pour la dissuader. Ignorant ce qui arrivait à Joshua, et devant la réaction du gang face à son arrivée, elle préférait agir comme si elle ne le connaissait pas.

Soudain, Joshua tomba à genoux, faisant mine de haleter en se tenant la poitrine.

« Aidez... moi... prononça-t-il. Des... ninjas... m'ont empoisonné...

— Des ninjas ? répéta l'un de ses opposants en arquant un sourcil d'étonnement.

— Il veut parler des Shuriken ? Ces connards seraient ici ?! » questionna un autre avec véhémence. Pour vérifier les dires du brun, une partie de la bande se précipita vers l'extérieur. Joshua se releva lentement pour s'approcher d'un des hommes encore présents. Il avait repéré à sa ceinture un pistolet et un couteau laser.

« Hey ! T'approches pas trop, quand même ! » lui ordonna le gangster en question. Mais Joshua s'écroula une seconde fois à genoux, juste devant lui, toussant comme jamais. Il releva lentement la tête vers le Musamane, haletant dans une position assez déroutante. Sa main accrochée au haut de son vêtement, ses cheveux en bataille et l'expression qu'il affichait en essayant de retrouver sa respiration normale, lui donnaient un air étrangement sensuel. Le bandit déglutit difficilement, mais s'agenouilla auprès de lui. Joshua feignit un léger malaise en se blottissant contre lui. L'homme, surpris, ne le repoussa toutefois pas.

Grand mal lui en avait pris : il sentit tout à coup un choc électrique se propager sur l’ensemble de son corps, avant de s'évanouir. De sa main droite, Joshua lui avait piqué son pistolet avant de lui infliger une décharge avec. De sa main gauche, il attrapa le couteau laser pour l'envoyer en direction des filles, leur offrant la possibilité de se défaire des liens qui les entravaient.

« Bien joué, Joshua ! » fit Ryo en attrapant le couteau avec ses deux mains collées. Pendant qu'elle se chargeait de sa libération et de celle de Natsu, Joshua tira sur les autres Masamune, qui furent pris par surprise. L'un d'eux s'écroula après s’être fait touché, pendant que les autres se réfugièrent derrière des poteaux ou des portions détruites de murs.

« Cet enfoiré nous a embobinés ! » cria un membre du gang en s'armant de son pistolet et en tirant sur le primitif. Celui-ci courut à toute vitesse pour éviter les rayons, jusqu’à se réfugier derrière une colonne déjà occupée. Il délogea rapidement le Masamune caché en lui infligeant un coup de poing au visage, avant de le neutraliser avec son arme. Une fois à l'abri, il jeta un coup d'œil au duo féminin, qui s'était déjà libéré pour se mettre à couvert derrière un tas de débris proche. Au moins, elles n'étaient pas exposées à un tir direct d'un des délinquants.

Cependant, Joshua ignorait comment s'en sortir pour secourir Kei. Les Masamune les bloquaient au fond du hangar. Ils devaient les dépasser pour quitter ce dernier. Mais sachant qu'il en restait encore sept, tous armés, atteindre cet objectif devenait compliqué.

« Joshua, ferme tes yeux et ne les ouvre pas jusqu'à nouvel ordre ! » s'écria Ryo après avoir ouvert un compartiment de sa prothèse pour en sortir une sorte de grenade. Elle la lança ensuite au milieu du garage. Lorsque le projectile s'éclata contre le sol, une puissante lumière plongea la zone dans un rayonnement éblouissant. Les brigands se retrouvèrent aveuglés, forcés de fermer les yeux durant le phénomène. Les deux femmes, après avoir enfilé des lunettes opaques, profitèrent de la vulnérabilité des hommes pour les attaquer par surprise. Natsu, à l’aide d'une barre de métal ramassée au sol, en assomma quelques-uns. Ryo infligea, quant à elle, de gros coups de pieds dans les gonades de plusieurs autres pour les sonner. Six voyous étaient vaincus lorsque la lumière s'éteignait totalement.

Le dernier membre du gang encore debout, qui tentait de retrouver ses esprits, tanguait jusqu'à l'entrée du hangar. Joshua ne lui laissa pas le temps de s'échapper : après l'avoir visé, il le neutralisa d’un rayon paralysant. En constatant que le trio était venu à bout de tout ce monde malgré son infériorité numérique, le chasseur soupira de soulagement, avant de se tourner vers les femmes, qui se remettaient de ces minutes intenses.

« Vous allez bien ? leur demanda-t-il en les rejoignant.

— Moi ça va, même si j'aurais préféré être ailleurs, confia Ryo avant de se tourner vers Natsu. Et toi ?

— J'ai connu pire, mais un héros nous a sauvées, répondit la concernée en regardant le plus jeune. Merci de nous avoir aidées !

— Où est Kei ? Il n'est pas venu avec toi ?

— Un certain Takumi s'est servi de vous pour l'attirer dans un guet-apens ! Il est en train de se faire malmener par sa bande ! Il faut aller l'aider et vite ! »

Comprenant l'urgence de la situation et l'inquiétude de Joshua, les deux femmes lui demandèrent de les conduire jusqu'à eux.

 

*

 

Kei avait reçu une pluie de coups sur l'ensemble de son corps, à présent marqué de bleus et de bosses à plusieurs endroits. Mais l'argenté demeurait conscient, bien qu'un peu sonné par l'assaut encaissé. Sous les rires moqueurs de ses complices à l'adresse du hacker, Takumi s'abaissa devant lui et l'attrapa par ses cheveux pour le redresser légèrement, et le forcer à le regarder.

« Tu fais moins le malin, hein ? Il fallait y réfléchir, avant de nous tourner le dos du jour au lendemain. »

Il le retourna tout à coup afin que Kei se retrouve dos contre terre, avant d'ôter avec violence le haut de son vêtement. L'argenté tenta de se débattre. En vain, trop affaibli par les coups reçus. Il se retrouva rapidement avec sa veste dont les boutons avaient été arrachés, et son t-shirt à moitié déchiré.

« Il est bien gaulé, le garçon ! complimenta l'un des voyous environnants.

— Il s'est vraiment fait enlever le tatouage de notre gang, ce bâtard ! » commenta un autre en remarquant une cicatrice à l'emplacement où devait figurer la marque des Masamune. Takumi eut un rire amer, avant de se relever et de frapper de son pied les côtes de l'homme à terre. Celui-ci gémit de douleur en se tournant sur le côté.

« Quel gâchis ! parla le chef du groupe en croisant les bras et en le regardant de haut. Un mec aussi doué que toi en informatique, qui avait trouvé une place de choix au sein des nôtres et de la Kai-Riu, maintenant réduit à faire des petits boulots à droite et à gauche, tout en changeant d'identité pour qu'on ne reconnaisse pas la tafiole qu'il est devenu. T'es tombé bien bas, mon pauvre Keisuke !

— Pas plus... qu'une enflure de ton espèce... » murmura le concerné en se relevant partiellement par la force de ses bras.

« Excuse-moi, j'ai pas bien entendu, petit ! le nargua Takumi en s'accroupissant devant lui. Tu peux répéter ? À moins que t'aies juste pété ? »

En guise de réponse, Kei leva sa tête et lui cracha à la figure. Un lourd silence suivit le choc général provoqué par un tel geste. Jamais ces voyous n'avaient vu quelqu'un manquer autant de respect envers leur leader. Celui-ci fronça des sourcils en essuyant la salive sur sa joue d'un revers de la main, avant de lui mettre un coup de pied au visage. L'informaticien se retrouva à nouveau au sol, à moitié sonné.

« Puisque tu as choisi de souffrir, tant pis pour toi ! Les mecs, faites-vous plaisir avec lui ! proposa-t-il à ses complices.

— En s'en servant de punching-ball jusqu'à ce qu'il pisse le sang ? Ou en le baisant suffisamment fort pour que cet immeuble tremble ?

— Faites les deux en même temps si ça vous chante, du moment qu'il comprenne définitivement qu'on ne déconne pas avec les Masamune ! »

Des rires mesquins s'élevèrent. Certains hommes s'approchaient déjà de Kei. Le jeune homme savait qu’on lui ferait passer un sale quart d'heure. Mais il ne pouvait plus bouger pour se défendre. Il grimaça en sentant une main froide se poser sur son torse découvert. Il frissonna de dégoût en écoutant ces délinquants négocier pour décider qui le pénétrerait en premier.

Le hacker ne voulait pas vivre ce genre de chose. Il se souvenait de sa mère, qui avait subi une agression sexuelle de ce genre. Agression suite à laquelle il était né. Il ne désirait pas se faire souiller de la sorte dans un endroit pareil, par des gens qu'il haïssait.

Il regrettait d'avoir demandé à Joshua de ne pas intervenir. En cet instant, il espérait le voir débarquer pour empêcher une telle chose d'arriver. Seulement, s'il se pointait seul, il n'aurait aucune chance face à tout ces hommes qui n'hésiteraient pas à le torturer. Ou pire.

« Kei ! » cria ce qui lui semblait être la voix de Joshua alors que des sursauts de stupeur se faisaient entendre chez les Masamune. Certains d'entre eux hurlèrent de douleur avant de s'écrouler. D'autres eurent l'air de recevoir des coups, à en juger par le boucan qui s'en suivait.

C'était un chaos qui régnait durant les secondes suivantes. Un mélange de voix familières et de cris de souffrance des hommes qui le menaçaient précédemment. Il entendait même Takumi hurler de rage, avant de probablement lancer un assaut lui-même. Mais le bruit d'effondrement d'un corps au sol, suivi d'un silence assourdissant laissait croire que le chef du groupe avait également été neutralisé.

« Kei ! fit Joshua en s'accroupissant à ses côtés et en tentant de le faire revenir à lui.

— Bon sang, il a vraiment pris cher ! constata Natsu d'un air horrifié. Il a besoin de soin et vite ! »

Joshua remarqua les vêtements déchirés de l'argenté, qui tremblait d'effroi dans ses bras. Kei ne semblait pas conscient de l'évolution de la situation, mais s'accrocha doucement au vêtement de son cadet, pendant que celui-ci fusillait Takumi d'un regard assassin.

« J-Josh... ?

— Oui, c'est moi, assura-t-il en saisissant sa main. Tout va bien maintenant. Ryo et Natsu sont là.

— On ferait mieux de se tirer, tant qu'on le peut encore, conseilla la rousse aux aguets. D'autres pourraient débarquer à tout moment ! »

Joshua se releva donc, en soulevant le hacker dans ses bras. Celui-ci pesait assez lourd, mais le primitif s'en fichait. Il voulait l'éloigner de cet endroit malsain au plus vite.

Alors que lui et les deux femmes en sa compagnie s'apprêtaient à quitter le hangar, un vaisseau familier se gara juste devant l'entrée avant de stationner à cet emplacement en pilotage automatique. Les portiques s'ouvrirent et Kaze en descendit, accompagné de trois membres du gang Shuriken, portant chacun un masque en tissu noir qui dissimulait le bas de son visage.

« Bordel, qu'est-ce qui s'est passé, ici ?! Vous allez bien ? demanda le nouveau venu alors que ses complices accouraient vers les Masamune pour vérifier leurs états. J'ai suivi un traceur dissimulé dans le cellulaire de Kei pour arriver ici !

— Grâce à Kei et à Joshua, on s'en est tirées, affirma Natsu. Par contre, Kei a passé un mauvais moment avec ces enfoirés.

— D'après ce que j'ai compris, ce Takumi serait celui qui aurait recruté Kei quand il était chez les Masamune, informa Joshua. Il a dû se servir de ce prétexte pour se défouler sur lui.

— Je vois, répondit le chef des Shuriken avant de se tourner vers Ryo. De notre côté, nous sommes parvenus à sécuriser le Cyber Ladies. Aucun blessé n'est à déplorer chez tes employés. Par contre, l'établissement a vraiment pris cher. De gros travaux sont à prévoir pour le remettre en état. »

La rousse, bien qu'heureuse que son entourage se porte bien, parut énervée devant la nouvelle concernant son lieu de travail. Son commerce serait profondément affecté si elle ne trouvait pas une rapide solution pour remédier à ce problème.

« Maudits soient ces salauds... » grogna-t-elle alors qu'elle regardait les acolytes de Kaze s'adresser à lui. Ils lui révélèrent que les membres du Masamune étaient inconscients mais vivants. L'homme aux mèches de jais voulait profiter de leur état pour les emmener dans leur quartier général, et les interroger sur les raisons de leurs actes.

« Peut-être qu'ils nous éclairerons enfin sur les véritables intentions et motivations de la Kai-Riu ? supposa-t-il. Quoi qu'il en soit, il est hors de question que je les laisse dans la nature. Je vais appeler du renfort pour les emmener. De votre côté, cachez-vous, reposez-vous, et soignez Kei ! Je vous tiendrai au courant de ce que je tirerai de tout ce monde.

— Merci Kaze. Vraiment ! gratifia Ryo avec un léger sourire. Tu nous aides beaucoup !

— Tu me remercieras lorsqu'on sera plus avancés sur cette affaire, répliqua-t-il en lui offrant un clin d'œil avec un sourire. En attendant, filez ! C'est dangereux ici. »

L'ordre ne se fit pas entendre une seconde fois. Ryo ouvrit la marche pour sortir de ce lieu, suivie de près par Natsu et par Joshua qui transportait encore Kei dans ses bras.

 

*

 

Le groupuscule ne mit pas longtemps à retourner à l'appartement de Ryo. Après avoir franchi son entrée, elle et Natsu déplorèrent le carnage laissé par les Masamune dans le salon. La patronne du Cyber Ladies serra ses poings de colère à la vue de Gauthier et de Sebastian en pièces.

De son côté, la femme aux dreadlocks conduisit Joshua jusqu'à sa chambre pour lui permettre de déposer Kei sur le lit. Elle demanda ensuite au brun de lui retirer ses vêtements, le temps qu'elle aille chercher une trousse de soin.

Le primitif s'exécuta, mais bloqua dans son geste en constatant une fois de plus la veste abîmée et le t-shirt déchiré de son compagnon. En se remémorant les tremblements de Kei, une question lui survint : est-ce que le gang comptait abuser de lui ? Pire : est-ce qu'il avait eu le temps de le faire, avant son intervention et et celle du duo féminin ?

À cette pensée, le chasseur tiqua. Il se souvenait de l'aversion de l'autre homme pour les types de ce genre, suite à ce que sa mère avait subi. S'il vivait ce genre de drame atroce à son tour, Joshua savait qu'il en serait profondément marqué à vie.

Préférant se dire qu'il avait sauvé Kei avant, il secoua sa tête pour se ressaisir, avant de continuer à défaire les vêtements de l'alité. Le corps de ce dernier était recouvert de coups et de bleus, en particulier au niveau des côtes. Joshua les palpa doucement pour vérifier leur état. Au toucher, elles avaient l'air intactes. Mais n'étant pas médecin, il ne tira pas de conclusions hâtives. Au moins, l'absence de plaie ouverte le rassurait.

Il ne pouvait cependant pas s'empêcher d'avoir un pincement au cœur en le voyant aussi misérable.

« Désolé de ne pas avoir pu revenir plus tôt... murmura-t-il en lui caressant le visage. Je te promets que ces types et la Kai-Riu payeront pour ce qu'ils t'ont fait. »

Il déposa un doux baiser sur son front, avant de s'écarter en entendant la porte de la chambre s'ouvrir à nouveau. Natsu était revenue avec du matériel médical, et Ryo lui emboîtait le pas.

« On va le remettre sur pieds, ne t'en fait pas ! assura la plus jeune des deux.

— Vous avez des connaissances en soin ?

— Avant d'être mécanos du Cyber Ladies, Natsu et moi-même étions infirmières à temps partiel, répondit Ryo en souriant. Nous nous sommes déjà occupées de patients dans des états plus graves. Alors ça devrait aller ! Tu veux bien nous attendre au salon, Joshua ? »

Celui-ci accepta sans hésiter. Tant que ces femmes soignaient Kei, il pouvait très bien patienter dans la pièce d'à côté. Il s'éclipsa alors, laissant les deux autres panser les blessures du hacker. Et plutôt que de rester debout à attendre sans rien faire, Joshua se trouva rapidement une occupation : arranger au maximum le désordre laissé par le passage des Masamune, en commençant par ramasser les objets éparpillés au sol.

Chapter 19: Le héros et le sauveur

Chapter Text

Deux heures passèrent. Le hacker aux cheveux d’ivoireavait reprit connaissance au moment où Ryo contactait un médecin pour un examen plus approfondi de son corps. Un drone médical s'était dépêché sur place, sous les yeux ahuris, mais curieux de Joshua.

La machine scanna Kei, qui restait allongé sur le lit durant toute l'opération. L'analyse ne révéla rien de grave côté blessures ou fractures, au grand soulagement de tous. Mais l’alité avait besoin d'au moins deux semaines de repos pour totalement s'en remettre. Le médecin, pilotant l'appareil à distance, assura qu'il se chargerait de transmettre cette information à Data Knights, pour que l’informaticien soit arrêté de travail durant sa convalescence. Il promit également à Kei de lui livrer les médicaments nécessaires à son traitement, directement à son domicile.

Une fois l’automate volant parti, une autre heure passa pendant laquelle Ryo, Natsu et Joshua restaient dans la chambre pour veiller sur l'alité. Celui-ci, en position assise sur le matelas, n'hésita pas à demander aux trois autres ce qu'il s'était passé avec Takumi et sa bande.

« Kaze est arrivé entre temps, l'informa Natsu, assise sur le bord du lit. Et il nous a dit qu'il les emmènerait au QG des Shuriken pour les interroger sur leurs véritables intentions, et éventuellement leur faire avouer des infos sensibles sur la Kai-Riu. Pour l'instant, on n'a pas de nouvelles. Peut-être demain ?

— C'est même pas sûr que les Masamune crachent le morceau à ce sujet, contredit Ryo, debout près de la vitre en croisant les bras. Bornés comme ils sont, et hypers loyaux avec la Kai-Riu, ils préféreraient mourir sous la torture, plutôt que d'avouer quoi que ce soit. Surtout qu'ils n'ont rien à gagner en révélant la vérité.

— Ne sous-estimez pas le pouvoir de persuasion de Kaze, conseilla Kei d’un léger rictus. Pour avoir déjà assisté à l'un de ses interrogatoires, il est capable de tout quand il s'agit de faire parler des gens. Il en est presque effrayant !

— Tu ne m'apprends rien à ce sujet, Kei, répliqua la rousse en le regardant. Kaze peut se montrer très sadique envers des criminels comme la Kai-Riu. Je ne doute pas que Takumi et ses sbires souffriront de sa main. Mais j'ignore si ça va suffire. Quoi qu'il en soit, est-ce que tu te sens en état de te relever et de conduire pour rentrer chez toi ? Si ce n'est pas le cas, je vous ramène, toi et Joshua avec ton vaisseau. Et je rentrerai en monorail.

— Te casse pas la tête, assura le concerné en se levant sur ses deux jambes. J'ai encore quelques courbatures, mais ça va. Je me sens capable de piloter. Et puis, chez moi n'est pas si loin ! »

Son regard se tourna vers Joshua, silencieux jusque-là, qui contemplait le petit autel dédié aux cendres d'Hayate.

« Hé. » l'appela doucement son aîné en posant sa main sur son épaule. L’autre homme se retourna, l'air grave, avant de lui sourire légèrement :

« Si tu as besoin de quelqu'un pour te soutenir pendant que tu marches, tu peux compter sur moi.

— Je pense pouvoir me débrouiller de ce côté-là, mais merci. » affima Kei en faisant de même, avant de se tourner vers les filles.

« Nous allons y aller. Merci pour ce que vous avez fait pour moi.

— Arrête ! rit Natsu en lui offrant un clin d'œil. Tu nous as sauvé la mise, et c'est un peu à cause de nous si tu t'es retrouvé dans cet état. La moindre des choses était de te soigner un minimum !

— Elle a raison, enrichit Ryo. Je n'ose pas imaginer ce qui nous serait arrivé si Joshua et toi n'étiez pas venus ! Vous avez bien géré la situation et on vous doit la vie. En plus, les Shuriken ont su défendre le Cyber Ladies. Donc on s'en tire mieux qu'on ne l'aurait espéré, même si des réparations sont à prévoir... »

Les garçons leur adressèrent un sourire et souhaitèrent bon courage à la rousse pour son entreprise, pendant que la concernée et son amie leur conseillèrent de rester chez eux durant les prochains jours.

