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Summary:

Comme tous les ans Galessin doit se rendre au banquet des chefs de clans, comme tous les ans il demande à sa mère si elle veut bien l'accompagner, mais cette fois elle ne peut pas venir et il va bien devoir lui trouver une remplaçante.

Chapter 1: Chant 1

Chapter Text

Le banquet des chefs de clan était l'un de ces événements que Galessin détestait. Tous les ans, au début du printemps, quand les pommiers des jardins de Kaamelott bourgeonnaient et que les oiseaux marins revenaient de leur hiver passé sur les côtes de l'Italie, le roi de Bretagne chargeait sa maisonnée d'organiser cette tradition ancestrale du royaume de Logres. Pour beaucoup cette tradition était synonyme de beuveries joyeuses et de banquets somptueux, pour Galessin c'était synonyme d'ennui profond et de discussions insipides avec ses camarades de la table ronde. Il n'aimait pas cela, s'asseoir autour d'une table avec des gens qu'il ne supportait qu'à-moitié pour plusieurs heures et manger abondamment pour tromper son ennui.

Généralement le duc d'Orcanie se rendait à cet événement en compagnie de sa mère. Deirdre, à l'instar de son fils, aimait beaucoup cette tradition. Elle n'avait que rarement l'occasion de quitter les îles orcaniennes. Le climat n'était pas favorable aux voyages. Les îles orcaniennes étaient en permanence battues par le vent et par les vagues. Pour quitter les îles il fallait prendre un bateau mais les tempêtes régulières empêchaient les voyages de se faire en grand nombre. L'ancienne duchesse ne pouvait donc pas voyager à sa guise au travers du royaume de Logres. Elle profitait donc de chaque occasion qui se présentait à elle de quitter l'Orcanie. Même si cela signifiait subir un long et bruyant banquet en compagnie de la cour du roi Arthur avec laquelle elle n'avait jamais été très à l'aise sauf avec celles qui avaient été ses amis à l'époque d'Uther.

Deirdre d'Orcanie était une femme intelligente, à la langue acide et à l'esprit vif, très investie dans la gestion et la vie du duché d'Orcanie. Elle avait toujours pris part aux réunions administration du duché, son époux, et ce jusqu'à sa mort, avait toujours tenu à ce qu'elle soit présente à chacune des réunions. Il estimait grandement ses opinions et ses conseils. C'était une véritable femme d'état, droite, intègre, imposante et à la main d'acier quand il le fallait. Tendrement attachée à son fils elle l'accompagnait dans ses déplacements diplomatiques quand ceux-ci exigeaient la présence d'un ou d'une invité supplémentaire, comme le banquet des chefs de clan le demandait.

La duchesse avait prétexté un visite chez sa sœur dans le royaume de Gaunes pour échapper à cet évènement. Échapper n'était peut-être pas la meilleure manière de définir ce que faisait la duchesse. Elle aimait ces réunions, sincèrement, elles faisaient partie des rares occasions qui lui permettaient de revoir ses amies vivant sur la grande île de Bretagne. Elle aimait s'y rendre avec son fils et passer du temps avec les dames du royaume de Logres qu'elle n'avait que peu l'occasion de voir en dehors de ce rendez-vous annuel. Mais cette année elle avait décidé d'organiser son voyage annuel chez sa sœur pendant cet évènement. La raison n'était pas innocente. Elle espérait que son fils aille demander à la seule autre dame de la forteresse de bien vouloir l'accompagner.

La magicienne du duché d'Orcanie vivait pratiquement recluse dans le grand laboratoire du premier étage. Elle n'en sortait que pour prendre ses repas avec le duc et sa famille ou quand celui-ci lui demandait d'assister aux réunions de gestion du duché. Ces réunions ne l'intéressaient pas beaucoup mais elles lui donnaient l'occasion de négocier plus de moyens pour son laboratoire. Galessin était peut-être le seul habitant du château qui pouvait réussir à la faire sortir de son antre en dehors de ses horaires habituels et il était également le seul qui pouvait rester des heures, assis avec elle dans le laboratoire sans prendre le risque de se faire houspiller. Le duc aimait passer du temps en sa compagnie dans le laboratoire.

La laboratoire était un lieu accueillant dans lequel le duc aimait passer son temps, assis dans un petit fauteuil confortable, couvert de coussins moelleux et d'une épaisse couverture que Deirdre avait tricoté pour la magicienne quand elle prenait froid dans son grand laboratoire. Trois grandes fenêtres permettaient aux rayons du soleil d'illuminer la pièce de son faible éclat. L'odeur de l'endroit était entêtante, un mélange du thym et de menthe qui faisait légèrement tourner la tête du duc à chaque fois qu'il pénétrait dans la pièce. D’innombrables alambic et fiole de verre ou de cristal trônaient fièrement sur les grandes tables de bois ouvragé. Au centre de la grande cheminée pendait un chaudron vide pour l'instant mais qu'elle ne tarderait pas à remplir de mixtures et de potions en tout genre.

Quand Galessin poussa la porte du laboratoire la magicienne s'y trouvait déjà. La chose était assez étonnante. Uinda prenait généralement une pause après son repas de midi pour aller se promener dans les jardins de la forteresse ou se réfugier dans sa chambre pour avoir un peu d'intimité avant de retourner à ses potions et à ses patients. Elle était agenouillée au pied du petit prince d'Orcanie, Gareth, et s'occupait de son genoux écorché. Sa longue robe de lin rose épousait élégamment les courbes de son corps et venait s'échouer sur le sol de pierre gris clair. Quand la porte s'ouvrit elle leva ses yeux de son ouvrage et regarda son visiteur. Elle sourit gentiment au duc d'Orcanie avant de lui dire :

"Attends deux secondes duc. Je termine ça et je suis à toi."

Gareth adressa un petit sourire au duc d'Orcanie alors que la magicienne appliquait un pansement sur son genou. Le petit prince était un enfant aventureux. Sa chevelure brune était toujours emmêlée et, quand Galessin essayait de la peigner, il y retrouvait toujours des branchages et des petites feuilles. L'enfant aimait grimper dans les grands sapins toujours verdoyants des jardins du château et s'allonger dans l'herbe avec les chiens du chenil du duc d'Orcanie. Il revenait toujours de ses escapades avec les genoux écorchés ou les coudes ensanglantés et la magicienne devait passer plusieurs minutes à le soigner. Une fois que le pansement fut bien appliqué sur le genoux de l'enfant Uinda se redressa et lui demanda :

"C'est mieux comme ça Gareth?

-Oui! Merci Uinda!"

Le petit prince se pencha en avant pour embrasser la joue de l'enchanteresse avec une tendresse que le duc d'Orcanie ne pouvait s'empêcher de trouver touchante. Gareth, comme Gauvain avant lui, l'avait rapidement adopté comme un père de substitution. La chose n'était pas étonnante. Il s'était chargé de leur éducation. Après avoir pu observer son bon travail avec Gauvain, Loth lui avait confié son second enfant très naturellement, alors que celui-ci n'avait même pas deux ans. Il était rapidement devenu un véritable père pour les deux petits. Uinda, elle, avait tenu le rôle de mère pour eux. D'abord involontairement, elle ne s'était pas attendu à ce que les deux enfants s'attachent autant et aussi rapidement à elle, puis elle s'était attachée à eux elle aussi et jouait maintenant ce rôle de mère avec plaisir. Sa tendresse pour les deux petits princes faisait rayonner son visage quand elle se trouvait avec eux.

"Vous pouvez retourner jouer maintenant. Déclara la magicienne en passant affectueusement sa main dans sa chevelure brune.

-Merci!"

Il bondit sur ses pieds et se précipita vers la porte du laboratoire pour retourner courir dans les couloirs de la forteresse. Quelques instants seulement après qu'il ait passé la porte de la pièce, l'enchanteresse et le duc entendirent de nouveau les petits pas de l'enfant qui revenait précipitamment dans la pièce. Il tira sur la tunique du duc d'Orcanie pour exiger de lui qu'il s'agenouille pour qu'il puisse embrasser sa joue avant de repartir tout aussi rapidement. Galessin laissa échapper un petit rire affectueux avant de se tourner vers la magicienne.

"J'ai un service à te demander.

-Bonjour à toi aussi duc. Répondit Uinda alors qu'elle rassemblait son matériel de soin.

-Oui bonjour..." Marmonna le duc en passant sa main dans ses boucles sombres avec embarras.

À cheval sur la politesse, comme toujours. Uinda avait ses principes. Le duc d'Orcanie avait le droit de rentrer dans son laboratoire à toute heure de la journée ou de la nuit à la condition qu'il se tienne bien et qu'il prenne toujours la peine de la saluer correctement. Elle était même prête à l'accueillir dans sa chambre en pleine nuit, même s'il la réveillait, tant qu'il prenait la peine de s'excuser et de lui demander la permission. Un petit sourire satisfait étira les lèvres de la femme. Maintenant ils pouvaient parler.

"Tu veux boire quelque chose?" Il acquiesça rapidement avant de poser son regard sur la silhouette de la magicienne qui se dirigeait vers une des grandes armoires qui reposaient contre les murs de pierre du laboratoire. Elle se tourna vers lui et, désignant le petit fauteuil qui était devenu le sien après autant d'années passées dans le laboratoire, lui dit : "Tu peux t'asseoir je vais chercher les verres." Galessin s'empressa de lui obéir s'installant confortablement dans son petit fauteuil.

Les les grandes armoires de chêne et les tiroirs du laboratoire ne regorgeaient pas seulement de poudres, d'herbes et de potions aux noms étranges et aux odeurs que Galessin était bien incapable d'identifier. Dans un de ces petits tiroirs. Un petit tiroir dans le grand meuble de bois clair qui se trouvait à droite de la porte d'entrée du laboratoire. Un petit tiroir auquel nul ne pouvait accéder s'il n'avait pas la clef que la magicienne portait en permanence au trousseau qui pendait de sa ceinture de cuir brun. Dans ce petit tiroir se trouvaient deux verres en cristal et plusieurs bouteilles de bob vin. Elle prit la clef et ouvrit le petit tiroir pour en sortir deux verres et une bouteille remplie d'un alcool ambré dont l'odeur boisée emplit rapidement l'air du laboratoire. Elle versa soigneusement le liquide dans les deux verres avant d'en tendre un au duc qui la remercia d'un petit hochement de tête.

Leurs verres s'entrechoquèrent avec un tintement rassurant. Galessin aimait ce bruit, il avait appris à l'aimer. Ce tintement lui rappelait sa sœur. Quand Isebel venait passer du temps dans sa ville natale ou quand il venait lui rendre visite dans son château en Irlande ils prenaient toujours le temps de s'installer autour d'une table avec une bonne bouteille que Venec faisait venir d'Italie et deux verres. Ses souvenirs s'évanouirent quand ses yeux se posèrent sur le sourire de la magicienne. Ses joues s'embrasèrent légèrement et il s'empressa de cacher son visage dans son verre.

"T'as besoin de quoi cette fois?" Demanda Uinda en prenant une gorgée de sa boisson. "Je te préviens si tu as besoin de certaines potions il faudra d'abord que tu me donnes de l'argent pour que je réapprovisionne le labo. Il me manque au moins la moitié de mes ingrédients.

-Non j'ai pas besoin de potion cette fois. Répondit Galessin avec un petit rire.

-Un enchantement alors?

-Non plus. Ce que j'ai à te demander n'a rien à voir avec la magie."

Dans ce monde il était essentiel d'avoir accès à la magie. Les grands rois et nobles du royaume pouvaient se faire la guerre avec des hommes et des armes autant qu'ils le voulaient. La qualité des armes et l'entrainement des soldats ne garantissaient pas la victoire. Le plus important dans la guerre, au-delà de la logistique et de l'approvisionnement des troupes, c'était bien la magie. Et Galessin avait l'une des meilleures à son service, mais pour qu'elle reste la meilleure elle avait besoin d'argent. De beaucoup d'argent.

"Tu pourras quand même me passer de l'argent pour le labo? Si tu veux que mon travail reste correct il va me falloir un peu plus de moyens que ce que tu me donnes déjà." Un mince sourire s'esquissa sur les lèvres du duc d'Orcanie. Uinda ne perdait jamais le nord. Dès leur première rencontre elle lui avait fait comprendre que s'il voulait l'avoir comme magicienne cela allait lui couter cher. Très cher. Les ducs d'Orcanie étaient riches grâce à leur commerce de sel, de poisson et de bois, les dépenses ne faisaient pas peur à Galessin. Uinda s'adossa contre l'une des grandes tables de travail. "Bon. Qu'est-ce que tu veux de moi alors?

-Je suis invité au banquet des chefs de clan. Annonça Galessin.

-Comme tous les ans. Remarqua Uinda avec un sourire narquois.

-Oui. Et comme tous les ans je dois venir accompagné.

-Et comme tous les ans tu vas demander à ta mère de t'accompagner pour qu'elle revoit ses amies à Kaamelott." Déclara Uinda avant de finir son verre d'une traite et de tendre sa main vers la bouteille pour le remplir à nouveau. "Je ne vois toujours pas ce que je viens faire là-dedans.

-Justement. Ma mère ne peut pas venir cette année. Elle va voir sa sœur à Gaunes. Elle ne sera pas là pour le banquet des chefs de clan."

Un sourcil dressé répondit au duc d'Orcanie. Il n'était pas habituel de la part de Uinda de se montrer aussi laconique. Généralement il était celui qui se contentait de répondre par des regards désapprobateurs ou des sourires suffisants et méprisants. Uinda parlait beaucoup. Elle n'était pas bavarde mais elle pouvait parfaitement tenir une longue conversation avec n'importe qui. Elle avait déjà deviné ce que Galessin allait lui demander et elle n'était pas certaine de vouloir se rendre à cet évènement même si la compagnie du duc était loin de lui être désagréable. Elle n'était pas particulièrement adepte des évènements de ce genre ni même du fait de quitter la forteresse de Rackwick.

Les réunions de druides et d'enchanteurs étaient les seuls évènements qui faisaient sortir Uinda de l'enceinte du duché d'Orcanie. Elle avait assez donné avec les voyages dans sa jeunesse. Maintenant qu'elle atteignait la trentaine elle se faisait de plus en plus casanière et préférait se reposer dans le confort de son laboratoire en Orcanie plutôt que de parcourir le monde pour vendre ses capacités. De plus, à force de rester chez elle elle appréciait mieux encore ses sorties et ses voyages. Galessin lui adressa un petit sourire embarrassé avant de lui demander en marmonnant timidement :

"Du coup. Je voulais te demander si tu voulais bien m'accompagner à sa place.

-Tu voudrais que je viennes à Kaamelott avec toi? Tu peux y aller tout seul à ce banquet? Demanda Uinda avec un soupir, elle savait déjà qu'elle allait finir par accepter son invitation.

-Ce serait mal vu que j'y ailles tout seul.

-Depuis quand tu t'intéresses à ce que pense les autres chevaliers toi?"

Ce n'était pas tellement qu'il s'intéressait à ce que les autres chevaliers pensaient de lui. Il s'en moquait bien. Il n'avait jamais pris la peine de même se demander ce que ses collègues pouvaient bien penser de lui. Il se moquait de ce qu'ils pensaient lui et il mettait un point d'honneur à ne jamais trop s’intéresser à leur vie et à leurs habitudes. Il se portait parfaitement bien en ne sachant presque rien de ses collègues et camarades. Il ne s'attachait pas à eux et tout était pour le mieux. Il avait assez de choses à gérer chez lui, avec sa famille pour ne pas s'encombrer des problèmes des autres chevaliers. Cela étant, il invitait Uinda en partie pour faire bonne figure, être le sujets de toutes les moqueries de la soirée ne lui était guère attrayant.

Bien sûr, il ne l'invitait pas que pour faire bonne figure. Il y avait une raison bien plus profonde que les simples règles de l'étiquette de la cour de Kaamelott et les coutumes du banquet des chefs de clan qui le poussait à inviter Uinda à se rendre à ce même banquet avec lui. Il était épris de la magicienne, définitivement et désespérément épris d'elle. Et l'absence de sa mère, même s'il commençait à se douter que cette absence n'était pas si accidentelle que cela, allait peut-être lui permettre de se rapprocher un peu plus d'elle. Il tendit sa main pour prendre celle de la magicienne dans la sienne et lui demanda :

"S'il-te-plaît Uinda. J'ai vraiment pas envie d'y aller seul je vais m'emmerder.

-Si ça peut te faire plaisir moi je veux bien duc... Mais qui va s'occuper de Gareth si aucun de nous ne reste à Rackwick?

-Je me suis déjà arrangé." Répondit le duc avec un petit sourire satisfait. Pour une fois il avait pensé à tout. "Ma mère va s'occuper de lui. Elle l'emmènera à Gaunes. Ça le fera sortir un peu et il découvrira autre chose que l'Orcanie."

Les possibilités de voyages n'étaient pas infinies lorsque l'on vivait en Orcanie et Gareth n'était encore qu'un enfant. Il n'avait vraiment quitté l'Orcanie qu'une seule fois depuis sa naissance. Deux fois si l'on voulait être exact mais il n'avait qu'un ans lors de son premier voyage et ne s'en souvenait donc pas. Il ne se souvenait ni de la cour, ni de son oncle, ni du château. En revanche il se souvenait très bien de l'Irlande. De ses étendues vertes à perte de vue, de ses plages de sable gris et de son soleil toujours pâle même en plein été. Surtout il se souvenait de l'odeur de l'Irlande du mélange de sel et d'épine de sapin. Un voyage à Gaunes lui ferait le plus grand bien, il pourrait enfin découvrir autre chose.

"Si tu le dis..." Marmonna Uinda en retirant sa main de celle de Galessin pour se concentrer sur son verre vide, ses doigts en trituraient le bord machinalement. "Je ne suis quand même pas-

-S'il-te-plaît..."

Il avait sa manière bien à lui de supplier. Quand ils suppliaient la plupart des gens utilisaient leur corps. Ils se mettaient à genoux, joignaient leurs mains avec ferveur, regardaient leur interlocuteur dans les yeux et s'empressaient de prendre leur voix la plus douce et la plus larmoyante. Galessin ne faisait rien de tout cela. Quand il suppliait tout passait par sa voix et il était impossible pour n'importe qui qui ne le connaîtrait pas assez bien de voir dans cette voix le moindre changement. Uinda ne pouvait pas résister à cette manière de supplier. Avec un petit rire elle déclara :

"D'accord.

-Merci." S'exclama Galessin avec un soupir soulagé. Il se pencha pour reprendre la main de la magicienne dans la sienne et la serra affectueusement. "Je te revaudrai ça. Promis.

-Je ne sais pas comment tu comptes t'y prendre mais d'accord." Déclara Uinda en caressant doucement sa main en retour.

Elle savait pourtant bien comment elle aimerait qu'il la rembourse. Quand elle l'avait rencontré elle n'aurait jamais deviné qu'elle serait un jour aussi tendrement attachée à ce duc aussi ennuyeux que de bonne compagnie. Ils s'étaient liés d'amitié, une amitié solide et résistante à l'épreuve du temps qui s'était, pour sa part au moins, peu à peu transformée en une passion tendre et tranquille qui lui réchauffait le cœur. Pour la rembourser il lui suffisait simplement de la prendre dans ses bras et de ne plus jamais la laisser partir

"Ton verre." Ordonna-t-elle alors qu'elle voyait le duc commencer à s’éclipser sans ranger ses affaires. "Je suis pas un larbin moi."

Un éclat de rire joyeux s'échappa de la gorge du duc quand il entendit l'ordre de la magicienne. Décidément elle ne perdait jamais le nord. Quand il l'avait engagé elle l'avait renseigné sur ses exigences. Parmi ces exigences figurait celle de ne pas être traité comme une domestique lambda. Il n'avait d'abord pas compris pourquoi Uinda avait autant appuyé sur cette exigence. Il s'était même demandé si elle savait que le statut des enchanteurs de Bretagne n'avait, par essence, rien à voir avec celui des domestiques. Mais après avoir passé un peu plus de temps avec elle il avait fini par comprendre l'origine de cette inquiétude et c'était alors empressé de la rassurer. Mais malgré cet éclaircissement il était toujours hors de question qu'elle fasse le ménage après lui.

Il attrapa son verre avec un petit sourire en direction de la magicienne qui sentit ses joues s'enflammer sous le sourire radieux du duc. Galessin ne souriait pas beaucoup. À vrai dire, elle pouvait même compter sur ses dix doigts le nombre de fois où elle l'avait vu avec un tel rictus sur le visage. Pourtant elle adorait ce sourire et aimerait le voir plus souvent. Galessin lui adressa un petit signe de la main avant de sortir de la pièce. Quand la porte se referma derrière lui il poussa un soupir de soulagement, il avait trouvé une solution.

 


 

Le conseil s'était éternisé, la chose n'était pas courante. Galessin s'arrangeait toujours pour que ceux-ci ne durent pas plus longtemps que nécessaire. Il n'était pas friand de ces réunions. La gestion d'un duché ne l'avait vraiment intéressé, plutôt il s'en était désintéressé après que son père lui ait définitivement fait rentrer en tête que de toute manière il ne serait jamais assez compétent pour être duc. Il laissait sa mère s'occuper des affaires extérieures et des finances et ne donnait son avis que quand la discussion s'égarait sur la chose militaire ou sur l'éducation des deux petits princes d'Orcanie qu'il avait à sa charge depuis de nombreuses années maintenant. Les intendants quittaient enfin la pièce sous le regard sévère de l'ancienne duchesse d'Orcanie et les soupirs de Galessin.