 

*

 

Le vaisseau de Kei vola parmi la circulation en direction du district Amaterasu. À son bord, un étrange silence régnait entre les deux hommes. De temps en temps, Joshua jeta de discrets coups d'œil au pilote. Il hésita à lui adresser la parole car il souhaitait aborder avec lui un sujet épineux. Mais d'un autre côté, il craignait d'aggraver son traumatisme de l'assaut perpétré à son encontre. Le programmeur remarqua son agitation, et afficha un léger sourire sans lâcher la voie balisée du regard.

« Si tu as quelque chose à me dire ou à me demander, n'hésite pas, Josh !

— Même si ça peut te rappeler de mauvais souvenirs ? »

Kei ne répondit pas et ses lèvres se resserrèrent. Il se doutait de la question de son compagnon, et n'avait pas vraiment envie de reparler de sa rixe avec Takumi et ses sbires. Mais à en juger par la mine anxieuse de Joshua, le hacker comprit qu'il s'inquiétait pour lui. Si répondre à son interrogation permettait au brun d'être fixé et d'enfin se détendre, autant en parler une bonne fois pour toutes !

« Dis juste ce que tu as à dire. »

Surpris sur le coup, le primitif saisit néanmoins l'occasion, les yeux rivés sur le paysage extérieur.

« À en juger par ton état et à la disposition de ces enfoirés autour de toi, j'ai imaginé le pire. Mais j'ignore si c'est à tort ou à raison. Kei, tu n'es pas obligé de répondre si tu ne veux pas, mais... »

Il serra ses poings avant de regarder son interlocuteur.

« Est-ce que ces sales types ont... Est-ce qu'ils t'ont...

— Non, répondit l'argenté qui s'y attendait. Ils prévoyaient de le faire, mais vous ne leur avez pas laissé le temps. »

En découvrant que les Masamune n'avaient pas abusé de Kei, Joshua expira avec apaisement.

« Le ciel soit loué... murmura-t-il d'un petit sourire rassuré.

— Tu t'inquiétais à ce point ?

— On dirait que ça te surprend ! »

Étant donné leur rapprochement progressif, il était normal de voir l'un se faire du soucis pour l'autre, lorsque ce dernier allait mal. Mais le niveau élevé d'inquiétude de Joshua le surprenait autant qu'elle le touchait.

« S'il t'était arrivé quelque chose de grave avant mon retour avec Ryo et Natsu, reprit le brun en observant le trafic à l'avant du véhicule, je ne me le serais jamais pardonné.

— Josh...

— Tu vas peut-être me trouver dur avec moi-même, mais c'est vraiment ce que je pense, tu sais ? »

Le sourire de Kei s'agrandit alors qu'il décolla sa main droite du volant pour saisir celle de Joshua la plus proche de lui.

« Tu es effectivement dur avec toi-même. Mais j'apprécie ton attention à mon égard. Et je te remercie de m'avoir sauvé, mon héros. »

Il avait prononcé ces deux derniers mots en lui offrant un clin d'œil charmeur. Joshua réprima un petit rire tandis que ses joues chauffèrent d'embarras.

« Ça fait bizarre de t'entendre m'appeler comme ça.

— T'aimes pas ce surnom, mon héros ?

— Arrête, Kei ! »

Il savait pertinemment que l'argenté le taquinait. D'ailleurs, celui-ci s'esclaffa devant sa réaction, avant de lâcher sa main pour reprendre le volant. L'ambiance froide s'était finalement réchauffée à l'intérieur du vaisseau, qui venait d'entrer au district Amaterasu.

 

*

 

De retour à l'appartement, le duo fut accueilli par Neeko. L'Ai-pet fut surprise des bandages et des pansements recouvrant certaines parties du corps de son maître. Mais ce dernier assura qu'il se portait bien. Il l'informa ensuite que Ryo et Natsu étaient saines et sauves et que le Cyber Ladies était sécurisé, malgré plusieurs dégâts subis.

« Pauvre Ryo, fit le robot-chat avec une émoticône attristée. Les réparations de son garage risquent de lui coûter cher à cause des Masamune.

— D'autant plus qu'ils risquent de revenir à la charge à tout moment, déplora Kei en s'écroulant sur le canapé du salon. Grâce aux Shuriken, l'entreprise de Ryo a gagné un peu de répit, mais ça ne durera pas.

— Il n'y a vraiment aucun moyen de dissuader définitivement les Masamune de s'en prendre encore à cet établissement, ou à Natsu et à Ryo ? demanda Joshua en s'installant à côté de son homologue.

— La seule solution que je vois est de provoquer la disparition de ce gang. »

Cette réponse du hacker entraîna un silence complet. Autant dire que c'était mission impossible, sachant que cette bande de voyous était supervisée par la Kai-Riu elle-même. Pour dissoudre complètement les Masamune, ils devaient d’abord faire tomber cette entreprise. Après avoir fait enfermer Chikara, ils devaient en faire de même avec Isao et Tama. Mais comment ?

Soudain, le cellulaire de Kei sonna : un appel de Kaze. Il décrocha et activa les hauts-parleurs.

« Salut, mec !

— Kei ! Je suis soulagé que tu ailles mieux après ce que la bande à Takumi t'ont fait.

— Ton inquiétude pour moi me fait plaisir ! sourit son interlocuteur. Comment ça se passe, de ton côté ? À ce qu'il paraît, t'as prévu un interrogatoire musclé avec les enfoirés que vous avez capturés.

— L'interrogatoire en question est en cours depuis plusieurs heures. Malheureusement pour nous, ces Masamune sont têtus et refusent de parler malgré la torture. Évidemment, je ne peux pas me permettre de les tuer ! Mais c'est plus compliqué que prévu, de leur faire avouer ce qu'ils cachent. Après, certains sont peut-être ignorants concernant la Kai-Riu.

— T’as déjà interrogé Takumi ?

— Je le garde en dernier, pour qu'il puisse entendre la souffrance de ses potes, et pour lui faire comprendre qu'il subira un sort encore pire s'il refuse de parler.

— J'ai presque envie de dire : pauvre Takumi. Presque !

— Je ne peux pas avoir de pitié pour cet homme. Encore moins après ce qu'il vous a fait, à toi, à Ryo et à Natsu. Quoi qu'il en soit, je te tiendrai au courant de ce que j'arrive à en tirer. D'ici là, faites vous discrets et ne tentez rien à l'encontre de la Kai-Riu ou des Masamune. »

Kei assura qu'il suivrait ces conseils et le remercia pour son aide. Après avoir raccroché, le hacker entendit un grognement provenant de son ventre.

« Après tout ce qui s'est passé, pas étonnant que t’aies faim ! rit gentiment Joshua.

— Je vais vous préparer quelque chose. » proposa Neeko. Mais Kei la freina pour lui demander de commander une pizza, ainsi que des sushis.

« Tu veux manger à la fois une pizza et des sushis ? s'étonna l'automate félin en affichant un point d'interrogation. Ça fait beaucoup pour un repas, non ?

— Les sushis, c'est pour plus tard. Dans l'immédiat, seule une belle pizza me fera du bien ! Commande la même que la dernière fois, d'accord ? »

Neeko acquiesça avant de s'exécuter, sous les yeux souriant de Joshua. Ce dernier fut ravi et soulagé de voir que l'appétit de son hôte n'avait pas disparu, malgré ce qu'il avait subi en ce jour.

 

*

 

Le reste de l’après-midi se passa dans le calme et dans la détente. Les deux hommes et l'Ai-pet avaient passé quelques heures à jouer à un jeu vidéo via le cellulaire de Kei, que celui-ci avait connecté au téléviseur. Joshua n'avait jamais expérimenté ce genre de loisir interactif. Mais à l'instar de la partie d'Element's Clash, il trouvait une telle activité amusante, même s'il n'était pas spécialement doué à ce jeu-là. Kei lui assura toutefois qu'avec le temps et la pratique, il parviendrait à le maîtriser et à réaliser de beaux scores. La soirée arriva bien vite. Après le dîner, les deux hommes se douchèrent à tour de rôle, pendant que Neeko faisait du ménage dans le salon avant de se mettre en veille.

Une heure plus tard, Kei et Joshua se retrouvèrent allongés sur le lit de la chambre, la tête du premier posé sur le bras ouvert du second. Tous deux fixèrent le plafond assombri, alors que les lumières de la ville animée traversaient les petits espaces du store partiellement fermé de la fenêtre circulaire.

À un moment, Kei tourna sa tête vers Joshua, avant de se rapprocher pour déposer un doux baiser sur sa joue. Le garçon aux cheveux de terre haussa un sourcil d'étonnement, mais sourit également.

« Que me vaut l'honneur de ce bisou surprise ?

— Je n'ai pas eu l'occasion de te remercier correctement, pour m'avoir aidé contre les Masamune. J'ignore si tu te rends compte de la torture dont tu m'as épargné. J'ai pas envie d'imaginer ce qui se serait passé, si toi, Nat' et Ryo n'étiez pas venus à temps. »

Un sentiment de tendresse submergea son interlocuteur, qui relevait son avant-bras pour saisir avec douceur quelques mèches argentées entre ses doigts. Les deux hommes se regardèrent droit dans les yeux, bercés par un paisible silence.

« Je ne pouvais pas les laisser te faire une chose pareille. D'ailleurs, je ne leur pardonne pas ce qu'ils t'ont fait ! Crois-moi, si on m'offrait la possibilité de les tabasser, je l'aurais fait sans la moindre hésitation pour le leur faire payer. Et j'aurais éventuellement foutu le feu dans chaque bâtiment appartenant à la Kai-Riu, dans la foulée ! »

Kei éclata de rire.

« Carrément ?

— Après tout ce qu'ils ont fait, aussi bien à moi, qu'à toi, Hayate et d'autres, j'estime que ce n'est pas encore assez cher payé. »

Le plus jeune marquait un point. Même s'ils parvenaient à détruire la Kai-Riu et son gang complice, cela ne ramènerait pas les vies prises ou détruites. Et cela ne réparerait pas les dégâts subis à certains endroits comme le garage des Cyber Ladies, ou l'ancien village de Joshua, désormais rayé de la carte Calréenne.

« Même si leur punition ne sera jamais à la hauteur de leurs crimes, parla le hacker en déviant légèrement son regard, ce sera toujours une forme de justice rendue. Et ça ne pourra que faire du bien aux proches des victimes et à Neo-Tokyo en général. Peut-être même que ça préservera Calreon d'un potentiel désastre sur le long terme.

— Je l'espère sincèrement.»

Ils s'échangèrent un nouveau regard, peiné, mais également empli d'espoir et d'affection mutuelle.

« J'ai vraiment hâte d'en finir avec ces conneries pour que tu m'emmènes visiter l'extérieur de cette ville, confia Kei en arrangeant quelques mèches marrons tombant sur le front de son compagnon.

— Et moi, j'ai hâte de voir ta réaction lorsque ce moment arrivera. »

En guise de réponse, l'argenté se rapprocha pour coller ses lèvres aux siennes, lui volant un doux baiser auquel l'autre répondit instantanément. Tous deux retinrent leur souffle lorsque cet échange s'approfondit. Joshua colla un peu plus Kei contre lui pour mieux savourer ce moment. Son aîné en fut d'ailleurs si surpris qu’il se recula légèrement, un rictus taquin aux lèvres.

« Quand je pense que tu prétendais ne pas pouvoir imaginer deux hommes ensemble, alors que tu étais à peine arrivé ici !

— Je n'arrivais pas à imaginer deux hommes mariés. Nuance ! se défendit l'autre en lui pinçant gentiment la joue. Ça ne voulait pas dire pour autant que je ne concevais pas la possibilité d'une relation amoureuse entre deux garçons. Sinon, on n'en serait pas là !

— T’as déjà eu d'autres relations avant moi ?

— Une seule. Avec une fille. Mais ça n'a pas duré longtemps. »

Kei allait de surprise en surprise. Sa curiosité désormais piquée, il lui demanda lequel des deux avait délaissé l'autre.

« Ça a été mutuel. Au fil du temps, en se rendant compte qu'on ne s'aimait pas autant qu'on le croyait, on a préféré lâcher l'affaire, côté romantique. On est quand même restés amis. Du moins, jusqu'à ce que... ce qui est arrivé à mon village. »

Merde.

C'était le seul mot venu à l'esprit du hacker face à cette révélation. Lui qui pensait que l'ex-petite amie du chasseur était originaire d'un autre village et qu'elle était peut-être encore en vie, il s'était trompé sur toute la ligne.

« Je suis désolé. Je n'aurais pas dû aborder ce sujet.

— Ne t'inquiète pas, je ne t'en veux pas pour ça. Et puis je pense avoir digéré la disparition de mon entourage, à la longue. Certes, mon deuil ne pourra être total que lorsque la Kai-Riu n'existera plus. Mais j'arrive à supporter la perte de mes proches, même si leur souvenir me revient parfois et que ça reste douloureux, au fond.

— Sur ce point, je te comprends complètement. »

L'ambiance s'était légèrement alourdie. Mais souhaitant détendre l'atmosphère en cette soirée qui commençait si bien à ses yeux, Joshua adressa un sourire à Kei :

« Et toi ? Combien de relations as-tu eu, si on exclut Kaze ? »

Il récolta une tape à la cuisse en guise de réponse, alors que son aîné affichait un air blasé.

« Pour la je-ne-sais-plus-combien-de fois, il ne s'est rien passé entre Kaze et moi ! Et pour répondre à ta première question, j'ai arrêté de compter à quatre ou cinq.

— Attends, quoi ? fit Joshua en écarquillant les yeux.

— Mais rien de sérieux, en vérité. Soit c'était des coups d'un soir sans aller plus loin, soit des petites amourettes de quelques jours pour l'amusement. Je crois... que tu es le premier, pour qui j'éprouve bien plus que ça. »

Le jeune homme dévia encore son regard, alors que ses joues s'empourpraient progressivement. Ce n'était pas souvent que le primitif voyait son compagnon aussi gêné. Cela contrastait avec son apparence d'ordinaire confiante et décontractée, et le rendait adorable.

Joshua caressa la joue de Kei avec douceur. Le cœur battant, ses yeux verts plongèrent dans les iris noisette de l'argenté.

« Honnêtement, si on m'avait dit que je trouverais une personne à aimer au sein de Neo-Tokyo, je n'y aurais jamais cru, parla-t-il à voix basse. Comme quoi, la vie est souvent faite de surprise. »

Sa main glissa le long du visage de l'informaticien jusqu'à descendre au niveau de sa poitrine. Il sentit les battements de son cœur sous sa paume. Le rythme cardiaque de son aîné s'accélérait comme le sien, ce qui le fit sourire davantage.

« Embrasse-moi encore, mon sauveur… »

Kei s'exécuta sans attendre, animé par un profond désir bouillonnant en son for intérieur. Le baiser, malgré sa tendresse, se fit plus fougueux que le précédent. Leurs langues n'hésitèrent pas à se lier tandis que les deux hommes s'échangeaient quelques caresses.

Dans le feu de l'échange, le plus âgé des deux se retrouva progressivement sur l’autre avant de se redresser légèrement. Il passa délicatement sa main sous le débardeur de Joshua, avec l'intention de l'ôter. Mais son héros le freina, les joues rouges.

« Je... euh... Est-ce que c'est une bonne idée, vu tes blessures ?

— Qui te dit que je souhaite aller jusque-là ce soir ? » demanda Kei en lui offrant un clin d'œil séducteur. Joshua cligna des paupières à plusieurs reprises. Pourquoi voulait-il enlever son haut, dans ce cas ?

« On sera plus à l'aise et on aura moins chaud. Ça te va comme réponse ? »

Le primitif réprima un petit rire. Kei avait beau avoir balancé cette justification pour lui rabattre son caquet, il n'avait pas complètement tort. De toute façon, Joshua n'était pas sûr d'être prêt à vivre un moment intime aussi intense en cet instant. Ne sachant pas vraiment comment s'y prendre avec un homme, il préférait que leur relation ne se limite qu'aux baisers et aux caresses. Et l'argenté se montra compréhensif.

Il ôta uniquement le débardeur blanc de Joshua, lui laissant son pantalon bleu marine. Le plus âgé enleva son propre t-shirt kaki dans la foulée, ne gardant que son bermuda noir. Joshua regrettait de voir ce corps bien sculpté aussi meurtri et recouvert de bandages à certains endroits. Il effleura de sa main l'un de ces tissus, avec un pincement au coeur.

« Tu ne méritais vraiment pas ça.

— Ne parlons plus de ça, s'il te plaît. Je préfère oublier ça et vivre des moments plus plaisants. » proposa Kei en saisissant sa main avant de doucement la plaquer contre le matelas, tout en entrelaçant leurs doigts. Il en fit de même avec l'autre main.

Les deux jeunes hommes se contemplèrent, pendant que le temps semblait figé autour d’eux. En dehors de leurs physiques qu'ils trouvaient mutuellement attrayants, c'étaient surtout leurs expressions qui agissaient sur eux tels des aimants. Des mines laissant transparaître de l'appréhension, mais aussi et surtout, du bonheur.

Lentement, Kei rapprocha son visage pour emprisonner les lèvres de Joshua dans les siennes. Le plus jeune mourrait d'envie de l'enlacer, mais ses mains retenues dans celles de son compagnon l'en empêchèrent. Il se contenta de caresser les doigts et le dos de sa main tout en approfondissant cet échange amoureux. De son côté, Kei se décolla légèrement avant de descendre au niveau du cou du brun. Il huma la senteur vanillée qui s'en dégageait, puis l'embrassa à plusieurs reprises en douceur.

Assez sensible à ce niveau, Joshua poussa un petit gémissement, alors que ses mains serraient un peu plus celles de l'argenté par réflexe. Ce dernier releva la tête vers lui d'un air étonné.

« Je suis... un peu chatouilleux par là. » avoua Joshua avec gêne, mais en affichant un petit sourire qui fut aussitôt rendu.

« J'évite de titiller cet endroit, alors ?

— Pas forcément, mais vas-y plus doucement. »

Plutôt que de continuer à déposer ses lèvres sur son cou, Kei se redressa en lâchant les mains de son cadet. Mais il tira celui-ci pour le redresser également, de telle sorte à ce qu'il se retrouve assis et blotti contre lui. Joshua passa instinctivement ses bras autour de la nuque du hacker lorsque celui-ci l'étreignit au niveau de la taille.

Tous deux frissonnèrent lorsqu'une grande partie de leur peau se colla. Cela ne les empêcha pas de s'embrasser une fois de plus. La température montait sans pour autant dépasser une certaine limite. Le silence régnait dans la chambre, si on excluait les petits bruits de leurs lèvres et de leurs langues se savourant délicieusement. Et alors que la nuit suivait son cours, les deux jeunes hommes se perdirent dans de tendres caresses, toujours envoûtés par leur baiser ardent.

Mais la fatigue se fit sentir, suite à l'éprouvante journée passée. Leur moment cessa donc, et tous deux se rallongèrent sur le lit. Joshua n'hésita pas à entourer Kei, qui lui tournait le dos, de ses bras.

« Bonne nuit, mon sauveur, murmura le primitif en embrassant l'arrière de son crâne.

— Bonne nuit, mon héros ! »

Tous deux pouffèrent devant ces surnoms incroyablement niais. Mais ils les affectionnaient beaucoup. Suite à cette démonstration de complicité, le duo s'endormit au bout d'une dizaine de minutes.

 

*

 

Quelque part dans le quartier général du gang Shuriken, au district Susanoo, Takumi, ligoté au niveau des poignets et des chevilles à une chaise, s'était assoupi. Voilà des heures qu'on l'avait emmené là. Pour l'instant, on ne lui avait rien fait. Mais les cris de souffrance de ses camarades torturés résonnaient encore à son oreille. Tandis qu'il rêvait de ses acolytes se faisant frapper à mort devant ses yeux, il sentit une soudaine douche froide le réveiller en sursaut.