Deirdre d'Orcanie n'avait rien perdu de sa gloire passée, dans ses grandes robes de soie et de lin aux couleurs chatoyantes et avec ses parures en or ornées de pierres précieuses elle gardait toute sa majesté. Son visage était ridé maintenant, heureusement ces rides étaient plus dues aux sourires qu'aux larmes et à la colère. Elle se tourna vers son fils avec un petit sourire discret qui s'élargit quand il vit sa mine. Galessin avait le regard rêveur, son menton était posé dans la paume de sa main, ses boucles retombaient mollement sur son front et un mince sourire étirait doucement ses lèvres.

"Galessin? Tout va bien?" Demanda l'ancienne duchesse en posant doucement sa main sur celle de son fils, la caressant légèrement pour attirer son attention. "Vous avez l'air de meilleure humeur qu'à l'ordinaire.

-Tout va bien mère. J'ai réglé mon soucis pour le banquet des chefs de clan."

Elle dut réprimer un petit sourire en entendant la réponse de son fils. Son ton était joyeux, ravi même. Il semblait vraiment satisfait par la solution qu'il avait trouvée. Elle espérait que cette joie était bien causée par la raison qu'elle espérait. Elle n'ignorait pas les sentiments qui unissaient son fils et la magicienne d'Orcanie et espérait que son absence opportune pousse son fils à l'inviter au banquet des chefs de clan à sa place. Elle se pencha pour rapprocher son visage du sien, ses boucles blanches frôlant doucement sa peau et le bout du nez de son fils et lui demanda :

"Vous avez demandé à Uinda. N'est-ce pas?"

Les joues du duc s'embrasèrent dès qu'il entendit le nom de la magicienne. Il était doux à ses oreilles ce nom. Ce nom qui mourrait sur ses lèvres dans le silence de ses nuits solitaires, ce nom qui faisait battre son cœur un peu plus vite quand il voyait celle qui le portait, ce nom qui le rendait si jaloux quand il se trouvait dans la bouche d'un autre homme ou d'une autre femme. Bien sûr, bien sûr qu'il avait demandé à Uinda de l'accompagner. Il était même presque certain que c'était ce que sa mère espérait qu'il ferait lorsqu'elle lui avait annoncé qu'elle ne pourrait pas l’accompagner au banquet des chefs de clan. Galessin lui avait confié son amour pour la magicienne lors d'un voyage qu'ils faisaient ensemble sur le continent dans leur famille. Elle espérait que ce banquet lui permettrait d'assumer son amour.

"Galessin... Appela doucement l'ancienne duchesse pour attirer l'attention de son fils.

-Oui je lui ai demandé. Marmonna le duc avec un petit sourire content.

-Et elle a accepté. C'est pour ça que vous souriez.

-En effet."

Il était inutile d'essayer de cacher quoi que ce soit à l'ancienne duchesse d'Orcanie. Deirdre était capable de détecter le moindre des mensonges de son fils. Galessin était pourtant un bon menteur, il avait fait ses classes en la matière aux côtés du roi Loth et de la reine Anna et l'élève avait certainement dépassé les maîtres. Galessin s'était perfectionné dans l'art de montrer son visage le plus impassible possible mais devant sa mère il n'agissait pas de la sorte. Il lui montrait tout, ou presque. Voyant son sourire malicieux Galessin s'exclama :

"Mère je vous en prie sortez-vous cette idée de la tête. Il ne se passe absolument rien entre Uinda et moi.

-Elle a quand même accepté de vous accompagner. Elle n'est pas idiote, loin de là, vous le savez aussi bien que moi. Elle doit bien se douter que vous ne l'invitez pas pour des raisons totalement innocentes. Et si elle a accepté c'est que ces raisons ne lui déplaisent pas. Vous devriez tenter votre chance.

-Mère!"

Son ton n'était pas véritablement outragé. Deirdre était probablement la seule personne du royaume de Logres qui pouvait se permettre de parler au duc d'Orcanie de cette manière. Galessin faisait tout son possible pour que ses camarades à la table ronde en sachent le moins possible sur sa vie et ses émotions. Cela lui permettait d'échapper à leurs moqueries potentielles et à leur bienveillance mal-placée. Personne n'osait jamais se moquer de lui de la sorte, il ne pourrait pas l'accepter. Mais Deirdre avait le droit de lui parler ainsi.

"Calmez-vous." Murmura la duchesse en passant tendrement ses doigts entre les boucles soigneusement peignées de son fils. Elle se pencha pour murmurer à son oreille : "J'arrête de vous taquiner. Promis."

Les yeux levés au ciel Galessin tourna le dos à sa mère avec une mine boudeuse qui déclencha l'hilarité de celle-ci. Galessin n'avait pas changé. Elle se souvenait très bien de son fils, alors qu'il n'avait que huit ou neuf ans. Elle avait découvert que quelques biscuits sucrés de sa confection avaient disparu des cuisines et lui avait demandé s'il savait quelque chose sur cette disparition. Outré, il lui avait tourné le dos, les bras croisé sur sa poitrine, sa lèvre inférieur ressortie et son regard vexé. Aujourd'hui son attitude et sa posture étaient toujours les mêmes ce qui attendrissait l'ancienne duchesse. Celle-ci murmura à son oreille :

"Vous devriez lui parler. Lui dire ce que vous-

-Non. Trancha sèchement le duc.

-Galessin..."

Elle aurait dû se douter qu'il allait réagir ainsi. Galessin avait depuis longtemps des difficultés pour exprimer ses sentiments. Cela n'avait pas toujours été le cas, au contraire, pendant son enfance il avait été un enfant très communicatif qui n'avait jamais honte de ce qu'il ressentait. Mais l'éducation stricte et rigoureuse de son père, Edwald, avait rapidement forcé l'enfant à changer son comportement. Ses sentiments pour Uinda était purs et sincères. Il l'aimait profondément depuis plusieurs années maintenant, d'abord d'amitié puis les années passant, leur proximité grandissant avaient changé cette tendre amitié en amour tout aussi tendre et tranquille. Tranquille car Galessin savait que même si elle ne lui retournait peut-être pas son amour elle lui accorderait toujours son amitié et sa tendresse. Pourtant elle savait que jamais il n'oserait se mettre à nu devant elle. Pas sans un peu d'aide.

"Je suis désolé mère. Je peux pas faire ça."

Il le voulait, plus que tout, il voulait se jeter aux genoux de Uinda, prendre ses mains dans les siennes et tout lui révéler sur les sentiments qu'il nourrissait pour elle depuis des années. Mais il ne pouvait pas faire cela. Il connaissait Uinda, il la connaissait certainement mieux que quiconque dans le royaumes et même au-delà des mers glacées qui entouraient l'île d'Hoy. Il savait quelles relations elle entretenait avec l'amour depuis des années et il craignait sa récation. Deirdre soupira avant de prendre ses mains dans les siennes.

"Vous devriez vraiment lui parler. J'aime pas vous voir comme ça. Ce n'est pas sain pour vous. Lui parler vous sera forcément bénéfique.

-Je sais bien mère." Murmura Galessin en portant la main de l'ancienne duchesse à ses lèvres pour y poser un baiser. "Je ne peux pas rester de tout perdre avec elle. C'est tout.

-Je comprends." Répondit-elle avec un petit sourire triste. Elle leva sa main gantée de soie verte pour caresser doucement la joue de son fils. "Mais promettez moi de faire attention à vous."

Les lèvres de Galessin se pressèrent doucement contre le front de sa mère avec une tendresse qu'il ne réservait qu'à elle. Les yeux d'un doux vert délavé de Deirdre se plongèrent dans le regard sombre de son fils. Elle passa doucement sa main dans ses boucles brunes avant de caresser tendrement la joue de son fils. Il n'avait pas tellement changé. Il était toujours cet enfant résolument accroché à sa mère au sourire timide mais joyeux qui faisait la joie de toute la cour d'Orcanie. Elle embrassa sa joue avant de lui ordonner d'aller se préparer pour le voyage qui l'attendait.

Chapter 2: Chant 2

Chapter Text

Les trajets en carriole ennuyaient profondément Galessin. Même plus jeune il n'avait jamais aimé rester assis pendant des heures sur un banc de bois inconfortable avec pour seule distraction une fenêtre minuscule derrière laquelle défilait un paysage grisâtre et inanimé. D'ordinaire il préférait chevaucher jusqu'à Kaamelott, même s'il arrivait éreinté, plutôt que de rester assis en s'ennuyant pendant des heures dans une carriole. Mais Uinda n'aimait pas chevaucher et il n'avait pas l'intention de la laisser seule à l'intérieur. Si le trajet l'ennuyait il pourrait au moins compter sur sa compagnie et sa conversation pour lui rendre le voyage plus agréable. Tellement agréable que l'apparition des tours de la capitale le désola.

Dès que la carriole passa la grande porte de Kaamelott, un troupeau de serviteurs s'empressa de quitter ses occupations pour venir accueillir les nouveaux arrivants. Les manières de la cour de Kaamelott n'avaient rien à voir avec celles de l'Orcanie. À Rackwick personne ne serait venu ouvrir la porte de la carriole, personne ne serait venu détacher leurs bagages pour les emporter dans leur chambre, personne ne leur aurait proposé de l'eau avant même qu'ils ne descendent de leur voiture. Les manières dans le Sud du pays étaient beaucoup plus empreintes du raffinement romain que dans les îles orcaniennes. Un marche-pied avait même était installé devant la porte de la carriole pour offrir aux voyageurs une descente plus aisée.

Uinda abaissa le capuchon de sa cape révélant son regard moqueur et son sourire mesquin. Elle fit courir son regard sur les pierres presque blanches de la forteresse. Elle haussa légèrement un sourcil quand ses yeux se posèrent sur la tour Est, un trou béant marquait l'absence d'une pierre mais il était trop régulier pour que celle-ci ait été délogée pendant des combats. Elle reporta son regard sur la carriole de laquelle Galessin n'était pas encore sorti. Elle désigna la forteresse d'un geste de main désintéressé avant de lui dire :

"Je pensais pas que ça ressemblait à ça Kaamelott.

-Tu pensais que ça ressemblait à quoi? Demanda le duc en quittant la carriole, manquant de trébucher sur le marche-pied installé par le serviteur.

-Je sais pas." Répondit Uinda avec un haussement d'épaules. "Pas à ça juste."