« On se réveille, mon pote ! » s'éleva la voix de Kaze, qui déposait une marmite au sol. Takumi ne mit pas longtemps à retrouver ses esprits pour redécouvrir le lieu où il était séquestré : une simple petite pièce sombre, dépourvue de fenêtre et avec une unique porte d'accès. La seule source de lumière était un vétuste lampadaire suspendu au-dessus de sa tête, dont l'ampoule luisait faiblement. Il n'hésita pas à offrir à l'autre son regard le plus haineux.

« Mon Dieu, tu me ferais presque peur ! ironisa l'homme aux mèches d'ébène en tournant autour du chef des voyous.

— Arrête de te foutre de ma gueule et finissons-en ! Torture-moi ou tue-moi si ça te chante. Tu n'obtiendras rien de moi !

— Tu veux parier ? » demanda Kaze en souriant avant d'appuyer sur un bouton d'une télécommande qu'il tenait. Takumi sentit un soudain courant électrique parcourir tout son corps. La douleur se fit incroyablement intense à l'arrière de son crâne, à sa poitrine et au niveau de ses gonades. Cette désagréable sensation dura une dizaine de secondes.

« On a posé des pastilles électrisantes au niveau de ta tête, de ton cœur et de tes couilles. Généralement utilisées en médecine technologique, elles peuvent s'avérer mortelles entre les mains d'une personne prête à tout pour faire parler certains. Manque de bol pour toi, je suis ce genre de personne ! À la base, je souhaitais utiliser ces trucs sur tes sbires. Je suis sûr qu'ils auraient parlé tout de suite. Mais vu que ce sont les seules pastilles que je me suis procurées, j'ai préféré les garder spécialement pour leur chef. »

Takumi haleta en grimaçant. Il ressentait encore des gros picotements sur ces trois parties de son anatomie stratégiquement choisies.

« T'es un monstre... » grogna-t-il à l'adresse de Kaze en tentant de retrouver une respiration convenable. Celui-ci leva les yeux d'exaspération devant une telle remarque hypocrite et culottée de sa part.

« Ce n'est pas moi qui suis allé casser le local d'un établissement, capturer deux femmes, dont une enceinte, et violenter un pauvre gars qui souhaitait juste retrouver ses amies. »

Après être passé derrière lui, il saisit brusquement le délinquant par les cheveux et tira pour lui faire relever la tête et le forcer à le regarder. Takumi avait beau être plus grand que Kaze, c'était ce dernier le plus imposant et intimidant des deux en cet instant.

« Pour ce que tu as fait à Kei, j'ai envie de te tabasser avant de te jeter par une fenêtre pour que tu t'écrases parmi les déchets du niveau 0. Mais j'ai trouvé l'alternative de la torture pour te faire sortir les vers du nez concernant le véritable objectif de la Kai-Riu. »

Il actionna sa télécommande de telle sorte à ce que seules les pastilles apposées sur les parties génitales de l'autre s'actionnent. Takumi grimaça à nouveau.

« T'as intérêt à parler, si tu ne veux pas te retrouver castré ! »

L'autre chef de gang ne parla pas pour autant. Malgré la douleur, il trouva la force de l'endurer. Il défia même son tortionnaire :

« Pourquoi ne pas te mettre à quatre pattes pour sucer le bout de ma bite, plutôt ? »

Aussitôt ces mots prononcés, il ressentit une vive douleur à la poitrine. Kaze venait d'activer d'autres pastilles, rendant le calvaire de Takumi plus atroce.

« Je peux passer toute la nuit à m'amuser de la sorte, tu sais ? nargua le leader des Shuriken d'un sourire sadique. Tu auras beau essayer de me provoquer ou de m'insulter, ça ne changera rien à ta situation. C'est toi qui souffres, là. Pas moi ! Bien sûr, si tu souhaites que j'arrête, tu sais ce qu'il te reste à faire. Mais dans le cas contraire... »

Il actionna les pastilles collées à son crâne. Là, Takumi hurla de douleur en gesticulant comme un rat piégé dans une tapette. Kaze le laissa souffrir de cette façon durant une vingtaine de secondes, avant de lui offrir un peu de répit.

« Es-tu consentant à parler ? Ou dois-je t'offrir une nouvelle décharge, encore plus forte et plus longue que celle-là ? »

Contre toute attente, son opposant l'implora d'arrêter cette torture et lui promit de révéler quelques informations sur la firme la plus influente de Neo-Tokyo. Il ignorait ses véritables desseins. Il ne pouvait pas non plus révéler la configuration du siège de la société. Il confia tout de même que la salle de réunion des trois fondateurs se trouvait en son sommet et que l'un d'eux, Tama Daisuke, s'y rendait souvent pour superviser son business. Il dévoila également l'adresse et une partie de l'emploi du temps d'Isao Junpei.

« Tu vois, quand tu veux ! » le félicita Kaze en lui tapotant le dessus de la tête. Mais Takumi répliqua par un crachat envoyé au sol.

« Si tu cherches à arrêter notre gang ou la Kai-Riu, tu perds ton temps… Nous sommes probablement les personnes les plus puissantes de Neo-Tokyo, voire même de Calreon.... Ce n'est pas avec tes petits merdeux de complices que tu réussiras quoi que ce soit contre nous... Et quand bien même vous réussiriez… nous avons des connaissances prêtes à prendre notre relève, si on nous fait disparaître ! »

Le rictus de Kaze prit un air moqueur, tandis qu'il s'éloignait de lui.

« Si un gamin et deux femmes ont été capables de vous neutraliser, toi et ta bande, je ne vois pas en quoi un gang comme les Shuriken ne pourrait pas combattre la Kai-Riu elle-même. Mais merci quand même pour la mise en garde, je suppose ! »

Sur ces mots, il quitta la pièce en faisant venir quelques collègues pour surveiller ce malfaiteur.

Chapter 20: Surveillance accrue

Chapter Text

L'ordinateur en veille affichait neuf heures et douze minutes. Les rayons du soleil matinal se faufilèrent à travers les stores entrouverts de la chambre, pour réveiller Kei et Joshua en douceur. L’un dans les bras de l’autre. ils se saluèrent en échangeant un bref baiser, avant de se tourner vers le plafond. L’envie de quitter ce lit confortable et chaud se fit inexistante, d’autant plus qu’ils n’avaient rien de prévu en ce nouveau jour.

« Ça va mieux, tes blessures ? » demanda Joshua en regardant son homologue qui se sentait bien mieux, malgré quelques courbatures résistantes.

« Je pourrais botter le cul de quatre Masamune en même temps !

— On va éviter ça pour l'instant, quand même ! »

Avec un sourire enjoué, Kei promit de ne pas se retrouver dans une pareille situation. Surtout pas après l'incident de la veille. Il avait manqué de se faire souiller par le groupe de Takumi, après tout. Il lui fallait prendre le temps de se remettre de cette mésaventure et de penser à autre chose. Il ne tarda pas à trouver un sujet de conversation plus intéressant.

« Dis-moi, Josh. En admettant qu'on parvienne à faire tomber la Kai-Riu et leurs complices, un jour. Tu m'as bien promis de m'emmener voir l'extérieur de Neo-Tokyo, pas vrai ?

— Jusqu'à preuve du contraire, oui. Pourquoi ? T’as peur que je ne tienne pas ma promesse ? » demanda l'autre d'un petit sourire taquin. Le hacker secoua négativement la tête, sachant pertinemment que Joshua était du genre à respecter sa parole. Mais là n'était pas vraiment le point qu'il désirait aborder.

« En fait, je voulais te demander ce que tu comptais faire. Si tu comptais vivre à Neo-Tokyo en t'aventurant à l'extérieur de temps en temps, ou si tu souhaitais faire l'inverse, c'est-à-dire retourner vivre à l'extérieur en venant quelques fois dans cette ville. »

C'était une question qui méritait d'être posée, et à laquelle le primitif n'avait jamais réfléchi. Retourner vivre à l'extérieur était terriblement tentant. Même si son village natal avait disparu, il pouvait toujours s'incruster parmi les habitants d'un village voisin qui l'accueilleraient à bras ouverts. Mais d'un autre côté, il souhaitait continuer sa découverte de Neo-Tokyo, et en apprendre plus sur son fonctionnement et les spécificités de chaque district. De plus, il y avait fait pas mal de belles connaissances : Ryo, Natsu, Hayate, Kaze, Neeko et bien sûr, Kei.

Après avoir confié ses sentiments à ce dernier, il s'imaginait mal s'éloigner de lui, de peur d’altérer leur relation.

« Je veux surtout qu'on reste ensemble, murmura-t-il, le regard fuyant et les joues légèrement rougis. Peu importe si c'est à Neo-Tokyo ou ailleurs. »

Cette confession toucha l'informaticien qui afficha un tendre sourire. Il trouvait Joshua charmant en cet instant et n'avait qu'une seule envie : le prendre dans ses bras en lui assurant qu'il partageait le même souhait.

Mais son cellulaire sonna, posé sur une petite commode à côté. Kei grogna, se disant qu'on venait de gâcher leur moment de tendresse. En saisissant son gadget, il se prépara à râler sur celui ou celle ayant osé les déranger. Seulement, en voyant le nom de Neeko sur l'écran, il haussa un sourcil avant de décrocher et de répondre sans agressivité.

« Neeko ? Pourquoi tu m'appelles sur mon téléphone ?

— Venez vite au salon ! Le journal télévisé parle d'un sujet important ! »

Après avoir échangé un regard avec le brun, le jeune homme raccrocha et sortit du lit en même temps que ce dernier. Ils ne prirent même pas la peine de remettre leurs hauts et quittèrent la chambre, torse-nu. Sous sa forme féline, Neeko se tenait debout sur le canapé à regarder l'écran projeté. Les deux hommes s'installèrent précipitamment de part et d'autre d'elle.

À leur stupéfaction, ils apprirent que la disparition du chef des Masamune, Takumi, s'était faite savoir. Mais ce qui les étonnèrent davantage était la mobilisation du Bushi pour le retrouver, à la demande d'Isao. Le co-fondateur de la Kai-Riu avait également fait appel à des agents d'élite, à la fois pour épauler les forces de l'ordre, mais aussi pour calmer les manifestations qui se formaient dans plusieurs districts, suite à la tragédie impliquant Hayate et les deux adolescentes mortes à ses côtés. Ces militaires spéciaux n'hésitaient pas à faire enfermer certains manifestants qu'ils jugeaient trop virulents, afin de dissuader les autres de les imiter.

« Même si l'acte de calmer les manifestations est logique en soi, parla l'Ai-pet, cette façon de procéder des autorités me laisse penser qu'ils font ça pour effrayer suffisamment la population, afin qu'ils ne suivent pas l'exemple des manifestants.

— Je me faisais la même réflexion, affirma Kei, les sourcils froncés. Ce qui me sidère, c'est que les hauts gradés de Neo-Tokyo obéissent aussi facilement à un simple PDG d'une entreprise. Je veux bien que la Kai-Riu soit très influente, mais tout de même ! Où est le président ? C’est à peine si on entend parler de lui, ces derniers temps ! Qu'est-ce qu'il pense de cette situation générale ? Son avis aurait été le bienvenu, non ? »

Joshua réfléchit. Quelque chose clochait ! Depuis le temps que toutes ces agitations ébranlaient la mégalopole, il était surprenant de n'avoir jamais vu la tête du président dans le journal télévisé. Et personne ne le mentionnait nulle part ! Le primitif avait presque l'impression que le trio à la tête de la Kai-Riu faisait office de présidents de substitution. Agissaient-ils vraiment avec l'aval de Michi Akihiko ?

« Ça sent un coup fourré quelque part, confia-t-il à l'adresse des deux autres. Si votre président ne fait plus parler de lui et qu'il laisse la Kai-Riu agir de la sorte, soit c'est le pire leader que l'humanité n'ait jamais connu, soit il lui est arrivé quelque chose dont personne n'est au courant. »

Cette phrase jeta un froid dans le salon. Kei avait déjà émis l'hypothèse d'une grave maladie empêchant Michi Akihiko de se montrer. En partant de là, peut-être que sa confiance envers les chefs de l'entreprise du dragon rouge le poussait à leur confier la gestion de Neo-Tokyo. Mais si la vérité était encore plus sordide ? Si la Kai-Riu retenait le président quelque part et le menaçait pour qu'il donne plein pouvoir à ses fondateurs ?

« Ce serait gros, quand même... murmura-t-il en se mordant la lèvre intérieure.

— Tellement gros que ça ne m'étonnerait même pas, vu tout ce qu'ils sont capables de faire ! répliqua Joshua. Après, il faudrait s'en assurer, avant de tirer des conclusions trop hâtives.

— Et comment ? En nous infiltrant à la résidence présidentielle pour vérifier par nous-mêmes ? C'est l'un des endroits les mieux gardés de Neo-Tokyo ! On se ferait repérer avant même d'atteindre le bâtiment.

— Peut-être que Kaze ou un autre membre des Shuriken pourrait vous en rapprocher ? » réfléchit Neeko en affichant un point d'interrogation. Soudain, la sonnerie de l'appartement retentit. Kei se leva pour vérifier l’identité du visiteur imprévu sur le pas de la porte automatique.

« Quand on parle du loup ! » s’exclama-t-il d’un grand sourire en ouvrant l'accès, qui laissait apparaître le chef du gang Shuriken.

« Salut ! J'avais besoin de vous voir pour... »

Il bloqua dans sa phrase en remarquant que Kei, si on excluait ses bandages et pansements, ne portait qu'un simple bermuda. Après avoir fait quelques pas pour entrer, il remarqua Neeko, mais aussi Joshua, peu vêtu également. L'homme aux cheveux charbonneux regarda à tour de rôle le primitif, puis le hacker. Et ce, à plusieurs reprises, les yeux ouverts en grand.

« Euh... J'ai interrompu quelque chose entre vous, ou... ?

— T'as rien interrompu du tout, râla Kei, les joues rougies et l’air gêné. Contrairement à ce que tu crois, il ne s'est rien passé ! On a juste... un peu chaud.

— Il fait à peine vingt degrés, dehors ! informa son interlocuteur en croisant les bras avec un léger sourire.

— Le chauffage de l’appart’ était un peu trop fort. »

Tandis que Joshua s'entêtait à se concentrer sur le téléviseur, complètement embarrassé par le sous-entendu de Kaze, ce dernier pouffa devant leurs réactions qu'il jugeait révélatrices. Mais il ne les taquina pas sur leur relation, car il avait plus important à faire.

Installé sur le canapé avec le reste du groupe, il informa que son interrogatoire avec Takumi avait plus ou moins porté ses fruits. Il assura également être au courant que le chef des Masamune était vivement recherché, mais qu'il l'avait suffisamment bien caché pour rendre les enquêtes du Bushi vaines.

De son côté, Kei exposa l'hypothèse de Joshua, au sujet d'une potentielle prise d'otage du président de Neo-Tokyo par la Kai-Riu. Le leader des Shuriken ne cacha pas son scepticisme :

« Si c'était vraiment le cas, ça se serait su, à la longue. Je pense que certains journalistes indépendants auraient déjà investigué à ce sujet, depuis le temps. Mais c'est vrai que l'absence de manifestation de la part du président est louche, surtout qu'il laisse la Kai-Riu faire un peu tout et n'importe quoi. J'ignore s'il partage vraiment les objectifs et les valeurs de cette firme, mais si ce n'est pas le cas et que la Kai-Riu est responsable de son long silence, la situation peut être encore plus grave que ce qu'on imaginait. »

Est-ce que la Kai-Riu serait suffisamment malfaisante pour s'en prendre directement au président et diriger Neo-Tokyo à sa place ? Cela expliquerait pourquoi elle avait autant gagné en influence ces dernières années, ainsi que les rares apparitions du chef de la mégalopole au grand public.

Avant de faire cette sérieuse accusation, il fallait vérifier si Michi Akihiko se portait bien. Mais sachant que sa résidence, au cœur de la cité, était un endroit bien plus surveillé que les districts l'entourant, il serait difficile de l'atteindre sans se faire repérer.

« J’ai toujours mon fourgon qui peut devenir invisible, rappela Kaze. Mais si les patrouilleurs possèdent des caméras à détecteurs de chaleur, ils risquent quand même de nous repérer.

— Il faudrait trouver un moyen de les distraire suffisamment longtemps pour nous laisser le temps d'atteindre furtivement notre destination, affirma Kei. Mais même là, ça risque d'être complexe.

— Après un rapide calcul et en prenant en compte les idées de Kaze et de Kei, parla Neeko, votre probabilité de réussite d'une telle opération s'élève à dix pour cent. C'est trop dangereux !

— Si peu ? » s'étonna Joshua, qui ne s'imaginait pas les choses compliquées à ce point.

« Est-ce qu'on met Ryo au jus ? Peut-être qu'elle pourrait nous aider. » proposa le chef des Shuriken. Mais Kei refusa de mêler la rousse à cette opération.

« Elle me tuerait, si elle apprenait que je songe à infiltrer le siège du président ! Et puis, Natsu a besoin d'elle à ses côtés, en ce moment. »

Comprenant ces arguments, Kaze n'insista pas. Mais il ordonna au duo masculin de ne pas se précipiter.

« Je vais en parler à ma bande. On fera des sessions de surveillance autour de la zone centrale de la ville, pour analyser le comportement des patrouilleurs et si possible, mettre au point une stratégie permettant à un véhicule de s'approcher de la tour du président sans se faire voir. Ça risque de nous prendre du temps. Peut-être même qu'on n'y arrivera pas. Il faudra envisager cette potentielle éventualité. »

Les autres s’en montrèrent indulgents. C'était une tâche dangereuse qu'ils confiaient aux Shuriken, bien que pour une juste cause.

« Je vous tiendrai au courant de l'avancement de nos observations. D'ici là Kei, garde tout le temps ton cellulaire à proximité.

— Je le fais déjà, mais merci pour le conseil ! »

Aussitôt les actions planifiées, Kaze ne perdit pas de temps. Il salua ses homologues et Neeko avant de s'éclipser de l'appartement. Kei et Joshua s'échangèrent un regard suite à cette visite.

« Je sais que je suis celui à avoir insufflé l'idée d'infiltrer la tour de votre président, commença Joshua, mais est-ce vraiment la meilleure chose à faire ? D'après Neeko, ça m'a pas l'air d'être le cas…

— Pour l'instant, laissons faire Kaze et ses potes. En fonction de leur analyse de la zone concernée, on décidera d'agir ou non. Peut-être qu'on est sur le point de dénicher le scandale du siècle, si nos hypothèses sont vraies. Et si c'est le cas, ça nous donne une raison ultime de combattre la Kai-Riu.

— Et si on se trompe ? demanda Neeko en montant sur ses genoux.

— Ça signifierait que le président est complice de tout ce qui se passe en restant dans l'ombre. Qu'il approuve les sales méthodes de la Kai-Riu et qu'il encourage les agissements des Masamune. Honnêtement, je ne sais pas quelle révélation serait la pire à découvrir.

— Ça nous ferait un ennemi de plus, dans ce second cas... » grogna Joshua en serrant ses poings, le regard détourné. Si le président de Neo-Tokyo dirigeait la Kai-Riu et les Masamune, alors la responsabilité de la destruction de son village lui revenait. Mais cela le décevrait.

Au fil des jours, le primitif avait appris à apprécier cette ville malgré lui. Et d'après ce que lui avait fait comprendre Kei, Michi Akihiko avait contribué à son développement, ces dernières années. Si Joshua apprenait que cet homme était l'instigateur de la destruction de son village, il ne supporterait pas de séjourner en ces lieux une minute de plus. Vivre dans une mégalopole gouvernée par un génocidaire le dégoûterait définitivement.

« Hé… » l'interpella doucement Kei en posant sa main sur son épaule. Mais Joshua apposa aussitôt la sienne par-dessus, en souriant légèrement pour le rassurer.

« Quelle que soit la vérité cachée derrière tout ça, il faut qu'on la fasse éclater. Votre ville ne s'en portera que mieux. »

Partageant son avis et heureux de le voir garder le moral malgré tout, son hôte lui caressa le dessus de la tête, avant de lui proposer une occupation pour passer le temps. Sachant que la surveillance était accrue dans toute la ville, sortir se promener n'était pas une bonne idée. Et Kei n'avait pas l'énergie pour s'entraîner dans la salle de simulation.

Ainsi, il proposa à Joshua d'apprendre à manier l'ordinateur présent dans sa chambre. Depuis son arrivée, le chasseur comprenait comment utiliser certaines technologies comme le téléviseur holographique, la douche, le four, les cellulaires ou encore les glasses-book pour ne citer qu'eux. Mais jamais il n'avait touché à un clavier ou à une souris. Pourtant, l'utilisation d'un tel appareil était un indispensable pour vivre à Neo-Tokyo.

Ce fut la raison pour laquelle l'argenté s'attela à lui apprendre au moins les bases, à savoir l'allumer, l'éteindre, naviguer sur les écrans, ouvrir et fermer un dossier ou un fichier, et taper du texte. Le brun n'était pas non plus un hacker. Lui apprendre des langages de programmation, l'utilisation de logiciels de piratage et d'autres choses du genre se révélerait inutile.

Joshua se surprenait à trouver une telle découverte amusante, malgré sa réticence au début. Il fallait dire que Kei offraient des explications claires et concises, et faisait preuve de patience pour s'assurer d’une bonne compréhension de sa part. Il n'y avait pas à dire : l'homme aux mèches blanches était vraiment doué dans son domaine, en plus d'être bon pédagogue !

« Tu as déjà songé à faire instituteur d'informatique ? demanda le plus jeune d'un léger sourire.

— Pas vraiment, non ! J'aime bien expliquer comment fonctionne un ordinateur et les logiciels qu'il comporte, mais pas à ce point. Je préfère largement pratiquer qu'enseigner. En tout cas, tu es un très bon élève ! Je m'attendais à ce que tu galères plus que ça.

— Comme je te l'ai dit : j'apprends vite ! »

Ce fut au tour du plus âgé de sourire devant cette information qu'il savait déjà, avant de conseiller à son cadet de s'entraîner à taper au clavier sur un logiciel de traitement de texte.

Le reste de la journée, et les deux jours suivants furent quasiment identiques. Kei continuait l'apprentissage de Joshua, mais entrecoupait les séances par d'autres activités comme la cuisine, le visionnage de séries, ou des parties de jeux vidéo. Accompagnés de Neeko, ils étaient même sortis une fois, pour se rendre à pied dans une épicerie non loin. Mais concernant le maniement de l'ordinateur, Joshua se sentait de plus en plus à l'aise, et savait à présent naviguer sur le net pour rechercher certaines informations sur l'actualité, ou sur le mode de vie Neo-Tokyoïste. Il s'habituait de plus en plus au clavier et commençait à écrire un texte plus rapidement qu'avant.

Tandis que le cap des seize heures était dépassé, Joshua délaissa la machine pour se rendre au salon. Kei et Neeko regardaient les informations. Les mêmes titres passaient en boucle. Les Masamune disparus demeuraient introuvables, et les manifestations pour soutenir les familles des victimes suite à l’affaire de Chikara ne diminuaient pas, contrairement à ce que tout le monde croyait.

« Je pensais qu'ils auraient laissé tomber à la longue, mais les manifestants sont tenaces ! commenta Kei en souriant légèrement. À mon avis, c'est un signe du destin.

— Espérons qu'il n'y aura pas un retournement de situation glauque comme l'abattage de toutes ces personnes, souhaita Joshua.

— Ils n'oseraient pas. Les autorités du Bushi sont capables de bien des choses, mais tirer à vue sur des innocents ne fait pas partie de leurs méthodes. Leur réputation s'en retrouverait salie, et la confiance entre citoyens et forces de l'ordre serait définitivement rompue.

— Quelque part, cette confiance est déjà ébranlée si les manifestations continuent, non ? » interrogea Neeko.

Tout à coup, la sonnerie du cellulaire de Kei retentit. Le numéro de Kaze s'affichait. L'homme aux mèches de neige baissa le volume du téléviseur avant de décrocher.

« On a peut-être trouvé une ouverture pour s'infiltrer à la tour du président, mais il va falloir agir de nuit entre vingt-quatre et vingt-cinq heures. Est-ce qu'on tente le coup ce soir ?

— Carrément, accepta l'argenté sans hésitation. Plus vite on sera fixé sur ce qu'il en est, mieux ce sera !

— Très bien. Mes camarades seront présents pour faire une diversion afin de nous faciliter la tâche. Je viendrai vous chercher autour de vingt-trois heures trente. Je vous conseille de bien vous reposer avant. Il vous faudra rester concentrés durant une telle opération.

— Merci du conseil. Et merci de nous filer un coup de main là-dessus. T'es vraiment un pote, Kaze ! »

Son interlocuteur émit un petit rire, visiblement ravi de ce compliment.

« Ce n'est pas grand-chose ! Et puis je suis également curieux au sujet du président, je t'avoue. Quoi qu'il en soit, ne prenez pas ce qu'on va faire à la légère. On risque très gros ! »

Kei comprenait la mise en garde et était conscient des risques encourus. Mais l'envie d'enfin connaître la vérité sur les véritables dirigeants actuels de Neo-Tokyo, le motivait à braver ce danger.

Après avoir raccroché, le hacker raconta brièvement ce que Kaze lui avait rapporté. Si un air sérieux et déterminé s'emparait du visage de Joshua, Neeko, de son côté, afficha une émoticône effrayée. En remarquant l'inquiétude de son Ai-pet, Kei caressa son pelage en lui assurant que les choses allaient bien se passer.

Il leur restait la fin de l'après-midi pour se reposer et se préparer. Le duo masculin ne s'en priva pas. Ils s'accordèrent deux bonnes heures de sieste avant de se vêtir de vêtements sombres à capacité de camouflage, et de manger léger lorsque la soirée arriva.

Comme prévu, Kaze se gara dans le parking non loin de Kei. Après les avoir prévenus de son arrivé, il invita l'informaticien et le primitif à le rejoindre directement. Chose que les deux firent après avoir salué Neeko, qui demeurait soucieuse malgré les mots rassurants de son maître.

 

*

 

Le fourgon de Kaze se rapprocha du centre de Neo-Tokyo, là où se dressait majestueusement une immense tour, bien plus hautes que celles tapissant les districts autour. Les quelques décorations dorées visibles sur ses façades reflétait la lumière de plusieurs projecteurs, qui l'éclairaient depuis sa base. Un peu plus bas que son sommet qui culminait toute la ville, une énorme enseigne s'illuminait. Un logo représentant la planète Calreon avec les initiales « NT » inscrites dessus. Pour Neo-Tokyo.

« C'est vraiment immense ! s'extasia Joshua devant un tel mastodonte.

— En même temps, c'est la résidence de celui qui gouverne la mégalopole, ainsi que le principal QG des militaires et forces de l'ordre. » raconta Kaze en naviguant en direction du brouillard permanent du niveau 0. Une fois à l'intérieur de cette brume, leur destination n'était plus visible. Le leader des Shuriken se laissa néanmoins guider par une carte des lieux visible sur son tableau de bord. Il avait éteint les phares de son véhicule pour ne pas se faire repérer.

« Je vais tenter de me rapprocher le plus que possible en restant à couvert. Lorsque mes gars feront leur diversion, je vais nous hisser jusqu'au sommet tout en passant en mode invisible. On n'aura pas beaucoup de temps pour enquêter à l'intérieur de la tour. Préparez-vous donc à agir rapidement et efficacement. »

Les deux plus jeunes déglutirent avec difficulté. Ne pouvant plus reculer, ils devaient s'assurer de mener à bien leur opération sans se faire repérer.

Le vaisseau de Kaze se plaça à côté du bâtiment. La main posée sur son volant, son pilote se tint prêt à réagir aussitôt qu'on lui enverrait un signal.

« J'espère que vous avez la ceinture bien attachée et le cœur solide ! Ce que je m'apprête à faire ne vous sera pas agréable.

— Je n'aime pas quand tu dis ça... » confia Kei qui s'attendait désormais au pire. Tout à coup, des bruits de feu d'artifice résonnèrent non loin de leur position. Les explosifs à effets lumineux étaient lancés au-dessus de la zone centrale de Neo-Tokyo, mais assez éloignés de la tour présidentielle. L'emplacement et la succession des détonations poussèrent les patrouilleurs des environs à aller inspecter l'origine de ce désordre, délaissant temporairement la surveillance de l'immeuble.

« Accrochez-vous ! » avertit l'homme aux cheveux noirs en activant l'invisibilité de son vaisseau, avant de brusquement décoller et de s'envoler à la verticale, à une vitesse incroyablement élevée. Il venait d'activer des propulseurs sous son véhicule pour accélérer l'ascension et leur faire gagner du temps.

La brutalité de cette montée secoua grandement Kei et Joshua, qui se retrouvaient enfoncés dans leurs sièges. Heureusement pour eux, cela ne dura pas plus d'une vingtaine de secondes.

Aussitôt au sommet, Kaze gara son engin sur une plate-forme pourvue à cet effet. Puis, il ouvrit les portières et invita Kei et Joshua à descendre. Le hacker et le chasseur, pris d'un grand tournis, récupérèrent bien vite leurs esprits. Ils ne devaient pas perdre le peu de temps que le chef des Shuriken leur avait fait gagner. Ils entrèrent à l'intérieur de la tour par une porte menant vers des escaliers descendants.

À leur grand étonnement, cette entrée n'était protégée par aucun code ou scanner, et aucun militaire n'était présent pour garder les environs.

« Ils ne jugent peut-être pas nécessaire de surveiller ce point-là, vu toute la surveillance déployée dans cette partie de Neo-Tokyo, supposa Kei. Autant s'en réjouir ! »

Alors qu'ils venaient de franchir cet accès, une toute petite silhouette robotique à quatre pattes et au pelage rose s'était décrochée d'en dessous du vaisseau de Kaze. Une émoticône pensive s'afficha sur son écran.

« Je vais les surveiller de loin et voir comment les aider, si besoin. »

À son tour, Neeko s'aventura dans la grande résidence présidentielle.

 

*

 

L'exploration de ces lieux s'annonçait difficile, et les trois hommes n'avaient que peu de temps. De plus, ils devaient faire attention aux caméras de surveillance qu'ils croiseraient sur leur chemin. Heureusement, les escaliers en étaient dépourvus. Mais quel étage explorer ? Ils ne pouvaient pas se permettre de trop s'éloigner du sommet de l'immeuble.

« Hé, regardez ! » fit Kei en repérant sur un mur proche un petit écran projeté, détaillant le plan des cinq derniers étages de la tour.

« Voilà qui pourrait nous faire gagner du temps, avec un peu de chance. » affirma Kaze en s'approchant pour parcourir l'hologramme. Il repéra rapidement l'emplacement des appartements du président, situé trois étages plus bas.

« L'endroit risque d'être aussi surveillé par des agents d'élite, avertit le leader des Shuriken. Si c'est le cas, je m'occupe de les neutraliser discrètement. Kei, tu te charges de désactiver les caméras de surveillances, si besoin. Et toi Joshua, tu couvres nos arrières en t'assurant que rien ni personne ne nous épie. N'activez l'invisibilité de vos tenues qu'en cas d'extrême urgence. »

Les deux autres hochèrent leurs têtes d'approbation, avant de s'exécuter en descendant avec Kaze jusqu'à la porte donnant accès à l'étage souhaité.

Le justicier ouvrit doucement celle-ci et longea sa tête. Un couloir bien aménagé et éclairé, dont le sol était recouvert par une moquette rouge propre, s'étendait. Plusieurs portes se disposaient symétriquement de part et d'autre de l'allée. Toutes verrouillées. À première vue, personne ne se promenait dans les environs. Mais des caméras étaient présents et quelques drones effectuaient des aller-retour. Kei s'en chargea rapidement et les désactiva temporairement avec son eGame-X. Sa manœuvre avait pris quelques minutes, cependant.

« Suivez-moi, sans faire de bruit, ordonna Kaze à voix basse. Il n'est pas impossible qu'il y ait du monde derrière certaines portes. »

Le chef de gang s'engagea à pas silencieux dans le corridor, suivit de près par les deux plus jeunes. Bien qu'ils marchaient en limitant les bruits de leurs pas, ils avançaient le plus rapidement possible jusqu'à une certaine porte devant laquelle l'homme aux mèches de jais s'était arrêté. Selon le plan qu'il avait mémorisé, les appartements du président se trouvaient là.

« Attendez... » fit-il en enfilant ses lunettes à détection thermique. Ne pouvant pas se permettre d'ouvrir cette porte sans s'assurer de ne pas se faire repérer, il vérifia la présence, ou non, de personnes de l'autre côté. Son dispositif ne détecta aucun signe de vie.

« Le président n'est pas là à cette heure ? Ni même son épouse ou ses enfants ? murmura Kaze en haussant des sourcils.

— C'est vrai que c'est bizarre, admit Kei. Est-ce qu'on jette quand même un coup d'œil ? Si c'est le cas, je dois pirater le boîtier à scanner. »

Il y avait effectivement un petit clavier doté d'un scanner à empreintes digitales à droite de la porte. Sous les yeux nerveux de ses compagnons, il désactiva ce système et débloqua ainsi l'accès qui s'ouvrit automatiquement.

Le trio pénétra dans un vaste salon luxueux, dont la taille faisait aisément celle de l'appartement entier de Kei. Plusieurs canapés en cuir rouges étaient disposés autour d'un écran projeté. Celui-ci était en veille et ne faisait qu'afficher un logo identique à celui fièrement exposé sur la devanture de la tour. Non loin se trouvait un grand aquarium contenant des poissons d'assez petite taille, aux écailles violacées et aux yeux globuleux verts.

« Des cotectines ? » fit Joshua en reconnaissant cette espèce particulière.

De l'autre côté, se dressait une grande table napée d'un voile rouge, avec des vases contenant des plantes artificielles. Mais ce que les trois hommes virent au bout de celle-ci les tétanisèrent sur place. Le président, Michi Akihiko, était assis là, le regard perdu dans le vide. Il ne bougea pas d'un iota et ne semblait pas réagir à leur présence. Pour cause : son corps était relié par plusieurs câbles à une grande batterie posée à même le sol juste derrière sa chaise.

« Un... androïde ? questionna Kei, les yeux écarquillés de stupeur.

— Quoi, ce n'est pas le vrai président ? » demanda Joshua qui ne comprenait pas. Kaze s'approcha de l'automate pour l'analyser de plus près. Il était identique au physique de Michi. S'il n'y avait pas tous ces fils autour de lui, on aurait pu le confondre avec le vrai. Mais une question vint aux esprits du leader des Shuriken et de Kei : pourquoi existait-il une machine recopiant l'apparence du président ? Où se trouvait donc ce dernier ?

Tout à coup, les yeux de l'androïde clignotèrent en rouge tandis que les lumières environnantes s'étaient assombries.

« Que... ? fit Joshua en s'accrochant instinctivement au bras de Kei. Qu'est-ce qui se passe ?!

— C'est quand même pas l'énergie de ce bâtiment qu'il est en train de pomper, si ? » demanda le hacker à Kaze. Celui-ci réfuta cette supposition.

« La batterie ne semble connectée à rien. Elle est indépendante du système énergétique de cette tour. On ferait mieux de partir d'ici, et vite ! »

Soudain, Joshua gémit de douleur après avoir reçu une décharge électrisante. Il s'écroula ensuite au sol, conscient mais sonné.

« Josh ! » cria Kei en s'accroupissant près de lui et en repérant le drone actif, probablement dissimulé dans ces appartements, qui l'avait attaqué. Kaze envoya immédiatement plusieurs étoiles ninja en direction de la machine volante pour la mettre hors d'état de nuire. L'engin s'écrasa par terre dans un fracas métallique couplé à un grésillement électronique.

Mais alors qu'il ordonnait à Kei de prendre Joshua avec lui pour déguerpir en vitesse, plusieurs militaires du Bushi débarquèrent en trombe. Si Kaze avait eu le temps d'activer la fonction d'invisibilité de sa combinaison, ce n'était pas le cas de l'argenté qui venait de se faire tirer une décharge identique à celle reçue par le brun.

« Il y en a un qui s'est enfui ! cria l'un des agents. Verrouillez toutes les issues et retrouver le ! »

Certains ressortirent aussitôt des appartements, à la recherche de Kaze. Kei et Joshua, malgré leur affaiblissement, parvinrent à se redresser sur leurs genoux. Mais face à tous les pistolets laser ou à décharges électriques braqués sur eux, ils s'abstinrent de tenter quoi que ce soit.

Un homme quarantenaire à moustache, chauve et vêtu d'un costume cravate complètement noir, débarqua à son tour et se rapprocha d'eux, l'air sévère.

Isao Junpei.

Ses iris ébène dévisagèrent à tour de rôle les deux jeunes hommes, qui lui rendirent un regard haineux.

« Ce n'est pas très malin de votre part, de vous être infiltrés jusqu'ici en pensant pouvoir passer complètement inaperçu à nos yeux.

— Où est le président... demanda Kei. Et qu'est-ce que c'est que ça ?! »

Il désigna l'androïde d'un bref regard. En guise de réponse, un sourire sournois étira les lèvres du co-fondateur de la Kai-Riu.

« Cela fait plusieurs années que Michi Akihiko n'est plus de ce monde. »

Cette révélation glaça le sang du hacker et du primitif.

« Monsieur, est-ce raisonnable de leur révéler ça ? questionna l'un des agents armés.

— De toute façon, ces deux garçons ne respireront plus l'air extérieur. Qu'est-ce que ça change, qu'ils sachent ou pas ? Ils emporteront ce secret dans leur tombe.

— Vous l'avez tué, pas vrai ? » interrogea Joshua qui aurait adoré se relever pour lui coller une droite. Isao se contenta de hausser les épaules de manière nonchalante.

« Lui et sa famille ont simplement péri dans des circonstances tragiques. »

Alors, l'épouse et les enfants du président de Neo-Tokyo avaient aussi disparu ? Cet homme face à eux leur faisait croire à un accident, mais le fait qu'il restait vague à ce sujet en disait long sur la violente vérité. La Kai-Riu serait donc allée jusqu'à faire assassiner Michi et sa famille pour prendre progressivement le contrôle de la mégalopole ?

« Croyez ce que vous voulez, messieurs, lança le chauve. De toute façon, vous serez bientôt réduit au silence. Un beau gâchis, étant donné votre jeune âge apparent.

— Allez vous faire foutre ! grogna Kei en le défiant du regard. La population se doutera de la supercherie tôt ou tard !

— Préoccupez-vous plutôt de vos derniers instants. »

L'homme d'affaires ordonna aux autorités de les enfermer dans des cellules situées plusieurs étages plus bas.

« En attendant de retrouver leur complice, emmenez-les là-bas et surveillez-les jusqu'à nouvel ordre ! »

Aussitôt dit, aussitôt fait. Les soldats saisirent violemment les deux hommes en leur mettant des menottes lumineuses aux poignets, avant de les relever de force et de les emmener.

Neeko, qui avait profité de l'agitation pour se cacher dans un coin non-visible par tout ce monde, afficha un point d'exclamation en voyant son maître et son ami s'être faits attrapés.

Où est Kaze ?

Ce qu'elle ignorait, c'était que le chef des Shuriken n'avait pas pris la fuite, contrairement à ce qu'on croyait. Tapis dans l'ombre d'un canapé, il avait enregistré toute la conversation avec son cellulaire, avant d'en envoyer une copie à Ryo et à certains membres de son gang. Une fois cela fait, il sortit de ces appartements, sa tenue invisible encore active. Mais celle-ci pouvait le lâcher à tout moment. Il devait faire vite et atteindre son fourgon avant que cet incident ne se produise et qu'il se fasse démasquer à son tour.

Par chance, la porte permettant d'accéder au toit était encore ouverte. Mais le sommet de la tour était surveillé par quelques hommes. Sans perdre de temps, il en poussa un dans le vide, avant d'envoyer des étoiles ninjas paralysantes sur les autres, qui s'effondrèrent au sol.

Il monta ensuite dans son vaisseau et décolla, avant de plonger en pic jusqu'à se dissimuler dans le brouillard du niveau 0. Son véhicule redevint visible quelques secondes après, et Kaze désactiva l'invisibilité de sa tenue. Il aurait soupiré de soulagement si Kei et Joshua ne s'étaient pas fait capturés. Mais en sachant ces deux-là en danger, il contacta ses collègues pour une concertation d'urgence. Il n'avait pas l'intention de laisser le hacker et le primitif entre les mains de leurs adversaires.