Le duc dut réprimer un éclat de rire sarcastique en voyant la moue peu impressionnée de sa compagne. Les gars du Sud n'étaient définitivement pas aussi raffinés qu'ils le prétendaient. Bien sûr, pour la majorité des bretons, leur architecture, leurs mœurs et même leur cuisine étaient des parangons de l’influence gréco-romaine et du raffinement mais pour quelqu'un comme Uinda qui avait vécu dans ce monde pendant deux décennies ces coutumes et bâtiments n'étaient que de pâles copies de ce que l'on trouvait là-bas. Un serviteur qui avait l'habitude d'accueillir Galessin quand il séjournait à Kaamelott mais dont il n'avait jamais pris la peine de retenir le nom avait déjà attrapé leurs bagages et leur fit signe de le suivre. Le duc attrapa le bras de la magicienne pour l'entraîner avec lui à l'intérieur.

Si l'extérieur de la forteresse n'avait pas impressionné la magicienne, ses couloirs lui plaisaient beaucoup plus. Kaamelott était un château moderne, bien chauffé et assez élégamment décoré. Le tissage des tapisseries représentant les hauts-faits du roi Arthur et l'union de tous les peuples de Bretagne contre l'occupation romaine était savamment exécuté même s'il manquait de finesse et de précision. Les sols brillaient et les fenêtres étaient propres. Même le bois des portes des chambres était en meilleur état qu'en Orcanie. Arrivé devant les appartements du duc, le serviteur posa leurs bagages sur le sol et s'inclina avant de prendre congé mais Uinda le rappela immédiatement :

"Excusez-moi?

-Oui madame? Demanda le serviteur alors qu'il se retournait vers eux avec un soupir.

-Vous ne me montrez pas ma chambre?

-Dame Séli ne vous a pas donné de chambre madame."

Le regard que le serviteur leur lança avant de leur tendre le double de la clef de la chambre et de les abandonner au milieu du couloir suffit à montrer aux deux orcaniens tout le désintérêt qu'il éprouvait pour leur situation. Apparemment raffinement et politesse ne faisaient pas la paire dans cette forteresse. Galessin resta coi pendant un instant, la clef de métal reposant mollement dans sa main. Uinda le regardait, elle attendait certainement de voir ce qu'il avait dire sur la situation, mais aucune pensée intelligente ne traversait son esprit.

"Je peux aller la voir si tu veux. Et lui demander de te donner une chambre.

-C'est bon duc. Ça ne me dérange pas."

Avant que Galessin n'ait le temps de réfléchir un peu plus longuement et lui proposer une nouvelle alternative Uinda lui avait pris la clef et avait ouvert la porte. Le grincement de celle-ci était moins sinistre que ceux qu'émettaient les portes en Orcanie. Il était même tellement léger que Uinda faillit en sursauter. Lorsqu'elle entra dans la chambre elle fut surprise, aussi bien par sa modernité que par son aspect démodé. Les fenêtres étaient grandes, leur cadre finement ouvragé et pourtant elles semblaient solides et parfaitement étanches. Les meubles étaient de bonne manufacture et les draps semblaient confortables. Mais malgré ce luxe apparant, cette chambre manquait des commodités les plus essentielles qu'on pouvait trouver en Orcanie. Elle n'avait pas de salle de bain ni même simplement un lieu d'aisance adjacent. Malgré les beaux meubles et les structures en bon état, la chambre de Galessin à Kaamelott n'était pas aussi chaleureuse que celle qu'il occupait à Rackwick. Uinda, après avoir avisé le lit pendant un instant, se tourna vers son compagnon avec un grand sourire et déclara :

"En tout cas tant que tu ne prends pas toute la couette ça ne me dérange pas."

Elle le regardait avec un sourire rieur qui illuminait son visage d'un éclat radieux auquel il ne pouvait pas résister. Il adorait son sourire. Il était toujours un brin moqueur, Uinda ne pouvait jamais se débarrasser complètement de son esprit railleur. Il aurait voulu la regarder rire pendant des heures, observer chacun des petits détails de son visage quand sa bouche s'étirait de cette manière et entendre toutes les modulations dans sa voix. Mais ses joues rougissantes lui ordonnèrent de détourner le regard ce qui calma le rire de la magicienne, déçue de voir que son ami ne la rejoignait pas dans son hilarité.

"Il est confortable ton lit." Observa la magicienne alors qu'elle se laissait tomber sur les édredons moelleux. "Tu devrais faire changer les matelas à Rackwick, ils commencent à vieillir.

-Pourquoi pas." Répondit-il en s'asseyant à ses côtés. "C'est vrai que ça ne nous ferait pas de mal d'avoir une literie neuve."

Trop banal. Beaucoup trop banal. Galessin ne pouvait pas se concentrer sur autre chose que sur le manque de profondeur de sa discussion avec Uinda. Il aurait pu lui parler de n'importe quoi, ils étaient seuls pour une fois et le seul sujet de conversation qu'il trouvait était sur la literie? Incroyable. Une discussion de vieux couple lui murmurait la voix de sa mère à l'oreille. Il la chassa d'un geste vague de la main qu'il espérait discret. Il savait que si elle le voyait gesticuler de la sorte elle lui demanderait ce qui pouvait bien occuper son esprit et il n'avait pas envie de répondre à cette question.

Pourtant Uinda ne semblait pas prêter la moindre attention à la mine soudainement assombrie de son compagnon. Elle était trop occupée par la visite silencieuse des appartements du duc. Elle ne pouvait s'empêcher de remarquer à quel point cette chambre était froide et vide. Galessin n'avait pas décoré cette pièce. Elle était profondément impersonnelle. Elle savait qu'il n'aimait pas séjourner à Kaamelott mais elle avait quand même imaginé que, depuis tout ce temps, il aurait aménagé un peu ses appartements pour qu'ils soient un peu plus à son goût. Mais il n'avait rien fait de cela, aucun élément personnel ne trahissait sa présence dans cette pièce. Elle tapota l'épaule du duc pour attirer son attention et lui demanda :

"Je vais prendre un bain tu peux-

-Je vais te montrer où c'est." Répondit-il en lui tendant la main.

En cela la forteresse de Rackwick était plus moderne que le plus haut-lieu du royaume de Logres. Les chambres de Galessin, de sa mère et de l'enchanteresse avaient chacune leur propre salle de bain. À Kaamelott il n'y en avait qu'une pour tous les habitants du château. Galessin avait songé à plusieurs reprises à la possibilité de parler au roi de la nécessité d'installer de nouvelles salles de bain mais avait finalement décidé qu'il n'avait pas l'énergie nécessaire pour ce genre d'entreprise. Il regrettait cette décision maintenant qu'il entraînait la magicienne dans le dédale de couloirs pour trouver la salle de bain. Il aurait été plus simple pour lui de disposer d'une pièce plus proche de ses appartements pour se laver.

Cette unique salle de bain de la forteresse se trouvait derrière une lourde porte dont seuls le roi, sa famille, les chevaliers et quelques serviteurs de confiance avaient la clef. Galessin la glissa dans la serrure, la tourna deux fois vers la droite et ouvrit la porte à sa compagne. Celle-ci n'entra pas dans la pièce. Galessin semblait mécontent : la mine assombrie de son compagnon et ses cheveux couverts de poussière grisâtre, témoin de leur voyage, l'odeur de renfermé qui imprégnait ses vêtements. Il avait certainement besoin et envie d'un bain. Elle posa doucement sa main sur son bras et lui proposa :

"Si tu veux y aller d'abord ça ne me pose pas de problème.

-Je veux bien si ça ne te dérange pas." Répondit Galessin. "Je te promets de ne pas prendre trop de temps."

La main de Uinda sur son bras se resserra doucement en guise de réponse et elle lui sourit. Galessin tourna son visage vers le sien dans un mouvement ample et inattendu. Elle tressaillit quand ses lèvres effleurèrent sa joue, quand son souffle caressa sa peau. Elle hoqueta légèrement quand leur souffle s'entremêlèrent. Les lèvres du duc étaient dangereusement proches de siennes. Elle restait en haleine, attendant le prochain mouvement de Galessin. Mais il restait aussi immobile qu'elle. Elle se racla la gorge à regret avant de reprendre un sourire de façade et de lui ordonner :

"Lave-toi les cheveux. Tes boucles n'ont plus de forme. Ce serait dommage."

Elle glissa sa main dans sa chevelure sombre et bouclée et en profita pour l'ébouriffer un peu plus qu'elle ne l'était déjà par les quatre jours de carriole au travers du pays. Un éclat de rire joyeux saisit le duc d'Orcanie quand les doigts de la magicienne s'attardèrent un peu trop longuement dans le creux de sa nuque. Il se dégagea de son emprise avec agilité et s’enferma dans la pièce. Uinda l'attendit patiemment derrière la porte et quand après de longues minutes il ressortit, les cheveux humides et simplement couvert d'une serviette elle s'empressa de s'enfermer à son tour dans la pièce pour cacher ses joues rougissantes. Galessin regagna la chambre et se prépara rapidement avant de s'installer sur le lit et d'attendre le retour de la magicienne.

Uinda ne revint dans la chambre qu'après une heure qui parut bien trop longue à Galessin. Seulement, à peine eut-elle fermée la porte qu'un rictus moqueur s'esquissa sur ses lèvres et que sa gorge fut secouée par un éclat de rire clair et cristallin. Galessin haussa un sourcil devant son hilarité mais elle ne lui répondit que d'un mouvement de doigt en direction du miroir de la chambre. Galessin se tourna dans sa direction et ses yeux s'écarquillèrent. Ses cheveux étaient en bataille et lui donnaient l'air d'un mouton mal-dégourdi. Uinda profita de la séance de coiffure de Galessin pour attraper une de ses robe et pour l'enfiler mais elle ne pouvait pas la fermer seule.

"Est-ce que tu peux m'aider?"

La robe de chanvre lilas que portait l'enchanteresse laissait apparaître son dos nu. Pour fermer cette robe elle devait nouer des rubans de soie blanche qu'elle ne pouvait pas serrer sans aide. Galessin quitta le lit et lui fit signe de s'installer sur la chaise devant la coiffeuse de la chambre. Uinda s’exécuta avant de faire passer sa chevelure encore humide de la douche sur son épaule laissant le champ libre à Galessin. Il saisit les deux bouts du ruban blanc avec une certaine confiance, tresser les cheveux de Gauvain et Gareth quand ils étaient petits lui avait enseigné bien des choses sur l'art du laçage. Il s’exécuta avec précaution, s'assurant toujours qu'il ne serrait pas trop le ruban.

"Je ne comprends pas comment tu fais pour attacher ça tous les matins. Marmonna-t-il.

-Tu sais, généralement je m'arrange pour porter des robes qui se nouent sur la poitrine. Pas dans le dos."