Chapter 21: Entre IA et humanité

Chapter Text

Kei et Joshua avaient perdu toute notion du temps depuis qu'on les avait enfermés dans des cellules particulières. Chacune, carrée, avait trois faces constituées de barreaux lasers bleus et la quatrième, d’un mur en béton. Ce dernier séparait les deux cages où étaient séquestrés les deux hommes. Malgré l'adjacence de leurs prisons respectives, ils ne se voyaient pas. Ils pouvaient néanmoins s'entendre et se parler.

Mais pour dire quoi ?

Le choc électrisant avait eu raison de la fonction d'invisibilité de leurs tenues, et ils s'étaient tous deux faits dépossédés de leurs affaires. Ils n'avaient rien pour se défendre, et Kei était privé de son matériel de hacking. Les agents n'avaient pas pris la peine de monter la garde à côté de leurs cellules, étant donné qu’elles étaient impénétrables. À défaut d'une désactivation via une machine hors de leur portée ou d'une coupure de courant générale, il n'existait aucun moyen de faire disparaître les épais rayons lumineux mortels qui les gardaient captifs.

Assis et le dos collé au mur, Kei poussa un profond soupir.

« J'espère qu'ils n'ont pas attrapé Kaze... »

Joshua ne répondit pas. Adossé de la même manière et les genoux ramenés contre son torse, il fixait le sol d'un air maussade. Il avait demeuré silencieux depuis leur enfermement. À un point où l'argenté commençait à s'en inquiéter.

« Josh ? l'appela-t-il en tournant légèrement sa tête vers le mur derrière lui. Ça va ?

— Je ne sais pas. »

Kei n'était pas sûr de comprendre la signification d'une telle réponse. Il aurait préféré l'entendre dire qu'il n'allait pas bien pour le réconforter derrière.

« C'est moi qui ai soufflé l'idée de nous infiltrer ici pour vérifier l'état du président. Si je n'avais pas fait ça, on nen serait pas là.

— Hé, ne te rejette pas la faute comme ça. Ce n'est la faute de personne, à part celle de la Kai-Riu qui nous a caché la vérité.

— Une vérité qui restera cachée à tout jamais si Kaze n'est pas parvenu à s'échapper

— Vu qu'on ne l'a pas ramené ici, je suppose qu'il est parvenu à fuir. Si c’est le cas, ce n'est qu'une question de temps avant que le scandale ultime de Neo-Tokyo n'éclate.

— Peut-être aussi qu'ils l'ont attrapé et qu'ils l'ont enfermé ailleurs. Ou pire... »

Un tel pessimisme ne ressemblait pas au primitif. Il donnait l'impression de laisser tomber la lutte. Comme s'il en était fatigué, ou résigné.

« Joshua...

— On n'en a plus pour longtemps pas vrai ? Que Kaze soit parvenu à s'enfuir ou non ne change rien pour nous. Qui sait ce que la Kai-Riu nous fera dans les prochaines minutes... »

Kei demeura silencieux, le regard perdu dans le vide. Son compagnon marquait un point. Même si Kaze s'en était sorti et qu'il avait prévenu son gang ainsi que Ryo et Natsu au sujet de leur terrible découverte, lui et Joshua restaient encore entre les griffes de leurs ennemis. Sachant qu'ils en savaient beaucoup concernant l'assassinat du président et de sa famille, la Kai-Riu allait bientôt les exécuter, à la fois pour les faire taire et par pure vengeance.

Le programmeur pouvait comprendre ce que ressentait Joshua en cet instant.

« Tu as peur ? »

Son cadet se crispa, et sa mâchoire se serra.

« Je suis terrifié... Pourtant, la mort ne me faisait pas peur lors de mon arrivée dans cette ville. Mais en ce temps-là, je n'avais rien à perdre. Ayant déjà tout perdu, c'était à peine si j'avais envie de continuer à vivre. Mais aujourd'hui... »

Le jeune homme bloqua dans sa phrase alors qu'il sentait des larmes lui monter aux yeux. Il continua tout de même, luttant pour que sa voix ne laisse pas transparaître son état.

« Je vous ai rencontré, toi et tes amis... J'ai visité Neo-Tokyo et expérimenté son fonctionnement et son mode de vie... J'ai même appris à apprécier cette ville petit à petit... Et avec toi, on a vécu tellement de trucs sympas en si peu de temps... Toutes ces choses m'ont redonné goût à la vie... Et je ne veux pas que ça s'arrête comme ça... »

Ses larmes glissèrent le long de ses joues alors qu'il faisait tout pour cacher ses sanglots. Les épaules tremblantes, il porta sa tête sur ses genoux.

« Je n'ai pas envie de mourir maintenant... Ni de te perdre, Kei... Je souhaitais vraiment te montrer le monde de Calreon, comme je te l'avais promis... J'aurais voulu qu'on... qu'on passe encore plus de temps ensemble... Qu'on revive des moments comme celui au Space Heaven... Mais si on meurt maintenant... »

Il ne parvint pas à achever sa réplique, tant ses émotions prenaient le dessus sur lui. Il renifla en silence alors que ses larmes ruisselaient sur son visage déformé par la douleur. Il avait beau essayer d'être discret, Kei savait qu'il pleurait. Et il n'était pas le seul.

L'argenté, les yeux levés vers le plafond, laissait ses larmes couler. Les mots de Joshua l'avaient profondément ému autant qu'ils l'avaient dévasté. Leur situation était-elle désespérée à ce point ? N'avaient-ils vraiment aucune chance de sortir de cette prison ? Les deux étaient-ils définitivement privés d'une vie de bonheur et de découvertes qu'ils désiraient pourtant vivre ensemble ?

« Fuck ! » fit l'argenté en cognant son poing contre le mur, frustré de ne pouvoir rien faire pour sortir de cette cage de lasers. Il ne pouvait même pas réconforter physiquement Joshua, qui était au fond du gouffre.

 

*

 

De son côté, Neeko explorait le bâtiment à la recherche de son maître. Elle n'avait pas pu suivre les agents ayant emmené le duo masculin sans se faire repérer. Elle s'était donc décidée à parcourir un système d'aération, suffisamment large pour l'accueillir. Ces conduits s'avéraient malheureusement être un véritable labyrinthe, et s'orienter se révélait plus difficile que prévu. L’Ai-pet ignorait s'il se rapprochait, ou s'il s'éloignait de Kei et de Joshua.

En constatant l’inefficacité de cette méthode de recherche, la machine poilue quitta ce passage intramural par un accès aléatoirement choisi. Elle accéda ainsi à une grande salle, pour le moins étrange. Contrairement aux appartements du président dont les pièces présentaient des formes rectangulaires, cette grande pièce, haute d'environ cinq mètres, adoptait un aspect plus circulaire.

Un énorme écran était projeté en son centre par un superordinateur situé juste en dessous. Ce dernier était composé d'une multitude de claviers, dont la position et l'orientation variaient. Plusieurs sièges étaient installés devant, signe que cette machine devait être maniée par plusieurs personnes, en temps normal. Mais là n'était pas la chose la plus bizarre que ce lieu avait à offrir.

Autour de cet assemblage informatique, un peu en retrait, se disposaient plusieurs grandes capsules contenant des sièges allongées, semblables à ceux qu'on retrouvait dans les établissements dédiés aux parties d'Element's Clash, le casque à visière en moins. Il y en avait quatre, précisément. L'un d'eux était vide. Les trois autres contenaient des corps connectés à des câbles reliés aux capsules. Ces derniers semblaient branchés à l'ordinateur central.

Neeko bondit sur chacune des trois capsules occupées pour examiner les corps enfermés. Le premier était celui d'une femme quarantenaire, aux longs cheveux bruns légèrement bouclés. La robe droite bleu marine qu'elle revêtait lui donnait un air strict mais élégant. À en juger par son rouge à lèvres rosé prononcé, et à son teint clair poudré, elle avait l'air d'une dame soucieuse de son apparence jusqu'au moindre détail. Le second corps était celui d'un jeune homme tout juste adulte. Dix-huit ans, tout au plus. Ses mèches mi-longues noires bien arrangées et son uniforme d'étudiant, comprenant une chemise blanche agrémentée d'une cravate noire et d'un pantalon droit noir, lui conféraient une certaine prestance.

Le troisième et dernier corps contrastait avec le style des deux autres. Il s'agissait d'une adolescente qui ne semblait pas avoir plus de quatorze ans. Contrairement aux deux autres qui adoptaient des tenues élégantes et sobres, cette jeune fille portait des couleurs plus vives : une jupe-short orange, et un débardeur jaune surmonté d'une assez longue veste blanche au tissu léger et transparent. Ce contraste se renforçait par ses courts cheveux teints en rose. Cette couleur singulière se mariait néanmoins avec le teint clair de cette enfant.

Neeko scanna ces trois corps pour faire une rapide recherche faciale dans sa base de données. Elle les identifia rapidement, en regardant respectivement la femme, le jeune homme et l'adolescente.

« Michi Jun, Michi Nao et Michi Kokoro... La famille du président. Alors eux aussi ont vraiment été éliminés pour être remplacés par ces androïdes... »

Une émoticône triste apparue sur son écran en s'attardant particulièrement sur les enfants du couple présidentiel. Ils étaient encore jeunes et malgré tout, la Kai-Riu n'avait pas hésité à les faire disparaître pour son propre profit. Exactement comme elle l'avait fait avec Hayate et les deux adolescentes sexuellement agressées par Chikara.

Le symbole attristé devint colérique, alors que Neeko se rapprochait de la machine principale. Elle ne voulait pas qu'une chose similaire arrive à Kei ou à Joshua. Et elle désirait contribuer à la chute de la Kai-Riu après l'horrible découverte de cette soirée.

À l'aide de ses petites pattes, elle alluma le terminal, mais celui-ci exigea un mot de passe et un scannage d'empreinte digitale d'un membre de la famille présidentiel, pour pouvoir accéder à son système. L'Ai-pet pouvait aisément pirater le code d'accès. Passer outre le scanner en revanche, c'était au-dessus de ses moyens. Du moins, avec ce corps de félin qu'on lui avait attribué.

Elle se tourna alors vers les capsules, et particulièrement vers celle de la jeune Kokoro.

« Puisqu'il s'agit d'un androïde, je devrais pouvoir me transférer dedans. Et si c'est une réplique parfaite de la fille du président, son empreinte devrait passer le scanner sans problème. »

Ainsi, elle scanna une nouvelle fois ce corps. Pas pour l'analyser, mais pour y transférer ses données. C'était comme passer de sa forme féline à sa forme robotique aux couettes blondes destinée à faire le ménage chez Kei. Néanmoins, le réseau de l'automate devant elle était plus complexe à appréhender. Le transfert prit donc plus de temps.

Une fois celui-ci terminé, le corps de Kokoro ouvrit ses yeux d'un beau bleu océan. Doucement, elle remua une main, puis l'autre. Elle en fit de même avec ses jambes, puis la tête.

Les sensations sont très différentes du robot à la maison. Je me sens plus... vivante et sensible à l'environnement ?

Neeko semblait confuse dans ce corps étranger. Elle sentait ses sens décuplés et ses mouvements moins rigides. Doucement, elle ouvrit le compartiment pour en sortir, faisant tomber la machine en forme de chat rose dans lequel elle se trouvait encore quelques minutes auparavant. Après être descendue de sa capsule, elle le ramassa et l'observa. Elle ressentit une étrange sensation en se voyant hors de l'Ai-pet.

Mais là n'était pas le moment de tergiverser. Tout en tenant son corps originel à la manière d'une peluche, elle se rapprocha du terminal. D'un simple regard, elle parvint à se connecter au système sans toucher aux claviers. Elle prit le temps de pirater le fameux mot de passe avant d'apposer sa main sur le scanner à proximité.

« Michi Kokoro, identifié ! » retentit une voix féminine synthétique alors que plusieurs autres écrans s'allumèrent autour de Neeko. Certains affichaient les retranscriptions des caméras de surveillance installées dans la tour. La rose les parcourut jusqu'à trouver celle pointée sur les cellules de Kei et de Joshua. Elle fut profondément soulagée de les voir en vie. Mais elle devait trouver un moyen de désactiver les lasers qui les retenaient prisonniers.

Il faut que je trouve le secteur électrique auquel est reliée cette prison pour couper son circuit.

Mais comment faire ? D'ailleurs, était-ce possible d'y accéder à travers cet ordinateur ? Neeko s'activa à vérifier. Elle n'avait pas précisément trouvé un tel secteur, mais elle avait mis la main sur le système de contrôle de l'électricité de la mégalopole. Elle pouvait réguler le courant électrique de tout Neo-Tokyo à sa guise.

Peut-être que ça va envoyer un signal à la population, si je fais ça.

 

*

 

La seconde suivante, les douze districts et le centre de la ville se retrouvèrent plongés dans le noir complet, à la stupéfaction de tous. Seuls les phares des véhicules de la circulation et les quelques néons présents sur les tenues de certains citoyens, apportaient une source de lumière. Une panique générale s'empara progressivement des habitants qui ne comprenaient pas la situation.

Chez Ryo, cette brusque coupure avait surpris la rousse et Natsu alors qu'elles regardaient un film dans le salon.

« Oh non ! Au moment où ça devenait intéressant, en plus ! » se plaignit la plus jeune des deux pendant que la patronne du Cyber Ladies utilisait la lampe de son cellulaire pour éclairer l'intérieur de son appartement. Elle se leva ensuite pour s'approcher d'une fenêtre, et constater que toute la ville était concernée.

« Une telle coupure générale, c'est pas souvent que ça arrive. Qu'est-ce qui se passe ?

— Peut-être des manifestants qui sont allés trop loin ? » hypothésa Natsu en échangeant un regard avec son aînée.

 

*

 

Dans sa cellule, Kei remarqua également les lumières soudainement éteintes de la salle. Seuls quelques petits spots lumineux verts de secours éclairaient ce lieu assombri. Mais les lasers qui le retenaient captif avait disparu.

« Josh ? » l'appela-t-il en se relevant pour sortir de sa cellule, dans le but de rejoindre son compagnon. La porte de la salle s'ouvrit au même moment, laissant entrer deux agents.

« Ne bougez pas ! » cria l'un d'eux, un pistolet paralysant braqué en sa direction. Mais Kei se précipita jusqu'à lui, le prenant par surprise. Il effectua un rapide coup de pied qui désarma l'homme, suivit d'un autre qui atterrit violemment sur sa joue, le faisant perdre connaissance sur le coup. Le second agent tira un rayon sur le hacker pour le neutraliser. Mais celui-ci se jeta au sol pour l'éviter, et ramassa par la même occasion l'arme du militaire assommé. Il s'en servit ensuite sur l'autre, qui reçut une puissante décharge avant de s'écrouler par terre.

Pendant que Kei se relevait en soupirant de soulagement, Joshua, suite à ce raffut, bondit hors de sa prison.

« Kei ? » l'appela-t-il en s'approchant doucement de lui, avant de se précipiter dans ses bras pour l'enlacer. Il était heureux d'être enfin sorti de cette cage technologique et de retrouver son aîné. Un sentiment partagé par ce dernier qui lui rendit instantanément l'étreinte. Mais l'argenté fut contrait de l'interrompre une dizaine de secondes plus tard.

« On n'est pas encore totalement tirés d'affaire. Cette panne de courant nous arrange, mais il nous reste encore à sortir de cette tour.

— Comment ? On a été séparés de Kaze et il n'est pas dans les parages !

— On va devoir se démerder sans lui. »

Kei ramassa le second pistolet pour le tendre à Joshua. Le duo allait avoir besoin de ces armes. En partant du principe que Kaze avait pu s'évader de la tour, le seul moyen pour eux de s'en sortir était de descendre jusqu'au niveau 0, puis de quitter la zone centrale de Neo-Tokyo en naviguant au milieu des débris dans le brouillard permanent. Sachant qu'il n'y avait aucun ascenseur fonctionnel en cet instant, ils devaient emprunter les escaliers et descendre plusieurs centaines d'étages. Est-ce qu'ils parviendraient à un tel exploit avec les autorités rôdant dans l'enceinte de l'immeuble ?

« C'est risqué, mais c'est la seule solution que je vois pour nous tirer de là, informa Kei en posant sa main sur l'épaule de son cadet. Quoi qu'il arrive, ne t'éloigne pas de moi. »

Joshua hocha la tête, pistolet en main, prêt à le suivre. Les deux quittèrent ensuite les lieux. Ils ignoraient où on avait caché leurs affaires dérobées, mais ils s'en fichaient. Leur survie en ce milieu hostile était bien plus importante que la récupération de quelques appareils de piratage.

 

*

 

Neeko savait que la coupure d'électricité avait libéré le duo masculin et provoqué une confusion générale au sein de Neo-Tokyo. Elle profita de ce chaos pour fermer les yeux en plaçant son index sur sa tempe. Plongée dans sa base de données personnelle, elle composa un message à destination de Ryo, de Natsu et de Kaze.

« Avec Kei et Joshua, nous avons découvert la vérité au sujet de la Kai-Riu. Cette société a fait assassiner le président et sa famille pour les remplacer par des androïdes et contrôler Neo-Tokyo dans l'ombre. Je me suis servie d'un terminal de la résidence présidentielle relié à toute la mégalopole, pour provoquer cette grosse panne de courant. Je suis actuellement séparée de Kei et de Joshua, mais je compte les retrouver. Essayez de profiter de la situation pour arrêter Isao Junpei et Tama Daisuke ! On ne peut plus continuer à les laisser agir après ça ! »

La rose espérait que ses trois destinataires avaient bien reçu sa requête. Plusieurs secondes défilèrent. Neeko ignorait quoi faire, à présent. Elle désirait partir à la recherche du hacker et du primitif. Seulement, ces deux derniers pouvaient être partout dans cette tour. Alors qu'elle s'apprêtait à formuler plusieurs stratégies efficaces permettant de les retrouver au plus vite, elle se figea sur place : un appel de Kaze vibrait au sein de son système. Les yeux à nouveau clos, elle repositionna son doigt sur sa tempe.

« Kaze ?

— Bon sang Neeko, mais qu'est-ce que tu fiches à la tour présidentielle ?! Tu nous as suivis en douce ?!

— Je m'inquiétais pour vous ! Et vu la tournure des événements, j'estime avoir bien fait de venir également ! »

Elle entendit son interlocuteur pousser un profond soupir. Néanmoins, celui-ci ne réprimanda pas l'intelligence artificielle. À la place, il lui demanda un service.

« J'ai enregistré la discussion qui a eu lieu avec Isao aux appartements de Michi. Est-ce que tu serais capable de la diffuser dans tout Neo-Tokyo, de la même manière que Kei avait fait avec l'enregistrement qui incriminait Chikara, l'autre soir ?

— Avec le terminal devant moi, je pense y arriver. Mais il me faudra rétablir le courant. J'ai peur que Kei et Joshua deviennent plus facilement repérables par les agents présents dans cette tour.

— Ne réactive l'électricité que dans les douze districts, si c'est faisable ! Je suis en route pour venir vous chercher, toi, Kei et Joshua. Je vais me dissimuler dans l'ombre en attendant que tu les retrouves. Recontacte-moi, lorsque ce sera fait !

— Très bien. Merci Kaze ! »

La ligne fut coupée lorsque Neeko ouvrit ses paupières. Pendant l'appel, le leader des Shuriken lui avait transféré l'enregistrement. Après avoir réactivé l'électricité des douze districts, elle connecta son système à celui de l'ordinateur pour y déposer le fichier fraîchement reçu. Progressivement, elle plaça l'audio dans un canal de diffusion à grande échelle, et fit en sorte de monopoliser toutes les sorties de son actives dans la ville. Haut-parleurs de panneaux publicitaires, téléviseurs, radios, ordinateurs... Tout ce qui était connecté au net de Neo-Tokyo et susceptible de diffuser un fichier audio fut réquisitionné, et diffusa la conversation entre Isao et Kei.

 

*

 

Partout dans la mégalopole, tous les citoyens entendant les paroles du co-fondateur furent choqués. Certains s'en montrèrent carrément scandalisés. À un point que les manifestations dans certains districts prenaient rapidement de l'ampleur. Au fil des minutes, de nombreuses personnes envahissaient les rues pour faire entendre leur mécontentement vis-à-vis de cet enregistrement. Les autorités du Bushi et les médias s'en retrouvèrent rapidement débordés, et un grand chaos se propagea.

Alors qu'on demandait des comptes à l'adresse des leaders de la Kai-Riu, les forces de l'ordre, et même des membres du gang Masamune tentaient de calmer cette effervescence de force. Mais l'audace et l'envie de justice poussèrent la plupart des citoyens à riposter. Plusieurs bagarres éclatèrent.

 

*

 

Se doutant des conséquences d’une telle diffusion, Neeko quitta précipitamment la salle de l'ordinateur central en portant sa forme féline sous le bras. L'apparence de la fille cadette de Michi pouvait l'aider dans cette tour présidentielle. Elle n'était pas à l'abri d'un brusque rétablissement de courant et souhaitait tirer avantage de son apparence, si cela se produisait.

Après une minute de course folle, ses pieds l'amenèrent vers une intersection de couloir. Au bout du corridor à sa droite, elle reconnut une porte de secours débouchant sur des escaliers. Mais au moment de s'y engager, un laser passa au-dessus de son épaule, manquant de la toucher. Plusieurs agents venant de la gauche l'avaient repérée et se précipitaient vers elle, leurs pistolets pointés sur elle.

« Halte ! » ordonna l'un d'eux. Mais l'Ai-pet à l'apparence d'adolescente fonça jusqu'à la porte pour l'ouvrir et s'engager dans les marches, à la fois ascendantes et descendantes. En tant qu'intelligence artificielle, elle ne craignait pas de se faire détruire par des rayons. D'ailleurs, elle était prête à transférer ses données dans son corps d'origine si les choses tournaient mal.

Elle se souvenait toutefois de la désagréable chaleur à son épaule provoquée par le laser précédemment évité. Elle craignait que l'androïde à l'apparence de Michi Kokoro soit sensible au point de ressentir les douleurs corporelles. Neeko ne souhaitait pas souffrir de cette manière.

Conserver une apparence humaine lui rendait l'ascension de la tour moins aisée. Elle ne ressentait pas la sensation d'épuisement à force de courir. Mais elle était moins rapide que sous sa forme féline. En conséquence, ses poursuivants gagnaient du terrain et n'hésitaient pas à lui tirer dessus.

L'IA fit tout en son pouvoir pour éviter cette avalanche de rayons. Elle parvint à gravir deux étages ainsi, mais trébucha en coinçant son pied contre une marche et tomba. Elle grimaça de douleur en se redressant, mais remarqua les agents s'approcher dangereusement en la menaçant de lui tirer dessus.

Tout à coup, l'un de ces derniers grimaça en tremblant pendant quelques secondes, avant de dévaler les marches, sous les yeux stupéfaits de ses compagnons. Kei et Joshua foncèrent en leur direction tout en leur tirant des projectiles lumineux paralysant, qui les touchèrent de plein fouet tour à tour. Les poursuivants de Neeko furent rapidement neutralisés et le duo masculin se précipita jusqu'à elle, l'air surpris.

« Qui est-ce ? » demanda Joshua, étonné de rencontrer une adolescente aux cheveux roses dans un lieu et un contexte pareil.

« J'ai une impression de déjà-vu... » confia Kei d'un air dubitatif. Un sourire rassuré illumina le visage de Neeko en les reconnaissant.

« Kei ! Joshua ! C'est moi ! Neeko ! »

Aussitôt cette révélation faite, elle se précipita dans les bras du hacker pour se blottir joyeusement contre lui. L'homme se figea sur place, puis échangea un regard interloqué avec son compagnon qui n'en revenait pas.

« Mais... comment ? Qu'est-ce que tu fais ici ? Et pourquoi tu es dans... ce corps-là ? » demanda son maître, hésitant à lui rendre l'étreinte. Mais après lui avoir tout expliqué concernant sa présence et son apparence, elle entendit Kei souffler de soulagement, avant de l'enlacer en souriant tendrement.

« Bon sang Neeko... T'es complètement tarée ! Imagine qu'il t'était arrivé quelque chose...

— C'est justement parce que je craignais qu'il ne vous arrive un malheur, que j'ai pris l'initiative de vous suivre !

Je pense que tu as bien fait, assura Joshua en ébouriffant doucement ses mèches fuchsias. J'ignore ce qu'on serait devenus, si tu ne nous avais pas libérés. »

Neeko se décolla de Kei pour câliner le brun à son tour, qui émit un petit rire devant une telle réaction, tout en tapotant le dos de l'automate.

« Est-ce que tu as une idée d'où est Kaze ? lui demanda Kei.

— Je l'ai contacté tout à l'heure. Il est parvenu à s'enfuir, mais souhaite profiter du centre de Neo-Tokyo plongé dans le noir pour revenir nous chercher. Il m'a ordonné de vous retrouver pour qu'on retourne tous au sommet.

— Alors allons-y avant que d'autres enfoirés ne rappliquent ! » proposa l'argenté qui montait déjà les marches, suivi par les deux autres.

« Qu'est-ce qu'on fait pour Isao ? demanda Joshua.

— Mieux vaut décamper avant qu'il ne nous retrouve ! répondit Kei. On pourra toujours revenir le confronter en compagnie d'autres personnes plus tard. Maintenant que la vérité au sujet du président se sait partout en ville, lui et Tama auront des comptes à rendre ! »

Ils avaient un peu moins de dix étages à gravir pour atteindre le haut de l'immeuble. De temps en temps, quelques agents et drones leur barraient la route. Mais armés des pistolets paralysants et de tireurs lasers dérobés aux précédents hommes croisés, Kei, Joshua et Neeko parvinrent à se défendre et à se frayer un passage jusqu'à leur destination.

Le fourgon de Kaze les attendait déjà, portières ouvertes. Soulagé de les voir tous les trois sains et saufs, le chef des Shuriken leur adressa un rictus satisfaisant.

« Montez vite ! Il est temps de nous barrer de là ! »

Le trio embarqua sans perdre de temps avant que les portes du vaisseau ne se referment. Une fois les trois bien installés et accrochés, Kaze dirigea son véhicule en direction du niveau 0, afin d'être sûr de ne pas se faire facilement repérer, malgré l'obscurité environnante de la zone centrale de Neo-Tokyo. Grâce à Neeko, ils étaient parvenus à informer toute la population de la mascarade de la Kai-Riu.

Mais cela allait-il suffire pour faire tomber cette société, jusque-là trop influente ?

Chapter 22: La racine du contrôle

Chapter Text

Le chaos à Neo-Tokyo s'amplifiait au fil des minutes. Les autorités du Bushi se retrouvaient submergées par tous les citoyens révoltés, qui demandaient des comptes aux responsables de la disparition prématurée du président. Dans tous les districts, la population faisait entendre sa colère et sa frustration suite à toutes ces années de mensonge. Certains locaux appartenant à l'organisation du dragon rouge subissaient des casses, et même des incendies.

Pour Ryo qui survolait le district Hotei à bord d'un scooter, tout ceci n'était qu'un retour de bâton mérité. Une telle réaction de la part des citoyens était plus que légitime. Et elle souhaitait profiter de cette situation pour régler le problème à la source.

Suite à l'investigation des appartements d'Isao Junpei menée par des collègues de Kaze, elle avait été informée de la potentielle position actuelle de Tama Daisuke, le seul co-fondateur de la Kai-Riu à ne pas encore avoir été confronté par qui que ce soit. Chikara étant enfermé et Isao ayant été démasqué, il ne restait plus que Tama à faire tomber. Et si la chance continuait de sourire à Neo-Tokyo en cette nuit, la rousse devait le retrouver à la salle de réunion des fondateurs de la firme, située au sommet d'un grand immeuble à la frontière de la zone centrale et du district Ebisu.

Elle fonçait en cette direction alors qu'une partie de sa tresse orangée virevoltait sous les courants d'air dus à sa vitesse de vol. Vêtue d'une combinaison complète noir et rouge qui laissait sa jambe mécanique exposée et avec un casque sur la tête, elle était prête à combattre quiconque osant se dresser sur son chemin.

Mais elle n'était pas pour autant naïve. Sachant qu'il était trop risqué de mener cet assaut seule, elle avait contacté tous les membres du Cyber Ladies pour leur résumer la situation et demander à ceux qui le souhaitaient de se joindre à elle dans cette ultime bataille. Certaines de ces personnes avaient des familles ou des amis proches, et ne voulaient peut-être pas prendre de tels risques pouvant leur coûter la liberté ou la vie. Ryo ne cherchait à forcer personne.

Cependant, la loyauté et la solidarité de son entourage n'étaient plus à prouver. Tandis qu'elle se rapprochait de sa destination, plusieurs scooters et vaisseaux la rejoignirent pour voler à ses côtés. En observant leurs pilotes, elle reconnut les membres de son organisation. Ses employés. Ses amis. Sa famille.

Tous avaient fait l'effort de profiter du désordre général pour unir leurs forces, et défaire définitivement la Kai-Riu et les hommes à sa tête.

« Vous êtes les meilleurs ! » confia Ryo après avoir activé le haut-parleur de son casque afin que ses camarades puissent l'entendre. En guise de réponse, certains klaxonnèrent joyeusement pendant que d'autres levaient leurs pouces en l'air.

« Ne m'oublie pas non plus, Ryo ! » retentit la voix de Natsu alors qu'un grand drone venait de se joindre à la troupe jusqu'à se positionner à la droite de la concernée.

« Nat' ?

— Tu croyais tout de même pas que j'allais rester sagement à l'appartement sans rien faire, alors qu'on est à deux doigts d'accomplir enfin ce qu'on cherche à faire depuis des années ! »

La mécanicienne aux cheveux bicolores pilotait cet engin depuis l'appartement de Ryo. Installée sur un siège pivotant, elle portait un casque à visière allumé et connecté à ce dernier, et manipulait deux manettes reliées de la même façon.

« C'est l'occasion rêvée pour tester mon invention, affirma-t-elle. Et aussi pour enfin venger Hayate. Et Shion. Ainsi que tous les autres. »

Elle avait pris un air plus grave en prononçant ces noms et Ryo le sentait. La motarde savait son amie déterminée à se battre à sa manière. Bien que n'étant pas présente physiquement pour des raisons de santé, elle voulait participer à cet assaut à l'aide de ce drone sur lequel elle avait travaillé depuis des mois. La machine semblait fonctionnelle, en plus d'être dotée de quelques pistolets à laser intégrés. Elle pouvait devenir une redoutable alliée si les choses tournaient mal.

En se sentant soutenue, la chef du Cyber Ladies afficha un rictus satisfait, tandis que son groupe apercevait enfin la tour dans laquelle se rendre.

« J'espère juste que Kei, Neeko et Joshua vont bien de leur côté. » murmura-t-elle en observant l'entrée du bâtiment. De nombreux citoyens tentaient d'y rentrer de force et s'en prenaient aux agents postés là. Ces derniers avaient beau être en infériorité numérique, ils étaient armés, contrairement à leurs opposants. Malgré les difficultés, ils parvenaient à les tenir en respect. Ryo ne pouvait donc pas passer par-là.

Avec ses compagnons, elle contourna le bâtiment à la recherche d'une autre entrée, qu'elle soit située quelques étages au-dessus, en dessous ou au sommet.

« Ryo, on a un problème ! » s'éleva la voix d'une femme à travers le haut-parleur d'une des voitures complices. En effet, plusieurs véhicules, pilotés par des hommes portant l'uniforme du Bushi, volaient en leur direction, probablement pour les inciter à s'éloigner de l'édifice.

Mais l'effroi se lut sur les visages de tous lorsque l'un de ces vaisseaux tira un rayon paralysant, touchant de plein fouet un scooter endossé par un homme et une femme. Le moteur électrique de la moto fut coupé pendant que les deux personnes se retrouvaient figées, sans possibilité de se mouvoir. Ce qui provoqua leur longue chute mortelle jusqu'à disparaître dans le brouillard du niveau 0, pour s'écraser violemment parmi les détritus dissimulés en bas.

« Les salauds ! grogna Natsu. Ils tirent carrément à vue !

— Alors, ne faisons preuve d'aucune pitié ! » ordonna Ryo alors qu'elle fonçait vers les militaires avec l'intention de leur faire payer ce meurtre délibéré.

 

*

 

Quelque part dans le niveau 0, Kaze avait reçu le message de Ryo et fonçait déjà vers Ebisu pour la rejoindre avec Kei, Joshua et Neeko. Il avait également appelé tous les Shuriken à se rendre là-bas afin de lui prêter main forte.

« Je savais que le jour de la grande confrontation avec la Kai-Riu arrivait à grands pas, confia le pilote du fourgon. Mais je ne m'attendais pas à ce que ce soit ce soir.

— Moi non plus, admit Kei. Je ne pensais pas que ce qui était censé être une simple infiltration aurait pris une telle tournure.

— Quelque part, ça nous arrange ! affirma son aîné. Plus vite on en aura fini avec les fondateurs de cette entreprise, mieux ce sera. Et des occasions comme celles-là risquent de ne plus jamais se représenter. Autant en profiter ! »

Le leader du gang Shuriken avait raison. Mais Kei ignorait s'il se sentait mentalement prêt à en finir avec toute cette affaire en cette nuit. Il tourna sa tête par-dessus son épaule pour observer Joshua et Neeko, assis sur la banquette arrière. Le regard détourné et le silence du brun témoignaient de son anxiété. Il semblait visiblement encore moins prêt que le hacker. Neeko, en voyant son voisin aussi inquiet, saisit doucement sa main en souriant. Le primitif la regarda, étonné. Pas tant par le geste, mais par l'étrange chaleur qui se dégageait de cette paume.

En se rappelant que l'IA s'était placée dans un androïde, il s'était attendu à un contact aussi froid que le métal. La sensation était cependant toute autre. C'était comme tenir une main humaine. Et ce sentiment était renforcé par le sourire et les émotions visibles sur le visage de l'adolescente. Lui qui était habitué aux émoticônes de l'Ai-pet, il trouvait sa nouvelle apparence déroutante. Loin d'être détestable, cependant. Bien au contraire !

« Les choses risquent de devenir encore plus dangereuses lorsqu'on arrivera à la salle des co-fondateurs de la Kai-Riu, leur expliqua Kei. Tout va probablement se jouer ce soir. Soit on gagne face à cette entreprise, soit c'en est fini de nous. Je vous avoue préférer vous savoir en sécurité, mais...

— On est déjà là et on s'est déjà tirés de situations toutes aussi abracadabrantes, rappela Joshua avec un léger rictus. Arrêtons de douter et allons tous ensemble botter les fesses de la Kai-Riu et de ses créateurs. »

Il accompagna cette parole d'un clin d'œil complice tandis que Neeko hochait vivement la tête pour appuyer son accord. Tous deux se montraient déterminés à aller jusqu'au bout, ce qui fit sourire le pilote du fourgon.

« Je pense que tu n'as pas à t'inquiéter pour eux, Kei. Ni pour nous, d'ailleurs ! On s'en sortira. Si on a réussi à se tirer de la résidence présidentielle à nous quatre, je pense qu'on peut mettre Isao et Tama hors d'état de nuire avec l'aide des membres du Cyber Ladies et des Shuriken. Sans compter le soutien apparent de la population, qui retient une grande partie du Bushi ! »

L'argenté fut définitivement convaincu par ces paroles rassurantes. Il avait hâte que tout ceci se termine pour enfin venger toutes les victimes de la Kai-Riu. Pour enfin rendre justice à Hayate, à Shion, à la famille présidentielle et à d'autres, injustement morts sous sa main et sous celles du gang Masamune.

Pour enfin libérer Neo-Tokyo de son influence.

Et pour enfin explorer l'extérieur de cette mégalopole avec Joshua.

Toutes ces motivations donnaient une certaine confiance au jeune homme, qui se retourna pour observer devant lui.

« Fonce, Kaze ! Qu'on en finisse ! »

Il n'en fallut pas plus au leader des Shuriken pour accélérer son envol parmi les débris, avant de prendre de l'altitude pour sortir du niveau 0, une fois la frontière entre la zone centrale et le district Ebisu franchie.

Ils ne mirent pas longtemps à atteindre leur destination. Mais ils constatèrent qu'une grande bataille faisait rage un peu partout autour de l'édifice. Kei et Kaze reconnurent leurs alliés, tentant de faire dysfonctionner les vaisseaux des autorités. Certains de ces derniers étaient tombés sous la redoutable technologie des Shuriken et la persévérance des employés et amis de Ryo. Mais ce n'était pas sans conséquences : plusieurs d'entre eux avaient été touchés et forcés de s'éloigner pour atterrir plus loin, ce qui réduisait leur nombre.

« Ryo, tu m'entends ? appela Kaze après avoir activé le haut-parleur de son fourgon. Je suis avec Kei, Joshua et Neeko. On va tenter une percée sur un flanc du bâtiment. Si tu en as l'occasion, suis-nous par l'entrée qu'on va créer.

— Tu es sûr de ton coup ? Ne va pas abîmer ton vaisseau ou tes passagers pour ça ! Et puis notre but n'est pas non plus de tuer de potentiels innocents se trouvant dans ce bâtiment !

— Ne t'inquiète pas pour ça, je sais exactement où atterrir. »

Il avait enfilé des lunettes à vision thermique pour détecter les personnes présentes au sein de la tour. Beaucoup étaient postées devant des fenêtres quelques étages en dessous de la salle à atteindre, sans doute pour observer le carnage dehors. Toutes ces personnes étaient armées.

« Accrochez-vous, ça va être violent ! » prévint-il aux trois autres avant d'activer une barrière verte translucide autour de son vaisseau et de foncer à vive allure vers le point qu'il avait repéré. Tandis que Kei, Joshua et Neeko se cramponnaient, le vaisseau de Kaze percuta de plein fouet le bâtiment, brisant le mur à l'impact pour s'enfoncer en son antre.

Plusieurs hommes armés de la Kai-Riu voltigèrent sous la puissance du crash. D'autres, plus chanceux et encore debout, tirèrent une multitude de projectiles lumineux sur le fourgon. Le bouclier de ce dernier, encore actif, protégeait son pilote et ses passagers.

« OK, et maintenant ? demanda Joshua qui ignorait comment riposter.

— Admire l'ingéniosité du gang Shuriken ! »

Un rictus sournois aux lèvres, Kaze actionna un bouton de son véhicule et la teinte de la barrière tourna au violet. Au lieu d'encaisser les lasers, elle les dévia tel un miroir. Les projectiles furent ainsi renvoyés à leurs tireurs, qui furent touchés les uns après les autres avant de s'effondrer. Le champ désormais libre permit au groupuscule de sortir du vaisseau.

« Bien joué, mec ! » le félicita Kei pendant que quelques personnes, membres des Shuriken et du Cyber Ladies confondus, passèrent à travers la brèche. Ryo et le drone de Natsu figuraient parmi elles. Aussitôt pied à terre, la rousse se précipita vers Kei pour le serrer dans ses bras.

« Dieu merci, tu vas bien... » murmura-t-elle, soulagée de le revoir en bonne santé. L'argenté ne fut pas étonné d'une telle réaction de sa part. Elle était toujours ainsi, à être rassurée quand il se tirait d'une sale affaire, et à l'étreindre en guise d'affection. Comme le ferait une mère ou une grande sœur envers son enfant ou cadet.

« Tu t'inquiètes trop, Ryo, confia le hacker en lui tapotant le dos avant de se décoller en souriant. Je ne suis plus un gamin, tu sais ?

— Je sais, ne t'inquiète pas. Mais n'empêche que tu aimes beaucoup te mettre dans des situations pas possibles. C'est normal de me faire du souci pour toi ! »

De son côté, Joshua se faisait aborder par le drone de Natsu qui volait juste devant lui.

« Si j'étais physiquement là, je t'aurais fait le câlin du siècle, mon grand !

— Natsu ? s'étonna le brun en reconnaissant sa voix alors qu'il regardait la machine sous tous les angles.

— En métal et en boulon pour cette fois ! plaisanta-t-elle sans que sa caméra ne lâche le primitif du regard. Ryo a jugé dangereux pour moi de venir, étant donné ma grossesse. Mais comme je voulais quand même être à vos côtés d'une façon ou d'une autre... »

Ses lèvres étirées en un sourire heureux, Joshua posa sa main sur le drone pour le caresser.