Un rapide voyage dans ses souvenirs lui fit voir toutes les robes dans lesquelles il l'avait vu. Les étoffes de laine, de lin et de soie se mélangeaient dans son esprit. Les couleurs que portaient habituellement Uinda passaient devant ses yeux. Il ne pouvait pas se figurer dans le détail toutes les tenues de sa compagne mais il pouvait distinguer un détail constant : toutes ses robes se nouaient bien sur la poitrine. Il noua le bout du ruban, s'assura qu'il ne se délierait pas pendant la soirée et recula, laissant Uinda admirer son reflet dans le miroir de la coiffeuse.

"Ça te va bien...

-Merci Galessin."

Les doigts du duc s'attardèrent un peu trop longtemps sur la nuque dégagée de l'enchanteresse. Ce contact était électrisant. La pointe de ses doigts était froide mais le toucher de Galessin était doux. Elle se pencha pour attraper une petite boîte ouvragée que la mère de Galessin lui avait offerte en remerciement un jour. C'était une jolie petite boîte de chêne sur le couvercle de laquelle était gravé la scène de réunion des amants dans le mythe de la fée de l'île de Loc'h, une légende pour laquelle elle s'était prise d'affection. Elle en sortit un lourd collier et demanda au duc :

"Tu peux me l'attacher s'il-te-plaît?

-Bien sûr."

Il prit entre ses mains le collier en argent qu'elle lui tendait. C'était un beau bijou qu'il lui avait offert pour son anniversaire deux mois plutôt alors que le printemps reprenait lentement ses droits sur l'hiver. Il l'avait trouvé dans un marché d'artisans dans lequel il s'était rendu avec sa mère et les deux petits princes. Il l'avait certainement payé beaucoup trop cher pour sa véritable valeur mais il n'avait pas pris le temps de négocier. S'il pouvait faire plaisir à Uinda, il ne comptait pas ses dépenses. Et il avait eu raison de le faire. Uinda adorait ce collier. Elle le portait presque chaque jour, délaissant le reste des bijoux qu'elle s'était achetés elle-même. Il l'attacha autour de son cou avant de reculer pour admirer son œuvre. Uinda achevait de tresser ses cheveux et des remonter sur son crâne avec élégance. Un léger murmure s'échappa involontairement de ses lèvres

"Parfaite...

-Qu'est-ce que tu dis duc? Demanda Uinda en se tournant vers lui, son front plissé par l'inquiétude.

-Rien." S'empressa de répondre Galessin en s'éloignant d'elle comme si sa vue lui brûlait les yeux.

Elle était pourtant certaine d'avoir entendu un mot bien doux qui lui plaisait fort. Mais s'il prétendait n'avoir rien dit... Galessin avait beaucoup de défauts mais il n'était pas un menteur. Il n'était pas un menteur avec elle plutôt. C'était là seule chose qu'elle exigeait de lui, qu'il soit honnête avec elle. Elle n'en demandait pas plus. Mais, même s'il était honnête avec elle, elle savait bien que s'il avait honte d'une parole prononcée il s'arrangerait pour ne jamais avoir à la répéter. Impossible de savoir si son esprit lui jouait des tours ou s'il avait effectivement parlé et refusait maintenant de se répéter. Ce n'était pas grave. Mais elle aurait aimé entendre dans sa bouche le mot qu'elle croyait avoir entendu.

"On y va?" Lui demanda-t-elle.

Elle tendit la main vers le duc dans une invitation silencieuse. Ses yeux sombres se posèrent avec douceur sur la main blanche et délicate de l'enchanteresse. De loin on aurait pu la croire sans défaut mais si l'on s'approchait un peu plus de ses doigts l'on pouvait voir les minuscules coupures et brûlures qui sillonnaient sa peau endurcie par le maniement de la louche et du couteau. Il mourait d'envie de prendre cette main dans la sienne et de la couvrir de baisers pour faire disparaître toute la douleur qui marquait sa peau. Mais il ne le pouvait pas. Il n'oserait jamais. Il posa sa main dans la sienne avant d'entrelacer leurs doigts avec tendresse et de l'entraîner hors de la chambre pour rejoindre les autres invités.

 


 

Le banquet des chefs de clan était aussi peu raffiné que dans les histoires que Galessin lui racontait. Il se tenait à l'extérieur du château, aucune pièce n'était assez grande pour accueillir les centaines de chefs de clans du royaume de Logres. Mais ces chefs, pourtant célébrés par cet évènements, n'avait pas un comportement digne de leur rang. Les hommes étaient à moitié ivres alors que le repas n'avait commencé que depuis quelques instants. Les tables et les chaises étaient déjà tachées par les sauces épaisses et odorantes des plats qui étaient servis. Les bouteilles de vin vides étaient abandonnées, renversées sur les table ou sur le sol. Les rires gras et lourds des convives agressaient les oreilles des deux orcaniens.

Le festival d'odeurs et de saveurs avait pourtant quelque chose de plaisant. Les viandes étaient bien cuites, juteuse, luisantes sous la caresse des sauces au vin. Les légumes étaient servis à la louche dans un bouillon épais dont l'odeur délicieuse venait titiller les narines des convives. Le vin avait même était mis dans de belles amphores ouvragées et ce même si les convives se moquaient certainement bien du récipient dans lequel on leur servait la boisson. Le plus étonnant était la présence de grandes corbeilles remplies de fruits colorés. Uinda, en se rendant au banquet des chefs de clan, ne s'était pas attendu à trouver là des mets permettant de constituer un repas relativement équilibré.

Pourtant les deux orcaniens n'étaient pas intéressés par les plats odorants et les éclats de rire des convives déjà tâchés de gras et de sauce. Le duc essayait de se frayer un chemin entre les tables et les chaises encombrées de corps et de plats. La tâche n'était pas aisée. Les invités s'étaient installés dans l'anarchie la plus totale, quelques chaises étaient déjà renversées et une partie de la vaisselle volait et se brisait au rythme des disputes entre les convives. Uinda le suivait, tâchant d'éviter les projectiles de sauce et les légumes volants. Elle avisa d'un œil inquiet la compagnie qu'elle allait devoir supporter pour la soirée avant de se précipiter pour se remettre à la hauteur de Galessin et lui demander :

"Où est-ce qu'on doit s'asseoir?

-On doit se mettre à la table du roi.

-On n'est pas avec les autres clans orcaniens? Demanda-t-elle avec espoir.

-Non." Répondit Galessin avec un petit sourire rassurant. "Les chevaliers de la table ronde mangent à la table du roi."

Uinda ne put s'empêcher de pousser un soupir de soulagement. Le spectacle qu'elle avait devant les yeux ne lui était guère attrayant : des hommes déjà ivres, des tables luisant de gras, des verres cabossés par les nombreuses chutes et des morceaux de viande écrasés dans la boue. Elle espérait que les invités présents à la table du roi seraient un peu plus raffinés que les brutes épaisses qui servaient de chefs de clan. Un petit cri lui échappa lorsqu'un plat encore rempli de volailles atterrit devant elle. Les invités avaient définitivement entamé les hostilités. Elle voulut s'éloigner de l'assemblée et trouver la table du roi mais Galessin l'arrêta.

"Attends." Galessin saisit fermement sa main dans la sienne et l'attira contre lui. "Viens suis-moi."

Il y avait quelque chose de profondément réconfortant dans le contact de la peau du duc. La main de Galessin était douce, chaude dans la sienne. Leurs paumes s'emboîtaient avec un naturel déconcertant et se sentaient si bien l'une contre l'autre. Les doigts du duc caressaient machinalement le dos de sa main. Elle serra avec force sa main dans la sienne si bien qu'une grimace d'inconfort se dessina sur les lèvres du duc. Elle se rapprocha de lui et lui ordonna d'une voix ferme et sans appel :

"Ne me lâche pas! J'ai pas envie de me perdre!"

Le petit sourire que lui adressa le duc la rassura immédiatement et sa main qui serrait la sienne un peu plus fort dissipa toute inquiétude. Galessin l'entraîna entre les tables encombrées et les corps ivres, se retournant de temps à autre, s'assurant qu'elle le suivait bien et qu'elle n'était pas mal à l'aise. Sa sollicitude était touchante. Il trouvèrent rapidement la table du roi mais Galessin ne lâcha sa main que quand ils furent parfaitement éloignés des autres chefs de clan. Il tira une des chaises et l'invita silencieusement à s'assoir. Elle s’exécuta avec un soupir soulagé avant de lever son visage vers lui. Galessin posa doucement sa main sur son épaule et la serra avec tendresse.

"Merci duc." Murmura Uinda.

La main de Galessin quitta l'épaule de l'enchanteresse à regret. Il tira la chaise voisine et s'assit avec un visage soudainement plus sombre. Ses collègues chevaliers n'avaient pas remarqué son arrivée et n'avaient donc pas, heureusement, vu son changement de figure. S'ils l'avaient vu il aurait été le sujet des railleries de ses camarades et de la cour pendant plusieurs semaines. Il attrapa une des amphores ouvragées et servit deux coupes de vin avant d'en tendre une à sa compagne qui l'accepta avec un petit "merci" très discret. Ils n'osaient plus parler maintenant qu'ils étaient à la table du roi. Uinda restait concentrée sur sa coupe, si concentrée qu'elle ne vit pas la dame qui s'asseyait à côté d'elle. Elle n'entendit que sa salutation joyeuse :

"Bonsoir madame la duchesse!

-Comment? Demanda Uinda en manquant de s'étouffer dans sa coupe de vin.

-Vous êtes bien la duchesse d'Orcanie?

-Mais absolument pas!" S'exclama-t-elle en essuyant du revers de la main les gouttes de vin qui étaient tombées sur son menton.

L'incrédulité s'était emparé du visage de la magicienne. Elle se tourna vers Galessin qui n'avait pas quitté son assiette des yeux, son visage était toujours aussi froid et fermé. Elle aurait pu croire, en voyant son visage inexpressif, qu'il n'avait pas entendu la question de la reine de Bretagne mais elle connaissait trop bien Galessin pour croire cela. Il entendait tout.

"Ce n'est pas votre épouse? Demanda Guenièvre en se penchant vers le duc d'Orcanie.

-Non."

Il n'avait pas levé les yeux de son assiette pour répondre à la reine de Bretagne. Ses mains n'avaient pas arrêté de décortiquer soigneusement l'aile de poulet qu'on lui avait servie. Il n'avait même pas pris la peine d'avaler ce qu'il avait dans la bouche avant de parler. Si sa mère avait été présente il aurait reçu une claque légère à l'arrière du crâne mais Uinda, elle, se contenta de lever les yeux au ciel en signe de désapprobation. Galessin haussa ses épaules en sentant le regard de sa compagne sur lui avant de tendre sa main pour prendre un autre morceau de volaille. Uinda lui tapota l'épaule, il lui tendit la cuisse avant d'en reprendre une pour lui alors que Uinda commençait enfin à manger.

"Excusez-moi." Lui demanda d'une voix douce un seigneur assis à côté de Galessin dont elle ne connaissait pas le nom. "Mais vous êtes qui du coup madame?

-Uinda! S'exclama une voix joyeuse dans la foule de corps enivrés avant même qu'elle ne puisse répondre à son interlocuteur.

-Bonsoir Gauvain.

-Vous êtes venue!"

Le jeune homme avait presque sauté au cou de la magicienne, la serrant contre lui avec tendresse. Il ne l'avait pas vu depuis bientôt six mois. Arthur avait tenu à ce que ses dernières années d'apprentissage de la chevalerie se déroulent à Kaamelott et pas en Orcanie. Le prince demeurait donc maintenant principalement dans la capitale et ne rentrait à Rackwick que pour quelques grandes occasions. Elle tenta de se dégager de l'emprise de Gauvain pour répondre au chevalier mais l'étreinte de celui-ci était trop étroite. Elle posa son menton sur le bras qui enlaçait son cou et sourit au chevalier avant de lui répondre :

"Je suis son enchanteresse.

-Alors pourquoi c'est vous qui-

-Laissez-la tranquille."

La voix tranchante comme un rasoir du duc d'Orcanie fit instantanément reculer le seigneur Bohort. S'il y avait bien une chose qu'il avait appris pendant toutes ces années à la table ronde c'était qu'il ne fallait pas mettre le seigneur Galessin en colère. Uinda tapota l'épaule de Gauvain et celui-ci s'empressa de la relâcher et de retourner à sa place en lui adressant un petit signe joyeux de la main. Elle attrapa son morceau de poulet, pensant qu'elle allait enfin pouvoir manger en paix, mais la voix tonitruante du roi de Calédonie la fit lâcher son repas.

"Vous êtes l'épouse du seigneur Galessin c'est ça?

-Mais non!" S'exclama-t-elle. Si elle n'avait pas eu peur de frôler l'incident diplomatique elle lui aurait volontiers envoyé son assiette encore pleine à la figure, à lui et à ceux qui oseraient lui poser la question. "Pourquoi vous croyez ça?

-Je suis navré! C'est juste que..." Calogrenant dévisagea les deux orcaniens pendant quelques secondes. Uinda fulminait de frustration. Galessin était plus calme, toujours aussi impassible. Sa main s'était posée sur celle de la magicienne dans une tentative vaine de l'apaiser. Leurs deux chaises étaient presque collées. "Vous semblez très proches...

-On est amis..."

Elle n'était pas certaine d'avoir assez bien dissimulé l'amertume dans sa voix. Ils étaient amis. Amis. Rien de plus. Même si cette amitié ne lui suffisait plus ils étaient amis. Même si elle espérait qu'elle se changerait un jour en un amour durable ils restaient amis. Et elle ne voulait surtout pas perdre cette précieuse amitié qui lui avait tant apporté depuis leur rencontre.

"Oui bien sûr."

Galessin chassa la dernière remarque du roi de Calédonie d'un claquement de langue agacé et d'un couteau planté avec force dans le bois de la table. Si Uinda était ravie de le voir prêt à tout pour éloigner d'elle les indiscrets et les importuns elle aurait préféré qu'il ne rejette pas avec autant de force les présomptions du roi de Calédonie sur la nature de leur relation. Celui-ci s'empressa de s'éloigner du duc et de se reconcentrer sur son assiette. Une fois qu'il fut certain que personne ne viendrait plus les importuner Galessin reprit son couteau et marmonna :

"Désolé. Je sais pas ce qu'ils ont tous ce soir."

La magicienne haussa ses épaules, elle se moquait bien de tout ce que ces gens qu'elle ne connaissait pas et qu'elle ne chercherait pas à connaître pouvaient bien penser d'elle et de sa relation avec le duc d'Orcanie. Plutôt que de répondre à son compagnon elle tendit la main pour attraper la cuisse de poulet imbibé d'une sauce sucrée et particulièrement collante qu'elle n'avait toujours pas pu manger. La viande était bonne, mais la sauce semblait ne plus vouloir quitter ses doigts. Ne voulant pas plonger ses mains encore pleines de sauce dans d'autres plats elle porta un à un ses doigts à sa bouche. Les serviteurs n'avaient pas pris la peine de mettre des serviettes à disposition des convives. Soudainement elle se figea, son index toujours dans sa bouche. Galessin la regardait, ses yeux pétillaient de malice et un sourire mesquin se dessinait sur ses lèvres.

"T'es con."

Un éclat de rire s'empara des deux Orcaniens. Le mélange du rire silencieux mais rayonnant de Galessin et du rire doux, cristallin même si légèrement plus timide de Uinda attira l'attention du reste des convives. La paire offrait un spectacle rare : un duc d'Orcanie souriant. Les autres chevaliers ne se souvenaient pas l'avoir déjà vu sourire. Et, même s'ils l'avaient peut-être déjà vu sourire, il ne l'avait jamais vu le faire d'une manière aussi rayonnante que celle-ci. Moment de grâce et d'humanité pour les témoins de la scène. Mais dame Séli, elle, n'avait que faire de leur hilarité.

"C'est votre maîtresse? Demanda-t-elle, interrompant brusquement les rires des deux orcaniens.

-Non." Répondit Galessin avec un soupir. "Pourquoi vous me demandez ça?

-Je sais pas. J'essaye de comprendre pourquoi vous l'avez invitée."

Il aurait définitivement dû demander à sa mère de repousser son voyage à Gaunes pour l'accompagner au banquet. Il appréciait la compagnie de Uinda, plus que tout. Mais il aurait dû se douter que sa présence attirerait encore plus les ragots de ses camarades que l'absence de compagnie féminine. Au moins quand sa mère l'accompagnait ses camarades ne se permettaient pas la moindre remarque. Uinda semblait aussi ennuyé que lui par les questions incessantes des invités.

"Ça va? S'enquit-il avec douceur.

-T'inquiète pas pour moi Galessin. Je vais bien."

Tandis qu'ils parlaient sa main s'était posée sur celle de Galessin et elle s'était mise à la caresser sans penser à ce qu'elle faisait. Son pouce massait machinalement la peau calleuse du duc. La main de celui-ci ne bougeait pas, elle semblait même se détendre à chaque caresse de la magicienne. Elle n'avait qu'une envie, rentrer dans la chambre avec Galessin et profiter silencieusement de la présence réconfortante de l'autre jusqu'au petit matin. Leur tendresse muette ne fit qu'attirer un peu plus les regards et les questions indiscrètes des autres convives.

"Vous y croyez vous? Demanda le seigneur Léodagan.

-À quoi? Grogna dame Séli en avalant son verre de vin d'une traite avant de le faire claquer bruyamment contre la table.

-Vous le croyez vraiment quand il dit que c'est pas sa femme? Ni sa maîtresse?

-Non. Non je le crois pas.

-Moi je le crois. Déclara le chevalier de Gaunes.

-Oui. Comme nous on croit que vous êtes marié."

La dernière remarque du roi de Carmélide déclencha l'hilarité de l'assemblée curieuse qui s'était rassemblée autour de dame Séli. Tous les regards étaient rivés sur le prétendument marié prince de Gaunes. celui-ci rougit, se releva et quitta précipitamment sa chaise pour rejoindre sa chambre sous les regards perplexes de Galessin et Uinda qui n'avaient rien entendu de la conversation.

Le banquet s'écoulait bien trop lentement au goût de la magicienne. La nourriture était trop abondante et pas assez raffinée pour ses goûts, le vin n'était pas très bon, la conversation de ses voisins de table insipide et les rires des chefs de clans chargés des vapeurs de l'alcool beaucoup trop bruyants. Cependant l'espérance d'un dessert, que le duc lui avait décrit comme prometteur, la maintenait résolument assise sur sa chaise. Quand ils furent servis elle prit une salade de fruit mais la part de gâteau qu'avait choisie Galessin semblait encore meilleure. Sentant son regard insistant sur son épaule Galessin plongea sa cuillère dans son gâteau et lui demanda avec un sourire :

"Tu veux goûter?

-Allez."

Elle se pencha sur son épaule alors qu'il approchait sa cuillère de ses lèvres. Elle referma sa bouche autour d'elle et avala le morceau de gâteau que lui proposait Galessin. Elle passa longuement sa langue sur ses lèvres essayant d'attraper toutes les petites miettes collées au rouge à lèvre qu'elle avait appliqué avant le banquet. Galessin la regardait avec attention, attendant son verdict pour savoir s'il pouvait manger ce dessert.

"Alors?

-C'est pas mal." Annonça Uinda. Elle avisa un instant le dessert de Galessin avant de saisir sa propre cuillère et de l'approcher de son assiette. "Attends je vais-

-Non! T'avais qu'à prendre ça comme dessert! S'exclama Galessin en attrapant son assiette pour l'éloigner le plus rapidement possible de la magicienne.

-Allez! Juste une bouchée! Supplia Uinda en se levant pour essayer d'atteindre le gâteau du bout de la cuillère.

-Non!" La cuillère se rapprochait dangereusement du gâteau, il voulut la repousser d'une main mais elle l’esquiva aisément. Il saisit de sa main libre sa propre cuillère et croisa le fer avec sa compagne. "Uinda! Non!

-Une bouchée et je te laisse tranquille!"

Leurs cuillères s'entrechoquaient avec un tintement doux dans une bataille joyeuse et enfantine. Les deux orcaniens gloussaient, oubliant le monde et les autres invités qui les entouraient. Uinda glissa sa main sous le bras levé de Galessin et laissa ses doigts s'aventurer sur ses côtes, chatouillant tout ce qu'elle pouvait atteindre. Le duc dut se retenir pour ne pas éclater de rire. Une fois dans la soirée c'était bien suffisant. Il la repoussa avec douceur et déclara avec un grand sourire amusé.

"Bon, bon, d'accord! Tu as gagné."

Il plongea une nouvelle fois sa cuillère dans la part de gâteau et la présenta à sa compagne. Uinda lui adressa un grand sourire en guise de remerciement avant de lui prendre la cuillère des mains pour goûter une nouvelle fois à ce dessert. Les autres convives avaient observé dans un silence quasi religieux cette scène entre les deux orcaniens. Le seigneur Léodagan sortit quelques pièces de monnaie de la poche de sa tunique, se pencha sur l'épaule de sa femme et murmura à son oreille :

"Je vous parie dix pièces de bronze qu'ils le font avant la fin du banquet.

-Tenu."