« Content de te revoir, Natsu. Et content de tous vous revoir aussi ! » affirma-t-il en se tournant vers le reste de la bande, qui lui offrit joyeusement un signe de la main en guise de salutations. Ryo posa sa main sur son épaule en hochant la tête, avant de poser son autre main sur la tête de Neeko pour ébouriffer ses mèches roses.

« J'aime beaucoup ta nouvelle apparence, toi ! Tu es mignonne comme tout ! »

Devant un tel compliment, Neeko afficha un grand sourire, ses joues empourprées de plaisir.

« J'aurais préféré ne pas devoir écourter ces retrouvailles, intervint Kaze, mais il nous reste une chose à accomplir. Allons-y avant que d'autres gardes ou vigiles ne rappliquent ! »

Étant en territoire ennemi, ils devaient redoubler de prudence tout en se frayant un chemin jusqu'à la salle de conférence. Ils auraient tout le temps de savourer leur réunion et peut-être même leur victoire, lorsque cet assaut serait terminé.

Le groupe, mené par Ryo et par Kaze, entama donc une vive ascension sur plusieurs étages, en traversant certains corridors. Nombreux étaient les vigiles et les drones armés qu'ils croisaient sur leur passage. Mais ayant à chaque fois l'avantage du nombre, la bande parvint sans difficulté à les vaincre pour avancer. À un moment, un système de sécurité fut activé, verrouillant toutes les portes de la tour, et piégeant ainsi tous ces gens dans la cage d'escalier.

Cependant, Kei, avec l'aide de Neeko et du matériel informatique fourni par quelques Shuriken, déjoua cette protection pendant que les autres tenaient en respect les quelques machines ou hommes armés, qui daignaient s'approcher d'eux pour les appréhender.

« J'ai une idée ! » confia l'informaticien après avoir déverrouillé toutes les entrées, leur permettant ainsi d'accéder à l'étage où se trouvait leur objectif. Il invita tout le monde à passer la porte tandis que d'autres renforts du côté de la Kai-Riu arrivaient.

« Essayez de bloquer cette porte ! » ordonna le hacker après avoir manuellement clos celle-ci. Sans se poser de question, Kaze et plusieurs Shuriken jetèrent des bombes collantes pour empêcher l'ouverture automatique de l'accès. Cela n'empêcha pas leurs opposants de tenter de la forcer quand même. Et malgré le pouvoir adhésif des gadgets du gang de justiciers, l'entrée s'entrouvrait progressivement. Kei fit tout en son pouvoir en pianotant le clavier d'un petit appareil holographique pour naviguer à travers le système de sécurité.

« Et bingo ! »

L'ouverture se referma brusquement, totalement scellée. Malgré les coups et les tirs des vigiles de l'autre côté. L'homme aux cheveux d'argent était parvenu à verrouiller cette porte, empêchant tout renfort d'y passer pour défendre Tama.

Il ne leur restait plus que quelques dizaines de mètres à parcourir pour atteindre la porte menant à cet homme. Seulement, ce passage était barré par plusieurs agents, derrière lesquels se trouvait Isao Junpei. Ce dernier grimaça d'agacement à la vue de Kei et de Joshua.

« Vous avez donc réussi à vous échapper et en plus, vous vous pointez ici avec tout ce monde, grogna-t-il.

— Vous et votre collègue devez répondre de vos actes. » répliqua Kei en pointant son pistolet paralysant droit sur lui, ce qui provoqua une réaction en chaîne dans laquelle les deux camps se menaçaient mutuellement avec leurs armes. Personne n'attaqua, mais la tension demeura palpable.

Il suffisait d'un tir pour que tout dégénère.

« Pourquoi ne pas nous laisser passer ? demanda Ryo. Mieux encore : pourquoi ne pas tous rejoindre votre complice dans la salle juste derrière vous, et discuter de vive voix de la situation générale ?

— Nous n'avons pas de compte à vous rendre, se défendit l'homme d'affaires. Et vous n'avez pas à être ici. Lâchez vos armes si vous ne voulez pas avoir de... »

Un tir se fit entendre. Un rayon laser, envoyé par le drone de Natsu, venait de toucher Isao à l'épaule. L'homme tomba à la renverse et gémit de douleur en tenant sa partie du corps endolorie. Les militaires à sa solde voulurent riposter, mais le gang Shuriken se montra plus réactif. Une rafale de laser et de rayons paralysants fut tirée par Kaze et ses collègues, qui neutralisèrent la petite troupe représentant le dernier obstacle entre eux et Tama. Certains de ces hommes avaient péri pendant que d'autres demeuraient inconscients. Seul Isao était éveillé, malgré sa douloureuse brûlure.

« Vous ne vous en tirerez pas comme ça, râla-t-il en tentant de se redresser. Personne ne menace la Kai-Riu de la sorte sans en payer le prix !

— En parlant de prix, il est grand temps de payer le vôtre ! affirma Joshua en s'approchant de lui. Et il est cher ! »

Le primitif attrapa le chef d'entreprise par le col de son vêtement pour le relever de force, avant de brusquement le pousser vers le bouton qui actionna l'ouverture de la porte. Isao se retrouva à nouveau au sol, laissant le champ libre à la bande de Kei qui pénétra dans la salle de conférence. Quelques membres du Cyber Ladies maintinrent l'homme à terre en joue, afin qu'il ne tente rien de stupide. Les autres s'avancèrent à travers la vaste pièce rectangulaire, mais étrangement bien fournie.

En son centre, on découvrit trois grands bureaux ornés d'ordinateurs et d'autres gadget technologiques du même genre, formant un triangle au-dessus d'un immense tapis où figurait le logo de la Kai-Riu. À gauche, se dressait un immense écran holographique remplissant presque le mur entier. À droite, se trouvaient trois sièges allongés, chacun doté d'un casque à visière et relié aux ordinateurs.

À l'opposé de l'entrée, plusieurs grandes vitres de la même hauteur que les murs, offraient une vue stratégique sur la zone centrale de Neo-Tokyo, ainsi que sur la tour présidentielle s'élevant plus loin. Tama se tenait debout devant l'une d'elles, le dos tourné aux nouveaux arrivants.

« Je salue votre audace, parla-t-il avant de se tourner vers Kei et les autres, un rictus moqueur aux lèvres. Je n'avais jamais envisagé un tel retournement de situation. Il faut croire que j'ai sous-estimé le libre-arbitre des Neo-Tokyoïtes. Ainsi que la ténacité de certains... »

Il fixa le hacker en prononçant cette dernière phrase, à son étonnement.

« Takahashi Keisuke, n'est-ce pas ?

— Vous me connaissez ?

— De nom, surtout. Par l'intermédiaire de Takumi et d'autres. Junpei aussi m'a brièvement parlé de toi, et de ton soi-disant frère. » répondit-il en désignant Joshua des yeux. Ce dernier resta silencieux, mais fronçait des sourcils face à cet homme qui représentait la fin de sa vengeance personnelle. Il était la dernière personne à arrêter pour faire définitivement tomber la Kai-Riu. Et il était seul contre tous ! Il suffisait à la bande de l'immobiliser. Ou de le tuer sur place. Mais beaucoup avaient besoin de réponses par rapport à ses agissements.

« Vous ne niez même pas être complice d'un gang aussi dangereux que les Masamune, constata Ryo en s'approchant de quelques pas. Est-ce que vous assumez aussi les meurtres de certains citoyens ? Certains ayant travaillé pour vous, comme Hanabusa Hayate ou Yukio Shion ? Ou certaines qui n'étaient encore que des enfants comme Kohana Saki ou Midori Ayane, que votre collègue Chikara Masato n'a pas hésité à violer pour satisfaire ses pulsions perverses ?! Sans compter la famille présidentielle qu'on ignorait morte jusqu'à ce soir !

— Techniquement, personne n'est mort de mes mains et je n'ai abusé de personne.

— Ça ne vous dédouane pas pour autant de tout ce que la Kai-Riu et les Masamune ont fait, que ce soit dans cette ville ou ailleurs, répliqua Joshua en se contenant pour ne pas s'élancer en sa direction et lui coller son poing dans la figure. Vous êtes à la tête de ces deux entités. Ils reçoivent leurs ordres de vous, d'Isao et de Chikara ! Ils vous obéissent, même quand vous ordonnez de rayer de la carte des villages entiers et de tuer tous leurs habitants ! Ma mère... Mon père... Mes sœurs... Mes amis... Ils étaient des gens bien ! Des innocents qui n'avaient rien demandé, mais qui sont morts sous vos armes et sous votre commandement !

— Tu es donc le primitif recherché depuis un bail, hein ? Pas étonnant que tout ce désordre à Neo-Tokyo ait eu lieu. Les primitifs ont toujours le don de ramener des problèmes à cette mégalopole. C'est d'ailleurs pour ça qu'on les appréhende lorsqu'ils parviennent à entrer dans cette cité.

— Oui, pour mieux les tuer en toute discrétion ensuite ! » compléta sarcastiquement Ryo en serrant ses poings. Mais cette simple réplique n'eut que pour seul effet de faire rire le chef d'entreprise. Tout le monde se retrouva sidéré de le voir s'esclaffer malgré sa situation désavantageuse. Même Isao ne comprenait pas la raison de son amusement soudain.

« Désolé, mais je trouve très drôle de voir une bande de voyous me donner des leçons, lorsque j'agis dans l'intérêt de Neo-Tokyo et de sa population.

— Vous vous foutez de nous ?! s'écria le drone de Natsu. En quoi comploter pour tuer des gens, dont le président, sert dans l'intérêt de la ville ?! »

Michi Akihiko n'était pas suffisamment ambitieux, selon Tama. Il se contentait de mener sa petite vie avec sa famille et de faire en sorte que la mégalopole se contente de ce qu'elle avait, sans exiger une réelle évolution de son mode de vie ou de ses technologies.

« Alors que beaucoup souhaitent voir Neo-Tokyo s'agrandir et d'autres mégalopoles semblables s'implanter aux quatre coins de Calreon, Michi et ses partisans préféraient préserver la flore et la faune locale en jugeant inutile d'expandre cette cité. Or, notre population s'accroît de façon exponentielle, augmentant les risques de pénuries alimentaires ou de problèmes économiques, sans oublier de nouveaux logements et véhicules à faire construire, entre autres ! »

Sachant que les modes de vie des citadins différaient trop de celles des primitifs, il n'y avait aucune entente possible entre les deux peuples, ni aucune possibilité de cohabitation, selon lui. La seule solution qui s'imposait était donc l'élimination progressive des primitifs pour libérer de l'espace et permettre à Neo-Tokyo de s'agrandir peu à peu. Et après s'être suffisamment développée, d'autres mégalopoles de la même trempe se seraient formées. Des projets de construction de deux cités étaient d'ailleurs discutés depuis plusieurs siècles : Neo-Versailles et Neo-Seattle. Depuis ce temps, on parlait déjà d'extermination des primitifs pour rendre de tels objectifs atteignables.

« Les dirigeants d'autrefois ont sorti l'excuse de l'éthique pour avorter de tels plans. Je pense personnellement qu'ils n'avaient pas les tripes pour réaliser une chose qui aurait pourtant pu profiter à toute la population de Neo-Tokyo.

— Éliminer tous les primitifs pour faire une chose pareille qui pourrait nuire à cette planète sur le long terme... fit Kei, le regard détourné et le sourire amer. Et dire qu'il n'y a pas si longtemps, je disais à Joshua que l'humanité savait faire preuve de bon sens ! Au final, certains humains de Calreon se révèlent encore pires que ceux qui peuplaient la Terre. Tellement aveuglés par leur envie de grandeur et de domination qu'ils en viennent à perdre certaines valeurs comme l'empathie ou l'intégrité.

— Les hommes comme lui ne sont pas humains, affirma Neeko en se positionnant à ses côtés. Je ne suis qu'une IA et je ne suis pas capable de cerner les subtilités faisant la beauté du genre humain. Mais les ambitions de Tama et de ses complices les ont déshumanisés. Ça se voit dans son regard et ça se sent dans sa voix et dans sa gestuelle.

— Quoi qu'il en soit, votre machination s'arrête là, Tama Daisuke, affirma Kaze en pointant son arme vers lui, imité par ses collègues. Chikara est enfermé. Isao est hors d'état de nuire. C'est à votre tour de vous rendre. Que la Kai-Riu et sa corruption prennent fin dès ce soir !

— Et qu'allez-vous faire si je ne me rends pas ? »

Il réduisit sa distance avec le groupe opposant. Chacun resta sur ses gardes, prêt à tirer s'il tentait quoi que ce soit.

« Vous êtes seul face à une bonne partie de la population qui ne vous soutient plus, rappela Kei. Qu'est-ce que vous comptez faire, sans homme pour vous protéger et visiblement sans arme ?

— Sans arme, hein ? »

Tout à coup, une voix synthétique s'éleva. Non seulement au sein de cette tour, mais également dans tous les secteurs des districts.

« Alerte générale ! Alerte générale ! Le système d'auto-destruction de Neo-Tokyo a été déclenché ! Une explosion est prévue dans trente minutes ! Veuillez évacuer la ville par les issues de secours des districts et vous éloigner de trois kilomètres minimum ! »

Sous les airs choqués de Kei, de Joshua et des autres, ce message vocal fut répété à plusieurs reprises. Des cris de paniques s'élevèrent dans toute la ville tandis que de nombreux vaisseaux fonçaient vers les grandes portes des districts menant vers l'extérieur. Néanmoins, celles-ci demeuraient fermées, empêchant toute fuite possible. Le bouclier invisible au-dessus de la ville semblait toujours actif, à en juger par les véhicules qui tentaient vainement de s'envoler par les airs. Les habitants de Neo-Tokyo se retrouvaient piégés.

« Ce n'est pas pour rien que je suis venu ici, parla Tama après avoir actionné un bouton situé sous l'un des bureaux centraux. Un système d'autodestruction a été érigé depuis la création de la mégalopole au cas où certaines raisons nous pousseraient à la rayer de la carte Calréenne. Et il se trouve que cette tour est son levier d'activation.

— Merde... grimaça le hacker devant ce retournement de situation désastreux.

— Puisque la population de Neo-Tokyo n'arrive pas à se montrer reconnaissante envers la Kai-Riu grâce à qui elle a effectué de grandes avancées dans tous les domaines, qu'elle disparaisse en emportant avec elle des humains incapables d'évoluer !

— FUMIER ! » cria Natsu en tirant plusieurs rayons qui touchèrent le co-fondateur de plein fouet. Les tirs furent si nombreux et violents que le corps entier de Tama s'en retrouvait brûlé. Le visage défiguré, il s'écroula mollement au sol, l'âme rendue depuis quelques secondes, sous les yeux horrifiés d'Isao qui n'osait pas bouger d'un iota.

Joshua demeura bouche bée devant un tel dénouement. La Kai-Riu était tombée avec la mort de cet homme. Mais il ne pouvait pas se réjouir d'une telle victoire, car un problème encore plus grand venait de naître : Neo-Tokyo disparaîtrait si rien ni personne n'empêchait l'explosion.

« Bordel ! fit Ryo en se tournant vers les autres. La ville va sauter dans trente minutes et la population est trop paniquée pour agir efficacement !

— Explosion dans vingt-neuf minutes ! » s'éleva la voix synthétique pour la contredire. Le compte à rebours défilait vite. Ils n'avaient plus de temps à perdre ! Ils devaient trouver un moyen d'empêcher une telle explosion, ou de quitter la mégalopole en vitesse.

Fait chier !

À la fois enragé et effrayé, Kei se tourna toutefois vers les sièges à casques. En se rappelant qu'ils étaient reliés aux ordinateurs, une idée lui vint à l'esprit. Mais il ignorait si vingt-neuf minutes lui suffiraient à la mettre en place.

Chapter 23: La vie ou la mort

Chapter Text

« Je pense pouvoir faire quelque chose... »

Tous les regards se concentrèrent sur Kei, qui n'avait d'yeux que pour les casques à réalité virtuelle.

« Ils m'ont l'air reliés au système informatique de cette tour. Peut-être même à celui de Neo-Tokyo tout entier. Ce qui implique un accès direct au programme contrôlant cette bombe. En m'y connectant, je peux peut-être la désamorcer. Ou au moins ouvrir les portes de la ville pour permettre à la population d'évacuer.

— Attends Kei, le freina Ryo. Tu es sûr de pouvoir réussir un tel exploit en si peu de temps ? L'ouverture des portes sera simple, mais désactiver une bombe en passant par le système numérique, c'est une autre histoire. Ça prend beaucoup de temps et nous n'en avons pas ! »

La voix synthétique s'éleva pour annoncer qu'il leur restait vingt-huit minutes avant l'explosion.

« Justement ! Arrêtons d'en perdre et laissez-moi faire ! Pendant ce temps, allez récupérer Natsu et d'autres, et fichez le camp de cette ville ! »

Son choix choqua tout le monde. Une telle opération était suicidaire, mais Kei voulait la tenter malgré tout.

« Je veux t'aider ! » fit Neeko, mais le concerné secoua la tête en guise de refus.

« Les autres auront besoin de toi. Et en tant qu'IA, tu dois survivre. Je ne peux pas risquer ton existence en plus de la mienne.

— Mais Kei... »

Contre toute attente, des larmes ruisselèrent sur les joues de l'androïde. Chose normalement impossible ! Mais son actuelle apparence lui laissait la possibilité d'exprimer sa tristesse face au sacrifice de son maître. Celui-ci s'approcha d'elle avant d'ébouriffer ses mèches roses.

« Je vais tout faire pour réussir. Arrête de t'inquiéter. Les autres seront avec toi.

— Et moi, je veillerai à ce que Kei survive, affirma Joshua en se plaçant aux côtés de l’informaticien, à l'étonnement général. Deux cerveaux valent mieux qu'un. Je vais l'aider !

— Josh...

— C'est hors de question que je te laisse faire ça seul. Alors laisse-moi t'épauler ! »

Le primitif était déterminé à aider le hacker à sauver cette ville, qu'il avait appris à apprécier avec le temps. Il voulait rester à ses côtés jusqu'au bout, peu importait l'issue de leur essai.

« Explosion dans vingt-sept minutes ! »

— Hé merde ! s'exclama un Kaze agité. On n'a plus le temps ! Déguerpissons vite d'ici ! J'ai confiance en Kei. Il va réussir à nous tirer de ce merdier ! »

Le leader des Shuriken semblait confiant, ce qui galvanisa ses collègues ainsi qu'une partie des membres du Cyber Ladies. L'inquiétude demeura néanmoins présente chez Ryo, Natsu et Neeko qui auraient préféré voir Kei et Joshua s'enfuir avec eux.

« Les gars, je vous interdis de mourir, vous m'entendez ?! s'écria le drone de Natsu d'une voix larmoyante.

— Bonne chance... » murmura Ryo dont les larmes coulaient avant d'attraper Neeko par le poignet pour partir. L'intelligence artificielle se débattit, désirant retourner auprès du duo masculin. Mais la rousse la tint bien, et parvint à sortir de la salle avec elle en même temps que le drone et quelques autres personnes. Sur ordre de Kaze, deux Shuriken mirent des menottes aux mains d'Isao avant de le forcer à se lever et de partir avec lui. Leur leader adressa ensuite un dernier regard aux deux hommes chargé de sauver Neo-Tokyo.

« Ne mourez pas cette nuit, d'accord ?

— Et toi, prends soin de tout le monde en attendant notre retour ! » lui retourna Kei avec un léger rictus pendant que Joshua approuvait ces paroles par un hochement de tête. Kaze leur retourna un sourire, avant de quitter la salle, laissant ses deux cadets seuls avec le cadavre de Tama, et le poids de leur décision commune.

Kei et Joshua se fixèrent un instant, puis se précipitèrent vers les sièges à casques. Avant de s'installer sur le sien, l'argenté se tourna vers le brun.

« Merci d'être resté avec moi, Josh. T'es un vrai !

— Te laisser seul en sachant que cette ville risque de sauter m'était insupportable. Je comprends complètement la réaction de Neeko. »

Kei se rapprocha de lui pour lui offrir un tendre baiser sur ses lèvres. Peut-être le dernier qu'ils avaient l'occasion de partager, s'ils échouaient. Ce moment fut abrégé en entendant qu'il ne leur restait plus que vingt-six minutes. Ainsi, tous deux s'installèrent, puis se connectèrent au système numérique de la mégalopole.