Dame Séli arracha les pièces de la main de son époux et les recompta soigneusement avant d'acquiescer et de se reconcentrer sur son assiette. Le banquet touchait doucement à sa fin et les convives terminaient leurs desserts. Uinda avait arrêté de manger, elle s'était enfoncée contre le dossier de la chaise et luttait pour garder les yeux ouverts. Galessin n'avait pas totalement fini de manger et elle n'avait pas l'intention de retourner dans la chambre sans lui. Il posa sa cuillère à côté de son assiette, le visage de Uinda s'illumina mais seulement pour quelques instants. Un des serviteurs qui les avait accompagné depuis l'Orcanie s'était penché à l'oreille de Galessin et causait maintenant avec lui. Le visage du duc s'assombrit, il congédia l'homme d'un geste de la main avant de se pencher vers Uinda et de lui annoncer :

"Je vais y aller. J'ai quelque chose à régler.

-À tout de suite. Lui répondit-elle

-À tout de suite."

Galessin quitta précipitamment la table pour suivre le serviteur. Uinda hésita un instant à le suivre. Après tout elle le secondait dans la plupart de ses affaires, il était dans ses droits d'écouter ce que ce serviteur avait à dire au duc. C'était son rôle mais si Galessin avait souhaité qu'elle soit présente il lui aurait certainement proposé de le suivre et il ne l'avait pas fait. Elle soupira avant de prendre congé de l'assemblée le plus discrètement possible pour regagner la chambre et enfin s'éloigner de ce brouhaha incessant.

Chapter 3: Chant 3

Chapter Text

L'enchanteresse rejoignit la chambre du duc bien longtemps après la fin du banquet. Elle l'avait pourtant quitté peu de temps après son compagnon, laissant les autres convives à leurs chants grivois et fonds de bouteilles. Elle avait d'abord voulu remonter immédiatement dans les appartements du duc mais l'air frais de la nuit et le reflet de la lune dans les feuilles des arbres l'avaient convaincue d'aller se promener dans les jardins de la forteresse. Elle n'avait regagné l'intérieur du château qu'après une longue heure passée entre les rosiers bourgeonnant et les couples éméchés gloussant dans les buissons.

Dans la chambre, Galessin était déjà installé dans le lit. Il avait troqué la tunique grise qu'il portait toujours pour les réceptions à Kaamelott contre un pantalon noire et une chemise blanche légers qui lui servaient de tenue de nuit d'avril à septembre. Sa chandelle était allumée et il tenait un morceau de parchemin dans ses mains sur lequel Uinda reconnu l'écriture exécrable du roi Loth. Avec une grimace écœurée elle posa son regard sur le visage paisible du duc. Ses yeux étaient clos et de sa bouche s'échappait un léger ronflement qui fit rire doucement la magicienne. Elle s'approcha du lit et lui demanda d'une voix douce :

"T'es déjà couché duc?

-Mmm."

Il ouvrit ses yeux en entendant l'enchanteresse et s'étira avant de frotter ses paupières avec vigueur. Elle lui souriait avec une tendresse amusée qui fit trembler ses mains. Il croisa ses doigts et étira ses bras tentant maladroitement de cacher les frissons qui parcouraient ses phalanges. Il voulut lui demander si elle ne s'était pas trop ennuyée pendant son absence, si le banquet s'était bien terminé, si elle avait passé un bon moment, si elle n'était pas trop fatiguée mais quand il ouvrit la bouche un bâillement sonore s'échappa avec disgrâce. Uinda éclata de rire et s'installa devant la coiffeuse de Galessin pour se préparer pour la nuit.

Sa coiffure avait été facile à défaire même si elle avait trouvé dans ses cheveux des morceaux de viande et des fèves encore entières. Elle soupira. Elle aurait besoin d'une douche le lendemain pour chasser tout ce gras. Elle les brossa rapidement avant de tresser sa chevelure blanche dans une épaisse natte lâche qu'elle reproduisait à l'identique tous les soirs depuis dix ou quinze ans. En revanche elle ne pouvait pas s'extirper de sa robe toute seule.

"Est-ce que tu peux m'aider?" Demanda-t-elle en se plaçant devant la couche.

Sans prendre le temps de lui répondre et sans même quitter le lit il s'approcha d'elle avec un hochement de tête. Elle lui tournait déjà le dos. Elle avait réussi à défaire le nœud qui maintenait les rubans en place mais ils étaient toujours étroitement lacés. Il se redressa et attrapa les deux rubans entre ses doigts. Il les desserra lentement, profitant des rares éclats de chair rosée striée de minces cicatrices blanchâtres qui apparaissaient. Il recula rapidement quand il eut achevé son travail et se laissa finalement retomber dans le fond du lit et ferma les yeux. Son repos fut pourtant rapidement écourté par la voix autoritaire de l'enchanteresse :

"Tourne-toi."

Il grogna. Pas à sa demande mais à l'idée de devoir quitter sa position confortable pour s'étaler sur le ventre. Il enfonça son visage dans un des oreillers, profitant de sa position (même si elle appuyait douloureusement sur son estomac bien trop plein pour son propre bien) pour étouffer un second bâillement. Le bruissement suave du tissu caressait vicieusement son oreille, la respiration de la magicienne réchauffait son corps. Des images floues du corps dévêtue de la magicienne venaient tourmenter et apaiser son esprit. Il faisait tout son possible pour se concentrer sur la lettre du roi Loth mais il n'entendait que le rire de Uinda et ne voyait que la forme de ses courbes.

Une main sur son épaule lui apprit qu'il pouvait se retourner. Il roula dans le lit, à la manière d'un chat se lovant sous la caresse de son maître, et réinstalla son dos contre les coussin moelleux. La robe et les chaussures de la magicienne étaient rangées dans la malle de voyage ouverte et sa chemise de jour était pliée et posée sur la petite chaise de la coiffeuse. Elle avait revêtu une chemise de nuit blanche en tissu fin qui laissait apparaître le rose de ses mamelons. Uinda se glissa dans le lit à ses côtés avec un soupir de contentement. Mais après seulement quelques instants elle reprit son air renfrogné et se tourna vers Galessin.

"Pousse-toi. Tu prends toute la place. Marmonna-t-elle en lui administrant un coup d'épaule bien senti.

-C'est mon lit je te ferai remarquer! Protesta le duc en se décalant.

-Ça ne t'empêche pas d'être sympa et de me faire un peu de place.

-Moi je trouve que je suis déjà bien gentil de te laisser dormir avec moi.

-Arrête de faire des phrases. Je sais que t'es content de dormir avec moi."

Si seulement elle savait à quel point il était heureux de dormir avec elle. Il lui était arrivé plus d'une fois de se lever en pleine nuit, incapable de dormir, pour aller toquer à sa porte et lui demander de l'aide. Les premières fois elle lui avait donné des potions et des tisanes. Après quelques années elle l'avait invité à entrer pour discuter et alors ils oubliaient les lois du sommeil auxquelles leurs corps étaient soumis et n'arrêtaient de converser qu'au lever du soleil. Une fois, alors qu'ils bavardaient sur son lit, il s'était endormi, un sourire sur les lèvres. Depuis ce jour Uinda l'accueillait dans son lit quand il ne pouvait trouver le sommeil. Quand il se glissait dans les draps parfumés de l'enchanteresse il s'apaisait enfin, il lui suffisait de fermer les yeux pour s'endormir dans la minute. Il aimait dormir avec elle, son lit était le seul dans lequel il pouvait se reposer mais ce n'était pas seulement pour cela qu'il aimait dormir avec elle. Il aimait dormir avec elle parce qu'elle était là, avec lui et qu'elle lui souriait avec une telle tendresse quand il se glissait dans ses draps.

"J'espère que tu ne ronfles pas trop fort. Déclara Uinda, le tirant de sa rêverie.

-J'en sais rien."

Il retint un commentaire sarcastique sur sa capacité à s'entendre respirer pendant son sommeil. Il était tard, probablement plus de minuit, Uinda ne serait certainement pas disposée à écouter ses sarcasmes et ses plaisanteries de mauvais goût. Il préféra se décaler vers le côté droit du lit, laissant à Uinda plus de la moitié de la couche pour s’installer confortablement, ce qu'elle fit sans prendre la peine de le remercier.

"T'as passé une bonne soirée? Lui demanda-t-il alors qu'elle s’enfonçait dans les coussins et remontait les couvertures sur ses épaules.

-Oui pas mal. C'est moins désagréable que ce que je pensais.

-Tu reviendra ? Il essayait de dissimuler l'espoir qui teintait sa voix.

-Si ta mère n'a pas envie de venir... Pourquoi pas. Répondit Uinda en se tournant vers lui avec un petit sourire presque timide qu'il n'avait jamais vu sur ses lèvres. La timidité n'était pas un trait de personnalité proéminent chez elle.

-Vous pourriez venir toutes les deux. Proposa Galessin.

-On pourrait."

Sa voix ne laissait rien deviner de ses sentiments. Pourtant, il se doutait bien qu'elle n'était pas ravie par la perspective de passer plus de temps à Kaamelott avec des dames et des chevaliers dont elle avait déjà oublié les noms et les titres. Ce qu'il n'entendait pas en revanche, c'était son envie de venir avec lui à chaque fois qu'il le lui demanderait, même s'il ne lui demandait pas même. Il n'entendait pas l'espoir qui dévorait son corps d'être toujours avec lui, de l'accompagner partout, toujours, de prendre sa main dans la sienne et de ne plus jamais la lâcher. Uinda soupira doucement avant de murmurer du bout des lèvres :

"Bonne nuit duc.

-Bonne nuit Uinda."

Galessin s'endormit le premier. Il n'avait pas pris la peine de tourner le dos à sa compagne avant de fermer les yeux pour une fois. Il s'était endormi en la regardant avec un petit sourire sur les lèvres. Après seulement quelques minutes de calme et de silence un léger ronflement vint remplir la pièce d'une mélodie apaisante et régulière. Uinda dut se retenir de rire en entendant ses ronflements. Elle avait deviné, avant même qu'ils ne se glissent dans le lit, que l'alcool rendrait le sommeil du duc plus agité qu'à l'ordinaire. Sa bouche était légèrement entrouverte, ses lèvres semblaient figées dans expectative d'un baiser.

Elle ne pouvait pas détacher ses yeux de son visage. Quand il dormait il paraissait plus jeune qu'il ne l'était. Ses boucles brunes tombaient mollement sur son front et devant ses yeux sombres, ses lèvres abandonnaient leur rictus mauvais et son visage se détendait, devenait moins dur, plus avenant. Elle caressa doucement la naissance de sa barbe du bout des doigts, son pouce s'attarda sur ses lèvres, en traçant le contour. Il ne bougeait pas, il ne se réveillait pas. Galessin ne trouvait pas aisément le sommeil mais dès qu'il était endormi il était impossible de le réveiller. Même si les mouvements de son corps aurait pu indiquer le contraire.

En plus de ronfler Galessin bougeait dans son sommeil. Ses premiers mouvements furent presque imperceptibles. Seuls les plis changeants des draps et le bruissement des bras de Galessin contre le tissu témoignaient de son agitation. Il semblait pris dans un rêve particulièrement désagréable. Il grognait dans son sommeil, gigotait, ses bras s'agitaient comme s'il se débattait. Uinda glissa sa main dans la sienne, caressant tendrement sa peau. Quelques caresses suffirent à apaiser Galessin qui, toujours plongé dans son sommeil, passa son bras libre autour des épaules de la magicienne et l'attira contre lui. Elle se remit à sourire.

Elle était bien comme ça, contre lui, dans ses bras. Il y avait quelque chose de profondément réconfortant dans son étreinte. Ses bras étaient puissants, accueillants, elle se sentait en sécurité quand il tenait ses épaules de cette manière. Elle ferma les yeux et se laissa aller, son nez s'enfouit dans les boucles de Galessin. Elles étaient un peu longues, elle nota dans un coin de sa tête de demander à Deirdre de couper les cheveux de son fils quand ils rentreraient à Rackwick. Il sentait bon, le sommeil pouvait enfin l'emporter.

Avec un halètement apeuré Galessin se redressa dans le lit, délogeant la tête de Uinda qui reposait paisiblement sur son épaule. Il reprit lentement sa respiration, une main sur son cœur, l'autre agrippant les draps. Il chercha à tâtons le corps de Uinda, il devait s'assurer qu'elle était bien avec lui dans le lit, il devait s'assurer que son cauchemar n'était bien qu'un cauchemar. Sa main trouva son sein mais il ne comprit pas immédiatement ce qu'il touchait. Quand il comprit, il retira sa main, terrifié, comme si son contact l'avait brûlé, ses joues plus rouges que les liquides étranges qu'il voyait parfois dans les bocaux de l'enchanteresse. Il sursauta quand elle gémit son nom :

"Galessin..."

Elle était toujours endormie. Elle était endormie et elle murmurait son nom, le gémissait. Une nouvelle fois ses lèvres laissèrent échapper son prénom dans un soupir. Les joues du duc d'Orcanie s'embrasèrent quand il entendit son nom prononcé de cette manière. Uinda se tortilla légèrement dans son sommeil, laissant échapper de temps à autre un gémissement léger ou un soupir doux. Une chaleur réchauffait son ventre quand il la regardait, chaleur qui descendait lentement vers son entrejambe. Il déglutit avec difficulté et essaya de se concentrer sur tout ce qu'il connaissait de moins excitant. La chose était difficile alors que Uinda se tortillait à côté de lui en gémissant son nom sans relâche. Il essayait de repenser aux directives que le roi Loth lui avait envoyé mais le visage de la magicienne attira une nouvelle fois son attention.

Ses lèvres étaient si belles quand elles murmuraient son nom, son visage était si doux quand elle rêvait de lui (du moins il espérait qu'elle était en train de rêver de lui), sa voix était si douce quand elle gémissait de cette manière. Pas un gémissement de douleur ou de frustration comme il l'avait souvent entendu émettre, un gémissement de plaisir. Un gémissement de plaisir qui était si doux à son oreille. Un gémissement de plaisir qu'il aurait aimé provoquer, il donnerait n'importe quoi pour le provoquer, pour l'entendre à nouveau. Il secoua rapidement sa tête pour chasser ses pensées et se réinstalla dans le lit.

Un poids s'écrasant soudainement sur son torse le fit sursauter alors qu'il refermait les yeux. La tête de Uinda avait retrouvé sa place contre son épaule. Galessin avait l'impression d'être pétrifié. Uinda marmonnait son nom contre son épaule, ses boucles blanches caressaient doucement ses lèvres et l'odeur de son soin pour les cheveux titillait son nez. Il passa son bras autour de sa taille et la serra contre lui. Il hésita un instant mais décida de ne pas embrasser son front avec amour avant de s'abandonner de nouveau au sommeil.






Uinda ouvrit les yeux la première le lendemain. Ils avaient oublié de fermer les rideaux avant de dormir mais ils étaient si fatigués que la caresse des rayons de soleil ne les avaient pas réveillés. C'était le bruit assourdissant des cris dans le couloir qui l'avait tiré du sommeil. Elle fut surprise de trouver sa tête posée contre l'épaule de Galessin et ses bras repliés contre son torse. Elle rougit quand elle sentit la main du duc serrer fermement sa taille. Elle n'était pas sur de pouvoir se dégager de son étreinte et elle était certaine de ne pas vouloir s'en dégager. Elle redressa sa tête, observant le visage encore paisible du duc et ses doigts se glissèrent dans les cordons de sa tunique.

Elle ne s'était pas délogée de ses bras quand il ouvrit les yeux, sa tête ne reposait plus contre son épaule et elle avait desserré légèrement son étreinte mais son bras droit était toujours replié contre son torse même si ses doigts ne jouaient plus avec les cordons de sa tenue de nuit. Galessin lui sourit et ses joues s'embrasèrent. Le duc avait un beau sourire. Cependant il n'était pas à l'aise. Alors qu'il se redressait il s'éloignait d'elle : ses joues rougissantes, ses lèvres frémissantes et ses yeux désolés.

Galessin se redressa avec un raclement de gorge embarrassé mais son bras ne quittait pas la taille de la magicienne. Son pouce caressait machinalement le tissu doux de sa chemise de nuit. Si Uinda l'avait remarqué elle ne lui fit pas remarquer. Elle se redressa à son tour et Galessin retira son bras à regret. Elle s'étira et Galessin dut détourner le regard pour ne pas regarder la pointe de ses seins qui apparaissait sous le tissu de sa chemise de nuit. Elle s'installa contre la tête de lit et déclara :

"Je devrais demander une autre chambre quand même....

-Ah. Pourquoi? Demanda Galessin, essayant de ne pas paraître trop déçu.

-Tu ronfles. C'est impossible de s'endormir."

Les joues du duc s'embrasèrent immédiatement. Il avait pensé que l'enchanteresse avait dormi sans interruption et qu'elle n'avait pas pu voir à quel point son sommeil était agité quand il avait bu. Ses lèvres se mirent à trembler. Si elle avait entendu ses ronflements elle avait peut-être entendu d'autres choses murmurées à la faveur de la nuit.

"Je suis désolé... Marmonna-t-il.

-Je te taquine duc. J'ai très bien dormi. Murmura Uinda.

-T'es bête."

Elle se contenta de lui sourire en réponse et Galessin dut se détourner une nouvelle fois d'elle pour camoufler ses joues rougissantes. Toujours ce même sourire. Ce sourire qui le rendait fou. Elle n'avait pas le droit de sourire de la sorte, surtout avec cette bouche qui avait murmuré, gémi son nom pendant la nuit.

"Tu as bien dormi toi? Demanda-t-il pour tromper son malaise.

-Oui." Répondit-t-elle en s'installant contre la tête en bois sculpté du lit avant de s'étirer avec un soupir de contentement. "Oui pas mal.

-Tant mieux! Je t'ai pas trop dérangé?

-Non. Non absolument pas."

Au contraire, il n'était absolument pas dérangé par la présence de l'enchanteresse dans son lit. Il fut d'abord étonné par sa question. A Rackwick elle ne lui posait jamais mais leurs lits étaient plus grands, ils ne risquaient pas de se réveiller entrelacés comme ce matin. Il ne pouvait pas lui dire qu'il avait été ravi de la trouver dans ses bras à son réveil mais il ne pouvait pas non plus lui dire que ses gémissements l'avait empêché de dormir pendant de longues heures pendant lesquelles il avait tout fait pour lui cacher son excitation et son désir.

"De toute façon on ne reste qu'une seule autre nuit ici? Demanda Uinda.

-Oui c'est ça. Répondit-il.

-Donc c'est pas la peine de demander une autre chambre.

-C'est vrai."

Galessin aurait voulu continuer à lui parler pendant des heures mais il fut interrompu par des pas pressés dans le couloir qui s'approchaient de plus en plus de leur chambre. La porte s'ouvrit avec fracas. Les yeux de Uinda s'écarquillèrent de terreur quand elle la vit rentrer en collision avec le mur de pierre. Elle s'attendait à voir la porte s'effondrer d'un moment à l'autre mais les gonds résistèrent à la poigne de fer de la servante. Elle leur balança presque le plateau couvert de victuailles à la figure et déclara en faisant demi-tout immédiatement :

"Monsieur, Madame. Petit-déjeuner.

-Ils montent le déjeuner au lit ici? Demanda Uinda, étonnée par les manières de la femme.

-C'est une idée de la reine... T'aimes pas?

-Une fois de temps en temps c'est sympa mais tous les jours..."

Elle tendit sa main et attrapa une morceau de pain frais qu'elle s'empressa de recouvrir de confiture de fraise. Elle mordit dedans avec enthousiasme quand son regard fut attiré par Galessin qui se débattait avec une des serviettes. Elle éclata de rire malgré son regard meurtrier avant de lui tendre une tartine beurrée qu'il attrapa sans la remercier. Ils mangèrent en silence. Seul le bruit du pouce de Uinda caressant les lèvres de Galessin pour en chasser les miettes vint briser leur silence confortable.

Le plateau vidé, Uinda quitta le lit avec un soupir fatigué. Galessin voulut lui proposer de rester avec lui et de se reposer mais Uinda secoua sa tête de droite à gauche. Cette action le fit sourire. Elle le connaissait suffisamment bien pour savoir exactement ce qu'il allait lui demander. Il s'installa sur le ventre et enfonça son visage dans l'oreiller avant qu'elle n'ait besoin de lui demander de se tourner pendant qu'elle se changeait. Elle tapota son épaule une fois qu'elle eut achevé d'enfiler sa robe de lin blanc. Et Galessin put se retourner pour la voir prête à quitter la pièce.

"Je vais aller voir Elias." Déclara Uinda en ajustant sa cape grise dont le bas était bordé de fourrure d'hermine blanche sur ses épaules. Elle se tourna vers Galessin et lui demanda : "On se voit ce soir? Pour le dîner?

-Très bien." Répondit Galessin en quittant le lit à son tour. "À ce soir.

-À ce soir duc."

Ses yeux accrochèrent les sien pendant un instant. Galessin ne bougeait pas, les yeux de la magicienne étaient inquiets, ses lèvres tremblaient, il avait l'impression qu'elle voulait lui poser une question ou bien qu'elle avait quelques chose de particulièrement important à lui révéler. Il fit un pas vers elle pour l'encourager mais elle lui tourna le dos et quitta la pièce d'un pas pressé, sa cape virevoltant derrière elle avec un bruissement doux.

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