 

*

 

Le paysage autour d'eux changea drastiquement. Si on effaçait la présence des garçons, seuls le bleu et le noir régnaient dans cet univers complètement digital, qui n'avait rien à voir avec les panoramas déjà croisés lors de leurs petits voyages virtuels. L'ambiance, loin d'être chaleureuse, n'était pas pour autant effrayante. Juste singulière et dépaysante.

Mais ni Kei ni Joshua ne perdirent de temps à s'extasier devant cette vision peu commune. Une grande colonne holographique s'élevait un peu plus loin, dotée d'un écran sur lequel défilait un compte à rebours qui affichait vingt-cinq minutes et trente secondes.

« C'est notre bombe, pas vrai ? demanda Joshua.

— Ouais. Mais elle m'a l'air bien défendue. »

Il montra au primitif une multitude d'entités digitales rouges, pas plus grosses qu'un ballon de football, flottant autour de la structure.

« Il va falloir en dégager pour nous frayer un chemin.

— Comment on est censé affronter ces choses ? Nos pistolets n'ont pas été embarqués avec nous.

— À coups de poings et de pieds dans leurs tronches ! »

Il fit signe à Joshua de le suivre alors qu'il fonçait vers ces créatures informatiques. Il en démolit un de son poing, avant d'en détruire deux autres avec un enchaînement de coups de pieds. Joshua en élimina également trois de son côté grâce à un combo similaire. Malheureusement, il en restait encore beaucoup, et les minutes défilaient bien trop vite.

« Ils nous font perdre du temps ! constata Kei avec une désagréable grimace. Essayons de nous faufiler entre eux, à défaut de gaspiller nos forces pour les abattre ! »

Le duo traversa donc la horde de données défensives, en prenant soin de les éviter. Heureusement, elles ne provoquaient rien de particulier lorsqu'elles touchaient une cible. Néanmoins, si on ne les détruisait pas, on pouvait rapidement se retrouver submergé puis immobilisé, sans possibilité de faire quoi que ce soit, même de se déconnecter de cet endroit. Ce qui pouvait s'avérer mortel à la longue. C'était un sort que le hacker ne désirait pas connaître. Il préférait presque se faire annihiler par l'explosion de la bombe, mais ce n'était pas non plus une fin enviable.

Guidé par son envie de survivre avec Joshua, il trouva la force de progresser jusqu'à la colonne du compte à rebours, qui affichait déjà vingt-trois minutes.

« Okay... » fit le jeune homme en posant sa main sur l'installation, ce qui provoqua l'apparition d'un clavier tactile et d'un écran projeté devant lui.

« Combien de temps ça va te prendre ? demanda Joshua en repoussant d'autres entités qui ne leur laissaient aucun répit.

— Je ne sais pas, mais il faut que j'y parvienne en moins de vingt-trois minutes. »

Il pianotait déjà le clavier tandis qu'une multitude de donnés défilaient sur l'écran face à lui. Dans un premier temps, il parvint à ouvrir les portes de la ville pour permettre aux habitants de s'échapper. Ce déverrouillage ne lui avait pas coûté beaucoup de temps. L'arrêt de la bombe, en revanche, se révéla bien plus complexe, comme il s'y était attendu.

De son côté, Joshua élimina toutes les défenses qui s'approchaient trop près. Mais elles se firent de plus en plus nombreuses au fil des secondes, et le chasseur craignait d'être enseveli sous leur poids.

« Essaye de tenir bon, Josh ! Je fais au plus vite ! »

Kei espérait que ses encouragements aideraient son compagnon à donner tout ce qu'il avait pour tenir ces choses rouges à distance. Sa manœuvre informatique étant suffisamment délicate, il ne pouvait pas se permettre de se défendre en même temps. Il devait rester concentré et faire appel à toute son expertise en matière d'informatique et de connaissance du numérique. Le sort de Neo-Tokyo, et peut-être même de Calreon en dépendait. Il ignorait quelle puissance pouvait engendrer une telle explosion. Si elle était suffisamment destructrice pour endommager gravement cette planète, l'humanité pourrait ne pas survivre sur le court terme.

Bordel de merde... Est-ce que je vais vraiment y arriver ?

Il ne devait pas se mettre la pression de cette manière ! Il lui était impératif de garder son attention sur ses manipulations, d'autant plus qu'il faisait face à des systèmes écrits dans plusieurs langages de programmation. Le jeune homme inspira un bon coup pour calmer sa montée d'adrénaline.

Au moins, ce sont des langages que je connais. Ce n'est pas la première fois que j'ai affaire à des programmes de ce genre, qui servent généralement à cacher celui qui m'intéresse vraiment.

Il prit un certain temps à déchiffrer ces algorithmes, puis procéda par élimination avant de trouver celui lié à la barrière protégeant le système de la bombe à désamorcer.

« Évidemment, c'est protégé par un mot de passe... » pesta-t-il en levant ses yeux vers le compteur.

Quinze minutes et quarante-quatre secondes.

« Ça commence à être tendu de mon côté, Kei ! » informa vivement Joshua qui fatiguait alors que les entités contre lui se multipliaient. Certains parvenaient à le dépasser pour voler vers le hacker, mais le primitif les arrêta in extremis.

« Si seulement une autre personne était venue avec nous... » murmura-t-il en continuant sa distribution de coups de poings pour les empêcher d'atteindre l'informaticien. Celui-ci tiqua, mais continua son opération pour craquer le mot de passe, chose qui lui prenait plus de temps que prévu, étant dépourvu de son matériel de hacking.

Je peux y arriver... En fouillant les données stockées dans les serveurs de la Kai-Riu, je peux me servir d'un programme codé par Hayate, qui me permettra de trouver le bon mot de passe. Je peux le faire !

« Argh ! » cria Joshua en tombant au sol à moins d'un mètre de Kei. Plusieurs entités numériques l'avaient simultanément chargé.

« Putain ! Mais fichez-nous la paix ! » gronda l'argenté en délaissant un instant le clavier pour les éliminer à coups de pied, avant d'aider son cadet à se relever.

« Je commence à me demander si on ne ferait pas mieux de se déconnecter et de déguerpir de Neo-Tokyo en vitesse ! avoua Joshua après avoir repris ses esprits pour repartir à l'assaut.

— On n'a plus le temps de fuir ! informa l'aîné en retournant à sa programmation. Il nous reste à peine dix minutes. Le temps de nous déconnecter, de quitter l'immeuble et de trouver un vaisseau pour nous barrer, la ville aura largement le temps de sauter avec nous. »

Bon sang !

Joshua se répétait ces mots en continuant désespérément de maintenir les données défensives hors de portée de Kei. Il se demandait où il puisait encore la force de tenir malgré son épuisement, surtout en songeant que toute cette tentative avait de plus en plus de chance de s'avérer vaine.

C'était donc de cette manière qu'il allait quitter ce monde ? Dans l'univers numérique d'une mégalopole sur le point d'exploser avec lui et Kei ? Au moins, il aurait vengé sa famille et son village en arrêtant la Kai-Riu. Mais il partirait avec quelques regrets, notamment celui de ne pas avoir pu faire voir à son compagnon la nature luxuriante à l'extérieur de Neo-Tokyo.

À cette pensée, le primitif sentit les larmes lui monter aux yeux et la frustration l'envahir. Mais il ne pouvait pas se laisser aller à cette peine alors que Kei se démenait pour empêcher la catastrophe.

Criant de rage, il continua à détruire les entités qui continuaient à s'approcher, encore et encore. Tant que la vie subsistait, l'espoir ne pouvait pas se permettre de disparaître ! Il voulait survivre à cette épreuve. Il souhaitait sauver Neo-Tokyo, dont il existait encore plein de choses à découvrir. Et par-dessus tout, il désirait honorer sa promesse faite au hacker. Celle de lui faire visiter Calreon et de demeurer à ses côtés.

Pendant qu'il continuait sa pluie de coups incessants, il se remémora ses meilleurs moments passés depuis sa rencontre fortuite avec Kei : les différents coins de la ville visités ensemble, leur partie d'Element's Clash en compagnie de Ryo, de Natsu et de Hayate, leurs escapades nocturnes, notamment celles au musée végétal de Kojin, et leur séjour au Space Heaven qui était simplement magique. Il voulait continuer à vivre d'autres moments similaires. Au plus profond de son cœur, il souhaitait voir sa relation avec l'argenté perdurer.

Il n'avait pas envie de mourir, ni de perdre Kei.

Ce dernier était admiratif de la volonté dont faisait preuve son cadet. Cela le motivait à tout donner pour désamorcer la bombe. Il ne s'attardait même plus sur le compteur qui affichait pourtant six minutes et cinquante-huit secondes. Il restait concentré sur le craquage du mot de passe, et commença à voir le bout de ce sombre tunnel.

Soudain, un signal sonore, accompagné d'un clignotement rose, fut émis à l'opposé du point où se trouvait le duo masculin. Il attira l'attention des deux hommes, mais également celui des données défensives, qui cessèrent leurs assauts pour voler en direction de cette anomalie.

« Vous pouvez y arriver !

— Neeko ? s'étonna Kei en reconnaissant sa voix, tout comme Joshua.

— Je vais les retenir pour vous faciliter la tâche, mais je ne tiendrai pas longtemps. Faites vite ! »

Kei et Joshua n'étaient plus menacés par leurs opposants, mais furent surpris par cette intervention inattendue. Neeko n'avait donc pas fui avec les autres ? Et comment avait-t-elle fait pour se connecter ainsi et les aider ?

En réalité, l'intelligence artificielle s'était reliée à un ordinateur trouvé dans une salle non loin de la leur. Et Ryo demeurait à ses côtés, ses mains posées sur ses frêles épaules humanoïdes. Cette femme, qui avait également fait le choix de rester tout en ordonnant à Kaze, à Natsu et aux autres de partir, priait pour que Kei parvienne à tous les sauver.

À l'extérieur, nombreux étaient les citadins qui s'éloignaient déjà de la ville grâce à l'ouverture des entrées. Mais les passages s'encombraient rapidement, ce qui ralentissait l'évacuation générale. Ryo se doutait que tous les habitants n'auraient pas la chance de survivre, si la bombe explosait.

Allez Kei ! Tu t'es déjà tiré de situations toutes aussi compliquées. Tu peux réussir à arrêter cette putain de bombe !

 

*

 

Kei et Joshua profitèrent de la diversion de Neeko pour s'atteler à leur tâche. Le premier continua le piratage du mot de passe, pendant que le deuxième surveillait le compte à rebours.

Cinq minutes.

Un silence régnait entre les deux hommes, si on oubliait les halètements de Joshua. Leurs cœurs battaient tandis qu'ils retenaient leurs souffles. Le garçon aux mèches brunes n'osa pas parler au programmeur, par peur de le déconcentrer. Et il fit bien : une minute plus tard, Kei s'exclama de joie. Il avait réussi à entrer le mot de passe et à accéder au système de désamorçage de la bombe. Il ne lui restait plus qu'à lancer le programme permettant cet exploit, chose qu'il fit aussitôt. Une fois ces données exécutées, plusieurs lignes défilèrent sur l'écran. Le hacker se recula du clavier.

« Il ne reste plus qu'à attendre que son exécution soit terminée et le compte à rebours s'arrêtera automatiquement.

— Combien de temps ça va prendre ? »

Là était toute la question. Cela pouvait durer une minute comme cinq.

« Alors, il y a des chances d'échouer quand même ?

— Si j'ai trop tardé, oui. »

La joie ne fut donc que de courte durée. Leur destin était placé sous le signe de la chance. Priant pour que la désactivation de la bombe se réalise au plus vite, leurs regards se rivèrent sur le décompte qui affichait deux minutes et quarante secondes. Le temps défilait étonnamment vite, et emportait petit à petit le peu d'espoir qui restait chez le duo.

Kei attrapa instinctivement la main de Joshua pour la serrer, sans délaisser le compte à rebours du regard, qui était à une minute et dix secondes. Le brun tourna lentement sa tête en sa direction, avant de la détourner ailleurs, tout en entrelaçant ses doigts entre les siens.

« Finalement, on aura fait tout ça pour rien, hein...

— Au moins, on ne regrettera pas d'avoir essayé... »

Un sourire amer étira les lèvres du plus âgé qui se tourna vers l'autre pour lui saisir l'autre main.

« On aura passé une sacrée soirée, en tout cas.

— J'aurais préféré qu'elle ne soit pas la dernière... »

Joshua laissa ses larmes s'échapper alors qu'il retenait difficilement ses sanglots. Aussitôt, Kei l'attira dans ses bras et le serra fermement contre lui.

« Je te comprends que trop bien, Josh... »

Il laissa le plus jeune pleurer tout en caressant son dos pour le consoler. En levant sa tête, il découvrit qu'il ne leur restait plus que quarante secondes. Il se décolla légèrement de Joshua, avant de déposer un tendre baiser sur ses lèvres. À cause du manque de temps, il écourta cet échange tout en essuyant de ses pouces les larmes de son cadet.

« Malgré tout, je suis heureux que nos routes se soient croisées. Pour être honnête, je crois que les jours passés avec toi sont de loin les meilleurs que j'ai vécus. »

Ces simples mots, malgré les dix-sept secondes restantes et sa tristesse, firent légèrement sourire Joshua.

« Je t'aime, Kei... » murmura-t-il, ses iris verts plongés dans les pupilles marron de son aîné. Ce dernier, envahi par un sentiment de bonheur malgré cette situation désespérée, pressa son front contre le sien en fermant les yeux en même temps que lui.

« Je t'aime aussi, Joshua... »

Ils étaient prêts à se faire désintégrer par l'explosion à venir dans cinq...

Quatre...

Trois...

Les deux hommes se blottirent l'un contre l'autre, le cœur battant à tout rompre et les paupières fermées tremblantes.

« Avertissement ! s'éleva une voix synthétique. Le système d'auto-destruction de Neo-Tokyo a été interrompu. L'explosion prévue est annulée. Veuillez regagner la ville. »

Le duo ouvrit ses yeux incrédules, avant de se tourner vers le compte à rebours. Celui-ci restait figé sur deux secondes. Et l'écran sur lequel Kei avait manœuvré affichait un gros cadre vert dans lequel étaient marqués les mots « désactivation terminée » en lettres capitales.

Ils avaient réussi ! De justesse, certes. Mais la menace était définitivement écartée !

« Putain, j'ai vraiment cru qu'on y resterait, cette fois ! » confia Kei en soupirant de soulagement après avoir essuyé ses yeux larmoyants d'un revers de main. Joshua n'arrivait pas à y croire. Il s'était préparé à accepter la mort, mais celle-ci les avait esquivés de peu. Pendant quelques secondes, il s'était cru dans un rêve, voire même au royaume des morts de Neo-Tokyo.

Mais la présence de son compagnon et de la colonne témoignait du contraire. Saisi d’une immense joie, le primitif sauta au cou de l'autre, l'étreignant comme jamais. L'argenté dut reculer de deux pas pour ne pas s'écrouler sous son poids. Mais il comprenait cette réaction de la part de Joshua et la partageait. Il n'hésita pas à l'enlacer à son tour, un tendre sourire aux lèvres.

« Bien joué, Kei, murmura le brun avec émotion. T'es vraiment le meilleur...

— Je n'aurais jamais réussi sans ton aide et celle de Neeko... »

Les deux demeurèrent ainsi, l'un dans les bras de l'autre, savourant l'apaisement offert par cette chance salvatrice. Ils étaient en vie et Neo-Tokyo, ainsi que tous ses habitants étaient sains et saufs.

« Retournons dans le monde réel, pour fêter cette bonne nouvelle avec tous les autres ! » proposa Joshua en se décollant légèrement du hacker. Celui-ci caressa son visage avant de coller une nouvelle fois son front contre le sien.

« Oui. Rentrons chez nous. Et profitons ensemble d'une vie plus paisible. » approuva-t-il.

 

*

 

Dans toute la ville, l'annonce de la bombe désamorcée se répétait dans chaque district, dans chaque secteur, dans chaque allée. De nombreux cris et pleurs de joie s'élevèrent à l'unisson parmi ceux qui n'avaient pu franchir les portes à temps, mais aussi parmi les millions d'habitants déjà éloignés de la ville et qui avaient été aussitôt informés. Tous les vaisseaux retournèrent progressivement dans l'enceinte de la cité, tandis que les rues désertées reprenaient vie de manière désordonnée suite au chaos ayant manqué de tout dévaster. Mais ce n'était qu'une question de temps, avant que l'effervescence ne parvienne à se calmer.

À bord de son fourgon, Kaze, qui était passé chercher Natsu entre-temps, volait déjà en direction de la tour où ils avaient laissé leurs amis. La mécanicienne ne put s'empêcher de crier de joie en étreignant brusquement le leader des Shuriken.

« Yeah ! Kei et Joshua sont trop forts ! Ils ont réussi à arrêter cette enfoirée de bombe !

— Doucement, Natsu ! Je suis en train de conduire ! Garde ton câlin pour ceux qui l'ont mérité !

— Roooh Kaze ! râla gentiment la jeune femme en le lâchant avec une petite moue boudeuse. Je suis sûre que ta réaction aurait été différente si c'était Ryo qui t'en avait offert un ! »

Le pilote afficha un sourire en se concentrant sur la voie devant lui.

« Peut-être bien. » affirma-t-il en volant parmi les buildings et les néons encore brillants malgré toute la pagaille de cette soirée.

 

*

 

Dans les couloirs de la tour, Neeko et Ryo rebroussèrent chemin pour se rendre à la salle de conférence où étaient restés les sauveurs de la soirée. Elles débarquèrent en trombe, juste au moment où les deux hommes se relevaient de leurs sièges. Ces derniers remarquèrent rapidement leur présence et ne purent s'empêcher de leur sourire.

« On a réussi, informa Kei en s'avançant de quelques pas en même temps que Joshua. Et c'est en grande partie grâce à toi, Neeko. Merci du coup de main ! »

Celle-ci, immobile dans un premier temps, afficha un grand sourire tandis que des larmes se mirent à couler. Elle se précipita vers le duo masculin jusqu'à l'enlacer de ses petits bras. Kei et Joshua furent surpris de cette étreinte commune, mais ne s'en plaignirent pas. Même, ils la rendirent aussitôt. Après ce qu'ils venaient de vivre, ils méritaient ce petit moment de douceur. De son côté, Ryo essuya ses yeux humidifiés avant de s'adresser avec bonheur aux deux garçons :

« Ne refaites plus jamais ce genre de dinguerie, vous deux ! J'ai vraiment cru notre dernière heure sonnée !

— Malgré ça, tu es restée, répliqua Kei en se décollant de l'IA pour se rapprocher de la rousse.

— Je n'allais quand même pas laisser Neeko toute seule ! Et puis je ne pouvais pas partir en vous laissant derrière. En tout cas, je suis contente que ce soit fini. Et fière de ce que tu as accompli. »

Le sourire de l'argenté s'élargit alors qu'il se rapprochait pour la prendre dans ses bras et la serrer contre lui.

« On a réussi, Ryo. La Kai-Riu est tombée. La ville va enfin pouvoir vivre sans son influence malsaine. Et Shion, Hayate et tous les autres peuvent enfin reposer en paix.

— Ta mère aurait été tellement fière de toi... »

Des mots qui touchèrent Kei, à un point qu'il se mit à sangloter en se serrant un peu plus contre la jeune femme. Des pleurs de soulagement qui étaient sa manière d'évacuer toute l'anxiété accumulée durant cette dernière demi-heure intense.

Joshua sourit tendrement devant cette scène en caressant les cheveux roses de Neeko, qui ne le lâchait plus. Il était heureux que tout ceci soit terminé. Neo-Tokyo allait pouvoir revivre et il pourrait enfin honorer sa promesse faite à Kei.

Seulement, en observant par la vitre la plus proche et en remarquant les flammes et les fumerolles provenant de plusieurs buildings, il savait que les dégâts provoqués par les manifestations de la population étaient considérables. De plus, cette cité n'avait plus de président pour la gouverner.

La mégalopole n'était pas encore totalement tirée d'affaire. Mais au moins, la Kai-Riu et ses Masamune ne la gangrèneraient plus.